M. DCC. LXIV. Avec Approbation et Privilège du Roi.
Par M. DE LA HARPE.
APPROBATION §
J’ai lu par ordre de Monseigneur le Vice-Chancelier, le Comte de Warwick, Tragédie ; et je crois que l’on peut en permettre l’impression.
À Montrouge, ce 30 Novembre.
Le privilège et l’enregistrement se trouvent au Nouveau Théâtre François et Italien.
MONSEIGNEUR, §
Mes premiers essais ont été consacrés à votre gloire. L’hommage que j’ai rendu à VOTRE ALTESSE m’a seul appris sans doute à peindre un héros, Vos bontés ont encouragé ma Jeunesse, et la faveur la plus précieuse accordée à mon Ouvrage, c’est qu’il m’ait été permis de l’offrir à un Prince devenu l’espérance de la Nation, et qui fait également mériter les éloges et les apprécier.
Je suis avec un très profond respect, MONSEIGNEUR, DE VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME.
Le très humble et très obéissant serviteur,
LETTRE À M. DE VOLTAIRE. §
MONSIEUR,
Quoiqu’éloigné du centre de notre Littérature, vous en êtes toujours l’âme et l’honneur. Tous ceux qui font quelques pas dans cette carrière, où vous avez tant de fois triomphé, vous offrent en tribut les essais de leur jeunesse.
En soumettant cet ouvrage à vos lumières, je ne fais que suivre la foule ; et si je puis m’en distinguer, ce n’est que par la sensibilité particulière qui m’a toujours attaché à vos écrits, et dont j’ai osé déjà vous donner des témoignages.
Il est donc vrai, Monsieur, qu’il vient un temps où tous les hommes s’accordent pour être justes, où le cri de l’envie est étouffé par le cri de l’admiration, où l’on n’ose plus opposer la médiocrité qu’on méprise, au génie qu’on voudrait dégrader, où l’homme supérieur à son siècle est enfin à sa place ! Ce sentiment unanime et victorieux qui détruit les autres intérêts, a quelque chose de sublime ; il me fait respecter l’Humanité.
Tel est le rang où vous êtes parvenu, Monsieur, tel est l’hommage universel que l’on vous rend aujourd’hui, et que méritent vos chefs-d’oeuvre dans plusieurs genres, surtout dans le genre Dramatique. Permettez-moi de discourir quelque temps avec vous sur cet Art que j’aime, et dans lequel vous excellez. Quand on écrit à son maître, il faut s’instruire avec lui, lui proposer des réflexions et des doutes qu’il peut éclairer, plutôt que de lui adresser des louanges qui sont toujours fort au-dessous de lui.
Il n’est que trop vrai que le Théâtre est depuis longtemps dans ses jours de décadence. Vous vous êtes placé à côté de nos Maîtres, et tout le resté est bien loin de vous.
On a même abusé de vos préceptes pour corrompre et détériorer l’Art de la Tragédie, vous nous avez dit que la pompe du spectacle ajoutait beaucoup à l’intérêt d’une action ; vous avez recommandé cet accessoire trop négligé jusqu’à vous. Qu’est-il arrivé ? On a fait de la Tragédie une suite de tableaux mouvants ; on a prodigué les événements en représentation, les combats, les poignards, et l’on a fait des ouvrages, dont tout le mérite était pour l’Actrice ou le Décorateur. On a voulu oublier ce que vous aviez répété cent fois, que, sans l’intérêt et le style, tous ces ornements étrangers ne produisaient que l’effet d’un instant, et qu’il ne restait rien d’un ouvrage de cette espèce quand la toile était tombée. J’entendais demander autour de moi, lorsqu’il s’agissait d’une pièce nouvelle : y a-t-il des coups de théâtre en grand nombre, des tirades pour l’Actrice, des maximes, des déclamations ? On se gardait bien de demander : les personnages disent-ils ce qu’ils doivent dire ? L’action est-elle raisonnable ? Le style est-il intéressant ? Ces bagatelles étaient bonnes pour le vieux temps ; et l’on disait tout haut que Britannicus, donné aujourd’hui pour la première fois, serait à peine écouté.
