AN VIII.
PAR J. A. JACQUELIN ET PHILIDOR R**
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COUPLET D’ANNONCE. §
Air : De la pipe de Tabac.
AUTEUR de mainte Tragédie,
Autrefois PRADON fut sifflé ;
Depuis qu’il a perdu la vie,
Plus d’un siècle s’est écoulé :
Mais sa douleur serait profonde
Si, rappelé de son tombeau,
Il revenait dans ce bas monde,
Pour être sifflé de nouveau.
PERSONNAGES §
- PRADON, Auteur du siècle de Louis XIV.
- ANGELINE, sa fille.
- VALCOUR, jeune Officier, amant d’Angéline.
- DUTREMBLET, vieux Militaire, ami de la maison.
- CHAPELAIN, vieux Auteur, avare. Caricature.
VAUDEVILLE EN UN ACTE. §
SCÈNE PREMIÈRE. Angéline, Detremblet. §
DUTREMBLET.
Tranquillisez-vous, Angéline, votre père va rentrer, et je ne doute pas que mes sollicitations ne fassent sur lui ce que n’ont pu faire les vôtres.
ANGÉLINE.
Puis-je espérer qu’il m’unira à Valcour, à ce jeune officier que j’aime depuis si longtemps, lorsque son engouement pour Chapelain, se fortifie de jour en jour.
DUTREMBLET.
ANGÉLINE.
Ah ! Mon ami, dois-je vous croire ?
DUTREMBLET.
Eh ! Quoi ? Je souffrirais qu’un rimeur l’emportât sur un militaire, que j’ai guidé dans le sentier de l’honneur, non vraiment. Ami de Pradon depuis longtemps, j’ai des droits à sa confiance ; je prétends les faire valoir aujourd’hui, pour assurer votre bonheur.
ANGÉLINE.
Mais, comment décider mon père en faveur de Valcour, qu’il ne connAît pas, et qu’il n’a jamais vu ?
DUTREMBLET.
Je le lui aurais déjà présenté, sans son entêtement à vous unir à Chapelain, son confrère ; mais j’attends Valcour en ces lieux, mieux que personne, il saura plaider sa cause auprès de votre père.
ANGÉLINE.
Ah ! Que d’obstacles j’entrevois encore à notre union.
DUTREMBLET.
Le réussite n’en sera que plus agréable pour tous les deux.
ANGÉLINE.
J’entends la voix de Chapelain, je me retire pour éviter sa présence.
SCÈNE II. Dutremblet, Pradon, Chapelain, entrant, l’un par le côté et l’autre par la porte du fond. §
PRADON.
Ah ! Mon cher Chapelain, je tremble, c’est aujourd’hui le grand jour; c’est aujourd’hui qu’Electre venge la mort de son père.
DUTREMBLET, à Pradon.
Quel pas mal assuré ; le jour d’une première représentation ; cela présage une chute.
CHAPELAIN.
Pradon ; une chute, je suis loin de croire que cela lui arrive... Cependant, mon cher Pradon, le public m’effraye pour toi.
DUTREMBET.
Tu le prouves bien.
PRADON.
2Je veux prouver aussi que je suis fécond, et si mon Electre succombe, j’ai un autre tragédie toute prête à relever ma gloire.
DUTREMBLET.
PRADON.
C’est bon, c’est bon, monsieur le plaisant.
CHAPELAIN.
Les craintes de monsieur Dutremblet sont fondées, Pradon a des ennemis.
DUTREMBLET.
La prévention du moins est contre lui; je crains qu’on siffle, non pas parce que la tragédie sera mauvaise, mais parce qu’elle sera de Pradon.
PRADON.
Que d’Auteurs ne sont pas comme moi, et dont le nom seul soutient l’ouvrage. Mais, j’ai quelques corrections à faire à ma tragédie de Régulus, je passe dans mon cabinet ; excusez si je vous laisse... Je me sens en verve.... Il faut saisir l’instant du génie.
DUTREMBLET.
Je suis désespéré de ne pouvoir tenir compagnie à monsieur Chapelain, quelques soins m’appellent au dehors.
