AN SEPTIÈME.
Par JOSEPH PAIN.
A PARIS, Chez BARBA, Libraire, au petit Dunkerque, près le Pont-neuf.
J’ai vu jadis qu’aux hommes en crédit,
Pour un emploi, quelque faveur nouvelle,
On dédioit la moindre bagatelle,
Et qu’on perdoit parfois ses frais d’esprit.
Moi, que jamais l’avenir n’inquiète,
Qui vis gaîment au jour le jour,
Aux lourds Midas, en vrai poëte,
Je ne sais point faire la cour ;
Rose, accepte cette bleuette,
Et je la dédie à l’Amour.
COUPLET D’ANNONCE. §
AIR: Du petit Matelot.
On va vous jouer un ouvrage,
Que l’auteur vous offre en tremblant.
Daignez ranimer son courage,
Et louez son Appartement.
N’allez pas, d’humeur difficile,
Lui donner ensuite congé;
Si vous détruisiez son asile,
L’auteur seroit fort mal logé.
PERSONNAGES. ARTISTES. §
- THÉODORE. CÉSAR.
- ROSETTE. DUMAS.
- VINCENT, père de Rosette. DUBOIS.
- DUBOIS, valet de Théodore. AMIEL.
- SONORE, musicien. CORSE.
- UNE ACTRICE. CAROLINE.
- UN GASCON. CORSE.
SCÈNE PREMIÈRE. §
THÉODORE.
Dubois ?
DUBOIS.
Que me voulez-vous ?
THÉODORE.
Fais l’écriteau.
DUBOIS.
D’appartement à louer ?
THÉODORE.
Sans doute.
DUBOIS.
Comment faut-il le faire ?
THÉODORE.
Eh ! Mais... comme tous les écriteaux.
DUBOIS.
Le style laconique ?
THÉODORE.
Chose rare, aujourd’hui !... Il serait bien à souhaiter que la mode de parler peu s’établit.
DUBOIS.
Revenons à l’écriteau.
THÉODORE.
Je le veux bien.
Tiens : le voici.
DUBOIS.
Des vers ?
THÉODORE.
C’est une idée qui m’est venue tout-à-l’heure, et j’ai mis l’écriteau en couplet.
DUBOIS.
Pourquoi pas ? Il y a si longtemps qu’on les fait en prose.
THÉODORE, lisant.
Écoute :
DUBOIS.
Au portier... C’est tout ce qu’il faut pour un impromptu.
THÉODORE.
Ton écriture est-elle lisible ?
DUBOIS.
Je vais faire copier cela en gros caractères, par Brouillon, l’écrivain du coin.
THÉODORE.
Va vite... Ah ! Écoute : qu’on le fasse attacher promptement ; car tu sais qu’il peut me procurer la visite de ma chère Rosette et de son père.
DUBOIS.
Oui : ils cherchent un appartement ; mais s’il vient d’autres personnes ?
THÉODORE.
Nous les en dégoûterous.
DUBOIS.
À propos, j’ai oublié....
THÉODORE.
Quoi ?
DUBOIS.
Une lettre pour vous.
THÉODORE.
De qui ?
DUBOIS.
De la charmante Rosette.
THÉODORE.
Donne.
DUBOIS, se fouillant.
Où est-elle donc ?... Ah ! La voici.
Elle est depuis hier dans ma poche.
SCÈNE II. §
THÉODORE seul, lisant.
« J’ai déterminé mon père à voir votre appartement ; mais Dumont, votre rival, ayant appris que mon père veut quitter sa maison, l’importune pour lui faire accepter la sienne. » J’espère l’en empêcher... Nous serons chez vous, demain, de bonne heure.
Ce coquin de Dumont !... Mais Rosette me secondera. Elle est si bonne! si sensible!
SCÈNE III. Théodore, Dubois, entrant. §
THÉODORE.
Eh bien, l’écriteau ?
DUBOIS.
Je l’ai suspendu à la fenêtre de la rue ; mais le vent...
THÉODORE.
Eh ! Que fait le vent ?
DUBOIS.
THÉODORE.
Rattache-le solidement... Mais on frappe ; va voir qui c’est.
SCÈNE IV. §
THÉODORE, seul.
