Jean Magnon
Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous
la montée de la Cour des Aydes.
M. DC. XLVIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Maud Vervueren dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)
Introduction §
Le grand Tamerlan et Bajazet, en mettant en scène l’affrontement du conquérant tartare et du sultan turc, nous offre la possibilité d’une étude approfondie sur la pièce elle-même, bien plus que sur ses conditions de création, qui demeurent très floues.
Il est vraisemblable que notre tragédie a été représentée en 1646 ou 1647, si l’on considère que l’achevé d’imprimé est de mars 1648, mais rien ne nous autorise à l’affirmer.
Un même mystère entoure sa réception par le public, quoiqu’il soit probable, compte tenu du peu de succès à la vente lors de la première impression (pas de réédition ultérieure), que l’œuvre n’ait pas marqué les esprits de l’époque de manière significative. Cette tragédie, quoiqu’elle n’ait pas donné naissance à d’autre œuvres remarquables, ne doit cependant pas être sous-estimée, et c’est le but de notre travail que de révéler sa valeur, aussi minime soit-elle.
Aperçu biographique de Jean Magnon (sa vie, ses œuvres) §
On ne lit guère plus Rampale et MénardièreQue Magnon, du Souhait, Corbin et la Morlière.
Ainsi s’exprime Boileau-Despréaux au début du quatrième chant de son Art Poétique, qui nous rappelle, comme le dira Joseph Boulmier en 1871, « qu’il y avait eu de par le monde, au XVIIe siècle, un poète appelé Jean Magnon.1 »
Jean Magnon naquit à Tournus, dans le Mâconnais. Personne n’a donné jusqu’ici la date exacte de sa naissance, mais son acte de baptême2, d’après les registres de la paroisse de la Madeleine, nous fournit au moins l’année : 1620. Après avoir fait ses études à Lyon, au collège jésuite de la Trinité, il fut nommé avocat au présidial de cette même ville. Il s’établit peu de temps après à Paris, et s’y fit connaître par quelques pièces de théâtre.
C’est probablement en 1644 qu’il fit représenter sa première pièce, Artaxerce (publiée en 16453), titre sous lequel Jean Magnon mentionnera : « tragédie représentée par l’Illustre Théâtre ». Lancaster et d’autres érudits mettent en évidence les liens certains qui unissent Artaxerce, La vie d’Artaxerce de Plutarque, ainsi que Le couronnement de Darie de Boisrobert. Boulmier rapporte quant à lui que Magnon se chargea lui-même d’un rôle dans cette pièce, qui fut pour l’auteur l’occasion de se lier d’amitié avec Molière. En 1647, Magnon publie une tragi-comédie, Josaphat, portant sur le roi de Juda du Ier siècle avant Jésus-Christ. René Bray, dans son ouvrage Molière, homme de théâtre, suggère sans preuve décisive que cette pièce aurait été jouée par la troupe du duc d’Epernon, ce qui est probable car Magnon dédia sa pièce à ce dernier.
De ses autres pièces nous n’avons guère plus de détails. Magnon créa un Séjanus, tragédie romaine, en 1647, suivie d’une tragi-comédie en 1648 : Le mariage d’Oroondate et de Statira, ou la conclusion de Cassandre, inspirée du premier roman de La Calprenède. La même année sera publiée la tragédie qui nous intéresse ici : Le grand Tamerlan et Bajazet. C’est à cette époque que Magnon hérita de la propriété de son père, à Farges. Il y fit faire des modifications qui eurent pour seules conséquences d’affaiblir les fondations de la demeure et de laisser les cultures aux fermiers environnants. C’est peut-être ces préoccupations personnelles, mêlées au contexte de la Fronde, qui retardèrent l’écriture de sa pénultième tragédie. 1646, l’année qui vit le jour de sa Jeanne de Naples, fut aussi celle du mariage de notre dramaturge avec Marie-Anne Poulain, alors âgée de 18 ans, et dont nous reparlerons ci-après. C’est dans l’avis au lecteur de cette tragédie que Magnon annonça pour la première fois sa grande résolution, celle d’écrire une Science universelle, et de ne plus rien produire qui le fît « rougir devant les Hommes de la licence de [son] expression, ou repentir devant Dieu du mauvais usage de [ses] pensées. » Magnon avait déjà publié en 1654 Les Heures du Chrestien, mais cette fois-ci, son « entreprise », dit-il, est de « produire en dix Volumes, chacun de vingt mille vers, une Science Universelle ; mais si bien conceüe & si bien expliquée que les Bibliotheques ne (…) serviront plus que d’un ornement inutile. »
Magnon revint cependant vers ses premières amours, et créa, en 1659, Tite, une tragi-comédie, et sa dernière tragédie, Zénobie, reyne de Palmire, (comparable à la Zénobie en prose de l’abbé d’Aubignac). Celle-ci fut créée le vendredi 12 décembre par la troupe de Molière, sur le théâtre du Petit Bourbon. Dans sa Muse historique datée du lendemain, le gazetier Loret écrit :
Si dans ma forte conjectureJe ne me trompe d’aventure,Je crois qu’il fera demain bonEn l’hôtel du Petit Bourbon :D’autant qu’une pièce fort belle,Venant d’une docte cervelleS’y joue une seconde foisPour le noble et pour le bourgeois.Elle est nouvellement fourbie,On l’intitule Zénobie,Et l’auteur est Monsieur Magnon,Honnête homme, bon compagnonDont on doit admirer les veilles,Et qui fait des vers à merveilles.
Le Registre tenu par La Grange, bras droit de Molière, nous apprend cependant que la première représentation ne fit que cent vingt-cinq livres, la deuxième deux cent quatre vingt-cinq (c’est un dimanche), la troisième cent. Zénobie, « un four », écrit Lagrange le quatrième jour.
Quant à Tite, nous savons par l’avis au lecteur de Zénobie que Magnon alla à Turin pour y dédier son œuvre à « son altesse royalle Charles Emanuel, duc de Savoy ». Une seule édition critique sur une pièce de Magnon est disponible à ce jour, et c’est de Tite dont il s’agit4. Il est très peu probable que le Tite de Magnon influença Corneille, et l’on notera que le Tite et la Bérénice de Magnon se marient à la fin de la pièce.
Notre poète reçut par ailleurs le titre d’historiographe du Roy en 1654, mais nous n’avons pas de trace de ses activités jusqu’en 1660, date à laquelle paraît L’entrée du Roy et de la Reyne en la ville de Paris, à l’occasion du mariage de Louis XIV.
Un seul volume de sa Science universelle parut, un an après sa mort, mais suffit à donner à notre auteur la réputation du « plus grand fou de France5 ». Magnon n’eut malheureusement pas le temps d’achever son œuvre. Il se fit assassiner sur le Pont Neuf, près de la Samaritaine, le 18 ou le 20 avril 1662 selon les frères Parfaict, le 19 selon Jeanton.
Loret nous apprend ce tragique accident par sa gazette du 29 avril de la même année :
Mais aussi bien là qu’aux ChampsSe rencontre des gens méchansDes filoux, des brigands, des pestes,A plusieurs gens de bien funestes :Un des forts Autheurs de nos jours,Un des favoris du Parnasse,Qui pouvait égaler un Tasse,Magnon, Esprit tout plein de feu,Fut assassiné depuis peu,C’est-à-dire, l’autre SemaineVers, dit-on, la Samaritaine.
La mort inattendue de Jean Magnon défraya la chronique pendant les semaines qui suivirent son assassinat. Selon Boulmier, on prétendit « qu’il sortait alors de souper dans une maison qu’il fréquentait, car c’était une galante fourchette. » « Pauvre homme ! » ajouta le critique, « il ne s’attendait sans doute pas à un pareil dessert ». Quoi qu’il en soit, même si les meurtriers demeurèrent inconnus, on ne manqua pas de faire porter les soupçons sur la femme de Magnon, qui entretenait une liaison adultérine avec le marquis de Sertoville. Sur la plainte de la veuve elle-même, une information criminelle fut ouverte au Châtelet. C’est là qu’on appris que deux mois avant son assassinat, Magnon, qui s’était rendu à Rouen avec le marquis de Sertoville, s’était plaint d’avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement. Le marquis lui aurait donné à boire du vin frelaté... Curieusement, Madame Magnon se désista de sa plainte en assassinat, et épousa à l’église Saint André des Arts, à Paris, le marquis de Sertoville. Malgré tout, Madame de Sertoville fut mise en arrestation par un mandement du roi, le 13 janvier 1665, bientôt suivie par son nouvel époux. Elle fut rapidement remise en liberté, sans doute faute de preuve suffisante de sa culpabilité. Marie-Anne Poulain survécut encore à son second mari, et épousa en troisièmes noces messire Julien de Vauborel, marquis de Digoville, dont elle n’eut pas d’enfant. Elle avait eu un fils de son premier mariage avec Jean Magnon, qui lui-même laissa un fils, et un petit fils : François-Philibert Magnon, dont on pourra lire ses appréciations sur l’œuvre littéraire de son aïeul.6
Gabriel Jeanton fait remarquer à juste titre que « par une singulière ironie du sort, Magnon avait, quelques années avant sa fin dramatique, retracé dans une de ses tragédies l’histoire de sa propre vie. Jeanne Ire, reine de Naples, avait également fait assassiner son premier mari, André de Hongrie, par son amant, Louis de Tarente, qu’elle épousa peu après. Sans jouir de son crime, elle perdit bientôt ce dernier, pour se marier en troisièmes noces à Jacques III de Majorque. L’époque où Magnon écrivit cette tragédie (1650), était justement celle de son mariage, époque à laquelle il devait contracter l’union que la fatalité lui avait réservée. »
Les sources §
Postérité et influences §
On ne peut pas prétendre que la tragédie de Magnon est directement liée à la création de pièces postérieures traitant d’un sujet similaire. Il faut tout d’abord éviter l’écueil consistant à rapprocher notre pièce du Bajazet qu’écrira Racine en 1672. En effet, le Bajazet dont traite Racine n’a rien à voir avec celui de Magnon : Racine abandonna pour la première fois les sujets antiques, pour mettre en scène un fait contemporain, survenu en 1637, et que le comte de Cézy, ambassadeur à Constantinople, lui avait raconté à son retour en France. « Quelques lecteurs pourront s’étonner qu’on ait osé mettre sur la scène une histoire si récente (…) l’éloignement des pays répare en quelque sorte la proximité des temps », dira Racine dans sa seconde préface. Son Bajazet, qui se déroule au sein du sérail du sultan Amurat, et qui traite de l’amour de Bajazet et d’Atalide, ruiné par la brutalité de la passion amoureuse de Roxane, ne doit donc en aucun cas être comparé à la pièce de Magnon.
Malgré tout, il est probable que l’œuvre de Magnon inspira –même dans une faible mesure– celle de Pradon, qui fut représentée vingt-sept ans plus tard, en 1675. Intitulée Tamerlan, ou la mort de Bajazet, cette tragédie eut « de grands applaudissements dans le temps qu’elle parut pour la première fois : & on disoit, l’Heureux Tamerlan du malheureux Pradon. », comme le rapportent les frères Parfaict. Nous y joignons le résumé qu’ils en font :
Quoique ce sujet eut été présenté au théâtre par M. Magnon, sous le titre du Grand Tamerlan, ou la mort de Bajazet7, on peut néanmoins le regarder comme neuf, par la manière dont M. Pradon l’a traité. Tamerlan victorieux, & prêt d’épouser Araxide, héritière de la Couronne de Trebizonde, devient épris des charmes d’Astérie, fille de Bajazet. La violence de sa passion lui fait étouffer tout ressentiment, il offre à ce Prince, son Captif, la liberté, & son amitié, s’il veut consentir à son Hymen avec sa fille, & charge Andronic, Prince Grec, réfugié à la Cour, de lui faire cette proposition, tandis qu’il se réserve le plaisir de l’annoncer à la Princesse qu’il aime, & pour empêcher Araxide de se plaindre, Tamerlan lui destine pour époux ce même Andronic qu’il vient de nommer Empereur de Grece. En formant ces projets, Tamerlan s’est flatté de pouvoir vaincre la haine de Bajazet, & il ignore la passion mutuelle d’Astérie, & du Prince de Grece, qui forme le nœud de la Tragédie. Bajazet, toujours inflexible, refuse fièrement l’alliance de son ennemi & fait un effort pour recouvrer la liberté, ou périr. Le sort le trahit & le rejette dans les fers. Heureusement, l’espérance de toucher le cœur d’Astérie, retient la colere de Tamerlan. Il ne fait usage que de la clémence. Bajazet en ressent les effets jusqu’au moment qu’il prend la terrible résolution de terminer par le poison une vie importune. Au reste Tamerlan est si doux, qu’après qu’il a reconnu l’intelligence d’Andronic & d’Astérie, il se laisse braver, & s’en tient à de foibles menaces ; mais comme il est en train de pardonner, il leur fait grace, & déclare à Andronic que ne prétendant plus à la main d’Astérie, il va recevoir celle de la Princesse de Trebizonde.
