LE PARADIS TERRESTRE
Imité de Milton, poète anglais.
Divertissement spirituel en un acte

M. DCC. XXXV.

Abbé NADAL

À Madame Le Nains, intendante du Poitou.

De l’humble Piété votre coeur est le temple,

Ouvrage du ciel même, à sa gloire élevé

Et si de vos vertus Ève eut donné l’exemple,

Le genre humain était sauvé.

ACTEURS. §

  • ADAM.
  • ÈVE.
  • UN ANGE.
  • LE NARRATEUR.
  • CHOEUR DES ANGES.

SCÈNE PREMIÈRE. Adam, Ève, Le Narrateur. §

LE NARRATEUR

Ce fut au jour marqué dans ses décrets divers,
Que Dieu laissant agir sa puissance secrète,
Vit du sein du néant éclore l’Univers :
Que la clarté, dit-il se fasse : elle fut faire,
5 Et les cieux, et la terre et les mers tout à tour
Formés avec même avantage,
Coururent se placer chacun dans leur séjour
Semblait de son pouvoir faire l’apprentissage,
Réserva la beauté pour son dernier ouvrage
10 Dans Dieu de ses augustes mains
Eut fait Adam sur son modèle
De sa chair, alors immortelle,
Il sut au plus beau des humains
Faire une épouse encore plus belle.
15 Dans un jardin délicieux
Qu’entre mille parfums arrose une onde pure,
Sous un berceau, l’amour de la nature,
Que perçait la lumière des cieux,
Pour la première fois dans un lit de verdure
20 Nos amants ouvrirent les yeux.
À leur aspect leur coeur ne put suffire,
L’oeil s’égare, la vois sur leurs lèvres expire,
Les sens sont suspendus, les transports sont divins ;
Et lui-même d’un doux sourire
25 Dieu bénit l’oeuvre de ses mains.

ADAM.

Cher objet avec qui je me trouve lié
Des noeuds sacrée d’une ardeur mutuelle,
Fille du ciel, ma compagne fidèle,
Cher part de moi-même, ou plutôt ma moitié,
30 Sois pour moi, dans le cours d’une chaîne si belle,
Un sujet éternel d’amour et d’amitié.
Ose attacher sur moi ces yeux dont la lumière
Brûle mon coeur de feux aussi puisque ma foi,
Et reçois ces regard avec qui toute entière
35 Mon âme s’envole vers toi.

ÈVE.

Digne présent du ciel, hôte de ces beaux lieux,
Auteur d’un doux transport que je ne puis comprendre,
J’ignore encore quel bien est le plus précieux,
Ou de te voir ou de t’entendre.
40 Que béni soit l’état où je me vois :
Je brûle de porter la chaîne
Qui te doit unir avec moi.
Esclave ensemble et souveraine
Ma gloire est d’obéir quand je règne sur toi ;
45 Et cédant sans effort au penchant qui m’entraîne,
Je sens que mon coeur vole au devant de ta loi.

ADAM.

De tes devoirs c’est à moi de t’instruire
Sois attentive aux objets que tu vois ;
Si dieu pour les former n’employa que sa voix,
50 Il peut d’un souffle les détruire ;
Et tout dans le chaos rentrerais à la fois.
Arrête m’a-t-il dit, arrête, et considère.
D’Ève et de toi par un décret austère
J’attache les destins à cet arbre fatal.
55 Contemple ce beau fruit, qui du bien et du mal
Renferme le profond mystère.
C’est de ce fruit qu’il vous faut abstenir,
Gardez-vous d’y porter une main téméraire,
Ou la terrible mort saura vous en punir.

ÈVE.

60 C’est une épreuve bien légère
De la fidélité que l’on doit à ces lois.
Aux risques d’attirer l’éclat de sa colère,
Est-ce à la volupté, quand elle est passagère,
À déterminer notre choix ?

ADAM.

65 Il n’exige de nous que cette obéissance
Pour prix de l’immortalité,
Qu’avec tant d’autres biens sa faveur nous dispense.
Si nous chérissons sa bonté.
Craignons encore plus sa puissance.

SCÈNE II. Un Ange, Adam, Ève, Le Narrateur. §

ÈVE.

70 Ministre et favori de cieux,
Esprit pur, ange tutélaire,
Fends la céleste plaine, et vole en ces si beaux lieux.
Mais sensible à notre prière,
Déjà de ton aile légère
75 L’éclat vient de frapper nos yeux.
Soutiens-nous dans l’ardeur de plaire
Au Dieu qui prévient tous nos voeux.

L’ANGE.