Si c’était ma bonne amie et son père !... Si mon amour plaisait à celui-ci !... Espoir délicieux !... J’entends Rosette... Oh ! Oui, c’est bien elle.
SCÈNE V. Vincent, Rosette, Thédore, Dubois. §
THÉODORE, à Vincent.
C’est la première fois que j’ai l’honneur de vous recevoir chez moi, et je ne saurais trop rendre grâce au hasard qui vous y a amené.
VINCENT.
Rien de plus honnête. C’est ma fille qui m’a engagé à venir voir votre appartement qui est, dit-on, à louer.
DUBOIS, à part.
De ce matin.
THÉODORE.
Voulez-vous me permettre de vous le montrer?
VINCENT.
En entrant, j’en ai vu une partie... Il est assez bien.
THÉODORE, bas à Rosette, sur l’avant-scène.
Merci, charmante Rosette.
ROSETTE, bas.
Paix, on pourrait nous entendre.
THÉODORE.
Un mot...
ROSETTE.
Mon père est disposé en votre faveur.
VINCENT, dans le fond.
Ah ! Ah ! Des tableaux !
DUBOIS.
C’est mon maître qui les a faits.
VINCENT.
Je ne lui connaissais pas ce talent-là.
THÉODORE, bas à Rosette.
Il sait donc notre amour ?
ROSETTE, bas.
Il s’en doute.
VINCENT, dans le sond.
Ah ! En voici un qui me paraît sort agréable.
DUBOIS.
Il représente deux amants.
VINCENT, regardant avec sa lunette.
Scène familière... Eh ! Il est fait avec chaleur.
VINCENT.
DUBOIS.
VINCENT.
DUBOIS.
THÉODORE, bas à Rosette.
VINCENT répondant à Dubois.
Quel est celui-ci ?
Que vois-je ? Le portrait de ma fille !
ROSETTE.
Quoi ! Théodore, vous avez fait mon portrait ?
DUBOIS, à part.
Jolie tête d’étude....
THÉODORE.
Je l’ai fait de mémoire.
VINCENT.
Et il est fort ressemblant. Saviez-vous, ma fille, que votre portrait fût ici?
ROSETTE.
VINCENT.
Je ne m’étonne plus que vous m’ayiez si fort pressé de venir voir cet appartement.
THÉODORE.
Veuillez ne rien voir, dans cette démarche, qui mérite votre colère. Cette maison m’appartient, et je m’estimerai trop heureux, si vous daignez l’habiter.
VINCENT.
Ma fille a des secrets pour moi !
ROSETTE.
Indulgence, mon père.
VINCENT.
Ma chère amie, je ne veux que te rendre heureuse ; mais je méritais ta confiance.
ROSETTE.
Vous l’aurez désormais toute entière.
VINCENT.
Laissons cela. Venez, avec moi, voir d’autres appartemens.
THÉODORE.
Vous dédaignez donc celui-ci ?
VINCENT, avec dignité.
Non ; mais vous me permettrez le choix. J’ai promis à Dumont, d’aller voir sa maison... Si elle me convient moins que la vôtre, vous aurez la préférence... Je veux bien même vous promettre que, dans une heure, je viendrai...
Nous viendrons vous donner répouse.
THÉODORE, les reconduisant.
Ah ! J’espère qu’elle me sera favorable.
VINCENT.
Je ne vous défends pas l’espérance.
SCÈNE VI. Théodore, Dubois. §
THÉODORE.
Eh bien, Dubois, que dis-tu du papa Vincent ?
DUBOIS.
Brave homme.
THÉODORE.
De sa fille ?
DUBOIS.
Charmante.
THÉODORE.
Et de mes affaires ?
DUBOIS.
Excellentes.
THÉODORE.
J’en rends grace à mon étoile.
DUBOIS.
Et moi, à l’appartement à louer.
THÉODORE.
Tu peux avoir raison.
DUBOIS.
Cela m’arrive tous les jours.
THÉODORE.
Je vais sortir : si, pendant mon absence, qui ne sera pas longue, l’écriteau t’amène des originaux, amuse-t-en, mais ne termine pas avec eux.
DUBOIS.
Soyez tranquille.
SCÈNE VII. §
DUBOIS, seul.