La source historique §
La source la plus certaine à la lecture du Grand Tamerlan et Bajazet est de toute évidence la source historique. Nul doute que Magnon ait exploité la vie de deux personnages qui ont réellement existé, à peine deux siècles et demi avant lui. Rappelons-nous qui furent ces deux grandes figures des conquêtes orientales.
Le personnage de Tamerlan est aujourd’hui devenu légendaire, sa réalité étant d’autant plus lointaine au fur et à mesure du temps. Timour (l’homme de fer), surnommé plus tard Lenk (le boiteux), d’où la déformation occidentale, Tamerlan, est né en 1336 d’une famille turque que certains ont prétendu faire descendre de Gengis-khan8. (en réalité, il n’a été associé au Gengiskhanides que par son mariage avec la fille du dernier khan de Djaghataï)
Tamerlan a conduit dans toutes les directions d’incessantes expéditions. À l’est, il s’empare du Turkestan oriental, de la Haute Asie, de l’Afghanistan et de la Perse. À l’ouest, l’Irak, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Arménie, l’Anatolie orientale et la Syrie ne furent pas à l’abri de ses attaques. S’il est considéré comme le plus grand conquérant de son temps, c’est que son pouvoir est fondé sur la puissance militaire, la terreur (des centaines de milliers de victimes) et un système juridico religieux féroce : musulman pratiquant, Tamerlan s’est montré d’une cruauté9 sans égale envers ses adversaires, au nom de l’orthodoxie : la sienne.
Sa dernière expédition eut lieu en Asie mineure, contre le sultan ottoman Bayézid Ir10, fils de Murad Ir, et surnommé Yildirim, autrement dit, la Foudre. Selon les sources de l’époque11, Bajazet, en montant sur le trône, « fit étrangler son frère Soliman, & fit hacher en pièces les enfants du duc de Servie. (…) Ce Prince est distingué entre les Empereurs Turcs par sa cruauté barbare, qui lui fit mettre à feu & à sang toutes les Provinces par où il passa, tant Chrétiennes que Mahométanes. » Quoi qu’il en soit, Bajazet annexa tous les émirats turcs d’Anatolie occidentale et centrale, à l’exception de celui de Karaman, et entrepris le siège de Constantinople. Les progrès des Turcs ayant amené ceux-ci aux frontières de la Hongrie, Français, Anglais, Allemands et Italiens se joignent aux Hongrois pour attaquer les Turcs et les chasser d’Europe. Mais le 25 septembre 1396, à Nicopolis, les croisés sont écrasés : la réputation de force quasi-invincible des Turcs est née ; même si elle devait être infirmée peu après.
Bajazet occupait alors les territoires de l’Anatolie nord orientale, mais Tamerlan, maître de l’Asie centrale, ayant mis sous contrôle l’Iran et l’Irak, menace le sultan turc. En 1402, l’affrontement a lieu. C’est le 20 juillet, à Ankara, que Bajazet est vaincu par Tamerlan.
Il est fait prisonnier ainsi que l’un de ses fils : Magnon puise ici le sujet de sa tragédie. Tamerlan reconstitue les émirats que Bajazet avait annexés : l’Etat ottoman perd ainsi toutes ses conquêtes en Anatolie, et les fils du sultan disputant son héritage, dix ans de guerre intestine s’en suivirent.
La légende raconte que Bajazet, humilié, s’écrasa la tête contre les barreaux de la cage de fer où Tamerlan l’aurait enfermé, ne le laissant sortir que pour s’en servir de marchepied quand il montait à cheval. Jean-Paul Roux12 nous apprend qu’en réalité, Bayazid était emmené dans une sorte de litière grillagée et portée par deux chevaux, ce qui a donné naissance à cette légende, sans cesse enrichie de détails au cours des siècles. Il ajoute que « désespéré d’avoir tout perdu, son empire, son armée, ses richesses, sa gloire, sa liberté, sa famille, Bayazid mourut à Akchehir d’une embolie, le 9 mars 1403. Tamerlan fit alors montre de cette grandeur souveraine qui ne l’abandonnait jamais, même dans ses pires excès : il fit conduire le corps du malheureux dans la capitale asiatique de ce qui avait été son empire, Brousse, et le fit enterrer en sultan ottoman. Il repose dans un mausolée de la nécropole de Muradiye. »
Tamerlan meurt à Otrar sur le Syr-Daria le 19 janvier 1405, mais s’il laisse son nom dans l’histoire, son œuvre disparaît avec lui, n’ayant su faire ni l’unité politique, ni l’unité des hommes au sein de son Empire.
Bien que la source historique soit évidente concernant notre pièce, nous devons néanmoins songer que c’est certainement pour donner à sa tragédie de la noblesse et de la grandeur que Magnon voulut l’appuyer sur l’histoire. « Il fallait que le sujet lui fût donné, qu’il ne fût pas invention pure et fantaisie. C’est par là que la tragédie se situe au dessus du romanesque et de sa gratuité13. » Magnon s’est largement éloigné de la réalité historique dans son Grand Tamerlan et Bajazet. Souvenons-nous néanmoins des paroles de l’abbé d’Aubignac, qui avait averti les auteurs dramatiques de ne pas s’attacher servilement au temps ni à la vérité historique. Il leur avait rappelé qu’ils n’étaient pas des « chronologues ». Et si nous avons peine à reconnaître des tragédies d’histoire dans ces œuvres où la vérité historique, au sens moderne du mot, est traitée de façon si cavalière, c’est qu’au XVIIe siècle, précise A. Adam,
l’histoire était toute politique et morale : elle étudiait les intrigues des cours, les ambitions des conquérants, les troubles des Etats ; et toujours avec l’intention d’en tirer des conclusions de portée générale et actuelle.
Les sources littéraires §
Depuis la Renaissance, l’intérêt pour l’histoire perse et le côté exotique qu’elle suggère va croissant. Les sujets empruntés à l’histoire des sultans sont de tradition, et les exemples ne manquent pas : en 1561, Gabriel Bounyn avait montré, dans La Soltane, Mustapha étranglé sur l’ordre de son père, et Mairet créa Le Grand et Dernier Solyman en 1639, six ou sept ans avant la représentation de l’Osman de Tristan. On pourrait également citer la Roxelane de Desmares en 1643, ou l’Ibrahim de Scudéry la même année.
Magnon ne fut pas le premier à s’intéresser à l’histoire de Tamerlan, qui exerça tout particulièrement une véritable fascination sur ces écrivains de la Renaissance, par sa férocité et par le faste oriental dont il s’entoura.
Un siècle avant Magnon, le poète anglais Christopher Marlowe (1564-1593), composa en vers libres en 1587-1588 Tamburlaine the Great. Dans cette pièce, Tamerlan, chef d’une bande de pillards, et décidé à s’emparer du pouvoir, inflige une défaite au roi de Perse, et conquiert royaumes sur royaumes. Disposant à son gré des monarques vaincus, il fait tirer son carrosse par quatre rois déchus et laisse mourir dans une cage, Bajazet, le sultan de Turquie, et sa femme. La ravissante Zénocrate, fille du Sultan d’Egypte, trouve seule grâce à ses yeux et parvient ainsi à sauver la vie de son père. Beaucoup virent en Tamerlan l’incarnation de la volonté de puissance exprimée dans Le Prince de Machiavel. Quoi qu’il en soit, il est presque certain que Magnon n’eut jamais connaissance de cette œuvre, les rapports littéraires entre la Grande-Bretagne et la France au XVIIe siècle étant quasi inexistants. Néanmoins il est intéressant de voir que déjà un siècle auparavant, Outre-manche, Tamerlan suscitait la curiosité.
Les sources littéraires qui influencèrent l’écriture de notre tragédie ne sont pas clairement identifiables. C’est le Porus de l’abbé Boyer qui doit retenir toute notre attention. Porus ou la générosité d’Alexandre, dont l’achevé d’imprimer est du 28è février 48, présente en effet une grande similitude d’intrigue avec notre Tamerlan, même si l’onomastique entre les deux pièces ne révèle pas de ressemblance.
L’action est la suivante : Argire, femme de Porus, ainsi que ses filles, Oraxène et Clairance, sont prisonnières d’Alexandre. Perdicas, Prince de Macédoine, et Clairance s’aiment. Or Porus, qui s’est imaginé qu’Alexandre est amoureux d’Argire et qu’elle cède à ses avances, se présente à Alexandre sous le nom de son ambassadeur pour offrir une rançon en échange de son épouse. Ce faux ambassadeur est reconnu pour Porus, mais Alexandre le fait conduire dans son camp, sans profiter de son avantage. Une bataille a lieu, et Porus, blessé, est fait prisonnier. C’est là qu’Alexandre se montre magnanime : il rend à Porus sa femme, ses filles et ses états. Perdicas épouse Clairance, et Aracide, Prince des Indes, Oraxène. Les frères Parfaicts ne voient « nulle beauté dans cette tragédie : il semble que l’auteur en ait choisi le sujet que pour en dégrader les personnages ; aucun ne ressemble à l’idée que les historiens nous en ont laissé ». Quelle qu’en soit la critique, force est de constater la similitude, du moins dans les deux premiers tiers de la tragédie, entre Alexandre et Tamerlan, Porus et Bajazet, Clairance et Roxalie, Argire et Orcazie. De plus, nombreux sont les passages présentant de troublantes ressemblances avec notre pièce. Alexandre montre tout au long du Porus de l’abbé Boyer une grande détermination :
Il est temps qu’en ces lieux j’acheve ma conqueste ;Et que j’y fasse choir la derniere tempeste.14
tandis que Perdiccas-Thémir est désespéré à l’idée de combattre le père de Clairance-Roxalie :
Que je combatte encor le pere de Cairance !Ah ! mon amour s’oppose à cette obeissance ;Et malgré ses rigueurs, & malgré mon devoirElle prend sur mon cœur un absolu pouvoir. (…)Alexandre & Clairance y regnent à leur tour ;Et quand je n’y voudrois recevoir que l’amour,Un jaloux desespoir avec elle y preside.15
Porus-Bajazet, de son côté, se plaint de la complaisance de sa femme-Orcazie envers son ravisseur :
Quoy verray-je grands Dieux cet objet de ma hayne !Sçachant sa perfidie, & voyant que son cœurAu milieu de ses fers adore ce vainqueur. (…)Argire est éblouye, Argire s’est offerteA ce cruel fleau de tous les Potentats,De qui l’ambition devore mes estats. (…)Elle ne m’escrit plus que ses fers sont pesans,Et ne m’entretient plus que de riches presens,Que du bon traitement que luy fait Alexandre.16
Malgré ces quelques points communs, le problème de savoir quelle est la pièce qui a pu influencer l’autre demeure, quant à moi, irrésolu. En effet, si l’achevé d’imprimer du Porus est du 28 février et celui du Grand Tamerlan et Bajazet du 28 mars, nous ne pouvons absolument pas conclure que le Porus fut joué avant le Grand Tamerlan, n’ayant pas la date de représentation de notre pièce. Le mystère reste entier.
Résumé §
Orcazie, épouse de Bajazet, et Roxalie, fille de ce dernier, sont prisonnières de Tamerlan. Roxalie et Thémir, fils de Tamerlan, se vouent une mutuelle passion, tandis que Tamerlan refuse de se séparer d’Orcazie qu’il aime.
En se faisant passer pour son propre ambassadeur, Bajazet vient proposer la paix à Tamerlan, et demande la liberté de sa femme et de sa fille. Tamerlan refuse son offre et une bataille décisive se donne, pendant laquelle Thémir est fait prisonnier. Roxalie et Thémir, tous deux déguisés, tentent alors de se délivrer : Roxalie en implorant son père, et Thémir pensant que, pour obtenir sa liberté, son père les relâcherait. Mais leurs projets échouent. Selim, grand Vizir de Bajazet, trahit ce dernier en le livrant à Tamerlan, et demande, pour prix de sa trahison, Roxalie. Tamerlan lui accorde Roxalie qui prend part à un soulèvement de troupes contre le tartare, pendant lequel Selim la tue, désespérant de pouvoir conquérir son cœur.
Thémir en éprouve un tel chagrin qu’il se suicide. Tamerlan décide alors de condamner Selim, et charge Bajazet du choix de son supplice. Contre toute attente, alors qu’il voulait humilier Bajazet en lui laissant la vie, Tamerlan permet au sultan de se tuer en lui faisant parvenir un poignard. Bajazet l’offre à sa femme qui s’exécute, bientôt suivie de son mari.
Quand Tamerlan survient, Bajazet se meurt, et le conquérant tartare s’apprête à l’imiter.
Synopsis de la pièce §
La pièce commence in medias res. L’action débute alors que des combats entre Tamerlan, conquérant tartare et Bajazet, sultan turc, ont déjà eu lieu. La didascalie initiale précise que « la scene est dans la Galatie17 en la tente de Tamerlan ».
