M. DCC. LXXVI. Par exprès Commandement de Sa Majesté.
PAR M. MOLINE.
APPROBATION. §
J’ai lu par ordre de M. le Lieutenant-Général de Police, Les Législatrices, Comédie ; et je crois qu’on en peut permettre l’impression. À Paris ce 11 Mars 1765. MARIN
Vu l’Approbation, permis d’imprimer. Ce 13 Mars 1765. DE SARTINE.
PERSONNAGES. §
- LE BARON, le Sr. Laruette.
- LE MARQUIS DE FLORIVAL, jeune Officier, fils du Baron. le Sr. Julien.
- CLARISSE, soeur de Florival. La Dlle. Dugazon.
- LE VICOMTE, ami du Baron. le Sr. Michu.
- JEANNETTE, fille inconnue protégée du Baron. La Dlle. Laruette.
- ZERBINE, suivante de Clarisse. La Dlle. Trial.
- FABRICE, Domestique du Baron. le Sr. Narbonne.
- PLUSIEURS DOMESTIQUES.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. §
FABRICE, seul.
Je l’aperçois avec mon jeune maître... Comme elle lui parle avec agitation !... En serait-elle amoureuse ?... Éloignons-nous pour m’en éclaircir.
SCÈNE II. Florival, Jeanette. §
FLORIVAL.
Oui, ma chère Jeanette, je ne dois plus vous cacher la vive impression que vous avez fait sur mon coeur ! Vos manières, votre maintien, votre figure charmante, tout annonce en vous une naissance distinguée.
JEANNETTE.
Monsieur, vos bontés me rendent confuse : je ne mérite point votre affection. Oubliez-vous ce que vous êtes, et ignorez-vous ce que je suis ?
FLORIVAL.
Je sais que vous êtes orpheline : je n’ignore point que notre fermière vous a élevée comme sa propre fille, et que depuis sa mort mon père prend soin de vous, mais je veux vous affranchir d’une condition obscure, et vous élever au sort le plus heureux si vous daignez approuver mon amour.
JEANNETTE.
Que dites-vous, Monsieur, quel est votre dessein ? Eh comment puis-je me flatter d’être aimée d’une personne de votre rang ; non, je ne le croirai jamais : ce serait trop vous abaisser.
FLORIVAL.
Moi, m’abaisser en vous aimant ! Ah rendez-vous plus de justice, et ne vous offensez point d’un aveu si légitime.
JEANNETTE, part.
Ô Dieux ! Quel trouble me saisit.
FLORIVAL.
Aurais-je le malheur de vous déplaire ?
JEANNETTE, part.
Je ne sais que lui répondre...
Adieu Monsieur.
FLORIVAL, la retenant.
Quoi, vous me fuyez...
JEANNETTE.
Je ne puis rester plus longtemps avec vous.
SCÈNE III. Florival, Jeannette, Clarisse. §
CLARISSE, au fond du Théâtre, à part.
Ô Ciel ! Que vois-je ?
FLORIVAL, Jeanette sans voir Clarisse.
Ne me quittez point avec tant de rigueur, et soyez sensible à la flamme que vous m’inspirez.
CLARISSE, avec ironie.
Ah mon frère ! La déclaration est touchante. Je ne me serais jamais doutée que Jeannette fut l’objet de vos amours.
JEANNETTE, à part.
Je suis perdue !
CLARISSE.
Ne rougissez-vous point de votre faiblesse.
FLORIVAL.
Non ma soeur : vous en êtes témoin, j’adore Jeannette, et je me fais gloire de le publier.
CLARISSE.
Comment, une fille inconnue ?... Je vais en instruire mon père.
FLORIVAL.
Je ne crains point vos menaces, et je saurai moi-même le lui apprendre.
JEANNETTE, à Clarisse.
Ah Madame, pourriez vous croire...
CLARISSE, avec fierté.
Taisez-vous et sortez.
FLORIVAL, la retenant.
Non, Jeannette, demeurez avec moi.
CLARISSE.
SCÈNE IV. Florival, Jeannette. §
FLORIVAL.
Que le courroux de ma soeur ne vous alarme point.
JEANNETTE.
Hélas ! Que pensera de moi Monsieur le Baron ?
FLORIVAL.
Mon père me chérit et vous estime : il sera touché de mon amour et consentira que vous soyez mon épouse.