CHAPELAIN, à Pradon.
Tu me permets d’attendre ici le moment où je pourrai présenter mes hommages à ton aimable fille ?
PRADON.
Au point où nous en sommes, tu badines ? Sans adieu.
SCÈNE III. §
CHAPELAIN, seul.
Je vais donc épouser la charmante Angéline, c’est un trésor, mais il épuisera le mien ; une femme est une chose très chère... Quand il n’y aurait que la noce... Rien n’est ruineux comme une noce.
Mais je prendrai mes mesures, et je dirai à ma femme : m’amour.
Mais Angéline ne vient point, allons la surprendre.
SCÈNE IV. Chapelain, Valcour. §
VALCOUR.
Pardon, monsieur, je croyais trouver ici monsieur Dutremblet ; mais ne seriez-vous pas monsieur Pradon ?
CHAPELAIN, à part.
Que veut cet officier ?
Non, monsieur.
VALCOUR.
Ne pourrais-je point parler à mademoiselle sa fille ?
CHAPELAIN.
À mademoiselle sa fille, monsieur !... Eh ! Que lui voulez-vous ?
VALCOUR.
Votre demande est au moins indiscrète.
CHAPELAIN.
Non monsieur, elle ne l’est pas, car je dois m’assurer de celle qui dans peu sera mon épouse.
VALCOUR, le toisant.
Votre épouse ?... Vous voulez plaisanter, je pense.
CHAPELAIN.
6Non, monsieur, je ne plaisante point, connaissez mieux Chapelain, l’Auteur de la Pucelle.
VALCOUR.
CHAPELAIN.
VALCOUR.
CHAPELAIN.
Qui êtes vous donc monsieur, pour me railler ainsi ?
VALCOUR.
Votre rival.
CHAPELAIN.
Je suis préféré.
VALCOUR.
Par qui?
CHAPELAIN.
Par le père.
VALCOUR.
Et moi, par la fille.
CHAPELAIN.
Puissant avantage sur moi !
VALCOUR.
J’ai le cœur.
CHAPELAIN.
J’aurai la main.
VALCOUR.
Il faudrait en être digne.
CHAPELAIN.
Monsieur, seriez-vous venu ici, tout exprès, pour me dire des injures.
VALCOUR.
Non, monsieur, j’avoue que vous n’êtes point l’objet de ma visite. Si j’avais crû ne trouver ici que monsieur Chapelain, j’aurais fort bien pu ne pas me déplacer.
CHAPELAIN, d’un ton de voix élevé.
Ah ! Ç’en est trop. Je vous laisse le champ libre, mais nous verrons bientôt, monsieur le Militaire, qui de vous ou de moi aura le droit d’être ici ; entendez-vous monsieur.
SCÈNE V. Valcour, Angéline, accourant au bruit. §
ANGÉLINE.
Quoi ! Valcour, c’est vous ?
VALCOUR.
Permettez-moi, belle Angéline...
ANGÉLINE.
Avec qui donc disputiez-vous ainsi ?
VALCOUR.
Avec l’illustre Chapelain.
ANGÉLINE.
Quelle imprudence, mon père pouvait vous entendre et ne vous connaissant pas, qu’eût-il pensé de ces débats.
VALCOUR.
Excusez-moi, mademoiselle ; mais, pouvais-je voir de sang-froid un rival me disputer votre cœur.
ANGÉLINE.
Pourquoi vous offenser de ses ridicules prétentions, puis-je seulement établir une comparaison entre vous et lui ?...
VALCOUR.
Vous me rassurez.
ANGÉLINE.
Je puis refuser la main de Chapelain, et résister aux ordres de mon père à ce sujet, mais je ne puis le forcer à vous accepter pour gendre ; ce qui me fait craindre le plus, c’est votre peu de fortune... Mon père n’entendra pas raison la-dessus.
VALCOUR.
Voilà pourquoi je suis si pressé de voir unir mon sort au vôtre, et je venais me présenter à votre père pour lui faire la demande de votre main.
ANGÉLINE.