Acte I §
- Scène 1 : Roxalie raconte à sa confidente Dorize la naissance de son indomptable passion pour Thémir, le fils de l’ennemi de son père. Dorize s’inquiète des conséquences de cet imprudent amour.
- Scène 2 : Roxalie demande à Thémir de proposer ses services à Bajazet, par amour pour elle. Dilemme de Thémir.
- Scène 3 : Indarthize demande à son fils Thémir de l’aider à libérer Orcazie et Roxalie, prisonnières de Tamerlan. Thémir se résoud à l’aider, contre son père, et prévoit de se constituer prisonnier de Bajazet.
- Scène 4 : Tamerlan survient, inquiet de ces discussions. Indarthize, appuyée par Thémir, implore Tamerlan de rendre la liberté aux captives. Tamerlan s’indigne de leur alliance contre lui. Préparation du combat.
Acte II §
- Scène 1 : Accompagné de Selim, Bajazet, déguisé, se fait passer pour son propre ambassadeur. Il confie à son Vizir son désespoir de voir Tamerlan conquérir toutes ses provinces et sa jalousie face à l’intérêt que le Tartare porte à sa femme.
- Scène 2 : Zilim survient pour annoncer la venue du Grand Tamerlan. Humiliation de Bajazet.
- Scène 3 : Bajazet (casqué) offre à Tamerlan le tiers de son empire en échange de sa femme. Tamerlan refuse mais lui accorde le droit de s’entretenir avec Orcazie. (On apprend que Bajazet a commis un fratricide par la main de Selim avant de monter sur le trône.)
- Scène 4 : Tamerlan annonce à Orcazie la venue d’un ambassadeur de son mari. Elle reconnaît être traitée en reine, mais déplore sa captivité.
- Scène 5 : Bajazet reproche à Orcazie sa complaisance envers Tamerlan et laisse éclater sa jalousie. Orcazie lui apprend l’amour que se porte Thémir et Roxalie. Fureur de Bajazet.
- Scène 6 : Zilim intime à Bajazet l’ordre de s’arrêter. Il a été reconnu par son armée, mais Tamerlan lui laisse la liberté.
Acte III §
- Scène 1 : Mansor rapporte à Tamerlan le combat de son armée contre celle de Bajazet. Son fils Thémir a été fait prisonnier.
- Scène 2 : Monologue de Tamerlan qui délibère : doit-il être avant tout père ou amant ?
- Scène 3 : Indarthize demande à Tamerlan de libérer Orcazie et sa fille en échange de Thémir, leur fils. Tamerlan ne peut se résoudre à libérer celle qu’il aime.
- Scène 4 : Tamerlan propose à Orcazie la restitution de l’empire de Bajazet contre Thémir, avant de lui avouer son amour. Orcazie en est horrifiée.
- Scène 5 : Roxalie annonce à Tamerlan qu’elle projette de se déguiser pour aller libérer Thémir.
- Scène 6 : Tamerlan supplie Orcazie d’accepter son amour.
- Scène 7 : De son côté, Thémir a conçu le même projet que Roxalie : casqué, il vient demander à Tamerlan la liberté des deux femmes prisonnières, mais Tamerlan n’accorde que la fille. Préparation du combat.
Acte IV §
- Scène 1 : Indarthize promet à Orcazie de l’aider à s’enfuir.
- Scène 2 : Roxalie relate à Indarthize son entrevue avec Selim, Thémir et Bajazet : ce dernier accepte enfin l’amour des deux jeunes gens. Selim se révèle perfide en dissuadant le sultan de libérer Thémir. Récit de la bataille.
- Scène 3 : Thémir conjure les trois femmes de le suivre pour se sauver. Il veut assurer leur fuite grâce aux chevaux que Bajazet lui a confiés.
- Scène 4 : Un soldat de Bajazet annonce à Thémir qu’il est perdu : Tamerlan est vainqueur.
- Scène 5 : Tamerlan entre dans une colère noire en apprenant que Thémir l’a trahi.
- Scène 6 : Tamerlan reproche à son fils sa félonie et confie au remords le soin de le punir.
- Scène 7 : Selim trahit Bajazet en le livrant à Tamerlan.
- Scène 8 : Tamerlan veut humilier Bajazet en l’exposant à la honte de son armée. Il décide de prolonger ses peines en lui laissant la vie. Le conquérant tartare veut récompenser Selim et lui donne, selon son désir, Roxalie, à la fureur de Thémir.
Acte V §
- Scène 1 : Bajazet déplore son triste sort et n’attend que la mort pour abréger ses souffrances.
- Scène 2 : Selim ne jouit pas longtemps de sa perfidie, car Tamerlan le remet au jugement de Bajazet. Selim rappelle au sultan son passé trouble: comment il commit des crimes sous son ordre, tandis que le souverain turc lui faisait miroiter la main de fille. Il annonce à Bajazet qu’il a tué Roxalie pour ne pas la laisser aux mains de Tamerlan. Bajazet horrifié le renvoie à Tamerlan.
- Scène 3 : Zilim remet un poignard à Bajazet, qui se réjouit du revirement de Tamerlan qui lui permet de mourir.
- Scène 4 : Monologue de Bajazet, inquiet pour Orcazie.
- Scène 5 : Orcazie relate les derniers faits à Bajazet : Selim a bel et bien tué Roxalie. Thémir s’est suicidé de douleur. Bjazet propose la mort à Orcazie qui se tue. Bajazet s’apprête à l’imiter.
- Scène 6 : Bajazet se tue devant Tamerlan, qui se prépare également à mourir.
Étude des personnages §
Avant d’étudier les personnages principaux de notre pièce, ayons soin de garder à l’esprit ces quelques mots d’Anne Ubersfeld, dans Lire le théâtre (I) :
(...) le personnage de théâtre ne se confond (…) pas avec le discours psychologisant ou psychanalysant que l’on peut construire sur lui : ce type de discours, si brillant qu’il soit, n’apparaît jamais très éclairant aux praticiens du théâtre. Et pour cause. Il risque d’avoir une fonction de masque, de dissimulation du véritable fonctionnement du personnage. (…) Il risque toujours de faire apparaître le personnage comme une « chose » (…), il risque donc de le figer, de le « transir », devenu objet et non plus lieu indéfiniment renouvelable d’une production de sens.
C’est parce que le personnage de théâtre ne peut – et ne doit – se confondre avec aucun discours que l’on puisse construire sur lui, que je tenterai simplement de dégager les traits principaux des types de caractères de nos personnages.
Tamerlan, conquérant tartare, est la figure même du tyran mené par sa libido dominandi. Sa passion pour le pouvoir et pour la jouissance des choses conquises fait de lui un être cruel à l’ambition démesurée ; et les terres qu’il ravage le rendent, croit-il, l’égal d’un dieu :
Je veux estre aujourd’huy le Monarque du monde,Et dans tout l’Univers faisant porter mes loix,Contraindre à me servir les peuples & les Rois.18
De toute évidence, il ne peut supporter qu’on lui résiste. Il entend être le maître absolu dans son royaume, et si possible, hors de son royaume. Cette volonté de pouvoir ne se limite d’ailleurs pas aux terres conquises, mais s’étend aux êtres humains. (Cf Orcazie). Il a une haute conscience de sa qualité de chef et tient à la faire respecter. Tamerlan est une des figures principales dont le dynamisme conquérant crée un ressort tragique particulier : celui de l’admiration. En effet l’admiration, conformément à son étymologie, est un sentiment d’étonnement exempt de dimension morale, provoqué par l’étrangeté aussi bien de l’inhumain que du surhumain. On est donc loin de l’effroi éprouvé devant le furioso traditionnel, mais on se retrouve face au Tamerlan de Magnon comme face à la Cléopâtre de la Rodogune de Corneille dont il disait dans son Discours du poème dramatique « qu’en même temps qu’on déteste ses actions, on admire la source dont elles partent. »
Mais cet homme que Magnon dépeint comme possédant tous les pouvoirs ou presque, éprouve paradoxalement les pires difficultés à se libérer d’un joug amoureux qui fait de lui un amant plus qu’un père :
Themir, que l’amitié me force à racheter,Avec quelle rançon te puis-je meriter ?S’il faut rendre Orcazie, en vain je delibere,Par ce prix infini ta personne est trop chere.19
ce qui le ramène à une certaine forme d’humanité. Sa galanterie20 envers Orcazie contraste d’ailleurs étrangement avec le traitement brutal qu’il réserve à son ennemi. Que penser dès lors de sa magnanimité finale ?
Bajazet est un monarque orgueilleux, maladroit, jaloux mais malgré tout autoritaire, assoiffé d’un pouvoir qui lui échappe de plus en plus. Il entretient des rapports à autrui essentiellement sur le mode du conflit : conflit politique avec Tamerlan, conflit amoureux avec sa femme, conflit familial avec sa fille et enfin conflit avec son vizir. Souverain déchu et impuissant, il souffre d’avoir été dépossédé de ses terres :
Tu m’as humilié, tyran, tu m’as vaincu !Et de quelques instans je n’ay que trop vescu :Voicy ce Bajazet qu’on a veu redoutable,Autresfois adoré, maintenant deplorable !21
et mêle confusément dans son affront avec Tamerlan la rivalité amoureuse et la rivalité politique. En outre, la manière dont son ennemi le décrit s’oppose étonnamment à l’image qu’il nous renvoie au cours de l’action. En effet, Tamerlan le dépeint comme un être terrifiant, à la cruauté sans égale, et révèle avec horreur son fratricide à la scène 3 de l’acte II :
L’Univers sçait son crime :A peine eust-il monté sur le thrône Othoman,Qu’il se fist immoler son aisné Solyman ;C’est un traistre, un tyran, un monstre, un parricide,Du sang de ses sujets incessamment avides ;22
tandis que le spectateur voit plutôt en Bajazet un personnage dont la sensibilité est à l’image de la pitié qu’il suscite : il lui arrive d’être touché par les contradictions qui déchirent les siens et de verser des larmes, ainsi que Roxalie le rapporte :
Il quitta des rigueurs qui n’estoient qu’estrangères,Et reprit des douceurs naturelles aux peres ;23 (…)Il me vint embrasser, & les larmes aux yeux,Il sembla se resoudre à d’eternels adieux :
Il avouera lui-même à la fin de la pièce ne pas pouvoir « venir à bout » de son « trépas », tant son inquiétude pour son épouse le ronge.
Difficile dès lors, de trouver une ressemblance avec son prototype historique.
Exigeante, intrépide et résolue, Roxalie est fille d’empereur mais amante de Thémir. Elle n’est pas la femme forte, intransigeante, qui subordonne son cœur à la cause politique car la passion l’entraîne jusqu’au travestissement. Elle bénéficie de l’appui de sa mère et de celui, tardif de son père, mais pas de celui de sa confidente Dorize qui n’est que le type même du personnage protatique selon Aristote : elle ne sert qu’à faire l’exposition (elle n’apparaît d’ailleurs que dans la seule première scène de l’acte I), mais son questionnement résonne néanmoins comme le glas de la fatalité à venir :
Avez-vous bien prévu la fin de ces amours ? 24
Thémir est l’image du fils condamné à l’impuissance par son incapacité à choisir entre deux contraires. Son courage et sa valeur mêlés (même s’il s’agit d’un échec) nous sont relatés par Mansor dont c’est l’unique apparition dans l’œuvre, ainsi que nous le montre le tableau de la présence scénique des personnages25. Finalement, son caractère princier qui aurait dû lui faire respecter pleinement le devoir filial, est celui-là même qui le pousse à se tuer sur le corps de Roxalie. Il n’y a pas de demi-teinte dans sa passion amoureuse. Il est au centre d’une situation très forte, celle de la condamnation d’un enfant par son père.
Aristote définit le héros tragique comme « un homme qui, sans être incomparablement vertueux et juste, se retrouve dans le malheur non à cause de ses vices ou de sa méchanceté, mais à cause de quelque erreur ». D’après cette conception, Thémir serait-il le véritable héros de la pièce si l’on considère que Bajazet a usurpé un pouvoir qui revenait légitimement à son frère en commettant un fratricide (ce qui est un crime grave) et que Tamerlan est assoiffé de pouvoir au point de vouloir conquérir une femme mariée qui ne l’aime pas ? Thémir, sans être vertueux, aime une femme sur laquelle il n’aurait jamais dû poser les yeux : la fille de l’ennemi de son père. Le couple qu’il forme avec Roxalie est conventionnel même si, contrairement à Curiace, il poursuit son erreur, choisissant son camp contre son père.
Selim est le prototype du traître, l’ancien amant inattendu. Il est celui qui donne un tour nouveau à la pièce et permet le retournement de situation. Insidieux, Selim est l’amoureux éconduit qui se vengera du statut d’usurpateur qu’occupe Bajazet, en le trahissant et en ôtant la vie à sa fille. Non content de trahir, il s’offre à l’ennemi et propose ses services à Tamerlan qui feindra d’accepter pour mieux le punir.
