Par le Sieur de HAUTEROCHE,
Comedien de la seule Troupe Royale.
Chez PIERRE PROMÉ, sur le Quay
Des Grands Augustins, à la Charité.
M. DC. LXXIV.
AVEC PERMISSION.
Édition critique établie par Cécile Gervais dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2005).
Commentaire critique §
Introduction §
Un jeune homme inconstant n’a d’autre passion que celle de la musique jusqu’au jour où, séduit par les billets que lui envoie une mystérieuse dame masquée, il succombe peu à peu à l’amour. Son valet Crispin est alors chargé d’approcher l’inconnue, que son père destine au couvent. Seul plaisir que le vieillard consent à sa fille avant ce retrait du monde, les leçons de musique permettent à Crispin de se tirer de plusieurs faux-pas. Voilà le sujet que choisit Hauteroche à un moment où les premiers succès de Lully suscitent une véritable vogue musicale ; le retrait récent de Villiers – créateur du personnage de Philipin – permettant par ailleurs l’émergence d’une nouvelle figure de valet-vedette.
Noël Le Breton, sieur de Hauteroche : éléments biographiques §
La légende §
Les études sur la vie de Hauteroche relèvent à la fois du récit romanesque et d’une étude des sources : on ne dispose que d’informations fragmentaires, et les documents attestant l’existence de ce comédien-poète ne remontent pas en amont de l’année 1654. Cette lacune est comblée par le développement d’une version invérifiable et quasi légendaire de la jeunesse de l’auteur, qui s’est transmise jusqu’au début du XXe siècle.
Hauteroche, de son véritable nom Noël Le Breton, serait né aux alentours de 1617, hypothèse qui relève d’un consensus prêtant foi aux biographes du XVIIIe siècle, lesquels affirment que notre auteur serait mort le 14 juillet 1707 « à l’âge de quatre-vingt dix ans1 ». La légende brosse le tableau d’une jeunesse aisée, contrariée par une soif insatiable d’aventures et des aspirations militaires. Promis à l’achat d’une charge de conseiller au Châtelet et à un mariage arrangé avec la fille d’une amie de sa mère, Noël Le Breton fugue en Espagne dans l’espoir de s’engager. Ses espérances sont déçues, et après avoir dilapidé sa fortune au jeu dans les environs de Valladolid, il s’engage à Valence au sein d’une troupe de comédiens français qui jouait auprès du gouverneur de cette province. Certains biographes suggèrent qu’il devint par la suite lui-même responsable d’une troupe ambulante, dont le parcours le conduit jusqu’en Allemagne. Voilà ce que nous apprennent, sans faillir, toutes les biographies de l’auteur, qui suivent en cela la première version de la légende apparaissant dans les Œuvres de M. de Hauteroche publiées en 1772. Les libraires affirment dans leur Avis liminaire que le Chevalier de Mouhy a bien voulu leur transmettre ces informations, qui manquaient jusqu’alors2. La nature légendaire de ce récit est soulignée dans les versions ultérieures par des comparaisons ouvertement littéraires3, et son caractère romanesque par la tendance largement psychologique des textes des XIXe et XXe siècles qui s’en font l’écho4. La date exacte du retour de notre comédien-poète à Paris, de même que de plus amples détails sur la chronologie de ce qui précède, manquent totalement. C’est lors de ce retour à Paris que Noël Le Breton aurait adopté le pseudonyme de Hauteroche pour nom de scène.
Les sources accessibles §
Les premiers éléments fiables concernant la vie de Hauteroche datent du 1er avril 1654, et concernent un contrat d’association d’acteurs valable un an, pour la formation d’une troupe de comédiens de campagne sous la direction de Hauteroche lui-même. Ce contrat, signé « en la maison du Sr de Surlis rue d’orléans Maretz du Temple », laisse apparaître un lien certain entre le comédien et cette famille. Il répertorie parmi les membres de la troupe Madeleine et Estiennette, deux des filles Desurlis, avec la promesse de recevoir la troisième, Catherine, quand celle-ci le demandera. Selon S. W. Deierkauf-Holsboer, Hauteroche aurait au préalable assuré l’apprentissage des filles Desurlis dans sa troupe de comédiens de campagne, qui aurait ainsi pu exister bien avant 1654 : Madeleine et Estiennette ont en effet été formées dans une troupe de province, qu’elles intègrent respectivement en 1652 et 1653, et dont il est probable qu’elle ait été la troupe de Hauteroche. Quant à Catherine, on sait qu’elle a intégré une troupe de ce type après la faillite de L’Illustre-Théâtre (1645), et l’hypothèse selon laquelle elle aurait déjà travaillé avec Hauteroche expliquerait la promesse faite de l’engager sans condition. Il en résulte que cette troupe aurait pu être déjà formée dans la seconde moitié des années 1640. En 1654, Hauteroche joue à Fontenay-le-Comte, où l’on retrouve l’acte de baptême du fils de Madeleine Desurlis et de Claude Jannequin sur lequel figurent les noms de l’ensemble des membres de la troupe.
À l’expiration du contrat de société Hauteroche et les membres de sa troupe retournent brièvement à Paris, et se joignent à Laroque pour former la nouvelle troupe du Marais. Mais les contraintes matérielles du métier de comédien à Paris les poussent à repartir en province à l’issue de la saison 1656-1657 (les propriétaires ayant refusé une baisse de loyer aux comédiens, ceux-ci avaient conservé la salle grâce à la médiation de Louis Redhon, comte de Talhouet, qui la leur sous-louait). Les indications manquent pour cette période, toutefois Hauteroche a sans doute rayonné dans le nord-ouest de la France, puisqu’on a trace d’un passage à Rouen en août 16575. Le séjour est bref, on ignore cependant la date exacte de son retour à Paris et de son entrée à l’Hôtel de Bourgogne – la première trace qu’il laisse au sein de cette nouvelle troupe est une signature apposée sur un bail signé en 1660. Floridor l’engage en rempacement de Pierre Hazard, dont la date de décès est elle aussi incertaine6. La plupart des versions supposent qu’au moment de l’arrivée de Molière à Paris pour la saison 1658-1659, Hauteroche a déjà rejoint la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, qu’il intègre en même temps que Raymond Poisson (interprète du personnage de Crispin). Il y assume plusieurs fonctions : celle d’acteur, puis d’auteur, et enfin d’orateur à partir de 1671, lors de la retraite de Floridor. Son premier essai d’auteur, toutefois, n’appartient pas au domaine théâtral : il compose quinze poèmes lyriques, publiés en 1664 par Ribou dans Les Délices de la poësie galante des plus célèbres auteurs du temps. On peut rattacher ces poèmes au salon de Madame Le Camus, qui fera, ainsi que son mari, l’objet d’une des rares dédicace de l’auteur7. Hauteroche a, semble-t-il, fréquenté ce cercle, auquel appartenaient aussi Boisrobert, Pinchesne, Perrault, Nanteuil et Chapelain8. En tant qu’auteur dramatique, il écrit douze comédies entre 1668 et 1690, dont quatre incluent le personnage de Crispin, entre 1670 et 16759. Sa carrière d’acteur est diamétralement opposée, dans la mesure où il joue essentiellement des rôles tragiques. Il se spécialise dans les personnages de confidents, ceux de Racine notamment, à partir du moment où celui-ci s’adresse à l’Hôtel de Bourgogne : parmi les rôles créés par Hauteroche, citons ceux d’Héphestion dans Alexandre le Grand, de Phénix dans Andromaque ou de Narcisse dans Britannicus.
Hauteroche se retire en 1684, date à laquelle il cède sa part à Raisin l’Aîné et à Mlle Raisin contre un paiement de 300 louis d’or10. Il touche alors en tant qu’ancien acteur une pension de 1000 livres, qu’il semble avoir améliorée en se livrant aux activités de spéculateur immobilier et de créancier : la rente annuelle qui lui venait de ses débiteurs dépassait celle reçue pour sa carrière11. Même après son retrait, Hauteroche conserve occasionnellement son statut d’auteur, qu’il délaisse définitivement en 1690, sans doute en raison d’une cécité naissante. À partir de 1694 c’est en effet sa femme, Jaqueline Le Sueur, qui signe pour lui les documents avec cette précision : « […] a cause de l’infirmité & perte de veüe du Sieur dautroche mon éspoux »12. Les Œuvres de M. de Hauteroche sont publiées de façon posthume en 1736, en trois volumes imprimés par Pierre Jean Ribou à Paris. Il sera réédité en 1742, puis en 1772.
Circonstances de création et carrière de Crispin musicien §
Donnée à l’Hôtel de Bourgogne, la première représentation de la pièce eut lieu le 5 juillet 1674. Hauteroche met sur scène Raymond Poisson dans son personnage de Crispin pour la troisième fois, après Crispin médecin (1670) et Le Deuil (1672). La réussite de la première de ces deux pièces avait incité la troupe à la reprendre pour l’année 1673, quelques mois après la création du Malade imaginaire de Molière, sur la scène concurrente du Palais-Royal. Son succès ne s’était alors pas démenti ; le compte-rendu de la gazette hebdomadaire de Robinet, le 5 août 1673, en témoigne :
Apres icelle Tragedie13,Parut, aussi, la ComédieAyant nom Crispin médecin,Où Poisson, allant son gai train,Pensa faire crever de rire :Si que la Piéce, c’est tout dire,Parut trop courte aux Auditeurs,Qui s’en plaignirent aux Acteurs,Par une espéce de reproche,Qui ne fâcha pas Hauteroche,Autheur de cette Piéce la,Qui, seulement, trois Actes a14.
L’anecdote des plaintes du public ressemble davantage à une complaisance envers l’auteur qu’à un fait avéré, il n’en reste pas moins que c’est sans doute la réussite de cette reprise qui a incité Hauteroche à composer un deuxième Crispin en 1674, dans des proportions plus larges — cinq actes versifiés, au lieu de trois actes en prose. Mais le succès de la première comédie n’est que l’un des deux motifs de l’écriture de notre pièce. Hauteroche avait composé pour la saison 1672-1673 Les Apparences trompeuses, comédie en trois actes et en vers, qui n’avait pas fait l’objet de représentations : la préface établit « qu’on ne l’a pas trouvée joüable ». D’après ce qu’écrit l’auteur, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne ont reproché à cette pièce son manque d’énergie comique. La comédie en question est entièrement centrée autour de la jalousie aveugle du vieillard, Sturgeon, mari de la jeune Nérine, dont il soupçonne l’infidélité. L’intrigue fait l’économie de tout ce qui ne contribue pas à définir ce personnage : dans cette histoire d’ « adultère », le spectateur est à peine mieux renseigné que le barbon jusqu’au milieu de la pièce (II, 3). Les deux amants supposés, Nérine et Damis, ne font que se croiser en scène. La véritable amante de Damis, Jacinte, est enfermée dans un couvent par son frère Sturgeon, qui ne l’en laisse sortir qu’au dernier acte pour surveiller celle qu’il suppose infidèle. Le valet et la servante sont en scène, mais l’un intervient à titre de simple témoin, et l’autre, chargée de souligner l’aveuglement et le ridicule de Sturgeon, est dépeinte comme une vieille fille. Assez logiquement dans ce contexte, le dénouement insiste moins sur le mariage final de Jacinte et de Damis que sur le ridicule du vieillard, unanimement condamné. La comédie appartient au registre de celles qui ne misent pas d’emblée sur le risible (même si Hauteroche y insère quelques scènes à cet effet, à l’exemple de celles où le valet se fait souffleter). « J’avoüe que cette pièce n’est pas si plaisante que celles qu’on a vûës de ma façon », écrit Hauteroche. C’est peut-être le fait de devoir renoncer à cette pièce pour l’année 1673 qui a conduit la troupe à reprendre Crispin médecin. La nouvelle pièce va donc mettre l’accent sur l’écriture comique et les moyens de plaire au public : en cela, transformer le « médecin » de 1670 en « maître de musique », c’est répondre au goût pour les comédies-ballet, ou les comédies mêlées de chansons.
En 1674, cela fait deux ans que Lully a obtenu le privilège des représentations en musique au théâtre. Il succède en cela à Perrin, lequel avait obtenu un premier monopole en 1661, et fondé une « l’Académie des Opéra », ayant souci de souligner l’ascendance italienne de son initiative. Malgré l’existence relativement récente de l’opéra lulliste (deux œuvres seulement ont jusqu’à présent vu le jour : Cadmus et Hermione en 1673 et Alceste en 1674), la musique sur la scène française avait déjà gagné une place importante, au point, pour Lully, d’exiger une restriction des moyens musicaux des comédiens. Lors de l’arrivée à Paris des premiers opéras italiens dans les années 1640, le statut de l’insertion musicale dans la comédie s’était déplacé d’une référence à la tragédie antique vers une réponse à l’opéra italien15. Par la suite, les éléments non verbaux avaient gagné en importance, dans la tragédie à machines d’abord (où la musique n’occupait cependant qu’une place secondaire), puis dans la comédie-ballet des années 1660, où elle s’alliait à la danse. En écrivant Crispin musicien, Hauteroche prend donc acte d’un goût répandu pour la musique, et plus généralement, pour le spectacle.
D’après l’allusion que glisse Thomas Corneille dans son Inconnu (1675), la pièce reçut effectivement un accueil très favorable. Même si celui qui y loue les pièces de Hauteroche n’est autre que le personnage du Vicomte – qui ne prise rien de plus en matière de théâtre qu’un comique grossier et efficace – ses répliques témoignent d’un succès de public. Voici les termes dans lesquels il s’exprime à l’annonce de la pièce qui s’apprête à être représentée :
LE COMEDIEN.
C’est Psyché, grand & pompeux Sujet.LE VICOMTE.
Tant-pis, le sérieux en moins de rien m’ennuye.Et n’y joindrez-vous point quelque Crispinerie ?J’aime tous les Crispins.LE COMEDIEN.
Vous en aurez le choix.LE VICOMTE.
J’ay veu le Medecin, je croy, plus de cent fois.Ce Pendu qu’on étend sur la Table, il m’enchante.LE MARQUIS.
C’est avecque justice.LE VICOMTE.
Et cet autre qui chante,Fa, sol, fa, sol, fa, re, mi, fa.Quand il entonne ainsi son re, mi, fa, je ris….16
Hauteroche revendique dans sa préface ce plébiscite du public. Son insistance sur l’absence de « brigue » s’explique par ce qui était devenu coutumier : les auteurs préparaient le succès de leurs œuvres en les lisant auprès de particuliers, ou encore en organisant des claques lors des premières représentations, avec l’appui de complices placés aux endroits stratégiques du théâtre et qui entraînaient les applaudissements. Pour connaître l’ampleur du succès de Crispin musicien, il faut s’en tenir à cette même préface, qui fait état de « quarante représentations dans la plus mauvaise saison de l’année » (c’est-à-dire durant l’été 1674). Le rythme usuel de trois représentations par semaine, rappelé dans l’adresse au spectateur qui clôt la pièce, atteste un nombre de ce type (si l’on tient compte du léger délai entre l’achevé d’imprimer du 21 septembre 1674 et la fin des représentations). Ce nombre signale un très gros succès, confirmé par le maintien de la pièce au répertoire de la Comédie-Française jusqu’en 1738 : elle y est jouée 145 fois entre le 29 août 1680 et cette date17. En 1682, on la donne à Saint-Germain et à Versailles, où elle est rejouée en 168418.
On ignore quelle était la distribution exacte pour la première série de représentations19 – à l’exception du rôle de Crispin, que l’on peut attribuer avec certitude à Raymond Poisson. Dans une lettre du 19 juillet 1711, la duchesse d’Orléans nous apprend que la pièce « a été faite spécialement pour Baron l’ancien20, Poisson et La Thorillière le père », et elle remarque que « les autres acteurs n’ont jamais su bien jouer cette pièce »21. On peut ainsi supposer que ces trois acteurs tenaient les rôles principaux : ceux de Crispin (déjà identifié), du jeune amant Phélonte, et de Dorame, le père des jeunes filles (Mélante, le musicien et les deux pédants n’interviennent en effet que dans quelques scènes). La Thorillière, comte tenu de son âge avancé, est l’interprète probable du vieillard – Michel Baron, passé à l’Hôtel de Bourgogne après la mort de Molière et dont la date de naissance est incertaine, semble avoir entre 21 et 27 ans en 1674, et pourrait plus vraisemblablement jouer un jeune amoureux. Toutefois, à la suite de Lancaster, on a attribué à Hauteroche le rôle de Phélonte, en raison des aptitudes musicales de ce personnage qui doit improviser au clavecin et chanter en scène. En effet, jouant sous son propre nom dans la Comédie sans comédie de Quinault (1655), notre comédien-poète interprète un air avec une voix de haute-contre22. Mais dire que Hauteroche possédait des aptitudes musicales ne signifie pas qu’il était le seul comédien dans ce cas, et si l’on prend en compte sa date de naissance, cela voudrait dire que le jeune amoureux Phélonte aurait été joué par un acteur d’environ cinquante-sept ans : Baron semblait mieux indiqué pour tenir le rôle, d’autant plus que l’on sait qu’il avait lui aussi reçu une formation au chant au sein de la troupe de Molière23.
Crispin musicien est publiée rapidement. La pièce était apparemment déjà sous presse pendant les représentations, et paraît lorsque celles-ci s’achèvent, au bout de trois mois (le permis d’imprimer est daté du 21 septembre 1674). Cette promptitude s’explique sans doute par l’indissoluble lien qui existe entre le personnage de Crispin et l’acteur qui le joue, qui rend impossible, à Paris du moins, toute tentative fructueuse de reprise par une autre troupe – ce n’est cependant pas le cas pour les troupes de province, et la pièce apparaît dans le répertoire de l’une d’elles dès janvier 167524, avec le sous-titre « l’Opéra de l’Hôtel de Bourgogne ». Le paratexte de cette édition est très descriptif : soin qui vise à donner une image de la représentation la plus exacte possible au lecteur, et à s’assurer que la pièce ne sera pas altérée par ces reprises éventuelles. Ce souci de la carrière indépendante de la pièce, au fil des reprises qui en seront faites par d’autres troupes, est déjà présent chez Corneille en 1660, qui justifie par cela l’emploi des didascalies. Le succès de la pièce est également attesté par les rééditions du vivant de Hauteroche, en 1680 chez Jean Ribou, puis chez Pierre Ribou en 1705 — il est exclu que l’auteur, dont la cécité est certaine dès 1694, ait pu prendre part à cette dernière édition.
Crispin musicien en 1735 : une carrière aussi longue de Crispin musicien est permise à la fois par le contexte et par le caractère dynastique de l’interprétation du personnage : à la mort de Raymond Poisson, ses descendants prolongent la carrière de Crispin, et assurent la tradition en reprenant son costume et ses attitudes caractéristiques25. La pièce connaît ainsi une deuxième vogue en 1735, lorsque François-Arnoult Poisson (petit-fils de Raymond Poisson) la remet au répertoire à l’occasion des succès de Jean-Philippe Rameau. Castil-Blaze établit le lien entre cet engouement et le nouveau contexte musical :
Poisson (…) fit remettre cette comédie en 1735 au moment des premiers et brillants succès de Rameau. Crispin musicien eut deux fois la vogue, devient deux fois pièce de circonstance, grâce au mouvement que Cambert et Lully, Rameau plus tard en 1733, donnèrent au goût de la musique dans notre capitale26.
En 1733, Rameau entame en effet tardivement – il est alors âgé de 50 ans – sa carrière opératique avec Hippolyte et Aricie, sur un livret de l’Abbé Pellegrin, représenté la même année à l’Académie royale de musique. Jusqu’en 1749, il écrira six œuvres de musique dramatique : l’année de reprise de notre pièce coïncide avec la date de création de son unique opéra-ballet Les Indes Galantes (23 août 173527). Du point de vue de la forme, Rameau s’inscrit dans le sillage laissé par Lully et la tragédie lyrique. Mais il se trouve placé entre deux feux dans la querelle qui débat du primat de la musique française sur la musique italienne. Cette dernière, si Lully l’avait maintenue sous sa coupe, n’avait pas pour autant disparu. Elle perdurait ainsi dans certains « foyers d’italianisme » comme Saint-André-des-Arts, dont le curé Nicolas Mathieu tenait chaque semaine un concert de musique italienne et collectionnait des partitions de ce style. Après la mort de Lully en 1687, la vogue italienne gagne en importance et, par réaction, le compositeur est élevé de façon posthume au rang de symbole du style français. Le travail de Rameau sur l’orchestration et son harmonie, qui incluait certains accords considérés comme « italiens » et que Lully n’employait pas, en fait le champion de tous ceux qui prennent parti pour une conception italianisante de la musique dramatique. Le débat est celui de la place de l’élément musical dans l’opéra : dès 1733, Rameau émancipe la musique du texte, et confère à l’orchestre un véritable statut dramatique (tempêtes, orages, etc.). La querelle des « lullistes » et des « ramistes » se manifeste par un important échange de libelles de part et d’autre. La vogue de Crispin musicien tient donc bien, pour une large part, à son caractère de « pièce de circonstance » : ses plus grands succès, en 1674 puis en 1735, sont liés aux passions déchaînées par l’opéra.