JEANNETTE.
Moi, votre épouse !
FLORIVAL.
Le voici : je vais le prévenir.
SCÈNE V. Florival, Jeannette, Le Baron. §
LE BARON.
Je vous cherchais, mon fils... Ah vous voila Jeannette...
JEANNETTE, à part.
Quel embarras !
FLORIVAL, vivement.
Ah mon père, j’ai une grâce à vous demander.
LE BARON, sans faire attention ce que lui dit son fils.
J’ai suspendu pour quelque temps votre départ pour votre régiment...
FLORIVAL, l’interrompant.
J’implore en ce moment votre bonté paternelle.
LE BARON, sans l’écouter.
Un Seigneur de mes voisins veut s’allier ma famille, et...
FLORIVAL, l’interrompant.
C’est de vous seul que dépend mon bonheur.
LE BARON.
En un mot il vous destine sa fille : c’est un parti considérable, et son alliance m’honore.
FLORIVAL.
Il me destine sa fille !... Mais mon père...
Quel contretemps !
LE BARON.
Comment, cela t’afflige : parbleu j’aurai la plus grande joie de te voir marié avant que tu partes pour l’armée. Je suis veuf, il ne me reste plus que ta soeur établir, et je veux que mes petits enfants me dédommagent de ton absence.
FLORIVAL.
Mais vous n’avez pas encore donné votre parole.
LE BARON.
L’affaire est décidée, et demain nous passons le contrat.
FLORIVAL.
Demain... Ô ciel ! Avant de vous engager, il fallait du moins consulter mon coeur : non, je ne puis y consentir.
LE BARON.
Quoi, Jeannette ! Mon fils, y pensez-vous ?
FLORIVAL.
Oui, je ne respire que pour elle.
LE BARON, à part.
Ah le petit effronté !
Je vous ai dit mes intentions, éloignez-vous de ma présence et songez m’obéir.
Vous, Jeannette, demeurez.
FLORIVAL, à part en sortant.
Je suis au désespoir !
SCÈNE VI. Le Baron, Jeannette. §
JEANNETTE, à part.
Que son imprudence me chagrine !
LE BARON, à part.
Il en est amoureux, il faut que je m’explique avec elle.
Jeannette, nous sommes seuls, parlez moi sans détour.... Auriez-vous quelque penchant pour Florival, seriez-vous sensible la folle tendresse de ce jeune étourdi ?
JEANNETTE, troublée.
Moi, Monsieur !en auriez-vous quelque soupçon ?
LE BARON, vivement.
Non, non, ma belle enfant, je ne l’imagine point, mais vous n’ignorez pas combien vous m’êtes chère.
JEANNETTE.
Vous me comblez chaque jour de nouveaux bienfaits.
LE BARON.
Depuis que vous êtes chez moi, j’exige que l’on vous rende autant d’égards qu’à moi-même.
JEANNETTE.
Je ne les mérite pas.
LE BARON.
Je n’en fais pas encore assez, mais je crois que vous devez m’aimer par reconnaissance.
JEANNETTE.
Ah ! Monsieur, tant que je vivrai.
LE BARON.
Eh bien, pour vous prouver combien j’y suis sensible, je veux vous donner un époux riche, de bonne maison, et qui n’est ni trop jeune, ni trop vieux.
JEANNETTE.
Quel est donc cet époux ?
LE BARON, avec transport.
C’est moi, belle Jeannette ! Oui, c’est moi-même qui depuis longtemps soupire pour vous, et j’ai résolu de vous prendre pour ma femme.
JEANNETTE.
Pour votre femme !
LE BARON.
Vous paraissez surprise ! Comment ? Ne seriez-vous point charmée de devenir Baronne ?
JEANNETTE.
SCÈNE VII. §
LE BARON, seul.
Elle me quitte avec indifférence, et ses beaux yeux sont baignés de larmes : mais enfin, elle sait que je l’aime, cela me donne quelque espoir. Il s’agit à présent de marier mon fils au plutôt, ou de le faire partir pour son régiment, il n’aura plus la liberté de voir Jeannette, et je l’épouserai sans crainte...
Cependant si mon âge lui donne quelque répugnance, malgré les droits que j’ai sur elle, est-il en mon pouvoir de forcer sa volonté ?
