Antoine Jacob Montfleury

1664

Le Mary sans femme. Comédie

Édition de Gwendolyn Kergoulay
sous la direction de Georges Forestier
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Le Mary sans femme. Comédie, transcription du manuscrit.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Acteurs §

  • D : Brusquin d’alvarade
  • Julie
  • D : Carlos amant de Julie
  • Fatiman gouverneur d’Alger
  • Célime dame turque
  • Zaïre esclave naine de Julie
  • Marine Servante de Julie
  • Tomire Valet de Carlos
  • Gusman Valet de D. Brusquin
  • Stamorat Turc
  • Suite de Fatiman
La Scenne est dans Alger

Le Mary sans femme.
Comedie §

Acte premier §

Scene premiere §

Carlos, Julie, Marine, Tomire, Zaïre, Six Violons esclaves.

Tomire

Si Celime est bien tost d humeur a Vous entendre
Quelqu’un... Sa naine vient qui poura nous l’aprendre

Zaire aux Violons

Ma maistresse est contente allez retirez Vous
Vous venez a propos car Celime entre nous
5 Est depuis quelques iours dans un chagrin terrible
Je vay Voir si pour vous elle sera Visible
Preparez Vous icy iusques a mon retour
A la bien divertir pour faire Vostre cour

Scene seconde §

Carlos, Julie, Marine, Tomire

Julie

Ah Carlos

Carlos

ah julie

Tomire

ah Marine

Marine

ah Tomire
10 Ne pleure donc plus tant car tu me feras rire

Carlos

Helas que vostre sort

Julie

helas que noz malheurs

Carlos

Me va causer d’ennuys

Julie

me vont couster de pleurs

Carlos

Ah que si vous pouviez scavoir a quoy m’expose
Le cruel desespoir d’en avoir esté cause
15 Car enfin c’est moy seul que i’en dois accuser
C’est moy de qui l’amour creut pouvoir tout oser
De Vos ressentimens rien ne me doit deffendre
C’est moy qui fais couler les pleurs qu’on voit rependre
C’est moy seul c’est enfin ce trop sensible amant
20 Que l’amour fit resoudre a votre enlevement
Pour finir mon malheur i’ay seul causé le vostre
Mais enfin vous veniez d’en espouser un autre
On vous avoit forcée a prendre cet espoux
Vous m’aymiez tendrement je n’adorois que vous
25 Malgré ce que l’amour m’avoit semblé promettre
Dans son lit dans ses bras la nuit vous aloit mettre
Je perdois tout espoir ie sçavois vos ennuys
Quel autre en cet estat n’eust point tout entrepris

Julie

[p. 222]
Dans toutes ces raisons ne cherchez point d’excuse
30 Ce n’est que mon malheur Carlos que i’en accuse
Ouy c’est moy qui depuis cette funeste nuit
Vous ay communiqué le malheur qui me suit
Sans egard pour mes pleurs une mere cruelle
Me livroit a l’objet d’une hayne mortelle
35 Je venois de l’autel troublée et dans mon cœur
Cet himen avoit mis tant de trouble et d’horreur
Que sans considerer qu’elle en seroit la suite
Je creus que mon bonheur dependoit de ma fuite
Marine m’enpressa mesme elle me fist voir
40 Le peril ou j’estois et vostre desespoir
Et ses conseils…

Marine

allons mettons tout sur marine
Voyons qu’ay je tant fait ça que ie m’examine
Je vous voyois tous deux desesperez mourantz
L’un enrageoit dehors l’autre pleuroit dedans
45 L’un souhaitoit la mort l’autre juroit la sienne
Vous me fistes pitié car ie suis trop humaine
Vous feustes enlevée il est vray ie conviens
Que j’en facilitay de ma part les moyens
Que ie vous conseillay d’aller pour cette affaire
50 A Cadis ou Carlos disoit avoir sa mere 
Et que sans moy l’hymen aloit se consommer
Mais quoy ? Sçavois je moy que lon iroit par mer
Et... c’est ta faute a toy que le malheur engraisse
Chien de porteguignon tu n’eus jamais de cesse
55 Que nous ne feussions tous embarquez car enfin...

Tomire

Eh devines je moy qu’au milieu du chemin
Lors que lon se croyoit le mieux dans ses affaires
Le Vaisseau seroit pris par ces chiens de corsaires ?
Et quon nous meneroit captifs au port dAlger 
60 Mais plutost s’est sur toy qu’il s’en faudroit vanger
Amoureux medecin intriguante courtiere
Il t’a toujours falu quelque amoureux mistere
Quelque intrigue et pour toy c’est un faire Ø le faut 
Car enfin on le scait tu te pendrois plus tost
65 Que tu n’eusses toujours quelque intrigue en campagne
Que ne me laissois tu vivre en paix en Espagne
Je me voy sans Amis la j’en avois un cent
J’y mangeois tous les jours comme un convalescent
J’y riois comme un fou j’estois gras comme un moine 
70 J’y dormois en Abbé j’y beuvois en chanoine
Que ne m’y laissois tu traitresse car c’est toy
Qui m’a mis en l’estat facheux ou je me voy

Carlos

Laisse nous en repos et te tais va Tomire

Tomire

Cela Vous est facile a Vous autres a dire
75 Qui par bonheur pour vous instruits a bien chanter
Scavez dire des airs qu’on se plaist d’escouter 
Nostre patron chez luy s’en divertit et mesme [p. 223]
Tous les jours au lever de la beauté qu’il ayme
Depuis que le destin sceut nous assujetir
80 Vous venez par son ordre ici la divertir
Vous y chantez des airs tantost guays tantost tristes
Avec tout ce qu’il a desclaves symphonistes
Chanteurs ou baladins, l’egard qu’on a pour vous
Vous fait souvent passer des moments assez doux
85 Vous ne manquez de rien vous vivez a vostre aise
Mais pour moy qui ne scay rien faire qui luy plaise
Des qu’un leger someil fait place a ma douleur
Un gros coquin de turc dont le diable auroit peur
Disant Sem cara chet, se montrant a ma Veüe
90 De dix coups de gourdin sans façon me salue
Moy j’ouvre de grands yeux n’entendant point ces motz
Luy de vingt autres coups me chamarre le dos
Disant Sursa cane sur sa, de son ton grave
Comme si devinant qu’on me feroit esclave
95 J’avois deu par avance exprez avoir apris
A parler turc pour quand le traistre m’auroit pris
Vous ne croiriez jamais

Carlos

Va nous sçavons ta peine
Ne nous en parle plus puisque ta plainte est vaine
Nous partageons tes maux et tu dois sur ce point

Tomire

100 Mais mes coups de baston ne se partagent point

Marine

Pour moy ie ne sçaurois perdre encor l’esperance
De revoir mon pays

Julie

eh sur quelle apparence
Surquoy...

Marine

je ne sçaurois croire que vostre espoux
Ou vostre mere n’ayent quelque pitié de nous
105 vostre mere vous ayme et je me persuade
Que vostre digne espoux dom brusquin d’Alvarade
Estant fort amoureux avec le bien qu’il a…
Enfin le cœur me dit quon nous rachetera

Julie

C’est se vouloir flater d’un espoir chimerique
110 Qui leur auroit apris que je suis en Affrique
Ce secret entre nous fut trop bien concerté
Ne sçais tu pas quel soin nous avons aporté
A cacher nostre suite et de quelle importance...

Marine

Jay malgré tout cela toujours quelque esperance

Julie

115 Mais dis nous donc surquoy car tu sçais qu’en l’estat
Ou...

Marine

c’est qu’en arrivant un certain renegat
Touché de ma douleur voulut bien me promettre
Que si je luy voulois donner un mot de lettre
De quelque endroit qu’icy nous eussions peu venir [p. 224]
120 Il trouveroit moyen de la faire tenir

Carlos

Et tu las escrite ?

Marine

ouy

Carlos

tu l’auras donc donnée

Marine

Sans doute

Carlos

ainsy tu crois que lon l’ayt envoyée

Marine

Il me la dit ainsy, l’autre jour je le vis
Et je sceus...

Carlos

ah voicy le comble a mes ennuys
125 Du dernier des malheurs ma disgrace est suivie
Je n’auray ny repos ny plaisir de ma Vie
Je suis perdu madame et mon cœur desormais
Va croire a tous momens vous perdre pour jamais
Jamais d’aucun espoir...

Julie

il faudroit des miracles
130 Les lettres d’icy la rencontrent tant d’obstacles
Qu’il faudroit qu’un demon pour nous persecuter
Se fust exprez chargé du soin de la porter
Ce n’est pas qu’un secret comme vous cette jmage
N’ayt alarmé mon cœur car enfin l’esclavage
135 N’a point d’ennuy pour moy qui ne me fust plus doux
Que la necessité de revoir cet espoux

Carlos

Quel demon ennemy du bonheur de ma vie
pour me combler de maux t’inspira cette envie
Tu te devois sur nous reposer du soucy…

Marine

140 Ma foy sauve qui peut que diantre faire icy
Et de plus franchement puis quil vous faut tout dire
Je craignois quen perdant l’occasion d’escrire
Quelque turc comme on scait qu’ils ny font pas façon
Ne voulust a la fin quelque jour… que sçait-on
145 Ce qui peut arriver

Tomire

elle a raison je pense
Tenez ces chiens de turcs nont point de conscience
Et... Mais quand dom brusquin Viendroit icy ma foy
Je doute qu’il voulust te racheter

Marine

pourquoy

Tomire

Ce fust par ton moyen que lon plia bagage
150 Et...

Marine

j’ay toujours si bien joüé mon personnage
Qu’il aura soubçonné tous les gens du logis
plutost que de nous croire icy par mes avis
Et je sçay qu’il faisoit trop de fonds sur mon Zele [p. 225]
Pour m’accuser jamais...

Carlos

ah que tu m’es cruelle
155 Fatiment tu le sçais ayme a nous obliger
Il est nostre patron et gouverneur d’Alger
Peut estre que les soins que i’ay Ø mis en usage
Auroint sans ton secours finy nostre esclavage
Mon oncle…

Marine

tout cela n’anroit rien fait pour nous
160 Vostre oncle tout au plus n’eust racheté que vous

Tomire

Cheut la Naine paroist ne jase plus marine
Car elle est trente fois plus alerte et plus fine
Et cache plus desprit sous ces petitz habitz
Que le plus vieux renard de tout nostre pays
165 On dit quelle a trente ans et je n’ay point de peine

Scene troisiesme §

Zaïre, Carlos, Julie, Marine, Tomire

Zaïre

Celime va passer dans la sale prochaine
Vous l’y pouvez attendre et vous y concerter
Depechez escoutez n’allez point luy chanter
De ces airs indolents qui font dormir le monde
170 Sa tristesse est desja si grande et si profonde
Que pour peu que vostre air soit grave ou langoureux
Son chagrin se pouroit repandre sur vous deux
Je vous en averty

Carlos

Suffit je vous rend grace

Zaïre

Elle est depuis huit jours dun bouru qui me passe
175 Moy mesme a qui souvent elle ouvroit tout son cœur
Qui ne pouvois assez m’applaudir du bonheur
De n’avoir pas esté dune taille ordinaire
Puisque c’estoit par la que j avois sceu luy plaire
Je ne la connois plus tout luy deplaist enfin
180 Je me vois tous les jours en butte a son chagrin
Si j’ay de l’enjoument elle m’appelle folle
Si je suis serieuse elle m’appelle jdolle
Si je la suy par tout je la metz en couroux
Si je ne la suy point i’ay quelque rendez vous
185 Si je la veux servir je fais la necessaire
Si je ne la sers point on ne me voit rien faire
Si je dis quelle est bien je me plais a flater
Si je dis quelle est mal je cherche a contester
Promte iay trop de feu lente mon froid la gelle
190 Enfin je ne sçay plus comment vivre avec elle
Son chagrin se repend jusques sur ses amours
Fatiman esperoit lespouser dans deux jours
Il avoit son aveu sa passion est grande
Maintenant elle dit qu’elle veut qu’il attende
195 Et que pour bien juger de ses empressemens [p. 226]
Elle veut esprouver son amour quelque temps
Des quil la veut presser son chagrin renouvelle
Ah ! que si j’estois belle et bien faite comm’elle
Et qu’avec moy quelqu’un voulust se marier
200 Je me garderois bien de me faire prier
Mais a propos entrez elle pouroit attendre
Fasse le juste ciel qu’elle se puisse rendre
Au feu de Fatiman si l hymen concerté
S’accomplit il me doit donner la liberté
205 Il me la bien promis et me tiendra parolle

Scenne quatriesme §

Zaire seule

Qu’a telle a differer son chagrin me desole
il faut que ie l’observe ah ! la voicy j’ay peur

Scenne cinquiesme §

Celime, Zaïre

Celime

Ah qu’un nouvel amour met de trouble en mon cœur
Sur tout quand la douleur d’avoir une rivalle...