De ses bienfaits, de ses faveurs extrêmes
Vous savez le prix qu’il attend.
80 Les ombres de la nuit et les abîmes mêmes,
L’astre du jour sur son char éclatant,
Le Ciel, tout obéit à ses ordres suprêmes ;
Pourrions nous n’en pas faire autant.
TRIO

L’ANGE, ADAM, ÈVE.

Les ombres de la nuit et les abîmes mêmes,
85 L’astre du jour sur son char éclatant,
Le Ciel, tout obéit à ses ordres suprêmes ;
Pourrions nous n’en pas faire autant.

SCÈNE III. Adam, Ève, Le Narrateur. §

ADAM.

Puissent de toute créature
Adorés ses ordres souverains

ÈVE.

90 Gloire à celui qui remet dans nos mains
Tous les plaisirs de la nature.

ADAM.

C’est à nous de servir ces augustes desseins.
Il a soumis à notre empire
L’air, la terre, la mer, et tout ce qui respire.

ÈVE.

Des dons qu’il a versés sur toi
Le prix sera toujours présent à ma mémoire :
Mais quoiqu’il ait fait pour ta gloire,
En me donnant ton coeur il a plus fait pour moi.
DUO.

ADAM, ÈVE.

Pour hâter un bonheur suprême,
100 Serments sacrés, unissez nos destins :
Volez au trône de Dieu même
Sur les ailes des chérubins.

ÈVE.

Amant si sensible et si tendre,
Ou plutôt mon maître et mon roi,
105 C’est de toi que je vais d"pendre ;
Un Dieu m’en impose la loi.
Déjà sa voix s’est faite entendre,
La terre a tremblé d’effroi ;
Et dans tes bras Ève vient rendre
110 La premier tribut se sa foi.

SCÈNE I. et DENIÈRE. L’Ange, Choeur des Anges, plusieurs vois prises du Choeur des Anges, Adam, Ève, Le Narrateur. §

LE NARRATEUR.

La chef de ces esprits qui volent sur le faîte
Où dans sa majesté repose l’Éternel,
Ouvrit les honneurs de la fête
Par ce cantique solennel.

L’ANGE.

115 Rends leurs félicités plus sûres,
Epithalame
Hymen, céleste Hymen, allume ton flambeau :
Tu préserves les coeurs de cruelles blessures,
Tu sais leur destin le plus beau ;
Et d’un chaste main déchirant son bandeau,
120 Tu fournis à l’Amour ses flammes les plus pures.
Chantez sous ces riants lambris,
Chantez les délices secrètes
De deux coeurs ardemment épris ;
Si les douceurs en sont parfaites,
125 C’est parce qu’un Dieu les a faites :
Obéir à ses lois, c’est en rendre le prix.

LE CHOEUR DES ANGES.

Chantons sous ces riants lambris,
Chantons les délices secrètes
De deux coeurs ardemment épris ;
130 Si les douceurs en sont parfaites,
C’est parce qu’un Dieu les a faites :
Obéi à ses lois, c’est en rendre le prix.

UNE VOIX DU COEUR DES ANGES.

Tendres passagers des beaux jours,
Favoris naissants de l’Aurore,
135 Oiseaux, célébrez leurs amours,
Et redoublez vos chants encore.
Que sous leurs pas naissent toujours
Les fleurs qu’on y voit éclore :
Qu’à jamais durent dans leur cours
140 Les biens que leur âme dévore.
Ranimés pour eux vos accents ;
C’est à Dieu même rendre hommage ;
Ils brûlent de feux innocents,
Et plus doux que votre ramage.
145 Que de leurs transports renaissants
Vos sons nous retracent l’image :
Ils brûlent de feux innocents,
Et plus doux que votre ramage.

LE NARRATEUR.

L’Écho, lointain du noeud qui les engage,
150 Rendait ainsi leurs voeux et leurs tendres soupirs.
DUO.

ADAM et ÈVE.

Puisse pour nous le Dieu qui comble nos désirs,
Charmant époux être toujours le même.
Charmante épouse être toujours le même.
Rien ne peut l’emporter sur nos premiers plaisirs,
155 Que l’éclat seul de sa gloire suprême.

L’ANGE.

Vous pour qui tous les coeurs sont faits,
Aimable et pure intelligence,
Puissiez-vous durer à jamais !
Vos bines les plus parfaits
160 Ne voûtent rien à l’innocence ;
Elle en augmente encore le prix et les attraits.
Vous pour qui tous les coeurs sont faits,
Aimable et pure intelligence,
Puissiez-vous durer à jamais !

TOUT LE CHOEUR

165 Vous pour qui les coeurs sont faits,
Aimable et pure intelligence,
Puissiez-vous durer à jamais !