Le théâtre représente un salon dont les portes sont ouvertes et laissent voir, dans le fond, une superbe galerie préparée pour une fête.
SCÈNE PREMIÈRE. I. Lisbeth, Fridric. §
Lisbeth est occupée à garnir les bougies que Fridric place dans les girandolles qui sont sur le table.
LISBETH.
Allons, allons ; le temps s’avance.
FRIDRIC.
Je ne m’amuse pas ; et vous pouvez le voir.
LISBETH.
Quel tracas nous auront ce soir !
FRIDRIC, gaîment.
Mais aussi, nous ferons bombance.
LISBETH.
5 C’est la ton seul plaisir.
FRIDRIC.
C’est la ton seul plaisir. Dam ! Chacun a son goût.
LISBETH.
Pourquoi faire cette dépense ?
À quelle occasion ?
FRIDRIC.
À quelle occasion ? Je n’en sais rien du tout.
LISBETH.
Mais par quelle raison éloigner tout-à-coup
Et sa fille et ton secrétaire ?
FRIDRIC, quittant l’ouvrage.
10 Mamsel’ Lisbeth ? Je crois que son notaire
Est mieux instruit que nous.
LISBETH, avec cruiosité.
Est mieux instruit que nous. Sur quoi le penses-tu ?
FRIDRIC.
Depuis une heure au moins, il est seul avec elle.
LISBETH.
Et tu conclus de là ?
FRIDRIC.
Et tu conclus de là ? Pardi ! Qu’il est venu
Pour marier Mademoiselle.
LISBETH.
15 Extravagant !
FRIDRIC.
Extravagant ! Celui qui gagerait
Qu’on donne ce festin pour la noce....
LISBETH.
Qu’on donne ce festin pour la noce.... Perdrait.
FRIDRIC, vivement.
Hé ! Pourquoi donc inviter sa famille?
LISBETH, le contrefaisant.
Hé ! Pourquoi donc faire partir sa fille ?
Hein ?
FRIDRIC.
Hein ? Pour la faire revenir.
20 Avec son futur.
LISBETH.
Avec son futur. Qu’il est bête !
FRIDRIC.
Vous m’en direz deux mots ce soir après la fête.
LISBETH.
Et quel est ce futur ?
FRIDRIC.
Et quel est ce futur ? Dam ! Je ne la sais pas.
Mais, qu’importe ? En Hollande on n’y regarde guerre,
Et la qualité qu’on préfère
25 Dans un mari, c’est beaucoup de ducas.
LISBETH, avec chaleur.
Ah ! Tu ne connais pas Madame !
C’est bien le meilleur coeur ! C’est bien la plus belle âme !
Elle sait réunir la gaîté des Français
À la candeur des Hollandais.
30 Bonne amie, excellente mère ;
À son coeur sa fille est trop chère
Pour la sacrifier à de vils intérêts.
Et comme la petite est naïve et sincère,
Si quelqu’un avait su lui plaire,
35 Certainement je le saurais.
Et je n’ai jamais vu...
FRIDRIC.
Et je n’ai jamais vu... Vous ne voyez donc guère.
LISBETH.
Hem ? Qu’entends-tu par là ?
FRIDRIC.
Hem ? Qu’entends-tu par là ? Qu’à ce pauvre Mirval.
Ce mariage là va faire bien du mal.
LISBETH.
Ah ! Vraiment l’idée est nouvelle !
40 Un Secrétaire !
FRIDRIC.
Un Secrétaire ! C’est égal !
LISBETH.
Il est instituteur de notre Demoiselle ;
Et tu fais tort à ce jeune Français ;
Il pense avec délicatesse;
Il est honnête, et modeste a l’excès.
45 Dans ses leçons, il donne à ma maîtresse
Les préceptes de la sagesse,
Et ne s’en écarte jamais.
FRIDRIC.
J’ai de bons yeux.
LISBETH.
J’ai de bons yeux. Vas, tu t’abuses.
FRIDRIC.
En fait d’amour, les filles ont des ruses !
LISBETH.
50 Mais, tu sais qu’aux leçons j’assistais tous les jours.
Les moments s’écoulaient...