Allons, mon ami Dubois, vous voilà le maître de la maison. Peste ! Vous êtes un homme de conséquence !... Allons, plus d’air de valet... La démarche élégante... Le port noble... La métamorphose d’un enrichi.
J’entends du bruit... On vient... Examinons.
SCÈNE VIII. Sonore, Dubois. §
SONORE.
C’est ici l’appartement à louer, et vous êtes...
DUBOIS.
Serviteur.
SONORE.
Je voudrais, avant de voir l’appartement, savoir s’il y a une piece où je puisse recevoir mes abonnés.
DUBOIS.
Comment, vos abonnés ?
SONORE.
Je m’appelle Sonore.
DUBOIS.
Musicien.
SONORE.
Vous l’avez deviné. J’ai composé une société d’artistes et d’amateurs, et nous donnons des concerts.
DUBOIS.
Ah ! Vous êtes toujours d’accord.
SONORE.
Presque toujours. Eh bien ! Trouverai-je ici un local favorable ?
DUBOIS.
Non, la voix y serait étouffée.
SONORE.
C’est dommage.
DUBOIS.
Pourquoi voulez-vous donc changer de local ?
SONORE.
La nouveauté, mon cher, la nouveauté ! On a tant travaillé pour plaire au public, que les moyens sont à-peu-près épuisés ; on est forcé de lui offrir toujours les mêmes choses, mais sous des formes nouvelles.
DUBOIS.
Il en est de même des modes.
SONORE.
C’est cela même. Tout se renouvelle, tout change, tout se détruit. Par exemple, j’étais premier organiste de la paroisse de Surenne.
DUBOIS.
Et la révolution vous a désorganisé ?
SONORE.
Tout-à-fait. Mon orgue fut détruite, et il ne m’en est resté que le soufflet. Quand je vis qu’il n’y avait plus rien à faire de ce côté, je choisis un autre instrument.
En peu de temps, je devins d’une jolie force d’amateur... Mais on encourage si peu les arts ! On se moqua de ma serinette.
DUBOIS.
Et quel parti prîtes-vous ?
SONORE.
Je me jetai, à-corps-perdu, dans la carrière dramatique. Je voulus faire la musique d’un opéra... Je cherchai un poète, et fus longtemps à en trouver.
DUBOIS.
Ils sont si rares !
SONORE.
On m’adressa enfin à Monsieur Barbaro, rue des Mauvaises Paroles, numéro cent-neuf. Il avait une vingtaine de poèmes tout faits, et j’en pris un au hasard.
DUBOIS.
C’était peut-être le plus sûr.
SONORE.
Je fis une musique délicieuse, étourdissante, et, après bien des peines, nous fûmes joués.
DUBOIS.
Eh bien ?
SONORE.
DUBOIS.
Cela n’est pas nouveau.
SONORE.
J’en conviens ; mais j’intéresserai par le charme de la pantomime, le jeu muet des acteurs, les gestes qui remplaceront les paroles : on y entendra des éclats de voix, des points d’orgue, des roulades...
DUBOIS.
Je vois que ce sera tout chant.
SONORE.
Et puis, que d’avantages m’offre mon procédé !
DUBOIS.
Votre opéra ne dira pas grand chose ; cependant, à cause de l’originalité, il pourra avoir du succès.
SONORE.
Grand merci de la prophétie. Allons, puisque je ne trouve pas ici un local favorable, je m’en vas.
Il me vient une idée : je vais faire construire une salle de concert par un entrepreneur de mes amis : je suis sûr que ça réussira, parce que la musique est nécessaire à l’homme ; partout l’on chante, et chanter est une occupation universelle.
SCÈNE IX. §
DUBOIS, seul.
En voilà déja un d’éconduit, et notre appartement est encore à nous... Mon maître ne va pas tarder. Ah ! Justement le voici.
SCÈNE X. Théodore, Dubois. §
THÉODORE.
Mon cher Dubois, je suis enchanté ! Devinerais-tu d’où je viens?
DUBOIS.
Si vous me le disiez.
THÉODORE.
De chez Dumont, mon rival. Tu sais qu’il voulait, comme moi, donner son appartement au père Vincent pour épouser sa fille... Comme moi, il avait mis un écriteau.
DUBOIS.