Ah ! Mon cher Valcour, vous n’avez pas choisi un moment favorable ; je crains que mon père, préoccupé de sa pièce, que l’on va jouer ce soir, ne refuse de vous entendre.
VALCOUR.
Quoi ! La pièce nouvelle est de Monsieur Pradon.
ANGÉLINE.
Oui, mon cher Valcour, mon père est auteur d’Electre.
VALCOUR.
La pièce réussira sans doute.
ANGÉLINE.
Il a des envieux, des ennemis.
VALCOUR.
Pradon, n’en est pas moins homme de mérite, et n’a d’autre tort que d’être contemporain de Racine, mais celui qui a balancé la réputation de ce grand homme, ne l’eût-il fait que vingt-quatre heures, aura toujours des droits à l’immortalité.
ANGÉLINE.
J’aime à vous voir une pareille opinion, elle ne fait qu’accroître ma tendresse pour vous.
VALCOUR.
Vous m’enchantez, belle Angéline, puisse votre père souscrire à notre union, mais souffrez que je vous quitte, je cours au spectacle applaudir la pièce de votre père, j’ai intérêt à ce qu’elle réussisse ; car, dans l’ivresse de sa joie, Pradon sera plus disposé à couronner notre amour... Il croira faire encore un dénouement.
ANGÉLINE.
Je le désire autant que vous.
VALCOUR, lui baisant la main.
Sans adieu, mon adorable Angéline.
SCÈNE VI. §
ANGÉLINE, seule.
Et c’est à Valcour, ce jeune et aimable militaire, que je préférerais Chapelain, ce vieux poète ? Non, non !
SCÈNE VII. Angéline, Dutremblet. §
ANGÉLINE.
Ah ! Monsieur Dutremblet, quel dommage que vous vous soyez absenté.
DUTREMBLET.
Quoi ! Valcour serait-il déjà venu ? Ce n’est pas l’heure que je lui ai donnée pour le présenter à votre père.
ANGÉLINE.
Les amants ne sont jamais en retard.
DUTREMBLET.
C’est bien assez de l’être lorsqu’ils sont époux ; mais pourquoi donc Valcour est-il parti ?
ANGÉLINE.
Nous avons craint, que tout entier à sa tragédie, mon père ne lui fit pas un accueil favorable, et il est allé au spectacle soutenir la pièce.
DUTREMBLET.
C’est très bien.
ANGÉLINE.
Ce n’est pas tout, Valcour a manqué d’avoir une affaire terrible avec Chapelain ; cependant, il n’y a point eu d’effusion de sang, d’un côté ni de l’autre, et je crois qu’il n’y en aura pas.
DUTREMBLET.
Et quel est le sujet de cette grande querelle ?
ANGÉLINE.
L’amour de Chapelain pour moi ; il a la prétention de se croire aimé.
DUTREMBLET.
J’aperçois Pradon qui s’avance, je vais commencer auprès de lui les préliminaires en votre faveur.
SCÈNE VIII. Les Précédents, Pradon, l’air préoccupé. §
DUTREMBLET.
Ah ! Çà, mon cher Pradon, serez-vous toujours inexorable ?... Votre fille.
PRADON.
Ma pièce.... réussira-t-elle ?
DUTREMBLET.
Votre fille aime un jeune militaire, galant, plein de goût.
PRADON.
Vous avez raison, ma pièce est pleine de goût.... Elle ne respire que celui de la saine littérature.
DUTREMBLET.
Je ne vous parle pas de votre pièce, mais d’un de vos ouvrages beaucoup plus beau.
PRADON.
De mon Régulus, n’est-ce pas.
DUTREMBLET, impatienté, avec vitesse.
Je vous parle de votre fille, qui aime un jeune officier plein d’esprit, et qui pour preuve est allé au parterre cabaler.
DUTREMBLET.
Oui, cabaler en faveur de votre tragédie.
PRADON.
À la bonne heure, mais cela ne m’étonne pas; les favoris de Mars le sont parfois des muses, et se montrent toujours leurs défenseurs, et d’ailleurs mon Electre mérite d’être défendue.
DUTREMBLET.