C’est au milieu de tels discours et de tels préjugés, que, j’ai osé concevoir et exécuter un Drame de la plus grande simplicité. J’ai pensé que les événements multipliés ne pouvaient tout au plus intéresser que la curiosité de l’esprit, et non la sensibilité de l’âme ; que pour faire éprouver aux hommes rassemblés des émotions durables, il fallait développer devant eux une action simple, qui, de moments en moments, devint plus intéressante ; qu’il fallait imprimer profondément dans leurs coeurs les sentiments divers et successifs des personnages ; que la Tragédie n’était pas seulement le talent de faire agir les hommes sur la scène , mais surtout celui de les faire parler. Oui, je ne craindrai pas de le répéter, l’éloquence feule peut animer la Tragédie ; c’est le caractère distinctif des grands Maîtres, c’est le vôtre. Le mérite n’est pas bien grand d’arranger une action vraisemblable ; mais créer des êtres à qui l’on donne des passions qu’il faut peindre, répandre dans les discours qu’on leur prête cet intérêt soutenu, cette chaleur qui donne à l’illusion l’air de la vérité, trouver, saisir ces sentiments qui s’échappent de l’âme, se que l’homme médiocre ne rencontre jamais : voilà le talent rare et supérieur ; voilà le génie.
Quel don, Monsieur, que l’éloquence ! C’est le plus beau présent de la nature. Elle fait pardonner tout, même la vérité. Et quel homme sait mieux que vous les réunir ? Qui mieux que vous a su faire servir à notre instruction la science de plaire et d’attendrir ; Combien vous savez adoucir les hommes, afin qu’ils vous permettent de les éclairer ! Peut-être il est encore des âmes ingrates et dures se qui refusent au plaisir que vous leur procurez, qui cherchent les défauts de vos ouvrages en essuyant les larmes que vous leur arrachez. Peut-être même me reprocheront-elles cette expression de ma reconnaissance ; pour moi je la crois due au grand homme qui cent fois a charmé les instants de ma vie , et qui m’a appris encore à pardonner à leur ingratitude.
Je serais trop heureux, Monsieur, si le plaisir qu’on goûte à la lecture de vos ouvrages, suffisait pour apprendre à les imiter. Sans prétendre à cette gloire, je me fuis attaché du moins à pratiquer vos leçons. J’ai cherché la clarté dans le style ; la simplicité dans la marche. J’ai déployé sur la scène l’âme grande et sensible de Warwick, et j’ai cru qu’avec cet avantage je serais bien malheureux si j’avais besoin de ces ornements si superflus, et que l’on croit si nécessaires. Ma jeunesse, et quelques lueurs de cet ancien goût, qui pour n’être plus suivi, n’est pourtant pas oublié, m’ont fait accueillir du Public avec cette indulgence qui récompense les efforts, et encourage les dispositions. On a applaudi au genre que j’avais choisi bien plus qu’à mes talents. II serait à souhaiter que cet accueil engageât tous ceux qui se disputent aujourd’hui la Scène, à rentrer dans l’ancienne route, qui probablement est la plus sûre, et dans laquelle sans doute ils iraient bien plus loin que moi. C’est à vous, Monsieur, qui avez atteint le but, et qui êtes assis sur vos trophées, c’est à vous à les ramener. Élevez encore votre voix, proposez-leur de relire Phèdre et Cinna. Moi je leur citerai Mérope, et ces trois derniers actes de Zaïre, ces actes si admirables, où les développements d’un coeur tendre et jaloux suffisent pour remplir la scène. J’entends toujours parler de coups de Théâtre. Mais, qu’est-ce que des coups de Théâtre ; sont-ce des exécutions sanglantes ? Non. Oreste dans Andromaque est épris d’Hermione : il vient d’obtenir l’assurance de l’épouser, si Pyrrhus épouse la veuve d’Hector. Pyrrhus y semble déterminé : il a refusé de livrer Astyanax, il sacrifie tout à la Troyenne. Oreste nage dans la joie. Arrive Pyrrhus. Tout est changé. II est bravé, il revient à Hermione, et livre Astyanax ; il invite, Oreste à être témoin de son mariage. Oreste demeure anéanti, et le spectateur avec lui. Voilà un coup de Théâtre. II est d’un maître.