SCÈNE VIII. Fabrice, ensuite Zerbine. §
FABRICE, seul accourant.
Oh ! Oh ! Je croyais trouver encore ici Jeannette ! Elle n’y est plus. Où peut-elle être présent. Je la cherche partout et je m’impatiente, il faut cependant que je lui déclare mon amour, cela me pèse trop sur le coeur.... Mais voici Zerbine ; peste soit de l’importune ! Qu’elle vient ici mal propos.
ZERBINE.
Bonjour Fabrice.
FABRICE, brusquement.
Serviteur.
ZERBINE.
Comme tu parais fier ! Quel ton brusque et méprisant ! Eh ! Dis moi donc, que t’ai-je fait pour me recevoir de la sorte ? Depuis quelque temps tu me fais sans cesse, et tu daignes peine me regarder. Ne suis-je pas toujours ta fidèle Zerbine ; hélas ! Ne m’aimerais-tu plus.
FABRICE.
Eh ! Que sais-je ; cela pourrait bien être.
ZERBINE.
Ingrat ! As-tu donc oublié toutes les promesses que tu m’as fait tant de fois.
FABRICE.
Non : je m’en souviens encore, mais je n’y pense plus.
ZERBINE.
Pourquoi m’as-tu trompée ?
FABRICE.
Oh dame, je ne sais qui faire : c’est que j’ai changé de sentiment.
ZERBINE.
Ah traître ! Crois-tu que j’ignore que tu m’abandonnes pour Jeannette ! Que ne puis-je changer comme toi et me venger de ta perfidie.
FABRICE.
Eh bien, prends un autre amoureux, je te le permets.
ZERBINE.
Non : je ne veux aimer que toi.
FABRICE.
Tiens, oublie moi tout fait et nous serons d’accord.
ZERBINE.
Hélas ! Il n’est plus en mon pouvoir.
FABRICE, seul.
Enfin m’en voilà débarrassé : mais je vois venir Clarisse avec le Vicomte, allons chercher partout ma belle Jeannette.
SCÈNE IX. Clarisse, Le Vicomte. §
CLARISSE.
Ah ! Monsieur, si vous vous intéressez l’honneur de ma famille, et si vous avez pour elle quelque considération, vous m’en donnerez une preuve dès ce moment. Je vous ai tout appris : je sais combien vous avez de crédit sur l’esprit de mon père ; il faut absolument que vous l’engagiez renvoyer d’ici Jeanette, je veux qu’elle en sorte avant la fin du jour.
LE VICOMTE.
Ah ! Madame, qu’exigez-vous de moi ? Ce serait une tyrannie. Vous voulez faire le malheur de cet aimable enfant, parce que votre frère a du penchant pour elle. Réfléchissez de grâce sur la démarche que vous me proposez, et soyez moins inhumaine. Je crois que cette jeune fille ne mérite point le mépris dont vous l’accablez.
CLARISSE.
Quoi qu’il en soit, Monsieur, je vous prie de me rendre ce service auprès de mon père : je ne vous demande là-dessus aucune réflexion : que je fasse bien ou mal, cela me convient, et je le veux ainsi ; adieu.
SCÈNE X. §
LE VICOMTE, seul.
Non je ne me prêterai jamais à une action si injuste.
SCÈNE XI. Jeannette, ensuite Florival. §
JEANNETTE, seule.
Je ne sais quel parti prendre... que de malheurs je prévois ! Comment les éviter ! Monsieur le Baron veut que je l’épouse et son fils plus dangereux encore, a conçu le projet de m’enlever. Que vais-je devenir!
FLORIVAL.
Je viens de disposer tout pour notre départ...
JEANNETTE.
Non Monsieur, ne persistez plus dans votre dessein : la pudeur et la bienséance me défendent de vous suivre.
FLORIVAL.
Ah ! Si je vous étais plus cher, vous n’hésiteriez point.
JEANNETTE, tendrement.
Vous me pressez en vain, laissez-moi : votre père va nous surprendre.
FLORIVAL.
Je brave sa colère.
JEANNETTE.
Vous me faites frémir : éloignez-vous.
FLORIVAL.
Quoi, vous me l’ordonnez ?
JEANNETTE.
Oui, je l’exige en ce moment.
FLORIVAL.
Eh bien, cruelle, je vous laisse : adieu, vous ne me verrez plus.
