Par A.I MONTFLEURY.
Chez PIERRE LE MONNIER, vis-à-vis la Porte de l’Eglise de la Sainte Chapelle, à l’Image de S. Loüis, & au Feu Divin.
M. DC. LXXII
AVEC PRIVILEGE DU ROI.
Édition critique établie par Marine Secchi dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2012-2013)
L'auteur et son œuvre §
Biographie et carrière théâtrale §
Antoine Jacob Montfleury est né en 1639 à Paris1 de l’union du célèbre comédien de l’Hôtel de Bourgogne, Zacharie Jacob dit Montfleury2, et de « l’actrice, veuve et fille de comédiens » Jeanne de la Chappe3. Licencié en droit, il est reçu avocat au Parlement en 1660. Mais sa carrière dans ce domaine est écourtée par son goût pour le théâtre: la même année il compose sa première pièce en un acte, le Mariage sur rien, qu’il signe « Antoine Jacob, advocat au parlement ». Victor Fournel indique que cette signature constitue « la seule trace qu’il ait laissée de son passage au barreau4». L'environnement familial rend propice son introduction dans le milieu du théâtre. En effet, grâce à son père, il naît quasiment dans la troupe de l’Hôtel de Bourgogne, de telle sorte que le 5 février 1665 il épouse la fille du célèbre comédien Flodilor5, dirigeant de la troupe, Marie-Marguerite de Soulas, dont il eut un enfant, Mademoiselle le Plessis6. Partageant le même patronyme que son père, l’histoire littéraire tend à confondre les deux hommes, si bien que, Adrian Braakman dans l’édition de 1697 des Œuvres de Montfleury, réunit en une seule et même personne le père et le fils. Christophe David en fait de même dans l’édition de leurs œuvres en deux volumes (Œuvres de M. Montfleury, format in-12 Paris, 1705). Il faut attendre l’édition de 1739 du Théâtre de Messieurs de Montfleury Père et fils (Paris) établie par La Compagnie des Libraires pour que cet amalgame soit corrigé.
Sa production théâtrale s’étend de 1660 à 1678, période pendant laquelle il écrivit en moyenne une pièce par an. On recense 17 pièces de sa production, parmi lesquelles on compte deux tragi-comédies, Trasibule (1663), et L'Ambigu Comique (1673), qui comporte des intermèdes comiques. Il coécrit avec Thomas Corneille en 1673 une comédie en 5 actes, Le Comédien Poète. L’échec de Trigaudin ou Martin Braillart en 1674 marque le déclin de sa carrière. Après 3 ans sans production théâtrale, il signe deux dernières pièces, Crispin Gentilhomme en 1677 et La Dame médecin en 1678, deux comédies en cinq actes, avant d’abandonner l’écriture pour embrasser une nouvelle carrière, dans le domaine de la finance. En 1678, il accepte la charge que Colbert lui confie, à savoir faire le recouvrement des sommes que le Parlement de Provence devait au roi. Satisfait de son travail, le Ministère le rappela à Paris en 1684 pour lui proposer un poste dans les Fermes Générale. Mais son état de santé s’aggrava et il mourut à Aix le 11 octobre 1685.
Rivalité avec Molière §
Si l’histoire littéraire ne se rappelle pas bien de Montfleury, c’est parce qu’il fut contemporain de Molière. Leurs carrières respectives se chevauchent7, et on observe quelques similitudes quant aux thèmes traités dans leurs pièces : Lancaster prend note de cette analogie8, mais semble donner l’ascendant à Molière9. La rivalité entre les deux hommes se concrétise sur la scène parisienne lorsque Molière, en novembre 1663, raille le jeu d’acteur de Montfleury père dans l’Impromptu de Versailles (I,1). Montfleury fils riposte un mois plus tard avec l’Impromptu de l’Hôtel de Condé où il parodie les déclamations tragiques de Molière.
La critique lui reproche son style grossier, la crudité du langage, et les scènes à la limite de la bienséance10. Le thème de l’adultère est récurrent : on le retrouve dans Le Mary sans femme (1663), la Femme juge et partie (1669), le Gentilhomme de Beauce (1670) et La Fille Capitaine (1672). Si la postérité sera sévère, le public de son temps a su apprécier ses pièces à leur juste titre : Le Mercure Galant du mois d’août 1705 rapporte l’engouement du public pour La Fille Capitaine et pour la Femme juge et partie11. Les critiques du XIXe12 lui reconnaissent un talent de dramaturge qui a su plaire au public par la maîtrise de la modeste comédie d’intrigue. N.-M. Bernardin justifie le jugement sévère de la communauté littéraire en disant que « ce qui a nui surtout dans l’esprit de la critique à Montfleury […] c’est qu’il a eu le malheur d’être le contemporain de Molière et l’imprudence de prétendre être son rival ».13 Montfleury n’en reste pas moins un auteur talentueux de son temps, qui mérita tout de même de susciter quelques études à son sujet, notamment celle de Walter Rohr14.
La Fille Capitaine §
Nous avons vu jusqu’ici le paradoxe qu’il y a entre la critique, sévère à l’égard de cet auteur, et le public, dont l’engouement pour les pièces de Montfleury nuance le tableau dépeint par ses contemporains. Avant d’examiner plus en détails l’objet de notre étude, il semble préférable d’exposer le résumé, aussi détaillé fut-il, afin d’avoir une vue d’ensemble de la pièce et de mieux en comprendre l’intrigue.
Argument de la pièce §
Acte I §
La scène se passe à Paris. Angélique, dont le père est parti pour Saint-Germain, annonce à sa cousine Lucinde qu’elle vient passer huit jours chez elle. Lucinde, quant à elle, attend le retour de son frère, Capitaine dans le Régiment du Roy. La jeune femme est amoureuse de Damon qui l’aime aussi, est tous deux attendent le retour du frère afin qu’il donne son aveu pour leur mariage. Les deux parentes, bien qu’elles soient complices, n’ont pas la même vision des hommes et de l’amour : Angélique expose une vision très libertine du mariage et s’amuse dans la raillerie, tandis que Lucinde croit en les valeurs du mariage et de l’engagement (scène 1). Damon arrive, désespéré par l’attente de ce frère qui tarde à arriver. Angélique se réjouit à l’idée d’aller danser (scène 2). Cato, la suivante de Lucinde entre à son tour, et crée une fausse joie en annonçant l’arrivée de L’Espérance, sergent du frère de Lucinde qui sert aussi dans le Régiment du Roi (scène 3). Celui-ci apporte un billet de la part du Capitaine à Lucinde. Il explique que la Compagnie revient de Flandre, et que le frère de Lucinde, ayant trop bu la veille, aura un jour de retard. L’Espérance est à Paris pour mener une Recrue, c’est-à-dire trouver vingt hommes et en faire des soldats En attendant le retour du frère, Damon décide d’aller demander l’aveu de son oncle pour son mariage (scène 4). Cato emmène L’Espérance se désaltérer, ils sortent tous les deux (scène 5). Lucinde et Angélique se retrouvent de nouveau seules. Lucinde confie son inquiétude à sa cousine à propos de l’aveu de l’oncle de Damon. Elle lui révèle que celui-ci est aussi amoureux d’elle et qu’il est marié. Elle dresse un portrait risible de ce Monsieur le Blanc et avoue qu’elle a caché à Damon cette affaire de peur de brouiller les deux hommes. Elle craint qu’il ne s’oppose à son union avec le jeune homme. Etant aussi son tuteur, elle s’inquiète quant à la fortune de Damon. Angélique, qui se rit de cette situation, envisage de berner ce galant. Monsieur le Blanc arrive et elles partent toutes deux de peur de le rencontrer (scène 6). Monsieur et Madame le Blanc font leur entrée. Le couple se dispute : Madame le Blanc, qui est une femme aimante, reproche à son époux ses nombreuses sorties. Monsieur le Blanc raille son épouse et la congédie (scène 7). Il se plaint dans un monologue de l’amour étouffant qu’elle lui porte (scène 8). Damon arrive et fait part de son projet de mariage à son oncle, lequel le met en garde sur la réalité d’une telle entreprise. Damon révèle l’identité de Lucinde, et Monsieur le Blanc, au deuxième hémistiche du même vers, fait l’aveu en aparté de son amour elle. L’oncle s’emporte et refuse cette union, mise en péril par le mode de vie léger de son neveu, et finit par le congédier (scène 9).
Acte II §
Lucinde parle avec sa suivante, Cato, qui s’étonne de cette situation, expose le plan d’Angélique pour berner le galant : celle-ci va se déguiser avec les habits du Capitaine. On comprend que tous les personnages ont un rôle à jouer dans ce stratagème, même Madame le Blanc qui arrive avec Damon. Les deux femmes se saluent et échangent des politesses. Angélique entre à son tour, déguisée en Capitaine et déjà dans son rôle. Tous la complimentent sur sa tenue, mais bientôt La Brie, le laquais de Damon, vient annoncer la venue de Monsieur le Blanc. Tous sortent à l’exception de Cato qui doit le recevoir. La suivante accueille le galant et l’informe du prétendu amour de sa maîtresse pour lui. Celui-ci, pressé de la voir, est ralenti dans ses projets lorsque Cato lui apprend que Lucinde s’entretient avec son frère, un Capitaine du Régiment du Roi. Monsieur le Blanc, prit de peur, souhaite partir, mais Cato le retient prétextant la déception de sa maîtresse. Elle lui propose alors de le cacher si le Capitaine s’approche. Il se lamente quelques instants, puis Cato revient accompagnée de Lucinde. Pendant que la suivante veille à ce que le Capitaine n’approche pas, Lucinde et Monsieur le Blanc s’entretiennent. Mais bientôt Cato revient alertant que « le Capitaine » vient, et décide de cacher Monsieur le Blanc. Angélique fait son entrée, e présence du galant caché, et interroge Cato sur la conduit de sa sœur pendant son absence. Ses menaces envers les Galants effrayent Monsieur le Blanc. Mais bientôt le Capitaine exprime son désir de revoir une ancienne maîtresse, la femme d’un bourgeois, et charge Cato de la lui amener. L’Espérance fait son entrée l’informant qu’il n’a trouvé que dix-neuf hommes bien bâtis pour la Recrue. Cato revient accompagnée de Madame le Blanc, l’ancienne maitresse du Capitaine. Monsieur le Blanc toujours caché ne peut agir et enrage. Tous partent et il peut enfin sortir de sa cachette. Cato revient et Monsieur le Blanc lui confie qu’il est à la disposition de Lucinde. Il part laissant Cato seule qui jubile de cette situation.
Acte III §
Lucinde, à la recherche de Cato, rencontre Angélique qui l’informe que Cato est partie en ville porter un billet de sa part à Monsieur le Blanc. Lucinde reproche à Angélique sa légèreté et s’inquiète à propos de Madame le Blanc, qui semble, pour son époux, être infidèle. Angélique se défend de ses reproches et garde le silence quant à la suite des évènements. Elles quittent la scène lorsque Monsieur le Blanc arrive ; il réfléchit aux moyens de punir sa femme sans en trouver aucun. Damon et Madame le Blanc entrent alors. Le mari s’emporte contre sa femme de laquelle Damon prend la défense. Tous deux reprochent au présumé cocu de ne pas s’être manifesté lors de l’entretien et l’accusent d’avoir rêvé. Madame le Blanc part ; Damon expose l’alibi de sa tante : elle était chez sa sœur avec lui. Monsieur le Blanc sur les conseils de son neveu décide alors de ne pas s’emporter davantage mais d’attendre la confirmation de cet adultère afin de se venger. Monsieur le Blanc reste seul et Cato arrive alors lui porter le billet prétendument écrit par Lucinde. Son contenu semble confirmer les sentiments de la jeune femme à l’égard du vieil homme. Il demande aussi à Cato de lui arranger un entretien avec la maîtresse du Capitaine, sa Femme. Il la paye en lui donnant sa bague.
Acte IV §
L’Espérance, seul sur scène, se réjouit de sa Recrue et vante les avantages de la vie de militaire. Cato arrive et l’informe qu’Angélique a besoin de lui pour berner une fois de Monsieur le Blanc. L’Espérance fait part à Cato de son amour pour elle. La suivante le repousse et il sort. Elle reste seule, pestant contre lui. Madame le Blanc entre, et Cato l’informe qu’un autre Galant souhaite l’entretenir. D’abord indignée, elle reconnait la bague de son mari. Elle craint que la farce ne soit allée trop loin, mais Cato la rassure. Elle quitte la scène et Monsieur le Blanc fait son apparition. Cato va chercher Lucinde. La jeune fille avoue son amour pour lui, et souhaite se marier au plus vite. Monsieur le Blanc, prudent, lui soumet l’idée d’une union non légitime mais spirituelle, à laquelle Lucinde consent. Angélique déguisée en Capitaine entre folle de rage et menace de son épée Monsieur le Blanc. Lucinde tente de le défendre en lui exposant leur amour mais « le Capitaine » reste inflexible. Alors elle évoque la fortune du galant et Angélique rengaine, au grand soulagement de Monsieur le Blanc. Elle appelle alors L’Espérance et lui ordonne d’aller chercher un notaire pour les marier sur l’heure. Monsieur le Blanc tente de repousser l’échéance par tous les moyens mais « le Capitaine » refuse, prétextant son départ imminent. Il avoue finalement être déjà marié et le Capitaine entre décide de le tuer. L’Espérance parvient à raisonner son maître en lui proposant de faire enrôler l’escroc. Monsieur le Blanc, terrifié, ne peut que se soumettre.
Acte V §
Lucinde et Damon s’entretiennent. Ils sont rassurés par l’arrivée de son frère le soir même. Angélique et Madame le Blanc les rejoignent. La dame s’inquiète pour Angélique, lorsqu’elle sera démasquée. L’Espérance entre à son tour, les informant qu’il a laissé Monsieur le Blanc avec les autres soldats. Tous se cachent lorsque celui-ci arrive, se plaignant de son sort. Cato vient alors, en pleurs, l’informant du triste sort que le Capitaine a fait à sa sœur : Lucinde est condamnée à passer sa vie au Couvent. Elle lui rapporte aussi que la maîtresse du Capitaine est ici, pour calmer la colère du soldat. Cato va la chercher, et L’Espérance fait son entrée, bousculant Monsieur le Blanc. L’homme lui demande de différer le départ et devant le refus de son supérieur, le soudoie. L’Espérance part avec l’argent et Cato entre avec Madame le Blanc. Monsieur le Blanc se fait passer pour le Capitaine pour piéger sa femme. Sûr de l’infidélité de son épouse, il dévoile son identité et se met en colère, ce qui fait fuir sa femme. Cato arrive alors, inquiète des cris qu’elle a entendus ; puis Damon la rejoint. Le jeune homme s’étonne de l’accoutrement de son oncle et décide de parler au Capitaine. Angélique entre et s’excusant de s’être emportée contre Monsieur le Blanc, oncle de Damon, décide de le laisser en paix, et consent au mariage entre les deux jeunes gens. Mais Monsieur le Blanc s’oppose toujours à ce mariage, invoquant l’infidélité de sa femme avec le Capitaine. Angélique fait alors venir Madame le Blanc et veut l’embrasser devant son époux. Celui-ci entre dans une colère noire, et tout le monde révèle alors la supercherie. Angélique se démasque, ce qui innocente Madame le Blanc. Lucinde entre enfin pour annoncer la venue de son frère.
Une œuvre faussement éponyme ? §
Le titre, la Fille Capitaine, fait directement référence au personnage d’Angélique. En effet, la jeune femme, pour piéger Monsieur le Blanc et permettre à sa cousine Lucinde d’évincer cet obstacle à son union avec Damon, revêt les habits de son frère. Mais ce personnage n’est pas le centre de la pièce. Bien que l’action gravite autour d’elle, et que celle-ci se démarque comme metteur en scène et maître des opérations, la pièce a pour objet la mise en déroute du barbon. Angélique en se déguisant, n’est qu’un moyen pour y parvenir. Les autres personnages, notamment les serviteurs, sont tout aussi importants dans la mesure où ils prennent tous part à la duperie. De plus, Angélique, en terme de présence sur scène, n’occupe que la troisième marche du podium.15 On peut se demander si Montfleury ne s’est pas contenté de traduire simplement le titre espagnol, déçu que l’appellation de Cocu imaginaire16 fut déjà attribuée à une autre pièce.
Les origines de l’œuvre §
La Dama capitan : source principale §
Prosélyte de la langue de Cervantès et averti de la richesse de la production dramatique espagnole, Montfleury s’est inspiré à plusieurs reprises de pièces espagnoles pour écrire les siennes. En effet, la Femme juge et partie (1669) est une adaptation de la Dama corregidor de Villaviciosa Zabaleta ; il en est de même pour la Fille capitaine (1672) qui est inspirée et largement adaptée de la Dama capitan (1671) de Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova17. La proximité temporelle des deux œuvres laisse à penser que le dramaturge français a voulu s’inscrire tardivement dans le genre de la comédie à l’espagnole. Avant d’entreprendre une tentative de comparaison18 entre les deux œuvres, il semble préférable de préciser ce qu’est la comédie à l’espagnole.