Naissance des « crispineries » §
Considérées comme le premier jalon de la carrière de Crispin, Crispin médecin et Crispin musicien ne sont pas les premières pièces à présenter ce personnage en scène, qui possède déjà un visage aux yeux du public : celui de Raymond Poisson. Le personnage est codifié dans son costume et ses jeux de visage : il porte un costume entièrement noir, une fraise blanche et de hautes bottes jaunes (cf. annexe p. 62). Le jeu qui l’accompagne comporte une part de convention liée au physique de Raymond Poisson, qui interprétait le personnage avec force roulements d’yeux et avec des jeux de bouche. Le simple nom de Crispin est présent dans le théâtre français depuis L’Ecolier de Salamanque de Scarron (1651), il est repris du Crispinillo que l’on trouve dans le théâtre espagnol dès 164128. Le valet s’émancipe très rapidement de son modèle avec le déclin de la vogue espagnole dans le théâtre français, et devient le valet le plus représenté à la fin du XVIIe siècle : on en connaît 38 apparitions au total, 15 entre 1661 et 1673, puis 23 entre 1674 et 170029. Par sa popularité dans le dernier quart du XVIIe siècle, le personnage de Crispin possède une figure mouvante, si tant est que, comme le note J. Emelina30, « lorsqu’un nom se met à proliférer dans les distributions ou dans les titres, il en découle presque inévitablement un manque d’homogénéité du personnage ». Crispin possède cependant, avant Hauteroche, deux physionomies principales : celle que lui donne Du Perche dans L’Ambassadeur d’Afrique (1666), et qui sera développée par Régnard et Lesage, de fourbe aux intentions patibulaires poussé par l’intérêt et l’ambition ; l’autre de fourbe maladroit et poltron – A. Ross Curtis fait dériver ce trait du personnage de son origine espagnole31. La première est marginale, comme le note Gérard Gouvernet :
Crispin, même s’il possède, du vivant de Molière, les caractéristiques qui seront les siennes chez Lesage, n’en est pas pour autant inquiétant ; il s’agit de traits isolés, répartis dans plusieurs pièces et qui ne concordent pas avec la mentalité et l’attitude générale du personnage qui demeure avant tout grossièrement comique32.
C’est bien, en effet, sous l’angle du comique que Hauteroche aborde le personnage, lorsqu’il le met au premier plan, créant ainsi un « genre » de pièces désignées sous le nom de « crispineries ».
Si Hauteroche confie au valet un rôle-titre, c’est parce que le contexte s’y prête : l’acteur Villiers vient de quitter la scène, mettant ainsi fin à la carrière du valet le plus célèbre de la période précédente, Philipin – créé à l’Hôtel de Bourgogne dès les années 1640 afin de concurrencer le théâtre du Marais où jouait Jodelet. La chronologie des événements est la suivante : Jodelet meurt en mars 1660, date à laquelle le personnage de Philipin, désormais libre de toute concurrence, devient le principal valet-vedette du théâtre français. Ce personnage disparaît de scène avec le retrait de Villiers « vers l’an 167033 », moment où Hauteroche écrit sa première pièce pour Crispin. Le lien entre le départ de Villiers et le premier Crispin de Hauteroche est d’autant plus clair que, tous deux jouant dans le même théâtre, c’est pour Philipin que l’auteur écrivait jusqu’à présent ses rôles de valet34. Sa collaboration avec Poisson tient donc pour une part à un concours de circonstances. Le fait de mettre un valet au premier plan répond à la nécessité de faire rire, après le refus des Apparences trompeuses et le succès moyen des deux toutes premières comédies. Écrire un Crispin médecin ou un Crispin musicien, c’est doublement constituer le valet en type, en le situant dans la lignée des grands valets comiques comme Jodelet ou Philipin, et en insistant sur la capacité d’usurper une identité qui est un des principaux attributs du valet fourbe des comédies à l’italienne. Hauteroche emploie pour son premier Crispin un déguisement convenu et emblématique : pour cette catégorie de personnages, l’habit de médecin est l’un des plus empruntés, après celui du maître lui-même35. Si le déguisement en musicien est plus original, il a déjà été employé deux fois par Molière, dans L’Amour médecin (1665) et Le Sicilien, ou l’amour peintre (1667). Nous ne nous attarderons pas ici sur la nature du déguisement dans les Crispin, que nous aborderons ultérieurement.
En mettant le valet au premier plan, Hauteroche modifie le contexte dans lequel il apparaît. Avant 1670, Crispin intervient uniquement dans de petites comédies en un acte. Jean Emelina dénombre, entre 1652 et 1673, huit pièces où Crispin tient un rôle important, dont cinq précèdent le Crispin médecin de Hauteroche : toutes, sauf une, sont de petites comédies36. Hauteroche lui-même avait sacrifié à cette tradition en 1672 avec Le Deuil. Il est donc, après Poisson, le premier à confier au personnage un espace significatif dans une comédie en trois actes en 1670, puis en cinq actes versifiés en 1674. Condition préalable de ce changement, certains critères qui identifiaient le valet dans ces comédies d’avant 1670, tels que l’emploi physique du rôle, sont passés au crible des bienséances. Hauteroche allège ce qui était encore très présent dans Les Femmes coquettes de Poisson (1670), où l’acteur du rôle campe un valet-vicomte « manchot, borgne, une jambe de bois et en grand deuil37 ». La différence avec le Crispin de Hauteroche s’explique ici par le fait que, chez Poisson, le valet n’occupe pas encore le premier plan. Entre les deux comédies de Hauteroche elles-mêmes, une différence s’établit lors du passage des trois actes de Crispin médecin au domaine de la grande comédie en cinq actes qu’est Crispin musicien. Le registre de langue dont témoignait le faux billet établi par le valet de la première de ces deux pièces est supprimé (I, 6), et ses allusions les plus triviales sont retirées de scène : on peut prendre pour exemple la façon dont Crispin esquive une discussion médicale avec Mirobolan, qui lui demande avis sur un de ses patients (II, 9) :
MIROLBOLAN. Hom ?
CRISPIN. Des pillules…
MIROBOLAN. Luy donner des pillules, ce seroit ruiner les parties, qui sont déjà fort altérées par le désordre qu’ont causé ces différentes maladies.
CRISPIN. Ho, je ne dis pas cela ; je dis… que des pillules que j’ay prises ce matin m’obligent à vous quitter au plus tost.
Toutefois, si Crispin musicien est plus polissé que le Crispin médecin, il conserve des traces des origines en un acte du genre : il s’agit de composantes farcesques, celle de la traditionnelle menace de bastonnade dont le valet fait l’objet, et des allusions aux grimaces caractéristiques de Poisson. Ces passages contraints nécessitent cependant une adaptation. L’épisode de la bastonnade est conservé à titre de référence mais il n’est plus présenté comme tel sur scène. Dans Crispin médecin, l’incident se produisait sous les yeux du spectateur, Crispin esquivant le père du jeune homme et son valet de façon à ce que les coups de chaque agresseur se portent sur l’autre (III, 2). Dans Crispin musicien, le bâton constitue au contraire une menace qui donne une coloration farcesque à l’interrogatoire du valet par Phélonte, mais rien n’indique que cette menace soit mise à exécution (I, 10). Hauteroche garde le clin d’œil à la farce, sans pour autant faire rosser son valet devant le public, ce qui se produisait invariablement dans les pièces précédentes. Il évite ainsi les critiques que pouvait susciter le rire facile. Il est toutefois permis d’hésiter sur certains jeux de scène : la réplique dans laquelle Crispin commente le mal d’amour de Phélonte, soulignée par un geste qui doit accompagner et expliciter les paroles du valet (« Vois-tu bien, il a / Ce qui vient par icy d’ordinaire, et va là38 ») laisse envisager la possibilité d’une allusion scabreuse – contradictoire cependant avec les bienséances de l’époque. Les grimaces caractéristiques de Poisson appartiennent à un jeu de scène traditionnel. Le personnage de Dorame y fait allusion, prenant Crispin pour un voleur :
Estre un Musicien qui diable l’auroit dit,A voir sa figure, et mesme son habit ?39
Vers qui font écho à la réplique de Mirobolan dans Crispin médecin :
Il n’a pas mauvaise mine, mais il a pourtant quelque chose de fascheux dans le visage. Ouy, ou toutes les règles de la métoposcopie et de la physionomie sont fausses, ou il devoit estre pendu. (II, 4)
L’allusion à des caractéristiques physiques singulières est consubstantielle aux personnages de valets à succès : elle attire l’attention sur ce qui fait la force comique du personnage, et les références faites ici au physique de Crispin sont de même nature que celles qui s’adressaient à Jodelet, à sa voix nasillarde et à son nez courbé.
Si ces traits constituent des invariants, le personnage évolue d’une comédie de Hauteroche à l’autre. En tentant de dégager des traits fondamentaux du personnage, Jean Emelina note que Crispin est « un fourbe, mais un fourbe maladroit, agent d’exécution, mais aussi victime40 ». Définition qui s’applique par exemple au Crispin des Femmes coquettes, rossé après l’échec pitoyable de son numéro d’imposteur, mais qui rend mal compte du personnage de Crispin musicien : maladroit, il l’est, sans être pour autant victime. Disons qu’il se situe à mi-chemin entre le personnage de la pièce de Poisson et le Crispin « cynique, spirituel, ironique » du Deuil de Hauteroche, que Jacques Truchet qualifie de « Crispin supérieur »41, qui sert son maître tout en ayant soin de ses propres intérêts. Notre Crispin est bien présenté comme un « fourbe », ce qui est mis en évidence lors du dénouement par la répétition du mot :
DORAME
Le Maistre de Musique a bien joüé son jeu ;
Et c’est, pour peu qu’il trouve à payer d’artifice,
Un Fourbe aussy complet…
CRISPIN
Fort à vostre service :
Vous n’avez seulement qu’à me donner Toinon,
Je fourbe apres pour vous de la bonne façon42.
L’invention de la ruse qui permet aux personnages de se tirer d’affaire à la fin du quatrième acte lui est en effet attribuée, mais l’initiative du déguisement en maître de musique appartient à Toinon, la servante des jeunes filles, et lorsqu’il est surpris par Dorame, Crispin ne sait que bredouiller – ce qui reste un des traits conventionnels du personnage. Il est également mauvais stratège dans ses propos, puisqu’à deux reprises ses paroles manquent de nuire à Phélonte : il fait d’abord remarquer que son maître n’est pas « de ces Martyrs d’amour, / Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour43 », ce qui contraint Toinon à lui couper la parole et à le renvoyer, puis il alarme une nouvelle fois Daphnis en créant malencontreusement un quiproquo (V, 4). Le caractère maladroit du fourbe se manifeste encore lorsqu’en essayant de faire illusion le valet dévoile sa véritable condition. C’est le cas dans le passage de la vièle44, et au moment du choix d’un nom d’emprunt — Crispin prend pour pseudonyme celui de La Verdure, valet de comédie comme lui. L’alliance de la fourberie à la maladresse de Crispin, de même que la présence convenue d’éléments issus de la farce dans le sujet amoureux, forment la base de discordances burlesques, qui pourront être exploitées de façon comique. En accordant les passages contraints qui appartiennent à la tradition du personnage et le respect des bienséances qu’implique le fait de lui confier le premier plan, Hauteroche effectue le premier travail d’acclimatation de Crispin à un rôle-titre.
De Crispin médecin à Crispin musicien §
Les deux pièces de Hauteroche possèdent une intrigue semblable, et conventionnelle : un jeune homme est amoureux d’une jeune fille qu’il ne peut approcher, et il emploie son valet comme intermédiaire afin de lui faire parvenir des billets galants. Celui-ci, tombant nez à nez avec le père de la jeune fille, doit endosser une fausse identité pour se tirer d’affaire.
Résumé de la pièce §
Acte I. Au logis de l’inconstant Phélonte, La Ronce et six autres laquais répètent une pièce de musique commandée par leur maître (1), alors que le valet Crispin rêve et se lamente sur ses amours (2), maudissant les allées et venues des domestiques qui le harcèlent de questions (3-6). Phélonte apparaît enfin et se met au clavecin (7), demandant à entendre un air, puis une pièce instrumentale (8 et 9). Resté seul en scène avec Crispin, il interroge ce dernier sur la bizarrerie de sa conduite, s’appuyant sur la menace de coups de bâton (10), mais s’interrompt à l’arrivée de Mélante. Les deux amis courtisent sans le savoir deux sœurs, Lise et Daphnis, que leur père, Dorame, compte enfermer au couvent pour faire bénéficier son fils unique de l’argent de leur dots. Mélante s’est discrédité auprès du vieillard, qui a découvert son amour pour Lise, et il vient demander à Phélonte l’autorisation d’organiser chez lui un rendez-vous avec la jeune fille (11). Après le départ de Mélante, l’interrogatoire du valet se poursuit (12) jusqu’à l’arrivée de Toinon, la servante des deux jeunes filles, à qui Daphnis a confié un billet pour Phélonte (13). Ce billet, qui signale au jeune homme une rupture définitive, résulte d’un complot ourdi par Crispin, Toinon et la jeune fille pour piquer au vif l’orgueil et la curiosité de l’inconstant (14). Le stratagème réussit et Phélonte, sur la proposition de Toinon, envoie Crispin en reconnaissance chez Dorame, le père de Daphnis (15 et 16).
Acte II. Lise se prépare à aller visiter une cousine au couvent. Son père la félicite, sous les réprobations de Toinon, qui le met en garde contre les vocations forcées et lui rappelle qu’on l’accuse de vouloir cloîtrer ses filles pour favoriser l’établissement de son fils (1 et 2). Dorame sort sans écouter, laissant ainsi le champ libre à Daphnis (3) et à Crispin (4) qui viennent s’assurer de son absence. Après une brêve entrevue avec Crispin, Daphnis sort accompagnée de Toinon pour écrire un nouveau billet à Phélonte, et le valet resté seul se trouve nez à nez avec Dorame, de retour, qui le prend d’abord pour un voleur (5) Attirée par le bruit de la querelle, Toinon intervient et fait passer Crispin pour un maître de musique attendu par Lise et Daphnis (6). Mais sur ces entrefaites, le véritable maître de musique entre en scène (7). Crispin et lui se livrent à un duel de théorie musicale, qui dégénère bientôt en une véritable bagarre motivant la sortie de scène des personnages (8 à 10).
Acte III. Après avoir raconté sa visite chez Dorame, Crispin délibère avec Phélonte du nouveau billet de Daphnis. Celui-ci, qui commence à être séduit par le stratagème de la jeune fille, envisage de se déplacer chez elle pour la voir en personne (1 et 2). L’arrivée du maître de musique, qui vient proposer à Phélonte d’assister à l’audition prochaine d’une de ses œuvres, interrompt la conversation. Crispin offre alors une démonstration de son talent d’imposteur dans une nouvelle confrontation avec le musicien gascon (3). Celui-ci sorti, Phélonte prépare son départ chez Daphnis, et donne ordre à Fanchon d’accueillir Mélante en son absence (4 et 5). Mais c’est au tour de Boniface, précepteur du jeune frère de Phélonte, d’intervenir pour plaider la cause de son protégé, qui s’est engagé dans l’armée sans le consentement de son aîné (6). Phélonte met fin à l’entrevue et sort précipitamment accompagné de Crispin. Restés seuls en scène, Boniface et Fanchon se livrent à un duo amoureux burlesque (7), interrompu par l’arrivée de La Ronce (8 à 10), suivie de celle du Breton, le valet ivre de Mélante, qui vient annoncer l’arrivée de son maître (11 et 12). L’acte s’achève sur l’arrivée de Mélante et Lise, que Fanchon conduit au jardin pour leur rendez-vous (13).
Acte IV. Alors que Daphnis fait part à Toinon de ses doutes sur la sincérité de Phélonte (1), et hésite à recevoir ce dernier (2 et 3), Phélonte entre en scène et proteste de son amour à la jeune fille (4). Le duo tourne court : on frappe bruyamment à la porte. Toinon enferme l’amant et le valet dans un cabinet et en subtilise la clef avant d’ouvrir à Anastase (5), le précepteur du fils de Dorame qui l’a chargé d’un billet pour son père. À peine chassé, l’importun refait son entrée (6), accompagné du père des jeunes filles qu’il a rencontré sur le pas de la porte (7). Après l’échange de quelques nouvelles, Dorame se retire, imité par Anastase (8). Mais ce dernier est aussitôt rappelé (9) : le vieillard à oublié de lui remettre une écritoire, qu’il comptait offrir à son fils. L’objet se trouve dans le cabinet, dont la porte est close. S’étant muni d’une seconde clef (10-11), Dorame découvre Crispin et Phélonte (12). Ceux-ci esquivent ses questions en fredonnant un air de musique et s’échappent, laissant la colère de Dorame en butte aux explications de Toinon et aux conseils de l’intarissable Anastase (13).
Acte V. Phélonte, ayant enfin abjuré sa foi d’inconstant, demande à Crispin de porter un nouveau billet à Daphnis (1). La servante Fanchon entre en scène pour signaler à son maître la présence de Mélante et de Lise (2) et se livre avec Crispin à un commentaire sur les sentiments de Phélonte (3). L’arrivée de Daphnis et Toinon rend inutile tout nouveau billet, et les deux amants prolongent l’entretien interrompu à l’acte précédent (4 et 5). Les personnages sont surpris par l’arrivée de Dorame (6) : à la demande de son fils, qui se révèle être un ami du frère de Phélonte, celui-ci vient dans l’espoir de mettre fin à la querelle fraternelle. Crispin prétexte un concert qu’il est sur le point de donner pour justifier la présence de Daphnis aux yeux de son père. Mais l’arrivée de Mélante et de Lise provoque d’inévitables explications (scène dernière). Dorame cède et consent aux mariages de ses filles pour préserver sa réputation, et un concert final met fin à la pièce.
Les situations qui se répètent d’une pièce à l’autre – le déplacement du valet, sa rencontre fortuite avec le père de la jeune fille et le déguisement – favorisaient les réécritures. La première relation qui s’établit entre les deux pièces de Hauteroche consiste en un jeu de clins d’œil : l’auteur emploie pour son deuxième Crispin les éléments qu’il n’avait pu qu’évoquer dans le premier. Une des scènes de Crispin médecin concentre ainsi les esquisses des deux passages-clef du déguisement de Crispin auprès de Dorame : il s’agit d’un moment où le valet et la servante Dorine, restés seuls après la sortie du vieillard, discutent de stratégie pour le cas où une nouvelle situation embarrassante se présenterait45. Le fait de dissimuler l’intrus en l’enfermant à clef dans une pièce adjacente (IV, 4 à 11), et de détourner un objet pour repousser le danger (IV, 4), sont ainsi avancés dans deux répliques de Dorine, la servante de Crispin médecin :
DORINE. Si je n’avois oublié la clef de la cave, je te mettrois dedans.
DORINE. Apprens que quand je suis sortie pour aller chercher ces ferremens, ç’a été dans la pensée de les cacher, de sorte qu’il ne pust les trouver ; et c’est ce que je n’ay pas manqué de faire.
À défaut de cave, Crispin et Phélonte sont ici enfermés dans un cabinet, et Toinon, en retirant la clef pour retarder le moment où ils seront découverts, n’agit pas autrement que Dorine lorsqu’elle dissimule les instruments médicaux du docteur Mirobolan – évitant ainsi à Crispin, qui joue les cadavres, d’avoir à revenir à la vie sous les yeux du vieillard pour se prémunir d’une dissection en bonne et due forme. Quant à la rencontre de Crispin avec un musicien belliqueux, elle forme un contrepoint ironique à la réaction du valet lorsque Dorine propose de le transformer en médecin (nous soulignons) :
CRISPIN. […] Il faut payer d’effronterie : du moins sous cet habit je ne courray point le risque d’estre taillé ou d’estre battu. Quand je paroistray ignorant, il y a bien d’autres médecins qui le sont aussi bien que moy.