C’est ainsi qu’il faut que les événements d’une pièce paraissent toujours le résultat des caractères, et non une machine fragile, dont on voit tous les ressorts dans la main de l’auteur. Mais c’est sur le style que nous avons surtout besoin de vos leçons. Si vous avez quelquefois placé dans une scène des réflexions rapides, presque toujours fondues dans l’intérêt, on a prétendu dès lorsqu’il fallait, à votre exemple, faire entendre sur le Théâtre toutes les vérités morales qu’a pu dire depuis deux mille ans. On a fait de longues tirades bien traînantes, bien ennuyeuses, surtout bien déplacées. On est convenu d’appeler cela des vers saillants, des vers à retenir. Vous ne serez pas surpris, Monsieur, quand vous aurez lu cette Tragédie, que plusieurs personnes se soient plaintes de n’y pas trouver de ces vers à retenir. Je crois bien que vous m’en saurez bon gré. Quant à ces personnes, dont je vous parle, je suis bien fâché de ne pouvoir les satisfaire, mais je leur répondrai, et vous appuierez mon avis, sans doute, que, pour bien écrire, il faut mettre le mot pour la chose, et rien de plus. Que des vers de situation, profondément sentis, valent cent fois mieux que des vers faits par l’esprit pour refroidir l’âme, qu’enfin il faut préférer le style qui fait vivre un ouvrage à celui qui fait briller l’acteur.
Combien de gens ignorent le mérite de ces vers simples et faciles, sans inversions, sans épithètes, qui seuls font entendre une Tragédie avec une satisfaction continue ! Je dirai plus, quand cette simplicité est touchante, je la préfère aux plus grandes pensées.
Tout le monde connaît ces vers fameux dé Corneille, en parlant de Pompée.
Cette pensée est grande sans enflure ; mais j’aimerais bien mieux avoir fait ces vers-ci d’Athalie, en parlant des flatteurs.
J’ai les larmes aux. yeux en vous traçant ces vers. Je ne connais rien au-dessus, et quand je songe que c’est un Grand-Prêtre qui tient ce langage aux pieds d’un Roi enfant qu’il va remettre sur son trône , il me semble qu’on n’a jamais offert aux hommes un spectacle plus grand et plus pathétique.
Il faut dire de grandes choses avec des termes simples. Tels font mes principes, Monsieur, c’est de vous que je les tiens. J’ajouterai qu’il serait bien cruel et bien injuste, que ceux qui ont des principes contraires, se crussent en droit d’être mes ennemis. Je saisis cette occasion de me plaindre à vous publiquement des discours, que la haine et la crédulité répandent sur moi.
Dans un monde ou tout est de convention, où l’on marche au milieu de cent petites vanités qu’il faut craindre de heurter, j’ai été juste et vrai ; on m’en a fait un crime, et beaucoup de gens m’ont accusé d’être méchant, parce que je n’avais pas la fausseté nécessaire pour l’être. Il est également triste et inconcevable d’être haï par une foule de personnes que l’on n’a jamais vues.
Des discussions littéraires , des intérêts d’un jour doivent-ils produire des inimitiés aussi aveugles ? Quoi ! Faudra-t-il toujours redire aux hommes : ne haïssez jamais celui qui ne vous est pas connu, et que peut-être vous auriez aimé.
Au reste , Monsieur , ces désagréments attachés aux Arts de l’esprit, n’affaibliront point l’amour que j’ai pour eux et qui est né avec moi. La reconnaissance que je dois aux bontés du Public, me donnera de nouvelles forces, et développera peut-être en moi les talents qu’il a cru apercevoir. Peut-être ceux pour qui la lecture est un plaisir utile et réel, en lisant ce faible essai, seront attendris des sentiments honnêtes et vertueux que j’ai su quelquefois exprimer, et leur âme me saura gré d’avoir écrit. La mienne (vous le voyez, Monsieur,) s’épanche devant vous avec liberté. Je fuis toutes ses impressions, sans songer que j’abuse de vos moments , que je vous occupe d’objets importants polir ma jeunesse, et que votre expérience regarde d’un oeil bien différent. Vous avez prévu ou senti tout ce qui m’étonne ou m’irrite. Vous êtes à cette hauteur où tout paraît illusion et vanité. Aussi je compte également sur les conseils de votre Philosophie et sur les lumières de votre goût.
Je suis , etc.
P.S. Je reçois en ce moment des « Réflexions à un Ami sur le Comte de Warwik ». À la bassesse du style, à l’ignorance profonde qu’on aperçoit dans ces réflexions critiques, on n’imaginerait pas qu’elles fussent d’un versificateur de profession. Cependant on me l’assure. Sa mémoire ne le sert pas mieux que son esprit. II cite comme il juge. Du reste il ne paraît pas médiocrement affligé du sort de la Pièce. Je souhaite que sa critique le console.