La comédie à l’espagnole §
Ce courant théâtral surgit en France à la fin des années 1630 et peut se définir comme étant l’adaptation de pièces espagnoles sur la scène française. Les relations étroites entre l’Espagne et la France au XVIIe siècle favorise l’émergence de ce type de pièces. C. Grell et B. Pellistrandi, dans leur ouvrage Les Cours d’Espagne et de France au XVIIe siècle, préfèrent parler « de passage du relais entre les deux puissances catholiques » plutôt que de la prépondérance du Grand Siècle français sur le Siècle d’Or espagnol. En effet, l’alliance entre Louis XIII et Anne d’Autriche, qui fait de l’infante d’Espagne la reine de France et de Navarre de 1615 à 1643, et la présence de courtisans espagnols à la Cour du roi, permet le développement de l’intérêt pour la culture espagnole, lequel est doublé de liens commerciaux étroits avec la péninsule ibérique. Ajoutons à cela la pratique assidue de la langue espagnole dans certaines villes de France, notamment à Rouen et à Nantes, où l’on « parle, rédige et lit l’espagnol ».19 Cependant, les quelques représentations de comedias données à Paris par des troupes espagnoles rencontrèrent peu de succès. La comedia espagnole est véritablement importée en France par le géographe Antoine d’Ouville, lequel après avoir passé plusieurs années en Espagne, propose à son retour en France de « transformer la pièce espagnole en une comédie française faisant disparaître au passage son étiquette d’origine »20. La comédie à l’espagnole montre la survivance d’éléments espagnols dans leur transformation. En Espagne, pendant le Siècle d’Or, le théâtre est un pilier du divertissement : il y a véritablement une culture dramatique comme l’explique Farida Hofer y Tunon, « le théâtre se développe avec la société qu’il a pour but de divertir ». En France au XVIIe siècle, le théâtre n’a pas cette fonction de « liant collectif », d’après l’expression de R. Muchembled. Au début du XVIIe siècle, Paris n’abrite pas de théâtre stable, à l’exception de l’Hôtel de Bourgogne, fondé en 1548, mais qui demeure encore la propriété des Confrères de la Passion21. La bonne société parisienne du XVIIe siècle se divertit dans les salons sous l’impulsion de la mode lancée par la Marquise de Rambouillet, laquelle, dès 1618, se fait connaître par ses réceptions dans sa « Chambre Bleue ». Mais l’intérêt de Richelieu et du Roi étant tout autre, un processus d’anoblissement du théâtre est entamé, via des lois réhabilitant des comédiens et la généralisation des représentations de spectacles de théâtre à la Cour et dans Paris. La popularisation dans les années 1620 des tragédies, tragi-comédies et des pastorales, ainsi que l’augmentation du prix de l’entrée pour le parterre, qui s’élevait à 5 sols en 1630 et qui triplera jusqu’en 1660, témoignent de la réussite de l’entreprise de Richelieu qui parvient à faire du théâtre un « liant collectif ». Ainsi, J. Scherer écrit que « quand s’achève le demi-siècle pré-classique, le théâtre est […] devenu un phénomène social de premier plan. »
Alain-René Lesage fut le premier à entreprendre un travail systématique de traduction de pièces espagnoles : en 1700, dans le Théâtre espagnol ou les Meilleurs comédies des plus fameux auteurs espagnols traduites en François, il réunit deux comedias de Don Lope de Vega et de Rajas Zorilla, qu’il traduit en prose. Cependant, quelques dramaturges français avaient déjà adapté des pièces espagnoles en fonction du goût du public et des normes esthétiques françaises. Ces adaptations ont permis la diffusion de ce théâtre espagnol accessible jusqu’alors seulement aux érudits. La première adaptation de ce type est la Bague de l’oubly (1629) de Rotrou, une pièce adaptée de La sortija del olvido de Lope de Vega, et à propos de laquelle Lancaster écrit « it was the first time that a French dramatist based a play on a Spanish play. »22 Les années 1640 font souffler un vent espagnol sur le théâtre français,23 notamment et paradoxalement sur la comédie qui a le plus bénéficié de l’influence espagnole, laquelle demeurait, avant Mélite (1629) de P. Corneille, quasi-inexistante. Le développement de la comédie va de pair avec la conception utilitaire et socialisante du théâtre qui émerge dans les années 1630. Cette évolution tardive de ce genre est due en partie au public, principalement composé de la noblesse et de la haute bourgeoisie, et de ses attentes. En effet, l’intérêt du spectateur de l’époque était plus porté sur le genre de la pastorale et de la tragi-comédie, comme en témoigne le succès de l’Astrée24 (1607-1627) ; le mépris des théoriciens s’inscrivant dans l’héritage aristotélicien pour la comédie fait de ce genre le laisser-pour-compte du théâtre. Fournel mentionne même l’absence de modèles comiques antiques, contrairement à la tragédie. L’essor de la comédie s’amorce avec Corneille qui pratique un comique sophistiqué, qu’il qualifie lui-même comme étant « la peinture de la conversion des honnêtes gens »25. On citera pour mémoire La Veuve (1631), La Galerie du Palais (1633), La Suivante (1634), ou encore La Place Royale (1634). Madeleine Bertaud écrit : « [Corneille] a donné au « genre moyen » qu’était la comédie ses lettres de noblesse. »26L’Esprit Folet de d’Ouville en 1638 signe l’arrivée en France de la comédie à l’espagnole, laquelle sera déclinée, dès 1643, par Scarron en sept comédies, par Brosse dans Les Innocents coupables27 et Corneille avec le Menteur (1644) et la Suite du Menteur (1645), et dans lequel il explique que de la même façon qu’il prit Sénèque pour « appui » pour se hisser à « la dignité du tragique », il prit Lope de Vega pour « guide » dans le registre comique.28 D’autres auteurs se sont aussi essayés à la comédie à l’espagnole comme Thomas Corneille et Boisrobert qui comptent respectivement huit et sept comédies de ce genre. À la fin des années 1650, la comédie à l’espagnole s’efface en tant que carcan de création, mais demeure présente sur le théâtre : ainsi Molière et sa troupe continuent de jouer des comédies à l’espagnole de Scarron et des frères Corneille29. Mais le goût pour l’adaptation subsiste : plus tard, Hauteroche et Thomas Corneille s’inspirent de la Dama duende de Calderon de la Barca30 pour l’Esprit Folet ou la dame invisible (1684).
La comédie à l’espagnole rencontre cependant des problèmes de sources. En effet, durant les années de la Fronde (1647-1650), aucune comédie à l’espagnole n’est imprimée, passant sous silence les sources des pièces aux yeux du public. Seul Corneille dans l’épître et l’avis au lecteur du Menteur (1644) mentionne l’origine espagnole, contrairement à d’Ouville qui en 1646 a déjà publié l’ensemble de ses pièces.31 La mention des sources espagnoles ne se normalise que dans les années 1650, mais les marques de reconnaissance des auteurs espagnols demeurent peu nombreuses. D’un point de vue synchronique, les dramaturges du XVIIe siècle considèrent leurs œuvres comme des « copies »32. Lambert nuance ce terme en explicitant l’expression « petite oeconomie » qu’emploie Corneille, afin de mettre l’accent sur les changements effectués.33 En raison du contexte belliqueux franco-espagnol, Corneille esquive l’accusation de traîtrise de la part de la critique en qualifiant le Menteur de « larcin »34 et donne ainsi l’impression de piller l’ennemi plus que de voir en lui une source d’inspiration à part entière. Les dramaturges s’essayant à la comédie à l’espagnole semblent tous suivre une politique de travestissement des sources, et veillent, selon les propos de Corneille, à « habiller à la française » le sujet espagnol.35 Ce déguisement de l’original 36 passe par une transposition radicale de l’action de la pièce espagnole dans un environnement français ce qui a pour conséquences de gommer les liens entre les deux textes.37
Stucture des comédies à l’espagnole : l’ouvrage de référence sur la composition des comedias est le traité de Lope de Vega de 1609, Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo38, dans lequel il expose sa conception du théâtre, et les procédés pour obtenir la comedia nueva. La structure externe se distingue nettement de la composition théâtrale française : la pièce est divisée en trois jornadas, que l’on traduira comme étant des actes, lesquelles ne sont pas subdivisées en scènes, contrairement au théâtre français, où les actes se partagent en scènes régies par les entrées et les sorties des personnages. Les jordanas sont cependant divisées en deux séquences appelées cuadros (tableaux) : le premier délimite une action qui se passe en un lieu et un temps déterminé et s’interrompt sensiblement par un changement de décor ou de métrique qui marque le début du deuxième tableau. La polymétrie est caractéristique de ce théâtre espagnol. Le Siècle d’Or fait varier la métrique selon le rang social des locuteurs, la situation, les sentiments exprimés, les formes de discours utilisés. Ainsi les personnages nobles et âgés s’expriment en vers longs appelés de arte mayor39 ; les valets et les récits amoureux emploient des vers courts, de arte menor40. Cette polymétrie donne une musicalité au texte ce qui permet de rendre sensible au spectateur les différents moments de la pièce.
La structure interne des comedias ne se distingue pas fondamentalement de celle des comédies françaises dans la mesure où Lope de Vega ne suit que de très loin les préceptes d’Aristote. Mais bien qu’il soit quelques fois question des trois unités, on relèvera que celles-ci sont traitées avec plus de souplesse en vue d’une adaptation avec les contraintes du genre théâtral. En effet, si l’unité d’action est présente dans l’ouvrage du dramaturge espagnol, l’unité de temps et de lieu ne sont qu’esquissées. Le changement de tableau et le séquençage d’une œuvre en journées impliquent une plus grande maniabilité des paramètres spatio-temporels.
Argument de la Dama capitan §
Avant d’exposer le sujet de la pièce de Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova, il est d’important de préciser les difficultés rencontrées au cours de notre étude. En effet, aucune traduction de cette œuvre n’ayant été établie auparavant, l’une des difficulté majeure de cette édition critique a été de lire, de comprendre et de transposer le plus fidèlement possible le propos espagnol. Avec l’aide d’une étudiante en espagnol, nous sommes parvenue à esquisser une traduction en prose41.
La Dama capitan se découpe en trois journées, conformément à l’usage espagnol, et compte un peu plus de quatorze personnages42.
Première jornada §
Dona Elvira, une jeune femme noble, s’enfuit de chez elle avec sa suivante, Dona Lucia. Dona Elvira exprime à sa confidente son intime conviction d’être née pour de plus grandes choses que celles auxquelles la cantonnent son sexe; elle sent en son cœur une ferveur masculine qui la fait aspirer à accomplir des actions nobles et guerrières, des actions d’homme. Dona Lucia se montre compréhensive envers sa maîtresse : elle dénonce l’éducation de la tutrice de Dona Elvira, tutrice qui se trouve être sa tante -en effet, on apprend dans ce récit rétrospectif que les parents de la jeune fille sont morts. La parente est présentée comme une harpie qui n’éleva sa nièce que dans le but de la faire rentrer au couvent. Dona Elvira fait part de l’objet de sa fuite : retrouver le Comte de Fuentes à San Sebastian et se joindre à ses hommes pour partir en campagne dans les Etats de Flandres. Cependant, la suivante émet quelques inquiétudes à ce sujet : elle craint que la jeune femme ne rencontre son frère, Don Fernando de Vergara, capitaine dans l’armée, et qu’elle ne soit démasquée. Dona Elvira assure que s’ils venaient à se rencontrer, il ne la reconnaîtrait pas car il ne l’a pas revue depuis l’enfance. La conversation entre les deux jeunes femmes est interrompue par l’arrivée de deux muletiers43. Après l’affront sur l’honneur d’un des personnages, Dona Elvira, déguisé en homme, dégaine son épée. Une scène de combat commence alors, et les quatre personnages sont bientôt rejoins par deux brigands. Les jeunes femmes parviennent à s’enfuir après avoir poignardé leurs adversaires. Entrent alors le Sergent Palomo et l’aubergiste Juana. Le soldat déclare sa flamme à la jeune fille, indifférente à ses plaintes. Dona Elvira/Lope et Dona Lucia/Martin viennent à la rencontre de la jeune aubergiste, qui tombe sous le charme de Don Lope, et obtiennent un gîte pour la nuit. Le Sergent ayant assisté à cette scène de séduction, il se bat avec les deux jeunes gens et ils quittent la scène en croisant le fer. Don Fernando de Vergara entre avec le Baron. Le Capitaine confie son amour pour Madame Bianca. Don Lope et Don Martin reviennent sur scène, et les quatre personnages assistent à l’arrivée d’un cortège de fête. Don Fernando et Don Lope ramassent en même temps une rose tombée, et débutent une joute verbale. Don Elvira/Lope reconnaît son frère grâce au Comte de Fuentes, lequel veut faire pendre le jeune homme. Don Elvira/Lope, par un plaidoyer, parvient à faire valoir sa condition de civil, et le Comte l’enrôle dans l’armée.
Deuxième jornada §
Le deuxième tableau s’ouvren sur une scène de combat entre deux armées. Don Elvira/Lope est tombée au front, blessée, mais ramène deux drapeaux, symbole de victoire. Le Comte de Fuentes, après avoir loué les qualités guerrières de Don Fernando, fait l’éloge de la bravoure de Don Lope. Après un discours sur la bataille qui vient d’avoir lieu, entrent Madame Blanca et Julia, sa suivante. La jeune noble tombe sous le charme de Don Lope et la scène s’achève sur un quatuor amoureux. En effet, Madame Blanca est éprise de Don Elvira/Lope, alors que Don Fernando est épris d’elle.
Troisième jornada §
C'est au Comte de Fuentes de décider qui de Don Fernando ou Don Lope obtiendra la main de Madame Blanca. Après avoir défendu sa flamme, Don Fernando doit accuser la décision du Comte qui est de donner la belle à son rival. Madame Blanca s’accommode de cette décision mais ne reste pas insensible au plaidoyer du capitaine. Don Elvira/Lope décide alors de rétablir la vérité : en se démasquant elle offre la main de la jeune femme à son frère.
L'habit français §
Il s’agit maintenant de relire la pièce de Montfleury à la lueur de la source espagnole. Pour illustrer notre propos, un tableau comparatif nous a semblé plus clair et explicite qu’une diatribe.
La Dama capitan (1671), Don Diego et Don Joseph de Figueroa y Cordova | La Fille Capitaine (1672), Montfleury |
Dona Elvira, jeune noble se déguise en homme afin d’accomplir ses aspirations : embrasser une destinée glorieuse et guerrière. | Angélique se travestit en Capitaine pour aider sa cousine Lucinde à arriver à ses fins : se marier avec Damon. |
Dona Lucia, sa suivante, se déguise pour accompagner sa maîtresse. | Lucinde, cousine d’Angélique, noble aussi, ne se déguise, mais joue un rôle, celui de la jeune femme séduite par Monsieur le Blanc. |
Le rapport hiérarchique dans la pièce espagnole est transformé en lien de parenté dans la pièce française. Il n’y a plus de rapport maîtresse/suivante mais de jeunes femmes, cousines, et de même rang social. De plus, on passe de deux personnages déguisés physiquement à un seul personnage travesti ; on peut considérer que le rôle que joue Lucinde auprès de Monsieur le Blanc est un déguisement, de l’esprit cette fois. | |
Don Fernando de Vergara, capitaine, est présent physiquement sur scène. | Le frère de Lucinde, Capitaine dans le Régiment du Roi n’est présent que dans le hors-scène, et par contumace, sous le déguisement d’Angélique. |
On a d’un côté un personnage masculin, figure de l’autorité, présent effectivement ; de l’autre, un personnage absent mais représenté. La Flandre est mentionnée dans les deux œuvres. | |
Plusieurs scènes de batailles, parfois violentes, et toujours dans des lieux différents. | Pas de scène de bataille, tout juste une scène de duel (IV, 8). |
Quiproquo amoureux involontaire : Don Fernando épris de Madame Blanca, elle-même éprise de Don Elvira/Lope. | Quiproquo amoureux involontaire : Monsieur le Blanc épris de Lucinde, elle-même éprise de Damon. Quiproquo amoureux fictif : Angélique/Capitaine éprise de Madame le Blanc et réciproquement. |
On a dans chaque pièce une situation de quiproquo amoureux découlant du travestissement. Dans la pièce espagnole, il n’est qu’une conséquence involontaire ; dans la pièce française, le premier est un moteur de l’action ; le second est un moyen d’action. | |
Dans les deux pièces, le dénouement qui signe le retour à la norme, s’opère avec l rétablissement des identités. Bas les masques ! |
Montfleury ne s’est pas contenté d’adapter la pièce espagnole à la scène française mais il a récupéré les éléments principaux de la source pour les mettre au service du comique de sa pièce. Dans la Fille Capitaine, un seul personnage se déguise et tous sont dans la confidence du stratagème, alors que dans la pièce espagnole, deux personnages sont travestis et les autres protagonistes ignorent tout de ce changement d’identité. Aussi, le thème du travestissement est repris à des fins comiques : le déguisement d’Angélique permet de mettre à mal Monsieur le Blanc et de le confronter au ridicule de sa situation. Dans la Dama capitan, le ton de la pièce est plus grave : les deux jeunes femmes se déguisent pour fuir le joug tutélaire de la tante de Dona Elvira et ainsi assouvir ses aspirations héroïques. La pièce de Montfleury se démarque par son originalité quant à l’illusion de la liberté des personnages. En effet, le spectateur a l’impression, dès l’acte II, que le dramaturge a légué sa plume à Angélique, qui devient alors l’auteur d’une toute nouvelle farce. Ce qui semblait commencé comme une comédie classique devient alors un espace où les personnages expriment leur inventivité. L'illusion théâtrale s’opère par l’autonomie des personnages sur scène. Dans la pièce espagnole, les protagonistes doivent composer à partir des obstacles qu’ils rencontrent, alors que dans la pièce française, les personnages ont une totale maîtrise des événements, puisqu’ils les créent eux-mêmes. Par exemple, les scènes de combat dans la Dama capitan échappent au contrôle des personnages, qui risquent leur vie à chaque coup de fleuret ; a contrario, dans la Fille Capitaine, la fausse scène de duel est totalement orchestrée par les personnages, qui prennent toutes les précautions pour ne pas se mettre en danger.
ANGELIQUEAh que pour mon dessein j’ay mal pris mes mesures!Avecque mon épée il blessera quelqu’un.L’ESPERANCEBon ; Son épée, et rien, Madame, c’est tout un:Vous verrez là-dessus son attente trompée;J’ay tantost fait river44 le bout de son épée.ANGELIQUELe brave L’Esperance entend à demy-mot. (V, 3, v. 1400-1405)
De même, un quiproquo amoureux est mis en scène dans les deux œuvres, à la différence que dans la Dama capitan il est involontaire, alors que dans la pièce de Montfleury, le quiproquo est provoqué et, comme le déguisement, permet de confondre Monsieur le Blanc. L'originalité de Montfleury a été de donner l’illusion au public que sa pièce était le fruit de l’improvisation de ses personnages.
Sources annexes §
Outre la source espagnole, on peut déceler dans l’œuvre de Montfleury une forte intertextualité avec quelques œuvres contemporaines du XVIIe siècle. En effet, la scène 1 de l’acte I n’est pas sans rappeler la scène d’ouverture de La Place Royale (1634) de Corneille45, dans laquelle deux amies, Angélique et Phyllis s’entretiennent au sujet de l’amour. Dans la Fille Capitaine, Angélique se rapproche plus par son discours de Phyllis que d’Angélique. Comme le personnage de Corneille, la jeune femme n’est promise à personne et revendique cette liberté. Lucinde est dans une situation similaire à l’Angélique de Corneille : éprise d’un jeune homme, elle envisage de l’épouser. Les deux jeunes femmes sont aussi courtisées par un autre prétendant, parent d’un autre personnage : Monsieur le Blanc, l’oncle de Damon, dans la pièce de Montfleury, Doraste, le frère de Phyllis, dans la Place Royale. Le discours d’Angélique dans l’œuvre de Montfleury fait écho à celui de Phyllis en plusieurs points : toute deux se méfient du mariage et du joug de l’époux.
Phyllis Je ne me pique point de cette vanité, Et l’exemple d’autrui m’a trop fait reconnaître Qu'au lieu d’un serviteur c’est accepter un maître. |
Angélique Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ; Je me fais des plaisirs que l’Hymen* troubleroit ; On ne sçait ce qu’on fait souvent quand on se donne ; |
Aussi, toutes deux aiment se jouer de leurs prétendants :
Phyllis Tout le monde me plaît, et rien ne m’importune. De mille que je rends l’un de l’autre jaloux, Mon coeur n’est à pas un, et se promet à tous : Ainsi tous à l’envi s’efforcent à me plaire ; |
Angélique J’aime à troubler des cœurs sans engager le mien, A tourner d’un Amant l’ardeur en ridicule, A vivre sans attache, & railler sans scrupule, A flater vingt Galans* de l’espoir de ma main, Et mesme quelquefois à dauber le prochain : |
L'Angélique de Corneille et Lucinde se distinguent par leur caractère : alors que le personnage de la Place Royale se démarque par son intransigeance et son souhait d’exclusivité en amour, Lucinde apparaît comme une simple jeune femme amoureuse, défendant autant que faire se peut la réputation de son fiancé.
AngéliquePour aimer comme il faut il faut aimer ainsi.
Dans les deux pièces, ces premières scènes sont des scènes de confidence qui visent à exposer la situation initiale au spectateur. Aussi, chaque binôme est composé de deux jeunes femmes unies par des liens forts, qu’ils soient de parenté ou d’amitié.
La Fille Capitaine présente quelques similitudes avec l’Ecole des Femmes (1668) de Molière. En effet, le thème du cocuage est présent dans les deux pièces, et notamment la peur du cocuage : dans l’œuvre de Molière, Arnolphe, victime de la doctrine cléricale qui pointe les femmes comme des êtres perfides et vicieux, préfère le célibat au mariage, qui risque de lui faire pousser des cornes. Dans l’œuvre de Montfleury, Monsieur le Blanc perçoit les femmes de la même façon, bien que celui-ci a une épouse fidèle et aimante.
Je vous entens, j’ay tort de n’estre pas Cocu ;Je dois m’y préparer, ma Chere, & c’est dommageQu’une Moitié semblable ait esté mon partage :Vostre honneur desormais ne me répond de rien,Et vous vous repentez d’estre Femme de bien. (Monsieur le Blanc, I, 7, v. 266-270)
Notons que l’on peut considérer que les situations respectives des deux barbons dessinent un chiasme en négatif : alors que Arnolphe s’efforce à maintenir son « petit oiseau » à l’abri du monde, Monsieur le Blanc semble presque regretter que son épouse ne veuille pas quitter la cage du mariage.
MADAME LE BLANCQuel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne,A moy qui ne sors point, & qui ne vois personne,Qui toûjours renfermée, & seule, ne consens…MONSIEUR LE BLANCOuvrez vostre fenestre, & voyez les passans,Je ne l’empesche pas. (I, 1, v. 255-259)
Aussi, Montfleury réemploie le terme « animal » pour désigner les femmes.