Zaïre

210 Vous alliez disiez vous passer dans l’autre salle
Ces gens vous attendoient pour vous y divertir
Mais puisque vous voila je vay les avertir

Celime

Non demeure

Zaïre

eh souffrez que je les avertisse
De grace, et trouvez bon que lon vous resjouisse
215 Vous avez du chagrin il ne sert qu’a laidir
Tenez un petit air vous va ragaillardir
Laissez moy faire

Celime

non avant qu’on les appelle
Je veux t’entretenir Ø

Zaïre

moy ? que me voudroit elle

Celime

Tu vois icy Julie et carlos tous les jours
220 De quel air la voit il et quels sont leurs discours

Zaïre

Leurs discours jamais gens autres que des jdolles
Ne se sont expliquez en si peu de parolles
Tenez voulez vous voir leurs mines a tous deux
Julie entre dabord un mouchoir sur ses yeux
225 Pleure en gesticulant ensuite elle est reveuse
Et dit te temps en temps que je suis malheureuse

Celime

Et que repond carlos car un tansport si promt...

Zaïre

Luy, tenez ah ! Voila tout ce qui luy repond

Celime

[p. 227]
Sans doute ils s’ayment mais quand leurs douleurs s’apaise
230 A quoy s occupent ils ? Ø

Zaïre

ils resvent et se taisent
Jusqu’a vostre reveil ils sont en cet estat
Non jamais entretien de gens ne fust si plat
Et je ne croirois pas sans le voir d’ordinaire
Qu’une femme jamais peut si long temps se taire

Celime

235 Cependant...

Zaïre

mais si tost qu’ils meslent une fois
Au son des instruments la douceur de leurs voix
C’est alors cest alors qu’ils toucheroient des marbres
Et qu’ilz feroient dancer les bestes et les arbres
Il faut les avertir je vay prendre ce soin
240 Ilz vous resjouiront vous en avez besoin

Scenne sixiesme §

Celime seule

N’estoit ce pas assez du destin qui me brave
D’avoir soumis mon cœur a l’amour d’un esclave
Sans que par un malheur que je ne puis domter
La jalousie aydat a me persecuter
245 Si j’en croy leurs regards et ce qu’ils ont de tendre
Carlos… mais cependant j’ay pû les mal entendre
Ma deffiance peut avoir trompé mes yeux
Et le temp et mes soins m’en esclairciront mieux
Je voy carlos tachons de lire dans son ame

Scenne septiesme §

Celime, Carlos, julie, Zaïre, Marine Tomire

Celime

250 M’avez vous preparé quelque air galand

Carlos

madame
Vous en alez juger nostre captivité
Est le sujet surquoy nous l’avons concerté
Heureux dans des malheurs que nous ne sçaurions taire
Si nous pouvons avoir le bonheur de Vous plaire
255 Et si l’estat facheux ou nous sommes reduitz
Peut vous faire un plaisir en fin de nos ennuys

Celime

Voyons ; mais soyez seur que tout ce qu’on peut prendre
Depart en... commencez je m’en vay vous entendre
Ils preludent

Carlos

Hur ce prelude la ce me semble vous plust

Zaïre

260 Tous mes sens sont desja charmez de ce debut
Ils chantent
Ne versons plus de larmes [p. 228]
Pour nostre captivité
Un tendre amour a des charmes
Plus doux que la liberté.
265 Il faut que la plainte cesse
Faisons de nostre tendresse
Toute nostre felicité.
Et si jamais quelques alarmes
Troublent nostre tranquilité
270 Aymons nous aymons nous ne Versons plus de larmes
Un tendre amour a des charmes
Plus doux que la liberté

Celime

Le stile en est galand c’est sans doute du Vostre
Je m’en estois doutée ils bruslent l’un pour l’autre
275 J’en ay trop entendu pour douter de leurs feux

Zaïre

Ma foy si je sçavois chanter aussy bien qu’eux
Je ne voudrois jamais gaye ou melancolique
Parler, boire, manger, n’y dormir quen musique
Et de si beaux talents tous les jours cultivez

Celime

280 Laisse nous en repos et te tays... poursuivez
Ils chantent
Il est doux de se rendre
A l’objet de ses desirs
La douceur dun amour tendre
Tient lieu de bien de plaisirs.
285 Quand la peine se partage
La rigueur de l’esclavage
N’a que de legers desplaisirs.
Si le soin de nous en deffendre
Nous fait pousser quelques soupirs
290 Aymons nous aymons nous il est doux de se rendre
La douceur d’un amour tendre
Tient lieu de tous les plaisirs.

Celime

L’amour n’inspire rien de plus fort. il l’adore
Et...

Carlos

le dernier couplet est plus touchant encore

Celime

295 Dois je encor m’exposer a voir qu’il s’aplaudit
Ils chantent
Nos deux cœurs

Celime

taisez vous vostre chant m’estourdit
Sortez et me laissez en paix que je respire
Vous carlos demeurez et qu’on se retire
Vous autres laissez nous et vous Zaïre aussy
300 Tenez vous a la porte et qu’aucun n’entre icy

Zaire

Et vous Zaïre aussy que peut elle pretendre
Je feins de m’esloigner et reviens pour l’entendre [p. 229]

Scenne huitiesme §

Celime, Carlos, Zaïre cachée

Celime

Carlos dans vos ennuys que je vois a regret
Ma bonté vous veut bien faire part d’un secret
305 Et pour les soulager vous adoucir l jmage
Qu’un malheur aparant vous fait de l’esclavage
J’avois creu dans vos maux quand je m’interoissois
Que la pitié causoit la part que J’y prenois
Je croyois quand mes yeux vous cherchoient sans vous craindre
310 Si j aymois a vous voir que c’estoit pour vous plaindre
Et si quelque soupir m’eschapoit a vos yeux
Je croyois le donner au sort d’un malheureux
Mais j’ay connu voulant l’esclaircir de la chose
Quand au fond de mon cœur j’en ay cherché la cause
315 Que lamour abusant de ma credulité
S’en estoit emparé sous un nom emprunté
Je croy que cet aveu vous fait assez entendre
Quel droit un tel amour vous donne d’y pretendre
Que vous devinez bien qu’il m’a fait differer
320 L’hymen qu’a Fatiman j’avois fait esperer
Qu’il occupa mon cœur et que rien ne l’en chasse
Que le desir que j’ay de vous voir en sa place
Je voy dedans vos yeux que vos sens agitez
Treuvent a nostre hymen quelques difficultez
325 Que ma loy que l’usage a peine a vous convaincre
Mais quand nous n’aurons plus que ce scrupule a Vaincre
Pour accorder en nous la raison et les sens
Nous prendrons les avis de l’amour et du temps
Je vous laisse y resver de peur destre importune
330 Vous pouvez d’un seul mot changer vostre fortune
Vous scavez que ma main et Vostre liberté
Dependent de ce mot songez y ma fierté
Ne veut pas s’arrester de peur de se mesprendre
Au premier mouvement qui pouroit Vous surprendre
335 Je vous verray demain et sçauray Vostre choix
Cependant songez y carlos plus d’une fois

Zaïre

Elle ayme cet esclave ah quelle extravagance
Mais il faut la rejoindre et garder le silence

Scenne neuviesme §

Carlos seul

L’ay je bien entendue ou me suis je abusé ?
340 A quel plus grand malheur pouvois je estre exposé
Puis je jusqu’a l’aymer sans horreur me contraindre
Et puis je mespriser son amour sans la craindre
Helas mille dangers m’alarment tour a tour
Je crains esgalement sa haine et son amour
345 Je me pers et nosant resister ny me rendre [p. 230]

Scenne dixiesme §

Carlos Tomire

Tomire

Monsieur aprez cecy Vous n’avez qu’a vous pendre

Carlos

Qu’est ce encor que viens tu m’anoncer

Tomire

un malheur
A perdre la raison a mourir de douleur
A se desesperer en un mot a se pendre
350 Et si vous m’en croyez vous irez sans m’entendre

Carlos

Julie est elle morte et me dois je a ces coups

Tomire

Ouy non

Carlos

que me dis tu Ø

Tomire

quelle est morte pour vous
Quelle vit pour un autre et que jamais œillade...

Carlos

Comment

Tomire

Vous connoissez dom brusquin d’Alvarade
355 Ce brave dom brusquin cet obstacle a vos feux
Fantasque comme un diable et jaloux comme deux
Maussade comme trois avare comme quatre

Carlos

Et bien

Tomire

il est icy

Carlos

que d’ennuis a combattre
Ah ciel il est icy qui te la dit

Tomire

mes yeux

Carlos

360 Ne t ont ils point trompé

Tomire

non je vous respons deux

Carlos

Il est icy

Tomire

luy mesme

Carlos

et le ciel me destine...
Voila ce qu’a produit la lettre de Marine
Mais ou las tu trouvé comment sur ton raport

Tomire

Tout a l’heure monsieur en allant vers le port
365 Je l’ay veu d’assez loin descendre dune barque
Et comme sa figure est assez de remarque
Des turcs railleurs aprez l’avoir examiné
En luy riant au nez lont tous environné [p. 231]
J’ay fait comme eux voulant m’esclaircir davantage
370 Mais des que de plus pres j’ay peu voir son Visage
J’ay veu que c’estoit luy je ne puis vous flater
Sur tout quand il a dit qu’il venoit racheter
Sa femme qui despuis six mois en barbarie
Estoit chez Fatiman sous le nom de julie

Carlos

375 Helas

Tomire

Vous sçavez bien qu’il ne nous connoist point
Venez vous esclaircir vous mesme sur ce point
Venez

Carlos

et bien alons nous montrer a sa Veüe
Il moura de ma main si la chose est concluë
Ou si julie en fin doit partir de ces lieux
380 Je ne le Verray point sans mourir a ses yeux

Tomire

Si vous voulez monsieur faire quelque folie
Ne m’allez point mener avec Vous je vous prie
On met a la raison les mutins en ces lieux
Separons nous plutost car enfin j’ayme mieux
385 Quoy que je scache bien qu’il faudra que je meure
Estre esclave cent ans que pendu demye heure
Je vous en avertis examinez vous bien
Autrement

Carlos

Vien suy moy tomire et ne crains rien

Acte Second. §

Scenne premiere §

D. Brusquin Gusman

D. Brusquin lisant

Si julie encor vous est chere
390 Ne songez point a la chercher
Autre part que dedans alger
Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire
Ah morbleu
il lit
Fatiman gouverneur dans ces lieux
Nous tient esclaves toutes deux
395 En payant noz rançons nostre ennuy se termine
Ne perdez point de temps secondez nos souhaitz
Elle est plus belle que jamais
Et moy plus que jamais...
et caetera
il lit
Marine
Ne songez point a la chercher [p. 232]
400 Autrepart que dedans Alger

Gusman

Quoy monsieur sur le point de revoir en julie
Aprez six mois d’absence une femme cherie
Quand a terre a couvert de l’orage et du vent
Dont le bruit et la peur vous alarmoient souvent
405 Je me flate de Voir dom brusquin d’Alvarade
Ne songer qu’a la joye et qu’a faire gambade
Vous estes tout chagrin et malgré tous mes soins
Je vous voy...

D : Brusquin

malepeste on le seroit a moins
Tant qu’avec toy sur mer a duré ce Voyage
410 Je n’avois dans l’esprit que la peur du naufrage
La crainte de perir me donnoit des frissons
Et maintenant tout plein de mes jaloux soubçons
J’ay quand je voy ces turcs leur port et leur alure
Des frayeurs pour mon front de tres mauvais augure
415 Ouy quand je me remets que presque entre mes bras
Par un coup du demon que je ne comprens pas
On ma ravy julie et que je me rapelle
Le chagrin quelle avoit quand j’estois auprez d’elle
La peine qu’eust sa mere a la flechir pour nous
420 Les pleurs qu’elle versa quand je fus son espoux
Et que de bonne foy d’abondant j’examine
Que j’ay l’humeur bouruë et que je peche en mine
Que chez un turc la belle est a discretion
Que ce sont gens amis de la conclusion
425 Contre qui sans miracle une belle captive
Soutient mal aisement six mois de negative
Certain instint fondé sur beaucoup de raison
Me dit que ce sera grand hasard si mon nom
Occupant d’un railleur le papier et la plume
430 Des cocus de mon temps ne grossit le Volume

Gusman

C’est d’un pareil scrupule estre trop combatu
Monsieur julie est sage elle a de la Vertu
Et vous devez en fin mieux juger en vostre ame...

D : Brusquin

Elle est sage il est vray mais en fin elle est femme
435 Et cette qualité peut seule la dessus
Servir de contrepoix a toutes les vertus

Gusman

Mais si pour vostre honneur vous aviez tant d’alarmes
Pourquoy venir si loing la chercher, par quels charmes
Craignant pour vostre front le fruit de ses amours
440 Hasarder sur la mer vostre argent et vos jours

D. Brusquin

Ah jay pour mes pechez pour elle un chien de tendre
Qui n’a jamais Voulu me rien laisser entendre
Et mon penchant plus fort que toute ma raison
Na peu faire avorter cette demangeaison
445 A peine un matelot que le ciel extermine
M’eut confirmé l’avis que me donnoit marine
Que le Diable ennemy juré de mon repos [p. 233]
Me fait mettre ma vie a la mercy des flotz
Comme si pour ces flots ou pour dame fortune
450 J’avois un sauf conduit signé du dieu Neptune

Gusman

Vous en repentez vous

D : Brusquin

Je ne scay mais je crois
Que si j’estois chez moy J’y songerois deux fois
Certain pressentiment ou ma raison s’obstine
Me font...