Mais que fais-je ! Dois-je l’abandonner ? La céder mon père ! Non : cet effort coûte trop mon coeur.
Je ne puis vous quitter.
JEANNETTE.
FLORIVAL.
Ah suivez sans crainte, un tendre amant qui va devenir votre époux !
JEANNETTE.
Non jamais, sans l’aveu de votre père.
FLORIVAL, avec transport.
Mon père est mon rival et nous n’avons plus d’espoir. Consentez me suivre ou me voir mourir vos yeux.
SCÈNE XII. Florival, Jeannette, Le Baron. §
LE BARON.
Téméraire !
JEANNETTE, à part.
Dieux !
FLORIVAL.
Mon père.
LE BARON.
C’en est assez modérez-vous, et calmez votre frénésie amoureuse : je viens de rompre le mariage qu’on vous proposait ; votre jeunesse m’a servi d’excuse : ainsi dès demain vous irez rejoindre votre régiment.
FLORIVAL.
Je partirai : mais si j’osais vous supplier...
LE BARON.
Je n’écoute plus rien : prenez congé de Jeannette, et partez.
JEANNETTE, à part.
Quel adieu funeste !
FLORIVAL.
Ah Jeannette !
LE BARON.
SCÈNE X.II. §
FLORIVAL, seul.
Il me ravit tout ce que j’aime, et il faut encore que je me contraigne malgré moi !
SCÈNE XIV. Zerbine ensuite Fabrice. §
ZERBINE, seule et part.
Toute la maison est en désordre pour Jeannette, et on ne sait plus qui entendre : mais voici Fabrice, il a l’air tout affligé ; il ne me voit pas, épions-le et écoutons ce qu’il va dire.
FABRICE, part, sans voir Zerbine.
Ô disgrâce imprévue ! On va renvoyer Jeannette, et elle doit sortir d’ici avant la fin du jour : non, je ne souffrirai point qu’elle s’en aille toute seule, et je m’enfuirai avec elle sans que personne s’en aperçoive. M’y voila tout résolu, allons la trouver.
SCÈNE XV. §
ZERBINE, seule.
Enfin me voila bien convaincue de son infidélité. Le traître veut s’enfuir avec Jeannette, mais je l’en empêcherai ; je vais en avertir Monsieur le Baron ; il faut que je me venge du tour que Fabrice veut me jouer. Ah ! Qu’une fille est malheureuse de s’attacher à un amant volage !
SCÈNE XVI. Jeannette ensuite Fabrice. §
JEANNETTE, seule.
Que ma situation est cruelle ! C’est endurer trop de tourments la fois!
FABRICE.
JEANNETTE.
FABRICE.
JEANNETTE.
FABRICE.
JEANNETTE.
FABRICE.
JEANNETTE ET FABRICE, ensemble.
FABRICE.
JEANNETTE, à part.
FABRICE.
ENSEMBLE.
SCÈNE XVII. §
LE BARON, seul.
SCÈNE XVIII. Le Baron, Zerbine. §
ZERBINE, accourant.
LE BARON.
SCÈNE XIX. Le Baron, Zerbine, Florival. §
FLORIVAL, au Baron.
ZERBINE, Florival comme ci-dessus.
FLORIVAL à part.
LE BARON.
FLORIVAL.
LE BARON.
FLORIVAL.
LE BARON.
FLORIVAL et LE BARON, ensemble.
SCÈNE XX. Florival, Le Baron, Clarisse. §
CLARISSE, arrêtant le Baron et Florival.
LE BARON.
FLORIVAL.
LE BARON.
FLORIVAL.
LE BARON et FLORIVAL, ensemble.
SCÈNE XXI. Florival, Le Baron, Clarisse, Zerbine. §
ZERBINE, accourant.
CLARISSE.
FLORIVAL.
TOUS ENSEMBLE.
SCÈNE XXII. §
FABRICE, seul.
SCÈNE XXIII. Fabrice, Le Baron, Florival, Clarisse. §
LE BARON, Fabrice.
CLARISSE.
FLORIVAL et CLARISSE, ensemble.
FLORIVAL, l’épée la main.
FABRICE, à genoux.
SCÈNE XXIV. Fabrice, Le Baron, Florival, Clarisse, Zerbine. §
ZERBINE, accourant.
TOUS ENSEMBLE ET EN CHOEUR.