D’autres éléments sont simplement transposés d’une pièce à l’autre. La scène dans laquelle le jeune amant ordonne à son valet de se rendre auprès de la jeune fille qu’il aime est composée de répliques analogues dans les deux pièces : Crispin objecte d’abord au nom des coups qu’il pourrait recevoir, puis fait allusion au métier du père de la jeune fille, et fait remarquer au jeune homme qu’il pourrait se déplacer lui-même. Ce dernier répond qu’il craint pour le succès de l’entreprise, et dans les deux cas, Crispin se résigne :
Crispin médecin (III,1) | Crispin musicien (V,1) | |
Crispin Amant Crispin Crispin Crispin |
« Parbleu, je ne veux point aller me faire bistouriser, ou bien recevoir quelques coups de baston ; vous y pouvez aller vous-mesme. » « Il est vray que je le puis ; mais je crains, en y allant, de ruiner mon amour » « Je hazarde mon dos, mes bras, mes jambes, mon corps ; car, de la manière que j’ay oüy parler Monsieur Mirobolan de Cloux, de cordes, de bistouris, un médecin n’a pas non plus de pitié d’un homme qu’un avocat d’un écu » Billet d’Alcine « Envoyez tantost Crispin : je feray mes efforts pour luy donner une lettre, qui vous instruira de tout » « Ouy, je vois bien qu’il faut y aller » « Ecoutez, faites-moy avoir une robbe de médecin…. » |
« C’est bien dit ; au hazard, / Que le Vieillard mutin à m’étriller s’aplique » (1501-1502) « Mais comme la crainte est malséante aux Amans, / Vous-mesme vous pourriez faire vos compliments, / Ils seroient mieux de vous. » (1513-1515) « Si je suis veu du Pere, j’embarasse Daphnis, je ruine l’affaire » (1515-1516) « Ouÿ ; mais s’il s’avisoit, comme il est violent, / De me faire chanter sur quelque ton dolent, / Il connoist d’autres clefs que B mol & B carre » (1505-1507) [non employé] « Ecrivez, je voy bien qu’au péril de mon dos, il faut marcher » (1516-1517) [non employé] |
Deux éléments jouent un rôle dynamique dans la séquence de Crispin médecin : d’une part le billet de la jeune fille, qui exige le déplacement du valet ; de l’autre la préparation du déguisement. La scène intervient juste avant le déplacement de Crispin chez Mirobolan, père d’Alcine, à l’issue duquel aura lieu le dénouement : l’échec du déguisement provoquera les explications, et la conclusion du mariage. Il est donc logique que cette scène s’inscrive dans un mouvement dynamique. Il en va tout autrement dans Crispin musicien, où ces éléments sont absents. Hauteroche disposait de trois possibilités pour réemployer ce dialogue : il est en effet question d’envoyer Crispin chez Dorame à trois reprises, à la fin du premier acte d’abord (I, 16), puis au début du troisième (III, 1) et du cinquième (V, 1) – seul cas où la proposition reste sans effet. C’est précisément dans ce dernier contexte que Hauteroche réinsère la scène : il en résulte que les déplacements effectifs de Crispin ne sont pas, ou à peine, préparés (tout se règle en quelques vers), et que la préparation du déplacement intervient de façon gratuite, au moment où elle n’est plus nécessaire. Il en va de même pour la préparation du déguisement : Phélonte envisage dans cette scène de faire de Crispin un maître de musique (« S’il [Dorame] te voit, tu parleras Musique46 »). Mais nous sommes déjà au cinquième acte, et ce qui pourrait être une préparation intervient trop tard : le spectateur a déjà vu Crispin jouer ce rôle deux fois (II, 6 et 8 ; et III, 2). La réplique de Phélonte n’a aucune valeur stratégique : elle ne fait qu’entériner après-coup le procédé.
Hauteroche a pu profiter du succès de la reprise toute récente de Crispin médecin pour y glisser des allusions dans sa nouvelle pièce, misant sur la présence encore fraîche de la précédente dans l’esprit des spectateurs : l’association qui s’établit entre ces deux pièces, données dans un intervalle assez court, renforcerait alors aux yeux du public la connexion entre l’auteur et le personnage. Les liens tissés entre Crispin médecin et Crispin musicien – intrigues semblables, allusions d’une pièce à l’autre et transposition de scène – contribuent à la définition d’une typologie dont Hauteroche serait l’initiateur. On remarque essentiellement une perte de dynamisme dans la conduite du sujet, ce qui s’explique aisément par la nécessité d’adapter sur cinq actes une intrigue qui avait été conçue pour trois. Le sujet initial a de plus été allégé : la nouvelle pièce fait l’économie de la rivalité entre le jeune amant et son père, qui se disputaient la même jeune fille dans Crispin médecin. Ayant à composer avec la même quantité d’événements (deux déplacements de Crispin chez le père des jeunes filles), mais un cadre beaucoup plus large, Hauteroche ménage dans Crispin musicien des procédés de retardement : les espaces vacants seront alors mis au service des éléments spectaculaires de la pièce, numéros comiques, déguisement, ou musique.
Structure de la pièce §
Règles et retardements de l’intrigue §
La première ressource utilisée par Hauteroche pour ralentir la marche des événements est l’entorse faite à l’unité de lieu. Acquise depuis les années 1640, elle n’est délaissée que dans les pièces où le spectaculaire prend le pas sur l’illusion, c’est-à-dire les tragédies à machines et l’opéra : il s’agit bien, dans le cas d’une comédie comme celle de Hauteroche, d’une rupture d’avec la règle. Hormis le fait que cette disposition permette de présenter au spectateur une variété visuelle (minime il est vrai, puisque les deux décors représentent deux antichambres), elle impose une fragmentation de la présentation des événements, tout en permettant des phénomènes de répétition, source de retardements structurels. Hauteroche joue donc sur les moyens de communiquer des informations, en redoublant l’exposition verbale d’une situation par la scène qui en est l’illustration : il en est ainsi pour l’exposition de la situation des filles de Dorame (I, 11) par Mélante, ensuite présentée en scène (II, 1). Le retardement lié à la présence de deux lieux distincts tient aussi au fait de l’étanchéité partielle de la frontière ainsi établie : jusqu’à l’acte IV, où Phélonte devient personnage agissant, les seuls personnages à établir la liaison sont Crispin et Toinon, c’est-à-dire le couple de domestiques. Le bon déroulement de l’intrigue suppose donc d’infuser le contenu de l’acte précédent dans celui qui commence, c’est ainsi la fonction du compte-rendu de Crispin au début du troisième acte. Le dédoublement spatial permet surtout d’écrire des scènes en miroir, comme les deux duos des servantes et des philosophes (III, 7 et IV, 10), donc d’employer une même scène comique deux fois, au prix de légères variations. Enfin, il est nécessaire de faire advenir des allers-retours entre les deux logis de la pièce, qui devront eux-mêmes être légitimés lors des scènes entre Phélonte et Crispin.
La multiplication de ces allées et venues, qui permet de consommer en déplacements une partie de la pièce, intervient dans une pièce qui privilégie le spectacle : la relation entre le temps de la pièce et le temps du spectateur n’est pas soumise à la même contrainte de la vraisemblance que dans les pièces qui visent l’illusion dramatique. La multiplication des scènes comiques laisse de côté la question de la vraisemblance temporelle : le problème n’est pas là, et nous reprendrons l’idée de M. Corvin, que dans une comédie à types comme celle de Hauteroche, « le temps n’a pas de raison d’être »47 :
Si […] le type et, par delà, le caractère de la comédie classique est fait pour souligner ce qui ne change pas dans ce qui paraît changer, il n’y a plus d’inscription temporelle possible dans ce qui, ne pouvant être qu’une confirmation du déjà donné, est le contraire d’une évolution.
Les marques temporelles sont en effet presque absentes. Le début du premier acte se passe en début de matinée, si l’on se rapporte à la question de La Ronce (« Est-il jour là-dedans ? »48), et à celle de Fanchon qui s’enquiert du dîner (« Sais-tu si Monsieur me demande ? / S’il n’a point à traitter quelque Gaupe friande »49), mais les autres indices restent vagues, et tiennent à la nécessité de rappeler que l’action se déroule dans le cours d’une journée (« tantost », « dés aujourd’huy »). Une insistance trop prononcée sur la chronologie des événements risquerait en effet de rendre artificielle la multiplication des déplacements des personnages. Si la relative liberté de ce type de comédie vis-à-vis des contraintes temporelles autorise les déplacements incessants que provoque le changement de lieu systématique d’acte en acte, ce dispositif laisse d’autres contraintes à résoudre.
L’intrigue de Hauteroche est celle d’une comédie à l’italienne type, centrée autour de l’approche amoureuse du jeune homme auprès de la jeune fille, dans la maison du père de celle-ci. Sur les deux lieux présentés au spectateur, l’un des deux – le « logis de Phélonte », qui n’est pas visé par l’enjeu d’approche – se trouve alors vide d’action. Il faut donc « remplir » les actes qui s’y déroulent : c’est le « caractère » de Phélonte, dont l’inconstance forme doublon avec l’obstacle que constitue le père de Daphnis, qui supplée l’événement. Le fait que ce caractère soit celui d’un inconstant tient au souci, qui intervient dans un second temps, de légitimer la marche ralentie des événements : le fil principal se trouve alors fragmenté entre la conversion progressive d’un inconstant à l’amour, et une intrigue d’approche amoureuse à l’italienne traditionnelle. Ce qui permet de réemployer dans la première partie de la pièce, hors de toute référence au contexte d’origine, des éléments appartenant traditionnellement à la comédie à l’espagnole : Hauteroche reprend le principe de la jeune fille entreprenante, puisque c’est Daphnis qui a « entrepris de fixer le vagabond Phélonte50 », mais qui emploie ici la médiation de valets d’intrigue de la comédie à l’italienne. L’apparition masquée de Toinon, puis de Lise, renvoient également à cette tradition. Isolée de tout support espagnol, cette occurrence d’un masque féminin est marginale, et intervient dans un contexte où l’emploi de cet accessoire se raréfie51. Hauteroche l’insère soit par souci de vraisemblance – une femme qui se déplace va masquée – soit à titre de procédé, pour le simple plaisir visuel que son utilisation procure.
La deuxième contrainte imposée par la fragmentation du lieu est celle de créer un lien entre les deux espaces : mais l’intrigue à l’italienne, et la figure imposée que constitue le déguisement d’identité dans toute « crispinerie », y répondent d’emblée. Enfin il convient de ménager un moyen de rassembler tous les personnages pour le dénouement. La solution la plus évidente du point de vue dynamique – celle qui est employée dans Crispin médecin – consistait à enchaîner le dénouement à la démarche d’approche amoureuse : l’échec du déguisement provoquait les explications et le consentement du père au mariage. Mais l’étirement de la trame empêche l’articulation de ces deux éléments : le déguisement fournit la matière du quatrième acte, tandis que le dénouement doit n’intervenir qu’au cinquième. Leur dissociation entraîne une situation qui pourrait être incohérente : tous les personnages principaux sont en effet disponibles, le couple des maîtres (Phélonte étant enfin devenu personnage agissant et s’étant émancipé de la contrainte spatiale), celui des serviteurs, et l’obstacle principal, Dorame. C’est la deuxième fois que Crispin est surpris chez la jeune fille, et il peut sembler anormal que la situation reste sans effet. Hauteroche prend certaines précautions pour atténuer cette anomalie. Dans un premier temps, il fait en sorte que tous les personnages nécessaires au dénouement ne puissent pas être présents en scène. L’insertion dans la pièce de l’épisode concernant Mélante et Lise est conçue de façon à le permettre : Mélante est présenté dès le début de la pièce comme s’étant discrédité auprès de Dorame, ce qui exclut d’office sa présence chez le père des jeunes filles, et impose que le dénouement soit retardé de façon à avoir lieu chez Phélonte52. Dans un second temps, Hauteroche fait sortir Daphnis de scène, ce qui évite le rassemblement gênant des deux amants, des deux serviteurs et du père de la jeune fille, autrement dit de tous les personnages principaux de la comédie. Quant à la nécessité de motiver le déplacement de Dorame chez Phélonte au cinquième acte, alors que les deux personnages ne sont pas supposés se connaître, c’est la fonction que joue au niveau structurel l’intrigue secondaire de la brouille entre Phélonte et son jeune frère. Mais quitte à inventer un prétexte pour les besoins du dénouement, Hauteroche choisit de profiter de ce nouvel élément pour faire intervenir des personnages à fonction comique, qui bénéficieront de « leur » scène : ces personnages, qui interviennent pour lier les deux espaces distincts de la comédie, sont des « types » aptes à retarder l’action tout en divertissant le spectateur (Boniface et Anastase).
La multiplication des personnages, qui permet de « dépenser » des scènes, participe ainsi également d’une stratégie de retardement. Mais leur liaison à l’histoire nécessite parfois le recours à un alibi extérieur : la pièce possède ainsi plusieurs personnages extra-scéniques qui n’ont pour fonction que de légitimer la présence de ces personnages secondaires. La vieille tante de Phélonte permet de justifier la présence de Fanchon, mais son profil aurait pu en faire un obstacle comparable au père des jeunes filles. Elle ne joue au contraire aucun rôle dans l’histoire, où l’accent est moins mis sur la complexité de l’intrigue que sur les prouesses de Crispin, et les numéros comiques des personnages de domestiques ou de précepteurs. Madame Angélique est également un personnage fantôme qui légitime la présence du musicien auprès des filles de Dorame, et qui représente tout un contexte social justifiant que ce personnage se présente chez Phélonte au troisième acte, quand rien dans l’histoire ne l’y appelle.
Unification de l’intrigue ? §
Le problème posé par une intrigue constituée de retardements successifs est de maintenir aux yeux des spectateurs sa cohérence linéaire. C’est sur ce point que la pièce est attaquée au siècle suivant par les frères Parfaict :
On peut même ajouter que l’intrigue est entièrement dans le goût des anciennes Comédies, telles qu’on les composoit avant M. Molière, que les Scenes n’ont entr’elles guére plus de liaison, que la plûpart des personnages, avec le corps de la Pièce […]53.
Le reproche vise le manque d’unité de la pièce et la multiplication des personnages secondaires ; il a peut-être été formulé dès la création, puisque Hauteroche plaidait dans sa préface en faveur de cette « duplicité d’action » et de ces personnages, arguant que « l’on voit bien que c’est par eux que le dénouement s’en fait ». L’énoncé reste dans le vague. De quelle action secondaire parle-t-il ? De celle que forme l’intrigue amoureuse de Mélante et de Lise ? Ou alors, de celle des « docteurs » et du jeune frère de Phélonte ?
Jacques Scherer dégage trois conditions à l’unification de l’action d’une pièce54. D’une part, « le dénouement doit découler des actions de la pièce, et tout ce qu’il y a dans la pièce doit être utile pour le dénouement ». C’est l’argument allégué par Hauteroche dans la préface de sa pièce. L’histoire des deux précepteurs et du frère de Phélonte répond à ce critère, dans la mesure où elle a été inventée à propos. En revanche, l’importance du couple Mélante-Lise lors de la dernière scène est factice : la seule présence de Daphnis auprès de Phélonte aurait vraisemblablement pu suffire à Dorame, vétilleux « sur le point d’honneur », pour concevoir des soupçons puis consentir au mariage dans l’intérêt de sa réputation. De fait, le soupçon de Dorame est éveillé avant l’intervention du couple secondaire (v. 1671, 1702, 1713), l’arrivée ce dernier n’offrant qu’un effet de répétition. Ce qui se dégage de la présence de Mélante et Lise dans cette scène est davantage une nécessité de résoudre le fil secondaire, plutôt qu’un besoin qu’appelle la résolution du fil principal. La seconde condition est une absence « d’événements dus au hasard ». Scherer donne l’exemple des pièces qui comportent un personnage dont l’identité n’est révélée que lors du dénouement. Cette fois, on peut hésiter dans le cas du frère de Phélonte : il n’est révélé qu’au cinquième acte que l’ami du fils de Dorame, en faveur duquel le billet formule une requête (IV, 7), est en réalité ce fameux frère, et que cette requête concernait justement un accommodement avec Phélonte. Toutefois, ce retardement répond aussi à la nécessité de ne pas découvrir le stratagème de l’auteur trop tôt, et de ménager ainsi un effet de surprise.
Enfin il est nécessaire que « les actions accessoires prennent naissance dès l’exposition, et trouvent leur conclusion dans le dénouement ». Le dénouement de Crispin musicien, typique du genre de la comédie, résout les trois intrigues amoureuses (si l’on compte celle de Crispin et Toinon) par un triple mariage, et réconcilie Phélonte avec son frère par l’entremise de Dorame. Tous ces problèmes avaient été posés dès l’exposition : Fanchon y informait Phélonte de la visite de son frère pour « refaire sa paix » avec lui (I, 7, vers 77), et Mélante exposait son amour pour Lise, contrarié par la volonté du père de la jeune fille (I, 11, vers 235-245). Toutefois, le problème essentiel est moins celui de la présence de ces actions annexes durant l’exposition et le dénouement, que celui de leur continuité dans la pièce. C’est lors du troisième acte que Hauteroche met à profit le vide d’action pour faire intervenir ces personnages secondaires : le musicien d’abord, qui rappelle l’incident qui vient de se produire chez Dorame au deuxième acte, puis Boniface, qui intervient en préparation du dénouement, et comme mention de rappel de l’exposition : il fonctionne comme balise du fil, presque complètement délaissé par ailleurs, de la brouille entre Phélonte et son jeune frère, pour qui Dorame intercédera au dénouement. Boniface est suivi par Mélante, que Hauteroche met en place en vue du cinquième acte, et qui est d’abord présenté par l’intermédiaire de son valet, Le Breton. Ces personnages interviennent à la faveur de l’attente de Mélante, qui a été instaurée au premier acte. La série d’entrées en scène du milieu du troisième acte répond ainsi à une stratégie déceptive :
LA RONCE
Une Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir.PHELONTE
Il faut le faire entrer. C’est sans doute Mélante,Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente,Je vois un inconnu…55
Toutefois, ce troisième acte dans lequel Hauteroche fait réapparaître les fils secondaires de son intrigue est aussi celui qui semble avoir été le plus critiqué pour son manque de cohérence interne. L’unité de l’acte est compromise par la présence importance des personnages secondaires (dotés de six scènes sur treize), et de l’enchaînement arbitraire de leurs entrées. Si l’on se reporte à la préface de Hauteroche, les deux personnages sur lesquels il éprouve le besoin de se justifier
– le musicien et Le Breton – y interviennent tous les deux. Le passage accordé au Breton est particulièrement démesuré par rapport à sa brève intervention dans la pièce. Hauteroche s’exprime en termes de vraisemblance :
Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l’action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d’envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu’il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n’en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n’est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece.
Il semble cependant qu’on puisse davantage justifier ce personnage en termes de stratégie technique : l’insertion de cette scène comique permet certes de « remplir » l’acte, mais elle participe également à l’établissement d’une « chaîne de types » comiques, et crée une certaine cohérence en systématisant la présence de personnages archétypaux en scène. Les éléments hétérogènes de l’acte se fondent ainsi dans une même recherche d’effet, ce qui court-circuite les exigences du vraisemblable en déplaçant le problème. Le troisième acte devient une exhibition de l’aspect théâtral et comique de la pièce, où l’effet comique semble recouvrir une fonction coercitive. Ce procédé se retrouve à un autre niveau dans la structure de Crispin musicien. Il s’agit de l’usage des répétitions de situation, à l’exemple du déguisement de Crispin.
Un déguisement substitut de l’action §
Parmi les changements de lieux et de personnages qui se font d’acte en acte, il existe un élément constant : le déguisement de Crispin, qui concourt en soi à l’unification de la pièce. Cette structure est favorisée par la nature même du déguisement des crispineries. Nous analyserons brièvement les caractéristiques de ce procédé, avant de voir par quelles variations Hauteroche a résolu le problème de sa répétition, et de quelle façon les différentes scènes concernées se répondent.
Deux constatations s’imposent : d’une part, les déguisements de Crispin n’ont aucune incidence sur la suite de l’intrigue, d’autre part, l’un d’entre eux n’est absolument pas motivé sur le plan de l’histoire. Au deuxième acte, le déguisement a assuré une scène riche en mouvement, mais la situation dans laquelle les personnages se trouvent n’a en rien changé : les répliques de Phélonte, au premier comme au troisième acte, témoignent d’un commencement d’intérêt pour Daphnis, et le valet-confident doute de la sincérité de son maître dans un cas comme dans l’autre. Le déplacement de Phélonte chez la jeune fille était par ailleurs prévu dès le premier acte :
DORINE
[…] Et quand, pour le chasser on joüeroit du Baston,Il [Crispin] aura veu la Dame, & sçaura la Maison,Le reste vous regarde56.