Gusman

mais il faut bien que cecy se termine
455 Vous en avez trop fait pour ne pas achever
On sçait a quel dessein vous venez d’arriver
Et vostre femme enfin ou cocquette ou fidelle
En payant sa rançon Vous sera...

D. Brusquin

bagatelle
Si je puis descouvrir que ce turc pour debut
460 Se soit fait de son chef icy mon substitut
Qu’il se soit par ses mains enfin de quelque sorte
Payé de l’jnterest de l argeant que j’apporte
Ou que ma femme enfin avec ce Fatiman
Ayt mis son cœur a prix et mon front a l’encan
465 Je dis Nescio Vos, et m’en vay sans replique
Et l’affaire entre nous est fort problematique

Gusman

Et qui sçaura cela chez nous quand par vos soins

D : Brusquin

Pour n’estre pas cru sot un homme l’est il moins
D’y maraut

Gusman

mais par qui scavoir qu’en sa demeure

D. Brusquin

470 On me doit faire voir marine tout a l’heure
Un esclave en entrant me la promis ainsy
Moyenant…

Gusman

jentens bien.

D. Brusquin

et je l’attens icy
Voy tu je veux sçavoir avant que de conclurre
Sur quoy, par qui, comment, et par quelle avanture
475 Julie est dans Alger, car a te parler net
Je crains fort dans cecy quelque complot secret
Je n’ay pû jusqu’icy penetrer ce mystere

Gusman

Si c’estoit un complot que julie eust pu faire
Seroit elle captive et vous eust on escrit

D Brusquin

480 Il est vray cependant... point du tout mon esprit
Se pert... mais i’ay toujours remarqué dans marine
Certain penchant pour moy surquoy je m’imagine
Que je pourray du tout estre bien esclaircy
Alors qu’adroitement je l’auray.... la Voicy [p. 234]

Scenne seconde §

D : Brusquin, Gusman Marine, Tomire

Tomire bas

485 Prens bien garde…

Marine bas

Suffit

Tomire bas

Vous voyez je m’acquite

D. Brusquin

Je vous suis obligé, serviteur

Tomire

je vous quitte

Scenne troisiesme §

D. Brusquin Marine

Marine

C’est luy mesme et dabord je l’ay bien reconnu
Ah ! monsieur

D. Brusquin

dieu te gard

Marine

Soyez le bien Venu

D.Brusquin

Bien ou mal me voila concluons

Marine

quoy vous mesme
490 Venir jusques ici...

D : Brusquin

que veux tu quand on ayme
On est fou lon est sot de mettre tous ses soins...

Marine

On seroit fort faché que vous le feussiez moins

D. Brusquin

Passons

Marine

Julie aura

D Brusquin

comment se porte telle

Marine

Bien

D. Brusquin

comme de tout temps j’ay reconnu ton Zelle
495 Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché
Avant que de conclure icy nostre marché
Jay Voulu te parler icy sur cette affaire
Seur qu’avec ta franchise et ton Zelle ordinaire
Par amitié pour moy mettant la feinte au croc
500 Tu vas a cœur ouvert…

Marine

oh cela vous est hoc
Tout comme a l’ordinaire, et bien

D : Brusquin

[p. 235]
ta recompense
Au reste passera de loin ton esperance
Et je t’ay preparé dequoy te voir un jour
Au dessus… tu sçauras le reste a mon retour

Marine

505 Oh Monsieur, parlez donc

D. Brusquin

dis moy je te conjure
Comment â quel dessein et par quelle avanture
Vous estes toutes deux icy depuis le soir...

Marine

L’aventure monsieur est aysée a sçavoir
On venoit de souper la soirée estoit belle
510 Julie estoit chagrine et je fus avec elle
Faire un tour de jardin en attendant la nuit
Tout dun coup remarquant que j’entendois du bruit
Je vis des gens masquez qui dabord qui nous virent
Sans estre espouvantez de noz cris nous saisirent
515 La porte du jardin souvrit en mesme temps
Un carosse estoit la lon nous jetta dedans
Touche cocher dit on, l’embaras de la nopce

D : Brusquin

Et vous estes Venus sur la mer en carosse ?

Marine

Sur la Mer en carosse, eh qui vous dit cela ?
520 Escoutez jusqu’au bout.

D : Brusquin

lors qu’on Vous enleva
Vous criastes bien fort ?

Marine

bien fort ? a pleine teste
Aux voleurs, au secours, au meurtre, arreste, arreste
Non pour du bruit jamais femmes n’en ont tant fait

D. Brusquin

Il falloit que ces gens eussent quelque secret
525 Pour avoir rendu sours pendant tout ce ravage
Tous les gens du Logis et tout le Voisinage
Car dedans ny dehors pas un n’entendit rien

Marine

Enfin il est pourtant tres asseuré…

D : Brusquin

Fort bien
Passons

Marine

nous arrivons au port et cette troupe
530 Du carosse nous mit dedans une chaloupe
De la dans un vaisseau qui n’attendant plus rien

D. Brusquin

Et que si passa-til ? mais enfin Ø on scait bien
Que quand pour s’exposer a diverses fortunes
On enleve des gens ce n’est pas pour des prunes

Marine

535 A peine eust on esté quelques heures en mer
Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger [p. 236]
Prestz de nous attaquer on voulut se deffendre
On se battit long temps mais il fallut se rendre
On nous prist et pour nous le corsaire adoucy
540 Nous mit dans son vaisseau pour nous conduire icy
Ou depuis…

D : Brusquin

franchement je trouve cette Histoire
Un peu possible mais, bien Ø difficile a croire
Que devinerent ces gens masquez ? dont les effortz
Avoient…

Marine

apparemment ils sont captifs ou mortz
545 Mais comme pas un deux ne monstra son visage
Je ne vous en puis pas apprendre davantage

D. Brusquin

Fatiman estoit donc ce Corsaire d’Alger

Marine

Il en est gouverneur et ne va guere en Mer
Ce fust un autre turc...

D. Brusquin

comment en sa puissance

Marine

550 C’est qu’il est gouverneur

D : Brusquin

eh quelle consequence

Marine

En cette qualité par un sort peu commun
Des Esclaves qu’on fait de huit il en prend un
Il nous vit et d’abord nous prit pour son partage

D : Brusquin

Sans doute que ce turc comme c’est leur usage
555 Avoit quelque serrail a meubler Ø

Marine

bon ? eh quoy
Toujours prest d’expliquer…

D : Brusquin

tout doucement dis moy
Tu sçais bien quil manquoit lorsque l’on prit julie
A nostre mariage une ceremonie

Marine

Quelle ceremonie

D : Brusquin

eh celle que l’amour
560 Ordonne a frais communs la nuit de ce grand jour
Celle qui chez les gens que lon marie ensemble
Fait un nœud gordien du nœud qui les assemble
Qui lors que lon nous eust l’un a l’autre conjoint
Devoit le soir… enfin celle quon ne fit point

Marine

565 Et bien ?

D : Brusquin

je voudrois bien avant que de conclure
Sçavoir si quelque turc espris de sa figure
Ne s’est point…

Marine

[p. 237]
quoy ?

D : Brusquin

chargé de la commission
De mettre nostre Hymen dans sa perfection

Marine

Quels contes ? par ma foy c’est bien dommage...

D : Brusquin

escoute
570 Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé

Marine

le beau doute

D : Brusquin

Qu’auprez d’elle ces turcs nayent jamais entrepris
De mettre sur mon front les armes du pays ?
Que de force ou de gré pas un n’ayt rien eu d’elle ?

Marine

Pas un

D Brusquin

et qu’elle soit aussy sage que belle ?

Marine

575 Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront

D : Brusquin

Vivat, je trouve icy seureté pour mon front

Marine

Croyez en mon raport et vous mettez en teste
Qu’elle a toujours trouvé fatiman fort honneste
Fort civil, obligeant, mesme respectueux
580 Outre que quand pour elle il eust santy des feux
Il eust perdu son temps puis quen fin ma maistresse
Sur ce chappitre la n’en doit rien a Lucresse

D : Brusquin

C’est a dire entre nous parlant de bonne foy
Qu’a son deffaut ces Turcs se sont passez de toy

Marine

585 Quels discours n’avez vous rien de meilleur a dire

D : Brusquin

Va je ne Ø diray rien cecy me peut suffire
Je vay Voir fatiman tout conclure et mes soins

Marine

Vous ne scauriez le voir d’une heure pour le moins
Mais ne sçauray je rien de cette recompense
590 Qui doit a mon retour passer mon esperance
Tandis que Vous n’avez rien a faire...

D Brusquin

Siffait
Mon dessein n’estoit pas de t’en faire un secret
Je veux te marier

Marine

me marier

D : Brusquin

toy mesme

Marine

Avec

D : Brusquin

[p. 238]
avec un drole assez jeune et qui t’ayme

Marine

595 Le connois-je

D Brusquin

ouy

Marine

Son nom

D. Brusquin

devine ? c’est pascal
Il m’est un peu parent

Marine

quoy cet archibrutal ?
Ce magot ? ce Sagouin ? que chascun dans la rue
Prenoit pour vous ? ma foy je serois bien pourveüe
Monsieur pour l’estre ainsy on l’est toujours trop tost

D Brusquin

600 Eh que luy trouves tu

Marine

rien de ce qui me faut

D : Brusquin

Dys

Marine

je vous facherois et j’ayme mieux me taire

D : Brusquin

Point

Marine

que vous ay je fait, soit dit sans vous deplaire
Pour me Vouloir donner un brusque un estourdy
Connu pour ce qu’il est de tout...

D : Brusquin

pourquoy non dy ?

Marine

605 C’est que de quelque nom que vostre amour le nomme
Il a tous les deffauts que peut avoir un homme
Mais tous et cependant Vous estes des premiers
A...

D : Brusquin

tant mieux il sera propre a tous les mestiers

Marine

Propre a tous les mestiers ?

D : Brusquin

a tous sur ma parolle

Marine

610 A quoy diantre est il propre ? est ce que je suis folle
Il ayme la crapule et boit avec excez

D : Brusquin

Et bien il sera bon pour estre peintre

Marine

mais
Il est quand jl a beu querelleur prest a faire
Une jnsulte...

D : Brusquin

il faudra le faire mousquetaire

Marine

615 Mais il ne songe alors qu’a tout tuer enfin
Pour luy vingt hommes mortz... [p. 239]

D Brusquin

faisons le medecin

Marine

Il est fourbe dans tout ce que lon luy voit faire
Et de mauvaise foy

D : Brusquin

nous le fairons Notaire

Marine

Il a l’air sombre noir le discours outrageant
620 Le cœur dur sans pitié

D. Brusquin

nous le ferons sergent

Marine

Il empoisonne tout ce qu’on peut dire ou faire
Et se meprend souvent

D. Brusquin

faisons l’apoticaire

Marine

Toujours prest a tromper si tost que son penchant
Trouve une occasion

D Brusquin

nous le ferons marchant

Marine

625 Je luy crois comme a Vous la teste un peu mal faite
Et le tiens un peu fou

D Brusquin

nous le ferons Poete

Marine

Se peut il dites moy que vostre entestement
Vous laisse si long temps dans vostre aveuglement
Car enfin ce parent que vostre amour adore
630 Outre tous ces deffautz en a cinquante encore
Il ayme les festins

D : Brusquin

on le fera traiteur

Marine

Et mange comme quatre

D Brusquin

il sera procureur

Marine

Il veut parler de tout

D : Brusquin

il fera la gasette

Marine

Il ayme le grand bruit

D : Brusquin

on le fera trompette

Marine

635 Il ayme a voir des balz

D : Brusquin

faisons le violon

Marine

Ne peut tenir en place

D : Brusquin

il sera postillon

Marine

[p. 240]
Il ne sera jamais qu’un sot et ses manieres
Luy mettront sur la teste...

D Brusquin

il aura des confreres
Et ce sera du mestier de force honnestes gens

Marine

640 Il est... mais fatiman vient icy je l’entens
Menagez nos plaisirs si vous aymez le vostre
A dieu pour le parent gardez le pour quelque autre

Scenne quatriesme §

D : Brusquin Fatiman, Stamorat Suite

D : Brusquin Ø

Je croy que le Voicy peste quel egrillart
A son air je crains fort d’estre venu trop tart
645 Et que dessur mon front enfin estant a mesme
Comme sur la capture il n’ayt pris son huitiesme

Stamorat Ø

Voila cet Espagnol dont on vous a parlé

D Brusquin Ø

Salut suis je venu pour estre controllé
Messieurs affin qu’icy personne n’en jgnore
650 Je pretens avec vous traitter de turc a more
Vous avez pris sur mer ma femme sans façon
Rendez la moy de mesme en payant sa rençon
Ça respondez moy juste au discours que j’entame
J’ay de l’argent comptant et besoin de ma femme

Fatiman

655 Ta femme ? ce n’est pas julie aparemment

D : Brusquin

Comment est ce la vostre ? eh

Stamorat

ce singe est plaisant

Fatiman

Non mais pour une femme aussy bien faite qu’elle
Franchement je te trouve un mary dun modelle
A ne pas te flater que la beaute quelle a...