Il ne sortira pas de sa pièce. Ton Angéline, que voilà, aime, te dis-je, un jeune militaire...
PRADON.
Mais, mon cher Dutremblet, tu sais que j’ai promis à Chapelain.
DUTREMBLET.
Chapelain ! Ne m’en parle pas, l’avarice même !
Et Valcour, j’en répondrais, serait plutôt prodigue.
PRADON.
Tu dis qu’il sera prodigue d’applaudissements, tant mieux, morbleu !
DUTREMBLET, à demi-voix à Angéline.
Le moment n’est pas favorable.
PRADON.
Malgré tout ce que tu me dis pour me rassurer, je redoute une cabale.
DUTREMBLET.
As-tu bien su conserver l’anonyme envers tout le monde.
PRADON.
Oui, certes; les Comédiens seuls savent que je suis l’Auteur d’Electre, je leur ai recommandé le plus grand secret ; mais je crains bien que ces messieurs n’en aient fait le secret de la Comédie, et cependant, si l’on sait que la pièce est de moi, je suis perdu.
DUTREMBLET.
ANGÉLINE.
Oui, mon père, suivez le conseil que vous donne votre ami Dutremblet.
DUTREMBLET.
Crois-moi, tu t’en trouveras bien.
PRADON.
DUTREMBLET.
PRADON.
DUTREMBLET.
PRADON.
SCÈNE IX. Les Précédents, Angéline. §
ANGÉLINE.
Je vous admire, monsieur Dutremblet ; quelle victoire vous venez de remporter sur mon père ! Je m’étonne que l’ayant décidé à aller siffler sa pièce, vous ne puissiez le décider à mon hymen avec Valcour ; cette affaire me paraît plus facile à traiter que l’autre.
DUTREMBLET.
Soyez tranquille, je la terminerai de même ; mais, dans ce moment-ci, votre père est tout entier dans sa pièce ; voilà bien le faible des pères pour leurs derniers enfants, Pradon ne songe qu’à celui de sa muse.
SCÈNE X. Les Précédents, Chapelain, avec inquiétude. §
CHAPELAIN, à part.
Bon ! Notre officier n’y est plus.
DUTREMBLET.
Eh ! Monsieur Chapelain, savez-vous que vous êtes un homme terrible, vous allez l’emporter par votre bravoure sur tout vos rivaux, même sur le jeune Valcour.
CHAPELAIN.
8Qu’il revienne, ce monsieur Valcour ; je me connais, je suis violent, moi, voilà pourquoi je me suis retiré ; et puis j’ai respecté la maison où j’étais, sans cela, morbleu !...
Mais, mademoiselle, d’après le tendre intérêt que vous m’avez toujours témoigné, vous avez sans doute conçu de vives alarmes à mon sujet ; j’aperçois, sur votre belle figure, les traces de la tristesse où vous a plongée mon affaire avec ce freluquet de Valcour : eh bien ! Pour vous égayer, je vais vous faire le récit le plus plaisant.... Oh ! C’est que l’aventure est unique ; je viens de l’apprendre il n’y a qu’un instant, et j’en ai ri tout le long du chemin : vous allez en rire aussi... Elle est courte, mais excellente; vous allez voir... Non, c’est qu’elle est d’un drôle à mourir de rire.
DUTREMBLET.
Mais, cela peut devenir dangereux.
ANGÉLINE.
Je brûle de l’entendre.
CHAPELAIN, après s’être préparé.
ANGÉLINE.
CHAPELAIN.
11Des épigrammes, méchante ? Je n’en suis pas moins le plus passionné de vos adorateurs, et pour preuve :
Voici un petit triolet de ma façon, que vous m’avez inspiré.
ANGÉLINE.
Ah ! Monsieur Chapelain, chantez-le moi ; il aura plus de prix dans votre bouche.
DUTREMBLET.
Un Auteur sait si bien se faire valoir !
CHAPELAIN.
J’obéis à ma muse ; écoutez-bien.
DUTREMBLET.
Ils ne sont pas du tout rocailleux, ces vers-là, monsieur Chapelain.
ANGÉLINE.