SCÈNE XXV. Jeannette, Le Vicomte. §
JEANNETTE, au Vicomte.
LE VICOMTE.
SCÈNE XXVI. Jeannette, Le Vicomte, Le Baron, Florival, Clarisse, Fabrice, Zerbine. §
ZERBINE et FLORIVAL, ensemble.
CLARISSE, au Vicomte.
LE VICOMTE.
LE BARON ET FLORIVAL, à Jeanette.
CLARISSE, à part.
ZERBINE, à part.
JEANNETTE, à part.
LE BARON.
JEANNETTE, à Clarisse.
CLARISSE, avec mépris Jeannette.
LE VICOMTE, à Clarisse.
FLORIVAL.
JEANNETTE.
LE BARON.
FABRICE, à part.
JEANNETTE, à Florival tendrement.
FLORIVAL, à Jeannette.
JEANNETTE, à Florival.
LE BARON, à part, avec émotion.
JEANNETTE.
TOUS EMSEMBLE ET EN CHUR.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Florival, Le Baron, Clarisse. §
LE BARON.
Ah mon fils ! Jeannette s’est sauvée de la maison : je suis dans la plus grande inquiétude.
FLORIVAL.
Elle s’est sauvée ! Quoi, toute seule ?
CLARISSE.
Non mon frère rassurez-vous : son cher amant Fabrice votre digne rival l’accompagne dans sa fuite ainsi n’en soyez plus en peine l’un et l’autre, et si vous m’en croyez présent, vous ne vous disputerez plus la conquête de cette charmante Hélène.
FLORIVAL.
Ce procédé me révolte.
LE BARON.
Je la méprise autant que je l’aimais.
CLARISSE.
Oh ! Vous avez raison, elle ne mérite aucune pitié.
FLORIVAL.
Avec son air d’innocence, avoir autant d’effronterie ? Mais je devrais l’oublier, et j’y pense toujours malgré moi !
CLARISSE.
SCÈNE II. §
FLORIVAL, seul.
Oui : c’en est fait, je me rends aux conseils de ma soeur. Mon parti est pris : je vais abandonner ces lieux. Jeannette ne méritait point mon coeur : elle a trahi mon amour, je veux pour jamais la bannir de ma pensée, et toute mon envie est d’aller rejoindre mon régiment.
SCÈNE III. §
ZERBINE, seule parcourant le Rhéâtre.
Oh ! Pour le coup, Fabrice ne m’attend pas ici. Le stratagème dont je vais me servir, l’empêchera de suivre Jeanette. Ah ! Pauvre Zerbine ! Quel détour te faut-il employer !
SCÈNE IV. Zerbine, Fabrice. §
FABRICE.
Comment ! C’est toi Zerbine !
ZERBINE.
Oui, c’est moi même ; je viens comme toi me promener dans cette campagne.
FABRICE, à part.
La fâcheuse rencontre !
ZERBINE, avec ironie.
Tu parais embarrassé de me voir.... Aurais-tu donné quelque rendez-vous Jeannette ? Oh ! Ne te gêne point mon ami, et va la trouver, je serais désolée de porter aucun ombrage aux inclinations de Monsieur Fabrice.
FABRICE.
De quoi te mêles-tu ? Je n’ai que faire de tes conseils.
ZERBINE.
Je ne le vois que trop pour mon malheur.
FABRICE.
Tiens, tu feras mieux de me laisser tranquille...
Elle ne s’en ira point.
ZERBINE.
Ah, tu le prends sur ce ton ! Eh bien adieu...
Cependant avant de te quitter, je suis bien aise de t’avertir de quelque chose qui me fait de la peine pour toi.
FABRICE, brusquement.
Je ne veux pas le savoir.
ZERBINE.
À la bonne heure. Mais s’il t’arrive quelque fâcheux événement, quelque désastre ! Que-sais-je ! Oh ce ne sera pas ma faute, adieu, adieu.
FABRICE, courant après elle.
Que veux-tu dire, attends.
ZERBINE.
Eh non, tu ne veux rien savoir.
FABRICE.
Quel est donc ce désastre, explique toi ?
ZERBINE.