De pareils Animaux46, la moitié d’une paire,Si l’on n’y tient la main, donne plus d’une affaire. (Monsieur le Blanc, I, 1, v. 283-284)
Enfin, on relèvera le même schéma satisfaction /révélation /consternation dans la Fille Capitaine, lequel est signalé par les monologues de Monsieur le Blanc47, notamment dans les scènes 8, 9, et 10 de l’acte un. En effet, dans l’Ecole des Femmes, Arnolphe, comme Monsieur le Blanc, change de discours au gré des situations. La pièce est rythmée par cette séquence ternaire : Arnolphe, heureux d’avoir trouvé en Agnès une femme sotte (I, 1), déchante lorsque Horace lui révèle son intrigue amoureuse avec la jeune femme (I, 4). Il exprime son désarroi dans un monologue qui clôture l’acte. Dans notre pièce, le même schéma est observé : Monsieur le Blanc, satisfait de s’être acquitté de ses devoirs conjugaux (I, 8), rencontre son neveu qui sollicite son aveu pour son mariage avec Lucinde (I, 9). Après avoir exposé les motifs de son refus, l’oncle exprime son trouble dans un monologue (I, 10). Cette configuration se répète à l’acte II, lorsque sa joie de pouvoir s’entretenir avec Lucinde est rapidement réfrénée par le spectacle de son épouse en train d’être courtisée par « le Capitaine ». La répétition de ce schéma doublée du motif de la cachette, où le personnage est dans l’impossibilité d’agir, crée un comique de situation : le personnage est pris à son propre piège.
Construction de la pièce §
Après avoir passer en revue les différentes sources de notre pièce, nous avons entrepris de dégager son squelette que nous avons essayé de ramener aux trois unités.
Structure de la pièce §
La structure et le sujet de la pièce permettent d’éviter de tomber dans l’écueil de la langueur. Divisée en 5 actes, conformément aux conventions de la tradition classique, la composition de la pièce varie en densité et en nombre de scènes au sein de chaque acte. L'acte I est sensiblement le plus long : il s’étend sur 400 vers, lesquels sont répartis de façon inégale en 10 scènes. Les actes II, IV, et V48 comportent entre 300 et 340 vers ; les actes II et V sont divisés en 15 scènes, et l’acte IV en 9 scènes. L'acte III est le plus court : 272 vers répartis sur 6 scènes. On peut dégager 3 grands mouvements dans la pièce : l’exposition, les stratagèmes, et le dénouement.
L'exposition §
C'est le premier acte qui prend en charge cette exigence du genre théâtral. L'exposition s’étend sur les 6 premières scènes et peut-être divisée en deux parties : l’exposition conventionnelle, et la révélation. En effet, les 4 premières scènes présentent la majorité des personnages et leurs relations entre eux, qu’elles soient de parenté, pour Lucinde et Angélique, ou amoureuse, pour Damon et Lucinde. Le binôme des serviteurs, Cato et l’Espérance, est introduit. La pièce commence assez communément : le mariage entre deux jeunes gens est retardé par un obstacle, l’absence du frère de Lucinde. Or la scène 6, scène centrale de l’acte où Lucinde avoue à Angélique la sollicitation de l’oncle de Damon à son égard, fait prendre à la pièce un nouveau tournant. « C'est que ce Parent est amoureux de moy ». Cette révélation déplace le centre d’intérêt de l’intrigue : le mariage des jeunes gens demeure la visée ultime mais il semble passé au second plan, au profit de l’entreprise de tromperie d’Angélique « Si ce Parent refuse son aveu*,/ Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu :/ Je me charge du soin de le rendre traittable ;/ Je sçay, pour le berner, un moyen admirable. » Les moyens priment sur la fin. Le couple Le Blanc, introduit à la scène suivante, achève la présentation des personnages principaux.
Les stratagèmes §
Nous préférons parler de stratagèmes au pluriel plutôt que de duperie en considération de l’initiative « inattendue » d’un personnage. Dans les actes II, III, et IV, la duperie imaginée par Angélique est mise en œuvre. Cette entreprise investit tous les personnages, à l’exception de Monsieur le Blanc. Les 4 premières scènes de l’acte II prennent la forme d’une distribution de rôles, dont le point culminant est l’arrivée d’Angélique, travestie en homme, à la scène 3.
ANGELIQUE vestuë en Capitaine du Regiment du Roy
Le monologue de Cato qui clôture l’acte est un premier constat de la réussite de la supercherie. Le succès du stratagème collectif semble être toutefois menacé par celui de Monsieur le Blanc : celui-ci, tenant pour vraie la fausse liaison de son épouse avec le Capitaine, entreprend de démasquer la coupable. L'élaboration de son plan occupe l’acte III et s’opère au cours de deux monologues délibératifs : à la scène 3 de l’acte III, Monsieur le Blanc ne parvient pas à dépasse la situation aporétique dans laquelle il se trouve.
Comment diable punir un semblable Animal49?Le remede par tout est pire que le mal. (III, 3, v. 798-799)
Suite à son entretien avec Damon, durant lequel le jeune homme par son raisonnement parvient à prendre le dessus sur son oncle, Monsieur le Blanc prend note de l’idée de vengeance souffler par son neveu.
J’imagine le tour qu’elle prévoit le moins (III, 5, v. 927)
Il charge donc Cato de lui arranger un entretien avec sa propre épouse, afin de la confondre.
Va, ce n’est que pour rire (III, 6, v. 990)
Ce retournement de situation crée un effet de surprise chez le spectateur. La question qui se pose alors est comment les autres personnages vont déjouer cette riposte. Mais la bague de Monsieur le Blanc le confond auprès de son épouse et l’alliance des autres personnages semble faire avorter cette initiative.
On va, pour l’apaiser, changer de batterieNe vous allarmez point. Dans une heure d’icyVous en verrez l’effet. (Cato, IV, 4, v. 1108-1110)
À ce stade de la pièce, les plans de chacun se rencontrent et les nœuds de l’intrigue se resserrent.
La démystification §
L'acte V amène la résolution de l’intrigue par une démystification progressive. Les masques tombent un à un dans un ordre croissant. En effet, les personnages les moins importants se dévoilent en premier. De cette façon, la servante Cato abandonne progressivement son rôle d’entremetteuse vénale pour redevenir une servante raisonnée. Son réquisitoire contre Monsieur le Blanc fait écho au discours de Lucinde dans la scène 6 de l’acte 1.
Où voyez-vous qu’un Homme à qui l’on s’est fié,Cherche à tromper les Gens, quand il est marié? (Cato, V, 5, v. 1445-1446)
Puis, c’est au tour de Damon d’être légitimé comme amant de Lucinde. Le jeune homme obtient l’accord du Capitaine/Angélique pour son union avec la jeune fille. Enfin, la scène 14 révèle la fausse liaison entre Angélique et Madame le Blanc, déjouant le défi lancé par Monsieur le Blanc pour sauver son honneur
Mais jamais mon Neveu ne sera son Epoux,Qu’il ne se soit coupé la gorge avecque vous.C’est la condition que je mets à la chose. (V, 14, v. 1577-1579)
Angélique quitte son déguisement. Le dénouement, au sens de l’évincement des obstacles, s’accomplit dans la dernière scène : l’arrivée du frère de Lucinde et le consentement de Monsieur le Blanc laisse présager le mariage des jeunes amants.
Étude spatio-temporelle §
Sur le plan de la durée, la pièce se plie à l’exigence classique de l’unité de temps. L'action se déroule sur une journée, mais le texte nous indique que le temps de l’action ne peut pas coïncider avec le temps de la représentation. En effet, à deux reprises, les personnages signalent le temps qu’il leur faut pour accomplir une action. Damon, à la scène 4 de l’acte I, prévoit le retour de chez son oncle dans une heure :
Je vous quitte à regret & reviens dans une heure. (v. 172)
De même, Cato se plaint d’voir errer plus d’une heure en ville à la recherche de Monsieur le Blanc :
Ma foy, depuis une heure & plus je me promène (III, 6, v. 934)
Notons que les entractes permettent au temps de la pièce de s’écouler sans mettre à mal l’illusion de vraisemblance.
Tout laisse à penser que l’intrigue se déroule sur une place publique. Ce lieu est souvent privilégié dans les œuvres dramatiques, notamment comiques : nous prendrons comme exemples, pour ne citer qu’eux, la Place Royale de Corneille, pièce éponyme de sa géographie, et l’Ecole des Femmes de Molière, qui se déroule en extérieur. En effet, la place publique permet les allées et venues des personnages, véritable carrefours au service des rencontres fortuites ou des rendez-vous. Dans la Fille Capitaine, le lieu n’est pas nommé explicitement. La seule indication proprement donnée est la didascalie précédent le texte : « La Scène est à Paris. »
La présence d’une entrée, dans laquelle se cachent les personnages, laisse à penser que la pièce se passe devant un immeuble, ou un hôtel particulier, probablement proche de chez Monsieur le Blanc, compte tenu des plaintes de son épouse de n’avoir pour seule compagnie que le spectacle des passants (I, 7). Les personnages semblent toutefois parcourir de plus ou moins longues distances hors scène. Ainsi, Damon, Madame le Blanc, Lucinde et Cato ont pu se rendre chez la sœur de Damon (III, 1). La scène étant à Paris, et Cato ayant du aller chercher Monsieur le Blanc « en ville », on peut supposer que l’action se déroule sur la rive gauche actuelle, qui était appelée au XVIIe le quartier de l’Université, « la ville » se situant sur la rive droite.
Les personnages §
Monsieur le Blanc, le dindon de la farce §
Monsieur le Blanc est le personnage central de la pièce, celui autour duquel s’élabore la farce. Comme il n’apparaît qu’à la scène 7 du premier acte, son portrait est pris en charge par un autre personnage, Lucinde. En effet, lors de l’aveu à Angélique de ses inquiétudes à propos de l’accord de Monsieur le Blanc pour son mariage, la jeune femme dresse le portrait de ce personnage :
Le bon sens avec luy paroist incompatible,Son abord est choquant, & sa mine risible ;Son air, quoy que Bourgeois, est fort particulier,Son entretien* plaisant, & mesme familier. (I, 6, v. 187-190)
Le portrait physique n’est qu’esquissé, donnant une plus large marge de manœuvre à l’imagination. Cependant, le lecteur-spectateur, par déduction, peut s’imaginer un personnage plutôt âgé en raison de sa qualité d’oncle ; corpulent aussi :
Je n’ay point de repos*, je maigris tous les jours (I, 15, v. 393)
La dimension comique de ce vers ne semble pouvoir s’accomplir que s’il y a un décalage entre les propos tenus et l’apparence du locuteur, autrement dit, il faudrait, pour faire rire, que le personnage présente un embonpoint significatif. Le manque d’esprit et de finesse du personnage est en analogie avec son apparence :
Son corps fait cependant honneur à son esprit ;Il m’a par ses discours divertie & surprise ;Il ne dit pas deux mots sans dire une sottise ;Il choque en se montrant, beaucoup moins qu’en parlant (I, 6, v. 194-197)
Mais ce personnage est aussi une figure d’autorité, puisque comme le rappelle Lucinde, il a du bien, et il est le tuteur de Damon.
Monsieur le Blanc se distingue aussi par sa lâcheté, que l’on observe à plusieurs reprises. Tout d’abord à la scène 9 de l’acte II, où il n’hésite pas à couper court à la conversation pour se cacher du Capitaine.
Tréve de compliment*,Où faut-il me cacher ? (II, 9, v. 583-584)
Montfleury accentue ce trait de caractère en parodiant un vers de Corneille. Ainsi, le vers de Don Diègue à Don Rodrigue, « Nous n’avons qu’un honneur il est tant de maîtresses! » (III, 6 du Cid), perd toute sa superbe en devenant, « Il est plus d’une Femme, & l’on a qu’une vie » (II, 13, v 710). La valeur morale de cette maxime mettant l’honneur au dessus de tout est détournée au profit du comique. Sa lâcheté est doublée de son manque de courage :
Me mener à la Guerre ! Ah j’aime autant périr,J’y mourray tous les jours de la peur de mourir. (IV, 9, v. 1329-1330)
Le vieil homme se distingue aussi par sa grossièreté. Il multiplie les allusions grivoises :
MONSIEUR LE BLANCVa, va, si le succés peut feconder mes vœux,Je vous feray bientost mieux dormir toutes deux :Je veux que par mes soins vous soyez soulagées,Et que…CATONous vous serons, Monsieur, bien obligées. (II, 5, v. 513-516)
Mais aussi, en proposant à Lucinde « Un commerce galant d’Hymen de conscience, » (IV, 6, v. 1172), Monsieur le Blanc souhaite faire connaissance, et ce au sens biblique du terme, avec la jeune fille, loin des fers du mariage. A consommer avec périls, on se brûle les doigts !
On a ici à faire à un personnage comique traditionnel : un barbon ridicule mis en déroute par de jeunes gens
Angélique, chevalier d’Eon §
Angélique, ou la Fille Capitaine est le personnage éponyme de la pièce de Montfleury. Elle se démarque de sa cousine par son esprit et son caractère. Dans son échange avec Lucinde scène 1 de l’acte I, qui n’est pas sans rappeler la même scène entre Angélique et Phyllis dans la Place Royale de Corneille, la jeune femme apparaît plus légère que sa cousine. Elle envisage le départ de son père comme une libération et l’opportunité de s’adonner librement aux plaisirs mondains.
Je suis libre à présent, & maistresse de moy (I, 1, v. 1)
Elle exprime son goût pour l’amusement aux vers 10 à 16, et prévoit profiter pleinement de la période du Carnaval pour assouvir son envie de divertissement.
Passer le jour au Jeu, et courir le Bal la nuit. (I, 1, v. 14)
Le retour du Capitaine préoccupe aussi Angélique, mais pour des raisons différentes de celles de Lucinde et de Damon : elle voit en ce Capitaine un cavalier de choix pour la danse. Ce goût pour la bagatelle illustre son esprit jeune et insouciant. Loin de partager les mêmes préoccupations que sa cousine, Angélique ne conçoit pas le mariage comme une finalité. Elle se refuse à tout engagement définitif, qui sonne alors comme une condamnation à l’assujettissement.
Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ;Je me fais des plaisirs que l’Hymen* troubleroit. (I, 1, v. 73-74)
Cette volonté de liberté n’est pas tant motivée par une aspiration moderne qu’est l’émancipation de la femme, que par un égoïsme bel et bien réel.
Pour n’aimer qu’un Mary, j’aime trop ma personne. (I, 1, v. 76)
En opposition à la vision idéaliste du mariage de Lucinde, Angélique se méfie de cette union et de ses fruits : le mariage pour elle, n’offre que le mirage de la pérennité de l’amour qui laisse place à des contraintes tangibles. La jeune fille à l’esprit moqueur, se plaît à se jouer des galants qui la sollicitent. Aussi, Angélique ne perd rien de son esprit libertin lorsqu’elle se travestit en capitaine. En effet, dans la scène 1 de l’acte 3, la jeune fille totalement imprégnée de son rôle, se plaît à s’imaginer homme pour de bon, et expose sa stratégie de séduction si elle l’eût été. Cette scène fait écho à la scène 1 de l’acte I. Son intelligence lui permet de tirer profit de n’importe quelle situation : femme, elle sait exploiter et jouer de ses charmes ; homme, elle envisagerait d’exploiter les codes galants -présents, discours- pour parvenir à ses fins. Encore une fois, elle se démarque par son assurance, qui frise l’insolence
Je ne scay, mais enfin,Un cœur pour m’échapper m’auroit semblé bien fin. (III, 1, v. 771-772)
Le discours qu’elle tient à Madame le Blanc démontre son aptitude à jouer sur le registre galant. Angélique se démarque aussi des autres personnages par son esprit railleur, qui lui est reproché par Lucinde.
C’est sur de tels sujets que ton esprit s’étend ;Sur le premier venu ta bile se répand ;Tu te plais à railler sans épargner personne (I, 1, v. 57-59)
En effet, elle ne manque pas de se moquer des faiblesses des autres personnages. Ainsi, dès la première scène, elle dresse un portait satirique de Damon ; elle n’hésite pas à railler le jeune homme à propos de sa verve lyrique ; puis c’est au tour de Monsieur le Blanc d’être l’objet de ses moqueries. Bien qu’égoïste et moqueuse, Angélique demeure un personnage intelligent : dans la scène 6 de l’acte 1, elle fait preuve de lucidité quant à la situation délicate dans laquelle se trouve sa cousine. Les nombreuses aposiopèses mettent en évidence que la jeune femme n’a pas besoin que sa cousine lui explique ses craintes pour les comprendre. Son intelligence est d’autant plus remarquable que c’est elle qui orchestre le stratagème contre Monsieur le Blanc. Tous les autres personnages suivent ses instructions, si bien que, dans la scène 1 de l’acte 3, Lucinde semble se vexer de ne pas être dans la confidence des plans de sa cousine. Cette dernière dirige les autres personnages, et se réclame seul maître à bord de la duperie. Son goût pour le divertissement lui permet de jouer à merveille son rôle : lorsqu’elle entre en scène vêtue en capitaine (3, II) la jeune femme est déjà dans son rôle, comme le montre son dialogue avec l’Espérance qu’elle considère dès lors comme son valet.
La prudente Lucinde §
Lucinde est l’objet du triangle amoureux de la pièce. Elle est décrite comme étant une jeune femme bien faite et de bonne vie, et de haut rang :
Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites (I, 9, v. 311)Cette Belle a du bien (I, 9, v. 357)
Elle s’oppose en plusieurs points à sa cousine Angélique. Tout d’abord, Lucinde croit au mariage et considère l’amour comme une chose importante, et le cynisme de sa parente à ce sujet tend à l’agacer, si bien qu’elle lui souhaite comme mal de connaître un jour les affres de l’amour.
Plût au Ciel qu’un Hymen* à tes yeux plein de charmes,Pour me vanger de toy, pût te coûter des larmes !Pour lors la raillerie agiroit foiblement. (I, 1, v. 63-65)
Elle est aussi raisonnable et prudente, en opposition avec sa cousine Angélique plus téméraire. Eprise de Damon, elle souhaite se marier avec lui. Mais l’absence de son frère, de qui elle dépend, et l’opiniâtreté de Monsieur le Blanc, lequel est épris d’elle, sont autant d’obstacles à ses souhaits. En effet, si Angélique se propose, en se travestissant, d’allouer cette union par contumace, le refus de Monsieur le Blanc demeure problématique. Et consciente du lien qui unit le vieil homme et Damon, elle refuse d’exposer la vérité à son fiancé de peur de les brouiller et de mettre en péril l’héritage du jeune homme.
Il doit le ménager : outre qu’il a son bien*,Tu sçauras que Damon doit heriter du sien :Comme il n’a point d’Enfans, tout ce bien le regarde ;Damon assurément le perd, s’il le hazarde,Et je ne prétens pas qu’il se prive pour moy… (I, 6, v. 217-221)
Sa position mettant à mal ses projets, elle s’en remet à demi-mots aux bons soins de sa cousine. Mais sa nature prudente la rattrape et elle semble être bientôt dépassée par l’entreprise de duperie. Ne songeant pas qu’à rire mais aussi aux conséquences, elle reproche à Angélique d’agir sans se soucier des répercussions de ses actes, notamment en ce qui concerne Madame le Blanc. Lucinde s’inquiète des réactions de Monsieur le Blanc à son égard, inquiétude balayée d’un revers de main par Angélique qui charge Damon de protéger sa tante en cas d’excès de violence de la part du vieil homme.
LUCINDEOutre qu’elle [Madame le Blanc] pouvoit nous estre necessaire,Son Mary pourroit bien chez luy, dans sa colere,Prenant ce qu’il a veu pour une verité,En venir avec elle à quelque extremité. (III, 1, v. 777-780)
L'attitude prévoyante et raisonnée de Lucinde la met à l’écart de la direction des opérations. A plusieurs reprises Angélique lui dissimule ses projets, et ce dès la scène 6 de l’acte I, ou elle ne lui fait pas part de son plan.