Les deux épouses ont un rôle limité. Si Orcazie est, au début de la pièce, tiraillée entre le respect qu’elle doit à son ravisseur et son désir de liberté, elle se rend vite compte que les intentions de Tamerlan sont loin d’être vertueuses. Elle montre une admirable retenue en refusant de se justifier face à son mari jaloux. Comme Junie, dans Scévole, elle n’hésite pas à prier Tamerlan de faire montre de générosité26, alors qu’elle n’a pas l’intention de céder à ses avances. Malgré ses sursauts d’énergie, Indarthize est essentiellement passive et aucune de ses interventions ne fera avancer l’action. Son rôle dans la pièce reste très superficiel.
Une tragédie classique ? §
Facture de l’œuvre §
Construction de la tragédie §
La tragédie parfaite, écrit Corneille dans son Discours de la tragédie en 1660, doit susciter pitié et crainte en faisant intervenir la « proximité du sang et les liaisons d’amour ou d’amitié entre le persécutant et le persécuté, le poursuivant et le poursuivi, celui qui fait souffrir et celui qui souffre. »
Magnon n’agit pas autrement en mettant en scène des personnages déchirés entre les liens qui les unissent et leurs ambitions. Quel est en effet le sujet de notre tragédie sinon celui de l’amour (tant filial qu’amoureux) sacrifié par la rivalité viscérale de deux hommes, comme nous l’apprend le dénouement ?
L’action est construite de telle sorte que tout repose sur « une situation reconnue d’emblée comme irrémédiablement sans issue et donc radicalement désespérée27 ». Le lecteur et le spectateur savent par exemple dès le départ que l’amour des jeunes amants est sans espoir, et que les querelles des deux ennemis ne se résoudront pas sans évènement sanglant. Magnon insère dans l’intrigue des épisodes et des péripéties que le dénouement contient en germe : la jalousie de Bajazet, le combat des deux armées, la traîtrise de Selim…qui ne sont là que pour alimenter le ressort tragique et la dimension pathétique qui lui est inhérente.
Tout est construit à partir d’un dénouement « programmé ». Le triste empire sur lequel est condamné à régner Tamerlan n’est plus que celui des morts qu’il a provoquées : cruelle ironie pour ce despote mal éclairé.
L’exposition §
Selon l’auteur du manuscrit 559 des Nouvelles Acquisitions du Fonds Français de la Bibliothèque Nationale, une exposition complète « doit instruire le spectateur du sujet et de ses principales circonstances, du lieu de la scène et même de l’heure où commence l’action, du nom, de l’état, du caractère et des intérêts de tous les principaux personnages ». Où s’arrête donc l’exposition dans notre pièce ? Jacques Scherer mentionne à juste titre que la plupart du temps, « il est délicat de définir les limites exactes de l’exposition ». Comme dans beaucoup de pièces classiques, l’exposition du Grand Tamerlan et Bajazet est presque entièrement condensée dans la première scène de l’acte I. Cette scène entre Roxalie et sa confidente Dorize (ce type d’entrevue constitue un topos dans la littérature théâtrale classique), permet à la jeune héroïne d’exposer assez précisément l’intrigue, en dévoilant les liens qui unissent les personnages. Les soixante-six vers de cette scène suffisent en effet à camper le point de départ de l’action : Roxalie et Thémir s’aiment, tandis que leurs pères sont ennemis et que Roxalie est détenue prisonnière. Quelques informations majeures sont néanmoins distillées dans le reste de la pièce, et peuvent nous laisser suggérer que l’exposition se prolonge au-delà de la première scène : c’est à la scène 3 de l’acte I que l’on apprend que la mère de Roxalie, Orcazie, est elle aussi prisonnière, et qu’elle est aimée de son ravisseur. Enfin, c’est seulement à la scène 5 de l’acte IV qu’on découvre l’amour que Selim porte depuis toujours à Roxalie. Cette information ne doit pas, selon nous, être considérée seulement comme une révélation qui permet à l’action de rebondir (l’amour de Selim justifiant le meurtre de la femme qu’il aime et qu’il ne peut se résoudre à laisser à un autre), mais plutôt comme une information à part entière, expliquant la globalité de ses actes, et devant normalement, à ce titre, figurer dans l’exposition.
Le nœud : obstacles et péripéties §
L’obstacle à l’amour des deux jeunes gens est annoncé dès le début : leurs familles sont ennemies, et cette haine constitue un obstacle extérieur évident. L’amour seul ne suffit pas à constituer un drame : le conflit devient vraiment dramatique dès lors que Thémir doit faire face à deux exigences inconciliables : l’honneur et l’amour. Doit-il satisfaire Roxalie en combattant contre son propre père, ou doit-il suivre ce que lui dicte son devoir ? À ce conflit dramatique s’ajoute celui de Tamerlan, moindre. Pour libérer son fils prisonnier après le combat, il doit rendre Orcazie. Le tyran ne balance pas longtemps : « par ce prix infiny ta personne [Thémir] est trop chere28 ».
Différents stratagèmes vont être élaborés pour dénouer ces situations bloquées : Bajazet se déguise pour tenter d’obtenir la libération de sa femme, Thémir et Roxalie cherchent à de s’affranchir l’un l’autre par le même moyen… La trahison de Selim est l’élément qui va déclencher une brusque avancée dans l’action : Bajazet étant livré, Tamerlan tient toute sa famille sous sa coupe, et c’est le premier meurtre qui va entraîner tous les autres, permettant le dénouement final : Roxalie morte, Thémir se tue de désespoir. Bajazet et son épouse, ayant perdu leur fille, leur liberté et leurs terres, choisissent enfin de perdre la vie. Selim est condamné et Tamerlan, devant un tel massacre, ne peut que se résoudre à la mort.
Le dénouement §
Si l’annonce de la victoire de Tamerlan se fait à la scène 4 de l’acte IV, le sort des personnages n’est fixé définitivement qu’à la fin de l’acte V. À la scène 2 on apprend la mort de Roxalie par Selim, et les deux dernières scènes de l’acte V relatent les morts ou les mettent en scène : récit de la mort de Roxalie et de celle de Thémir (V, 5), mort d’Orcazie (V, 5), suivie de la mort particulièrement violente de Bajazet (V, 6) : c’est sur la scène elle-même que le personnage se donne la mort, tout comme son épouse auparavant. La mort de Tamerlan est annoncée par le dernier vers de la tragédie : « qu’on les porte au cercueil, & qu’on m’y meine aussi ». Seul le sort du traître Selim reste en suspens : bien que sa condamnation soit évidente, l’auteur a négligé d’en donner la substance, ce qui peut laisser un lecteur pointilleux quelque peu frustré.
Les thèmes §
Notre pièce exploite plusieurs thèmes classiques, que l’on retrouve dans nombre de tragédies de la période. La tragédie a toujours eu pour but de présenter le tableau des méfaits et des revers auxquels expose la condition des Grands, mais sous le règne personnel de Louis XIV, elle ne souligne pas seulement les risques de démesure que comporte l’exercice de la royauté : elle révèle aussi que le pouvoir est souvent dominé par le désir de puissance, et qu’il peut devenir une véritable passion.
L’attitude de Tamerlan est particulièrement révélatrice de cette libido dominandi qui peut envahir tout souverain. Il se veut maître de l’univers, ainsi que nous l’avons vu dans l’étude des personnages. Ses propos le prouvent clairement :
Je veux estre aujourd’huy le Monarque du monde
À sa passion pour le pouvoir se mêle la passion amoureuse, et toutes deux sont des manifestations différentes de sa tyrannie. Non content de ravager les terres et les peuples sur son passage, il cherche à user de son pouvoir sur Orcazie, pour tenter de la faire céder à ses avances : il fait preuve ici d’une tyrannie des plus élémentaires, celle qui consiste à mettre son autorité au service de ses caprices amoureux. Truchet définit d’ailleurs l’amour tyrannique comme celui
qui ne respecte ni l’ordre établi ni la liberté des personnes. Il ne s’embarrasse d’aucun scrupule. (…) Dans l’univers tragique, l’amour apparaît comme une passion qui ne connaît de lois que les siennes propres.
C’est bien ce que nous révèle notre tragédie.
« La violence au sein des alliances » (Aristote) se manifeste aussi dans le conflit qui oppose Roxalie et Thémir, et qui amène Thémir à combattre son père. Le thème des amants ennemis est issu de la tragi-comédie, et ne donne pas toujours lieu à un conflit véritable, nous rappelle Bénédicte Louvat dans sa Poétique de la tragédie classique. « Le schème des amants ennemis n’est véritablement tragique que lorsqu’il est dissocié du thème de la conquête et qu’il s’inscrit dans une situation de crise.29 » C’est le cas dans notre tragédie car nos deux ennemis deviennent amants en dépit d’un interdit. L’amour est donc bien cruellement représenté dans notre tragédie, car il n’y a jamais d’amour heureux : l’amour conjugal et partagé est exposé aux pires malheurs (Bajazet et Orcazie), les jeunes amants (Thémir et Roxalie) ne se retrouvent que dans la mort, Tamerlan, de son côté, est condamné à essuyer les refus d’Orcazie, fidèle. Enfin, l’ancien amant repoussé, Selim, sera conduit à la vengeance, et même s’il n’est pas le personnage central de la pièce, son comportement peut nous rappeler celui des héros sénéquiens : il passe par la « dolor », la souffrance intense, celle d’avoir été rejeté, puis la « furor » (différent de l’insania), l’aveuglement général de son esprit, avant de commettre son crime (nefas).
Selim accomplit sa vengeance, et Tamerlan, avant sa clémence finale, cherche lui aussi à faire souffrir, tant Bajazet que son fils qui l’a trahi. On peut penser à la dernière pièce de Robert Garnier, Les Juives, (1583) qui est l’histoire de la vengeance exercée par le roi Nabuchodonosor, à l’encontre du dernier roi de Juda, Sédécie, qu’il a mis sur le trône et qui l’a trahi.
Après avoir vaincu Sédécie, le cruel roi médite et savoure longuement son projet de vengeance :
Ils mourront, ils mourront, et s’il en reste aucunQue je veuille exempter du supplice communCe sera pour son mal, je ne laisserai vivreQue ceux que je voudrai plus aigrement poursuivreAfin qu’ils meurent vifs, et qu’ils vivent mourants,Une présente mort tous les jours endurants.30
Tamerlan ne s’exprime pas différemment lorsqu’il souhaite « prolonger les peines » de Bajazet en lui laissant la vie.
Il faut bien voir que les personnages de notre tragédie (comme dans la plupart des tragédies) se disent soumis à un implacable destin. Roxalie en fait l’expérience dès le début quand elle avoue à sa nourrice :
Et cette passion que le Ciel m’a donnée,Procede moins de moy, que de la destinée.Ce sont des coups du sort qu’on ne peut divertir,Quoy que l’ame y repugne, elle y doit consentir : 31
Les personnages ponctuent leurs répliques d’allusions à ce fatum, évoqué dès l’exposition. Roxalie espère en elle :
Pour peu que la Fortune assiste à mes desseins,32
tandis qu’Orcazie s’en plaint :
La Fortune a trop d’yeux, on ne la peut tromper,Elle m’auroit suivie aux deux bouts de la terre.33
Outre ce destin qui s’acharne, les personnages doivent faire face aux revers de la Fortune, dont Bajazet subit les lourdes conséquences :
Mais mon bonheur me quitte, il est las de me suivre,Et s’estant destaché d’avecque ma valeur,Ce lasche deserteur me livre à mon malheur. 34Voicy ce Bajazet qu’on a veu redoutable,Autresfois adoré, maintenant deplorable !Et qui de tous les traits que luy lance le sort,Quelques mortels qu’ils soient, ne reçoit point la mort : 35
Jacques Morel met en évidence la suprême ironie de ces tragédies :
les personnages ne parviendront pas, durant les délais très courts qui leur sont imposés, à se libérer du destin qui les entraîne. Prisonniers de leur incertitude, partagés entre l’aveuglement et la lucidité, ils ébaucheront des actions dont aucune, sauf la dernière, ne pourra aboutir36.
C’est bien le cas ici : les personnages n’agissent, en définitive, que pour leur perte.
La rhétorique §
Pour bien représenter tous ces thèmes dans notre tragédie, Magnon use d’une rhétorique classique très conventionnelle. On retrouve en effet dans notre œuvre les trois genres de discours distingués traditionnellement par cette rhétorique : le démonstratif, le délibératif et le judiciaire. Le passage d’une forme à l’autre est d’autant plus aisé que le dramaturge a conféré à ce récit du passé une coloration subjective, et donc une finalité proprement dramatique. L’étude du style nous amènerait à des circonvolutions complexes. Nous nous contenterons donc de donner quelques exemples de ces types de causes, sans approfondir outre mesure.