C’est une bagatelle, et tu n’as rien craindre. Si Monsieur le Baron te fait chercher partout pour te faire assommer, il est inutile que tu le saches ; d’ailleurs Monsieur Fabrice est un garçon si spirituel et si avisé qu’il évitera lui-même l’orage qui menace son dos... Oh tu n’en sauras pas davantage, fais ce que tu voudras, et console-toi avec Jeannette.
FABRICE.
Ah ma chère Zerbine, écoutes moi, ne m’abandonnes pas, parles pour moi Monsieur le Baron.
ZERBINE.
Je suis donc présent ta chère Zerbine ? Eh bien il te faut renoncer à Jeannette, si tu veux que je te rende ce service.
FABRICE.
Oh ! Je te le promets.
ZERBINE.
Jure moi donc de m’être toujours fidèle et de n’ai-mer que moi : mais... Que vois-je !... Tu soupires... Et tu n’oses point me regarder ? Dis-moi seulement une tendre parole qui m’assure de ton amour.
FABRICE.
Allons, voila qui est fait : je ne pense plus à Jeannette, et je te rends mon coeur.
ZERBINE.
ENSEMBLE.
FABRICE.
ZERBINE.
SCÈNE V. §
JEANNETTE, seule.
Ah ! Je jouis de ma liberté ! Mais... que dis-je ?.. Me voila seule... Sans appui... Sans secours... Et j’ignore où ma destinée me conduit... Hélas !... Errante dans ces lieux champêtres, j’y trouverai sans doute une retraite où l’innocence n’est point opprimée ?... Enfin me voilà délivrée de la persécution !
SCÈNE VI. Le Vicomte, Clarisse. §
LE VICOMTE.
Vous voilà satisfaite, Madame : Jeannette a quitté votre maison ; elle n’y causera plus de désordre. Excusez-moi si je m’entretiens encore avec vous de cette infortunée, sa situation me touche et je ne saurais y penser sans émotion.
CLARISSE.
Vous prenez encore sa défense ! En vérité Mon- sieur, vous avez bonne grâce la justifier après- tout ce qu’elle a fait.
LE VICOMTE.
Mais que peut-on lui reprocher ?
CLARISSE.
Elle a mis le trouble et la confusion dans toute ma famille.
LE VICOMTE.
Dites plutôt qu’elle en est la victime.
CLARISSE.
Une fille de son état, oser prétendre la main de mon frère, et qui plus est, avoir la coquetterie de vouloir inspirer de l’amour mon père et même à Fabrice, avec lequel elle s’est sauvée sans aucun mystère ; mais, qu’est-ce que j’entends ?
SCÈNE VI.. Le Vicomte, Clarisse, Le Baron, Florival, plusieurs domestiques du Baron. §
LE BARON, avec colère Florival.
Oui : c’est toi seul fils ingrat qui est la cause de la fuite de Jeannette. C’est tort qu’on l’accuse d’aimer Fabrice, tu voulais l’enlever de chez moi !...
FLORIVAL.
Moi, mon père !
LE BARON.
Toi même : éloigne-toi de ma présence... Ah mon cher Vicomte, sauriez-vous en quel lieu elle pourrait être ?
LE VICOMTE.
Je l’ignore, et je voudrais le savoir ; mais je vais mettre tout en usage pour le découvrir, et si je la retrouve je vous promets de la ramener chez vous.
LE BARON.
Vous me rendrez la vie.
CLARISSE, au Baron.
Quel est votre dessein ?
LE BARON, brusquement.
Je n’ai point de compte vous rendre.
Allez, courrez, qu’on la ramène. Je veux réparer vis-à-vis d’elle mon injustice.
CLARISSE.
Oh ! Tout ceci est une énigme pour moi.
SCÈNE VIII. Le Baron, Florival. §
FLORIVAL.
Ah ! Mon père, permettez-moi de me justifier, et ne m’accablez point de votre indignation.
LE BARON.
Non : tu m’as trop offensé : je ne veux jamais te revoir.
FLORIVAL.
Écoutez une seule parole.
LE BARON.
Non, pars d’ici tout l’heure, et ne m’irrite pas davantage.
FLORIVAL.
SCÈNE IX. Le Baron, Zerbine. §
LE BARON, seul.
Oh ! Qu’il parte de chez moi sans différer ! Il n’abusera plus de mes bontés.
ZERBINE.
Qu’avez-vous donc, Monsieur!
LE BARON.
Ah ! Zerbine, la colère me suffoque ; mon fils et Jeannette me font mourir de chagrin.