ANGELIQUESi ce Parent refuse son aveu*,Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu:Je me charge du soin de le rendre traittable ;Je sçay, pour le berner, un moyen admirable.LUCINDEQuel?ANGELIQUEJe te le diray. (v. 225-228)
L'épisode du billet est représentatif de sa position de spectatrice : Angélique, en écrivant un mot en son nom et en prenant Cato, la servante de Lucinde, à son service, destitue sa cousine de son autorité.
[…] je viens de l’envoyer en Ville,Et le soin que tu prens, Cousine, est inutile. (III, 1, v. 745-746)
Lucinde campe un personnage féminin traditionnel : sa nature mesurée et prudente l’empêche de prendre pleinement partie au renversement des valeurs et des genres qui s’opèrent dans la pièce. Elle demeure tout au long de la pièce sous la tutelle d’un personnage, que ce soit celle de son frère au début, que celle d’Angélique.
Damon, Chevalier désargenté §
Son portait est pris en charge par d’autres personnages. Dès la première scène de la pièce, Angélique, au grand dam de Lucinde, aiguise ses sarcasmes sur le dos du jeune homme. Elle dépeint le portait peu glorieux d’un jeune homme présumé beau – « ce moderne Adonis». En effet, la jeune femme se plaît à insister sur son goût prononcé pour le Jeu.
Il ne tient presque rien de son peu de naissanceIl aime les plaisirs, & la grande dépense,Dans son ajustement ne veut rien de commun ;Il jouë à tous les Jeux, & ne gagne à pas-un ;De faire le Coquet ne fait aucun mystere (Angélique, I, 1, v. 51-55)
Et bien que Lucinde tente de défendre son fiancé et de louer ses qualités, le réquisitoire de Monsieur le Blanc à la scène 9 du même acte ne fait qu’apporter un peu plus d’eau au moulin d’Angélique. Le tuteur du jeune homme, pour justifier son refus du mariage, n’hésite pas à faire appel au passé peu glorieux du jeune homme, invoquant sa malchance et ses vices comme potentielle cause de banqueroute de la dot de Lucinde.
Il n’est amour qui tienne,Vostre facon d’agir quadre mal à la sienne ;Vos parolis frequents, & souvent mal placez,Luy feroient bientost voir ses Loüis éclipsez, (Monsieur l Blanc, I, 9, v. 375-378)
Pour parfaire le topos de l’amant sans le sou, malchanceux au jeu mais heureux en amour, les deux personnages prennent soin de mentionner son inactivité, et l’opprobre qu’il jette sur son titre de chevalier.
Ce moderne Adonis ne te vient voir qu’en Chaise,Du nom de Chevalier soûtient sa vanité,Contrefait à ravir l’Homme de Qualité ;Il ne tient presque rien de son peu de naissance (Angélique I, 1, v. 48-51)Car puis que vous voulez qu’enfin on vous le die,De quel air passez-vous & le temps & la vie ?Quoy que vous ne soyez que le Fils d’un Banquier,Vous vous faites nommer Monsieur le Chevalier,Et vous estes de ceux dont la ChevalerieN’eut jamais à Paris d’Ordre que l’Industrie (Monsieur le Blanc, I, 9, v. 351-356)
Damon ne joue qu’un second rôle dans l’entreprise des jeunes filles. Angélique le cantonne à protéger sa tante en cas d’éventuels excès de violence. Sa parole pèse peu, et souvent les autres personnages n’hésitent pas à lui couper la parole, notamment son oncle :
DAMONCependant sur un simple soupçonVous…MONSIEUR LE BLANCVous estes un fat, & vostre esprit s’érige…DAMONMais…MONSIEUR LE BLANCVous estes un sot avant terme, vous dis-je.On vous dit qu’on a veu. (III, 4, v. 868-871)
Il ne parvient à s’imposer qu’une seule fois face à son oncle : à la scène 4 de l’acte III, le jeune profite d’un moment de confusion du vieil homme pour tenter de le ramener à la raison. Mais il ne réussit qu’à lui souffler l’idée de se venger. Damon incarne la figure traditionnelle de l’amant dans l’attente. Il contribue à l’effacement des figures masculines de la pièce, au profit de l’ascension des femmes.
Madame le Blanc, l’épouse fidèle §
Le personnage de Madame le Blanc, bien qu’il apparait dans 12 scènes, demeure secondaire. Cette épouse aimante et fidèle est désespérée par la conduite distante de son mari. Le stratagème des jeunes gens a pour but de d’incliner Monsieur le Blanc en faveur du mariage de Lucinde et Damon, mais aussi de punir ses envies d’infidélité. Madame le Blanc joue un petit rôle dans cette entreprise, celui de la prétendue maîtresse du « Capitaine ». C'est un personnage sensée et sensible, qui souffre du délaissement de son époux. Aussi, ne complimente-t-elle pas Lucinde sur sa beauté sans quelque pincement au cœur :
Je ne m’étonne plus de voir dans mon Epoux,Pour moy tant de froideur, & tant d’amour pour vous (II, 2, v. 452-453)
Elle met aussi un point d’honneur à préserver sa vertu et sa réputation, et s’offense de l’attitude provocatrice de Cato à son égard :
MADAME LE BLANCJe commence à trouver ce discours ennuyeux :C’est porter un peu loin l’insolence à mes yeux ;Mais tu peux t’assurer que devant* que je parte… (IV, 4, v. 1089-1091)
Mais prenant un réel plaisir à se jouer de son mari lors de leur confrontation à l’acte III, elle apparaît comme étant une femme avertie, sachant quand il le faut donner une leçon à autrui.
Les serviteurs : Cato et l’Espérance §
Ces deux personnages jouent un rôle important dans la farce pensée par Angélique. Leur statut de serviteur leur permet de gagner la confiance de chacun des personnages : tous les deux éconduisent tour à tour Monsieur le Blanc qui, croyant se livrer à des gens de confiance, enraye ses propres plans. Ce sont aussi les deux personnages, avec Angélique, qui tirent le plus de plaisir à cette duperie. A maintes reprises ils se félicitent eux-mêmes de bien jouer leur rôle, et sont toujours les premiers à se réjouir des prestations de leurs compères. Cependant, ils se distinguent des autres personnages plus par leur malice que par leur intelligence. Cato s’amuse à se jouer de la vertu de Madame le Blanc. Notons que si elle est chargée de camper une maquerelle vénale, dès la scène 1 de l’acte II, la suivante n’hésite pas à exposer à sa maîtresse l’éventualité d’une relation avec un autre homme que Damon. De même, l’Espérance, dont la modeste condition est trahie par son langage, ne tarie pas d’éloge sur les filles à soldats. Leur peu de considération des choses morales caractérisent leur statut de serviteurs. Ces personnages sont aussi indépendants et agissent de leur propre chef : Cato veut bien se mettre au service de Monsieur le Blanc pour quelques louis, et l’Espérance prend l’initiative de faire river le bout de l’épée du barbon. Leur brève échange amoureux met en évidence le lien qui les unit, un lien plus social qu’amoureux.
Les thèmes abordés par la pièce §
Le travestissement §
Une malle remplie d’habit de militaire, le calendrier ouvert au jour du Carnaval, des jeunes gens ne songeant qu’à rire ? Montfleury a rassemblé pour sa pièce de nombreuses circonstances propices au renversement des valeurs. Et ce retournement débute avec le travestissement d’Angélique, qui est double : elle usurpe le statut de soldat et l’identité du frère de Lucinde. Le déguisement au théâtre étant le plus haut degré de changement d’identité, la jeune fille s’éloigne d’elle-même pour mieux jouer son rôle. Ainsi, on peut considérer le personnage du Capitaine comme un personnage à part entière.
Le Capitaine, entre hors scène et personnage de composition : le Capitaine est bel et bien un personnage de la pièce, qu’il soit présent sur scène ou hors-scène. On sait de lui qu’il est Capitaine du Régiment du roi et le tuteur de Lucinde, sa sœur. Mais n’étant pas revenu de sa campagne en Flandre, Angélique endosse son identité pour prêcher la cause de sa cousine. C'est véritablement son absence qui permet l’action des jeunes gens. En effet, on peut supposer que s’il avait été présent, la pièce aurait pris une toute autre tournure, plus traditionnelle, le seul obstacle à surmonter étant le refus de Monsieur le Blanc – en supposant qu’il eut été favorable à l’union de sa sœur. Mais encore, à travers son absence, c’est l’autorité masculine qui disparaît. Car comme dans la pièce espagnole, le travestissement n’est possible que par l’absence de toute autorité – parentale en l’occurrence. En lui prêtant ses traits et son esprit, Angélique donne corps à cette figure d’autorité et usurpe son pouvoir. Cato dresse le portrait de ce soldat mystérieux à Monsieur le Blanc, ce qui donne de l’épaisseur à cette copie :
CATOUn petit enragé, qui ferraille sans cesse :Jamais Homme ne fut de si méchante humeur,Car il est étourdy, mutin, fier, querelleur,Brave comme un César, mais brutal, & capable…[…]Quand la fougue le prend, Monsieur, pour moins d’un rienComme on tuë un Poulet, il tuëroit un Chrestien :Mais aussi quelque jour il joüera de son reste ;Il en a tué dix depuis dix mois. (II, 4, v. 524-531)
Mais on a aussi à faire à un personnage galant, sachant courtiser une dame :
ANGÉLIQUEDepuis que j’eus l’honneur de vous voir en ce Lieu,Rien ne m’a tant touché que ce funeste adieu ;L’absence a fait sentir à mon ame amoureuseTout ce qu’elle a de rude. (II, 12)
Angélique s’efforce de camper un personnage plus vrai que nature, avec des excès de colère et un cœur amoureux. Le retour du frère de Lucinde à la fin de la pièce laisse présager le mariage des jeunes gens, lequel avait déjà été approuvé en amont par la jeune femme, donnant l’impression que le tuteur, par son absence, a perdu son autorité.
Angélique semble profiter pleinement de ce changement d’identité pour réaliser ses aspirations – tout comme son modèle espagnol. Moderne d’esprit, elle sait tirer parti de ce renversement. Soucieuse de coller à son personnage, elle laisse la jeune fille qu’elle est en coulisse lorsqu’elle entre sur scène vêtue en capitaine. Pour preuve, l’Espérance l’appelle tout de suite monsieur (II, 4). Au-delà du simple habit, c’est l’autorité masculine qu’elle endosse : tenant Lucinde à l’écart, elle profite de ses attributs éphémères pour décider ce que sa parente dira ou, plus précisément écrira. Chef d’orchestre de la farce, Angélique s’impose comme la figure d’autorité de cette pièce, aux dépends des autres personnages notamment masculins.
Le rhétorique de l’amour et conception du mariage §
La notion de genres étant brouillée, les discours attribués traditionnellement aux personnages féminins sont récupérés par les hommes. En effet, les femmes, qu’elles soient amoureuses ou non, tiennent des discours moins lyriques que les hommes, qui ne cessent de décliner leur flamme sous toutes les coutures. Damon, tout d’abord, entretient son image de jeune chevalier désœuvré et amoureux par des discours empreints d’émotions. Dès sa première apparition sur scène, le jeune homme déclame la tourmente dans laquelle le plonge l’attente de son mariage.
DAMONDepuis pres de deux mois j’attens de jour en jourQue quelque heureux moment m’annonce son retour ;Mon cœur plein d’un amour combatu par la crainte,N’a pour se soulager, que l’espoir & la plainte,Et me force à conter dans l’ennuy* que je sens,Le nombre de mes maux, par celuy des momens. (I, 2, v. 97-102)
Damon demeure un personnage secondaire, qui ne jouit pas de l’autorité que lui confère son sexe. Aussi, il rappelle à Lucinde le joug sous lequel elle le maintient lorsqu’il déclare :
DAMONCes discours obligeans font voir de part & d’autreDes soins que vostre Sexe usurpe sur le nostre. (II, 3, v. 459-460)
L'amoureux fait remarquer aux femmes qui l’entourent que leurs charmes et leurs atouts sont des armes qui défient l’autorité et la puissance masculine. Damon se place lui-même en victime de l’amour, donnant ainsi l’ascendant aux femmes de la pièce.
Monsieur le Blanc lui aussi n’a de cesse de se plaindre de ses tourments d’amour notamment dans le monologue de qui clôture le premier acte. Dans la scène 7 de l’acte IV, lorsqu’il s’entretient avec Lucinde, Monsieur le Blanc emploie un discours galant et se plie aux usages du baisemain notamment.
MONSIEUR LE BLANCJe veux pour le prouver, par des baisers sans nombre,Devorer à genoux & ces mains, & ces bras.(IV, 7, v. 1224-1225)Il se met à genoux, en luy baisant la main.
Enfin l’Espérance courtise avec ferveur la servante Cato, indifférente, voire exaspérée de ses diatribes.
L’ESPERANCEJe te l’ay déjà dit,Mon amour est bien las de te faire crédit :Depuis plus de dix ans, tu sçais bien que je t’aime ;Pour un baiser, ou deux, veux-tu…CATOVeux-tu toy-mémeMe laisser en repos* ? (IV, 2, v. 1045- 1049)
Les hommes de la pièce prennent les femmes, ces « animaux-là », comme source de tous leurs maux et placent de fait la figure féminine en position de force.
Et si « du côté de la barbe est la toute-puissance », la raison semble avoir déserté l’esprit de ces messieurs pour motiver les discours de ces dames. Celles-ci se laissent moins emporter dans des envolées lyriques dévoilant les tréfonds de leurs cœurs. Au contraire, leurs propos se rangent du côté de la bienséance et du bon sens. Refuser un hymen clandestin, désirer un mariage serein, autant de revendications sensées et honnêtes. Madame le Blanc et Lucinde sont aux antipodes du motif de la femme/animal. Fidèles, constantes et aimantes, elles ne souhaitent qu’une union paisible et ordinaire. Dans le dialogue avec Monsieur le Blanc à la scène 7 de l’acte I, Madame le Blanc ne comprend pas l’attitude fuyante de son époux, et se plaint d’être délaissée par lui. Refusant de prendre un amant et s’en défendant auprès de son mari, elle prouve une fois de plus sa fidélité lorsque Cato lui annonce qu’un autre galant, au courant de sa prétendue liaison avec « le Capitaine », souhaite la rencontrer pour tenter sa chance. De même, Lucinde fait preuve d’intégrité en refusant « un commerce galant d’Hymen de conscience » (IV, 7).
Dans la pièce, deux conceptions du mariage sont exposées. Nous avons vu que Lucinde, Damon, et Madame le Blanc partagent l’idée du mariage comme régularisation d’un amour. Les deux jeunes gens croient aux valeurs du mariage ce qui expliquent leur empressement. Mais le discours de Monsieur le Blanc et d’Angélique nuance cette vision univoque du mariage comme accomplissement du couple. Tout d’abord Angélique raille les discours lyriques de Damon en reprenant le motif de la flamme amoureuse :
DAMONMais s’il faut voir enfin mes feux* sacrifiez…ANGÉLIQUEEh mon Dieu, vous serez assez tost mariez :Quand au nom de Galant* celuy d’Epoux succede,L’Hymen* pour ces ardeurs devient un grand remede ;Et quelque soit l’amour dont vous brûliez tous deux,Un an de Mariage appaise bien des feux*. (I, 2, v. 113-118)
Monsieur le Blanc aussi met en garde et Damon, et Lucinde quant aux effets du mariage. Son discours faussement prévenant a pour but, certes, de dissuader son neveu d’épouser la jeune fille qu’il courtise, et de nouer une liaison secrète avec Lucinde. Il n’empêche que, contrairement à Angélique, ce personnage semble être le porte-parole des mariés regrettant leur liberté d’antan.
MONSIEUR LE BLANCMais vous trouverez bon, mon Cadet, qu’on vous dise,Qu’il est toûjours trop tost pour faire une sottise,Et que quoy que l’Amour vous promette de doux,Le nombre des Marys n’est que trop grand sans vous ;Qu’il faut quand l’Hymen* tient nostre cœur en balance,Ensevelir l’Amour dans un drap de prudence ;Que j’ay pour en juger, suffisamment vescu (I, 9, v. 315-320)Le jour qu’on se marie, on ne sçait ce qu’on fait. (Monsieur le Blanc, IV, 7, v. 1186)
L'emploi du présent de vérité générale dans chacune de ces citations a pour effet de leur donner une valeur de maxime. Ainsi nous avons d’un côté des personnages amoureux qui croient au mariage, une épouse aimante qui s’est probablement accommodée de son mari, et de l’autre des personnages qui raillent l’engouement que suscite le mariage, soit par incompréhension, soit par rétrospection.
Le fait qu’Angélique s’affirme comme le cerveau de la troupe n’est pas anodin : les hommes sont cantonnés à jouer des seconds rôles ou à subir les tours imaginés par la belle. La Fille Capitaine, outre son processus de renversement, fait pointer un rayon vert, celui de la modernité. Montfleury donne la parole aux femmes et cette parole pèse son poids de raison! Sans remettre en cause les conventions sociales comme le mariage, l’auteur, comme son contemporain Molière, caricature les a priori des personnages masculins sur les femmes et l’amour, pour mieux les démentir.
Le comique §
La Fille Capitaine, nous l’avons vu, présente une structure régulière, ne dérogeant pas à la conception classique du théâtre. Composée de cinq actes plus ou moins égaux, la pièce est d’une longueur raisonnable et respecte les trois unités. De fait, l’originalité de la pièce tient au mélange des genres comiques. Les caractéristiques de la farce, de la comédie bourgeoise et de la comédie de mœurs s’entremêlent si bien qu’il est difficile de ranger la pièce sous l’une des trois catégories. Le sujet de la Fille Capitaine s’apparente à celui d’une comédie bourgeoise : deux jeunes gens dont le mariage est menacé par un parent. Mais les moyens mis en œuvre dans la pièce sont bien ceux d’une farce, et sa forme la rapproche d’une comédie de mœurs. Le mélange des ces trois formes de comique nous laisse envisager la Fille Capitaine comme étant une comédie « hybride ».
Une trame de farce §
Michel Corvin50 élabore un schéma de farce qui s’adapte à notre pièce. En effet, il définit la trame de la farce ainsi : « un sujet désire un objet », « il rencontre des opposants » et « bénéficie parfois de quelques soutiens ». Dans la Fille Capitaine, le sujet désirant est Monsieur le Blanc, ses opposants sont les autres personnages, notamment Angélique, et son adjuvant Cato. Aussi, il note que « le sujet désirant est d’ordinaire en position de faiblesse : la tromperie va être son arme préférée pour arriver à ses fins. » Monsieur le Blanc est bien ici l’intrus de la pièce, l’obstacle premier aux desseins d’autres personnages. Le comique de situation remplace ici les scènes de poursuites et de rixes présentes dans les comédies à l’italienne. Montfleury reprend le motif du barbon caché, et la fausse scène de duel entre Monsieur le Blanc et le Capitaine crée un effet comique assuré par des coups de bâtons dans la comédie à l’italienne. De plus, si les personnages ne sont pas ceux de la farce traditionnelle, on peut voir dans le personnage de Monsieur le Blanc, l’adaptation française d’un Pantalon, vieillard épris d’une jeune fille ; de même, « le Capitaine », dépeint comme « un petit enragé ferraillant sans cesse », s’apparente à Scaramouche. La présence sur scène du couple d’amoureux et des valets ingénieux complètent le panel des personnages de la commedia dell’arte. La Fille Capitaine, a probablement été écrite pour le simple plaisir de faire rire, et non avec l’ambition de « corriger les mœurs ». Cette « petite comédie » se rapproche encore de la farce par sa visée. La farce est au XVIIe siècle un courant théâtral en constante évolution. Marie-Claude Cornova51 la considère comme annonçant la comédie de mœurs.