En vers ?
THÉODORE.
Non, en assez mauvaise prose. Il ne me connait pas, je monte : il me fait voir chaque pièce... Tout me convient, tout est délicieux. Mon homme me propose alors son prix, prix exhorbitant... Je le trouve raisonnable ; j’arrête l’appartement, je donne des arrhes, et me sauve, de peur d’y rencontrer Rosette et son père.
DUBOIS.
Et, quand ils iront chez Dumont, et qu’ils trouveront l’appartement loué, le père sera furieux...
THÉODORE.
Et la fille me devinera...
DUBOIS.
Et, de dépit, il viendra louer celui-ci.
THÉODORE.
Et me donner la main de Rosette...
DUBOIS.
C’est fort bien : mais, puisque vous avez loué chez Dumont, vous irez y loger ?
THÉODORE.
Non pas que je sache.
DUBOIS.
Au moins, vous lui paierez un terme ?
THÉODORE.
Oh ! Bien volontiers.
DUBOIS, allant pour sortir.
Voici une visite.
SCÈNE XI. Théodore, Une Actrice. §
L’ACTRICE, examinant l’appartement.
Cet appartement me convient assez... Il est fort bien... Je vous souhaite le bonjour... Vous dites donc qu’il y a cinq pièces ?
THÉODORE.
Oui, tout autant.
L’ACTRICE.
Toutes décorées, arrangées ? Pas de dépense à faire ? Chambre à coucher élégante ? Des glaces ? Ah ! Des glaces surtout.
THÉODORE.
Vous en trouverez partout, et elles ne réfléchiront jamais un visage plus agréable.
L’ACTRICE, à part.
Il est galant.
Et quel est le prix ?... Bien cher n’est-ce pas ?... À propos, y a-t-il un boudoir ?... Oh ! C’est une chose essentielle.
THÉODORE.
Je crois qu’on peut s’en passer très souvent.
D’ailleurs, je l’avoue à regret ; il n’y en a pas.
L’ACTRICE.
Ô ciel ! Que me dites-vous ? Allons, il faut renoncer à l’appartement.
THÉODORE.
Quoi ! Sitôt ?
L’ACTRICE.
Point de boudoir ! Et puis, il faudroit que je pusse m’installer ici sur-le-champ.... Quand quitterez-vous ce logis ?
THÉODORE.
Nous prendrions ensemble des arrangements : cependant je ne le quitterais pas tout-à-fait.
L’ACTRICE.
Comment ?
THÉODORE.
L’ACTRICE, à part.
Il a de l’esprit.
Sérieusement, vous reviendriez ici invisiblement ?
THÉODORE.
J’en ai, cependant bien peu.
L’ACTRICE.
Un calembour ?
THÉODORE.
Grâce, grâce pour lui.
L’ACTRICE.
J’aime assez un calembour, lorsqu’il est sans prétention, et qu’il se borne à accompagner ou à faire naître la gaîté.
Mais il est bientôt midi, et je vais à la répétition.
THÉODORE.
Jouez-vous la comédie ?
L’ACTRICE.
Non, je chante daus l’opéra.
THÉODORE.
Êtes-vous musicienne ?
L’ACTRICE.
Un peu.
THÉODORE.
Si je ne craignais pas d’abuser de vos moments, je vous prierais de chanter avec moi un duo de la Cosa rara, que j’aime infiniment.
L’ACTRICE.
Je ne me fais jamais prier.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
ENSEMBLE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
THÉODORE.
L’ACTRICE.
ENSEMBLE.
THÉODORE.
Dans la pièce où vous jouez ce soir, il y a des ariettes sans doute ?
L’ACTRICE.
Et vous voulez que j’en chante une ?
THÉODORE.
Vous me devinez toujours.
L’ACTRICE.
Mais, au moins, ne jugez pas la pièce d’après une ariette détachée ; ce serait trop sévère.
THÉODORE.
Je vous le promets.
L’ACTRICE.
Allons, aussi bien, cela me vaudra une répétition.
THÉODORE.
On ne peut chanter avec plus de goût.
L’ACTRICE.
Comme ce sera une première représentation, je désire que le public soit aussi content que vous paraissez l’être.
THÉODORE.