FRIDRIC.
Les moments s’écoulaient... Et leur semblaient trop courts.
LISBETH.
Mirval est fort exact.
FRIDRIC.
Mirval est fort exact. Jamais elle ne tarde.
LISBETH.
Elle lui parle peu.
FRIDRIC.
Elle lui parle peu. Mais elle le regarde.
LISBETH.
Ils ne se cherchent point.
FRIDRIC.
Ils ne se cherchent point. Ils se trouvent toujours.
LISBETH.
55 Adélaïde, simple et sans expérience,
Ne m’a jamais caché ce qu’elle pense.
Gouvernante de la maison
J’ai su l’élever sur ce ton :
Et je ne pense pas qu’elle change de note.
60 Mon cher Fridric, regarde-moi ;
Et lu verras si j’ai l’air d’une sotte.
FRIDRIC.
Lorsque l’on voit un couple adolescent
Se sourire en sa regardant,
On dit... C’est un enfantillage ;
65 Mais lorsqu’en rencontrant leurs yeux,
Ils sont tout-a-coup si honteux
Qu’un grand feu leur monte au visage.
Alors, bien fermement je crois
Qu’ils ont tous deux l’autour en tête.
70 Mamsel Lisbeth, regardez-moi,
Et vous verrez si j’ai l’air d’une bête.
LISBETH.
En tout cas, cet amour serait bien malheureux.
FRIDRIC.
Bon ! En les mariant tout deux,
Cela s’arrangerait.
LISBETH.
Cela s’arrangerait. Ô la belle chimère !
FRIDRIC.
75 Et pourquoi donc ?
LISBETH.
Et pourquoi donc ? Je sais que ce jeune étranger
A sauvé du plus grand danger
Ma jeune maîtresse et sa mère.
Mais il en est, je crois, assez récompensé.
FRIDRIC.
On peut récompenser de plus d’une manière.
LISBETH.
80 Celle-ci serait singulière :
Nourri, logé, vêtu, prévenu, caressé ;
Il a, de la maison, la confiance entière.
Mais, si Madame a pu s’apercevoir
Qu’il en conte à ton écolière,
85 Nous pouvons nous attendre à ne plus le revoir.
FRIDRIC.
Ce serait bien fâcheux !
LISBETH.
Ce serait bien fâcheux ! Oui, tout le monde l’aime ;
C’est le meilleur garçon.
FRIDRIC.
C’est le meilleur garçon. Hé ! Le voici lui-même.
SCÈNE III. Lisbeth, Mirval. §
MIRVAL.
95 Lisbeth, pourquoi ces apprêts ?
LISBETH.
Ne m’interrogez point là-dessus, je vous prie.
LISBETH.
D’où vient ? Soit par caprice ou par bizarrerie,
Ma maîtresse, de ses projets,
Ne m’a pas dit un mot.
MIRVAL.
Ne m’a pas dit un mot. Quelle plaisanterie !
LISBETH.
100 Je ne plaisante pas du tout : depuis longtemps,
Rendant justice à ma prudence,
Elle me faisait confidence
Des secrets les plus important.
Hé bien, dans cette circonstance,
105 Soit Caprice, soit méfiance,
Sans prendre mon avis elle a tout ordonné.
Et vous serez plus étonné
Quand vous saurez que sa fille chérie
Ne sait pas un mot de ceci.
MIRVAL.
110 Mais, comment se peut-il ?
LISBETH.
Mais, comment se peut-il ? Comment ? Elle est partie
Peu de jours après vous.
MIRVAL, très inquiet.
Peu de jours après vous. Elle n’est point ici ?
LISBETH.
Non : c’est une cachotterie !...
MIRVAL, tirant une lettre.
Sa mère m’avait fait partir
Pour terminer d’importantes affaires,
115 Sans m’avoir fait passer les papiers nécessaires.
Elle m’écrit de revenir,
Et son ordre est précis.
LISBETH, la regardant.
Et son ordre est précis. Voulez-vous bien permettre ?
Elle lit.