ZERBINE, pleurant.
Ah ! Mon cher maître, vous n’êtes pas le seul plaindre.
LE BARON.
Comment ? Que t’est-il arrivé ?
ZERBINE, pleurant toujours.
Ah ! Monsieur, vous me voyez prête expirer de douleur.
LE BARON.
Mais, qu’as-tu donc ? Qui te fait pleurer de la sorte.
ZERBINE, pleurant encore.
Un traître, un lâche, un perfide !... Il vient de me faire le plus tendre serment, et dans le même instant m’abandonne pour une autre. Voilà comme sont les amants : ils dédaignent toujours un coeur qui leur appartient et ne sont jaloux d’obtenir que celui qu’on leur refuse.
LE BARON, à part.
Ah ! Ma chère Jeannette ! Où puis-je te retrouver.
Viens avez moi, Zerbine, allons la chercher de tous les côtés ; je ne tiens plus mon impatience.
ZERBINE.
Si je puis rencontrer Fabrice, je crois que je l’étranglerai dans ma fureur.
SCÈNE X. §
JEANNETTE, seule.
SCÈNE XI. Jeannette, Fabrice. §
FABRICE, à part.
La voilà ! Que je suis content !
Ah ! Jeannette, je viens partager votre infortune, et je veux vous aimer toute ma vie.
JEANNETTE.
Je suis pénétrée des sentiments que vous avez pour moi ; mais, Fabrice, je ne saurais y être sensible ; cessez une vaine poursuite, et renoncez tout espoir : car il m’est impossible de vous aimer.
FABRICE, à part.
Me voilà bien avancé.
JEANNETTE.
Je vous prie même de vous éloigner de moi dans l’instant.
FABRICE.
Ah ! Cruelle ! Devais-je m’attendre cet accueil ? Je quitte pour vous ma fidèle Zerbine, et je m’expose à la colère de mon maître... Ah ! C’en est trop ! Je ne veux pas survivre cet affront.
SCÈNE XII. Jeannette, ensuite Florival. §
JEANNETTE, seule.
Je ne puis avoir pitié de lui ; hélas ! Mon esprit inquiet n’est occupé que de Florival ! Mais, quoi me sert d’y penser, je ne le reverrai peut-être jamais... J’entends venir quelqu’un.... Ô dieux ! Que vois-je c’est lui... Je meurs !
FLORIVAL.
Ah ! Je vous retrouve enfin, ma chère Jeannette ! Rien ne peut me séparer de vous. Je vous ai outragée, pardonnez moi mes injustes soupçons : vous n’étiez point capable de me trahir ; si j’ai causé votre malheur, je le répare en vous donnant ma main.
JEANNETTE.
Cher Florival ! Que n’est-il en mon pouvoir de disposer de la mienne comme de mon coeur ! Mais tout s’y oppose, vous le savez ?... Allez où votre devoir vous appelle, et laissez-moi vivre ignorée : je me croirai trop heureuse lorsque je penserai à vous.
FLORIVAL.
Que cet aveu m’enchante !
JEANNETTE.
FLORIVAL.
Ciel !je vois venir mon pere !évitons ses regards.
SCÈNE XIII. Le Baron, Le Vicomte. §
LE VICOMTE, tenant une lettre.
Ah ! Monsieur le Baron, quelle est ma joie ?
LE BARON.
Comment ! Auriez-vous trouvé Jeannette ?
LE VICOMTE.
Non, Monsieur, mais je suis au comble de mes voeux.
LE BARON.
Eh pour quel sujet ?
LE VICOMTE.
Je reçois une lettre de mon père que nous avions cru perdu !
LE BARON.
Quelle heureuse nouvelle !
LE VICOMTE.
Après quinze années d’absence, il m’apprend qu’il est arrivé à Naples et qu’il se dispose à partir pour Florence.
LE BARON.
Quoi, je reverrai encore mon intime ami ?
LE VICOMTE.
Oui, nous ne tarderons point l’embrasser.
LE BARON.
Racontez-moi cet événement.
LE VICOMTE.
Vous savez, Monsieur, que dans la dernière guerre de Venise, mon père fut pris par des corsaires, et que ces barbares le conduisirent esclave Tunis : depuis ce temps nous avons ignoré sa destinée, mais enfin notre auguste Monarque, dont la justice égale la clémence, vient d’obtenir sa liberté en accordant la rançon qu’on avait exigé pour lui.