L’auteur serait sort heureux. Puisque vous jouez dans la pièce de ce soir, je ne manquerai pas d’aller vous entendre et de vous applaudir.
L’ACTRICE.
Je vous en suis obligée ; mais n’oubliez pas l’auteur.
SCÈNE XII. §
THÉODORE, seul.
Elle est fort aimable ; mais ce n’est pas là ma Rosette.
SCÈNE XIII. Théodore, Dubois. §
DUBOIS.
Voici le papa Vincent et sa fille.
SCÈNE XIV. Les Précédents, Vincent, Rosette. §
THÉODORE, à Vincent.
Que je vous sais bon gré d’être revenu ! Vous étiez attendu avec la plus vive impatience : mais vous m’aviez donné votre parole.
VINCENT.
Et je la tiens toujours. Je ne sais pas comme ce misérable Dumont, qui voulait épouser ma fille... Je sors de chez lui... Je suis d’une colère...
THÉODORE, à part.
Mon stratagême a réussi.
ROSETTE, finement, regardant Théodore.
On nous avait gagnés de vitesse.
VINCENT.
A-t-on jamais vu une pareille conduite ?
Ainsi, il ne sera jamais mon gendre : c’est un parti pris.
ROSETTE.
Mon père ! Que vous me rendez contente !
THÉODORE.
Je puis donc me flatter...
VINCENT.
Que voulez-vous dire ?
THÉODORE.
Que vous m’accepterez pour gendre, et que vous daignerez habiter cet appartement, avec ceux que vous aurez rendus si heureux.
VINCENT.
Nous verrons cela. Je réfléchirai... Je chercherai à savoir si vous êtes aimé de ma fille.
ROSETTE.
Mon père, si vous voulez j’abrégerai vos recherches.
VINCENT.
Eh bien, tant mieux. Dans quelque temps...
ROSETTE.
Dans quelque temps ?
DUBOIS.
Faut-il aller chercher le notaire ?
THÉODORE.
Qui vient encore nous troubler ?
SCÈNE XV. Les Précédents, Un Perruquier Gascon. §
LE GASCON.
Serbitur à touté la compagnie. Qui est lé maître dé cette maison.
DUBOIS, montrant Théodore.
Le voici ; mais que voulez-vous ?
LE GASCON.
Cé qué jé vux, sandis ! Velle démande ! N’é-jé pas lu sur la porte un pétit couplét annonçant un appartément à louer ?... Il a piqué ma curiosité, et jé vux lé louer.
VINCENT.
Sérieusement ?
LE GASCON.
Eh donc ! Jé vous en paie lé prix, et m’installe dans ma noubelle démure.
THÉODORE.
Je suis bien fâché de vous refuser ; mais cet appartement...
LE GASCON.
Sandis! Jé lé prends. Il mé convient. Voilà ma chambre à coucher, mon sallon dé compagnie.
THÉODORE.
Cependant...
VINCENT, à Théodore.
Amusons-nous en un moment.
LE GASCON.
Est-cé dé l’argent qu’il bous saut ? Je vous en vaillerai d’abance. Boulez-bous dé l’on, des écus, des villets de la casse des comptes courants ?... Tout céla jé m’en vast l’œil.
THÉODORE, souriant.
Je n’ai plus rien à dire.
LE GASCON.
Cadédis ! Bous né mé connoissez pas. Refuser un homme dé mon importance ! Sabez bous qui jé suis ?
VINCENT.
Perruquier.
LE GASCON.
Coifur, s’il bous plait. Coifur... Mais jé bais lâcher lé métier.
THÉODORE.
Pourquoi ?
LE GASCON.
Il n’y a plus rien à faire.
DUBOIS.
Vous m’avez l’air d’un fin matois, et je suis sûr que vous connaissez bien votre monde.
LE GASCON.
Cap dé bious ! Si je le connois ! Jé puis, sans mé vanter, assurer qué personne n’a plus dé perspicacité qué moi. Au prémier coup-d’œil, jé débiné un particulier... J’ai lé tact : on se cacherait en bain de moi.
THÉODORE.
C’est assez difficile. Vous avez une pénétration incroyable.
LE GASCON.