D : Brusquin

660 Il n’est pas question a present de cela
Pour ne pas chamarrer le dessus de ma levre
Comme lon fait icy d’une barbe de chevre
Sçachez qu’estant un jour teste a teste au pays
Nous ne laisserons pas…. bref chacun Vaut son prix
665 Elle est pourtant ma femme, ou peu s’en faut je n’oze

Fatiman

C’est un malheur pour elle

D : Brusquin

eh parlons d’autre choze
Concluons

Fatiman

j’y consens je voy que tous tes vœux
Vont a vous voir chez vous bien reunis tous deux
Tu meurs de la revoir car je lis dans ton ame [p. 241]
670 Elle a de la beauté, tu l’aymes c’est ta femme
C’est pourquoy je ne veux que six mille ducatz
Pour Ø remettre en tes mains...

D : Brusquin

quoy Vous ny songez pas
Comment pour une femme

Fatiman

ouy

D : Brusquin

peste quelle somme
Combien faudroit il donc Vous donner pour un homme

Fatiman

675 A bien meilleur marché je rendrois leurs maris
Ce beau sexe chez nous est un tresor sans prix
Du ciel et de l’amour c’est le plus bel ouvrage
De la divinité la plus parfaite image
De cent charmes divers ce chef d’œuvre embelly
680 Pour des gens bien sensez na rien que d’accomply
Ainsy lon ne sçauroit trop exiger pour rendre...

D : Brusquin

Je Vous conseille fort pourtant de n’en plus prendre.

Fatiman

De femmes

D Brusquin

ouy sur tout des environs

Fatiman

pourquoy

D : Brusquin

C’est que pour vous parler franc et de bonne foy
685 J’y voy force maris qui passent pour tres sages
Qui vous les laisseroient seurement pour les gages
Et je vous suis garent qu’ils en seroient ravis
Faites nous bon marché pour nostre droit d’avis
Contentez vous du tiers pour elle et pour marine
690 C’est beaucoup il ne faut point tant faire la mine

Fatiman

Tu les veux toutes deux

D : Brusquin

ouy je la veux aussy
Si lon vendoit chez nous les femmes comme icy
Pour moitié de largent que j’offre pour la mienne
J’en aurois a choisir au moins une dousaine

Fatiman

695 Finissons je suis las dun pareil entretien
Vous perdez Ø vostre temps j’en veux cinq mille ou rien
Reglez vous la dessus et prenez Ø vos mesures.
J’en demeure d’accord ces loix sont un peu dures
Mais cependant il faut ne me voir desormais
700 Que largent a la main ou me laisser en paix
Allez

D : Brusquin

quelle somme ah j’en ay la mort dans l’ame
J’aymerois presque autant qu’ils gardassent ma femme
Il pouroit se desdire il faut se depecher
Ah chien de turc...

Fatiman

[p. 242]
plaist il ?

D : Brusquin

je m’en vay vous chercher
705 Cinq mille ducatz

Fatiman

c’est une affaire concluë

Scenne cinquiesme §

Fatiman Stamorat

Fatiman

Je vay voir si celime est toujours resolüe
A remettre l’hymen qui doit me rendre heureux
Sa Naine vient icy qui t’ameine en ces lieux

Scenne sixiesme §

Fatiman, Zaïre, Stamorat

Zaïre

Pour adoucir l’excez de sa Melancolie
710 Ma maistresse demande et Carlos et julie
Et trouvant son chagrin par leurs chants adoucy
Pour les venir chercher elle m’envoye icy

Fatiman

Il faut les envoyer mais cependant Zaïre
Dou luy Vient ce chagrin ? ne peux tu point me dire
715 Par quel motif secret elle veut differer
L’hymen quelle m’a fait si long temps esperer ?
Ce que je t’ay promis t’est seur. dis m’en la cause
Elle t’a toujours dit jusqu’a la moindre chose

Zaïre

Elle ne m’a pourtant rien dit de tout cela

Fatiman

720 Comment tu n’en scais rien ?

Zaïre

je ne dis pas cela

Fatiman

Tu le scais ? dis moy donc quelle raison l’arreste...

Zaïre

Pour dire des secretz il faut du teste a teste
Ne voyez vous pas bien qu’on m’escoute

Fatiman

sortez

Scenne septiesme §

Fatiman Zaïre

Zaire

Vous n’en scavez rien

Fatiman

non

Zaïre

[p. 243]
mais vous vous en doutez

Fatiman

725 Point

Zaïre

Sçachez aussy bien ce secret me suffoque
Que de tout vostre amour ma maistresse se mocque
Qu’elle adore carlos.

Fatiman

Un vil esclave

Zaire

luy
Elle l’espousera s’il veut des aujourdhuy
Et je tiens vostre hymen une affaire manquée
730 Elle s’en est des hier a luy mesme expliquée
Teste a teste en sa chambre ou cachée en un coin
J’entendis que s’il veut prendre le moindre soin...

Fatiman

Eh que luy repondit carlos ?

Zaïre

rien

Fatiman

rien ? j’admire

Zaïre

Il estoit si honteux qu’il ne sçavoit que dire
735 Jamais en cas pareil homme ne fust si sot
Et Celime voyant qu’il ne luy disoit mot
Sortit en luy disant venez demain m’aprendre
Quel choix vous aurez fait, mais songez y

Fatiman

se rendre
A l’amour d’un esclave il faut dissimuler
740 C’est dessur ce sujet quelle luy veut parler
Sans doute il faut tacher d’entendre sa response
S’il accepte sa main ou bien s’il y renonce
Tandis que sur lespoir de recevoir sa main
Je vay les envoyer adieu

Celime

jusqu’a demain

Scenne huitiesme §

Zaire seule

745 Il faut, voicy carlos

Scenne neuviesme §

Carlos Zaïre

Zaïre

celime vous demande
Et julie avec vous de peur qu’elle n’attende
Cherchez la promptement et venez sur mes pas

Carlos

Suffit ah quels ennuys ! mais ne la vois-je pas [p. 244]

Scenne dixiesme §

Carlos Julie

Carlos

Scavez vous la rigueur du destin qui traverse

Julie

750 Pouvez vous en douter aux larmes que je verse

Carlos

En fin le ciel trahit mes feux et mon espoir
Mon malheur et la loy d’un rigoureux devoir
Vous rendent a l’objet de toute vostre hayne
Vostre persecuteur va briser vostre chaine
755 Et fatiman d’accord avec que cet espoux
Luy vend la liberté de disposer de vous
Pour peu que ma douleur me permette de vivre
Madame dans ses bras a mes yeux on vous livre
Et malgré tout l’amour que flatoit nos souhaitz
760 Je vous pers dans une heure et vous pers pour jamais

Julie

Vous le voyez ce coup qui me vient de confondre
Me laisse a peine encor la force de respondre
Et le fatal moment qui me va pour toujours
Remettre dans les mains du tiran de mes jours
765 Remplit desja mon cœur, que votre plainte accable
De tout le desespoir dont une ame est capable
Sa presence est pour moy l’ennuy le plus cruel...
Et cependant carlos j’en atteste le ciel
Parmy tant de sujetz de douleur et de plainte
770 Rien ne porte a mon cœur une si rude atteinte
Rien n’arrache les pleurs que vous voyez verser
Que l’estat ou je suis reduite a vous laisser
Dans des fers, ou mourant du coup qui nous separe
A ce mot je sens bien que ma raison segare
775 Si vous m’aymez carlos cachez moy vos ennuys
Ne m’attendrissez point en l’estat ou je suis
J’ay pour vostre interest besoin d’un cœur tranquille
Ne pouvant estre a vous je puis vous estre utile
Et je veux vivre au moins jusques a mon retour
780 Pour vous tirer des fers ou vous mit tant d’amour

Carlos

Non non c’est un espoir dont la douceur est vaine
Ma main ou ma douleur mettront fin a ma peine
Non je n’auray point veu sans mourir a vos yeux
Tout ce que j’ayme aux mains d un brutal dans des lieux...
785 Pardonnez ce transport a des plaintes frivolles
Rien ne vous a jamais unis que des parolles
Et mon ressentiment peut n’avoir point d’égart
Pour des nœuds ou l’amour n’a jamais eu de part
Mais ne Vous flatez point que pour rompre mes chaisnes
790 La liberté sans nous puisse adoucir mes peines
Ma douleur vous repond de faire son devoir
Et lon meurt sans regret quand on vit sans espoir

Julie

Carlos n’augmentez pas l’ennuy qui me devore
Ayez soin de vos jours si vous m’aymez encore
795 Je le Veux j’en connois, j’en vois tous les dangers [p. 245]
Mais pour les conserver songez qu’ils me sont chers
Songez au desespoir dont je parois troublée
Et que dassez d’ennuys je vais estre accablée
Sans ajouter aux pleurs dont vous voyez le cours
800 La douleur de pleurer la perte de Vos jours

Carlos

Helas on vous attend adieu belle Julie
Voicy l’Instant fatal le dernier de ma vie
Sans doute ou je pourray me voir a vos genoux
A Dieu je vous souhaite un destin aussy doux
805 Que le sort a rendu le mien peu favorable

Julie

Vivez

Carlos

je vous promets si l’ennuy qui m’accable
Force mon desespoir a vous mal obeïr
De vous aymer du moins jusqu’au dernier soupir
A dieu

Julie

r’entrons voicy cet espoux

Scenne Unsiesme §

Julie D : Brusquin

D : Brusquin

c’est ma femme
810 Sans doute vous faisiez vos adieux et sa flame
S’occupoit... paix je vays pour mitiger vos feux
Mettre quelques arpens de mer entre vous deux
Et vostre esprit cocquet instruit d’un autre rolle
Va trouver quelque erreur au calcul de se drosle
815 Cependant vous pouvez faire vostre pacquet
Car je me trompe fort enfin pour parler net
Si bien tost bec a bec l’hymen ne nous regale
D’un giste ou nostre teint naura pas peur du hasle
Venez nostre marché se peut faire a vos yeux

Julie

820 L’ordre de Fatiman m’appelle en d’autres lieux

D : Brusquin

Ah ! friponne est ce ainsy que ce cœur considere
L’effort que pour vous voir mon amour m’a fait faire
Reconnoissez l’espoux dont la main et le cœur...

Julie

Je ne connois en vous que mon persecuteur

Scenne dousiesme §

D : Brusquin

825 Suis je pas un grand sot d’aymer cette traitresse
Mais puis que rien ne peut guerir tant de foiblesse
Et que le diable espargne enfin si peu de fronts
Hasard a mon marché concluons et partons. [p. 246]

Acte Troisiesme §

Scenne premiere §

Celime Zaïre

Zaïre

Mais considerez mieux qu’elle raison l’oblige

Celime

830 Non je ne veux plus rien considerer te dis je
Carlos est un jngrat son trouble et sa tiedeur
Me Viennent d’expliquer le secret de son cœur
J’ay voulu vainement rasseurer ce perfide
Sur tout ce qui sembloit rendre son feu timide
835 Ses craintes ces egards tout estoit concerté
Et son esprit enfin a si bien pretexté
Le mespris qu’en secret il faisoit de ma flame
Que malgré tout le soin de luy montrer mon ame
Il ne reste a mon cœur pour fruit de tant de feu
840 Que la confusion d’en avoir fait l’aveu

Zaïre

Mais pourquoy voulez vous qu’il ayt pretendu feindre
Estant a Fatiman que ne doit il point craindre
Pourroit il accepter vos offres sans trembler

Celime

Non non ce nest point la ce qui la fait parler

Zaïre

845 C’est ainsy justement que les femmes sont faites
Tout ce qui leur deplaist leur paroist des deffaites
Le plus sincere amant ne peut les contenter
S’il ne dit mot a mot ce qui les peut flater
Et le plus scelerat fait sa cour a merveilles
850 Quand sa langue est d’accord avecque leurs oreilles
Ne faudroit il point voir aveque d’autres yeux

Celime

Je croy sçavoir dou vient ce mesprix pour mes feux
Ayant besoin de toy ma bonté te confie
Le secret de mon cœur, souviens toy que ta vie
855 Depend de le garder, qu’a me trahir...

Zaïre

helas
Vous ? a la question je n’en parlerois pas.

Celime

Carlos ayme julie elle l’ayme peust estre
Que disje ? ouy la froideur qui me vient de paroistre
Ne vient que de l’espoir qui les flate tous deux
860 Si je puis penetrer le secret de leurs feux
J’opposeray Zaïre en perdant l’esperance
Un si cruel obstacle a leur intelligence
Que tous deux... cet esclave autre fois son valet...
Aproche, m’en poura reveler le secret

Scenne seconde §

Celime, Tomire, Zaire

Tomire aprez avoir resvé

865 Je passois par respect n’osant icy paroistre

Celime

[p. 247]
N’entens tu pas parler qu’on rachette ton maistre

Tomire

Le racheter madame ? helas non ses parents
Hors un oncle qu’il a vieux riche et sans enfans
Sont plus gueux...

Celime

mais ayant cet oncle est il croyable
870 Qu’il l’abandonne...

Tomire

il est avare comme un diable
Madame et nous verroit plutost crever tous deux
Que de donner jamais

Celime

mais enfin estant vieux
Sa mort rendra carlos heritier d une somme...