La scène 3 de l’acte II nous offre un bel exemple de style judiciaire :
TAMERLANL’Univers sçait son crime :A peine eust-il monté sur le thrône Othoman,Qu’il se fist immoler son aisné Solyman ;C’est un traistre, un tyran, un monstre, un parricide,Du sang de ses subjets incessamment avide ;C’est un voleur d’Estats, témoins les Turcomans,Il a dépossedé les Princes Caramans,Il a desherité les Seigneurs d’Amasie,Et presque déthrôné tous les Rois de l’Asie.Les Hongres & les Francs ont senty sa fureur,Jusqu’à Constantinople il porta la terreur ;Il mit dans l’Univers le flambeau de la guerre,Et comme un incendie il embrasa la terre ;Sa mort doit satisfaire aux peuples qu’il arma,Et son sang doit esteindre un feu qu’il alluma.
Cette tirade se présente sous la forme d’une condamnation sans appel. L’exorde se résume en un vers particulièrement lapidaire (v. 408), et la narration est immédiate. Celle-ci mêle argument ad hominem et jugements de valeur d’une sévérité impitoyable. La péroraison stigmatise en deux vers (v. 421-22) le sort du sultan Bajazet.
Nous ne donnons ici qu’un exemple de ce style judiciaire, mais le texte en fournit plus d’un.
La concurrence des deux fils de notre tragédie, à savoir le politique et le sentiment amoureux, nécessite la mise en œuvre du style délibératif : en effet, ces deux fils possèdent des instances de décisions distinctes et généralement opposées. Rien de plus adapté à la réflexion tragique que la délibération.
C’est ainsi que Tamerlan, à la scène 2 de l’acte III, s’exprime de la sorte :
Et bien qui doit regner, ou le pere, ou l’Amant ?J’entend partout des voix, à qui doy-je respondre ?Où faut-il incliner ? mon ame où vas-tu fondre ?Aymables ennemis qui divisez mon cœur,Apres un long combat, qui sera le vainqueur ?Soustenez mon honneur dedans vostre victoire,Et dans vos sentimens prenez soin de ma gloire :Themir, que l’amitié me force à racheter,Avec quelle rançon te puis-je meriter ?S’il faut rendre Orcazie, en vain je delibere,Par ce prix infiny ta personne est trop chere.
Ce monologue ne fonctionne pas tant comme une introspection, mais plutôt comme un dialogue entre le personnage et son double, qui reflète la contradiction interne du personnage. Le mode interrogatif (six interrogations en une dizaine de vers) contribue largement à intensifier le dilemme auquel Tamerlan est confronté. Le Tartare se rend bien vite compte de la vanité de sa réflexion, au vers 695 : sa décision était prise avant même qu’il ne s’interroge. Bien peu de dilemmes néanmoins se résolvent de la sorte, la plupart ne permettent d’ailleurs pas au personnage d’aboutir à une quelconque résolution.
C’est Bajazet que nous prendrons comme exemple pour représenter le style démonstratif. Le sultan, jaloux des faveurs que sa femme pourrait accorder au vainqueur, se plaint de la situation dont il se croit victime :
Mon ame que partage un divers mouvement,Tombe enfin malgré moy dans ce raisonnement :Ma femme est prisonniere ; & son vainqueur barbare,Peut-elle resister aux efforts d’un Tartare ?De cruels traittemens ont abattu son cœur,Une longue prison a flechy sa rigueur,Sa vertu dans les fers ne peut estre invincible,Moins pour luy qu’à ses maux elle devint sensible :Elle eut de la pitié pour ses propres douleurs,Et crut par ce secret adoucir ses malheurs.S’il est vray, sans rougir advoüez vostre crime,Trop de necessité le rendoit legitime ;Vostre Juge vous plaind, loin de vous condamner.
Bajazet accumule successivement dans cette réplique tout ce qui peut ajouter foi à sa crainte, et retrace lui-même le cheminement des pensées qui ont pu assaillir l’esprit de sa femme, et la livrer à la concupiscence de Tamerlan.
Douze ans plus tard, Corneille sera un des premiers à mettre en garde contre l’affadissement du genre par la galanterie. Dans son Discours du poème dramatique, il écrira :
La dignité de la tragédie demande quelque grand intérêt d’Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que sont l’ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d’une maîtresse.
Une tragédie irrégulière ? §
Les unités dans notre tragédie §
Dans l’univers tragique, la vie est conçue comme un rapport de forces permanent et les règles dramatiques, qui concentrent l’action en une journée dans l’espace symbolique de la puissance tyrannique (la tente de Tamerlan), accentuent l’atmosphère de violence de la pièce.
L’unité de lieu §
L’unité de lieu est parfaitement respectée, bien que la concentration de l’action en un seul lieu n’ait commencé à s’imposer que vers 1640. Magnon s’est adapté à cette contrainte en faisant que l’action, comme nous l’apprend la didascalie initiale, se déroule dans un lieu unique : « dans la Galatie, en la tente de Tamerlan ». Cette étroitesse de l’espace scénique contribue largement à un renforcement du drame. De fait, la promiscuité favorise le combat en tête à tête, l’affrontement par stichomythies, et permet un face à face propre au combat verbal entre les personnages. Bien sûr, nombreuses sont les actions qui ont lieu en dehors de la tente, mais celle-ci nous sont relatées par un narrateur (Mansor, Roxalie…), ce qui permet à l’action de se cantonner dans un seul espace : qu’il s’agisse des rencontres entre personnages, des aveux d’amour ou des suicides, tout a lieu dans le même univers de rencontres, celui de la tente de Tamerlan, où l’on commente les faits et où on les voit en action.
L’unité de temps §
L’unité de temps est profondément liée à l’unité d’action dans notre pièce. La règle des vingt-quatre heures imposée par les classiques nous est rappelée par Orcazie au vers 1458 : « Et combien d’accidents se suivent en un jour ! ». Si l’on étudie les évènements tels qu’ils se succèdent dans l’œuvre, on ne peut manquer de constater leur invraisemblable abondance : exposition, entrevue Roxalie/Thémir, Indarthize/Thémir, rencontre Bajazet déguisé/Tamerlan, puis Bajazet/Orcazie, bataille, récit du combat par Mansor, captivité de Thémir, chassé-croisé Roxalie/Thémir pour tenter leur libération, préparation d’un nouveau combat, récit de la victoire de Tamerlan et de la mort des jeunes amants, trahison de Selim avant sa propre capture, suicide précipité d’Orcazie, de Bajazet et de Tamerlan. Les conversations s’enchaînent à un rythme soutenu, mais malgré tout il est évident que la réalité ne pourrait supporter tant d’évènements en une durée aussi courte que vingt-quatre heures.
L’unité d’action §
Si l’on définit l’unité d’action, comme le faisaient les penseurs du XVIIe siècle, par l’unité de péril, on est loin de réunir les caractéristiques nécessaires à cette unité.
À l’intrigue principale d’ordre politique et amoureux, Magnon en ajoute une autre où il est question de l’amour impossible entre Roxalie et Thémir. Mais ces deux intrigues sont indissociables et complémentaires. Elles ne pourraient exister pleinement l’une sans l’autre. En effet, d’un côté, l’amour des deux jeunes gens est rendu impossible par la rivalité de leur père, de l’autre, la lutte de pouvoir n’a d’intérêt réel que dans la mesure où deux des prisonniers de guerre sont des amants. (Sinon, il ne s’agirait que de simples combats militaires sans enjeu dramatique autre que celui de savoir ce qu’il adviendrait du vaincu). C’est pour cette raison qu’il est délicat de parler de deux intrigues. On pourrait suggérer que l’action est unique (rivalité de deux hommes dont les enfants s’aiment), mais complexe (le ravisseur aime une des captives qui le repousse…). En effet, unité d’action ne signifie pas simplicité de l’action : les différents fils peuvent s’entremêler autour d’un nœud central, et nous suggérons que c’est le cas ici, même si l’action très mouvementée peut contribuer à nous induire en erreur.
Un rythme mouvementé §
Nous avons vu ci-dessus que les évènements s’enchaînaient les uns après les autres, sans qu’on puisse pour autant – et ce malgré les dires des personnages -, déceler les véritables mouvements de cause à effet. La nécessité n’apparaît pas de façon évidente. En effet, le résumé nous montre bien que les personnages n’agissent pas tous selon la constance que supposerait la typologie de leur caractère. Tamerlan, par exemple, choisit d’abréger les souffrances de Bajazet, contre toute attente. En tant que tyran, on aurait plutôt imaginé qu’il prolongerait les douleurs de son ennemi. De son côté, Selim affiche une volonté de vengeance que rien ne laissait prévoir. Même chose pour Indarthize : qu’est-ce qui la motive réellement à agir ? Nous restons perplexe face à ses motivations.
Quoi qu’il en soit, le rythme se ressent de l’action mouvementée, et fait que notre Grand Tamerlan et Bajazet n’est guère représentatif de la tragédie régulière. Les centres d’intérêt des personnages varient curieusement au cours de la progression de l’action. L’on a déjà vu que Selim s’affranchissait de l’autorité du sultan : loin de s’attacher à servir son maître, il s’emploie non seulement à le trahir, mais aussi à assassiner sa fille. Curieuse preuve de fidélité ! Quant à Bajazet, d’abord profondément hostile à l’amour que se portent les deux jeunes gens, et résolu à tout faire pour empêcher cette union, il finit étonnamment par s’attendrir devant de si doux sentiments.
Mais ce sont principalement les déguisements et les travestissements qui ponctuent le rythme de l’action, ainsi que nous le verrons dans ce qui suit.
Déguisements et travestissements §
Georges Forestier, dans son ouvrage sur l’Esthétique de l’identité dans le théâtre français, met l’accent sur le fait que l’usage des déguisements à finalité judiciaire est en quasi-totalité « antérieur (…) à 1650, et la majorité à 1640, c’est-à-dire à la naissance de la tragédie romanesque ». Il ajoute que « trois pièces seulement appartiennent au genre comique et deux au genre tragique » : Le Grand Tamerlan et Bajazet de Magnon, et La Mort de Manlie de Noguères (1656). « Il s’agit d’une finalité fondamentalement tragi-comique » conclut-il à juste titre.
L’utilisation du déguisement et du travestissement dans notre pièce apparaît donc dès le départ comme extraordinaire, car relevant d’une dynamique inattendue. Ces procédés sont, de fait, ordinairement réservés à la tragi-comédie et à ses influences baroques. Le masque de Janus n’en est-il pas le reflet ?
La nature des déguisements diffère selon les personnages qui en usent et selon les circonstances qui les poussent à s’en servir. Un point commun les unit : ce sont tous des déguisements ostensibles et conscients, de telle sorte que « tout interlocuteur d’un personnage masqué ou casqué sait que celui-ci lui cache son identité ; s’il est victime des conséquences de ce déguisement, il l’est en pleine connaissance de cause ».
Si on suit la chronologie de la pièce, Bajazet est le premier à se déguiser, à la scène 2 de l’acte II :
Suis-je bien Bajazet en cet abaissement ?Et n’ay-je point changé par ce déguisement ? (…)Je deviens, comme à tous, à moy-mesme incognu.Faut-il qu’en cet estat j’abaisse ma grandeur ?Que je sois devenu mon propre Ambassadeur ?
Si Bajazet nous apparaît affecté par son changement de condition, c’est parce que celui-ci le rend inférieur et le place dans une situation d’humilité forcée face à son interlocuteur Tamerlan : il renonce temporairement à son rang social grâce à ce procédé qui permet un faux face à face Ce qui est remarquable dans ce cas, c’est que, ainsi que nous le montre le tableau page 15, Bajazet, qui apparaît dans 13 des 31 scènes de la pièce, est déguisé dans six d’entre elles, et reconnu à la sixième. D’autre part, sur les quatre entrevues qu’il a avec Tamerlan, seulement deux se font sous son véritable jour, encore que la dernière soit celle de sa mort. Bajazet est donc un personnage qui paraît à cinquante pour cent sous le mode de la dissimulation. Le procédé donne souvent lieu à des échanges verbaux très vifs entre les deux protagonistes, et s’avère peu constructif.
C’est à la scène 5 de l’acte III que nous apprenons le projet de Roxalie, celui de libérer Thémir grâce à son travestissement. En choisissant de changer d’aspect physique, elle change à la fois de costume, de sexe et de condition.
Et quoy ! que tentez-vous dessous ce vestement ? (v. 813)C’est pour cette raison qu’on me voit déguisée. (v. 839)
Dans ce cas précis, le changement de condition (il s’agit d’un travestissement inférieur du second rôle de notre tragédie) ne constitue pas l’essentiel de la mise en place du déguisement de la jeune fille. Cette mise en place passe d’abord par le changement de sexe, qui vise à permettre à Roxalie de prendre la place de son amant au camp de son père.