Montfleury joue sur les mœurs de son temps, comme beaucoup de ses contemporains pour faire rire. La notion d’écart est souvent invoquée pour expliquer le rire. Bergson écrit : « Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain ». Nous l’avons vu, les différentes conceptions du mariage expriment la remise en question de cette institution. Le fléau du cocuage est aussi présent sur la scène. L'adresse directe au public par Monsieur le Blanc montre que cette pièce est une pièce de son temps :
Je voy plus d’un Mary rire à teste levée,A qui mesme avanture est peut-estre arrivée. (Monsieur le Blanc, IV, 6, v. 1005-1006)
Le monologue délibératif de Monsieur le Blanc (III, 2) met en lumière la situation délicate des maris cocus, qui souhaitent se venger sans faire de l’éclat.
Comment diable punir un semblable Animal?Le remede par tout est pire que le mal. (v. 799-800)
Le vers 800 sonne comme une sentence : comment sauver son honneur déjà bafoué sans l’entacher davantage ?
Le comique dans la pièce est véhiculé par le renversement des situations. Monsieur le Blanc, croyant tromper tout le monde, se retrouve dans une position de faiblesse dès l’acte II. La ruse des autres personnages, notamment à la scène 3 de l’acte III, quand ce dernier se dispute avec son épouse sur sa prétendue liaison, lui ôte l’autorité dont il jouissait au début. Toujours en position d’intrus, il est mis en position de faiblesse par l’alliance des autres personnages.
Le jeu de rôles §
Le déguisement d’Angélique permet aux personnages de duper Monsieur le Blanc. Véritable ressort comique, le déguisement permet aussi de montrer les personnages sous un aspect grotesque. « Le Capitaine » est réduit à un tueur de chrétiens, la servante Cato à une entremetteuse vénale, et Lucinde joue le rôle de la jeune ingénue qui se laisse séduire par un vieil homme fortuné. Le déguisement, qu’il soit moral ou physique, permet l’introduction de types de personnages, ce qui n’aurait pas été possible au début de la pièce. Le comique a recours au type et non à la personne, « le type se définit non par l’absence d’individualité mais par la disparition de la personnalité »52. De plus, ce jeu de rôles met en place une triple énonciation. Seuls les personnages participants à la supercherie et le public peuvent saisir le sens des évènements dans leur totalité. De fait, il ne peut confondre véritablement Madame le Blanc, lorsqu’il lui reproche son infidélité (III, 3) et le double sens de certains propos échappe à Monsieur le Blanc, qui n’est pas dans la confidence.
CATOAvec de jeunes Gens on fait d’étranges rôles.MONSIEUR LE BLANCOüy sans doute, & cela ne se peut autrement. (v. 718-719)
Une connivence s’installe alors entre les personnages et le public. Et c’est la place réservée au spectateur qui est le propre de la comédie.
Il n’y a de comédie que par et pour un spectateur : un héros tragique peut bien mourir devant un fauteuil vide ; un personnage de comédie, lui, ne peut pas se faire rire : il n’est drôle que pour autrui, que pour nous, dans nos salles.
Pour qu’il y ait du comique, il faut qu’il y ait une distance, que le rieur ne soit pas engagé dans l’aventure qui le fait rire. Par ses ficelles dramatiques, ses habitudes de composition, la comédie place le spectateur dans la position d’un Dieu, le théâtre lui offre le don d’ubiquité. La comédie dépend « du climat où elle se développe ; elle peut être tragique pour qui la vit, comique pour qui la regarde. Ceci montre bien que le comique n’existe pas en soi mais seulement chez le spectateur et que l’on a tort de vouloir le chercher ailleurs »53. Le comique n’existe que dans l’esprit du lecteur-spectateur. Il y a un écart entre l’angoisse du personnage qui vit la scène (Monsieur le Blanc) et le rire du spectateur vient de la distance entre les deux. Le spectateur voit et sait tout parce qu’il est à distance. Le rire est l’effet du constat de notre supériorité sur autrui. Stendhal écrit : « Une pièce qui fait rire constamment est une pièce qui nous montre sans cesse notre excellence. » Le rire est possible que si le spectateur est détaché : « La comédie est le désert du cœur […]. Qu'il s’agisse du vécu ou de la fiction, le rire exige donc une position de spectateur et un non-engagement. »54 (Emelina). Le spectateur peut ici s’accomplir en tant que tel dans la mesure où il est affectivement en retrait.
Note sur la présente édition §
La présente édition a été établie à partir de l’édition originale de La Fille Capitaine de Montfleury exécutée en 1672 par Pierre le Monnier, disponible à la Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, [RESP-YF-445(3)]. Il s’agit d’un volume format in 12°. Il se présente ainsi :
[I] : LA FILLE / CAPITAINE, / COMEDIE. / Par A.I MONTFLEURY. / [Fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez PIERRE LE MONNIER, vis-à-vis/ La Porte de l’Eglise de la Sainte Chapelle, / à l’Image S. Loüis, & au Feu Divin. / [Filet] / M. DC. LXXII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : verso blanc.
[III-VI] : épître dédicatoire.
[VII] : extrait du Privilège du Roy.
[VIII] : liste des acteurs.
– 100 pages : le texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la première page (en dessous d’un bandeau).
Corrections : Les orthographes différentes d’un même mot ont été retranscrites par souci de respect du texte. Le tilde (~), qui indiquait les voyelles nasalisées, a été remplacé par les consonnes –m ou –n correspondantes aux occurrences suivantes :
– Cõme ; dãs (v.6), pourrõs (v.11), tõ (v.42), vi~es ; dõc ; bõne (v.126), vi~et (v.131), dõne (v.283), Dõques (v.306), grãd (v. 317), quãd ; ti~et (v.318), Cõmandeurs (v.358), õ (v.362), Pr~es (v.577), hõneur ; bõ (v.785), affrõt (v.786), cõme (v.799), m’ent~edez vous (v.821), grãd (v.828), r~etrez (v.855), õ (v.869), aim~et (v.955), verrõs ; pr~es ; tõ (v.963), sõt (v.1023), bõs (v.1048), joidrõt (v.1060), mõ (v.1099), puissiõs (v.1176), dãne ; ti~edray (v.1252), quãd (v.1259), hõneur ; bõ ; mõ (v.1273), bi~e (v.1319), t~eps (v.1345), Mõsieur (v.1368), mãgé (v.1478), Flãdre (v.1545), manqõs (v. 1591).
Les lettres ramistes –u et –v, ainsi que -i et –j, initialement confondues, ont été distinguées dans les occurrences suivantes :
– Auant (v.1231), Vn (v.1251)
– Ie (v.1, v. 72, v.930, v. 1056, v. 1221, v. 1281, v.1380) ; Ieu (note v. 359) ; I'en tiens (v.379)
De même nous avons modernisé les -ſ en –s.
La ponctuation initiale du texte a été respectée dans la mesure où la ponctuation de l’époque, essentiellement orale, ne répondait pas aux mêmes critères que celle d’aujourd’hui. La virgule marque un court temps d’arrêt tandis que le point virgule et le point signale une pause plus longue. Nous avons laissé intactes les majuscules qui suivent les deux points (:) et les points virgules (;) dans la mesure où cet usage était courant au XVIIe siècle. Nous avons appliqué à l’utilisation des points de suspension, qui, au XVIIe siècle, ne possédaient pas de nombre défini et oscillaient entre deux et six points, l’usage actuel de trois points.
Des corrections ont été apportées sur des erreurs d’orthographes, de ponctuation et de personnages dues à des coquilles :
– Acte I : bienqu’il (v.171), sant (v.196), Vien (v.213), discours, (v.320).
– Acte II : l humeur (v.425), viendront (v.445), elle-mémeØ (v.503), S'il me voyait ceans. (v.533), railleri (v.547), feriez (v.673), d’honneur (v.691), Et les chercher…& et leur … chanter (v.708)
Acte III : éfrontée ? (v.810), Taisez-vous ? (v.812), Vous pensez-vous (v.825), ma Compagnie (v.835), grace (v.933), aspect. (v.1000), suspect, (v.1001)
– Acte IV : zest (v. 1018), ne vous emportez pas? (v1231) donce (v.1254), Nos aØaires (v.1270), mourrezØ (v.1315), ØLucinde fort (v.1336 didascalie)
– Acte V : ils faisont (v.1394), mØaviser (v.1452), MADAME LE BLAiNC (après le v.1505), je vous en fait (v.1554), 2°hémistiche du v.1547 attribué à DAMON, Cato qu’on la fasse descendre? (v.1595)
LA FILLE CAPITAINE, COMEDIE. §
A SON ALTESSE MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE PRINCE EUGENE DE SAVOYE55, COMTE DE SOISSONS, Duc de Carignan en Luxembourg, Gouverneur & Lieutenant General pour le Roy en ses Provinces de Champagne & Brie, Colonel General des Suisses & Grisons. §
MONSEIGNEUR,
Il y a longtemps que je devrois vous avoir donné des marques de [ã ij] mon respect & de ma reconnaissance ; & je n’aurois pas tant diferé, si je ne m’estois mis en teste, qu’avant que de dédier une de mes Pieces à VOSTRE ALTESSE, je devois attendre que le temps & mes soins m’eussent rendu capable d’en mettre quelqu’une au jour qui meritât l’honneur de vous estre offerte : Mais quand j’ay fait reflexion sur ce beau dessein, je l’ay trouvé plus conforme à mon zele qu’à mes forces ; & l’empressement d’offrir cette Comedie à V.A. m’a semblé plus raisonnable, que l’esperance de luy faire jamais un présent digne d’elle. Je vous presente donc un Capitaine qui ne craint ny la Paix, ny la Reforme ; Il est si fier de l’honneur qu’il a eu de vous divertir & de vous plaire, qu’il n’a plus d’ambition que celle de se honoré d’une protection aussi glorieuse que celle de V.A. Il sçait que vous sortez d’un Sang si fertile en Héros, qu’il ne s’étonne point de voir en vous tant de valeur jointe à tant de vertu, ny tant de belles lumieres jointes à toutes les qualitez avantageuses qui peuvent rendre un Prince accomply. Il sçait que le merite que toute la France admire en V.A n’est pas renfermé dans des bornes ordinaires, qu’elle connoist parfaitement tout ce que les Muses ont de grace & de delicatesse, & qu’elle fait des jugements tres-judicieux de toutes sortes d’Ouvrages ; mais il est persuadé que vous estes aussi genereux [ã iij] qu’éclairé, & que V.A. n’a pas moins d’indulgence pour en excuser les defauts, que de facilité à les connoistre. C’est, MONSEIGNEUR, ce qui me fait esperer que si V.A. condamne la foiblesse de mon génie, elle aura peut-estre la bonté d’aprouver mon zele, & qu’elle regardera ce que je luy offre moins comme une production d’esprit, que comme une preuve de la passion respectueuse avec laquelle je suis,
MONSEIGNEUR,
DE V.A.
Le tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,
MONTFLEURY
Extrait du Privilege du Roy. §
Par Grace & Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 17 jour de Decembre 1671. Signé, Par le Roy en son Conseil, D’ALENCE : Il est permis au Sieur Montfleury, de faire imprimer par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, une Piece de Theatre de sa composition, intitulée LA FILLE CAPITAINE, & ce durant cinq années, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois : Et defenses sont faites à tous autres Imprimeurs ou Libraires, de l’imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine aux contrevenans de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arret de la Cour de Parlement, le 30. Dec. 1671.
THIERRY, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 4. Janvier 1672.
ACTEURS §
- MONSIEUR LE BLANC.
- MADAME LE BLANC sa Femme.
- LUCINDE.
- ANGELIQUE, Cousine de Lucinde.
- DAMON, Amant de Lucinde.
- L’ESPERANCE, Sergent d’une Compagnie du Regiment du Roy.
- CATO, Suivante de Lucinde.
- LA BRIE, Laquais de Damon.
ACTE PREMIER §
SCENE PREMIERE §
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
SCENE II §
[p. 5]LUCINDE
DAMON
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
DAMON
SCENE III §
CATO
DAMON
LUCINDE
CATO
DAMON
CATO
Moy ? Non, je n’en sçay rien non plus.ANGELIQUE
CATO
DAMON
LUCINDE
DAMON
LUCINDE
CATO
SCENE IV §
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE donnant un Billet à Lucinde
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
LUCINDE
L’ESPERANCE
DAMON
LUCINDE
L’ESPERANCE
LUCINDE
L’ESPERANCE
LUCINDE
L’ESPERANCE
CATO
ANGELIQUE
LUCINDE
L’ESPERANCE
LUCINDE
DAMON
SCENE V §
[p. 10]L’ESPERANCE
CATO
SCENE VI §
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
Si ce Parent refuse sonLUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
SCENE VII §
[p. 14]MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
De l’humeur dont vous estes,MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
SCENE VIII §
MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE IX §
[p. 18]MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
DAMON
MONSIEUR LE BLANC à part.
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
SCENE X §
MONSIEUR LE BLANC seul.
Fin du Premier Acte.
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
CATO
LUCINDE
CATO
LUCINDE
CATO
LUCINDE
CATO
LUCINDE
CATO
SCENE II §
DAMON
LUCINDE allant saluer Madame le Blanc
MADAME LE BLANC
LUCINDE
DAMON
LUCINDE
MADAME LE BLANC
SCENE III §
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
LUCINDE
L’ESPERANCE
Elle a l’air,ANGELIQUE
MADAME LE BLANC
SCENE IV §
LUCINDE
LA BRIE
ANGELIQUE
CATO
MADAME LE BLANC
ANGELIQUE
SCENE V §
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
Quoy ? poursuis.CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
Ne t’en mets point en peine.CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
SCENE VI §
MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE VII §
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC se relevant
LUCINDE
SCENE VIII §
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
SCENE IX §
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
CATO
MONSIEUR LE BLANC
SCENE X §
ANGELIQUE
CATO
Non.ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC caché dans une Entrée
CATO
Non, Monsieur.ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
En doutez-vous ?ANGELIQUE
CATO
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
ANGELIQUE
CATO
CATO
ANGELIQUE
CATO
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
SCENE XI §
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
Il ne sort point d’icy.ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE en riant
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
ANGELIQUE
SCENE XII §
CATO
ANGELIQUE la saluant.
MONSIEUR LE BLANC caché.
ANGELIQUE
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
CATO
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MADAME LE BLANC
ANGELIQUE
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
Pour un Amant qui meurt pour vous d’amour,MADAME LE BLANC
ANGELIQUE en rentrant.
CATO rentrant aussi.
SCENE XIII §
MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE XIV §
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC à part.
CATO
MONSIEUR LE BLANC
SCENE XV §
CATO seule.
Fin du Second Acte.
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
J’aurois peur…ANGELIQUE
SCENE II §
MONSIEUR LE BLANC, seul.
SCENE III §
[p. 49]MONSIEUR LE BLANC à Damon, qui luy fait la reverence.
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BALNC
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
SCENE IV §
[p. 52]DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
SCENE V §
[p. 55]MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE VI §
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE.
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
A part MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
Fin du Troisième Acte.
ACTE IV §
SCENE PREMIERE §
L’ESPERANCE seul.
SCENE II §
L’ESPERANCE
CATO
L’ESPERANCE
CATO
L’ESPERANCE
L’ESPERANCE
L’ESPERANCE
CATO
L’ESPERANCE
ANGELIQUE de dedans* une entrée apelle.
L’ESPERANCE
CATO
L’ESPERANCE la baisant.
SCENE III §
CATO seule.
SCENE IV §
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO l’arrestant
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
CATO
MADAME LE BLANC
SCENE V §
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
SCENE VI §
MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE VII §
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
Bien fait ?MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
MONSIEUR LE BLANC
SCENE VIII §
[p. 72]ANGELIQUE luy prenant le bras.
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC baissant la teste.
LUCINDE le retenant.
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
LUCINDE
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
SCENE IX §
[p. 76]L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE à part à M. le Blanc
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
Fin du Quatrième Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE. §
DAMON
LUCINDE
DAMON
LUCINDE
DAMON
SCENE II §
ANGELIQUE
MADAME LE BLANC
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
SCENE III §
L’ESPERANCE en riant
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
SCENE IV §
M. LE BLANC seul sur le Théâtre, avec son habit de Soldat, et les autres dans une Entrée.
SCENE V §
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE dans l’Entrée.
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
Quittons cetCATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
MONSIEUR LE BLANC
CATO
SCENE VI §
[p. 88]MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE VII §
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE le tirant par le bras
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE ostant son chapeau, et lui faisant la reverence.
MONSIEUR LE BLANC
SCENE VIII §
MONSIEUR LE BLANC seul.
SCENE IX §
CATO
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
MADAME LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC bas.
MADAME LE BLANC s’enfuyant.
SCENE X §
MONSIEUR LE BLANC
Chacun sçait ses affaires.CATO
SCENE XI §
DAMON
CATO
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
Ah non, vous n’irez point.MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
CATO
DAMON
SCENE XII §
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
SCENE XIII §
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
DAMON
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
ANGELIQUE
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
SCENE XIV §
[p. 98 I]ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
DAMON
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
Oüy, la chose est assurée.MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
SCENE DERNIERE §
[p. 100]LUCINDE
ANGELIQUE
MONSIEUR LE BLANC
FIN
Glossaire §
Abréviations : A= Dictionnaire de l’Académie Française, 1694.
F= A. Furetière, Dictionnaire Universel, 1690.
R= P. Richelet, Dictionnaire Français, 1680
Annexe 1 : La Dama Capitan, 1671, Don Diego y Don Joseph de Figueroa y Cordova §
Traduction établie avec l’aide de Mlle Elsa MARSOEP (MI Recherche Espagnol, Paris IV Sorbonne)
Personnages §
Doña Elvira de Vergara, qui est Don Lope
Lucia, qui est Martin
Don Fernando de Vergara
Le baron de Brifac
Le comte de Fuentes
Madame Blanca
Le sergent Palomo
Deux muletiers
Deux brigands
Un aubergiste
Juana, l’aubergiste
Des soldats, des musiciens
Première journée §
Doña Elvira et Lucia entrent, habillées en hommes, que l’on devine être Don Lope et Martin.
Lope – Je suis humiliée.
Martin – Je touche à peine terre : même l’air véloce ne perturbe pas ma voix.
Lope – Venez vous mettre derrière moi et sortons de ce lieu.
Martin – Nous sommes en dehors de chez vous et j’ignore encore où nous allons.
Lope – Je naquis pour braquer les armes et, aspirant à plus de prestige et de reconnaissance, je développai l’esprit d’un homme.
Martin – Je le sais, tout ceci s’oppose à l’héroïque inclination qui règne dans votre poitrine, le cœur, la discipline, l’obéissance et le sermon d’une tante impertinente, une harpie (je dois le dire), qui d’un seul croc mange, tout en se fâchant, et qui a le pouvoir, madame, vos parents étant morts, de donner un port à vos malheurs. Depuis l’aube de votre vie, elle vous a élevée (ici commence votre malheur) dans l’idée de confiner votre beauté dans le Sacré d’un Couvent. Demain sera le jour où prendra effet votre condamnation d’une violence sans pareil à un enfermement éternel, votre tante voulant (rigueur impie !) par l’exemple et la raison être propriétaire de vos actions, en forçant votre volonté : vous, hautaine et sagace.
Lope – Cessez, je connais également la progression de mon histoire. En effet, moi, on m’appelle Marte l’ardent belliqueux. Mon inclination se cantonne à l’éloge de la guerre, à l’ambition de la gloire, en étant héroïque, et à la valeur profonde que ma poitrine renferme. Ce n’est que peu de triomphe que celui de Bellone et une courte limite au monde. Je le dis à ma fantaisie, je sollicite cette gloire, en sachant que la mémoire s’acquiert avec l’audace : pour quelle raison la gloire éternelle et la renommée incombent seulement à l’homme et non à la femme ? Notre force de caractère n’est-elle pas capable de triomphe et de porter les armes ? Nos âmes n’inspirent-elles pas la même nature ? Si, bien sûr que si : dans mon esprit ardent, je sais que plus tard mon front pourra être digne d’être couronné de lauriers éternels (ne vous offusquez pas). Je suis une femme, car si j’écoute vos anecdotes, nombre d’entre elles détrônent celles des hommes de valeur en cette nuit obscure et froide. Je suis sortie de chez moi vêtue de cette robe, ayant dérobé à ma vieille tante les bijoux et quelques doublons (qui sont en fortune les amis les plus loyaux). Je parviendrai à mes fins, je chercherai le Comte de Fuentes, héroïque personnage espagnol, fils de Martre et du Soleil, qui avec huit mille soldats doit partir pour les Etats de Flandres (offrant à l’Espagne de grands dessins). Je pense le suivre, depuis San Sébastian, où cinquante navires affrontent dans la brume, avec énergie, la mer. Cet insigne Capitaine, dont j’ai suivi les conseils, partira très bravement avec ses hommes châtier les rebelles endurcis : je veux servir à la guerre et rendre mon nom immortel.