« Mirval, au reçu de ma lettre,
Vous partirez sans perdre un seul instant ;
120 ...............................
Abandonnez toute autre affaire.
Je suis, etc. » ; et toujours du mystère ;
Sur mon honneur, c’est révoltant.
MIRVAL, serrant ta lettre.
Vous connaissez votre maîtresse;
125 Elle a trop de bon sens ; elle a trop de sagesse
Pour n’avoir pas un motif important.
LISBETH, avec malice.
On croit qu’en rassemblant aujourd’hui sa famille,
Elle a dessein...
Elle cherche à lire dans ses yeux.
MIRVAL.
Elle a dessein... De quoi ?
LISBETH, de même.
Elle a dessein... De quoi ? De marier sa fille.
À part.
Il a pâli : son amour est réel.
MIRVAL, à part.
130 Cachons mon déplaisir mortel.
Haut.
Puis-je entrer ?
LISBETH.
Puis-je entrer ? Non, elle est chez elle.
Mais ton Notaire est avec elle.
MIRVAL.
À part.
Ciel !
Haut.
Ciel ! Je ne puis donc lui parler ?
LISBETH.
Je ne sais pas si la chose est possible,
135 Car elle a défendu qu’on aille la troubler ;
Mais peut-être pour vous elle sera visible.
J’y vais.
À part.
J’y vais. Pauvre garçon !
Elle sort.
SCÈNE X. Madame Wanderk, Mirval. §
MIRVAL.
Je me rends à votre ordre.
MADAME WANDERK , d’un air ouvert.
Je me rends à votre ordre. Ah ! Vous voilà Mirval ?
Tant mieux ; vous m’étes nécessaire
Pour faire les honneurs du bal.
MIRVAL.
255 Comment ! Vous donnez une fête ?
MADAME WANDERK, gaiement.
Oui, mon bon ami.
MIRVAL.
Oui, mon bon ami. Quand ?
MADAME WANDERK.
Oui, mon bon ami. Quand ? Ce soir :
J’ai su tout régler ; tout prévoir;
Vous verrez si j’ai de la tête.
À se bien divertir ici chacun s’apprête :
260 J’en donnerai l’exemple ; et vous allez me voir
D’une gaîté ! D’une folie !
Je ne veux pas sitôt renoncer au plaisir :
Plus on voit approcher le terme de la vie,
Et plus on doit se hâter d’en jouir.
265 Avec l’ennui j’ai fait divorce :
Je deviendrais laide demain,
Sans en avoir le plus léger chagrin.
Hé ! Que me fait à moi l’écorce,
Tant que le fond sera bien sain.
270 Le temps pourra m’ôter ma force,
Courber mon corps ; rider mes traita,
Mais mou humeur ne changera jamais.
Les petits jeux sont pour l’enfance ;
Dans l’âge mûr il faut de la raison ;
275 Mais la gaîté naïve et pure
Est un présent de la nature
Qui convient à chaque saison.
MIRVAL.
Cet aimable enjouement qui vous caractérise...
MADAME WANDERK.
Est le garant de ma franchise,
280 Jusqu’au fond de mon coeur il est aisé de voir.
MIRVAL, avec curiosité.
Mais pourquoi donnez-vous cette fête ce soir ?
À quelle occasion ?
MADAME WANDERK, d’un ton sérieux.
À quelle occasion ? Doucement, je vous prie,
Mirval ? C’est mon secret que vous voulez savoir.
MIRVAL.
Je n’ai pas prétendu.
MADAME WANDERK, reprenant l’air gai.
Je n’ai pas prétendu. Gardons chacun les nôtres.
285 Vous ne m’avez jamais communiqué les vôtres.
MIRVAL.
Ah ! Madame ! Croyez...
MADAME WANDERK, gaiement.
Ah ! Madame ! Croyez... Je ne vous blâme en rien.
Chacun peut à son gré disposer de son bien,
Sans que personne s’en offense :
Je ne prétend point arracher
290 Le secret qu’on veut me cacher.
Mais celui qui croit par prudence
Devoir me déguiser les siens,
Ne doit jamais prétendre à connaître les miens :
Méfiance pour méfiance.