LE BARON.
Quelle âme généreuse !
LE VICOMTE.
Mon coeur est si ému, que je puis peine respirer.
SCÈNE XIV. Le Vicomte, Le Baron, Zerbine. §
ZERBINE, au Baron.
Monsieur, voici une lettre qu’un courrier m’a chargé de vous remettre : je crois qu’elle est de conséquence, car il attend la réponse.
LE BARON ouvre la lettre qui a une enveloppe.
Voyons ce que c’est...
Mais elle n’est pas pour moi...
À Madame Simone, Fermière de Monsieur le Baron... Hélas ! La bonne femme est morte depuis six mois : qui pourrait lui écrire ? Ouvrons la lettre...
Que vois-je, c’est votre père qui lui écrit...
LE VICOMTE.
Mon père ?...
Quel pressentiment ! Quel soupçon !
Ah ! Monsieur, lisez vite.
LE BARON lit la lettre.
« Vous devez être étonnée, Madame, de n’avoir jamais entendu parler de moi depuis que j’ai mis ma fille entre vos mains : je vous ordonnai de l’élever secrètement sous le nom de Jeannette, ayant des raisons pour cacher sa naissance : elle se nomme Sophie, faites-la reconnaître à Monsieur le Baron... »
LE VICOMTE.
Dieux ! Jeannette est ma soeur!
LE BARON.
Quoi, Sophie réduite au sort le plus affreux !
ZERBINE, à part.
Je ne m’étonne plus présent si elle était aussi fière avec moi.
SCÈNE XV. Le Vicomte, Le Baron, Zerbine, Florival, ensuite Jeannette dans le lointain. §
LE VICOMTE.
Ah ! Florival, accourez.
LE BARON.
Viens mon fils ! Je te rends toute ma tendresse.
LE VICOMTE.
Quel bonheur imprévu !
FLORIVAL.
Qu’est-il arrivé ?
LE VICOMTE.
Un prodige, un enchantement, une lettre de mon père qui est à Naples.
FLORIVAL.
Votre père ! Ah Monsieur, je vous en félicite !
LE VICOMTE, vivement.
Mais, ce n’est pas encore tout... Apprenez...
FLORIVAL.
Quoi, parlez !
LE VICOMTE.
Jeannette ?
FLORIVAL.
Eh bien ?
LE VICOMTE.
Elle est ma soeur.
FLORIVAL.
Est-il possible ?
LE VICOMTE.
Oh, n’en doutez point, elle se nomme Sophie...
FLORIVAL, avec transport.
Sophie ! Votre soeur... Ah je n’en doute plus ! Elle avait trop de sentiments pour ne pas être d’une noble origine !
LE BARON.
Je me sens attendri et je renonce mes prétentions : épouse-là, elle est digne de toi... Tiens, lis cette lettre.
ZERBINE, à part.
Voilà une aventure bien extraordinaire.
JEANNETTE, au fond du théâtre.
Ô ciel ! Je serais la soeur du Vicomte, contraignons-nous pour un instant.
LE BARON, au Vicomte.
Allons informer ma fille de cet heureux événement.
FLORIVAL, à part.
Et moi, ma chère Sophie.
SCÈNE XVI. Jeannette, Florival. §
JEANNETTE.
Ah ! J’ai tout entendu ! Quoi, je suis sa soeur ?
FLORIVAL.
JEANNETTE.
ENSEMBLE.
JEANNETTE.
FLORIVAL.
ENSEMBLE.
SCÈNE XVII. Florival, Jeannette, Le Baron, Clarisse, Le Vicomte, Fabrice, Zerbine. §
LE BARON.
Les voilà rassemblés : ah ! Ma chère Sophie ! Partage nos transports ! Que l’hymen t’unifie à mon fils ! Oui : tu mérites nos hommages autant par tes vertus, que par l’éclat de ta naissance.
LE BARON, LE VICOMTE, CLARISSE, ZERBINE, FABRICE, FLORIVAL et JEANNETTE.
JEANNETTE, au Vicomte.
FLORIVAL, à Jeannette.
ZERBINE, à Fabrice.
FABRICE, Zerbine.
TOUS ENSEMBLE ET EN CHUR.