Il est à noter qu’entre 1640 et 1649, l’utilisation du déguisement dans la tragi-comédie s’effondre. Georges Forestier remarque d’ailleurs que durant cette décennie, on ne compte que cinq héroïnes travesties, dont seulement deux dans la tragi-comédie et une dans la tragédie : il s’agit du Grand Tamerlan et Bajazet. Le travestissement de Roxalie revêt donc un caractère exceptionnel au regard des autres pièces de la même époque, surtout si l’on considère qu’il s’agit d’une tragédie.
Thémir est le troisième personnage à user du déguisement, en faisant irruption dans le camp ennemi à la troisième scène de l’acte IV. Son cas est encore différent des deux précédents car notre second rôle masculin se déguise, mais sans changer de condition.
Georges Forestier s’interroge à ce propos : « comment déguiser rois et princes des tragédies et des tragi-comédies sans leur faire changer de condition et sans les placer dans une condition inférieure ? ». Le moyen est simple : « Casqués, ils dissimulent leur identité en laissant planer l’incertitude sur leur rang ». De fait, grâce à ce déguisement ostensible, Thémir ne se retrouve nullement en situation d’infériorité, et peut tenter d’exécuter son projet : pour délivrer Orcazie et sa fille, Thémir a déjà fui dans le camp de Bajazet, pensant que, pour obtenir sa liberté, son père les relâcherait. C’est après cet échec qu’il tente de libérer les femmes avec les chevaux que Bajazet lui a confiés.
Le but de ces trois personnages est donc clair, mais l’utilisation de leur déguisement pour parvenir à leur fin l’est beaucoup moins. Chacun des trois « acteurs », comme l’on disait au dix-septième siècle, cherche à délivrer un (ou une) captif (ve) : Bajazet veut délivrer sa femme (il ne fait pas mention de sa fille…), Thémir et Roxalie cherchent chacun à libérer l’autre. Le moyen dont ils usent (le déguisement) n’apparaît pas comme étant le plus efficace, ni même le plus cohérent.
Le déguisement de Bajazet devant Tamerlan ne rajoute guère de piquant à la scène, car les deux hommes échangent plus d’insultes polies que de propos faisant progresser l’action.
Quant à Roxalie, elle est reconnue dès son arrivée dans le camp de son père et sa tentative ne sert à rien : l’intervention de Selim gêne la libération de Thémir.
De son côté, Thémir voit son projet rapidement dévoilé et subit les reproches de son père :
Je descouvre à la fin quel était ton dessein,Tu pensais me contraindre à resoudre à échange.
Nous assistons donc, dans une certaine mesure, aux échecs des uns et des autres. Dans une certaine mesure seulement, car Bajazet réussit tout de même à approcher sa femme, et s’il échoue, c’est en partie car un évènement inattendu surgit (Bajazet est reconnu par son armée) et fait tout échouer. Même chose pour Roxalie, qui obtient le consentement de son père à ses amours, mais qui se heurte au traître Selim. Quant à Thémir, il subit la fureur de son père, et a pour tout mérite d’avoir tenté le tout pour le tout, sans avoir combattu contre sa belle.
L’on a vu ci-dessus que certaines ressemblances unissaient Le Grand Tamerlan et Bajazet et le Porus de Boyer. Cependant, ils se différencient nettement par le traitement qu’ils font du déguisement, comme nous l’explique Georges Forestier : « La femme et les deux filles du roi indien Porus étant retenues dans le camp d’Alexandre, le roi lui-même et un prince amoureux de l’une des deux princesses s’introduisent dans le camp du conquérant, déguisés en « suivant de [l’] ambassadeur » de Porus. Tous deux croient que celles qu’ils aiment sont amoureuses de leur geôlier (acte III : acte de la jalousie), et, après s’être disputé le privilège d’aller assassiner Alexandre, chacun part tuer celui qu’il croit son rival. Arrêtés l’un et l’autre, ils réclament la mort, le prince en dévoilant son nom et en revendiquant la gloire d’avoir voulu tuer Alexandre, Porus en taisant son nom et en demandant d’être conduit rapidement au supplice. Ce qui oblige la reine Argire à dévoiler l’identité de son mari pour le sauver. »
Le stratagème échoue, mais parce que les circonstances sont telles qu’elles forcent le héros à révéler son identité, et non parce qu’un intervenant extérieur reconnaît le héros déguisé.
Les raisons d’un échec ? §
Loin de vouloir faire le procès de Magnon et de son œuvre, mon objectif est plutôt de chercher à comprendre ce qui a pu, dans Le Grand Tamerlan et Bajazet, déplaire au public.
En effet, il est probable, ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, que Le Grand Tamerlan et Bajazet ait été reçu sans enthousiasme des spectateurs, tout comme, certainement, une large partie de son œuvre. Dans l’Avis au lecteur de sa Jeanne de Naples, Magnon se vantait d’écrire sans effort : « quand tu condamnerois [quelques Pieces de Theatre que j’ai faites], tu ne condamnerois que des ouvrages dont la composition m’a coûté presque moins de peine que tu n’en prendras à les lire. Qu’avec plus d’application je n’aye pû faire de meilleure choses, je ne te le désavoüe point : Je te puis dire, sans orgueil, que peu de personnes y ont de plus belles dispositions que moy. » Les spectateurs n’ont sans doute guère apprécié ce manque d’humilité.37 Quoi qu’il en soit, dès la fin du XVIIe siècle, Magnon est oublié : les récits trop nombreux, les longues discussions et les intrigues très complexes ont découragé le public.
Il est certain que Magnon n’a pas toujours fait preuve de légèreté dans sa pièce, et de nombreuses lourdeurs de style ne nous sont pas épargnées. (cf. les récits de Mansor38 et de Roxalie39), qui n’apportent aucun entrain à la pièce, et qui, malgré les informations essentielles qu’ils distillent, ne permettent pas vraiment de maintenir l’intérêt du spectateur). Les répétitions des vers 467-468, pour ne donner qu’un exemple, ne semblent, de leur côté, rien devoir à un quelconque effet stylistique :
Et vous mesme estonné d’un si honteux langage,Ne prendrez qu’à regret ce honteux advantage.
D’autre part, la transgression des bienséances est évidente au moment du dénouement : ainsi que nous l’avons mentionné ci-dessus, la mort de Bajazet est particulièrement violente : l’acteur compte le nombre de coups de poignard qu’il s’inflige, et se suicide sur scène, juste après sa femme. Aucune didascalie, en effet, ne nous indique qu’ils sont dissimulés à la vue des spectateurs.
Les personnages, quant à eux, ne suscitent pas toujours l’enthousiasme. La plupart ne sont guère attachants, car leurs caractères sont eux-mêmes mal dessinés, ce qui rend leurs motivations parfois difficiles à cerner40.
Enfin, Magnon ne prend pas la peine de fixer le sort de tous ses personnages. Selim est oublié dès que Bajazet le renvoie à Tamerlan ; quant à Indarthize, elle disparaît dans l’ombre du dénouement, et survit peut-être à son époux. Tamerlan lui-même se donne-t-il la mort, ou bien manifeste-t-il seulement sa douleur avec emphase au dernier vers de la pièce41 ?
Ces quelques hypothèses peuvent peut-être expliquer en partie l’échec de notre tragédie, sans pour autant justifier pleinement le silence qui suivit la première impression de l’œuvre.
Notes sur la présente édition §
La présente édition a été établie à partir de l’édition originale de 1648, conservée à la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne, en salle de réserve, sous la côte RRA 8 = 461. Elle apparaît comme suit :
LE GRAND / TAMERLAN / ET / BAJAZET. / A PARIS, / vignette (fleuron du libraire) / Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous / la montée de la Cour des Aydes. / M. DC. XLVIII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Le texte est imprimé chez Toussainct Quinet, marchand libraire à Paris, en association avec Antoine de Sommaville.
Il comporte 108 pages assemblées en un volume in quarto. Les huit premières pages ne sont pas numérotées.
L’achevé d’imprimer est du 28. mars 1648.
Le nom de l’auteur n’apparaît qu’à la fin de l’épître dédicatoire : « De Magnon ».
Outre l’exemplaire sur lequel nous avons travaillé, il existe, à notre connaissance, six exemplaires du Grand Tamerlan et Bajazet :
– Bibliothèque Nationale de France, cote RES-YF-477. Chez Antoine de Sommaville.
– BNF, cote RES-YF-319. Chez Toussainct Quinet.
– BNF, support numérisé sous la notice n° FRBNF 37299785. Ed. partagée avec Antoine de Sommaville.
– Bibliothèque Mazarine, cote 10918-6/1. Ed. partagée avec Antoine de Sommaville. Première pièce d’un recueil relié aux armes de Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, avec ex-libris gravé de Nicolas-Joseph Foucault.
– Bibliothèque Mazarine, cote A 16324-5. Chez Antoine de Sommaville, ed. partagée avec Toussainct Quinet, dans un recueil portant le cachet du Roi, à Compiègne.
– Bibliothèque de l’Arsenal, cote Rf 6.485 et Rf 6.486 (deux exemplaires).
– Bibliothèque municipale de Tournus42, numéro d’inventaire 10000-04. Chez Antoine de Sommaville, au Palais en la salle des Merciers à l’Escu de France.
– The British Library, London, cote 85i20(5).
Chacun de ces exemplaires43 comporte les mêmes coquilles : rien ne change excepté l’éditeur.
Le fait qu’il n’y ait pas eu de réédition du Grand Tamerlan et Bajazet après 1648 nous laisse fortement penser qu’il n’eut qu’un succès mitigé à la vente lors de sa première impression.
Remarques sur l’établissement du texte §
L’esprit de cette édition nous a conduite à conserver l’orthographe originelle du texte, avec toutes ses spécificités propres au XVIIe siècle. Néanmoins, nous avons effectué quelques modifications qui nous ont paru nécessaires.
Transformation d’usage §
Nous avons systématiquement transformé le signe « ∫ » par le « s » qui lui correspond et nous avons changé le signe « β » par son correspondant « ss » dans les mots suivants :
- aβiegia : v. 15.
- aβiste : v. 841.
- auβi : Extraict du Privilege du Roy, 104, 183, 193, 221, 456, 509, 896, 922, 1546.
- auβi-tost : v. 54.
- choisiβions : v. 1005.
- diβiper : v. 875.
- dreβées : v. 1116.
- laiβé(e) : v. 1080, 1155, 1378, 1420.
- neceβité : v. 536.
- paβé : v. 1079.
- paβion(s) : v. 11, 99, 126, 170, 367, 374, 584, 864.
- pouβé : v. 202.
- preβiez : v. 85.
- puiβiez : v. 475.
- reuβir : v. 218, 1015, 1123.
- surpaβé : v. 176.
- trahiβions : v. 37.
De même, nous avons remplacé le tilde (~) par la nasalisation correspondante dans les deux mots du texte qui l’utilisent :
- v. 551 : rendẽt
- v. 1052 : grãds
Nous avons également remplacé le « i » par le « j » dans des mots tels que « je », « bajazet », « desja » etc.
Corrections §
Nous avons corrigé les coquilles suivantes :
- l. 3 : si son nomn’est
- Dans « les acteurs » : INDARTIZE, MANZOR
- v. 48 : Mais, Prince
- v. 141 : He
- v. 155 : Vertu qui me combats, prend part à ma foiblesse
- v. 181 : expriquez-vous
- v. 108 : Et m’obeyrez-vous ? est prononcé par Thémir dans l’édition originale.
- v. 240 à 242 : des vers sont décalés : le texte original faisait prononcer le vers 241 par
Indarthize, le vers 242 par Tamerlan.
- Acte II : il n’est pas précisé « scène 1 »
- v. 395 : arrogance [,]
- v. 415 : deherité
- Acte II, scène 5 : Selim n’est pas mentionné comme étant présent sur la scène, or il est
probable qu’il assiste à l’entretien privé de Bajazet et d’Orcazie, en tant qu’il est Grand
Vizir. De plus, sa prise de parole à la scène suivante, sans que son entrée ne soit
mentionnée, confirme notre hypothèse. Nous ajoutons donc, après ORCAZIE et BAJAZET :
SELIM.
- v. 671 : Luy-mesme ne la pû, qui l’auroit donc pû faire ?
- Acte III, scène 4 : TAMERLAM.
- Acte III, scène 6 : TAMERLAM.
- v. 687 : par tout
- v. 897 : Praze
- v. 912 : le
- v. 914 : devez
- v. 938 : Où vont-il incliner ?
- v. 945 : qu’il
- v. 1057 : Delàle
- v. 1093 : vertu (sans point)
- v. 1122 : toy-mesme le briguas l’employ de ce traitté
- v. 1216 : c’est Thémir qui prononce ce vers dans l’édition originale.
- v. 1235 : des peines.