Martin – Tout se passera mal, à être incertaine quant à la question de l’argent, puisque même si Lucia en vous suivant sans mal de mer acceptait également de se déguiser en homme, et même si, sur les ordres de ta tante, les noires nous ont élevées avec des colères franches (comme vous vous réjouissez lorsque vous m’écoutez !) pour servir les blanches avec adresse, tout cela finira en saynète dont les personnages, en comparaison de nous deux, seraient Pacheco, un maudit, et Carranza, un pauvre. Ceci de fouler les routes à cheval, sans avoir un chrétien à manger, en dehors de toute folie rare, car une faim incontrôlable fait perdre les forces et l’habileté.
Lope – Ecoutez, Martin, (jusque là vous devez vous appeler de la sorte) l’esprit hautain et fort ne doit pas abandonner de la sorte la valeur qui oblige à tant de choses : avec la vigilance s’affine la discipline militaire.
Martin – La vigilance ? Sans manger mes forces seront réduites à néant et avec une alimentation à base de thon, je ne prendrai pas les armes à Sahagun, si l’on ne va pas d’une traite à Esquivias. Et s’il on se fait remarquer, nos projets seront vains. Si l’on rencontre votre frère Don Fernando de Vergara, à qui l’opinion générale a accordé une éminente réputation de courageux soldat.
Lope – Il ne me connaît pas réellement, il s’en alla pour faire la guerre alors que je n’étais qu’une enfant, même si je le voyais, je ne le reconnaitrais pas.
Martin – Ce que je sais, c’est que sa valeur égale la pureté de son sang : c’est un biscaïen en somme.
Lope – Et maintenant j’imagine qu’il sert l’Armée Royale, en Flandres j’en suis sûre, et qu’il ne peut pas me connaître. Et même si autant de mésaventures nous arrivaient, si nous venions à le rencontrer, je ne risquerais rien, car il n’a pas à savoir que c’est moi qui suis dans cet accoutrement.
Martin – Je parie que dans votre lignage il y a une femme capitaine.
Lope – Martin, par la gloire immortelle et par mon étoile pèlerine, je m’incline à être soldat.
Martin – Eh bien, je te suis : le bon Martin doit être général, si Dieu ne m’en empêche pas.
Lope – Mettons-nous en chemin, en quête d’une fin honorable. Poursuivons.
Martin – J’ai remarqué que malgré tant de courage vous venez. Soyez plus habile, madame, vous tenez davantage du coq, par votre conversation, que du soldat. Partons enfin discrètement du lieu d’où nous sommes sorties, et empruntons le chemin pour ce que je crois être San Sébastian.
Lope – Quel lieu délicieux et agréable ! On dirait que les oiseaux gazouillent dans le vent.
Martin – Biscaye est une terre bénie, rien n’y manque, et on y trouve beaucoup de fer et peu d’incendie de cep : ici on vendange les vignes, les pommes et son cidre est une liqueur venue de l’Enfer, elle remue les entrailles, elle ressemble beaucoup à l’argent des pauvres, parce qu’elle se troque.
Lope – Comme vos grâces sont froides !
Martin – Ce n’est pas si mal avec ce temps, il fait une chaleur étouffante.
Lope – Attendez, nous avons atteint le mont de notre ville.
Martin – Là bas il y a des chats qui griffent tout, en laissant les passagers recroquevillés sur eux-mêmes.
Lope – Le port de San Sébastian est à cinq lieues d’ici, où, Martin, nous embarquerons avec le grand Comte de Fuentes.
Martin – Toulouse doit être à mi-chemin, là-bas vous pourrez vous reposer et être plus tranquille, Dame Doña Elvira de Vergara, ce nom qui est vôtre, mais là vous êtes un homme.
Lope – A partir de maintenant, mon présupposé nom est Don Lope de Avendaño.
Martin – On entend les sonnailles des muletiers.
Les sonnailles retentissent et entrent deux muletiers.
1 – (interjections)
2 – (jure) Tu vas tomber, reviens sur le chemin, je m’en fous de tes fleurs.
Il chante.
1 – A Sansueña arrive le courageux Gayferos, armé d’une pointe et vêtu de blanc, pour chercher sa femme. Sur la vie de six lapins, la patience a le don d’échapper.
2 – Tu es prétentieux, et tu es toujours à la traîne, tu empruntes des chemins scabreux et t’éloignes des sentiers battus. Ils sortent.
Lope – Bonsoir, messieurs.
2 – Soyez les bienvenus, mes chers compères.
Lope – Où allez-vous ?
2 – Au port, avec un chargement d’huile.
Martin – Avec une si belle marchandise, je pense que personne ne vous donnera pour honnêtes, même si ce sont de vieux chrétiens.
1 – Vous êtes bacheliers.
Martin – J’ai obtenu ma maîtrise de grossièretés à Orduña.
2 – Eh bien monsieur le noble, ne gaspillez pas votre monnaie avec les muletiers.
Martin – Pourquoi ?
2 – Parce qu’il y a des licenciés, des docteurs, des bacheliers et des médecins dans ce ministère.
Martin – Je sais que vous êtes le poivre de la plaisanterie, foi de chevalier, et cela m’enchante : je ne pense pas troquer une telle compagnie contre celle d’Elcamilla.
1 – Eh bien, tenez le mors de la mule, elle bouge beaucoup, et mes mâles avancent aussi lentement que des bœufs.
Martin – Vous êtes mariés ?
1 – Oui, mais je le suis sans risque, car ma vieille a soixante ans révolus.
Martin – J’en connais plus de quatre, très appréciés pour leur discrétion, qui ont un penchant pour les femmes de plus de cinquante ans.
2 – Ca c’est avoir un pied dans la tombe !
Martin – Ceux-là disent que les femmes mûres ne leur demandent rien, ne les rendent pas jaloux, elles les comblent de présents, et elles ont plus de vertus que le romarin, elles cousent et corrigent vos fautes de langue, et en effet, si elles sont mauvaises au goût, elles sont de très bons conseils.
1 – Quels conseils ? Je parie ma ceinture qu’il n’y a pas d’animal plus féroce qu’une vieille.
Lope – Il semble que les faibles lueurs annoncent le lever du jour.
1 – Oui, il fait jour.
2 – Ecoute, Matheo, tu ne vois pas nos camarades ?
2 – Ces bonnes barbes : les jeunes hommes ont l’air de venir de Villarrassa.
Martin – Et vous, à voir votre épaisseur, je dirai de la Mota de Medina.
2 – Je parierai, que le barbu n’a pas vingt couteaux pour se la raser.
Lope – Nous ne nourrissons pas le diable, taisez-vous et marchez.
2 – Je veux seulement savoir, pourquoi vous ne vous laissez pas pousser la barbe, les moustaches à la mode ?
Lope – Qui a dit aux muletiers que l’on a besoin d’une barbe ? Le courage se cultive dans le cœur, et celui-ci se penche sur la poitrine, pas sur le visage.
1 – Par Dieu, il se fâche le petit discret, le beau petit eunuque.
Martin – (parle de l’honneur)
Lope – Vilains, voici comment le fer de mon épée punit le déshonneur.
En sortant leurs épées, trois brigands arrivent avec de petits fusils et attrapent les bras de Don Lope et de Martin.
Brigand 1 – Messeigneurs, déposez les armes, et donnez-nous l’argent, ou ce seront vos vies que l’on dépouillera par le plomb et le feu.
Don Lope se débat.
Lope – Vous les vilains, par cette trahison, cette fin qui sert mon courage, parviendrez-vous à vos fins les plus infâmes ?
Brigand 2 – Tais-toi l’imberbe, et donne-nous ta bourse.
Brigand 3 – A ces troncs là – Les brigands approchent leurs fusils, et vont attacher les muletiers, et ne restent que Don Lope et Martin sans épées. – attache ces hommes, ces garçons sont sans défense.
Lope – Aidez-moi, Martin.
Martin – Madame.
Lope – Tâchez d’attraper ce bandit, pendant que je m’occupe de l’autre.
Martin – Viens !
Ils leurs font perdre les épées, et les poignardent et s’enfuient, les muletiers étant toujours attachés.
Lope – Maintenant vous verrez, vilains prétentieux, qui sont ceux qui doivent y laisser la vie et leur argent.
Brigand 1 – J’ai fuit, il en coûte à mon lignage, vous êtes un suppôt de Satan !
Les brigands s’en vont, l’un après l’autre.
Lope – Ne fuyez pas lâches traitres.
Martin – Comme des lièvres qui s’en vont fuir dans les chemins inextricables des montagnes. Ils sortent en rangeant les épées. Dieu soit loué, vous avez sorti les griffes comme un chien.
Martin – Je pense gagner cent ans de repentir.
Lope – Taisez-vous idiot, et détachez ces timorés.
Martin – Laissez-moi d’abord leur donner quelques paires de gifles, car tout à l’heure, astucieux dans le quolibet, ils ne nous ont pas aidés.
1 – Ah, par pitié, mon bon jeune homme, ayez de la compassion.
Martin – Vinaigres que vous êtes, vous allez avec de l’huile au port, cette fois-ci – Il leur donne des coups. – je dois vous raser la barbe.
Lope – Je suis offensé par votre manque de compassion : mes amis, vous êtes libres.
2 – A vos pieds nous vous demandons en toute humilité votre pardon, nous vous devons la vie, grâce à votre valeur.
Lope – Avec une telle reconnaissance vous me laissez très obligé.
1 – Venez, et montez sur les charges gentilshommes.
Lope – Martin, qu’en pensez-vous ?
Martin – Acceptons, je suis fatigué.
Lope – Fortune, en ton royaume la valeur a sa place, et l’on encense jusqu’au grandiose Alcazar de ton sommet, sans se méfier de tes décrets, l’audace engendre mes pensées les plus hautes.
Ils s’en vont. Arrive le sergent Palomo avec hallebarde, et Juana, habillée en aubergiste.
Sergent – J’ai toujours dit que vos mensonges étaient la cause mon bonheur quasi-inexistant.
Juana – Comment ça ? Monsieur le sergent Palomo, allez racontez vos mensonges à qui veut l’entendre, mais moi je ne bois pas de cette eau là, vos amours me mettent en colère.
Sergent – Depuis que vous me logez, mon capitaine et ses gens, Don Fernando de Vergara, dont la réputation de soldat est héroïque et rare, et dont le courage a fait la renommée, et bien cette auberge m’a touché, Juana de mon cœur, je meurs d’amour pour vous. Ces riches éparpillés de ce rouge recouverts, ces dédains éveillés et ces yeux endormis, cette bouche de corail, où l’amour souffre, ces chaussures polies, et enfin, votre élégance et votre allure, votre taille, votre maintien, votre grâce, votre beauté me rappellent l’odeur du poivre. Est-il possible que vous ne vous incliniez pas face à cet étalage de sentiments, cette ardeur ? Avez-vous un cœur de pierre ?
Juana – Je suis une biscaïenne, et si vous me le permettez, une demoiselle.
Sergent – Ah fortune ! Tu garderais donc ta couverture chez toi et tu ne me couvrirais pas avec elle ! Ecoutez, Juana, les plus grands exploits des soldats, lorsqu’ils ne sont pas en campagne, sont de vivre aisément. Nous arrivons à deux camarades à Quarel, et la première chose que nous demandons est s’il y a de l’argent, s’il y a une hôte dans l’auberge, s’il y a des poules, s’il y a des lits propres, et nous le demandons à grande hâte, sans apporter de chemise ni de dessous. Si la patronne n’est pas une gamine, on la travaille sans tumulte, par goût du défi, et davantage si elle est une de ces profiteuses montagnardes, qui sans déceptions, très saines, et très sensibles, ont l’habitude de servir les personnes vêtues d’un voile. Sur l’instant, sans peur de penser à une telle ardeur, qu’elles le veuillent ou non, nous leur indiquons notre intérêt, en leur racontant tant d’exploits. A leur grand dam, bien avant que la chose soit conclue, nous la tenons pour acquise, et ainsi, ne vous croyez pas exceptionnelle, moi dans tout ceci je ne veux que votre bien et ne cherche que mon confort.
Juana – Je vous le dis que ça me fâche, ne parlons plus de ça.
Sergent – Vous êtes terrible petite Juana.
Juana – Qui a dit au camarade qu’il doit me payer ?
Sergent – Parle moins fort femme.
Juana – Brave idiot ! Je les préfère âgés.
Sergent – Je parie que tu ferais n’importe quoi pour Alferez la Vandera ou pour le Capitaine de la Compagnie.
Juana – Cessez de me fatiguer, je dis simplement que je déteste les entêtés, les misérables et les porcs.
Sergent – Je suis allé trop loin avec toi, et tout me porte à croire que le propriétaire est amoureux.
Juana – Je ne suis pas obligée de l’aimer, s’il me donne mon dû.
Sergent – Je dis que tu es entrain de perdre ton bon sens pour moi. Être à la fois hôte et dédaigneuse implique une contradiction. D’autres personnes arrivent à l’auberge.
Juana – Mon père arrive.
Sergent – Mon absence est de rigueur.
Juana – Ces deux là marchent avec crainte.
Sergent – Adieu, à quoi bon nous revoir ?
Juana – Comme vous ne m’avez pas demandé de zèle et que vous m’avez servie avec courtoisie et finesse et de façon très libérale, je ne vous traiterai pas si mal.
Sergent – Eh bien adieu, à bientôt. Il s’en va.
Juana – Je suis fatiguée d’écouter celui-là. Des gens arrivent.
Don Lope et Martin entrent.
Lope – Grâce à Dieu j’aperçois l’auberge Martin.
Martin – Doux Jésus, je suis fatigué, je ressemble à un porc, la peau toute éraflée. Mal leur en a pris à ces deux muletiers de nous faire voyager sur des aiguilles. Ils s’approchent de Juana. Madame l’aubergiste ?
Juana – Soyez les bienvenus, jeunes hommes.
Martin – Ecoute, elle n’est pas mauvaise la donzelle – en aparté – pour nous donner un rafraichissement de conversation, Don Lope.
Juana – Je n’ai jamais vu de garçons aussi beaux – en aparté – comme celui aux plumes blanches. Si le sergent s’était conduit de la sorte, je ne l’aurais pas méprisé.
Martin – Attendez que l’aubergiste arrive pour parler du prix, pour ne pas commencer bâiller sans pouvoir dormir ensuite.
L’aubergiste sort avec un chapelet à la main.
Aubergiste – Pardonnez-nous nos fautes et libérez-nous du mal, je vous en supplie.
Martin – C’est un ange, quel dévot ! Quelle attention ! Avec ce chapelet à la main et le diable au corps. Il doit être entrain de louer le Christ.
Aubergiste – Soyez les bienvenus, messieurs.
Martin – Y a-t-il de la place ?
Aubergiste – Pour qui ?
Martin – Pour nous deux.
Aubergiste – Vous avez de l’argent ?
Martin – Il ne manque pas un sou.
Aubergiste – Vous vivez seuls ?
Martin – Comme des chiens.
Aubergiste – Vous voulez des lits ou des paillassons ?
Martin – Nous voulons des lits, et des tendres.
Aubergiste – Vous avez des parents ?
Martin – Oui, et très riches.
Aubergiste – Vous êtes d’où ?
Martin – Tout droit sortis de l’Enfer.
Aubergiste – Eh bien allez mordre ailleurs, ce lieu n’est pas une auberge de muletiers et ici nous ne recevons pas de gens qui voyagent à pied. Notre Père….
Martin – Et pour ça vous nous demandez des renseignements sur nos parents, nos grands-parents, nos vies et nos habitudes ? C’est une auberge ou un collège ?
Lope – Ecoutez, nous sommes des soldats, nous marchons dans les pas du Comte de Fuentes.
Aubergiste – Je vous accorde ce privilège, jeunes hommes, car tous les hommes de son Excellence, par la valeur, le zèle et la courtoisie dont il a fait preuve dans ces contrées, méritent d’être logés, et avec amour nous les servons tous. Juana, prépare la salle des deux chambres qui jouxte l’appartement du coin, pour que ces soldats, bien qu’ils soient ici par hasard, se reposent. Que Dieu te préserve Marie…
Lope – Je vous suis reconnaissant pour votre empressement, patron, il est préférable que nous mangions avant de partir pour San Sébastian. Servez-moi quelques mets mais ne vous embarrassez pas pour nous, ce n’est pas une raison.
Aubergiste – Je vous régalerai comme bon me semble, et avec le zèle qui convient de vous offrir chez moi. Je vous préviendrai pour l’heure du repas, nous parlerons des frais plus tard. Sainte Marie…
L’aubergiste s’en va.
Lope – Avez-vous déjà vu une prévenance aussi noble ?
Martin – Biscaye a toujours été le centre de la valeur et de la courtoisie.
Juana – Je reste seule avec eux, quels visages bouleversants ! Quel physique divin ! Lui dirai-je mon amour ? Qu’attends-je donc ? Jeune homme, j’arrive tremblante, car mes manières de demoiselle, qui sont le fruit du diable, se sont mises en travers de mon chemin.
Martin – Elle ne vous regarde pas d’un mauvais œil cette nymphe là.
Juana – Dès que j’ai vu ton allure…
Martin – Que l’on me tue, si mon jugement est incertain.
Juana – Et vos yeux moqueurs et espiègles qui, tels des danseurs de jais, me font bondir le cœur, je meurs d’amour pour vous.
Martin – Vous vous êtes poignardé le cœur, quand je vous l’ai rendu.
Lope – Mon cœur fût-il grossier, si en s’aventurant au bonheur, votre beauté n’atteignait pas ces affects.
Martin – Par Saint Paul, qu’il la fasse tomber amoureuse.
Lope – C’est un hameçon de l’âme, et je suis, bien que soldat, très tendre, et à savoir qu’elle dit la vérité…
Juana – Ce sont là des doutes ?
Lope – Je ne suis discret que dans la méfiance.
Juana – Je suis perdue. Je vous aime de tout mon cœur et de toute mon âme.
Martin – Ces propos galants vont de mal en pis.
Le sergent, au pan de mur.
Sergent – Je viens chercher la petite Juana, elle est entrain de parler avec un autre. Qui sont ces gringalets ?
Lope – Votre finesse m’oblige, mais je doute que votre volonté soit entière.
Sergent – Tout ceci est mal.
Lope – En un autre lieu, peut-être.
Juana – N’ayez aucun doute, je suis libre, et je n’ai pas d’autre préoccupation que de vous adorer. Il n’y a que cette brute de sergent, raccommodé comme une pie, tout blanc et teinté comme un porc, avec plus de guenilles qu’un pauvre, qui me poursuit.
Sergent – Elle me traite bien.
Juana – A dire vrai, je le déteste autant que le démon.
Sergent – La Juana parle clairement, avec finesse et subtilité.
Lope – M’assurant de tout ceci, je serai tien à jamais.
Martin – Il est soul, mon Dieu je vous en supplie, mettez fin au doute de cet homme, il a oublié qu’il était une femme.
Juana – Je l’accepte, ouvrez-moi vos bras en guise de signe.
Ils s’enlacent, et le sergent sort.
Sergent – Il y a beaucoup à faire ici.
Juana – Je suis mortifiée !