C’est de l’harmonie toute pure.
DUTREMBLET.
Mais, dites-moi, en quelle langue sont-ils écrits ?
CHAPELAIN.
Comment ! En quelle langue?
DUTREMBLET.
Est-ce de l’Allemand, ou du Bas-Breton ?
CHAPELAIN.
Vous vous êtes donné le mot pour me plaisanter.
DUTREMBLET, à Angéline.
Il commence à s’en apercevoir.
CHAPELAIN.
Ne faut-il pas, dans la poésie, de la force et de l’expression?
DUTREMBLET.
Certainement ; il faut même écorcher les oreilles et c’est ce dont vous vous acquittez à ravir.
ANGÉLINE.
Témoin, la Pucelle.
« À ton illustre aspect, mon cœur se sollicite, "Et grimpant contre mont, la dure terre cuite. » Chant XIIe. page 2440.
CHAPELAIN.
Encore une méchanceté, je m’en vengerai.
ANGÉLINE.
Ah ! Monsieur Chapelain, je vous en prie, que ce ne soit pas en me forçant à relire la PucelLe.
DUTREMBLET.
12Allons, mademoiselle, je ne suis pas de votre avis ; je ne trouve qu’un seul défaut dans la Pucelle.
CHAPELAIN.
Vous trouvez un défaut à ma Pucelle ?
DUTREMBLET.
Oui, monsieur Chapelain, c’est d’être trop courte ; quatorze mille vers ! Ce n’est rien.
CHAPELAIN.
Eh bien ! j’ai rencontré un véritable connaisseur.
DUTREMBLET.
Mais vous, monsieur Chapelain, qui cherchez tout les moyens de plaire aux dames, me permettrez-vous une légère observation sur votre compte ?
CHAPELAIN.
Vous m’obligerez.
DUTREMBLET.
Je vous le dis, cela vous fait le plus grand tort dans le monde.
CHAPELAIN.
Qu’est-ce donc ?
DUTREMBLET.
Avec la taille la mieux prise, le physique le plus avantageux, vous ne prenez pas assez de soins de votre toilette, par exemple :
CHAPELAIN.
ANGÉLINE.
CHAPELAIN, à part.
Cette petite personne là paraît bien acharnée après moi, dois-je en faire ma femme ?
ANGÉLINE.
J’aperçois mon père.
SCÈNE XI. Les Précédents, Pradon, balafré et un sifflet à la main. §
TOUS.
ANGÉLINE.
DUTREMBLET, à Pradon.
ANGÉLINE ET DUTREMBLET.
CHAPELAIN.
PRADON.
Taisez-vous, Chapelain, j’ai déjà assez à me plaindre de vous, vous auriez mieux fait d’aller soutenir ma tragédie, que de rester ici les bras croisés, sans doute à ennuyer ma fille, car je me suis aperçu qu’elle ne vous aimait pas prodigieusement.
ANGÉLINE, d’un ton caressant.
Mais, mon père, je crains que votre blessure ne soit dangereuse.
DUTREMBLET.
Faut-il mon cher Pradon, aller chercher un chirurgien ? J’y cours à l’instant.
PRADON.
Rassurez-vous, mes amis, ce n’est rien.
J’ai suivi ton conseil, en voici le résultat. Il montre sa figure.
DUTREMBLET.
Comment donc cela ?
PRADON.
DUTREMBLET.
Je m’aperçois, mon ami, mais trop tard, que le moyen que je t’ai proposé, n’était pas bon.
PRADON.
Au moins, ai-je été apprécié par un véritable amateur et connaisseur ; il ne me reste qu’un regret, c’est celui de ne pas le connaître ; je l’ai perdu de vue, quand on nous a séparés.
CHAPELAIN.
En effet, tu lui dois beaucoup de reconnaissance, de t’avoir arrangé de la sorte; passe encore s’il eût empêché ta pièce d’être sifflée.
ANGÉLINE.
C’est le sort des grands hommes de succomber sous les traits de l’envie.
CHAPELAIN.
Et celui des mauvais auteurs, de succomber sous les coups de sifflets.
DUTREMBLET.