- v. 1251 : estes vous
- v. 1364 : Je cherchois ta vengeance, & je cherchois la mienne
- v. 1384 : mettrez
- v. 1388 : abjet
- v. 1397 : let raitter
- v. 1486 : de
- v. 1507 : Elle vint
Mots à deux orthographes §
- amans : v. 30, 56, 102, 170, 1002. / amant : v. 578, 612, 686, 797, 986 (amante).
- appas : v. 849, 1416. / apas : v. 753.
- chaisnes : v. 267, 496 (à deux reprises au singulier) 782, 787, 878, 1204, 1236, 1384, 1407, 1485 (enchaisner). / chaines : v. 47.
- choquer : v. 636, 1051, choque(nt) : v. 588, 735, 939. / chocq : v. 246 (chocquer), 645, 648.
- colere : v. 4 (pluriel), 23. / cholere : v. 984, 1104, 1476.
- courant : v. 346. / courrant : v. 230.
- couroux : v. 665. / courrous : v. 990. / courroux : v. 1509.
- également : v. 89, 621, 662, 810. / egallement : v. 639.
- flamme : v. 35 (pluriel), 51. / flame : v. 719, 835.
- fuitte : v. 961. / fuite : v. 279, 1076, 1212.
- jusque : v.194, 353, 879. / jusques : v. v.381, 757, 868, 1112, 1507.
- mouvemens : v. 29, 197, 356, 710, 989, 1106, 1132. / mouvement : v. 525.
- ose (er, ez, ent) : v. 101, 186, 283, 825, 868, 1004, 1217, 1394. / oze : v. 882.
- remords : v. 133, 1181, 1199./ remors :v. 718, 1142.
- serrail : v. 189, 203. / serail : v. 209.
- traite(r) : v. 177, 551 (traitable), 1193, 1312. traistons : v. 224. / traitte (r) : v. 457, 495, 545, 561, 684 (retraitte), 747, 1122 (traitté), 1397, 1463, (traitta), 373, 529, 557 (traittemens).
LE GRAND
TAMERLAN
ET
BAJAZET.
TRAGEDIE. §
Espitre.
A MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE TELLIER44
SEIGNEUR DE CHAVILLE CONSEILLER DU ROY
en ses Conseils, Secretaire d’Estat, & des Commandemens de sa Majesté. §
MONSEIGNEUR,
Vous vous estonnerez de ce qu’un homme qui vous est inconnu, vous consacre l’un de ses ouvrages : mais cette surprise doit cesser, quand vous considererez que si son nom n’est venu jusques à vos oreilles, il a entendu discourir du vostre à la Renommée : & qu’à ce regard, ce qu’elle publie de vostre merite, vous fait connoistre tout le monde, parce que tout le monde vous connoist. La France, MONSEIGNEUR, n’est pas assez / [p. I] / estenduë pour contenir vostre Nom : qui ne vous a point veu, a oüy parler de vous ; & tous les Estrangers vous ont en une veneration si extraordinaire, que l’on vous soupçonneroit, par les loüanges qu’ils vous donnent, d’estre de leur intelligence*, si l’Estat n’estoit parfaitement asseuré de vostre fidelité. La haute confiance qu’ont en vous Leurs Majestez, est fondée sur ce zele* infatiguable que vous avez pour les interests du Royaume : Vous estes dans le Ministere, ce que l’une des premieres intelligences est dans le Ciel ; & vous ne contribuez pas d’une legere assistance â ce grand Moteur de l’Estat, qui fait acheminer les affaires à la periode qu’il leur a prescrite45 : vous y donnez un grand bransle* : vous aydez continuellement à faire rouler un fardeau, qui a desja fait suer tant d’Archimedes, & qui malgré leur insuffisance, ne laissera* pas dans les nouvelles Constitutions où vous l’establissez tous les jours, de trouver le centre qu’ils luy avoient inutilement recherché. Ce sera un coup, MONSEIGNEUR, qui estoit reservé pour vostre siecle : Tant de mains qui s’appliquent aujourd’huy à ce glorieux travail, ne doivent pas estre vainement employées : mais principalement la vostre y porte ses coups avec tant de force & tant de justesse, que le premier Atlas de nostre Empire, qui semble plustost porter que faire rouler ce grand poids, remarque visiblement entre tous les secours qu’on luy donne, l’assistance que vous luy rendez. Ce seroit ici, MONSEIGNEUR, où je vous devrois entretenir de tant d’emplois importans que vous avez soustenus partout, & surtout dans l’Italie : mais je diray seulement que c’est-là où Monseigneur le Cardinal / [p. II] / MAZARIN, qui a le don de connoistre les hommes extraordinaires, vous connut pour homme qui excedoit le commun, & digne desja par advance, de la glorieuse charge* que vous exercez : & où par un mutuel estonnement* vous découvristes en luy ces eminentes qualitez, qui l’acheminoient à grands pas au Ministere de nostre Etat. Vous ne vous trompastes point l’un & l’autre : vous voila dans les places où vous vous attendiez tous deux : que si du rang où il est assis, il donne les ordres qu’il reçoit de Leurs Majestez ; du degré où vous estes élevé, vous faites entendre au peuple les volontez souveraines : & l’importante fonction qui vous occupe, est si necessaire au Gouvernement, qu’elle attache à vostre conduite la plus belle partie du Royaume. Tous les gens de guerre sont sousmis à la parole que vous leur faites porter : & ces sortes de personnes, que le bruit des coups de canon empéche assez souvent d’entendre les loix, respectent avec tant de joye ce que vous leur prescrivez de la part du Prince, qu’on les voit courir au devant des ordres, & les entendre avec une soûmission où possible ils ne tomberoient point, si une autre main que la vostre avoit souscrit aux ordres du Conseil. Ce n’est point que je tombe en irreverence, ny que je vueille46 accuser les gens de guerre de des-obeyssance, dans un temps où ils prodiguent* leurs biens & leurs vies pour le service de l’Estat : mais j’advance seulement, que tout ce qu’il y a de Chefs dans les armées, ne jure que par vostre Nom : & dés que LE TELLIER est au bas d’un ordre, qu’on se porte par un double mouvement, qui est le devoir pour le Prince, & l’estime pour vostre personne, à l’exe- / [p. III] / cution des Commandemens Souverains. Enfin, je ne presume pas que vous soyez en doute de cette verité : la voix publique vous en a dit plus que la mienne. Ce qui me reste à vous dire, est, quoy qu’il vous importe peu de le sçavoir, qu’il n’est aucune occasion, quelque hazardeuse* qu’elle fust, que je ne recherchasse aux dépens de ma vie, pour me faciliter vostre bien-veillance ; et que dans la certitude mesme de ne pouvoir me l’acquerir, je ne laisserois* pas de sacrifier pour vous tout mon sang, si vous le souhaittiez, avec autant de joye, que si tous les interests du monde m’y invitoient. C’est la protestation que vous fait de tout son cœur,
MONSEIGNEUR ,
Vostre tres-humble & tres-obeyssant
serviteur, de Magnon.
Extraict du Privilege du Roy. §
Par Grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 20. jour de Novembre 1647. Signé, Par le Roy en son Conseil, le Brun47, il est permis à Toussainct Quinet, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer une piece de Theatre, intitulée, Tamerlan & Bajazet, Tragedie : & ce durant l’espace de sept ans, entiers & accomplis : & defences sont faites à toutes personnes, de quelque qualité qu’elles soient, de l’imprimer ou faire imprimer, sur les peines portées par ledit Privilege.
Ledit Quinet a associé avec luy, Antoine de Sommaville, aussi Marchand Libraire à Paris, suivant l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 28. Mars 1648.
Les Exemplaires ont esté fournis.
LES ACTEURS. §
- TAMERLAN, grand Cham48 des Tartares.
- THEMIR, fils de Tamerlan.
- INDARTHIZE, femme de Tamerlan.
- ZILIM, Lieutenant des Gardes de Tamerlan.
- MANSOR, Capitaine des Gardes du mesme.
- BAJAZET, grand Empereur des Turcs.
- ROXALIE, fille de Bajazet.
- ORCAZIE, femme de Bajazet.
- DORIZE, Confidente de Roxalie.
- SELIM, grand Vizir de Bajazet.
- Trouppe de Soldats & de Gardes.
LE GRAND
[p. 1 ; A]
TAMERLAN
ET
BAJAZET.
TRAGEDIE.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
DORIZE.
ROXALIE.
DORIZE.
ROXALIE.
DORIZE.
ROXALIE.
[p. 4]DORIZE.
ROXALIE.
ROXALIE.
SCENE II. §
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
ROXALIE.
ROXALIE.
THEMIR.
[p. 7]ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR.
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR.
Vostre rigueur m’ROXALIE.
THEMIR.
ROXALIE.
THEMIR, seul.
SCENE III. §
[p. 11]INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
[p. 12]THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
INDARTHIZE.
THEMIR.
INDARTHIZE.
THEMIR.
SCENE DERNIERE. §
[p. 17 ; C]TAMERLAN.
THEMIR.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
THEMIR.
[p. 21]THEMIR.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
[p. 25 ; D]BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SCENE II. §
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
SCENE III. §
[p. 29]TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN, à Zilim.
ZILIM.
TAMERLAN.
[p. 30]BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
Je suis le fleauBAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
SELIM.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN, à Zilim.
ZILIM.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
[p. 35]TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
SCENE IV. §
TAMERLAN.
ORCAZIE.
ORCAZIE, bas.
BAJAZET, bas.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
SCENE V. §
[p. 38]ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
ORCAZIE.
BAJAZET.
SCENE DERNIERE. §
[p. 43]ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
SELIM.
BAJAZET.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
TAMERLAN.
MANSOR.
TAMERLAN.
MANSOR.
TAMERLAN.
MANSOR.
TAMERLAN.
SCENE II. §
TAMERLAN, seul.
SCENE III. §
INDARTHIZE.
INDARTHIZE.
[p. 51]TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
TAMERLAN.
SCENE IV. §
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
Croyez-moy doncORCAZIE.
SCENE V. §
[p. 58]TAMERLAN.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ROXALIE.
TAMERLAN.
ROXALIE.
SCENE VI. §
TAMERLAN.
ORCAZIE.
SCENE DERNIERE. §
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
THEMIR.
THEMIR, en sortant.
TAMERLAN.
ORCAZIE.
TAMERLAN.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
SCENE II. §
ORCAZIE.
ROXALIE.
ORCAZIE.
ROXALIE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
MerveilleuseROXALIE.
ORCAZIE.
ROXALIE.
ORCAZIE.
ROXALIE.
SCENE III. §
THEMIR.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
INDARTHIZE.
THEMIR.
ROXALIE.
SCENE IV. §
[p. 78]LE SOLDAT.
LE SOLDAT.
THEMIR.
LE SOLDAT.
Le grand nombre accable laTHEMIR.
SCENE V. §
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
INDARTHIZE.
ORCAZIE.
ROXALIE.
[p. 80]TAMERLAN.
SCENE VI. §
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
SCENE VII. §
SELIM.
TAMERLAN.
SELIM.
SCENE DERNIERE. §
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
TAMERLAN.
SELIM.
TAMERLAN.
SELIM.
TAMERLAN.
THEMIR.
THEMIR.
TAMERLAN.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
ZILIM.
THEMIR.
BAJAZET.
TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
THEMIR.
TAMERLAN.
SELIM.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
BAJAZET.
UN GARDE.
BAJAZET.
SCENE II. §
BAJAZET.
SELIM.
ZILIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
SELIM.
BAJAZET.
[p. 98]SELIM.
SELIM.
SCENE III. §
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
[p. 101]ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
BAJAZET.
ZILIM.
SCENE IV. §
[p. 102]BAJAZET.
SCENE V. §
[p. 103]BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
ORCAZIE.
BAJAZET.
ORCAZIE.
BAJAZET.
SCENE DERNIERE. §
[p. 108]TAMERLAN.
BAJAZET.
TAMERLAN.
FIN.
Glossaire §
Les lettres entre parenthèses situées après les définitions des mots renvoient aux ouvrages suivants : (voir références complètes dans la bibliographie)
A : Académie Française
F : Furetière
La : Larousse
L : Littré
TLF : Trésor de la Langue Française
Annexe 1 : Pour que le théâtre reste toujours un plaisir… §
Que le mécanisme de la peur soit inhérent au plaisir théâtral, tout le monde l’a toujours su. Le théâtre montre tout ce qui peut faire peur au spectateur : l’inceste, la passion dévorante, le meurtre, les diverses formes de mort violente ou naturelle. Mais il montre tout cela apprivoisé, mis à distance, voilé par la dénégation. Le plaisir du théâtre, c’est de toucher du doigt (mais toucher « de loin ») tout ce qui fait peur : peur de la mort, mais les morts, y compris les figures historiques du passé, sont là sur scène, et d’ailleurs, quand on tue quelqu’un sur scène, il se relève après : il peut donc y avoir une mort qui ne serait pas une vraie mort. L’extermination, la tyrannie aveugle, la torture, la position du bourreau et celle de la victime, tout cela est convoqué et désamorcé, et c’est une des racines puissantes du plaisir tragique que cette sorte de « mithridatisation de la mort ». Ce qu’on voit, c’est l’Autre qui souffre et qui meurt, plaisir que ce soit un autre – mais plaisir aussi que ce ne soit pas vrai. Le plaisir du théâtre, c’est peut-être aussi le plaisir de croire que la mort est imaginaire. Plaisir fantasmatique, certes, mais qui n’en est pas moins puissant. Là encore, le théâtre viole les lois de la nature, et ce n’est pas un des moindres plaisirs du spectateur.