Tomire

Il est vray qu’il est vieux, mais comme c’est un homme
875 Qui depuis le berceau pour nous faire enrager
Ne s’est fait ny saigner ny droguer ny purger
Et qu’il ne veut point voir de medecins je doute
Qu’il meure de long temps, ny que son bien

Celime

escoute
Tu resvois en passant qui t’occupoit l’esprit

Tomire

880 Carlos

Celime

et ses amours

Tomire

ma foy Vous l’avez dit

Celime

Aprens nous ce que c’est

Tomire

ah ces historiettes
De misteres galans, d’jntrigues d’amourettes
Comme Vous jugez bien sont de petits secrets
Qu un valet bien discret ne revele jamais
885 Ainsy vous voulez bien me dispenser madame
De descouvrir icy le secret de sa flame
A Dom carlos dont j’ay menagé les amours
Fut mon maistre et je doy m’en souvenir toujours
Tel que Vous me voyez j’ay pour luy tant de Zelle
890 Que je veux estre un jour scité comme un modelle
D’un valet achevé, malheureux, mais hazart
Et je ne hay rien tant qu’un vallet babillart
Qui veut a tous venants mesme sans les connoistre
Conter de but en blanc les amours de son maistre

Celime

895 Carlos est bien heureux que sa condition
Luy conserve un tel Zele et ta discretion
Me paroist a la fois si rare et si loüable
Que le plaisir que i’ay de t’en trouver capable
Ne peut d’un moindre prix...
Ø

Tomire

oh c’est…

Celime

[p. 248]
prens jayme a voir
900 Que rien contre carlos n’esbranle ton devoir
Son interest m’est cher qu’a l’avenir ton Zelle
Ne demente jamais une ardeur si fidelle
Tu sçais tous ses secretz garde toy d’en parler
Et meurs plutost cent fois que de les reveler

Tomire

905 Oh.

Celime

quand a ses amours qu’on auroit peine a croire
Carlos m’en a tantost conté toute l’histoire
Ce n’est plus a present un mistere pour moy
Il m’a dit qu’il aymoit Julie

Tomire

ah je le croy
Cela n’est pas nouveau

Celime

qu’une ardeur mutuelle
910 Rendroit malgré leurs fers leur amour eternelle
Par quel hazart ils ont perdu la liberté
Leurs traverses, leurs pleurs…

Tomire

il vous a donc conté
Comment il l’enleva du logis de sa mere
La rencontre qu’il fit de ce vaisseau corsaire

Celime

915 Ouy leur embarquement et comment on vous prit
Le desespoir qu’il eut...

Tomire

il vous aura donc dit
La… que la chose fut justement accomplie
Dans le temps quon venoit de marier Julie
Qui haissoit a mort l’espoux quon luy donnoit
920 Que deux heures plustart l’hymen se consommoit
Et que pour se pourvoir contre la Violence
De sa mere...

Celime

il ma dit tout cela Ø

Tomire

je le pense
On n’a point de secret jamais pour ses amis

Celime

J’estime fort carlos.

Tomire

eh vous a-t’il apris
925 Que ce vieux singe a qui lon maria julie
Est pour la racheter des hier en barbarie
Et qu’avec Fatiman il a fait son marché

Celime

Je le sçais et carlos men parut si touché
Que sensible a l’ennuy qu’il m’en faisoit paroistre

Tomire

930 Et bien voyez ou va le caprice d’un maistre
Il la dit, il n’auroit pas cessé de crier
Si j’en avois ouvert la bouche le premier
Ce monde est ainsy fait [p. 249]

Celime

cette triste nouvelle
Me donne pour carlos une douleur mortelle
935 Je l’avoüe et je plains son sort de si beaux feux
Meritoient ce me semble un destin plus heureux
Je ne scaurois songer au destin de sa flame
Que les larmes aux yeux que la douleur dans l’ame
Car il pert tout espoir et l’ennuy qu’il en a…

Tomire

940 Ah ne vous fachez point si ce n’est que cela
Vous ne sçavez donc pas ses esperances

Celime

quelles

Tomire

Oh oh vrayment depuis j’ay bien d’autres nouvelles
Julie aloit partir et ne partira point

Celime

Ah ciel que me dis tu ?

Tomire

quil est seur de ce point

Celime

945 Qui pourra l’empecher si la chose est concluë
Tu mas dit...

Tomire

il est vray qu’elle estoit resolue
Mais carlos vient d’avoir au sortir du Divan
Un entretien secret avecque fatiman
J’jgnore le detail de ce qu’ilz ont peu dire
950 Mais quand au resultat je puis vous en jnstruire
Fatiman a promis a carlos qu’il diroit
Qu’il ne la veut point vendre et quil la garderoit
Que lorsque dom brusquin, c’est lespoux en esbauche
De Julie, assez peu ragoutant et fort gauche
955 Que lors donc qu’il viendra lon luy dira tout net
Tu nas pour ton retour qu’a faire ton pacquet
Sans julie au plutost on pretend que tu partes
Et que s’il n’est content il cherchera des cartes
Voila ce que carlos m’a dit dans un transport

Celime

960 Va la part que J’y prens rend le mien aussy fort
Sans doute quil rend conte a present a Julie
D’un bonheur qui leur rend lesperance et la vie
Et qu’ils en sont tous deux dans des transports bien doux

Tomire

Il s’est alé jetter d’abord a ses genoux
965 La bouche sur ses mains tendrement attachée
Qui les baisoit... d un air dont vous seriez touchée
Je les viens de quitter tout a l’heure et tous deux
Expliquent par leur chant leur transport amoureux

Celime

Tu m’en vois toute esmeüe et... cela peut suffire

Tomire

970 Je ne manqueray pas madame de leur dire

Celime

Non non ne luy dis rien quand il m’en parlera
Je feindray d’jgnorer... [p. 250]

Tomire

tout comme il vous plaira

Scenne troisiesme §

Celime Zaïre

Celime

Qu’ay je entendu Zaïre et qu’a til s’ceu m’apprendre
Je sens quoy que ce coup n’ayt pas deu me surprendre

Zaïre

975 Voila l’effet des soins que vous voulez avoir
On apprend quelques foys plus quon ne veut sçavoir
Quand on est curieuse

Celime

il est vray mais je songe
Un remede aux ennuis ou ce recit me plonge
Ouy je veux voir carlos soupirer vainement
980 L’jngrat ne m’aura point bravée Impunement

Zaire

Mais enfin si son feu ne peut repondre au vostre

Celime

Je les vays pour jamais separer l’un de l’autre
Je vay...

Zaire

je les entens qui chantent et tous deux

Celime

Escoutons et voyons jusques ou vont leurs feux

Scenne quatriesme §

Celime, Carlos et Julie en chantant Zaïre

Carlos

985 Malgré tous les malheurs dont ma flame est suivie
Je puis encor gouster la douceur de l’espoir

Celime

Vous chantiez poursuivez ce debut fait attendre...

Carlos

Nous repetions madame un dialogue tendre
De deux jeunes amans prests a se separer
990 A qui le sort rendoit la douceur desperer

Celime

La matiere est galente et je seray bien aise
De l’entendre

Carlos

il sera mal aisé qu’il vous plaise
Estant peu concerté madame s’il vous plaist
Nous chanterons...

Celime

non non chantez le tel qu’il est

Carlos recommance

995 Malgré tous les malheurs dont ma flame est suivie
Je puis encor gouster la douceur de l’espoir [p. 251]

Julie

Malgre le sort jaloux du bonheur de ma vie
Nous jouissons tous deux du plaisir de nous voir

Ensemble

Nous jouissons tous deux du plaisir de nous voir

Julie

1000 De la plus cruelle absence
Je sentois desja les traitz

Carlos

Je croyois malgré ma constance
Que le sort nous aloit separer pour jamais

Julie

J’alois cesser de vivre
1005 En quittant ce sejour

Carlos

Helas j’alois vous suivre
J alois mourir d’amour

Julie

J alois cesser de vivre

Carlos

J alois mourir d’amour

Julie

1010 Cependant aprez tant d’allarmes
Le ciel semble a noz feux promettre un sort plus doux

Carlos

Quand je pourray me voir sans cesse a vos genoux
Je le trouveray plein de charmes

Ensemble

Ah ? que pour deux jeunes cœurs
1015 Pleins dardeur et de constance
L amour joint a l’esperance
A De sensibles douceurs

Julie

L’amour a de rudes chaisnes
Ses tendres mouvemens coustent bien de souspirs
1020 Et ce qu’il y mesle de peines
Empoisonne tous ses plaisirs

Carlos

L’amour a de douces chaisnes
Ses tendres mouvemens coustent quelques souspirs
Mais les cœurs qui craignent ses peines
1025 Ne meritent pas ses plaisirs

Julie

Ne songeons plus a nos alarmes

Carlos

Ne parlons plus que des charmes
Que des douceurs de l’amour
Et disons cent fois le jour

Ensemble

1030 L’amour a de douces chaisnes
Ses tendres mouvemens coustent quelques s’ouspirs
Mais les cœurs qui craignent ses peines
Ne meritent pas ses plaisirs

Celime

[p. 252]
Il suffit vous pouvez poursuivre en mon absence
1035 Carlos et le service aura sa recompense
Ils recommancent
Ah que pour deux jeunes cœurs & C  :

Scenne cinquiesme §

Julie, Carlos D : Brusquin

D : Brusquin

Encor chascun de vous y prend goust ce me semble
Et vous voila vous deux d’accord sans boire ensemble

Carlos

Mon but monsieur n’estoit que de la divertir

D : Brusquin

1040 Ce soin la me regarde et vous pouvez sortir

Scenne sixiesme §

D : Brusquin, Julie

D : Brusquin

Vous aymez donc ces gens toujours prests a bien faire
Qui malgré le mary, pleins d’un soin debonaire
Veulent jazer sans cesse et par bonne amitié
Officieusement divertir sa moitié

Julie

1045 Les plaisirs jnnocens

D. Brusquin

jnnocens ah je pense
Qu’il n’entre en vos plaisirs que bien peu d’jnnocence
Cependant a l’egard des misteres passez
Je voy bien quil faudra tous depens compensez
Sans qu’avec plus de soin jamais je m’en explique
1050 Avaller la pilule en mary pacifique
Et de vostre sejour voir icy le detail
Comme si tout cela n’estoit point de mon bail
Tout coup vaille chez nous comme chez ces barbares
Ces frontz predestinez aussy bien sont tres rares
1055 Et c’est dequoy chascun peut juger par le sien
Mais quand a mon retour je repondray du mien
Ouy vous verrez mes soins malgré toutes vos brigues
Servir de correctif a toutes vos intrigues
Mais je consens a voir mon chef chargé de bois
1060 Si vous vous esclipsez une seconde fois

Julie

Ce projet est beau mais il aura d’autres suites
Et vous n’en userés jamais comme vous dites

D : Brusquin

Jamais me dites vous

Julie

non vous disje jamais
Vous m’aymez vous sçavez a quel point je vous hais
1065 Et vous serez ravy que quelqu’un me console
Du chagrin destre a vous [p. 253]

D : Brusquin

il faut quelle soit folle
Vous vous figurez donc suivant ce beau discours
Me voir l’entremeteur de vos tendres amours
Que flatant d’un amant la tendresse et la vostre
1070 Mes soins alumeront le feu de part et d’autre
Et que sans m’allarmer d’aucun jaloux soubçon
Je vous priray tous deux d’en user sans façon

Julie

C’est dequoy je me flatte et je scay que vous mesme
Non seulement content de voir q’un autre m’ayme
1075 Me vanterez sa flame et que vous me prierez
De l’aymer...

D : Brusquin

taisez vous taisez vous et r’entrez
Ou changez de discours ou fuyez ma presence
Vous disje car je sens que je perds patience

Scenne septiesme §

D : Brusquin seul

Elle a perdu l’esprit ou me croit... mais il faut
1080 Voir fatiman conclurre, et partir au plutost
Le Voicy

Scenne huitiesme §

Fatiman, Carlos D : Brusquin Stamorat

Fatiman

j’aperçoy Dom brusquin d’Alvarade
Et je luy vais donner une si rude aubade
Qu’il maudira le jour quon les unit tous deux
Pour l’ingrate beauté qui mesprise mes feux
1085 Dont lamour a rendu le cœur si susceptible
Elle sçaura dans peu combien J’y suis sensible
Quant au reste vos yeux vont estre les tesmoins
De ce que vous devez attendre de mes soins

D Brusquin

Ça Seigneur Fatiman concluons je vous prie
1090 Aussy bien je commence a voir que je m’ennuye
L’hymen voudroit de moy certaine fonction...
Bref je trouve que l’air d’icy ne m’est pas bon
A noz conditions je viens de satisfaire
J’ay compté mon argent a vostre secretaire
1095 J’ai demandé Julie et lon m’a fait sçavoir
Que c’est de vostre main qu’il la faut recevoir
Je veux partir enfin en un mot comme en douze
J’ay livré mon argent livrez moi mon espouze

Fatiman

Elle est libre et de plus contre nostre traitté
1100 Je pretens luy donner gratis la liberté
La rendre sans argent et qu’elle se retire…

D : Brusquin

Quel excez de bonté sans argent c’est-a dire
Que ce drosle voyant qu’elle quittoit ce lieu
S’est payé par ses mains en luy disant a dieu
1105 De ses bontez pour luy voila la recompense [p. 254]
Et je vay sur mon front emporter ma quittance
Que ferois je à cela passons, apparemment
Nous pouvons donc partir treve de compliment
Puis que vous voulez bien sans argent me la rendre
1110 De peur de vous facher je m’en vay le reprendre
Si vous venez chez nous vous nous ferez honneur
Reste a nous dire a dieu but a but serviteur

Fatiman

Avant que de partir il faut qu’avec Julie
Vous soyez le tesmoin d’une ceremonie
1115 Qui se doit faire icy se soir ou je pretens...