Sergent – Monsieur l’imberbe, comment de façon aussi vaine et prétentieuse vous mettez vous dans mes affaires ? Vous ne savez pas que Juana touche à mon honneur ? Le fait de voir le grand sergent Palomo si irrité et féroce ne vous terrasse-t-il pas de peur, en sachant que si je vous casse un bras, je le lancerai jusqu’à ce port de Carabanchel ?
Martin – Le vol ne sera pas court, mais tout ceci n’est que machinerie.
Sergent – Si vous me mettez en colère, Dieu m’en soit témoin, je vous ferai pousser la moustache.
Martin – Je me fâche déjà, et mon ardeur châtiera de cette force – Ils se battent. – votre arrogance.
Martin – La poule meurt, le dindon se pavane.
Juana – Vous me faites peur.
Lope – Qu’est-ce que la peur ? Fuyez, lâches.
Ils s’en vont en se battant, reste Juana.
Juana – Que le ciel me vienne en aide ! – Intérieurement – Ah ! Ils m’ont tuée.
Sergent, intérieurement – Avortons !
Don Lope et Martin sortent.
Martin – Le sergent porte de l’ocre, qu’allons-nous faire ?
Lope – Partir d’ici, et marcher jusqu’au port de San Sébastian.
Martin – Bien dit, attention, l’aubergiste a l’air agité.
Lope – Adieu, gente damoiselle.
Juana – Comment pouvez-vous m’abandonner à un tel risque ? Mon père, lorsqu’il apprendra l’incident, va m’ôter la vie.
Lope – Je lui ai vu un plus terrible acharnement ! – En aparté – Qu’essayez-vous de faire ?
Juana – Quoi ? Vous suivre.
Martin – Venez, cette femme est suspicieuse et folle.
Juana – Ne me laissez pas en danger.
Lope – Ce duel a touché à mon devoir, suivez-moi donc.
Juana – Je vais essayer. Nous contournerons la cour, sans être entendus.
Martin – Attendez, par le corps du Christ, messieurs, tant de complications, il n’y a que les femmes qui les apportent.
Lope – Bien, j’y vais par amour et par devoir. La fortune fera le reste.
Ils s’en vont. Don Fernando, le baron Brifac et des soldats entrent.
Baron – Embrassez-moi encore de cette solide amitié aux liens éternels.
Fernando – Ces liens solderont l’étroite union de nos cœurs unie dans la durée.
Baron – Mon ami Don Fernando de Bergara, dont la réputation est immortelle, héroïque et rare, vous l’avez gravée dans le marbre, et le ciseau lui a donné vie, pour que le temps l’imprime. Vous êtes mille fois les bienvenus à Biscaye, où mon cœur reconnaissant peut vous combler de grands présents. Vous détenez mon amitié depuis que nous avons tous deux servi en Flandres, ensemble, et suivi les ordres de Marco. Vous fûtes obligés de rentrer en Espagne, en me laissant obligé pour l’éternité.
Fernando – Grand Baron de Brifac le courageux, dont les exploits, de mémoire immortelle, sont commentés par les volumes d’histoire, car la réputation dans ses fidèles éloges les couronne de triomphes, une fois de plus je réalise la chance de m’être donnée agréable et opportune l’occasion de vous servir, lorsque je vois mon devoir et mon désir égaux, bien qu’en comparaison à la vôtre la volonté me manque, car en partant de Bruxelles pour l’Espagne, vous ne m’avez pas prévenu.
Baron – Il était nécessaire de partir si précipitamment, car mon arrivée aurait anticipé l’avertissement, et le voyage n’aurait alors servi à rien, pour avoir rencontré vos hommes et le grand Comte de Fuentes dans ce port, et comme moi, sous son commandement j’ai servi aux côtés de nombreux capitaines (bla bla bla il continue à se la ramener).
Fernando – Ce ne fut pas en vain, que l’on se le dise, de s’être rencontrés de la sorte, puisque des Compagnies de l’Armée Royale se sont jointes aux hommes du Comte, mais ce fut la mienne, Baron, la Compagnie la plus brillante, avec laquelle nous auront ensemble le passage.
Baron – Mon voyage n’aura pas été vain, étant accompagné d’un tel ami.
Ils disparaissent à l’intérieur.
Fernando – Presque tout le monde a embarqué : ce soir du port nous apparaitrons. Dites moi, Baron (étranges extrêmes de l’amour ! Ah belle Blanca ! Qui croira que l’influence de ma bonne étoile ne put en six années, en foi de tant de cruauté et de mes illusions, m’arracher du cœur ton image souveraine ?) qu’a fait madame Blanca, cette belle Dame Baronne du Valle, que la réputation applaudit et qui à Bruxelles la publie pour noble, pour belle, honnête et riche ? Ceci est une curiosité.
Baron – Ainsi je le crois : ceci semble être du désir. Ah Madame la divine, – en aparté – c’est en vain que ton souvenir pèlerin me donne du courage, si en offensant ta décence, tu me détestes, quand je t’adore ! Cette Dame, Fernando (chance irritée !) est bonne, belle et héritière car son père est mort.
Fernando – Quelle chose rare ! Courage, donc, lâche désillusion, – en aparté – car parfois la fortune avec l’image conditionnelle de la Luna en dérobant de son orbite la trajectoire exaspérée, favorise, et protège le malheureux/maudit.
Baron – Vous la verrez en Flandres.
Fernando – Je ne le demande pas avec une fine précaution (mon Dieu je suis défunt !) car un absent passe de curieux à impertinent. Avant d’arriver à la marine, j’emmène avec moi une belle biscaïenne, à qui j’ai donné, en tant que soldat, ma protection, et elle, partagée entre dédain et persuasion, se montre à ma finesse très reconnaissante. Cette nuit à la plage, comme l’on en a coutume lors des fête à Biscaye, elle sort danser avec d’autres belles dames, sous un ciel fleuri et sur un champ étoilé, et je viens à ce port, pour voir si je peux dans son dédain honnête introduire, mes espérances, et fondre ma fermeté dans ces changements, car elle est reconnaissante sans aimer.
Baron – C’est juste, mais c’est un caprice de goût fameux que d’en arriver à être un fin amant la nuit, en ayant à s’en aller cette nuit même.
Fernando – L’amour de soldat.
Baron – Je ne l’ignore pas.
Fernando – Laissez-moi voir la déesse que j’adore, car si elle m’appelle chez elle maintenant, l’amour pardonnera, et la dame aussi.
Baron – Bien parlé.
Don Lope, Juana et Martin entrent.
Martin – Ce fut un miracle que d’arriver à l’heure pour que vous puissiez embarquer.
Lope – Voilà la plage de San Sébastian, là-bas j’irai parler au Comte de Fuentes, puisque l’Armée s’apprête à surgir, il ne faut pas perdre cette occasion.
Juana – Comme la mer est belle !
Lope – On dirait que les vagues flattent le vent et que les marées se balancent tendrement.
Martin – Que Dieu m’en préserve.
Juana – Pourquoi ?
Martin – Parce qu’un cocher n’a pas plus de chances de retour si elle se fâche : face à elle, la belle-sœur la plus revêche, la tante la plus avare, la belle-mère la plus éléphante, la mère la plus couleuvre, ne sont que des nourrissons.
Lope – Tu es toujours d’humeur pour les jeux de mots.
Fernando – Ecoutez, – On entend des guitares. – on dirait que le bal est enfin ouvert.
Des hommes entrent, et des femmes biscaïennes jouent du tambour et de la viole.
Homme 1 – Ici même, où la mer nous embrasse de ses ondes marines, vous pouvez commencer la danse.
Fernando – Celle qui porte la rose glissée dans sa coiffe, Baron, c’est elle la belle biscaïenne dont je vous ai parlé.
Baron – Don Fernando, elle n’est pas laide, mais elle n’est pas belle non plus.
Juana – Nous arrivons à la ronde.
Homme 2 – Que de marivaudages et de castagnettes.
Les biscaïens chantent et dansent, Don Fernando et Don Lope admirent le spectacle côte à côte.
Chanteur – La petite d’argent vole au dessus de la plage et le sable voit fleurir deux jasmins. Fatiguée de danser, l’aurore encourageante sèche de ses souffles ce qu’elle sue en perles. En rythme…
La rose de la coiffe de la Biscaïenne tombe, Don Lope et Don Fernando vont pour la ramasser entre deux mesures.
Tous deux – Tenez, madame.
Fernando – Laissez la rose.
Lope – Je suis arrivé en premier pour la ramasser, elle est dans ma main, et il m’est difficile de l’en retirer.
Fernando – Laissez-la, la gracieuse a peur !
Lope – Je vous l’ai déjà dit que ce n’est pas chose facile : n’épuisez pas ma patience, car je gaspille peu de mots.
Fernando – Par tous les cieux, quelle honte, voleur.
Lope – Ce n’est pas suffisant ? Et bien ce sera comme ça et pas autrement.
Ils se disputent la rose un moment, chacun se retrouve avec une moitié dans la main. Le baron, Don Fernando, Don Lope et Martin sortent leurs épées et Juana se met à ses côtés avec un poignard.
Fernando – Grande valeur !
Lope – Bras courageux !
Juana – Face à cette fille, ce sont des coqs avec leurs huppes et Juana est un fanfaron.
Sergent – Faites place, du balai, son Excellence est ici.
Lope – Quelle confusion que celle-ci !
Comte – C’est vous, Don Fernando de Vergara ?
Lope – Je suis morte ! Serait-ce dont lui mon frère ?
Comte – A peine êtes vous arrivés, à peine vous vous battez ?
Lope – Mon Dieu, mon doute est flagrant.
Comte – Avec le tiers des espagnols, joignez vous maintenant à mes hommes. Quand avez-vous sorti les épées ? Racontez-moi l’origine de cette querelle.
Fernando – Ce soldat, (je suis gêné que vous le sachiez, je me suis opposé à ce garçonnet), sur un certain malentendu a sorti son épée pour me défier, mais avec votre présence tout s’est terminé.
Comte – Comment cela a-t-il fini ? Bien, circulez, car lorsque j’ai émis un arrêté, j’y ai publié de graves peines pour qui sortira l’épée, et ici un petit soldat se risque à affronter un officier ? Que le Roi m’en soit témoin, si je n’étais plus Comte de Fuentes, je condamnerais moi-même votre orgueil par l’acier. Avant que nous embarquions, veillez à ce qu’ils subissent la corde deux fois, que cela serve d’exemple aux autres.
Lope – Apportez-les votre Excellence.
Martin – Nom de Dieu !
Lope – Quel Capitaine souverain, dont la main fait trembler le monde, exemple de valeur et de prudence, qui ne prononce de sentence précipitée ni injuste sans écouter un homme noble, tel un juge, pour être juste. Il a dans les deux oreilles, pour écouter les différentes parties, deux amis, qui refreinent leurs passions naturelles, et la sentence est injuste, car l’oreille signe l’arrêt, elle donne à entendre avec précaution que la passion la promulgue, si la colère l’ordonne.
Comte – Il est vrai, mais condamner un délit auquel s’est risqué un de mes hommes est chose très juste : emmenez-le.
Fernando – Je vous supplie à genoux…
Comte – Don Fernando, si un homme ne se respecte pas, la Milice en pâtira : ainsi je tâche d’en faire un exemple pour tous.
Fernando – Grand seigneur, sa valeur mérite votre clémence, car je vous assure qu’il est indigne de votre courroux.
Comte – Il doit en être ainsi.
Lope – Mon Dieu, cela prend une tournure sérieuse – en aparté – regardez, monsieur…
Comte – Cela est vain.
Lope – N’étant pas mon juge, comment cela se peut-il être ?
Comte – Comment cela non ?
Lope – Comme suit, puisque je ne suis pas soldat.
Comte – Voilà autre chose – en aparté – que dites-vous ?
Lope – Je suis arrivé, monseigneur, à votre présence, en étranger, et avec l’intention de suivre vos troupes qui se dirigent vers les Flandres, et ainsi la fleur de cette belle Dame est tombée, je suis arrivé le premier pour la ramasser, et monsieur Don Fernando, voulant user de la manière forte dans cet affrontement, en réglant ce différent par le fer, qui fait triompher la raison avec plus de force. De même que nous, que le ciel me garde, se sont affrontés Achilles, Hector, Jules César, Scipion, Alexandre, Pyrrhus, et votre Excellence et la plus courageuse de tous : car lorsque la valeur s’applique à faire triompher l’honneur, elle ne fait rien de plus que de laisser bien mise l’opinion, bien qu’après arrive ce qui doit arriver.
Comte – Le jeune homme est brave et il est nécessaire de le punir par la corde, mais en n’étant pas un soldat, ce châtiment n’a plus de raison d’être. – Il s’adresse à lui. – De sorte que vous êtes venus, en abandonnant votre patrie, pour servir le Roi en Flandres.
Lope – Si votre protection me le permet, ce bras là pourra un jour resplendir dans votre ombre.
Comte – Mon Dieu, vous êtes modeste et vos nobles entrains touchent mon âme. J’étais ainsi lorsque je n’étais qu’un jeune homme. Vous décrivez ce que je suis, car vous savez comment traiter un homme courageux.
Lope – Mes œuvres prouveront ma noblesse : ainsi permettez-moi de la dissimuler pour le moment.
Comte – Et bien dites moi comment vous appelez-vous.
Martin – Il nous en coûte.
Lope – Moi, Don Lope de Avendaño, dans la montagne j’ai acquis une propriété et cette maison, ornée d’une antique splendeur.
Comte – De sorte que, monsieur Don Lope, la défense de votre honneur me défierait-elle ?
Lope – La raison n’implique pas la force : ce qui est dit est dit, monseigneur.
Comte – Vous auriez pu être dangereux, mais vous êtes bien fait et ces entrains m’engagent à vous offrir protection. Trouvez place en ma compagnie même et croyez bien qu’en moi vous aurez, que Dieu m’en soit témoin, dans cette guerre un bon parrain et un bon ami.
Lope – Si ces faveurs m’encouragent, il ne sera que peu de chose que de mettre le monde à vos pieds.
Comte – Serrez la main de Don Fernando, – Ils disparaissent à l’intérieur. – le glas nous appelle à embarquer, soldats, que personne ne reste à terre.
Sergent – Le bruit parvient à nos oreilles, nous pouvons désormais entrer Votre Excellence.
Comte – Don Lope, venez avec moi.
Lope – Fortune, où m’emmènes-tu ?
Tous, à l’intérieur – Bon voyage, bon voyage ! L’ancre est levée.
Martin – Regardez, le Comte vous attend.
Lope – Allons-y Martin, je m’en vais heureuse, entre la faveur et le doute, entre la flatterie et la suspicion d’un général qui me donne du courage et d’un frère qui me mène au risque.
Deuxième Journée §
On tape sur des caissons et on joue de la trompette. Il y a du bruit à l’intérieur comme lorsque l’on assaille une place.
A l’intérieur, 1 – J’aperçois l’ennemi de ce côté, avertissez-les par les armes du châtiment.
A l’intérieur, 2 – Soyez prêts à combattre, couvrez la muraille d’hommes.
A l’intérieur, 1 – Nous défendons le fort : quel embarras !
Tous – A la muraille, aux tranchées, aux barricades.
Le Comte de Fuentes entre, l’épée nue.
Comte – Ecoutez, mes soldats, montrez votre courage à cette occasion, vous avez été formés pour vaincre, voici venu le triomphe de la valeur. Oyez, soldats, votre héroïque acharnement servira la Fortune, que le grand Lion d’Espagne soit son maître, que l’ennemi sache sa ruine : mes enfants, qu’attendez-vous ? Montrez vos cœurs courageux dans la colline, Santiago, encerclez l’Espagne, Lions. Je me consume de le voir, la fumée pèse ! Car lorsque le nuage dense enfume le vent, chaque exploit me retire tant de gloires, mais si je la vois mal rien ne sert alors. Ne serait-ce pas ce Don Fernando de Vergara qui prend d’assaut, intrépide et aventureux, la muraille, et cet autre Colonel ? Quel bon soldat ! A voir votre vaillance j’éprouve de l’envie. Vous risquez vos vies, et moi non ? Mais que dis-je, alors que le vent aveugle crache des flammes aux apparences de vipères de feu ? Devant tant de risque pris, j’admire sa valeur. C’est maintenant l’occasion, mais que suis-je entrain de regarder ? Qui est donc ce soldat qui, intrépide, vaillant et courageux, escalade la muraille ? Il ressemble à un éclair entouré de nuage. Jamais je ne vis autant de courage. En montant l’échelle il vainc le vent, il encercle déjà avec triomphe la muraille, il cherche alors le général, et le trouve. Ah vaillant soldat ! Il a quitté les troupes du mur : il a mis sa personne en grand danger. Soldats, allez à son secours. Mais qu’est-ce donc cela ? – Ils disparaissent à l’intérieur. – De son courageux et vaillant esprit, il est tombé en se précipitant dans le fossé, gravement blessé, et ils ont attenté à ses jours par méfiance.
Don Lope tombe, blessé au front, et rapporte deux drapeaux à la main.
Comte – Qui es-tu, malheureux jeune noble ? C’est à ta valeur que je dois cette victoire, et je la donnerais, je le jure devant Dieu, pour bel et bien perdue,
Lope – Moi, grand homme, je suis celui qui du mur à tes pieds est tombé, blessé, et bien qu’étant à tes pieds, et de la sorte, je triompherai de la peur et de la mort.
Comte – Quel poids si rare ! Et bien Capitaine Don Lope de Avendaño, puisque vous êtes blessé et maltraité par le coup que vous avez donné, approchez-vous, car puisque je vous estime, que mes bras vous offrent un soutien.
Lope – Avec une telle faveur je me remettrai, bien que la blessure soit grave, mais elle ne me cause, monseigneur, que peu d’embarras, car bien que la balle fût celle d’un mousquet, elle n’a fait que me frôler, et ne me causa qu’une petite blessure au front. Recevez, grand seigneur, avec ces premières deux bannières, que j’ai pris du mur à Alferez dans une impulsion osée. Qu’elles servent, puisqu’elles me devancent en honneurs, de subtils tapis à tes pieds. Avec votre regard, la blessure ne fut rien. Vive Dieu, monseigneur, car la chute m’a sans aucun doute appris que le grand Comte de Fuentes m’attendais, et il aurait été un acte vain que d’arriver à vos pieds avec moins de hâte.
Comte – Oh vaillant espagnol ! Venez dans mes bras, des liens éternels prouvent mon amour : la tienne n’est que gloire.
A l’intérieur, 1 – Victoire pour l’Espagne.
Comte – Cette victoire je ne l’attribue qu’à vous, Don Lope.
Lope – Que doit dire celui qui est votre esclave ?
Comte – Je vous récompenserai, je le jure devant Dieu.
Lope – J’ai été votre représentant.
Le Baron de Brifac entre par un côté, et Don Fernando et le Sergent Palomo entrent par l’autre.
Baron – Oui, grand homme, le fort s’est rendu.
Fernando – Je jure obéissance aux illustres pieds de Votre Excellence.
Comte – Valeureux Colonel, vous, Don Fernando, célèbre Capitaine, comme je me réjouis de vous voir si empressés ! Jamais le Roi n’a eu de tels soldats. Je le jure devant Dieu, j’honorerai votre mémoire à tous deux.
Sergent – On ne doit cette victoire qu’à moi : monseigneur à vos pieds se tient le grand Palomo, qui sans un soubresaut a accompli des miracles aujourd’hui dans l’assaut.
Comte – Quels miracles, Sergent ?
Sergent – Ce ne sont pas des mensonges, écoutez, monseigneur, un fameux exploit : aveuglé, j’ai escaladé le mur comme un soldat de Dieu, et à peine j’arrivai lorsque je vis un de vos soldats ici décapité, j’eus de la peine à le voir sans tête, je sortis mon épée, et enfin, avec habileté et colère, et avec une courageuse fureur, j’ai porté un coup d’épée à un chauve, et la tête du chauve, je l’ai mise sur le corps de l’autre.