Celui du valet n’a ainsi joué qu’un rôle de préparation et de retardateur dans la marche des événements. Cette situation de relative indépendance du déguisement et de l’intrigue est soulignée au quatrième acte par la disposition du personnel dramatique : les personnages se retrouvent dans une configuration propice au dénouement, mais ce dénouement serait prématuré et ne peut intervenir en ce point de l’intrigue. Nous sommes chez la jeune fille, c’est la seconde fois que Crispin est surpris par Dorame, il est cette fois accompagné de Phélonte, ce qui fait que tous les personnages principaux se trouvent réunis dans un même lieu, et dans une situation qui pourrait mettre un terme à la pièce (nous avons vu les précautions que prend Hauteroche pour atténuer cette situation gênante). Il en résulte que le déguisement est, pour la seconde fois et malgré une situation qui pourrait s’y prêter, inefficace du point de vue de la progression de l’intrigue. Le caractère accessoire de ces déguisements est une conséquence de leur nature : nous assistons à un déguisement « de fuite »57, dont le seul propos est de permettre le reflux du personnage, et qui procède à rebours de la marche de l’action.
De fait, le déguisement vaut essentiellement pour lui-même et gagne une certaine forme d’indépendance. Ceci est mis en évidence par le déguisement de Crispin de l’acte III, qui intervient de façon arbitraire : il est conditionné par le retour du musicien, lequel intervient sans être appelé par le déroulement de l’histoire. Toutefois, d’un point de vue strictement organique, ce déguisement permet d’établir un lien avec ce qui vient de se passer chez Dorame : il illustre le compte-rendu de Crispin à Phélonte (III, 1), et permet d’infuser de façon visuelle les événements du deuxième acte dans le troisième. Remarquons que d’acte en acte, Hauteroche emploie toujours deux personnages pour faire une liaison minimale entre les deux lieux, plus ou moins hermétiques, de la pièce : Crispin et Toinon (I-II), puis Crispin et le musicien (II-III), enfin Crispin et Phélonte (III-IV). Le personnage du musicien assure donc la cohérence de l’ensemble, et avec lui le déguisement d’identité de Crispin qui est remis au premier plan. Tout se passe comme si le déguisement était en lui-même élément unificateur, indépendamment de son incidence sur l’action, à laquelle il tend d’ailleurs à se substituer. Georges Forestier montre ainsi que les déguisements de ce genre
constituent à eux seuls l’action, alors même qu’ils jouent un rôle très secondaire dans l’histoire. On en oublierait d’ailleurs presque cette histoire, s’il ne s’agissait pas presque toujours de la même qui court d’une pièce à l’autre […]. Au plan de l’histoire, le déguisement du personnage importe peu, au plan de l’action, il occupe une place considérable en permettant d’entasser situation comique sur situation comique, en substituant à l’histoire une action qui n’est plus finalement qu’une situation comique généralisée58.
Le procédé constitue alors l’élément fédérateur de la pièce, écrite essentiellement pour ce spectacle comme son titre l’indique. Dès lors, le reproche des frères Parfaict que nous avions cité, à propos des situations et personnages sans rapport avec le corps de la pièce, n’a pas de raison d’être – les situations comiques forment le corps de la pièce. Leur répétition permet à la fois d’assurer la cohérence de l’ensemble et d’offrir au spectateur des variations dans leur mise en œuvre, qui participent d’une esthétique spectaculaire.
Répétitions et variations des séquences de déguisement §
II, 8 et IV,12 : une variation dynamique §
Les deux scènes se présentent dans le même contexte : Crispin, seul puis accompagné de Phélonte, est surpris par le père des jeunes filles et doit se déguiser pour battre en retraite. Il n’y a donc pas de changement dans la place syntaxique du déguisement, et la variation qui s’établit tient à l’organisation interne de la scène : ces deux passages s’opposent en termes de dynamisme. Nous reprendrons ici les distinctions établies par J. Scherer pour les différents types de scènes59. Le déguisement de Crispin au deuxième acte appartient à celles où la tension « croît sans cesse jusqu’à une explosion » : après avoir réussi à leurrer Dorame, Crispin entre avec le musicien dans une discussion théorique qui s’échauffe et dégénère en bagarre. La scène de déguisement du quatrième acte ressortit à la deuxième catégorie de Scherer, scènes qui atteignent le maximum de tension en leur milieu avec « une montée vers ce sommet, puis une redescente qui est un apaisement ». Nous entendons ici le terme de scène au sens large : le problème du déguisement est amorcé à partir du moment où Crispin et Phélonte sont enfermés dans le cabinet de Dorame, le seul enjeu étant de savoir à quel moment ils seront découverts et quand le stratagème sera effectivement employé. La scène entre Dorame, Toinon et Anastase, qui commente la scène précédente après le départ des intrus, est encore un prolongement du déguisement.
Le corollaire de cette distinction se situe dans les moyens employés pour l’écriture de la scène. L’échauffement du deuxième acte mobilise toutes les ressources disponibles pouvant mettre en valeur le déguisement de Crispin : la présence en scène – que ce soit une présence physique des personnages, une présence verbale ou l’emploi des objets disponibles – est à son comble. Dès l’amorce du déguisement, il s’agit d’une présence physique, qui donne lieu à un premier quiproquo, Dorame prenant logiquement Crispin pour un voleur, à la simple vue de ses « habits » et de sa « figure »60. Rappelons que le valet Crispin possède un costume codifié ainsi qu’une physionomie traditionnellement grimacière qui le rapprochent bien davantage du personnage de farce que du « gentilhomme » maître de musique. Le choix de cette profession pour le déguisement excluait d’emblée le recours à un costume : il n’en existe pas de musicien (lequel appartient à la catégorie des bourgeois moyens, comme le rappelle le gascon aux vers 616-620) comme il en est de médecin. Ajoutons que l’absence de préparation du déguisement l’aurait de toute façon exclu. Mais l’effet ménagé reste un effet visuel : il provient d’une incongruité, celle de la discordance entre l’habit d’un Crispin et celui d’un bourgeois. Sous son costume de valet, Crispin accuse donc par la négative le versant physique du déguisement d’identité, soulignant par contrecoup la naïveté de Dorame. La scène ménage ainsi un effet d’ironie : Dorame, en misant sur une entrée frauduleuse dans sa maison, voit plus juste que lorsqu’il se laisse convaincre par Toinon de la soi-disant vérité. La présence en scène est également assurée par la place importante que prennent les objets : la hallebarde de Dorame, les sièges dont se saisissent Crispin et le musicien dans leur querelle, et l’épée de ce dernier contribuent tous à l’échauffement de la scène. Enfin la confrontation du vrai et du faux musicien donne lieu aux morceaux de bravoure de Crispin, qui possèdent des affinités à la fois avec la fatrasie par leur incohérence, et avec l’énumération par la quantité de termes techniques que le valet y entasse61.
Le déguisement du quatrième acte, au contraire, repose sur une série d’ellipses : celle des deux intrus (enfermés de la scène 5 à la scène 11), celle du rôle-témoin que constituait le musicien gascon, et celle que reçoivent les questions de Dorame une fois Crispin et Phélonte découverts. La prouesse du « maître de musique » réside alors dans la répétition obsessionnelle d’une ritournelle, au détriment du dialogue qui s’effondre. Alors que la scène huit de l’acte deux était régie par le principe de l’argumentation fallacieuse face à Dorame et au musicien, cette scène observe une stratégie rigoureusement opposée : les deux scènes possèdent cependant un point commun, celui d’étaler une absence complète de signification, soit dans la logorrhée théorique (II, 8), soit dans la répétition de purs morphèmes musicaux (IV, 12). Le principe du chant répondant à la parole n’est pas nouveau, il a déjà été employé dans le domaine de la farce médiévale (Le savetier Calbain), et plus récemment par Poison dans le Zig-Zag, pièce insérée dans le Baron de la Crasse (1661), où Hauteroche tenait un rôle. Le procédé est radicalisé, puisque le chant est ici dépourvu de paroles et ne peut donc ni répondre indirectement, ni ironiser sur la réplique précédente. Le déguisement de Crispin n’est pas ici, contrairement à l’acte deux, directement source de dynamisme : celui-ci réside dans les événements périphériques, les allées et venues qui ont lieu devant la porte du cabinet.
II, 9 et III, 2 : un échange des rôles §
Lorsque le déguisement intervient chez Phélonte, au troisième et au cinquième acte, une de ses données essentielles change : le destinataire du déguisement en est également le complice. Phélonte se rapproche en effet d’un spectateur, à qui Crispin destine la démonstration de ses facultés d’imposteur. La situation est soulignée par un renversement des rôles entre les deux « musiciens ». Au troisième acte, Crispin endosse véritablement le rôle du musicien : ne courant plus aucun danger, il reprend à son compte les injures de celui-ci (« Je vous le livre aussi plein d’ignorance / Que Chantre du Pont Neuf62 »). La disposition des personnages permet également de mettre l’accent sur le ridicule du musicien de deux façons différentes. Au deuxième acte, le comique vient de ce que le personnage emploie l’ironie dans un contexte qui rend celle-ci parfaitement inefficace : Dorame est un ignorant en musique (« cet Art est un Art dans la commune estime / Quant à moy j’en suis peu curieux63 »), et ne peut interpréter les paroles du musicien qu’au premier degré. Il n’identifie donc pas l’imposteur, et lorsque Toinon lui demande pourquoi Angélique enverrait deux maîtres de musique, le père des jeunes filles se borne à répondre : « c’est pour en faire choix64 ». Inversement, le musicien démasque Crispin auprès de Phélonte, quand celui-ci est à la fois destinataire et complice du déguisement : le comique naît ainsi de la relation qui s’établit entre les deux scènes, par le renversement des rôles et la réaction à contretemps du personnage du musicien. Malgré le caractère ouvertement spectaculaire de ce déguisement de Crispin, la scène conserve une « dupe » : le musicien, même s’il a décelé l’imposture de Crispin, n’est pas conscient du spectacle qui se joue à ses dépens.
Le déguisement du cinquième acte accentue le caractère gratuit du procédé. Dorame découvre très rapidement l’imposture de Crispin, comme l’indique son aparté (« Le Fourbe ! mais il faut le pousser jusqu’au bout.65 »), et continue cependant à tenir son rôle de dupe jusqu’à la fin. Ici Crispin et Dorame jouent mutuellement à tromper l’autre, mais tous les personnages présents en scène savent qu’ils assistent à un numéro. Cette disposition est liée au concert final : à ce stade de la pièce le déguisement de Crispin, au même titre que la musique, participe au spectacle que l’on offre comme bouquet final au spectateur. L’artificialité du procédé est même soulignée par une réplique de Phélonte :
CRISPIN
Tout aujourd’huy je garde ma Maistrise,Monsieur.PHELONTE
Mais à present elle n’est plus de mise,Et…CRISPIN
Je suis obstiné ; tout-franc, j’en veux par là.PHELONTE
Fay donc.CRISPIN aux Violons.
Messieurs, allons. Fa sol fa, la, la, la66.
Si la répétition d’acte en acte du déguisement de Crispin assure la cohésion de la pièce, il ne s’agit que du procédé le plus visible du principe de répétition de scènes : Hauteroche emploie dans le même ordre d’idées des scènes qui se répondent dans un jeu de miroir : dans la pièce, la plupart des éléments vont par deux. Il s’agit soi d’un prolongement – deux scènes « du billet » (I, 13 et III, 1), deux scènes de protestations amoureuses entre Phélonte et Daphnis (IV, 4 et V, 5) – soit d’une opposition (deux interventions de « docteurs », qui donnent lieu symétriquement à deux duos de séduction amoureuse avec les servantes (III, 7 et IV, 10). Les discussions sur le problème amoureux de Crispin et Phélonte se répondent également, dans un cas c’est l’amour du valet qui est soumis à caution (« Maraut, / Aimer toy ? »), dans l’autre celui du maître (« Vous aimer ! vous ! »)67. Ces répétitions offrent au spectateur une palette de situations comiques, qui joue le même rôle spectaculaire que l’insertion musicale.
Les « ornemens » musicaux §
Le personnel musical §
Associée au déguisement de Crispin, la musique constitue le deuxième versant de l’esthétique spectaculaire de la pièce. En janvier 1678, le Mercure galant rapporte que Crispin musicien a été jouée « avec tous ses ornemens ». Ce terme, dans un contexte qui accorde de plus en plus d’importance au spectacle musical, recouvrait la présence au sein de la pièce d’airs et de passages instrumentaux. Toutefois, l’insertion musicale était strictement réglementée. Après 1672, et l’obtention par Lully de lettres patentes lui garantissant le monopole des représentations en musique et en vers français, les troupes de théâtre voient se restreindre les possibilités d’emploi de chanteurs ou d’instrumentistes. L’ordonnance du 30 avril 1673 n’autorise plus que le recours à deux voix et six violons. Le personnel musical de Crispin musicien correspond exactement à la limite fixée : l’entrée en scène des six violons dès le commencement de la pièce laisse même croire à une allusion ironique au privilège de Lully. On peut supposer que les rôles chantés sont tous tenus par les comédiens, mais que les deux chanteurs professionnels engagés dans la troupe interviennent lors du concert final, comme l’indique une réplique de Crispin :
Mes Chanteurs sont là-haut, qui repétent ensemble,Je vay les amener68.
Chanteurs qui s’ajoutent à Fanchon et Phélonte pour former le « grand chorus » qui précède la dernière scène. Parmi les comédiens, si on peut supposer que certains avaient des aptitudes pour le chant (les acteurs des rôles de Phélonte et de Fanchon), l’insertion musicale d’airs dans d’autres rôles participait sans doute d’un effet comique : c’est le cas pour le personnage du Breton, qui chante en été d’ivresse, ainsi que pour ceux de Crispin et de Daphnis, à qui il est confié des bribes de mélodie. Ces deux personnages chantent, mais on peut supposer qu’ils chantent mal : fait qui participe de l’effet comique pour le rôle de Crispin, qui se contente de marquer la mesure en solfiant la partie de basse (IV, 12).
Les six violons apparaissent dès l’ouverture, effectif renforcé par le personnage de La Ronce, qui, parce qu’il est interprété par l’un des comédiens de la troupe, ne compte pas au nombre des instrumentistes engagés pour l’occasion. Au moins un des musiciens devait être polyvalent, puisqu’il intervient également sous le nom de La Fluste (I, 9) : souci d’économie qui appartient à la fois au théâtre et aux particuliers qui engageaient des musiciens à titre privé. Nécessaires pour camoufler le bruit des changements de décor – en particulier lorsqu’il s’agit de fermes peintes coulissantes comme en utilise Hauteroche dans sa pièce – les violons étaient systématiquement employés pour délimiter les actes, et leur rôle fonctionnel les maintenait donc à la lisière de l’action dramatique. Ce statut utilitaire était à l’origine parfaitement distinct de leur rôle ornemental dans une pièce. Sur cette forme de présence musicale, la plus courante, Hauteroche est explicite : le paratexte précise qu’à l’issue de chaque acte, les « six laquais de Phélonte » qui avaient pris en charge l’ouverture reviennent en scène et jouent des pièces musicales « pour discerner l’acte ». Il semble qu’il ait existé plusieurs façons de procéder lors de l’intervention des violons en fin d’acte, ce qui suppose de préciser de quelle façon les choses doivent se dérouler. On peut penser que si Hauteroche prend la peine de préciser ce détail, c’est parce qu’il tient compte des reprises éventuelles de sa pièce. Publiant son Théatre françois l’année où Crispin musicien a été représentée, Chappuzeau note que les violons :
sont ordinairement au nombre de six, et on choisit les plus capables. Ci-devant on les plaçait ou derrière le théâtre, ou sur les ailes, ou dans un retranchement entre le théâtre et le parterre, comme en une forme de parquet. Depuis peu on les met dans les loges du fond d’où ils font plus de bruit que de tout autre lieu où on les pourrait placer. Il est bon qu’ils sachent par cœur les deux derniers vers de l’acte, pour reprendre promptement la symphonie, sans attendre que l’on leur crie : « Jouez ! » — ce qui arrive souvent69.
Hauteroche insiste donc sur l’entrée en scène des violons, et leur présence visuelle pour le spectateur : ils rappellent ponctuellement le thème de la pièce, en même temps qu’ils soulignent le caractère spectaculaire de la musique. Chappuzeau affirme ici que le nombre maximal autorisé de violons était très souvent employé dans les entractes, sans doute pour tenter de mieux couvrir le bruit du changement de décor : Hauteroche ne devait donc pas être le seul à se servir de l’effectif complet des violons en cette occasion. Mais la spécificité de leur emploi réside dans le lien de cet aspect fonctionnel des violons au thème de la pièce et à ses intermèdes. Le concert de fin d’acte s’allie ainsi avec leur rôle utilitaire : les violons jouent un air avant le changement de décor, à l’issue duquel ils restent en place et remplissent le rôle qui leur est dévolu pendant qu’on pousse les fermes. Lorsqu’on passe du logis de Dorame à celui de Phélonte, c’est le contraire qui se produit : les violons, d’abord masqués par la première ferme, jouent dissimulés, jusqu’à ce que le changement de décor ait fait apparaître l’antichambre de Phélonte ; alors seulement la musique est donnée comme un spectacle. La pièce a en outre hérité de l’esthétique de la comédie-ballet le souci d’incorporer la musique des intermèdes à l’histoire (ces violons sont présentés comme les « laquais de Phélonte »). Les différentes facettes de la présence des instruments sont ainsi parfaitement homogénéisées. Il faut alors voir comme Hauteroche procède pour l’insertion de morceaux de musique à l’intérieur de la pièce : Phélonte préludant au clavecin, ou répétant une chaconne avec ses laquais.
Place de l’insertion musicale §
Depuis les années 1630, l’insertion musicale dans la comédie, devenant une composante parmi d’autres de l’histoire, doit être légitimée par la nature ou la fonction d’un personnage, ou par une situation donnée. En effet, dans la tragi-comédie puis la comédie baroque, « les formes musicales et surtout les situations musicales présentes dans les pièces s’apparentent à des formes et à des situations réelles70 ». Dans Crispin musicien, le simple fait que Phélonte soit un mélomane justifie d’emblée la présence de musique à l’intérieur de la trame. La pièce, qui fait preuve d’originalité en érigeant la pratique musicale en tant que thème, conserve toutefois pour ses insertions musicales l’habitude des emplacements privilégiés que sont l’ouverture et le concert final. Ces endroits de la pièce se décloisonnent cependant, que ce soit dans le cas de l’ouverture qui se mêle au début de l’exposition, ou du concert final, qui se superpose au dénouement.
Seule la première scène du premier acte est explicitement nommée « ouverture », mais il est possible de considérer que l’ouverture ne s’achève pas avec la fin de cette scène. Le début de la pièce constitue en effet un découpage relativement autonome, encadré d’une part par l’ouverture des violons (I, 1) et de l’autre par la chaconne (I, 9), à l’issue de laquelle « on range le clavessin ». Il s’agit du début de l’exposition, passablement décousu, où apparaissent essentiellement les personnages secondaires des valets, servante et laquais, et qui tient principalement, dans un jeu de question-réponse, à exposer les habitudes du maître des lieux (absent jusqu’à la scène 4). Notons que les personnages évoqués sont tous ceux qui sont destinés à rester hors scène : les « gaupes friandes » d’un déjeuner qui restera virtuel71, la tante « malsaine » de Phélonte dont le seul rôle formel est de légitimer la présence de Fanchon et de fournir un prétexte à ses sorties de scène72, et le frère de Phélonte, qui n’interviendra en scène que par l’entremise du personnage de Boniface73. Dans un jeu d’allées et venues, c’est tout ce qui appartient au contexte au sens le plus large, qui fait l’objet ici d’une exposition. L’apparition de Phélonte (I, 7) ne modifie pas la donne : il abrège les explications de Fanchon pour demander à entendre les pièces musicales que ses domestiques lui ont préparées. Présenté d’emblée comme un passionné de musique, son premier acte en scène est d’accompagner au clavecin la servante Fanchon dans un air (I, 7), à l’issue duquel un valet arrive fort à propos pour renvoyer cette dernière au chevet de la vieille tante de Phélonte (I, 8), et permettre à un intermède musical d’un autre type de commencer (I, 9).