D : Brusquin

C’est pour une autre fois nous n’avons pas le temps
A dieu dispensez nous, et que lon nous oblige...

Fatiman

Vous ne sçauriez partir qu’aprez cela vous disje
Il faut qu’absolument vous y soyez tous deux

D : Brusquin

1120 Vous raillez

Fatiman

il le faut vous disje ; et je le veux

D : Brusquin

Oh oh mais quelle est donc cette ceremonie
Qui veut et ma presence et celle de julie
Ne peut on le scavoir et puis je vous prier...

Fatiman

C’est que je veux ce soir…

D. Brusquin

et bien

Fatiman

la marier

D : Brusquin

1125 Julie ?

Fatiman

elle

D : Brusquin

expliquons s’il vous plaist ce langage
Est ce qu’on doute icy de nostre mariage
Et que craignant en mer pour son honnesteté
On veut nous marier pour plus de seureté

Fatiman

Non

D : Brusquin

non

Fatiman

non je scais bien que tu las espousée
1130 Que c’est contre son gré que lon la mariée
Que rien ne vous unit tous deux que quelques motz
Qui n’ont point eu deffet ainsy pour son repos
Et mesme pour le tien il vaut mieux ce me semble
Vous separer tous deux que vous laisser ensemble
1135 L’usage le permet icy comme chez vous
Et je luy vay ce soir donner un autre espoux

D : Brusquin

A ma Femme

Fatiman

[p. 255]
a ta femme et de plus

D : Brusquin

quel negoce...

Fatiman

Ton argent servira pour les frais de la nopce

D : Brusquin

Nous nous entendons mal assurement tous deux
1140 Vous pretendez ce soir marier a mes yeux
Qui Ø Julie ?

Fatiman

ouy

D : Brusquin

ma femme ? ah le traitre ah j’enrage
De quel droit s’il vous plaist rompre mon mariage

Fatiman

J’ay de deux Marabous pouvoir pendant dix ans
De demarier ceux qui ne sont pas contans

D : Brusquin

1145 Vous si cela se sçait un jour il faut qu’il fonde
Des maris en ces lieux des quatre coins du monde
Et si vous pouvez mettre a profit tout ce temps
Cela vous vaudra mieux que vingt gouvernemens

Fatiman

Sans doute et pour ne pas differer davantage
1150 Jen fais ce soir l’essay sur vostre mariage
Vous y serez present et vous Ø verrez quel fruit

D : Brusquin

Moy ciel ? a quel malheur me vois je icy reduit
Qui l’eust dit quand chez moy je partis plein de flame
Que c’estoit pour venir aux nopces de ma femme
1155 Et que me souhaitant des aisles aux talons
Jy viendrois de si loin payer les violons
Est ce un arrest pour nous sans apel, et ma bourse
N’en peut elle adoucir…

Fatiman

l’affaire est sans ressource
Je luy donne un espoux ce soir, et ces discours...

D : Brusquin

1160 Sera ce pour long temps

Fatiman

ce sera pour tousjours

D : Brusquin

La t on dit a Julie ?

Fatiman

ouy je luy viens d’aprendre

D : Brusquin

Que dit elle a cela ?

Fatiman

quelle est preste a se rendre
Et qu’elle aimeroit mieux avec un tel espoux
Porter toujours de fers qu’estre reyne avec vous

D : Brusquin

1165 Ah me voila donc veuf du vivant de ma femme
Et quel est ce beau filz qui cause tant de flame
Ø

Fatiman

[p. 256]
Tu las veu plusieurs fois

D : Brusquin

mais expliquons nous mieux
Est il pres est il loin

Fatiman

il est devant tes yeux

D. Brusquin

Ah double scelerat je m’en doutois dans l’ame
1170 Vous me coupez ma bourse et me volez ma femme
Et l’ardeur qui vous fait tout donner a Vos sens
En me faisant cocu me condemne aux depens
Mais... vous riez des pleurs que vous voyez paroistre
Et bien espousez la Vous en estes le maistre
1175 Vous pouviez l’avoir fait sans m’avoir attendu
Mais si J’y suis present je veux estre pendu
Pour croire mon malheur suffit qu’on m’en reponde
Je pars et le diray chez nous a tout le monde.

Scenne derniere §

Carlos, Fatiman, Stamorat

Carlos

S’il part ce n’est rien faire et si vous n’ordonnez

Fatiman

1180 Il ne partira pas mes ordres sont donnez
Il faut laisser agir sa premiere saillie
Alons de ce debut rendre conte a Julie
Disposons son esprit a ce que j’en prevoy
Entrons et du succez reposez vous sur moy.

Acte quatriesme §

Scenne premiere §

Celime, Fatiman, Stamorat

Fatiman

1185 Et bien c’est un hymen qui vous plaist de remettre
Vous le Voulez madame et je doy my soumettre
Et malgré la douleur de le voir differer
Je feray mes effortz pour n’en point murmurer
Mais je vous avoüray la dessus ma foiblesse
1190 Tous ces retardemens alarment ma tendresse
Quelque motif secret que lon me cache icy...

Celime

D’accord j’ay mes raisons pour en user ainsy

Fatiman

Vous avez vos raisons daignez donc m’en jnstruire

Celime

Vous pourriez m’espargner la peine de les dire
1195 Vous les devez sçavoir sans qu’un tel entretien...

Fatiman

[p. 257]
Non madame mon cœur ne me reproche rien
J’ay toujours eu pour vous une ardeur trop sincere
Pour avoir negligé les moyens de vous plaire
Et l’hymen mon respect ma tendresse et mes soins
1200 Demain si vous voulez en seront les tesmoins

Celime bas

Vangeons nous de carlos puisque l’ingrat moffence
Quoy vous vous figurez que sur cette assurance
J’immole en un moment a l’espoir d’estre a vous
Et mes ressentimens et mes soubçons jaloux
1205 Vous croyez que mon cœur sur une simple excuze
Vous donne avec ma main l’aveu qu’il vous refuse
Quand malgré ce qu’icy vous me montrez d’ardeur
Je sçays qu’un autre objet occupe vostre cœur
Que vous me trahissez et que toute vostre ame
1210 Brusle d’un feu secret

Fatiman

moy vous trahir madame

Celime

Ouy je scay puis qu’il faut m’expliquer clairement
Que les yeux d’une esclave ont fait ce changement
Que vous aymez julie et je suis assez fiere
Puis quil faut vous ouvrir mon ame toute entiere
1215 Et finir avec vous un pareil entretien
Pour vouloir tout un cœur en donnant tout le mien

Fatiman

Moy J’aymerois Julie ? encor un mot madame
Quelque ennemy secret du bonheur de ma flame
A voulu m’envier le nom de vostre espoux
1220 Et semant ces faux bruitz me perdre auprez de vous

Celime

Jay de vos nouveaux feux une entiere asseurance

Fatiman

Eh quoy sur un soubçon sans aucune apparence
Vostre cœur prevenu pouroit me refuser...

Celime

Il n’est qu’un seul moyen de me desabuser
1225 Peut estre que facile a me laisser surprendre
J’ay creu sur un faux bruit ce qu’on ma fait entendre
Il se peut que vos yeux et vostre cœur d’accord
Se soient de sa beauté deffandus sans effort
Mais puis que enfin les bruitz en courent a ma honte
1230 S’il n’est rien que pour moy vostre amour ne surmonte
Il faut des aujourdhuy secondant mes souhaitz
Ou la faire partir ou ne me voir jamais
Voila les deux partis que vous avez a prendre
Si ce soir elle part vous pourez me l’aprendre
1235 Mais songez quelque amour dont vous soyez espris
Que je ne veux jamais vous revoir qu’a ce prix

Fatiman

Vous le Voulez il faut contenter vostre envie
Mais puis je me flater qu’en renvoyant julie
Vostre cœur revenu de ses soupçons jaloux
1240 Reçoive en mesme temps fatiman pour espoux

Celime

[p. 258]
A laissez moy du moins disposer du salaire
Cachez moy les transportz d’un amour mercenaire
Suivez vostre penchant sans me faire de loy
Et meritez ma main sans l’exiger de moy

Scenne seconde §

Fatiman Stamorat

Stamorat

1245 Vous l’avez irritée

Fatiman

est ce ainsy quon me traitte
Ingratte je voy trop qu’elle raison secrette
Veut qu’en rendant julie on l’esloigne de vous
Je ne suis pas l’objet de vos soubçons jaloux
Et lors que vous feignez d’en paroistre allarmée
1250 Vous sçavez trop de qui cette esclave est aymée
Mais pour vous en punir je vay vous preparer
Des traitz dont vostre cœur ne pourra se parer
Et puis que mon hymen à pour vous peu de charmes
Perfide ce mespris vous coustera des larmes

Stamorat

1255 Mais voulant lespouser vostre amour combatu
Pourra-til aysement...

Fatiman

moy l’espouser dis tu ?
Je voudrois de sa main sans que son cœur se donne ?
Ses grands biens me charmoient autant que sa personne
Mais puis qu’un feu secret sobstine a m’outrager
1260 Tu vas voir de quel air je pretens m’en vanger
Quoy je me resoudrois a partager la honte...
Quelqu’un vient voy qui c’est et men vien rendre compte

Scenne troisiesme §

Stamorat seul

C’est marine et tomire et s’il vous plaist J’iray
Commancer... mais suivons le il est desja rentré

Scenne quatriesme §

Tomire, Marine

Tomire

1265 Eh marine

Marine

eh va ten ou tu dis qu’on t’envoye

Tomire

Teste a teste un moment souffre que je te voye
Il s’offre rarement tachons d’en profiter
Voy tu le cœur m’en dit et je ten veux conter

Marine

Toy : marche te dit on tu me la baille belle
1270 M’en conter

Tomire

[p. 259]
ouy comment est ce chose nouvelle
Avant que ta maistresse eust eu son sot espoux
Est ce que je manquois jamais au rendez vous
Et tandis que mon maistre entretenoit Julie
N’alois je pas les soirs dedans la galerie
1275 Te faire bec a bec mille petitz rebus
Entrelassez de... la… Ø ne t’en souvient il plus
As tu mis en oubly que le pauvre tomire
Pour te plaire traitresse espuisoit son bien dire
Et qu’au hasard souvent destre mesme batu
1280 Il t’en aloit conter a bouche que veux tu

Marine

Non je m’en souviens bien mais depuis six mois traitre
Que nous sommes icy que m’as tu fait paroistre
Pour me faire ta cour qu’as tu fait qu’as tu dit
Quelque mot en passant par maniere d’acquit
1285 Encore de quel air je veux que quand on ayme
On aille un train egal qu’on soit toujours de mesme
Et je ne pretens pas finir ce discours
Qu’on commance a m’aymer que pour m’aymer toujours
Quand on ayme on le dit

Tomire

en estois je capable
1290 Javois pour directeur un turc jmpitoyable
Qui depuis le matin jusqu’a minuit sonnant
Querelle a lettre veüe et rosse argent comptent
Il me roüoit de coups et pour ne te rien feindre
Je n’avois que le temps qu’il faloit pour me plaindre
1295 Et je ne sçache rien marine tout de bon
Si contraire a l’amour que les coups de baston
Mais enfin à present q’un rayon d’esperance
Nous flate et qu’on me traitte avec plus d’jndulgence
Comme jamais pour toy mon amour na cessé
1300 Je veux recompenser un peu le temps passé
Et folastrer un peu sur nouveaux frais je meure
Si mon cœur…

Marine

et demain peut estre ou dans une heure
Si les coups de baston surviennent la dessus
Tu ne me diras rien ou ne m’aymeras plus
1305 Je pretens qu’un amant en pareille aventure
Conserve un cœur plus tendre en une peau plus dure
Et je me mocque moy de cet amour poltron
A qui la peur des coups fait faire le plongeon
Entens tu ?

Tomire

cependant a regret je m’en vante
1310 Mon amour n’est point ladre et la peur l’espouvante
J’en conviens c’est pour moy si tu veux un malheur
Mais j’ay la peau fort tendre aussy bien que le cœur
Que veux tu mais quittons un discours qui t’ennuye
Parlons de noz amours sçais tu bien que julie
1315 Ma tantost promis...

Marine

quoy ?