Comte – Et ce soldat dont vous parlez Sergent, s’en retrouva fort aise d’être à présent chauve ? Je me plaindrai de vous, mon Dieu, car je pense que vous me défierez.
Sergent – Il y eut pire échange, à bien y regarder.
Comte – En le laissant chauve ?
Sergent – Et ce n’est pas un mensonge, car le soldat, que j’ai laissé avec une calvitie, était déjà auparavant chauve…
Comte – Quoi ?
Sergent – Vermeil.
Comte – Prenez cette bague.
Sergent – Comme cela me plaît. Donnez-la pour reçue et pour prise. Pour un orphelin ceci est un progrès immense. Rendez-vous compte, vous me jetez la pierre.
Martin entre.
Martin – Je regarde ma maîtresse, il y a tellement de valeur en cette Dame ! Elle est blessée, et voici mes tendres larmes. – Il se dirige vers Don Lope. – Madame, êtes-vous un démon venu de l’Enfer ? Entre les balles vous lâchez votre malédiction ? Êtes-vous peut-être hermaphrodite ? Car à voir vos exploits, je pense que vous êtes un homme, et que vous me trompez.
Comte – Don Lope, j’ai été retenu, et je ne sais pas tout de cette faction. Ainsi j’ai tenté de la comprendre, mais plus lentement que vous.
Lope – Soyez davantage attentif : les hommes de l’armée sont sortis ensemble, mon bon seigneur, ce matin, lorsque le soleil se levait tout juste, esquissant à peine l’aube. Les troupes s’en allaient dans l’ordre, leurs rangs formés, marchant au rythme du grondement belliqueux des trompes et des caisses. Sous le Zéphyr, les bannières ondoyaient, formant de subtiles ondes sous les souffles tendres de l’Aura. L’Armée était semblable à un jardin avec ces couleurs variées dont elle s’était parée, et ces somptueux uniformes, que les espagnols ne réservent qu’à cette occasion. La cavalerie allait en faisant ondoyer des bannières rouges, on eût dit une forêt de plumes noires et blanches. L’ordre que l’on reçut fut donc d’assiéger la Place de Cambrai, force importante des dessins de l’Espagne, et, selon vos ordres, cribler l’ennemi d’espions qui ne manquent jamais (sans se risquer à venir avec votre armée à la bataille). Entre de nombreuses et différentes fortifications, l’ennemi a construit un fort à peu de distance de Cambrai, pour s’y constituer un abri qu’ils appellent celui de San Jorge. Les éclaireurs, monseigneur, qui ont ratissé la campagne et les habiles cavaliers qui ont ouvert la marche y arrivèrent à temps, car vos hommes situés près de la place étaient déjà visibles par l’ennemi. Ils y firent une halte et entre les différents avis que suivirent vos Capitaines, ils attendaient des directives selon moi. Le Capitaine de la cavalerie est également venu me parler. Grâce à votre main franche, vous m’avez donné ce poste sans que je n’en aie le mérite : selon moi, monseigneur, assiéger la place, au mépris du fort laissé à la merci des épées, n’était pas sage, car l’ennemi pouvait, sans que personne ne l’en empêche, nous couper de toutes victuailles au prix de votre sécurité. Ils approuvèrent mon avis et envoyèrent deux mille infants, qui avec cinq cents cavaliers s’en allèrent prendre le fort, et le plus gros de l’armée se mit en route pour le siège. En ceci ma compagnie avait l’avantage ce jour-là, et au son du clairon, vous battîtes la campagne avec fureur. Le sang exaspéré se troublait, les cœurs s’enflammaient, les chevaux broutaient bruyamment. Qu’ils connaissent les prétentions du maître jusqu’à leurs hennissements. Les infants, monseigneur, s’en sont allés équipés d’échelles, lorsque Monseigneur de Lorena, Général de la Place, ordonna que cinq cents cavaliers sortent pour mener à bien une escarmouche. Nous nous fîmes face. Ici, grand seigneur, il me serait inutile de vous dépeindre la scène avec éloquence, bien que l’occasion y soit favorable. Bien que ce fût une petite bataille par le nombre, ce fut une grande bataille par la rigueur. En plein cœur de l’affrontement, les faisceaux commencèrent à lancer des charges, et en un florilège incessant ils se mirent en formation. Qui sortit du port glorieusement ? Qui appela son ennemi ? Qui l’arracha de son siège ? Qui chargea à son encontre et qui gagne la bataille ? Qui fuit comme un lâche ? Car au cours de cette excellente guerre, si l’on y regarde bien, la fuite du soldat n’est pas une infamie. Il est bien vu, mais uniquement au cours des escarmouches, de préserver les corps. Pendant ce temps, un de leurs soldats les précéda, ratissant les flancs de toute une montagne avec son âme, sur le dos d’un alezan noir farouche, fils adoptif de l’Aura, fruit de l’avortement d’un nuage, et andalou d’après son arrogance, à qui le vrai chiendent a donné la vanité du Bétis, il but les présomptions des eaux andalouses, si corpulent et furieux, car à le regarder dans les yeux, avec cette expression il disait à ceux qui s’attardaient à le regarder : Que regardes-tu ? Je ne suis pas une brute, je suis, si tu regardes bien, le premier cavalier du Soleil, la seconde ruine troyenne. Je remarquai, enfin, la richesse des armes de son maître, et un martinet de plumes, que l’air affolait. Et en sortant de cette rencontre, envieux de son apparat, car dans les cœurs nobles se trouvent toujours les envies élevées, il tira sur le chien au pistolet, et avec une colère pressée, mon ennemi et moi avons ouvert le feu à la mi-distance.
Annexe 2 : La Place Royale, 1634, Corneille §
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE.
ANGÉLIQUE.
Ton frère, je l’avoue, a beaucoup de mérite ;Mais souffre qu’envers lui cet éloge m’acquitte,Et ne m’entretiens plus des feux qu’il a pour moi.PHYLIS.
C'est me vouloir prescrire une trop dure loi.Puis-je, sans étouffer la voix de la nature,5Dénier mon secours aux tourments qu’il endure ?Quoi ! Tu m’aimes, il meurt, et tu peux le guérir,Et sans t’importuner je le verrais périr !Ne me diras-tu point que j’ai tort de le plaindre ?ANGÉLIQUE.
C'est un mal bien léger qu’un feu qu’on peut éteindre.10PHYLIS.
Je sais qu’il le devrait, mais avec tant d’appas,Le moyen qu’il te voie et ne t’adore pas ?Ses yeux ne souffrent point que son coeur soit de glace ;On ne pourrait aussi m’y résoudre en sa place ;Et tes regards, sur moi plus forts que tes mépris,15Te sauraient conserver ce que tu m’aurais pris.ANGÉLIQUE.
S'il veut garder encore cette humeur obstinée,Je puis bien m’empêcher d’en être importunée,Feindre un peu de migraine, ou me faire celer :C'est un moyen bien court de ne lui plus parler ;20Mais ce qui m’en déplaît et qui me désespère,C'est de perdre la soeur pour éviter le frère,Et me violenter à fuir ton entretien,Puisque te voir encore c’est m’exposer au sien.Du moins, s’il faut quitter cette douce pratique,25Ne mets point en oubli l’amitié d’Angélique,Et crois que ses effets auront leur premier coursAussitôt que ton frère aura d’autres amours.PHYLIS.
Tu vis d’un air étrange et presque insupportable.ANGÉLIQUE.
Que toi-même pourtant dois trouver équitable ;30Mais la raison sur toi ne saurait l’emporter :Dans l’intérêt d’un frère on ne peut l’écouter.PHYLIS.
Et par quelle raison négliger son martyre ?ANGÉLIQUE.
Vois-tu, j’aime Alidor, et c’est assez te dire.Le reste des mortels pourrait m’offrir des voeux,35Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux ;La pitié de leurs maux ne peut toucher mon âmeQue par des sentiments dérobés à ma flamme.On ne doit point avoir des amants par quartier ;Alidor a mon coeur et l’aura tout entier ;40En aimer deux, c’est être à tous deux infidèle.PHYLIS.
Qu'Alidor seul te rende à tout autre cruelle,C'est avoir pour le reste un cœur trop endurci.ANGÉLIQUE.
Pour aimer comme il faut, il faut aimer ainsi.PHYLIS.
Dans l’obstination où je te vois réduite,45J'admire ton amour et ris de ta conduite.Fasse état qui voudra de ta fidélité,Je ne me pique point de cette vanité,Et l’exemple d’autrui m’a trop fait reconnaîtreQu'au lieu d’un serviteur c’est accepter un maître.50Quand on n’en souffre qu’un, qu’on ne pense qu’à lui,Tous autres entretiens nous donnent de l’ennui ;Il nous faut de tout point vivre à sa fantaisie,Souffrir de son humeur, craindre sa jalousie,Et de peur que le temps n’emporte ses ferveurs,55Le combler chaque jour de nouvelles faveurs ;Notre âme, s’il s’éloigne, est chagrine, abattue ;Sa mort nous désespère et son change nous tue,Et de quelque douceur que nos feux soient suivis,On dispose de nous sans prendre notre avis ;60C'est rarement qu’un père à nos goûts s’accommode,Et lors juge quels fruits on a de ta méthode.Pour moi, j’aime un chacun, et sans rien négliger,Le premier qui m’en conte a de quoi m’engager :Ainsi tout contribue à ma bonne fortune ;65Tout le monde me plaît, et rien ne m’importune.De mille que je rends l’un de l’autre jaloux,Mon coeur n’est à pas un, et se promet à tous :Ainsi tous à l’envi s’efforcent à me plaire ;Tous vivent d’espérance, et briguent leur salaire ;70L'éloignement d’aucun ne saurait m’affliger,Mille encore présents m’empêchent d’y songer.Je n’en crains point la mort, je n’en crains point le change ;Un monde m’en console aussitôt ou m’en venge.Le moyen que de tant et de si différents75Quelqu’un n’ait assez d’heur pour plaire à mes parents ?Et si quelque inconnu m’obtient d’eux pour maîtresse,Ne crois pas que j’en tombe en profonde tristesse :Il aura quelques traits de tant que je chéris,Le moyen que de tant et de si différents80ANGÉLIQUE.
Voilà fort plaisamment tailler cette matière,Et donner à ta langue une libre carrière.Ce grand flux de raisons dont tu viens m’attaquerEst bon à faire rire, et non à pratiquer.Simple, tu ne sais pas ce que c’est que tu blâmes,85Et ce qu’a de douceurs l’union de deux âmes ;Tu n’éprouvas jamais de quels contentementsSe nourrissent les feux des fidèles amants.Qui peut en avoir mille en est plus estimée,Mais qui les aime tous de pas un n’est aimée ;90Elle voit leur amour soudain se dissiper :Qui veut tout retenir laisse tout échapper.PHYLIS.
Défais-toi, défais-toi de tes fausses maximes ;Ou si ces vieux abus te semblent légitimes,Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux,95Conserve-lui ton coeur, mais partage tes yeux :De mon frère par là soulage un peu les plaies ;Accorde un faux remède à des douleurs si vraies ;Feins, déguise avec lui, trompe-le par pitié,Ou du moins par vengeance et par inimitié.100ANGÉLIQUE.
Le beau prix qu’il aurait de m’avoir tant chérie,Si je ne le payais que d’une tromperie !Pour salaire des maux qu’il endure en m’aimant,Il aura qu’avec lui je vivrai franchement.PHYLIS.
Franchement, c’est-à-dire avec mille rudesses,105Le mépriser, le fuir, et par quelques adressesQu'il tâche d’adoucir... Quoi ! Me quitter ainsi !Et sans me dire adieu ! Le sujet ?
Annexe 3 : L'École des Femmes (1668), Molière, Acte I, scène 4 §
HORACE, ARNOLPHE.
ARNOLPHE
Ce n’est point par le bien qu’il faut être ébloui;Et pourvu que l’honneur soit… Que vois-je? Est-ce?… Oui.Je me trompe. Nenni. Si fait. Non, c’est lui-même.Hor…HORACE
Seigneur Ar…ARNOLPHE
Horace.HORACE
Arnolphe.ARNOLPHE
Ah! joie extrême!Et depuis quand ici?HORACE
Depuis neuf jours.ARNOLPHE
Vraiment.HORACE
Je fus d’abord chez vous, mais inutilement.ARNOLPHE
J'étais à la campagne.HORACE
Oui, depuis deux journées.ARNOLPHE
Oh comme les enfants croissent en peu d’années!J'admire de le voir au point où le voilà,Après que je l’ai vu pas plus grand que cela.HORACE
Vous voyez.ARNOLPHE
Mais, de grâce, Oronte votre père,Mon bon et cher ami, que j’estime et révère,Que fait-il? Que dit-il? est-il toujours gaillard?À tout ce qui le touche il sait que je prends part.Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble,Ni, qui plus est, écrit l’un à l’autre, me semble.HORACE
Et j’avais de sa part une lettre pour vous;Mais depuis par une autre il m’apprend sa venue,Et la raison encor ne m’en est pas connue.Savez-vous qui peut être un de vos citoyens,Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens,Qu'il s’est en quatorze ans acquis dans l’Amérique?ARNOLPHE
Non: vous a-t-on point dit comme on le nomme?HORACE
Enrique.ARNOLPHE
Non.HORACE
Mon père m’en parle, et qu’il est revenu,Comme s’il devait m’être entièrement connu,Et m’écrit qu’en chemin ensemble ils se vont mettre,Pour un fait important que ne dit point sa lettre.ARNOLPHE
J'aurai certainement grande joie à le voir,Et pour le régaler je ferai mon pouvoir.(Après avoir lu la lettre.)
Il faut pour des amis, des lettres moins civiles,Et tous ces compliments sont choses inutiles;Sans qu’il prît le souci de m’en écrire rien,Vous pouvez librement disposer de mon bien.HORACE
Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles,Et j’ai présentement besoin de cent pistoles.ARNOLPHE
Ma foi, c’est m’obliger, que d’en user ainsi,Et je me réjouis de les avoir ici.Gardez aussi la bourse.HORACE
Il faut…ARNOLPHE
Laissons ce style.Hé bien, comment encor trouvez-vous cette ville?HORACE
Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments,Et j’en crois merveilleux les divertissements.ARNOLPHE
Chacun a ses plaisirs, qu’il se fait à sa guise:Mais pour ceux que du nom de galans on baptise,Ils ont en ce pays de quoi se contenter,Car les femmes y sont faites à coqueter.On trouve d’humeur douce et la brune, et la blonde,Et les maris aussi les plus bénins du monde:C'est un plaisir de prince, et des tours que je voi,Je me donne souvent la comédie à moi.Peut-être en avez-vous déjà féru quelqu’une:Vous est-il point encore arrivé de fortune?Les gens faits comme vous, font plus que les écus,Et vous êtes de taille à faire des cocus.HORACE
À ne vous rien cacher de la vérité pure,J'ai d’amour en ces lieux eu certaine aventure,Et l’amitié m’oblige à vous en faire part.ARNOLPHE
Bon, voici de nouveau quelque conte gaillard,Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.HORACE
Mais, de grâce, qu’au moins ces choses soient secrètes.ARNOLPHE
Oh.HORACE
Vous n’ignorez pas qu’en ces occasionsUn secret éventé rompt nos prétentions.Je vous avouerai donc avec pleine franchise,Qu'ici d’une beauté mon âme s’est éprise:Mes petits soins d’abord ont eu tant de succès,Que je me suis chez elle ouvert un doux accès;Et sans trop me vanter, ni lui faire une injure,Mes affaires y sont en fort bonne posture.ARNOLPHE, riant.
Et c’est?HORACE, lui montrant le logis d’Agnès.
Un jeune objet qui loge en ce logis,Dont vous voyez d’ici que les murs sont rougis,Simple à la vérité, par l’erreur sans secondeD'un homme qui la cache au commerce du monde,Mais qui dans l’ignorance où l’on veut l’asservir,Fait briller des attraits capables de ravir,Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre,Dont il n’est point de cœur qui se puisse défendre:Mais, peut-être, il n’est pas que vous n’ayez bien vuCe jeune astre d’amour de tant d’attraits pourvu:C'est Agnès qu’on l’appelle.ARNOLPHE, à part.
Ah! je crève.HORACE
Pour l’homme,C'est, je crois, de la Zousse, ou Souche, qu’on le nomme,Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom;Riche, à ce qu’on m’a dit, mais des plus sensés, non,Et l’on m’en a parlé comme d’un ridicule.Le connaissez-vous point?ARNOLPHE, à part.
La fâcheuse pilule!HORACE
Eh! vous ne dites mot.ARNOLPHE
Eh oui, je le connois.HORACE
C'est un fou, n’est-ce [pas] ?ARNOLPHE
Eh…HORACE
Qu'en dites-vous? quoi?Eh? c’est-à-dire oui. Jaloux? à faire rire.Sot? Je vois qu’il en est ce que l’on m’a pu dire.Enfin l’aimable Agnès a su m’assujettir,C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir,Et ce serait péché, qu’une beauté si rareFût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux,Vont à m’en rendre maître, en dépit du jaloux;Et l’argent que de vous j’emprunte avec franchise,N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,Que l’argent est la clef de tous les grands ressorts,Et que ce doux métal qui frappe tant de têtes,En amour, comme en guerre, avance les conquêtes.Vous me semblez chagrin; serait-ce qu’en effetVous désapprouveriez le dessein que j’ai fait?ARNOLPHE
Non, c’est que je songeais…HORACECet entretien vous lasse;Adieu, j’irai chez vous tantôt vous rendre grâce.ARNOLPHE
Ah! faut-il…HORACE, revenant.
Derechef, veuillez être discret,Et n’allez pas, de grâce, éventer mon secret.ARNOLPHE
Que je sens dans mon âme…HORACE, revenant.
Et surtout à mon père,Qui s’en ferait peut-être un sujet de colère.ARNOLPHE, croyant qu’il revient encore.
Oh… Oh que j’ai souffert durant cet entretien!Jamais trouble d’esprit ne fut égal au mien.Avec quelle imprudence, et quelle hâte extrême,Il m’est venu conter cette affaire à moi-même!Bien que mon autre nom le tienne dans l’erreur,Étourdi montra-t-il jamais tant de fureur?Mais ayant tant souffert, je devais me contraindre,Jusques à m’éclaircir de ce que je dois craindre,À pousser jusqu’au bout son caquet indiscret,Et savoir pleinement leur commerce secret.Tâchons à le rejoindre, il n’est pas loin je pense,Tirons-en de ce fait l’entière confidence;Je tremble du malheur qui m’en peut arriver,Et l’on cherche souvent plus qu’on ne veut trouver.
Annexe 4 : Tableau de présence des personnages §
Acte I | Acte II | Acte III | Acte IV | Acte V | ||
Personnages | 10 scènes | 15 scènes | 6 scènes | 9 scènes | 15 scènes | Présence totale |
Monsieur le Blanc | 7,8,9,10 | 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 | 2, 3, 4, 5, 6 | 5, 6, 7, 8, 9 | 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 | 36 scènes |
Cato | 3, 4, 5 | 1,2, 3, 4, 5, 7, 9, 10, 12, 14, 15 | 6 | 2, 3, 4, 5 | 5, 9, 10, 11, 13, 14, 15 | 24 scènes (mentionnées par les didascalies) |
Lucinde | 1, 2, 3, 4, 5, 6 | 1,2, 3, 4, 7, 8,9 | 1 | 7, 8, 9 | 1, 2, 3, 15 | 21 scènes |
Angélique | 1, 2, 3, 4, 5, 6 | 3, 4, 10, 11, 12 | 1 | 8, 9 | 2, 3, 13, 14, 15 | 19 scènes |
Damon | 2, 3, 4, 9 | 2, 3, 4 | 3, 4 | 1, 2, 3, 11, 12, 13, 14, 15 | 17 scènes | |
Madame le Blanc | 7 | 2, 3, 4, 12 | 3 | 4 | 2, 3, 9, 14, 15 | 12 scènes |
L'Espérance | 4, 5 | 3, 4, 11 | 1, 2, 9 | 3, 7 | 10 scènes | |
La Brie | 4 | 1 scène |