Les trois interventions musicales de l’acte sont ainsi resserrées entre la première scène et le moment où le clavecin est mis de côté : on peut alors considérer que l’ouverture de la pièce, au sens large, s’étend jusqu’à ce point. Les éléments d’information apportés au spectateur ne sont pas d’un enjeu tel qu’ils prennent le pas sur les passages musicaux. Hauteroche a distingué les éléments secondaires d’exposition des éléments principaux : l’exposition de la triple intrigue amoureuse, celle de Crispin, Phélonte et Mélante, l’attitude du père des jeunes filles, tout ce qui ressortit au développement dramaturgique à proprement parler, est encore à venir. Il ne s’agit ni d’une ouverture au sens strict du terme, ni d’une entrée de plain-pied dans l’intrigue : les premières scènes de la pièce s’apparentent à un début d’exposition tissé de musique. Il en va de même au dénouement. Le principe du concert final n’intervient pas après le dénouement à proprement parler, comme ornement final, mais se superpose à lui : le premier air intervient alors que l’imposture de Crispin n’est pas découverte, que Phélonte ne s’est pas déclaré, et que Mélante et Lise ne sont pas encore en scène (V, 7). Il s’agit à la fois d’un nouveau numéro de Crispin, qui cette fois dirige sa maîtrise devant sa dupe, et du premier air de l’ensemble plus large du concert final (qui a lieu au sens strict à la dernière scène, mais peut être étendu jusque-là).
Sur le plan de l’histoire, les airs chantés n’ont pas d’autre fonction que celle d’agréments et d’illustration du propos : ils n’ont aucune incidence sur l’action. Tout au plus le premier air chanté par Fanchon (inséré au milieu du vers 91) peut-il recouvrir une tonalité légèrement ironique : dans le contexte de la comédie, Phélonte est le premier personnage ayant l’âge et le rang convenable à jouer un amant à apparaître en scène. Le spectateur connaît les conventions du genre (en premier lieu la fin nuptiale), et peut donc facilement prévoir la façon dont évoluera cette apologie du vin au détriment de l’amour. Il est possible aussi d’entendre un double sens sur les premières paroles de « L’amour cause trop de peine / Je ne veux plus m’engager74 », que Phélonte chante au moment où il se trouve en difficulté chez le père de celle qu’il aime. Le dernier couplet du concert final ajoute à l’agrément musical celui d’une chute burlesque : on passe d’un chœur galant75 à une allusion traditionnelle au physique ingrat de Crispin76. Lorsque les paroles de l’air ne sont pas modifiées par le contexte, c’est de leur attribution à un personnage ridicule que vient l’effet comique, comme pour celui que chante le musicien gascon77. Son registre, qui emprunte déjà davantage au vocabulaire de la tragédie qu’à celui de la comédie, est surdéterminé par l’emphase du personnage, celui-ci apparaissant donc ridicule.
La plupart des airs de la pièce sont perdus : la coutume au XVIIe siècle n’était pas de faire graver la musique de scène – simple agrément qui ne justifiait pas une pratique aussi coûteuse – à l’exception notable de la musique royale copiée par Philidor. Pour ce qui était des comédies, on pouvait utiliser des mélodies originales, mais l’habitude consistait le plus souvent à insérer dans les pièces des airs connus de tous : des timbres de vaudeville78, sur lesquels on ajoutait de nouvelles paroles. Ces airs, qui circulaient dans Paris et en particulier sur le Pont-Neuf79, n’étaient pas tous de même nature : il pouvait aussi bien s’agir de chansons populaires que de certains airs simples d’opéras à succès, qui venaient grossir le répertoire. Certains vaudevilles ayant survécu suffisamment pour cela ont pu être publiés dans des recueils, et réapparaissent ainsi parfois jusqu’au XVIIIe siècle. C’est le cas de l’un des airs de Crispin musicien, « L’Amour cause trop de peine…80 », qui refait surface de façon anonyme dans un Recüeil complet de vaudevilles publié à Paris en 175381. La publication tardive ne permet pas de savoir si l’air préexistait à la comédie de Hauteroche, ou s’il a été écrit pour la pièce (ce qui restait le plus sûr moyen d’adapter l’air au sujet) et conservé en vertu de son succès et de son maintien au répertoire. Si les autres insertions musicales de la comédie n’ont pas été conservées, cet air peut donner un indice de la nature des autres passages chantés (voir annexe p. 63) : l’écriture est particulièrement simple, et obéit à un principe syllabique. Présenté par Phélonte comme un « menüet rondeau » (v. 1760), l’air entretient une parenté rythmique avec le menuet (une écriture à trois temps avec un schéma rythmique de base qui s’étend sur deux mesures, correspondant à un pas complet de cette danse). Il possède de plus un caractère de danse grâce à une alternance rythmique de mesure à mesure. D’un point de vue expressif, la mélodie assure une illustration minimale du texte pour la partie centrale (« Un Amant souffre la gêne… ») : passage du mode majeur au mode mineur, le mot gêne étant plus particulièrement mis en relief puisqu’il intervient sur la note sensible. Les deux phrases mélodiques de l’air entretiennent par ailleurs une parenté qui rend l’air facilement mémorisable. On présente donc au spectateur un passage relativement bref, qu’il peut s’approprier facilement, ce qui redouble l’agrément de l’insertion musicale.
Les références musicales §
En 1674, la pression exercée par Lully sur les comédiens est telle que, comme le suggère Bénédicte Louvat-Molozay,
il semble […] qu’en cette période charnière, où le champ théâtral est bouleversé par la naissance et le succès immédiat de l’opéra autant que par l’ordonnance qui limite le nombre des musiciens pour les représentations à la Ville, la comédie à insertions musicales soit contrainte de passer par une thématisation de la musique et par une représentation des pratiques musicales pour continuer à exister 82.
La pièce de Hauteroche s’ordonne entièrement autour du thème de la pratique musicale. Depuis Lancaster, les critiques la structurent par le « rapport de toutes ses parties à la musique » : chaque personnage a ainsi plus ou moins rapport avec le thème. Disons plutôt les personnages principaux : Mélante n’est jamais présenté comme musicien, les deux personnages de « philosophe » que sont Anastase et Boniface n’ont rien à voir ni avec le thème musical de la pièce, ni avec le déguisement de Crispin, et même Toinon n’est rattachée à l’univers musical que par une réplique de Le Breton (« J’aime à t’ouïr chanter, car tu chantes à peindre83 »). Restent les autres rôles, qui contiennent des références à plusieurs aspects de la vie musicale parisienne, convoquées à des titres différents :
La première référence à une pratique musicale intervient pour des besoins comiques dans les duels théoriques qui opposent Crispin au musicien gascon : il s’agit de la musique présente dans les foires, auprès des opérateurs. Le musicien fait allusion à Tabarin84, l’un des plus célèbres opérateurs du XVIIe siècle, qui possédait une estrade place Dauphine. On y jouait une parade qui permettait d’assembler la foule, et une fois que celle-ci était suffisamment nombreuse, l’opérateur pouvait vanter les vertus de sa drogue miraculeuse, et la vendre. Une gravure célèbre montre ainsi, à l’arrière-plan sur l’estrade, un petit groupe de musiciens qui agrémentaient le spectacle. L’Orviétan85, dont le véritable nom était Hieronymo Ferranti, et vendait une drogue du même nom avec l’appui d’un bouffon qui attirait la foule, Galinette La Galina. Il installait ses tréteaux dans la cour du Palais, puis sur le Pont-Neuf, auquel Crispin fait également allusion86. Autre mention de la musique populaire, celle de la vièle87, par laquelle le musicien gascon démasque d’emblée l’imposture de Crispin (II,8). En attribuant au valet cet instrument, traditionnellement connoté comme celui des musiciens itinérants et en particulier des musiciens aveugles, le musicien relègue Crispin au rang le plus bas des instrumentistes. La réplique du musicien ne s’entend pour le spectateur que sur un mode ironique :
LE MUSICIEN riotant.
Je gage que Monsieur touche quelque Instrument.DORAME
Cela peut estre vray.LE MUSICIEN
Mais délicatement.Aparemment, Monsieur, vous joüez de la Vielle.CRISPIN
bas. Que dire ! haut. Et nous joüons…Il fait de la main comme s’il joüoit de la Vielle.
Ce passage témoigne d’un comique qui tient à la relation entre parole et geste : le musicien attaque Crispin en lui suggérant le nom d’un instrument qu’il méprise, Crispin est incapable d’identifier l’instrument en question, mais sa nature de valet le conduit précisément au choix de la vièle. Le valet montre alors doublement son imposture. L’allusion contribue toutefois également à définir le personnage du musicien : malgré sa mauvaise réputation, la vièle connaissait sous Louis XIV un retour en grâce, qui allait en faire un instrument de Cour. En continuant à la mépriser, le musicien présente des goûts archaïques, qui le renvoient à l’époque où Mersenne dénonçait la nature ignoble de l’instrument, c’est-à-dire dans les années 163088. Ces allusions à la musique populaire, qui interviennent essentiellement dans un but comique, sont ainsi un des supports de l’ironie. Ceci se manifeste de façon encore plus visible lorsque Crispin, se sachant hors de danger, emploie à son tour ces références pour ridiculiser le véritable professionnel à peu de frais (III, 2).
La seconde allusion musicale renvoie à la pratique effective de la musique parmi la classe sociale qui avait les moyens de s’instruire dans ce domaine. Cette pratique privée est présentée dans une double opposition : celle de Phélonte et de Dorame d’une part, et celle de Phélonte et du musicien gascon d’autre part. L’une est une opposition sociale, qui pourrait se traduire en termes de conflit de génération, entre un jeune amateur éclairé et un vieillard bourgeois dépassé par le goût de son l’époque pour la musique. L’autre serait une opposition en matière de bon ou de mauvais goût : le choix des airs est éloquent sur ce sujet. Celui que le musicien chante au troisième acte participe de l’emphase traditionnellement associée au personnage du pédant89, tandis que les airs que commande Phélonte à Fanchon tiennent du registre plus léger de la chanson à boire : cette dernière avait depuis les années 1630 pris le pas sur les airs de Cour, et plus généralement, c’est elle qui était à la mode dans la deuxième moitié du siècle. Les deux types d’airs, airs sérieux et chansons à boire, étaient par ailleurs publiés par Ballard dans les mêmes recueils : la chanson à boire avait acquis ses lettres de noblesse90. Sont donc ridiculisés dans la pièce le vieillard, incapable de s’adapter au goût de son époque pour la musique, et le professionnel trop docte pour assouplir son « art » à la tonalité en vogue.
Il est enfin fait mention du terme d’ « opéra », à deux reprises91. Cependant ce n’est pas l’opéra institutionnel, dont Lully détient le privilège depuis 1672, que Hauteroche aborde dans ces passages, mais plutôt l’habitude qui s’était installée de donner des concerts privés aux proportions grandissantes – le Mercure galant décrivait en effet certains concerts domestiques, tels ceux que le musicien Louis de Mollier donnait chez lui chaque jeudi, à la manière de petits opéras92. Le musicien invite ainsi Phélonte à une représentation privée d’un opéra, qui aura lieu « chez Madame Angélique », et lorsque Dorame fait mention du terme, il désigne le concert que Crispin s’apprête à faire chanter chez Phélonte. En fait d’opéra, les insertions musicales de la comédie de Hauteroche consistent en de simples chansons. Il est possible que le musicien gascon, suivant une habitude chère à ce type de caractère, exagère la nature de son œuvre pour la rattacher à la mode qui avait cours alors : ce qui explique que l’air de son « opéra » ne soit en réalité qu’une petite chanson. Une autre explication existe cependant, indépendante du personnage : le terme d’opéra est encore polysémique. Lorsque Perrin reçoit son privilège pour donner des « représentations en musique et en vers français», il fonde ce qui s’intitule l’ « Académie des Opéras ». Or la conception de la musique dramatique de Perrin exclut à proprement parler tout ce qui est de nature dramatique : intrigue, action sont absentes, et ses « opéra » semblent bien se réduire à un collage de chansons :
J’ai composé ma Pastorale toute de pathétique et d’expressions d’amour, de joye, de tristesse, de jalousie, de désespoir ; et j’en ay banny tous les raisonnemens graves et même toute l’intrigue ; ce qui fait que toutes les scènes sont si propres à chanter, qu’il n’en est point dont on ne puisse faire une chanson ou un dialogue93
L’accent gascon du musicien contribue également à rapprocher la mention du terme d’opéra de la personne de Perrin. Lorsqu’il reprend des passages de Crispin musicien dans les Contemporains de Molière, Victor Fournel rappelle que ce dernier avait recruté une bonne partie de ses chanteurs et instrumentistes dans les cathédrales du sud de la France, l’essentiel des musiciens de la capitale étant déjà engagés dans la musique du roi. Il les avait regroupés et entraînés à l’Hôtel de Nevers grâce à la protection de Philippe de Mancini, qui avait pris possession de cette partie du palais de Mazarin à la mort du cardinal. Le 1er janvier 1670 l’un des collaborateurs de Perrin, Pierre Monier94, reçoit ainsi l’ordre de faire un séjour en Languedoc pour y recruter un personnel musical, qu’il ramènera finalement de Béziers, Toulouse et Albi. La Gascogne constituait donc le principal réservoir de ces nouveaux musiciens, qui étaient à l’origine essentiellement des chanteurs d’église. À son retour le 30 mars 1670, Monier est accompagné de cinq chanteurs : Clédière, Beaumavielle, Bourel-Miracle, Tauclet et Rossignol95. Castil-Blaze, qui développe ce point dans son Histoire des théâtres lyriques, rappelle que ces chanteurs recrutés par Perrin seront encore employés par Lully pour ses tragédies lyriques, et que les « Gaye, Dun, Hardouin, Beaupui, Laforêt, basses, viennent se placer à côté de Rossignol et de Beaumavielle »96. Les chanteurs gascons servent alors de « matière première » à Lully, le temps que se forme un nombre suffisant de nouveaux musiciens dans la capitale : ses opéras ont donc dû faire cohabiter chanteurs d’origine gasconne et parisienne – ce qui explique peut-être l’allusion de Crispin aux différents accents :
Vostre accent est Gascon, le mien Parisien :Apprenez mon accent, & j’apprendray le vostre,Puis on pourra juger & de l’un et de l’autre97.
S’il fallait voir une satire de l’opéra dans Crispin musicien, ce serait plus certainement celle de l’opéra de Perrin que celle de l’opéra lulliste. La pièce privilégie cependant le comique à l’effet satirique, et son esthétique est tout à fait différente de celle des Opéras de Saint-Evremond, qui citent deux ans plus tard certains passages de Cadmus et Hermione. Ce n’est donc pas à proprement parler la vogue naissante de la tragédie lyrique qui est visée ici, mais plutôt les imitations manquées de l’opéra italien sous forme d’un assemblage de chansons, qui n’ont de dramatique que la référence à leur modèle. Est aussi tournée en dérision « la rage de musique »98, qui consistait à reproduire systématiquement à échelle privée, fut-ce au prix de la qualité, des spectacles d’opéra. Cette mode est représentée par le personnage du musicien gascon qui porte en scène la vanité du « professionnel » de la musique, démarchant le chaland pour ses dernières compositions, et mettant son talent au service de la vitrine sociale de tel riche bourgeois. Le fait que la pièce insiste davantage sur la place sociale de la musique que sur une forme musicale comme l’opéra lulliste explique qu’elle ait trouvé une seconde fois les faveurs du public en 1735, dans un contexte différent de celui de sa création.
Si la satire qui s’exerce contre la vogue musicale reste légère, c’est que la comédie de Hauteroche appartient encore à celles qui utilisent la musique à des fins d’agrément. Le déplacement de la musique de la fonction d’ornement à celle de thème commence tout juste : on raille « la rage de musique », mais c’est ce même engouement qui justifie encore les insertions musicales. Dans la pièce, la rupture de l’unité de lieu permet de distinguer assez nettement les espaces où la musique est source de rire (chez Dorame), de ceux où elle procure de l’agrément (chez Phélonte, l’amateur). Peut-être l’opéra de Lully est-il encore trop récent pour pouvoir générer une véritable satire, comme le suggère Bénédicte Louvat-Molozay99. Et rappelons que si la musique forme thème, elle n’intervient qu’en second lieu dans une comédie centrée autour de la figure de Crispin : quand le ridicule s’exerce sur le personnage du musicien, c’est avant tout sur la figure comique et typique du docte qu’il s’abat.
L’écriture comique dans Crispin musicien §
C’est pour ses aptitudes à l’écriture comique que Hauteroche a été loué, tant au XVIIIe siècle par les frères Parfaict, que plus récemment, par Gustave Attinger dans son étude sur la commedia dell’arte. Dans tous les cas, Hauteroche fait l’objet de critiques pour la construction de ses pièces, et se voit en quelque sorte « rattrappé » par le caractère plaisant des insertions de scènes à effet. Attinger y trouve la véritable unité de l’œuvre de Hauteroche : « son œuvre retrouve une certaine unité que n’ont pas fait ressortir ses biographes : c’est l’unité du comique. À défaut de génie, il est comédien, il sent en comédien et n’oublie pas de faire rire100. » Il voit en notre auteur « un imitateur de Molière (le meilleur avant Regnard), mais du Molière farceur, du Molière italien ». Quant aux Anecdotes dramatiques de Clément et Laporte, elles situent le comique de l’auteur dans un registre « mitoyen, qui dégénère parfois en pure farce101 ». Cette définition ne peut pas s’appliquer uniformément aux pièces de Hauteroche, elle répond surtout à la pièce qui a été favorisée par les critiques, et dont la carrière a le mieux perduré, c’est-à-dire Crispin médecin. De la farce que constitue Crispin médecin, Hauteroche reprend la schématisation de certains personnages et des ressources comiques. Le premier acte, nous l’avons vu, fait référence à la traditionnelle bastonnade, même si celle-ci n’est pas mise à exécution. Le deuxième acte s’achève sur une bagarre presque généralisée, où même Dorame est contraint de saisir sa hallebarde pour s’interposer entre Crispin et le musicien. Cette fin d’acte riche en mouvement rappelle une fin conventionnelle des farces, qui s’achèvent sur une indication du type « et tous se battent ». Il ne s’agit là encore que d’une menace, et que la véritable bagarre aura lieu durant l’entracte, bienséances obligent. C’est par l’utilisation systématique de « types » que le troisième acte tend à se rapprocher de la schématisation farcesque, et de Crispin médecin (qui délaisse largement le personnel amoureux au profit des personnages typiques et du valet éponyme). Enfin le quatrième acte a recours au principe de la réclusion du jeune amant. Le fonctionnement même de l’intrigue, qui semble à elle seule ne pouvoir apporter qu’une répétition de son moteur principal (intrusion / déguisement / fuite), et qui nécessite l’invention du fil Boniface-Anastase pour se conclure, témoigne d’une prédominance du spectacle sur l’intrigue qui est une des caractéristiques de la farce. Mais la nouvelle pièce ne peut se maintenir entièrement dans ce registre, et nécessite quelques adaptations : les cinq actes ne permettent pas de traiter avec autant de liberté les personnages d’amant, ni de faire aussi facilement l’économie de l’intrigue amoureuse. Crispin musicien fait ainsi cohabiter les sources farcesques qu’elle reprend de Crispin médecin avec des passages issus de la comédie sentimentale, et les personnages-type avec ceux d’amant.
Une galerie de « types » §
Dans la pièce de Hauteroche, les personnages qui sont mis au premier plan sont moins ceux du quatuor amoureux que ceux que constituent les domestiques autres personnages secondaires habituels de la comédie. Nous dirons d’abord quelques mots des premiers :
Les jeunes filles sont très discrètes dans la pièce. Lise n’intervient que dans trois scènes, où elle prononce à peine quelques mots. Daphnis est davantage présente puisqu’elle bénéficie de deux duos avec Phélonte, mais c’est Toinon qui explicite ses doutes sur l’amour de ce dernier102, et lorsque Hauteroche ne la fait pas sortir de scène pour écrire un billet, ou par peur du retour de Dorame, elle assiste en simple témoin aux événements. Mélante, en tant que personnage fonctionnel, n’apparaît que ponctuellement, et ne possède d’autre caractéristique psychologique que celle de parfait amant déniée à Phélonte. Ce dernier présente un profil un peu mieux dessiné, mais son caractère d’inconstant tient essentiellement à une nécessité dramaturgique : ralentir autant que possible la marche de l’action. Quant à Dorame, sa sensibilité aux questions d’honneur103 participe à la légitimation de son revirement dans la dernière scène (« Mon honneur souffriroit à n’y consentir point »104) : la coloration psychologique qui lui est donnée vise à camoufler l’arbitraire du dénouement. Hormis cela, le père des jeunes filles partage le trait répandu parmi les vieillards de comédie d’être un personnage aveuglé, « un vieux resveur » comme le définit Toinon105 : il détourne les yeux de l’amour de ses filles, ce qui permet de confier à la servante quelques traits d’ironie (« Daphnis est plus sincére, & ne déguise rien »106, vers qui se trouve démenti dès l’entrée de la jeune fille à la scène suivante). Phélonte et Dorame ne témoignent que des balbutiements de ce qui aurait pu être la base, dans un autre contexte, de la peinture d’un véritable caractère.