Tomire

[p. 260]
que nous serions unis

Marine

Il vaudroit mieux pour toy que je Ø leusse promis

Tomire

Que veut dire cela voudrois tu t’en dedire ?
Ou pourrois tu dis moy mieux trouver que tomire
Qui t’ayme d’un amour... tu ne dis rien aux gens

Marine

1320 Je dis que nous verrons quand il en sera temps

Tomire

Mais as tu du regret de l’espoir qu’on me donne

Marine

Je ne dis pas cela

Tomire

touche donc la friponne

Marine

Voicy Julie adieu va songe a detaler
Et cours ou Dom carlos t’a tantost dit d’aller

Scenne cinquiesme §

Julie, Carlos, Marine

Carlos

1325 Nous devons ce bonheur a l’amour de celime
Son cœur m’avoit fait voir une fort tendre estime
Je ne vous diray point pour vous vanter mon feu
De quel air n’y comment jen ay receu l’aveu
Je croy que vous sçavez combien vous m’estes chere
1330 Mais dabort fatiman instruit de ce mistere
Et soubçonnant mes soins d’avoir seduit sa foy
Vouloit punir celime et s’en vanger sur moy
Pour esteindre ses feux sa vengence estoit preste
De faire a cette ingrate un present de ma teste
1335 Cet amant en fureur alloit estre obey
Si mon cœur accusé de vous avoir trahy
N’eust craint plus que la mort de perdre pour celime
Ce qu’il s’estoit promis de part dans vostre estime
Ou d’estre soubçonné succombant a ces coups
1340 D’avoir jamais vescu pour d’autres que pour vous
Voila sur quel espoir j’ay taché de l’instruire
De l’estat ou le sort venoit de nous reduire
De l’jnnocente ardeur dont je brusle pour vous
Des malheurs que nos feux ont attiré sur nous
1345 Et c’est a cet aveu que mon cœur et le vostre
Doivent enfin l’espoir qui flate l’un et l’autre

Julie

Fatiman il est vray touché dedans ce jour
Et de tant de malheurs et d’un si tendre amour
Entre en noz interestz et se fait une joye
1350 De faire reussir tous les soins quil employe
Je doute cependant pour ne vous point flater
Que le dessein qui fait se puisse executer
Par un pareil hymen ce quil veut entreprendre
Veut des precautions difficiles a prendre
1355 Vous en jugez de mesme ou bien vous vous flatez [p. 261]
Et si nous n’y trouvons toutes nos seuretez
Du costé du peril et de la bien sceance
Il vaudra mieux encor malgré cette esperance
Vivre sans estre unis separez pour toujours
1360 Que de mettre au hasard mon bonheur et vos jours

Carlos

Fatiman le promet sur l’espoir qu’il m’en donne
Je repons du succez que rien ne vous estonne
Dom brusquin se verra dans la necessité
De travailler luy mesme a cette seureté
1365 Outre que mon amour enfin a toute espreuve
De vos bontez pour moy n’espere aucune preuve
Quelque soit le succez qui puisse en decider
Qu’autant que vous croirez m’en pouvoir accorder

Scenne sixieme §

Julie, Carlos, Tomire en riant

Carlos

Qu’as tu donc

Tomire

je ne sçay mais j’ay sujet de croire
1370 Que nous verrons icy quelque plaisante histoire

Carlos

Comment donc et surquoy...

Tomire

l’jllustre Dom brusquin
S’en aloit vers le port fort outré de chagrin
Donnant les turcs au diable et resolu sur l’heure
De se remettre en mer pour changer de demeure
1375 Croyant estre du moins maistre de son destin
Lors que huit ou dix turcs luy coupant le chemin
Pour se mocquer de luy le traittant d’excellence
Ont fait en l’abordant chascun sa reverence
Puis aprez un d’entre eux faisant l’ambassadeur
1380 La salué bien bas luy disant monseigneur
Sçachant que de julie un bonheur tres insigne
Vous a fait cy devant le mary tres indigne
Fatiman prepozé pour pourvoir aux abus
Que des gens mal sensez commettent la dessus
1385 Pour vous demarier de bonne jntelligence
Et la remarier vous prie avec instance
De vouloir terminant la chose avec esclat
Assister a la nopce et signer le contract
Moy signer au contract traitres qu’il aille au diable
1390 Ma-til dit suis-je icy pour luy servir de fable
Qu’on me laisse partir et que ce suborneur
Se contente d’avoir… mais en fin monseigneur
A dit d’un ton soumis l’autre vostre excellence
Sçait que Fatiman prie et qu’un reffus offence
1395 Et si de ce plaisir vous alez le priver
Il aura du regret… puisse til en crever
Le scelerat qu’il est a dit l’autre en colere
Puis qu’il ne vous plaist pas monseigneur d’en rien faire [p. 262]
A dit ce turc cherchant desous son casaquin
1400 Respectueusement trois quartiers de gourdin
Dont il s’estoit muny voicy d une racine
Qui met a la raison l’ame la plus mutine
Vous en ferez l’essay s’il vous plaist ; a ces motz
Le drosle de vingt coups a chamarré son doz
1405 Ah cartier a til dit voulez vous que je meure
Je suis prest d’aller voir Fatiman tout a l’heure
Ne pouvant de vos coups me sauver qu’a ce prix
La dessus ilz ont pris le chemin du logis
Il demandoit venant le desespoir dans l’ame
1410 Si lon n’est pas content de luy voler sa femme
D’ou vient que malgré luy lon le rameine icy
Et si ce Fatiman veut lespouser aussy
Le Voicy

Julie

je ne veux ny le voir ny l’entendre

Carlos

Fatiman l’attendoit et je luy vais apprendre
1415 Comme il m’en a chargé qu’il vient d’estre amené

Scenne septiesme §

D. Brusquin Stamorat Tomire

D : Brusquin

Et bien me trouvez vous suffisamment berné
A traistres a quoy bon avec vos excellences
En m’assommant de coups toutes ces reverences
Non jamais un mortel a parler franchement
1420 Ne s’est veu mieux rossé ny plus civilement
Verrons nous fatiman

Stamorat

vous lallez voir paroistre
Il doit bien tost icy mais il vient

D : Brusquin

a le traistre
Rit entre cuir et chair de me voir...

Stamorat

parlez bas

Scenne huitiesme §

Fatiman, Carlos, d : Brusquin, Stamorat, Tomire suite

Fatiman

Je Vous l’avois bien dit quil ne s’en jroit pas
1425 Et je me suis toujours douté qua ma priere
Dom brusquin nous feroit la grace toute entiere
Je vous suis obligé d’avoir tant eu degart
Pour les gens qui vous ont harangué de ma part

D : Brusquin

Brisons la ce n’est pas l’effet de leur harangue
1430 Et leurs coups de baston ont plus fait que leur langue
Ilz m’ont roüé de coups et n’auroient pas cessé [p. 263]

Fatiman

Ils ont tort mais enfin oublions le passé
Cela n’est rien il faut qu une amitié sincere...

D Brusquin

Quoy que mal aisement tout cecy se digere
1435 Puis quon fait a mon dos une necessité
De Vous rendre aujourd’huy le maistre du traitté
Soyez le J’y consens les beaux yeux de ma femme
Ont fait je le voy bien du ravage en vostre ame
Vous voulez la garder, et bien soit gardez la
1440 Faites en… faites en tout ce qui vous plaira
Vous ny manquerez pas mais que l’on me renvoye
Qu’on ne me rende point tesmoin de vostre joye
Je n’auray sans mes yeux que de trop bons tesmoins
Et pour ne le pas voir il n’en sera pas moins
1445 Je sçay bien sans vouloir y resver davantage
Qy’emprunter une femme est assez de l’usage
Que cent maris pourroient m’en convaincre au besoin
Et qu’on en trouveroit sans mesme aller bien loing
Mais ils ont un plaisir du moins dans leur disgrace
1450 On ne les force point a voir ce qui se passe
Et quand ilz vont en ville on leur laisse emporter
En les deshonnorant la douceur d’en douter
Souffrez donc qu’a vos piedz dom brusquin vous demande
Un semblable destin la faveur n’est pas grande
1455 Et ne m’enviez pas dans des malheurs si grands
L’honneur de ressembler a tant d’honnestes gens

Fatiman

Et bien puis que ton cœur a tant de repugnance
A souffrir que l’hymen se fasse en ta presence
Je veux bien t’obliger et t’accorder ce point
1460 Je te feray partir tu ne le verras point
Mais a condition

D : Brusquin

quel est ce nouveau pacte

Fatiman

Qu’avant que de partir on mettra dans un acte
Que te trouvant indigne et n’estant pas le fait
De Julie et voyant qu’un hymen sans effet
1465 Te fit contre son gré lespoux de cette belle
Tu tes desmis du droit qu’on te donna sur elle
Que volontairement vous consentez tous deux
Que d’un pareil hymen quelqu’un brise les nœus
Que julie a cecy consentit la derniere
1470 Que c’est pour t’obliger et mesme a ta priere
Qu’a cet effort pour toy sa bonté se resout
Que mesme a tes depens...

D Brusquin

le papier souffre tout
Que lon y mette tout ce qu’on y voudra mettre
Pourrois je l’empecher je veux bien men remettre
1475 Sur les soins que je croy que vous mesme en prendrez

Fatiman

Il faudra le signer et puis vous partirez

D : Brusquin

Moy le signer

Fatiman

[p. 264]
ouy vous la chose estant escrite
Il faudra bien signer

D : Brusquin

ah le chien d’hypocrite
Quoy vouloir qu’en signant un pareil concordat
1480 Je passe pour un sot sur mon certificat
Et que pour ma moitié par escrit je convienne
Que je consens qu’un turc en face icy la sienne
Deusse je estre tesmoin de tout ce qu’on voudra
Je ne signeray rien de ce qu’on y mettra
1485 Ouy je vous metz au pis vous aurez beau me dire
Pour signer contre moy je ne sçay point escrire

Fatiman

C’est t’emporter en vain tu ny veux pas signer
Et bien soit je consens a ne te point gesner
Mais comme tout est prest pour la ceremonie
1490 On ne laissera pas de marier Julie
Tu verras pour cela ce qui s’est apresté
Et comme je luy veux donner la liberté
Il faudra te resoudre en souffrant quil se face
A demeurer esclave en echange en sa place
1495 Jusqu’a ce que la mort finissant tes regrets
Ayt pris l’un de vous deux et laissé lautre en paix
Quiconque restera

D : Brusquin

moy captif et le vostre

Fatiman

Ira porter chez luy des nouvelles de l’autre
Tu feras cependant quelque voyage en mer
1500 Par divertissement pour t’aprendre a ramer

D : Brusquin

Qui moy ramer ?

Fatiman

toy mesme

D Brusquin

ah ciel quel coup de foudre ?

Fatiman

Souviens toy que tu n’as qu’une heure a te resoudre
S’il est passé ce temps, constant dans ses refus
Quon le mette a la chaisne et qu’on n’en parle plus
1505 C’est a dire...

D : Brusquin

ah !

Stamorat

j’entens forçat sur les galeres
Qui des costes d’Alger partiront les premieres

Fatiman

Ouy vous m’informerez tantost du resultat

Scenne derniere §

D : Brusquin, Stamorat, Suite

D. Brusquin

Ah canaille maudite ah traitre, moy forçat
Quoy donc il faut finir mes jours en barbarie [p. 265]
1510 Ou la rame a la main ou noté d’jnfamie
Aux depens de mes bras m’espargner un affront
Ou bien les soulager aux depens de mon front
Ah bourreaux qui sur moy faites ces violences

Stamorat

Il faut aler plus loin faire vos doleances

D : Brusquin

1515 Croyez Vous que mon cœur sans douleur soufrira

Stamorat le chassant

Songez vous resoudre et lon vous repondra.

Acte cinquiesme §

Scenne premiere §

Marine Tomire

Marine

Me dis tu vray tomire et sur ton asseurance
puis je sans me flater prendre quelque esperance ?
Le frere de carlos vient d’arriver icy ?
1520 Et l’oncle qu’ils avoient est mort ?

Tomire

ouy dieu mercy
Le bonhomme est deffunt et pour longues années
Et nous verrons bien tost changer noz destinées
Que diable pour mourir est ce qu’il attendoit
Que la peste le creve en quelque endroit qu’il soit
1525 Le vieux penart quil est

Marine

ton depit me fait rire
Pourquoy le maudis tu ?

Tomire

je dois bien le maudire
Si quelques mois plus tost ce singe eust trespassé
Mon gros diable de turc ne m’eust point tant rossé
Il avoit force argent et le frere en apporté
1530 Dequoy payer trois fois la rançon la plus forte
Carlos la de ses feux tres amplement instruit
Et puis chez Fatiman il la dabord conduit
Ou je ne doute point que cette conjoncture
Ne rende leur marché fort facile a conclure
1535 Ainsy comme tu vois il ne faut plus songer
Qu’a nous bien rejouir et bien tost deloger

Marine

Mais que vont devenir D : Brusquin et julie !
A quoy doit aboutir dy cette momerie !
Qu’est ce que Fatiman pretend faire de luy ?

Tomire

1540 Je ne sçay mais il faut qu’il s’avise aujourd’huy
Car mon maistre pretend des demain sans reprise
Partir ; puis fatiman respond de l’entreprise
Ce que je sçay le mieux c’est marine en deux mots
Que j’ay parmy ces turcs seureté pour mon dos
1545 Que nous pourrons bien tost par un promt mariage
Aprendre de quel bois on se chauffe en mesnage [p. 266]
Trop heureux si mon front qu’aucun bois n’a gasté
Peut trouver avec toy la mesme seureté

Marine

Traistre que me dis tu quoy tu pouras infame
1550 Craindre pour ton honneur si je deviens ta femme

Tomire

Chut : alors comme alors marine doucement
Car je ne sçay point trop a parler franchement
S’il ne vaudroit point mieux qu’une femme en menage
Fut un peu moins diablesse, et fut un peu moins sage
1555 J’en pouray quelque jour estre mieux esclaircy
Quand...