Pénétration; c’est lé mot. Jé sais cé qué l’on pense, cé qué l’on est, cé qué l’on a été, et souvent, cé qué l’on séra. Jé connais la fortune dé chaqué particulier.
VINCENT.
Pourriez-vous nous dire quelle est la vôtre ?
LE GASCON.
Rivés dé la Garonne ! Elle est si étendue qué jé né la connais pas.
VINCENT.
En ce cas, on ne peut vous louer cet appartement.
THÉODORE.
Oui ; j’avoue qu’il est cher, et le prix...
LE GASCON.
Fi donc, le prix !... Jamais jé né m’informe du prix. La velle vagatelle, pour mé rompre la tâte ! J’ai un magasin considéravle dé perruques, dé faux toupets, dé chignons, dé quoi achéter votré maison, et quatré autres abec.
THÉODORE.
Mais si cet appartement était loué ?
LE GASCON.
Impoussivle.
THÉODORE.
C’est cepeudant la vérité, et vous me ferez plaisir...
LE GASCON.
Bous n’abez pas ôté l’écriteau... Partant, il est à louer, et jé l’aurai.
THÉODORE.
Mais...
LE GASCON.
Bous n’abez pas ôté l’écriteau.
DUBOIS, bas, à Théodore.
Vous ne risquez rien... Je gage qu’il n’a pas un sou.
THÉODORE.
Allons ; je me rends... Ainsi donnez-moi des arrhes.
LE GASCON.
Comment des arrhes !
VINCENT.
Oui, le denier-à-dieu.
LE GASCON.
Cadédis ! C’est vous qui débez m’eu donner.
THÉODORE.
C’est un peu fort.
LE GASCON.
Allons, trèbe dé plaisantéries.
ROSETTE.
On ne plaisante pas.
LE GASCON.
Bous boulez rire ? Est-ce qu’à Vordeaux, quand jé loue un appartement ou une boiture, cé n’est pas lé propriétaire ou lé boiturier, qui mé donne les arrhes ? démandez plutôt.
C’est pour céla qué jé suis monté.
VINCENT.
Il est jovial.
LE GASCON, à part.
Comment faire, jé n’ai pas lé sou.
Mais, s’il né tient qu’à céla, jé né disputérai pas... Jé bais bous payer.... Qu’ést-cé qu’il bous saut ?.... Non, dités-lé moi franchément...
Aih ! Moun Diou ! Qu’es à co ? Lé Diable mé rétape, j’ai ouvlié ma vourse...
Faités-moi lé plaisir dé mé prêter un écu dé six francs, pour lui donner lé dénier-à-dieu.
VINCENT.
La demande est un peu leste.
LE GASCON.
Jé né mé gêne jamais abec mes amis.
VINCENT.
J’en suis fâché ; mais je n’ai rien à vous prêter.
LE GASCON.
Allons ; jé bois vien qué bous né boulez pas mé louer l’appartément, jé mé rétire; et, comme jé n’ai pas dé rancune, jé bous offre mon pétit ministère, s’il faut à madémoiselle un chignon à la grecque, uné perruque à la Titus, un flacon d’excellente huile antique qué j’ai fabriquée cé matin, bous poubez bous adresser à Chrisostôme Poudrac, au coin dé la rue Bide-Gousset.
ROSETTE.
Vous faites donc des perruques ?
LE GASCON.
Si j’en fais !... J’en sais à chacun sélon son goût, son état, son caractère et ses moyens, et jé bends.....
Adioussias.
SCÈNE XVI. Vincent, Rosette, Théodore, Dubois. §
VINCENT.
Nous voici débarrassés de cet importun.... Dubois, pour ne plus craindre de fâcheux, tu vas détacher l’écriteau... C’est moi qui loue l’appartement.
THÉODORE.
Que de bonté !
VINCENT.
Mes enfants, nous y vivrons tous trois en famille... Théodore, je vous accepte pour gendre, et je crois que Rosette n’aura jamais à se repentir de son choix.
THÉODORE.
Je m’efforcerai toujours de le justifier.
DUBOIS.
Me chargerez-vous encore de recevoir les visites ?
THÉODORE.
Oui, les visites de nôces.
VAUDEVILLE. §
VINCENT.
THÉODORE, à Vincent.
VINCENT.
ROSETTE, au public.