Anne Ubersfeld, Lire le théâtre. (I)
Annexe 2 : Quelques jugements sur Magnon et son œuvre §
La critique est facile, mais l’art est difficile… §
Magnon n’est pas toujours sublime, tant s’en faut ! mais en revanche il est presque toujours original, (…) excentrique entre tous les excentriques de son époque.
Il y a des monstres par excès, il y a des monstres par défaut : littérairement parlant, Magnon appartient à la première classe. La faculté productive avait atteint en lui un développement tout à fait hors nature. Qu’en résulta-t-il ? C’est que les autres facultés se trouvèrent un beau jour positivement atrophiées. (…) Au lieu d’un monde, on n’a plus qu’un chaos ; au lieu de l’Iliade, on n’a plus que la Science Universelle ; et, au lieu de s’appeler Homère, on s’appelle Magnon.
Magnon, évidemment, possédait son alexandrin. Il rimait richement, sans affectation, et jamais d’une façon banale. Ses pensées sont souvent aussi justes que profondes, et généralement les bonnes fortunes d’expression ne lui font pas défaut. Que lui a-t-il donc manqué pour se créer une renommée solide et durable ? L’essentiel. (…) Il lui a manqué un ami comme Boileau, -un ami intraitable, une conscience littéraire vivante, - qui lui apprît, comme à Racine, à faire difficilement des vers faciles, et qui lui répétât sans cesse : Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire.
J. Boulmier
Extrait de l’« Épître chagrine, ou satyre III ». A M. d’Elbéne. §
Paul Scarron.148
Annexe 3 : Journal de Paris – Numéro 125 – samedi 5 mai 1787, de la lune le 19. §
Variété. Aux auteurs du Journal.
De Bourges le 29 avril 1787.
Messieurs,
Je ne lis guères que ce que je suis obligé de lire, & ce n’est pas le Journal de Paris ; mais assez d’autres le lisent, & un de mes amis, qui l’a lû pour moi, m’a apporté hier la Feuille du vingt et un de ce mois, où vous rapportez un passage peu honorable à la mémoire de mon bisayeul Jean Magnon. J’avois presque oublié que j’avois l’honneur de descendre d’un Poëte dramatique, & je ne sais pourquoi ce qu’on peut dire aujourd’hui de mon bisayeul trouble ma tranquillité. Quoi qu’il en soit, je n’ai pu me défendre d’un mouvement d’humeur & même d’indignation en trouvant dans votre Journal une sortie si gratuite & si inattendue contre un Auteur oublié, mort il y a cent vingt-cinq ans ; car vous saurez, Messieurs, que mon bisayeul, Jean Magnon, étoit Avocat comme moi, & qu’il fut malheureusement assassiné en 1662, en passant le soir sur le Pont-Neuf, où Dieu merci on n’assassine plus.
Vous dites, Messieurs, d’après l’Auteur de La Religion considérée, que Magnon fut l’Auteur d’une mauvaise Tragédie intitulée Jeanne de Naples. A la bonne heure. Quand on donne une Piece de Théâtre, on la livre à perpétuité à la censure publique ; mais pourquoi ajouter qu’il fut moins célèbre par ses talents que par l’excès de son amour-propre & de son orgueil ? Je respecte infiniment l’Auteur de qui vous empruntez ce trait ; mais j’ose le défier d’en produire aucune preuve. Est-il donc permis de calomnier les morts ? & cela peut-il servir à la défense de la vérité ? Jean Magnon n’étoit ni Philosophe, ni Académicien ; d’abord Avocat au Présidial de Lyon, il abandonna bientôt le Barreau, parce qu’il crut qu’il n’y avoit rien de plus beau que de composer pour le Théâtre. Il produisit sans efforts des Tragédies sans verves & des Comédies sans gaieté, dont quelques-unes eurent de petits succès qu’il crut énormes, & les autres tombèrent, comme on fait, par les menées d’une cabale puissante. Il étoit encouragé dans ces innocentes illusions par de belles Dames qui prônoient ses Talens, & de petits Protecteurs qui achetoient ses dédicaces. Tout cela étoit commun alors, & n’est peut-être pas rares aujourd’hui, sauf les dédicatoires qu’on ne paye plus guères, à ce que j’ai ouï-dire ; mais ni dans ses Préfaces, ni dans ses Epitres, on ne trouve aucune trace de cet excès d’orgueil qu’on lui impute. En compulsant de vieux papiers de famille, j’ai trouvé deux lettres de lui, qui annoncent un bon homme, qui dit volontiers du bien de lui & ne dit du mal de personne, pas même de ses rivaux. Dans l’une, datée de cette même année 1656, où l’on imprima sa Jeanne de Naples, et où l’on jouait le Timocrate de Thomas Corneille avec un succès qui, aujourd’hui, n’a plus rien d’extraordinaire, Jean Magnon écrivoit à Charles Magnon son frère. « Quelques personnes, d’un goût consommé aux choses du Théâtre, m’ont témoigné estimer davantage ma Jeanne de Naples que le Timocrate ; mais je tiens cet éloge pour l’effet d’une prévention trop favorable, dont je dois garder mon amour-propre. Véritablement ce Timocrate a de rares mérites, & le nom de Corneille semble un pacte avec la gloire. » Je vous demande, Messieurs, si c’est là le langage de l’orgueil. Permettez-moi de vous demander aussi s’il ne reste pas assez de Poëtes vivans, dignes d’exercer la critique des Auteurs & des Journalistes ? Dans ma qualité de Jurisconsulte, j’aurai l’honneur de vous observer que toutes les loix du monde ont défendu de fouiller dans les tombeaux, & de profaner la cendre des morts.
J’ai l’honneur d’être, &c.
Fr. Ph. Magnon, Avocat.
Annexe 4 : liste des œuvres de Magnon §
Artaxerce, tragédie représentée par l’Illustre Théâtre. A Paris, chez Cardin Besongne. Achevé d’imprimer pour la première fois le 20 juillet 1645, in 4°.Josaphat, tragi-comédie. A Paris, chez Antoine de Sommaville, achevé d’imprimer pour la première fois le douzieme Octobre 1646, in-4°.Sejanus, tragédie. A Paris, chez Antoine de Sommaville, achevé d’imprimer le 12. Octobre 1646, in-4°.Le Mariage d’Oroondate et de Statiraou laConclusion de Cassandre, tragi-comédie. A Paris, chez Toussaint Quinet, achevé d’imprimer pour la première fois le 18 Février1648, in4°.Le Grand Tarmerlan et Bajazet, tragédie. A Paris, chez Toussaint Quinet, achevé d’imprimer pour la première fois le 28 Mars 1648, in-4°.Abbrégé de l’Histoire d’Espagne, de Portugal, et de Navarre, par Magnon, historiographe de France. 1652, in-8°.Les Heures du Chrestien Divisées en trois Journées, qui sont la Journée de la Pénitence, la Journée de la Grâce et la Journée de la Gloire. Où sont compris tous les Offices, avec plusieurs Pièces, Airs, Réflexions et Méditations des saintes Escritures et des Pères de l’Eglise. Le tout fidèlement traduit en vers et en prose, selon la diversité des matières, par le sieur Magnon, historiographe de Sa Majesté. Achevé d’imprimer pour la première fois le 15 Mars 1654, in 8°.Jeanne de Naples, tragédie. Paris, chez Louis Chamhoudry, achevé d’imprimer pour la première fois le 5 Juillet 1656, in-4°.[Sonnet, La Lyre du jeune Apollon, ou La Muse naissante du Petit Beauchasteau, Paris.]Tite, tragi-comédie. Par le sieur de Magnon, Historiographe de sa Majesté tres-Chrestienne. A Paris, 1660, in-4°. Seul exemplaire connu en Europe, (hors édition critique) disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal sous la côte Rf 6.489, en salle de réserve. Pas d’achevé d’imprimer mentionné. Il existe en outre: A critical edition by Herman Bell, Baltimore (Mary land), The Johns Hopkins Press; London, H. Milford; Paris, « Les Belles Lettres », 1936, in 8°. 139 p. (The Johns Hopkins Studies in Romance Literatures and Languages, XXVI).Zenobie, Reyne de Palmire, tragédie. A Paris, chez Christophe Iournel. Achevé d’imprimer le 18 Avril 1660, in-12°.L’Entrée du Roy et de la Reyne en leur Ville de Paris, faite en vers heroïques. A Paris, chez Antoine de Sommaville, 1660, in-4°.La Science Universelle en vers heroïques. A Paris, chez Sebastien Martin, 1663, in-folio.
Bibliographie §
Ouvrages généraux sur le genre et la période §
Adam Antoine, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, Domat, 1948-1952, vol. 3 et 4.Delmas Christian, La Tragédie de l’âge classique (1553-1770), Paris, Seuil, 1994.Forestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.Forestier Georges, Essai de génétique théâtrale, Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996.Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1929-1942, Part II, vol. 2.Louvat Bénédicte, Poétique de la tragédie, Paris, SEDES, 1998.Morel Jacques, La Tragédie, Paris, Armand Colin, 1964.Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, s.d. [1950].Truchet Jacques, La Tragédie classique, Paris, PUF, 1975.Ubersfeld Anne, Lire le théâtre, Paris, Éditions Sociales, 1977.
Sources §
Lachèvre Frédéric, Biographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700, tome II, p. 348-350.Loret Jean, La Muze historique ou Recueil des lettres en vers contenant les nouvelles du temps écrites à son altesse Mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, Paris, P. Janet, 1650-65, in 8°.Papillon Philibert (abbé de), Bibliothèque des autheurs de Bourgogne, Dijon, F. Desventes, 1742, 2 tomes reliés en un volume.Parfaict Claude et François, Histoire du Théâtre français, depuis son origine jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres poètes dramatiques, Paris, 1745-1749, in 12°.Parfaict Claude et François, Dictionnaire des théâtres de Paris contenant toutes les pièces qui ont été représentées jusqu’à présent sur les différents théâtres français, Paris, Lambert, 1756, 2 vol.
Travaux sur Magnon et/ou son œuvre §
Boulmier Joseph-Désiré, Un excentrique du XVIIe siècle. Jean Magnon de Tournus (extrait du Bulletin du bibliophile), Paris, Techener, numéro de sept-oct 1871, in 8°.Jeanton Gabriel, « Notes sur la vie et l’assassinat de Jean Magnon, de Tournus, poète et historiographe du roi. » Mâcon : imp. de Protat frères, 1917, in 8°. Extrait des Annales de l’Académie de Mâcon, et du Bulletin de la Société des amis des arts de Tournus.
Ouvrages sur Tamerlan (et Bajazet) §
Guer Jean-Antoine, Mœurs et usages des Turcs, leur religion, leur gouvernement civil, militaire et politique, Avec un abrégé de l’Histoire Ottomane, Paris, chez Merigot et Piget, Quai des Augustins, 1747.Roux Jean-Paul, Tamerlan, Fayard, 1991.
Instruments de travail §
AcadémieFrançaise, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694 (2 vol.).Catach Nina, La Ponctuation, Paris, PUF, 1994.Furetière Antoine, Dictionnaire universel, Contenant tous generalement tous les Mots François tant vieux que modernes, & les Termes de toutes les Sciences et des Arts.Haase Alfons, Syntaxe française du XVIIe siècle, Paris, Delagrave, 1935.Littré, Dictionnaire de la langue française, Éditions de la Fontaine au Roi, Paris, 1987.Larousse, Dictionnaire du Français classique, par Jean Dubois, René Lagane et Alain Lerond, 1992.Moréri Louis, Le Grand Dictionnaire Historique, ou Le Mélange Curieux de l’histoire sacrée et profane, par Mre Louis Moréri, Prêtre, Docteur en Théologie. Nouvelle Edition, dans laquelle on a refondu les supplémens de M. l’Abbé Goujet, le tout revu, corrigé et augmenté par M. Drouet. A Paris, chez les libraires associés. M. D. CC. LIX. Avec approbation et privilège du roi.Robert Emile, Dictionnaire Historique de la Langue Française, sous la direction d’Alain Rey, Paris, 1993.Sancier-Château Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1993 (2 vol.).Trésor de la langue française, Institut National de la langue française, Dictionnaire des XIXe et XXe siècles, Éditions du CNRS, diffusion Klincksieck (puis Gallimard), 1975-1994.