Marine

jentens D : brusquin que lon ameine icy
R’entrons et s’il se peut tandis que lon le presse
Scachons que deviendront ton maistre et ma maistresse

Scenne seconde §

D : Brusquin, Stamorat, Abdala

D : Brusquin

Messieurs que faites vous je suis prest a signer
1560 L’heure n’est pas sonnée

Stamorat

elle vient de sonner
Et c’est ta faute au lieu d’aller au necessaire
Tu veux moraliser ou tu ne fais que braire
Tu crois quon soit payé pour tentendre crier
On te la dit vingt fois alons point de cartier

D. Brusquin

1565 Et de grace messieurs en pareille matiere
Un moment plus ou moins ne fait rien a l’affaire
Au nom de belzebut vostre digne patron
Voyez Fatiman vous ou vostre compagnon
Dites luy que soumis a la loy qu’il m’impose
1570 Je luy donne ma femme a bail emphiteose
Et que s’il veut du sang je signeray du mien
Que de cent ans et plus je n’y demande rien

Stamorat

Il n’est plus temps te disje et l heure est expirée
Nostre ordre est positif et la peine asseurée
1575 Il ne revient jamais quand il a decedé

D : Brusquin

Ah chien d’honneur pourquoy mas tu tant obsedé
N’importe par pitié des peines qué j’endure
Parlez a Fatiman alez je vous conjure
Dites luy que d’abord j avois pris mon party

Stamorat

1580 Ne verra til pas bien que nous aurons menty

D Brusquin

De grace donnez moy cette derniere joye

Stamorat

Il me va renvoyer

D : Brusquin

et bien s il vous renvoye
Vous ferez lors de moy tout ce qui vous plaira [p. 267]
Voyons de quel secours mon argent me sera
1585 Tenez prenez cecy pour vous donner courage

Stamorat

Attendez je vay voir mais s’il vient soyez sage

Scenne troisiesme §

D : Brusquin Abdala

D : Brusquin

Helas ! a mes depens je connoy mais trop tart
Qu’un homme est un grand sot quand un coup du hazart
La deffait d’une femme un peu cocquette et belle
1590 D’aller passer les mers pour courir aprez elle
Ah que je voy de gens par tout mal satisfaits
Qui rendroient grace au ciel d’en estre ainsy deffaits
Quelqu’un vient je crains fort et je ne Ø puis m’en taire
Que mon retardement ne m’ayt fait quelque affaire

Scenne quatriesme §

Fatiman, D : brusquin, Stamorat, Abadala suite

Fatiman

1595 Est il prest a signer tout ce qu’on luy dira

D : Brusquin

Me voila je feray tout ce que lon voudra
Je signeray plutost que vous mettre en colere
Pour moy pour mon ayeul et pour deffunt mon pere
Que nous avons esté de sots de pere en filz
1600 Et mesme si lon veut pour tous mes bons amis
Je laisse le champ libre a qui voudra m’en croire

Fatiman

C’est quelque chose ; mais si j’ay bonne memoire
Je ne t’avois donné pour regler ton depart
qu’Une heure, et ce choix vient ce me semble bien tart

D : Brusquin

1605 C’est que j’ay quelque temps parlant de vostre flame
Entretenu vos gens du bonheur de ma femme
Du plaisir que j’avois de vous trouver d’humeur
De Vouloir consentir a me faire l’honneur
D’en recevoir tantost sans qu’elle y soit forcée
1610 Ce quelle… ils m’escoutoient et l’heure s’est passée

Fatiman

Ainsy tu signeras ce qui t’est ordonné

D : Brusquin

Qu’on me fasse partir je donne un blanc signé

Fatiman

Outre ce blanc signé ton amitié s’engage
A payer sans chagrin les frais du mariage

D : Brusquin

1615 Si j’en ay je sçauray ne le point faire voir

Fatiman

Que tu seras present a leurs nopces ce soir
Et qu’a table auprez deux tes discours ordinaires...

D : Brusquin

[p. 268]
Pour cela decontez

Fatiman

decontez aux galeres

D : Brusquin

Cartier messieurs sil faut cela pour m’en sauver
1620 J’y boiray leurs santez quand j’en devrois crever
Je vous en laisseray possesseur fort tranquille

Fatiman

Comme pour ton repos cet hymen est utile
Et que l’espoux enfin que je luy veux donner
Peut avoir quelque peine a se determiner
1625 A moins que ton aveu ne seconde sa flame
Il faudra le prier d’avoir soin de ta femme
Et de la recevoir de ta main autrement…

D : Brusquin

Ah faites moy credit d’un si sot compliment
De quel air voulez vous que pour vous satisfaire

Fatiman

1630 Quoy cela te fait peine

D Brusquin

ouy sans doute

Fatiman

en galere
Alez c’est trop vouloir marchander avec moy

D Brusquin

Je suis soumis a tout je vous donne ma foy
De faire exactement sur chaque circonstance
Ce qu’on exigera de mon obeissance
1635 Je demande a vos piedz seulement un seul point
Par grace ou par pitié ne me refusez point
Que je parte au plutost disposez de julie
Je ny pretens plus rien mais que lon m’expedie
Et decidez en fin si bien de mon destin
1640 Que je puisse partir demain de bon matin
C’est la seule faveur que Dom brusquin espere
Et le plus grand plesir que vous luy puissiez faire

Fatiman

J’y consens, on l’attend dans cet apartement
Vous partirez demain, menez l’y promtement
1645 Et sur tout dites bien que lon luy face faire
Tout ce que dom carlos jugera necessaire
Vous scavez l’interest qu’il a dans tout cecy
Escoutez cela fait quon le rameine icy
J’ay quelque chose encor a luy dire

D Brusquin

courage

Fatiman

1650 Vous n’avez qu’a le suivre

D : Brusquin

ah le maudit voyage

Scenne cinquiesme §

Fatiman, Stamorat

Fatiman

Nous verrons de quel air celime recevra
Ce coup dont je pretens punir... mais la voila [p. 269]
Voyons jusques ou va cet orgueil qui me brave

Scenne sixiesme §

Celime, Zaïre, Fatiman, Stamorat

Celime

Avez vous decidé du sort de Vostre esclave
1655 La faites Vous partir quitte telle ces lieux
Ou bien si trop sensible a l’esclat de ses yeux
Vostre cœur ne pouvant supporter cette absence
Ne sçauroit se resoudre a cette Violence

Fatiman

Non vous m’avez apris que vous le souhaitez
1660 Je ne me fais des loix que de vos volontez
Madame et puisqu’en fin c’est pour vous une joye
Je le feray partir, demain je la renvoye
Heureux si son depart et ma fidelité
Me rendent tout l’espoir que vous m’avez osté

Celime

1665 Elle part, pour jamais dom carlos perd julie
Zaïre en ma faveur s’il se peut qu’il l’oublie,
Quoy demain dites vous elle part de ces lieux

Fatiman

Ouy madame et de plus pour vous convaincre mieux
Affin que contre moy vostre cœur trop credule
1670 Sur vos soubçons jaloux ne garde aucun scrupule
Et se rende a des feux trop mal recompensez
Je luy donne un espoux en partant

Celime

je le sçays
Ouy l’on m’a fait scavoir que l’espoux de julie
Est pour la racheter des hier en barbarie
1675 Et pour mes yeux enfin le plaisir le plus doux
C’est de la voir partir avecque cet espoux
Zaïre malgré moy desus cette asseurance
Mon amour alarmé reprend quelque esperance

Fatiman

Je la feray partir comme vous le voulez
1680 Mais ce n’est point avec lespoux dont vous parlez
Son choix n’a consulté ny le mien ny le vostre
Et son amour la met entre les bras d’un autre

Celime

D’un autre ? eh quel est donc...

Fatiman

c’est carlos ses appas

Celime

Ah ! Carlos ? a ce coup je ne m’attendois pas
1685 Ayant un autre espous vouloir qu’on les unisse
Quoy vous authorisez une telle jnjustice
De quel droit separer ce que l’hymen a joint

Fatiman

Ilz ont mille raisons que je ne vous dy point
Mais sans examiner si j’ay deu le permettre
1690 Ne songeons qu’au succez que j’ay deu m’en promettre
Et sans plus differer voyez si vostre cœur
Se peut determiner madame en ma faveur [p. 270]

Celime

Je pourois consentir aprez cette jnjustice
En vous donnant la main a m’en rendre complice
1695 Qui moy je recevrois lespous que vous m’offrez
Qui brise sans respect les noeus les plus sacrez
Allez aprez avoir rompu l’hymen d’un autre
Vous trouveriez moyen de rompre aussy le vostre
Et je regarde enfin comme indigne de moy
1700 Qui peut porter un cœur a manquer a sa foy

Scenne septiesme §

Fatiman, Stamorat

Fatiman

Elle meurt de depit et j’en voy bien la cause
Mais perdre une infidelle est perdre peu de chose
Et puisque cet hymen luy cause un tel transport
Tachons en l’achevant de le rendre plus fort

Scenne huitiesme §

D : Brusquin, Fatiman suite

D : Brusquin

1705 Je reviens et tout est a vos ordres conforme
Jamais homme ne fut sot en meilleure forme
Et quand il vous plaira tandis qu’on est en train
Le reste se fera sans attendre a demain
Voyons puis qu’il le faut a tout je m’abandonne

Fatiman

1710 Maintenant que soumis a tout ce qu’on t’ordonne
A voir ce qui suivra tu veux bien consentir
Je vay pour t’obliger, et te faire partir
Te faire voir l’espous que je donne a ta femme

D : Brusquin

Comment ce n’est pas vous

Fatiman

non sans doute et sa flame
1715 N’ayant peu se cacher, son cœur s’est declaré
En faveur de celuy qu’elle ta preferé
Tu le verras bien tost jl en vaut bien la peine
Faites venir julie et que carlos l’ameine

D Brusquin

Que veut dire cecy, ma foy je n’y comprens...

Fatiman

1720 Ils s’aymoient cherement tous deux depuis un temps
Et touché d’une ardeur si tendre et si fidelle
J’ay voulu les unir par amitié pour elle

D : Brusquin

J’entens bien et pour prix d’une telle faveur
Vous ne vous reservez que le droit su seigneur
1725 Mon front est a l’enchere et m’a femme au pillage
Les voicy [p. 271]

Senne derniere §

Fatiman D : Brusquin, D. Carlos, Julie, Marine Tomire, suite

D : Carlos

quel respect ou plutost quel homage
Puis je pour les bontez que vous avez pour nous

Fatiman

Laissons ces vains discours

D : Brusquin

Ø c’est donc la cet espous

Fatiman

Ouy c’est luy qui charmé des beautez de julie
1730 l’enleva dans tes bras, c’est luy qu’en barbarie
L’amour pour te l’oster fit esclave, et c’est luy
Qu’on va faire a tes yeux son espoux aujourd’huy

D : Brusquin

Quoy c’est la le Paris de cette belle helenne

Julie

On me livra par force a l’objet de ma haine
1735 Il vous plut de souffrir qu’on en usat ainsy
On vous force a me rendre et je le souffre aussy

D : Brusquin

Ah traitresse

Fatiman

finis cette sotte harangue
Ton dos pourroit aprendre a parler a ta langue
Sois sage jusqu’au bout ou crains...

D : Brusquin

Soit je me tais

Fatiman

1740 J’avois pour mon hymen fait faire des aprests
Mais comme j’y renonce et que j’en fais un autre
Tous ces preparatifs serviront pour le vostre
Qu’on commence a l’instant avertissez mes gens
Alez

Tomire

Si vous vouliez messieurs en mesme temps
1745 Pour espargner les frais et nous faire bien rire
On pouroit marier marine avec tomire
Et lon feroit enfin d’une pierre deux coups

Julie

Tomire J’y consens et te fais son espoux

D : Brusquin

Helas tous mes amis se mocquant de ma flame
1750 Ne m’appelleront plus que le mary sans femme
Mais qui ferois je enfin il faut m’en consoler
Bien de gens que je voy voudroient me ressembler

Fatiman

Les voicy que lon songe a rejouir nos hostes
Et demain partira qui voudra de noz costes
Six esclaves turcs, six lutteurs mores et six gladiateurs feront leurs entrées, puis chantera Julie
1755 Sans amour que pouvons nous faire [p. 272]
Rendons nous aux soins des amants
Profitons de nostre printemps
Un cœur perd le temps qu’il differe
Pour charmer nos attraits n’ont qu’un temps
1760 On n’a pas toujours dequoy plaire
Il en faut menager les moments
Il se fera une entrée differente puis Julie et Carlos chanteront ensemble
Soyons toujours constans
Si lamour a des chaisnes
Pour les vrays amants
1765 Il a des doux moments
Ses tourmens et ses gesnes
Causent des langueurs
Mais il n’a point de peines
Qu’il n’ayt ses douceurs

Carlos seul

1770 La plus fiere maistresse
Ne l’est pas toujours

Julie seule

Chacun doit sa jeunesse
Aux tendres amours

Ensemble

Et les cœurs sans tendresse
1775 Nont point de beaux jours
Soyons toujours constants
Si l’amour a des chaisnes
Pour les vrays amantz
Il a des doux moments

&