Personnages §
- ÉDOUARD d’YORCK, Roi d’Angleterre.
- MARGUERITE D’ANJOU, femme d’Henri IV détrôné.
- LE COMTE DE WARWIK.
- ÉLISABETH.
- SUFFOLK, Confident du Roi.
- SUMMER, ami de Warwick.
- NEVIL, suivante de la Reine.
- UN OFFICIER.
- GARDES.
- Soldats.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. Marguerite, Nevil §
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
SCÈNE II. Marguerite, Édouard, Suffolk, Gardes. §
ÉDOUARD.
MARGUERITE.
ÉDOUARD.
MARGUERITE.
ÉDOUARD.
MARGUERITE.
SCÈNE III. Édouard, Suffolk, Gardes. §
ÉDOUARD.
SUFFOLK.
ÉDOUARD.
SUFFOLK.
ÉDOUARD.
SCÈNE IV. Édouard, Suffolk, Un Officier, Gardes. §
L’OFFICIER.
ÉDOUARD.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Warwick, Summer. §
WARWIK.
SUMMER.
WARWIK.
SCÈNE II. Édouard, Warwick, Gardes. §
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
SCÈNE III. §
WARWIK, seul.
SCÈNE IV. Marguerite, Warwick §
MARGUERITE.
WARWIK.
MARGUERITE.
WARWIK, à part.
MARGUERITE.
WARWIK.
MARGUERITE.
WARWIK.
MARGUERITE.
SCÈNE V. §
WARWIK, seul.
SCÈNE VI. Warwick, Summer. §
SUMMER.
WARWIK.
SUMMER.
WARWIK.
SUMMER.
WARWIK.
SCÈNE VII. Warwick, Élisabeth. §
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ACTE III §
SCÈNE PREMIÈRE. Marguerite, Nevil. §
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
NEVIL.
MARGUERITE.
SCÈNE II. Édouard, Suffolk, Gardes. §
ÉDOUARD.
SCÈNE III. Édouard, Warwick, Suffolk, Gardes. §
WARWIK, entrant brusquement.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉDOUARD.
WARWIK.
SCÈNE IV. Édouard, Warwick, Élisabeth, Suffolk, Gardes. §
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉDOUARD, aux Gardes.
ÉLISABETH.
ÉDOUARD.
ÉLISABETH.
ÉDOUARD.
SCÈNE V. Édouard, Élisabeth, Suffolk, Gardes. §
SUFFOLK.
ÉDOUARD, à Élisabeth.
SCÈNE VI. §
ÉLISABETH, seule.
SCÈNE VII. Marguerite, Élisabeth. §
MARGUERITE.
ÉLISABETH.
SCÈN E VIII. §
MARGUERITE, seule.
ACTE IV §
SCÈNE PREMIÈRE. §
WARWIK.
SCÈNE II. Warwick, Summer. §
WARWIK.
SUMMER.
WARWIK.
SUMMER.
WARWIK.
SCÈNE III. §
WARWIK.
SCÈNE IV. Warwick, Élisabeth, Suivante. §
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.
ÉLISABETH.
SCÈNE V. Warwick, Élisabeth, U Officier, Soldats. §
L’OFFICIER.
ÉLISABETH.
WARWIK.
L’OFFICIER.
ÉLISABETH.
WARWIK.
SCÈNE VI. §
WARWIK, seul.
SCÈNE VII. Warwick, Summer, l’épée à la main, Soldats. §
SUMMER.
WARWIK, avec transport.
SUMMER.
WARWIK.
ACTE V §
SCÈNE PREMIÈRE. §
ÉLISABETH, seule.
SCÈNE II. Élisabeth, Suffolk. §
ÉLISABETH.
SUFFOLK.
ÉLISABETH.
SUFFOLK.
ÉLISABETH.
SUFFOLK.
SCÈNE III. Élisabeth, Édouard, Suffolk, Gardes. §
ÉLISABETH.
ÉDOUARD.
SCÈNE IV. Élisabeth, Édouard, Marguerite, Suffolk, Gardes et Soldats. §
MARGUERITE.
ÉLISABETH.
ÉDOUARD.
MARGUERITE.
ÉDOUARD.
MARGUERITE.
ÉDOUARD.
SCÈNE V. Acteurs précédents, Warwick apporté par des Soldats, Summer. §
ÉLISABETH, courant à lui.
ÉDOUARD.
WARWIK.
ÉLISABETH.
WARWIK.