Hauteroche ne laisse pas d’aborder de façon secondaire certains sujets d’actualité, comme celui de la « rage de musique » ou du couvent. Mais nous avons vu que la question de la musique n’allait pas jusqu’à la satire : l’originalité de la pièce réside davantage dans la prise en compte du nouveau rival de la comédie, que dans le traitement qu’elle lui donne. La critique du couvent, déjà abordée dans Les Apparences trompeuses, est ici plus étroitement reliée au personnage de Dorame, et participe de la description d’un vieillard avare. Elle semble moins délibérément satirique que dans la première pièce, dans laquelle la servante aborde le thème de l’ « abbé galant », qui se surimpose à la question de la réclusion des jeunes filles. La satire s’en prenait alors véritablement à l’institution religieuse :
On ne fait pas ainsi de monsieur les garçons,On en fait des abbés sans beaucoup de façons,Qui sous ce titre-là demeurant dans le monde,En content, s’il leur plaît, à la brune & à la blonde ;Ils fons les damarets, sont de tous les plaisirs,Et pensent rarement à régler leurs désirs107.
Le thème repris des Apparences trompeuses apparaît affadi dans Crispin musicien. La pièce compte peu de réelle satire : là n’est pas le propos de Hauteroche, qui considère ce registre comme un « hors-d’œuvre »108, allant à l’encontre de son projet dramaturgique. La question de la morale laisse, comme celle de la vraisemblance, place à l’exigence du genre comique : les questions d’actualités sont abordées pour faire rire, indépendamment d’une quelconque censure. Crispin musicien met en place une esthétique de l’agrément où le spectacle comique et musical tend à prendre le pas sur les autres considérations. La règle du « plaire », « qui est le but de ce grand art » selon l’argument développé par Hauteroche dans sa préface, conduit à l’utilisation privilégiée de personnages dont la fonction même est de faire rire.
Les deux catégories principales de la pièce que sont les domestiques et les pédants permettent de mettre sur scène des « types » comiques. Hauteroche reprend le système traditionnel des couples de personnages, dont l’un est le négatif de l’autre. Cette façon de procéder accuse l’aspect typique des personnages, en même temps qu’il donne un échantillon des différents moyens dont le genre comique dispose.
Les personnages de pédants, issus du dottore de la commedia, viennent de la comédie latine et de la comédie érudite du XVIe siècle. Reprenons la définition que Michel Corvin en donne :
Intarissable bavard, sot, prétentieux et libidineux, il est tellement typé qu’il a peu évolué et que, assez paradoxalement au premier abord, sa fonction dramaturgique est plutôt limitée : l’excès de caractérisation – qui mérite alors le nom de caricature – nuit à l’invention de fables diversifiées […]109
La fragmentation des traits conventionnels du pédant entre trois personnages (Boniface, Anastase et le musicien) permet d’en ménager des retours sans tomber dans le problème de répétition que son utilisation entraîne. Hauteroche présente ici un couple (Boniface et Anastase), tant par leur rôle de « précepteurs » que par leur lien au même fil de l’intrigue, et un autre personnage qui ressortit lui aussi à cette catégorie (le musicien).
La première caractéristique du pédant est prise en charge par Anastase : il incarne l’« intarissable bavard » et le « sot » incapable d’à-propos. Ce versant du personnage permet à Hauteroche de recourir à plusieurs formes de comique. Il s’agit en premier lieu d’un comique verbal, qui tient au langage maniéré d’Anastase. Ce personnage est un spécialiste des comparaisons, des métaphores (v. 1278, 1324, 1430), des énoncés gnomiques (vers 1378-1379), et possède un goût prononcé pour les longs adverbes (antipatiquement, vers 1202 ; impérativement, vers 1225). Ses sentences se doublent des traditionnelles références du pédant : sa description de la jeunesse (« Car la jeunesse, elle est comme cire molle…110 ») fait appel à une comparaison rebattue, calquée par exemple sur la description qu’Horace donne de l’adolescent dans l’Epître aux Pisons. À la différence près que chez Horace, la comparaison ne s’applique pas à l’apprentissage intellectuel ou à celui de la vertu, mais à la facilité avec laquelle l’adolescent suit une mauvaise pente (« comme une cire molle, il se laisse façonner au vice »). Mais le personnage, en bon docteur de comédie, emploie ses références sans aucun égard à leur contexte : son allusion à l’histoire de Diane et d’Actéon111 (par laquelle il s’assimile à ce dernier) ne tient ainsi aucun compte de la fin tragique du personnage. L’image de la cire avait par ailleurs déjà été employée de façon ironique par Molière dans L’École des femmes, Arnolphe se félicitant de l’innocence d’Agnès juste avant de découvrir que celle-ci l’a trompé sous ses yeux112. La scène témoigne également d’un comique de répétition – Dorame essayant de faire taire Anastase qui lui coupe invariablement la parole –, et d’un effet d’ironie dans les répliques de Toinon, qui joue à renvoyer à Dorame l’image du précepteur dans un effet miroir : les arguments d’autorité derrière lesquels le pédant se réfugie sont sapés par le fait que Toinon à son tour présente Anastase comme une référence (« La mort suit de pres la colere, / Car monsieur Anastase en donne la raison113 »). Cette attitude de la servante appuie le trait principal du personnage, tout comme l’une de ses répliques insistait au préalable sur le caractère conventionnel du personnage (« Bon : / Pensez-vous qu’un Pédant d’un seul mot se contente ?114 »)
Boniface, au contraire, représente le docte qui n’a du savant que son allusion à Plutarque et son titre de philosophe. Comme Anastase, il a recours en matière de préambule à des énoncés généraux (« La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros115 »). Hormis ces caractéristiques, Boniface joue un rôle d’intermédiaire entre le valet et le véritable pédant : l’étalage ridicule des références savantes est délaissé ici au profit du duo de séduction auquel il se livre avec la servante Fanchon. Il prend en charge le versant « libidineux » du personnage de pédant, par lequel il rejoint Le Breton (III, 11) et Crispin lorsqu’il est seul en scène avec Toinon (I, 14). Boniface conserve le goût du pédant pour les comparaisons, mais celles-ci sont d’un registre bas qui pourrait être celui d’un paysan ou d’un valet. La métaphore paysanne de la nourriture profitant à l’homme comme le gland au cochon, et de la qualité se mesurant à l’embonpoint, en est l’illustration116.
Enfin, le musicien complète le tableau du personnage de savant par sa vantardise. L’accent gascon que Hauteroche lui attribue, s’il prend sens d’un point de vue contextuel comme une allusion aux origines de l’opéra français, n’en reste pas moins un trait comique qui fait du musicien un personnage ridicule de provincial. Le gascon est un personnage vaniteux, et c’est sur ce point que Crispin le ridiculise par des traits d’ironie117. La référence à la « plaine d’Ouille » est une double accusation de pleutrerie et de vanité. Il ne s’agissait pas d’un champ de bataille, mais d’un camp où les troupes étaient parquées l’été ; et les officiers s’y distinguaient non pour leur bravoure, mais pour les dépenses extraordinaires qu’ils y faisaient afin de paraître aux yeux du roi lors des revues, comme l’indiquent les lettres de Madame de Sévigné118. En affirmant du musicien que son père « étoit Vedette quand dans la plaine d’Oüille on vint camper119 », Crispin le place au premier rang des fanfarons, d’où l’emploi d’un lexique de la fausse bravoure (« ferrailler », « se faire tenir à quatre »). Si Boniface tient à la fois du savant et du paysan, le musicien partage les qualités du docteur avec celles du matamore. Hormis ces caractéristiques, le musicien partage avec Anastase un langage hyperbolique, qui lui sert à se décrire (« excellent », « un merveilleux talent », « sur tout, j’y suis sçavant autant qu’on le peut estre » ) et un discours à tiroirs qui peine à se conclure :
[…] Ainsy je ne viens point icy par intérest :Mais, si comme l’on dit, la Musique vous plaist,Car de beaucoup de gens j’apprens avecque joye,Qu’à chanter la plupart de vostre temps s’employe,Ce bruit a fait en moy naistre un ardent désirDe vous voir, & je viens…PHELONTE
Vous me faites plaisir120.
Les domestiques, servantes et valets, sont de même présentées selon un principe de contraste. Toinon représente le pendant féminin du valet d’intrigue, et c’est à elle que reviennent la plupart des initiatives de la pièce : elle suggère le moyen de s’introduire chez Dorame (I, 15), elle fait Crispin maître de musique (II, 6) et s’allie à Daphnis pour enfermer Crispin et Phélonte à l’acte IV. Toinon joue le même rôle d’instigatrice que la servante du Crispin précédent, Dorine. Elle se rapproche également de la Dorine de Tartuffe dans les scènes où elle parle pour les filles de Dorame. Son rôle ne se prête pas aux jeux amoureux, hormis pour y glisser une pointe d’ironie : lorsque Crispin lui demande un gage d’amour, elle se réfugie derrière sa nature de servante (« Ne sais-tu pas / Qu’une servante suit sa Maistresse à grands pas ? / Ainsi le tout dépend de bien servir sa flame121 »). À l’opposé Fanchon, lorsqu’elle ne chante pas, est principalement caractérisée par son badinage, trait qu’elle partage avec Boniface dans le duo dont on a déjà parlé, et qui se manifeste à demi-mot dans le dialogue avec La Ronce du troisième acte. Interrompue au milieu de son entrevue avec le précepteur, elle s’assure de l’excuse que lui fournira La Ronce auprès de son maître à chanter : l’enchaînement des scènes laisse penser qu’il s’agit de ne pas se trahir auprès d’un autre de ses « galants » (III, 8 et 9). Même principe d’opposition se retrouve du côté des valets. Si Crispin, même maladroit, est un « fourbe » appartenant directement aux intrigues à l’italienne, Le Breton, par son ivrognerie et sa couardise (il fuit lorsque son maître lui demande des comptes et rejette la faute sur La Ronce), emprunte au type bouffon du gracioso. Les deux valets s’opposent également par le langage : la syntaxe minimaliste du Breton contraste avec la « récitation » hésitante, mais prolixe, de Crispin (I, 9) et sa plainte amoureuse burlesque (I, 2).
Cette utilisation de différentes facettes d’un rôle dans des miniatures destinées au plaisir du spectateur exhibe le genre comique et plus généralement la théâtralité de la pièce. Elle s’accompagne logiquement d’une écriture du second degré et de la parodie.
Parodies et détournements de l’intrigue amoureuse §
Le fait de mettre les valets et servantes au premier plan contribue à l’emploi privilégié d’un registre comique burlesque, qui tient à l’homogénéisation de l’intrigue amoureuse principale avec l’attribution des premiers rôles aux domestiques. Crispin joue deux rôles qui sont étrangers à sa condition : celui de musicien et celui d’amant. Dans ce dernier domaine, les domestiques prennent en charge les attitudes qui sont supposées appartenir à leurs maîtres. Le premier duo amoureux de Phélonte et Daphnis n’intervient en effet qu’au quatrième acte, et il est finalement assez peu question de cette histoire d’amour une fois l’exposition passée, à l’exception de la première scène du troisième acte. Le problème est que les personnages qui sont mis au premier plan sont traditionnellement le bras agissant des personnages d’amant, et n’ont pas pour prérogative d’assurer l’expression du sentiment amoureux. Celui-ci, jusqu’au quatrième acte, est alors transposé sur le plan des domestiques, par un jeu de scènes burlesques, de parodies et de reformulations.
Le premier détournement est contenu dans le monologue de Crispin (I, 2). Ce passage ne recèle pas qu’une fonction comique, à lui seul, il concentre les éléments principaux d’information sur la pièce : l’attention des spectateurs est attirée non sur le maître, mais sur le valet, et ce valet est déjà présenté dans un rôle qui n’est pas le sien, celui d’amant. Le monologue parodie la plainte amoureuse tragique par son lexique (« hyménée », « sort », « destinée ») qui côtoie un registre de langue relâché et des antithèses faciles (« J’ai l’esprit bouché, moy qui l’eus toûjours ouvert ») ; il en reprend les personnifications d’entités abstraites (« Amour, ah, laisse moy respirer »), mais les prolonge dans une chute comique (« Peste de l’Importun ! »). Ce dernier procédé est repris lors de l’interrogatoire de Crispin par Phélonte (« ce chien d’amour, qui sans cesse m’entraîne, / Vers l’Objet dont mon cœur est embrasé »122). La parodie d’amant tragique du valet Crispin, faite de contrastes et ruptures de ton, est complétée par celle du pédant Anastase (IV, 10) qui procède par surenchère123.
Quant à la scène de l’interrogatoire de Crispin (I, 9), elle forme un miroir de la première scène de l’acte cinq (dans laquelle Phélonte s’étend pour la première fois sur ses sentiments) et peut être considérée à la lumière de l’autre comme un retournement de la scène de confidence amoureuse. C’est ici le valet, non le maître qui s’exprime sur son amour ; il ne s’agit pas de confidence, mais bien plutôt d’extorquer des aveux ; et l’écoute ou les conseils laissent place à la menace de coups de bâtons. Le lien entre ces deux scènes est indiqué par un rappel qu’établit Crispin (« Enfin vous voyez bien que ce n’est pas ma faute124 », devenant « Si j’aime, hé bien, Monsieur, voyez, est-ce ma faute ?125 »). Dans cette même scène, Crispin « récite » sa tirade d’aveu, qui constitue un pot-pourri des principaux topoi de la passion amoureuse, tel le poison d’amour qui s’infuse par le regard, ou l’impuissance de la raison à endiguer le flot de la passion : thèmes qui seront repris par Phélonte au cinquième acte126. Le catalogue s’achève lorsque Crispin est menacé d’un flagrant délit d’imposture :
Et cette passion d’une ame noble… et haute…Enfin vous voyez bien que ce n’est pas ma faute127.
L’effet parodique est souligné par la tirade de Phélonte, qui remarque que Crispin « a pris ces grands mots dans quelque Comédie » (v. 155).
Lorsque les scènes amoureuses ne parodient pas celle des personnages de qualité (et de préférence des personnages tragiques, pour un effet de décalage maximal), elles consistent en des parenthèses bouffonnes dans l’action, souvent associées aux « types » de personnages. L’aveu du Breton (III, 11) est entrecoupé de hoquets, et superpose une métonymie qui abstrait le désir amoureux (« mon ame te convoite ») à une gestuelle farcesque. Les répliques de Fanchon rendent en effet la proximité physique évidente (« parle sans t’aprocher » ; « soûtiens-toy »128). La bassesse du personnage est soulignée à tous niveaux : il titube, bafouille, a le hoquet, et l’haleine avinée. Le registre des métaphores de Boniface, qui fait appel au « cochon » et à la « coche », n’est guère plus élevé (III, 7). Quant au « philosophe » Anastase, il allie au vocabulaire et à la syntaxe tragique de ses protestations d’amour à Toinon (« O trop fier rejetton d’une sauvage tige…129 ») une concupiscence de voyeur : le passage du mouchoir de Daphnis130 rappelle celui de Dorine dans Tartuffe par la façon dont il révèle l’hypocrisie du personnage, à la différence majeure qu’Anastase ne cache pas son intérêt pour la scène, et se contente de trouver dans la mythologie une justification de son comportement.
Lorsque les maîtres se réapproprient le domaine amoureux, les valets jouent un rôle de garde-fou visant à maintenir la pièce dans le registre comique. La scène entre Phélonte et Daphnis de l’acte IV n’a plus rien de risible, et se rapproche d’une scène de comédie sentimentale. C’est ainsi que « les trois grains de matrimonium » que « brouille » Toinon parmi les protestations d’amour de Phélonte permettent de maintenir la scène dans une tonalité comique, en insistant sur son caractère conventionnel : il est inutile de répéter ce qui est un discours rebattu des amants, et sera de toute façon un lieu commun (« Les Amans, quels qu’ils soient, ont tous le mesme stile131 »). L’intervention de la servante permet d’éviter un décrochage complet et forme un rappel à l’ordre stylistique. Dans le même ordre d’idées, les paroles des maîtres font l’objet de reformulations. Lorsque Phélonte s’exprime en terme de « charme », et parle d’ « un tour aisé d’esprit / qui l’enlève à [lui]-même132 », Crispin se charge ainsi de l’explication auprès de Daphnis de l’état de son maître : « Il est possédé d’un Lutin, / Qui dans son Cabinet broüille fort sa cervelle133 ». L’intervention de Fanchon (« Le beau ragoust d’avoir à gémir, à se plaindre / Vivons, rions, chantons, & point d’amour134 ») permet également de glisser un contrepoint aux paroles de Phélonte (« Pour chanter avec eux, trop de soins m’inquiétent ; / Et quoy que la Musique ait de charmes pour moy, / Elle adoucirait peu le trouble où je me voy135 »)
La pièce fait ainsi cohabiter, d’un point de vue stylistique, deux registres opposés. Dans les duos amoureux de Phélonte et Daphnis, Hauteroche travaille sur le langage et la rhétorique amoureuse : l’enjeu pour Phélonte est en effet de convaincre Daphnis qu’il n’est plus un inconstant. Mais le cadre de la comédie se prête mal à une longue argumentation : les preuves de Phélonte sont celles qui nécessitent le moins de discours, c’est-à-dire les preuves physiques de son amour :
J’ay contre cent Beautez défendu ma franchise,Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé,Est contraint de se rendre aux yeux qui l’ont charmé :Voyez-en dans les miens l’assuré témoignage,Ils parlent, c’est à vous d’entendre leur langage,Ils vous seront garants…136
Le même argument est repris au cinquième acte : la preuve qu’apporte le regard se substitue à la fois à l’écrit et à la parole. Quatre vers qui économisent donc un long discours (là n’est pas le propos, le mariage aura lieu de toute façon), et la lecture d’un billet. Ces deux composantes s’homogénéisent dans l’emploi des parodies et détournements, qui assimilent le registre amoureux à celui des domestiques. On a vu quel rôle les interventions des domestiques jouaient lorsque le registre de la pièce s’étendait trop du côté de la comédie sentimentale.
Mais les allusions plus grivoises des domestiques témoignent elles aussi d’un souci d’homogénéisation avec l’ensemble. Le vocabulaire musical, quand il n’est pas totalement dépourvu de sens, est ainsi l’instrument privilégié du sous-entendu. C’est à lui que Crispin a recours pour faire allusion aux joies du mariage (« Dans un mois, avec ma Tablature, / Elle pourra chanter, & battre la Mesure137 »), ou à la bastonnade qui l’attend chez Dorame (« s’il s’avisoit, comme il est violent, / de me faire chanter sur quelque ton dolent ? Il connoist d’autre Clefs que B mol & B quarre138 »). Dorame emploie le vocabulaire musical lorsqu’il surprend sa fille chez Phélonte (« Il est tant de Concerts qui se font de concert139 »). Hauteroche a déjà utilisé ce procédé de répétition lexicale, toujours mis au service du sous-entendu, dans une réplique de Crispin (I, 12). Le comique est alors issu de l’accumulation en quelques vers du même mot, lequel oscille entre son sens propre et un sens connoté visant les possibles amours ancillaires de Phélonte :
Vous êtes content d’elle, elle est de vous contenteEt vos contentements m’obligent à douterSi j’aurois à mon tour de quoy me contenter140.
Façon discrète pour Crispin de dire à Phélonte qu’un mariage avec Fanchon lui ferait craindre le cocuage. La pièce se maintient ainsi dans un registre mitoyen, qui canalise les deux extrêmes que sont les débats amoureux de la comédie sentimentale (employés de façon secondaire), et la tradition de la farce que Hauteroche reprend de Crispin médecin.
Un comique verbal §
S’ajoutant aux éléments que nous avons vus, il nous reste à examiner les autres emplois comiques que Hauteroche fait du langage. Il ne s’agit pas exactement ici de fantaisie verbale, telle que Robert Garapon l’a définie, même si par endroits on en repère quelques touches – comme la « lutinerie » raillée par Phélonte, seule création verbale de la pièce, et les tirades musicales de Crispin, qui procèdent à la fois par accumulation et par non-sens. Plus généralement, ce souci du verbe tient à la fois à la prédominance dans l’intrigue des personnages de domestiques, et à la nécessité d’insuffler de l’énergie à des scènes qui comportent peu d’action, celle-ci étant assurée principalement par le déguisement. Dans le premier cas, Hauteroche se livre essentiellement à un jeu avec les expressions figées, qui sont employées hors de leur contexte par des personnages dont la maîtrise du langage n’est pas la principale caractéristique. Le plus souvent, il s’agit d’une réactivation du sens littéral, comme dans cette réplique de Crispin :
Ma foi, j’en pers l’esprit,Et croy que si tu n’y remédiesJ’auroy le cerveau creux141.