Monsieur Chapelain, vous devriez avoir plus d’égards pour votre ami dans le malheur.
PRADON.
Lui, mon ami ! Il n’a jamais aimé que lui-même ; il ne me prêterait pas un sou si j’en avais besoin.
CHAPELAIN.
Si je ne suis pas votre ami, je dois dire que vous êtes le mien, car vous ne m’avez jamais rien emprunté.
PRADON.
Vous l’entendez, le vieux ladre; je le prédis, il mourra quelque jour d’avarice.
SCENE XII. Les Précédents, Valcour. §
VALCOUR, à part.
Voici l’heure qui m’a été indiquée par mon ami Dutremblet, pour me présenter à monsieur Pradon.
PRADON, apercevant Valcour, et lui sautant au cou.
C’est lui !
ANGÉLINE.
Ciel!
DUTREMBLET.
Je n’en reviens pas.
PRADON.
Voici le meilleur juge du siècle.
CHAPELAIN.
Et le plus insolent des militaires.
PRADON, à Chapelain.
Gardez-vous bien d’insulter devant moi, le plus heureux des hommes.
C’est lui qui m’a arrangé comme vous voyez.
VALCOUR.
Ah monsieur ! Après mon emportement envers vous, devais-je m’attendre à un accueil aussi favorable de votre part ?
PRADON.
Que dites-vous-là, venez que je vous presse encore dans mes bras !
Permettez que je baise cette épée....
CHAPELAIN, à part, montrant Pradon.
Il a perdu l’esprit.
VALCOUR.
Je suis confus....
PRADON.
Il n’y a rien que Pradon ne fasse, pour vous témoigner sa reconnaissance.
DUTREMBLET.
Puisque je te vois dans de si heureuses dispositions, je dois t’avouer qu’il est un moyen bien simple de t’acquitter envers mon jeune ami.
PRADON.
Comment ! Tu le connais ?
DUTREMBLET.
Depuis très longtemps, et je dois te dire qu’il aime ta fille.
PRADON.
Quoi ! Ce jeune officier dont tu m’entretenais encore aujourd’hui ?...
DUTREMBLET.
Est l’amant de ton Angéline, qui le paie du plus tendre retour.
PRADON.
Est-ce vrai, ma fille ?...
ANGÉLINE.
Mon père.... Je n’aurais pas osé vous le dire ; mais, puisque vous le savez... Votre ami Dutremblet vous a dit la vérité.
PRADON.
Combien je m’en veux d’avoir résisté si longtemps aux instances de ce bon Dutremblet !
Monsieur, soyez mon gendre ; celui qui trouve mes pièces bonnes, doit rendre ma fille heureuse.
VALCOUR.
Ce sera le désir de toute ma vie.
CHAPELAIN, à Pradon.
Mais, monsieur Pradon, oubliez-vous la promesse que vous m’avez faite ?
PRADON.
Quand il y aurait ici vingt-cinq Chapelain, je donnerais sur eux la préférence à mon bienfaiteur.
CHAPELAIN.
Je pourrai publier partout que vous êtes un homme sans probité, sans foi, sans...
ANGÉLINE.
Ah ! Monsieur Chapelain, pourquoi vous emporter ainsi, vous qui avez tant de moyens de consolations dans votre esprit.
PRADON.
Il aime tant sa Pucelle, que ne l’épouse-t-il ?...
CHAPELAIN.
Oui, oui, je me consolerai sans peine.
SCÈNE XIII ET DERNIÈRE. Les Précédents. §
PRADON.
Laissons-le exhaler sa vengeance, et ne pensons qu’au bonheur qui nous attend. Oui, mes enfants, j’oublie avec vous la chute d’aujourd’hui, et je veux me préparer sous peu à de nouveaux combats.
DUTREMBLET.
Ma foi ! Pradon tu m’enchantes doublement aujourd’hui tu as fait le bonheur de ta fille, et une action digne de passer à la prospérité.
PRADON.
Il est vrai mon cher Dutremblet.
VAUDEVILLE. §
PRADON.
VALCOUR.
ANGÉLINE, au Public.