C’est la condition de valet de Crispin qui justifie l’emploi déviant de l’expression, ou le fait de filer une métaphore qui tourne au burlesque : l’homme prisonnier du mariage que Toinon fait « oyseau en cage » devient dans la réplique de Crispin un oiseau pris à la glu142. Emploi inapproprié d’une expression également, le fait de l’utiliser sans aucun égard pour le support qu’elle est supposée recevoir, selon une faute logique. Celle que commet Le Breton consiste à adapter une expression visuelle à un verbe support musical, lorsqu’il complimente Fanchon sur sa voix (« J’aime à t’oüir chanter, car tu chantes à peindre143 »). Aucun des dictionnaires de l’époque ne dissocie le complément à peindre d’un verbe support visuel. L’expression « se dit des choses qui sont excellentes & bien faites, qui meritent d’être peintes », et Furetière donne pour exemple : « C’est un homme de bonne mine qui est fait à peindre. Cet habit vous va fort bien, il est fait à peindre ». L’emploi inadapté sert ici aussi à caractériser le valet, qui ne maîtrise pas le mécanisme de la langue. Ces maladresses de langage des domestiques permettent ponctuellement d’orner des scènes qui sont des moments d’attente : au cinquième acte, Daphnis et Toinon arrivent alors que Phélonte vient de sortir de scène pour écrire son billet. La scène qui s’ensuit repose alors essentiellement sur le quiproquo qui résulte d’un effet de style manqué dans le discours de Crispin : la personnification du destinataire que Crispin fait intervenir dans l’écriture de la lettre (« Est-il seul ? / S’il est seul ? non, avec une Belle144 ») est auprès de la jeune fille une véritable bévue, lorsque le jeune amant est doté d’un caractère d’inconstant.
Des scènes entières se caractérisent essentiellement par leur comique verbal, à l’exemple de la fin du quatrième acte, où Dorame se voit privé de la parole par Toinon et Anastase. La vivacité de l’échange se prête à un bref passage de nature stichomythique, à trois personnages, Dorame s’adressant tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ses « raisonneurs » :
DORAME se fâchant.
Voyez l’effronterie !Ce n’est rien que d’enfermer deux Hommes sans façon ?TOINON
Le grand crime que c’est, d’écrire une Chanson !DORAME
Pour écrire, on n’a point sur soy la Porte close.TOINON
Vous mériteriez bien que ce fut autre chose.ANASTASE
Monsieur, la tempérence est entre les Vertus…DORAME
Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus145.
Le dialogue rebondit grâce à la répétition sur un mot, ici selon une figure dérivative, (« tempérance » / « tempérez »), procédé qui se répète aux vers 1420-1421, et qui est mis en relief par le fait que Dorame coupe la parole à Anastase en reprenant ses derniers mots selon une antithèse :
ANASTASE.
L’Homme sage…DORAME.
Homme fou, vous plaît-il me laisser en repos ?
Le jeu verbal de cette scène repose également sur les répétitions des protestations de Toinon et du précepteur face à la colère du vieillard (« Eh, Monsieur… » v. 1416 et 1420), alors même que c’est ce dernier, privé de toute liberté de parole, qui avait employé ces mots en premier lieu. Hauteroche reprend ce principe de répétition dans les répliques de Dorame, selon un principe de variations : « Je brûle de courroux », « Je déteste », « j’enrage »146 – le rythme de l’enchaînement est cependant assoupli, chaque intervention de Dorame étant coupée par plusieurs vers d’un ou des deux autres personnages. Enfin la scène fait appel au vocabulaire technique de la médecine, dont les répliques d’Anastase sont remplies (« bile », « vapeur », « cerveau », « cacochimie », « humeur », « rate », « opiler », « hypocondre », « transport au cerveau ») : le langage devient ici un charabia incompréhensible, qui le détourne de sa vocation première. L’exemple type de ce procédé dans la pièce est la tirade de Crispin maître de musique, qui allie le coq-à-l’âne musical avec le changement permanent d’interlocuteur : preuve que le langage est devenu un simple numéro de virtuose, indépendamment de sa fonction de communication.
Les « formes spéciales » de l’écriture théâtrale §
Nous examinerons brièvement pour finir l’influence de la présence d’éléments hétérogènes dans le corps d’alexandrins que constitue la pièce. Hauteroche emploie de façon répétée ce que Scherer répertorie sous le terme de « formes spéciales » de l’écriture théâtrale147, qui s’insèrent dans une suite d’alexandrins pour leur substituer momentanément un autre rythme : il s’agit des passages chantés et des billets. Ces formes insérées altèrent et assouplissent le vers, à l’exemple de l’air inséré au milieu vers 91 : l’alexandrin est sectionné en trois fragments par l’introduction de deux passages chantés qui en rompent l’unité. Si l’on reconstitue les répliques de Phélonte en un seul et même vers, comme cela apparaît nettement à la lecture grâce au principe d’escalier qui est appliqué, il s’agit bien d’un alexandrin. Pourtant il semble évident que seul l’œil est satisfait par cette disposition, et que le rythme des douze syllabes se perd pour qui n’a pas le texte sous les yeux. Dans ce passage, c’est l’entité en heptasyllabes des deux couplets qui berce l’oreille, le texte parlé du vers ressortant alors comme une succession de trois fragments de 4, 2 et 6 syllabes respectivement.
L’insertion de la musique au sein même du vers est confirmée à l’acte IV, au point d’exiger du lecteur de l’édition originale un compte attentif des syllabes afin de déterminer de quels éléments le vers est construit. En effet, lorsque Crispin et Phélonte solfient en fredonnant le prétendu rondeau noté dans le cabinet, les groupes de notes indiqués, et fonctionnent tantôt comme une sorte de didascalie chantée, tantôt entrent dans le décompte des syllabes (systématiquement pour les répliques de Dorame, ignorant en musique, et qui se contente de dire le nom des notes, sans les chanter) :
CRISPIN
Sol, sol(à Dor.) Nous aurons fait dans un moment.PHELONTE
Fa, mi… 148
Le double statut de ces groupes de notes semble lié à une question d’alternance ou de simultanéité : toutes les fois où la mention de notes dans le texte paraît superflue par rapport à l’alexandrin, nous pouvons imaginer que la réplique d’un autre personnage faisant, elle, partie intégrante du vers, se superpose à ce groupe de notes. Cela n’empêche pas ces syllabes ajoutées de perturber à l’occasion le rythme du vers. Reste à savoir en effet si les syllabes chantées sont réellement perçues comme partie prenante de l’alexandrin. Il s’agit d’un mode d’émission différent, sur une hauteur de voix différente, en décalage avec le texte déclamé. Même si la déclamation de l’époque ne se confond pas avec le langage parlé quotidien, elle ne correspond pas pour autant à des hauteurs de notes définies.
Il ressort donc de ces passages que lorsque la musique intervient dans la pièce, elle se mêle à l’alexandrin, dont elle assouplit le rythme. Mais les moments où Hauteroche déroge le plus au rythme du vers sont ceux où Phélonte lit devant Crispin les deux billets de Daphnis, puisque l’alexandrin y est tout simplement abandonné au profit de la prose. On ne retrouve par ailleurs aucun souci rythmique ou sonore particulier dans la composition de ces billets. Il se peut que le contraste produit ait pour but de mettre en relief le changement énonciatif qui s’opère alors. Ou bien, comme le suggère Marie-Gabrielle Lallemand, « ces missives ressortissent […] à l’esthétique du billet galant qui fait du naturel une de ses règles149 », et l’utilisation de la prose tient au caractère que se doivent d’adopter les manifestations galantes de la pièce. L’effet produit est celui d’un naturel du discours, qui contraste avec l’emploi de l’alexandrin, langage de convention, dans le reste de la pièce :
la particularité de la lettre est qu’elle est […] une pratique d’écriture réelle et même banale. Autrement dit, la rupture que provoque son insertion dans le texte théâtral est aussi celle qu’entraîne l’insertion d’un texte « vrai » dans un texte fictionnel. Elle tend de facto à créer un effet de réel […]150.
Il s’agit quoi qu’il en soit d’une constante dans l’écriture de Hauteroche : toutes ses pièces versifiées qui incluent la lecture d’un billet témoignent de ce contraste entre vers et prose – effet de naturel qui répond à certains passages de fragmentation extrême de l’alexandrin, que l’on trouve par exemple aux vers 90 ou 275.
Notes sur la présente édition §
La première édition de Crispin musicien, établie en 1674 par le libraire Pierre Promé à Paris, Quai des Grands Augustins, a été suivie de deux rééditions du vivant de l’auteur, portant le fleuron de Jean puis Pierre Ribou, en 1680 et en 1705.
L’édition de 1674 se présente comme suit : [III]-136 p. ; in-12.
Non paginé :
a. recto blanc.
b. LISTES DES COMEDIES qui se vendent chez Pierre Promé.
c. CRISPIN / MUSICIEN, / COMEDIE. / Par le Sieur de HAUTEROCHE, / Comedien de la seule Troupe Royale / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez PIERRE PROMÉ, Sur le Quay / des Grands Augustins, à la Charité. / [filet] / M.DC.LXXIV. / AVEC PERMISSION.
d. verso blanc.
e. préface de Hauteroche.
f. liste des acteurs.
—136 pages : texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre sous bandeau, et suivi du permis d’imprimer suivant : Fait à Paris / le 21. de septembre 1674. / DE LA REYNIE.
Nous avons consulté les quatre exemplaires parisiens de l’édition de 1674. Deux d’entre eux sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand, sous les cotes YF-7120 et 8-YTH-4248, un autre au Département des Arts du Spectacle (BnF, site Richelieu, catalogue Rondel, RF 6261), et le dernier à la Bibliothèque de l’Arsenal (dans un recueil factice portant la cote 8-BL-13512). Une édition pirate a existé dès 1674, comportant de nombreuses coquilles et opérant parfois jusqu’à des changements dans le texte : elle a vraisemblablement été établie d’après l’édition originale, sans recours à un tachygraphe, dans la mesure ou les éléments de paratexte sont dans l’ensemble respectés. Il existe deux exemplaires de cette contrefaçon : l’un est conservé au Département des Arts du Spectacle sous la cote RF-6262, il porte la mention « sur l’imprimé à Paris, chez Pierre Promé ». Le second est celui de la Bibliothèque municipale de Lyon (Res. 805530, CGA).
La pièce a fait l’objet de deux autres éditions du vivant de l’auteur, chez Jean puis Pierre Ribou. La première, publiée en 1680 et qui apparaît dans deux recueils factices (chez la Veuve Gontier en 1691 et chez Thomas Gillain en 1696), tronque l’une des phrases de la préface et en modifie ainsi le sens :
[…] qu’il est aisé de connoistre que c’est par les Personnages épisodiques [que le dénouement s’en fait, et] qu’ils m’ont fait la grace de passer légérement sur la conduite.
Phrase qui forme un contresens complet avec celle de l’édition de 1674, en suggérant que les critiques ont approuvé l’abondance des personnages secondaires. Compte tenu du contexte dans lequel cette phrase apparaît, cette modification semble devoir être attribuée à une lecture trop rapide du compositeur, plutôt qu’à la volonté de l’auteur. L’erreur court d’une édition à l’autre, jusqu’en 1772. Les exemplaires de 1680 portent par ailleurs de nombreuses coquilles et modifications lexicales, qui aboutissent le plus souvent à des contresens (dus à la confusion, par exemple, des lettres f et s, presque identiques au XVIIe siècle). Nous n’avons donc pas pris en compte ces changements du texte. L’édition de 1705 de Pierre Ribou corrige toutes ces erreurs, et semble avoir été établie d’après l’édition originale. On n’y trouve cependant pas la préface de l’auteur.
La première édition des œuvres « complètes » de Hauteroche a eu lieu de son vivant en 1683, à La Haye, chez Adrian Moetjens, et contient toutes les pièces écrites jusque-là par l’auteur. Probablement établie sans l’aval de Hauteroche, elle est précédée d’une épître à Messire Philipe Doublet, par laquelle le libraire tente de se mettre sous la protection du dédicataire. L’édition française des Œuvres de M. Hauteroche est par contre posthume, elle est publiée par Pierre Jean Ribou en 1736 et Crispin musicien y a vraisemblablement été établi d’après un exemplaire de 1680 (on y retrouve le même segment de phrase manquant dans la préface). Les Œuvres de Hauteroche sont ensuite rééditées en 1742 puis en 1772, aux dépens de la Compagnie des libraires associés. C’est dans l’Avis des libraires de cette dernière édition que la première version de la légende concernant notre comédien-poète apparaît.
Nous avons travaillé d’après l’exemplaire de l’édition originale YF-7120, portant l’ex-libris de la Bibliothèque royale. Il faut cependant préciser que cet exemplaire témoigne d’une correction sous presse, puisque les trois autres exemplaires portent une coquille ayant été rectifiée dans notre copie de la pièce (vers 562 : receoir). Il est donc vraisemblablement postérieur dans l’ordre de tirage. Hormis ce détail, les quatre exemplaires ne présentent aucune différence.
Lors de l’établissement de la présente édition, nous avons procédé aux corrections d’usage. Nous avons supprimé le tilde employé tout au long du texte pour indiquer la nasalisation des voyelles e, o ou a, et avons harmonisé les points de suspension conformément aux trois points modernes. Les passages en prose (préface et billets inclus dans la pièce) ne tenant pas compte, contrairement au corps versifié du texte, de la discrimination entre les capitales I/J d’une part et U/V d’autre part, nous avons rétabli cette distinction afin d’en faciliter la lecture. En ce qui concerne les accents, la pièce respecte généralement l’usage des accents discriminatoires permettant de distinguer entre ou conjonction et où relatif, et entre à préposition et a auxiliaire. Nous n’avons donc pas eu à effectuer de corrections sur ce point à l’exception des vers 101 et 1068, où il s’agit manifestement d’une erreur typographique. Dans les passages en italiques du texte – préface et didascalies – l’accent circonflexe se substitue à l’accent aigu sur les e. Nous avons respecté cette particularité.
Liste des erreurs corrigées : coquilles §
Liste des acteurs :
PHELONTE
MELANTE
DORAME
Amants.
TOINON, servante de Dorame,
Vers 12 : promptemeut
Vers 101 : La
Vers 134 : Moneur
Vers 298 : Reponee
Vers 301 : Ne ne me refusez point.
Vers 342 : pour voir
Vers 352 : j’auray (le r est renversé)
Vers 376 : Si vouliez
Vers 470 : bien faits-
Vers 509 : (appel de personnage) DAHPNIS
II, 8 : (liste des personnages en scène) DORANTE
Vers 758 : d’’apas
Vers 950 : sut vostre face
Vers 1068 : a bien tourner
Vers 1123 : Madome
Vers 1147 : Nn vous connoist
Vers 1294 : qu’il revient
IV, 13 : (la liste des personnages en scène est absente).
Vers 1604 : porterpromptement
Vers 1735 : de mande
Vers 1838 : Cà
Liste des erreurs corrigées : ponctuation §
Nous avons respecté la ponctuation de l’édition originale en corrigeant les erreurs manifestes :
Vers 121 : Baston.
Vers 876 : vous jugerez..,.
Vers 894 : Monsieur. encore
Vers 1448 : En songeant à
CRISPIN MUSICIEN,
COMEDIE. §
PREFACE §
Si l’on doit juger d’une Comedie par sa rêüssite, j’ay lieu de croire que celle-cy n’est pas des plus mêchantes. Quarante Representations de suite dans la plus mauvaise saison de l’année151, me persuadent aisêment qu’elle n’est pas sans merite ; et à parler de bonne foy, je pense qu’un autre en ma place, auroit peine à ne pas se laisser aller à cette persuasion. Le Public, qui dêcide ordinairement de ces sortes d’Ouvrages, a paru fort content de celuy-cy : mais parmy tant de beau Monde qui l’est venu voir en foule, il s’est rencontrê de ces Critiques à outrance, qui ne luy ont pas estê si favorables. Ils ont, suivant leur chagrin naturel, condamnê plusieurs endroits de cette Comedie ; mais le succés qu’elle a eu, m’a vangê pleinement de la malignité de leur humeur critiquante. J’ai le plaisir de voir malgré eux, que sans cabale & sans aucune brigue*, cette Piece s’est d’elle-mesme attirêe l’estime de tout Paris, et que je n’en suis obligê qu’à l’equitê du public, et au soin de mes Camarades. Ces Messieurs les Critiques ont crû donner une grande atteinte à cette Comedie, en faisant remarquer qu’il y a peu de Sujet ; mais je ne voy pas que ce soit un grand defaut, ny que cette remarque me soit desavantageuse. Je sçais comme eux, qu’on y trouvera une duplicitê d’action ; mais je sçais bien aussi que l’action episodique est moindre que la principale, que cette duplicitê n’est pas sans liaison, et qu’il est aisê de connoistre que c’est par les Personnages episodiques152 que le dênoüement s’en fait. On dit qu’ils m’ont fait la grace de passer legerement sur la conduite153 ; mais qu’ils ont blâmê fortement quelques Personnages, qui selon leur censure, pouvoient estre retranchez sans rien alterer du Sujet. J’avouë qu’il y en a quelques-uns que possible154 j’aurois pû retrancher ; mais j’ose dire qu’ils ont produit un trop bon effet dans la Piece, pour croire que je me repente jamais de les y avoir laissez : outre, qu’à considerer la chose avec un peu de réflexion, on verra que ces Personnages ne sont pas si dêtachez que ces Messieurs ont voulu se l’imaginer. Le Musicien attendu par les Filles de Dorame, inspire la pensée à Toinon de faire Crispin Maistre de Musique, pour se tirer de l’embaras où ils sont ; et cette adresse dont elle se sert en cette rencontre, donne lieu à des incidens fort agreables, qui aident beaucoup au dènoüement. Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l’action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d’envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu’il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n’en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n’est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. A la veritè, Melante y pouvoit venir d’abord ; mais en de pareilles occurrences, un Amant n’abandonne guere sa Maitresse, particulierement lors qu’il a un Valet sur lequel il peut se reposer. Sans m’arrester à répondre à toutes les chicanes des Critiques, je diray en passant que nous avons quantitè d’exemples de ces Personnages que ces Messieurs trouvent ètrangers au Sujet, qui souvent ont fait naistre au Theatre des plaisanteries fort spirituelles. Plaute et Terence n’ont point fait de difficultè de s’en servir ; et l’Illustre Moliere, ayant suivy leurs traces, ne s’en est pas mal trouvè. Ce n’est pas que je veuille dire par là que ces exemples soient toûjours bons à suivre ; au contraire, je tiens que l’Art* est un chemin bien plus certain, et que ses preceptes conduisent plus seûrement à la perfection que ne font ces sortes de libertez, quoy qu’elles ayent esté fort heureuses. Il est constant qu’on ne peut jamais déplaire avec l’Art, et qu’il est dangereux de s’ècarter de ses regles ; mais je croy qu’on est pas tout-à-fait condamnable quand en le faisant on rèüssit, et qu’on trouve le moyen de plaire, qui est le but de ce grand Art*.
ACTEURS. §
- PHELONTE, Amans.
- MELANTE, Amans.
- DORAME, [Père de Daphnis et Lise.]155
- DAPHNIS, Filles de Dorame.
- LISE, Filles de Dorame.
- TOINON, Servante de Dorame.
- FANCHON, Servante de Phélonte.
- BONIFACE, Précepteurs.
- ANASTASE, Précepteurs.
- CRISPIN, Valet de Phélonte.
- LE BRETON, Valet de Mélante.
- LA RONCE, Laquais de Phélonte.
- UN MAISTRE DE MUSIQUE.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
LA RONCE à ses Camarades.
SCENE II §
CRISPIN entre de l’autre costé, & apres avoir un peu resvê.
SCENE III §
LA RONCE
Est-il jour là-dedans ?CRISPIN répondant chagrinement*.
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
SCENE IV §
PHELONTE ouvrant la porte de sa Chambre.
CRISPIN
PHELONTE
LA RONCE
CRISPIN
PHELONTE
LA RONCE
PHELONTE rentrant.
J’entens ; Allez, ce sera pourSCENE V §
LA RONCE, en raillant, apres que ses Camarades ont fait une revêrence à Crispin.
CRISPIN
LA RONCE
LA RONCE
CRISPIN
LA RONCE
CRISPIN menaçant.
LA RONCE luy faisant la revérence.
CRISPIN
SCENE VI §
FANCHON
CRISPIN à part.
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
CRISPIN
FANCHON mettant le bout du doigt à son front.
CRISPIN faisant la mesme chose par dépit.
SCENE 7 §
PHELONTE entrant.
FANCHON apres avoir fait une revérence.
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON chante.
PHELONTE
FANCHON poursuit.
PHELONTE
SCENE 8 §
LA RONCE
PHELONTE
Je n’ose t’FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
LA RONCE
PHELONTE
SCENE 9 §
PHELONTE apres avoir touché* quelques accords.
CRISPIN à part resvant.
SCENE 10 §
PHELONTE sur son siege à Crispin, apres qu’on range le Clavessin dans le fonds du Théatre.
CRISPIN luy presentant son manteau.
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN le reportant.
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN recite ce couplet à peu pres comme un baston rompu.
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
PHELONTE en colere.
CRISPIN
SCENE 11 §
MELANTE entrant.
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
CRISPIN
MELANTE
PHELONTE riant.
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
MELANTE
PHELONTE
SCENE 12 §
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
SCENE 13 §
PHELONTE
TOINON masquée186.
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
CRISPIN
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE voulant oster son Masque.
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
PHELONTE lit.
Ne vous donnez plus la peine de me venir chercher aux Tuileries, car je vous assure que vous ne m’y trouverez pas davantage. C’est assez pour moy d’avoir pû meriter quinze jours durant vos assiduitez : ce m’est une gloire qui n’est pas petite, & je n’en attendois pas tant d’un Homme dont le cœur a toûjours esté sans amour. Je veux bien vous dire que tout le monde blâme vostre insensibilitê pour nostre sexe, & que cela fait dire des choses de vous qui ne sont pas à vostre avantage. Vous devez, pour vostre gloire*, faire reflexion sur ce que je vous écris, & profiter des avis sincéres que vous donne une Personne qui sent pour vous une forte estime*. Adieu pour toûjours.
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
PHELONTE
SCENE 14 §
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
SCENE 15 §
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
CRISPIN
PHELONTE
TOINON
SCENE 16 §
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
PHELONTE
Fin du Premier Acte.
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
DORAME
LISE
DORAME
DORAME
LISE
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME riotant*.
TOINON
DORAME
TOINON
LISE
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
SCENE II §
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
SCENE III §
DAPHNIS
TOINON
TOINON
DAPHNIS
TOINON
SCENE IV §
CRISPIN à la porte.
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
A le sçavoir, pour vous je m’DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
SCENE V §
DORAME entrant.
CRISPIN
DORAME à part.
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME le prenant au collet.
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME l’arrestant.
CRISPIN
DORAME le tenant.
SCENE VI §
DORAME
TOINON interdite.
DORAME
TOINON revenant à elle.
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME le salüant humblement.
CRISPIN feignant de la colere.
TOINON
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
DORAME
TOINON
CRISPIN feignant de se mordre les doigts.
TOINON à Crispin.
DORAME à Toinon.
TOINON
CRISPIN marchant fierement.
TOINON à Dorame.
DORAME
SCENE VII §
LE MUSICIEN entrant, & parlant Gascon.
DORAME
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN
DORAME à part.
LE MUSICIEN parlant Gascon.
DORAME secoüant la teste.
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN parlant Gascon.
DORAME à part.
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN
DORAME à part.
LE MUSICIEN montrant l’endroit du cœur.
DORAME portant la main à son estomach.
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN
DORAME
SCENE VIII §
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN riotant*.
DORAME
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRSIPIN à part.
LE MUSICIEN luy montrant un papier.
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN apres avoir regardé.
LE MUSICIEN
CRISPIN bas.
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
DORAME
CRISPIN à Dorame.
DORAME
LE MUSICIEN
CRISPIN luy rejettant son Trio.
DORAME au Musicien.
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN voulant mettre l’Epée à la main.
DORAME l’empeschant.
LE MUSICIEN
LE MUSICIEN
CRISPIN
DORAME
LE MUSICIEN voulant se jetter sur Crispin.
DORAME l’empeschant.
CRISPIN
LE MUSICIEN prenant un siege.
CRISPIN prenant un autre siege214.
DORAME au Musicien.
LE MUSICIEN
DORAME
LE MUSICIEN voulant fraper Crispin.
CRISPIN de mesme.
DORAME entre-deux, qui voit tantost un siege prest à tomber sur luy, & tantost l’autre.
CRSIPIN
DORAME court à sa Halebarde.
CRISPIN menaçant le Musicien.
LE MUSICIEN
SCENE IX §
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN s’en allant.
DORAME à Crispin.
SCENE X §
TOINON bas.
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
DORAME au dedans.
TOINON
CRISPIN s’en allant.
Fin du Second Acte.
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRSIPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
PHELONTE lit.
Vostre Lettre, Phélonte, pourroit persuader une Personne qui vous connoistroit moins que moy : mais je veux bien vous dire que je suis parfaitement [p. 57] instruite de toutes vos manieres. Vous avez crû, sans doute, que l’occasion se presentoit favorable, & qu’il falloit la prendre aux cheveux, c’est fort bien fait à vous ; mais là-dessus je suis vostre Servante. Dites-moy, s’il vous plaist, s’il estoit vray que vous m’aimassiez autant que vous le marquez dans vostre Lettre ? Croyez-vous en bonne-foy, qu’il n’y auroit point un peu d’extravagances* ? Aimer les Gens sans les connoistre, ny sans les avoir jamais veus, cela approche un peu de l’égarement*. Non, non, vous n’estes point capable d’une foiblesse semblable ; vous avez de l’esprit, & vous sçavez trop bien ce que vous faites : Vous voulez me payer galamment des bons avis que je vous ay donnez, mais je ne suis point interessée, & c’est assez pour moy qu’ils ne vous soient pas inutiles. Adieu, pensez à ce que je vous écris, & croyez que je parle avec sinceritê, quand je dis que j’estime* Phélonte.
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
Bon ; Vostre amourPHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
SCENE II §
CRISPIN
LA RONCE
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
SCENE III §
PHELONTE
LE MUSICIEN apres plusieurs revêrences, & parlant toûjours Gascon.
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE le prenant.
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE luy montrant Crispin.
LE MUSICIEN
CRISPIN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
EstoitLE MUSICIEN
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE
CRISPIN
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
CHANSON
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
CRISPIN
PHELONTE
LE MUSICIEN
PHELONTE
LE MUSICIEN
CRISPIN
LE MUSICIEN
LE MUSICIEN s’en allant.
CRISPIN
SCENE IV §
PHELONTE riant.
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE en riotant*.
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
SCENE V §
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON montrant Boniface.
SCENE VI §
BONIFACE
PHELONTE
PHELONTE
FANCHON
BONIFACE
PHELONTE
BONIFACE
CRISPIN
FANCHON
PHELONTE
BONIFACE
PHELONTE s’en allant.
SCENE VII §
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE
FANCHON
SCENE VIII §
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
BONIFACE
LA RONCE
BONIFACE
LA RONCE
BONIFACE
FANCHON
BONIFACE s’en allant, fait une grande revérence.
SCENE IX §
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
LA RONCE voulant s’en aller.
FANCHON haussant la voix.
LA RONCE revenant.
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON luy fermant la bouche.
LA RONCE
FANCHON
SCENE X §
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
FANCHON
LA RONCE
SCENE XI §
FANCHON
LE BRETON un peu yvre.
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON faisant un hoquet.
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
LA RONCE
LE BRETON faisant un hoquet.
FANCHON riant.
LA RONCE
FANCHON
LE BRETON
FANCHON riant.
LE BRETON
FANCHON
LE BRETON
FANCHON riant.
LE BRETON
LA RONCE le relevant.
LE BRETON
LA RONCE riotant*.
LE BRETON se relevant.
LA RONCE
LE BRETON prend La Ronce par la main, & chante & dance le Passe-Pié.
SCENE XII §
MELANTE entrant, & le regardant.
LE BRETON
MELANTE
LE BRETON
MELANTE
LE BRETON
MELANTE les regardant aller.
FANCHON
MELANTE
FANCHON
MELANTE
FANCHON
MELANTE se chagrinant*.
FANCHON
FANCHON
SCENE XIII §
MELANTE entrant.
LISE
MELANTE
FANCHON
MELANTE
LISE
FANCHON
LISE
MELANTE
FANCHON
LISE
MELANTE prend Lise par la main.
FANCHON
MELANTE
FANCHON
Fin du Troisiéme Acte.
ACTE IV §
SCENE PREMIERE §
TOINON
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
TOINON
SCENE II §
CRISPIN
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
TOINON
CRISPIN s’en allant.
SCENE III §
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
TOINON
SCENE IV §
PHELONTE à Crispin en entrant.
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS entendant fraper à la Porte.
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
CRISPIN entrant.
DAPHNIS
TOINON
SCENE V §
TOINON apres avoir ouvert la Porte.
DAPHNIS
ANASTASE faisant une grande revêrence.
TOINON
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
DAPHNIS
ANASTASE
DAPHNIS
TOINON
ANASTASE
Madame, Toinon est toûjoursTOINON
ANASTASE
DAPHNIS
ANASTASE
DAPHNIS
ANASTASE retenant la Lettre.
TOINON
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
DAPHNIS
ANASTASE
DAPHNIS
SCENE VI §
TOINON
DAPHNIS
SCENE VII §
DORAME à Anastase.
ANASTASE
DAPHNIS246
TOINON
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DAPHNIS à Toinon, tandis que Dorame lit bas.
TOINON
DORAME apres avoir leu.
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
TOINON bas.
ANASTASE
DORAME
SCENE VIII §
TOINON à Daphnis.
ANASTASE à Daphnis.
TOINON
DAPHNIS
ANASTASE revenant.
DAPHNIS
TOINON
SCENE IX §
DORAME revenant.
TOINON
DORAME
ANASTASE
DAPHNIS bas à Toinon.
TOINON
DORAME
DAPHNIS
DORAME ne trouvant point la Clef.
TOINON
DAPHNIS
DORAME
TOINON
DORAME
DORAME
ANASTASE
DORAME
DAPHNIS bas à Toinon.
TOINON
SCENE X §
TOINON à Anastase.
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
TOINON rêpondant comme si on l’appelloit.
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
TOINON
SCENE XI §
DORAME
TOINON bas.
DORAME ouvrant la porte.
SCENE XII §
CRISPIN en sortant, à Phélonte, qui tient un papier.
DORAME à Toinon.
TOINON
DORAME
TOINON
CRISPIN à Phélonte.
DORAME
PHELONTE à Dorame.
Excusez, si j’ose avecCRISPIN254
CRISPIN
DORAME à part.
CRISPIN à Phélonte.
PHELONTE
CRISPIN
ANASTASE
DORAME faisant signe du doigt.
TOINON
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE chante, & Crispin bat la mesure.
CRISPIN, apres que Phêlonte a chanté, se retourne
Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis.
DORAME
CRISPIN à Phélonte.
CRISPIN se retourne encore à Dorame, apres la fin du Couplet.
DORAME
CRISPIN
Fa re mi fa, fa sol fa me, &c.
DORAME
CRISPIN
Fa re mi fa, &c.
DORAME
CRISPIN revenant.
Fa re mi fa, &c.
DORAME
CRISPIN
TOINON à part.
DORAME
CRISPIN
fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.
DORAME
CRISPIN battant toûjours la mesure.
Fa re mi fa, &c.
DORAME à Toinon.
SCENE XIII §
TOINON riotant*.
DORAME
TOINON
DORAME
DORAME
ANASTASE
TOINON
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME en colere.
ANASTASE à Dorame.
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
TOINON257
DORAME à Toinon.
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
TOINON
DORAME
TOINON
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
TOINON
ANASTASE
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME à Anastase.
TOINON
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
TOINON
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
TOINON de mesme.
DORAME
ANASTASE
DORAME
ANASTASE
DORAME
TOINON
ANASTASE
DORAME revenant.
ANASTASE
DORAME le poussant.
ANASTASE s’en allant.
Fin du Quatriéme Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE §
PHELONTE
CRISPIN
fa re mi, &c.
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN
CRISPIN
SCENE II §
FANCHON en entrant.
CRISPIN
PHELONTE
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE
FANCHON
PHELONTE s’en allant.
SCENE III §
FANCHON
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN
FANCHON
CRISPIN seul apres avoir resvé.
SCENE IV §
TOINON entrant.
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN l’arrestant.
DAPHNIS
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
TOINON
DAPHNIS
CRISPIN
Que vous estes sonDAPHNIS
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
TOINON
SCENE V §
PHELONTE sortant.
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
PHELONTE
DAPHNIS
TOINON
DAPHNIS
TOINON
CRISPIN
PHELONTE
TOINON
CRISPIN
PHELONTE
TOINON
PHELONTE
TOINON appercevant Dorame.
DAPHNIS
CRISPIN à Daphnis.
PHELONTE bas.
DAPHNIS à Crispin.
CRISPIN à Daphnis, apres un peu de silence.
SCENE VI §
DORAME
CRISPIN à Daphnis.
DORAME272
CRISPIN à Phélonte.
PHELONTE
DORAME
PHELONTE
DORAME
CRISPIN
DORAME
PHELONTE
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DAPHNIS
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
DORAME
TOINON
Le grand mal, que d’oüirDORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DAPHNIS
Ah je tremble !CRISPIN
DAPHNIS à Toinon.
TOINON
PHELONTE apres que Crispin est sorty.
DORAME
PHELONTE
DORAME
PHELONTE
DORAME
PHELONTE
DORAME
PHELONTE278
DORAME
PHELONTE
DORAME appercevant Crispin.
SCENE VII §
CRISPIN aux Musiciens279, aux Violons, & à Fanchon.
TOINON à Daphnis.
CRISPIN
LES VIOLONS préludent, & Crispin dit, Fa, sol, re, mi, la, sol, fa, &c. En suite on chante ce qui suit : Crispin bat la mesure, & Phêlonte accompagne du Clavessin.
PHELONTE à Dorame.
DORAME
CRISPIN Fa re fa sol, &c.
CRISPIN à Dorame.
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
TOINON à Daphnis.
DAPHNIS
CRISPIN avec le Prélude des Violons.
Fa, fa, sol, fa, &c.
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
SCENE DERNIERE §
MELANTE tenant Lise.
CRISPIN à Dorame.
LISE appercevant Dorame.
CRISPIN à Mélante, sans regarder Lise.
DAPHNIS à Toinon.
DORAME à part.
LISE
DORAME
LISE281
PHELONTE à Crispin.
CRISPIN
LISE
DORAME
TOINON
DORAME
MELANTE
DORAME
MELANTE
DORAME
LISE
MELANTE
LISE
DORAME
LISE larmoyant.
DORAME
MELANTE
DORAME
PHELONTE
DORAME
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
TOINON
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
DORAME
CRISPIN
PHELONTE à Dorame.
CRISPIN
DORAME
PHELONTE
CRISPIN aux Musiciens.
FANCHON à Phêlonte.
CRISPIN
Fa, fa, fa.
PHELONTE
PHELONTE
CRISPIN
PHELONTE
CRISPIN aux Violons.
AUTRE AIR
AUTRE [p. 136]
CRISPIN
DORAME
PHELONTE
DORAME
CRISPIN seul.
FIN.
Permis d’imprimer. Fait à Paris le 21. de Septembre 1674.
DE LA REYNIE287.
Annexes §
Lexique §
Abréviations utilisées :
fr. : Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
Fur. : Dictionnaire universel de Furetière.
Rich. : Dictionnaire françois de Richelet.
Liste des comédies de Hauteroche §
1668 — L’Amant qui ne flatte point (5 actes, vers).
1669 — Le Souper mal appresté (1 acte, vers).
1670 — Crispin médecin (3 actes, prose).
1672 — Le Deuil (1 acte, prose).
1672 — Les Apparences trompeuses (3 actes, vers).
1674 — Crispin musicien (5 actes, vers).
1675 ( ?) — Les Nobles de province (5 actes, vers).
1678 — Les Nouvellistes (non publiée).
1680 — La Bassette (non publiée).
1684 — L’Esprit follet, ou la dame invisible (5 actes, vers).
1684 — Le Cocher supposé (1 acte, prose).
1686 — Le Feint Polonois, ou la veuve impertinente (3 actes, prose).
1690 — Les Bourgeoises de qualité (5 actes, vers).
Bibliographie §
Liste des abréviations utilisées :
BnF : Bibliothèque nationale de France, site François Mitterrand.
Ars. : Bibliothèque nationale de France, site de l’Arsenal.
Asp. : Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du Spectacle.
Sources §
Éditions de la pièce §
Édition originale §
Crispin musicien, Paris, Pierre Promé, 1674.
BnF : YF-7120 et 8-YTH-4248.
Asp. : RF-6261.
Ars : 8-BL-13512 [dans un recueil factice contenant des œuvres de Rosimond, Boyer, Le Boulanger de Chalussay et Hauteroche].
Autres éditions du XVIIe siècle §
Crispin musicien, sur l’imprimé à Paris, Pierre Promé, 1674, Asp. : RF-6262 [édition pirate].
Crispin musicien, Paris, Jean Ribou, 1680, Asp. : 8-RF-6235 [dans un recueil factice des œuvres de Hauteroche].
Crispin musicien, Paris, Pierre Ribou, 1705, Ars. : 8-RF-6236 [id.].
Éditions des œuvres de Hauteroche §
Les Œuvres de Monsieur de Hauteroche, Paris, Pierre Jean Ribou, 1736.Théâtre de Noël le Breton, sieur de Hauteroche, Paris, aux dépens de la Compagnie des Libraires associées, 1772 (3 vols.), Asp. : 8- RF-6239.[FOURNEL Victor éd.], Crispin médecin et Crispin musicien [fragments], dans Les contemporains de Molière, recueil de comédies rares ou peu connues jouées de 1650 à 1680 avec l’histoire de chaque théâtre, 1863-1865, 3 vols., Genève, Slatkine reprints, 1967.[TRUCHET Jacques éd.], Le Deuil, 1672 ; dans Théâtre du XVIIe siècle, vol. 2, Gallimard, Pléiade, 1986.
Ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles §
[BROOKS William, éd.], Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent (1670-1678), Tübingen, Biblio 17, 1993.CHAPPUZEAU Samuel, Le Théâtre français, 1674 ; éd. P.-L Jacob, Paris, éd. d’Aujourd’hui, coll. « Les introuvables », 1985.CORNEILLE Pierre, Trois discours sur le poème dramatique, Paris, G-F, 1999.CORNEILLE Thomas, L’Inconnu, dans Le Théâtre, 5 vol., Paris, [s.n.], 1692.D’AUBIGNAC François Hédelin, La pratique du théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001.DU PERCHE, L’Ambassadeur d’Affrique, Moulins, Veuve P. Vernois et C. Vernois, 1666.LA GRANGE, Le Registre de La Grange : 1659-1685, éd. Bert Edward Young et Grace Philputt Young, Genève, Slatkine reprints, 1977.[LANCASTER Henry Carrington éd.], Le Mémoire de Mahelot, Laurent et d’autres décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, Paris, Champion, 1920.MOLIÈRE, Œuvres complètes, éd. Georges Couton, Paris, Gallimard « Pléiade », 1971, 2 vols.POISSON Raymond, Le Baron de la Crasse, Paris, G. de Luyne, 1662.POISSON Raymond, Les Pipeurs, ou les femmes coquettes, Paris, P. Bien-faits, 1672.SAINT-ÉVREMOND, Les Opéra, 1676 ; éd. R. Finch et E. Joliat, Genève, Droz, 1979.SÉVIGNÉ Marie de Rabutin-Chantal, marquise de, Correspondance, éd. R. Duchesne, Gallimard, Pléiade, 1986.[VINCENT Monique éd.], Anthologie des nouvelles du Mercure Galant, Paris, STFM, 1996.
Instruments de travail §
Ouvrages sur la langue §
Ouvrages du XVIIe siècle §
ACADÉMIE FRANÇAISE, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694.FURETIÈRE Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnoult et Reinier Leers ; rééed. Paris, SNL-Le Robert, 1978.RICHELET P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise… avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 ; rééd. Genève, Slatkine reprints, 1970.VAUGELAS Claude Favre de, Remarques sur la langue françoise, 1647 ; Genève, Slatkine reprints, 2000.
Ouvrages modernes sur la langue du XVIIe siècle §
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Ouvrages de recensement systématique §
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Dictionnaires musicaux §
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Études §
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