MIRVAL.
295 En me comblant de vos bienfaits,
M’avez-vous, une fois, demandé mes secrets ?
MADAME WANDERK, sérieusement.
On peut avec reconnaissance
Recevoir une confidence ;
Mais on te l’exige jamais.
MIRVAL.
300 Sans vouloir vous tromper j’ai gardé le silence.
Mon père, intéressé dans un commerce immense,
Vit tout-à-coup change son sort.
Un revers accablant engloutit sa fortune :
La vie alors lui devint importune ;
305 Il oublia son fils, et se donna la mort.
Resté sans appui sur la terre ;
Redoutant le mépris qui s’attache au malheur,
Je vins ici cacher ma honte et ma misère.
Vous avez de mon sort, adouci la rigueur ;
310 Et je dois tout à votre bienfaisance.
MADAME WANDERK, avec sentiment.
Dites plutôt, mon cher, et ma reconnaissance.
En riant.
Mais je savais déjà cela.
MIRVAL, étonné.
Mais je savais déjà cela. Vous le saviez ?
MADAME WANDERK.
Sans doute, et vous voyez par là
À quoi peut servir le mystère.
315 Avec ses vrais amis il faut être sincère.
MIRVAL, embarrassé.
Vous savez mes secret...
MADAME WANDERK.
Vous savez mes secret... Bien vrai ?
MIRVAL.
Vous savez mes secret... Bien vrai ? Je n’en ai plus...
MADAME WANDERK, mettant le doigt sur le coeur de Mirval.
Cherchez là
MIRVAL, troublé.
Cherchez là Madame, ils vous sont tous connus.
MADAME WANDERK, en souriant.
Tous, c’est un peu fort.
MIRVAL, interdit.
Tous, c’est un peu fort. Je vous jure...
MADAME WANDERK, vivement et sérieusement.
Tous, c’est un peu fort. Je vous jure... Ne jurez pas.
MIRVAL, interdit.
Mais...
MADAME WANDERK.
Mais... Gardez-vous-en bien.
320 Je plains la méfiance et je hais l’imposture.
À qui veut m’offenser, je pardonne une injure ;
À qui veut me tromper, je ne pardonne rien.
MIRVAL, à part.
De ce qu’elle me dit que faut-il que j’augure ?
À Madame Wanderk.
La crainte quelquefois...
MADAME WANDERK.
La crainte quelquefois... On peut se méfier,
325 De celui que la crainte arrête :
Tout sentiment a cessé d’être honnête
Dès qu’on rougit de l’avouer.
MIRVAL, à part.
Ah ! Mon coeur s’ouvre à l’espérance.
À Madame Wanderk.
Souvent la crainte d’offenser...
MADAME WANDERK, vivement.
330 Jamais la franchise n’offense :
Mais la réservé peut blesser ;
Entre de vrais amis la sotte défiance
Est ridicule et fait pitié :
L’attachement sans confiance
335 N’est que l’ombre de l’amitié.
SCÈNE XI. Mirval, Madame Wanderk, Adélaïde. §
ADÉLAÏDE, sans voir Mirval, examinant avec étonnement les guirlandes, les lustres, etc.
Ô comme c’est joli !
Elle voit sa mère, et court se jeter dans ses bras.
Ô comme c’est joli ! Maman que je t’embrasse.
Elle se trouve au milieu et tourne le dos à Mirval.
MADAME WANDERK, la caressant.
Viens, mon enfant.
ADÉLAÏDE.
Viens, mon enfant. J’étais bien lasse
De ton absence... Mais pourquoi
Me laisser huit jours loin de toi ?
MADAME WANDERK.
340 Tu le sauras dans peu.
ADÉLAÏDE.
Tu le sauras dans peu. Qu’est-ce donc qui se passe ?
Pourquoi l’appartement est-il orné partout ?
MADAME WANDERK.
Trouves-tu cela de ton goût ?
ADÉLAÏDE.
C’est charmant ; mais pourquoi ces apprêts ?
MADAME WANDERK.
C’est charmant ; mais pourquoi ces apprêts ? Patience,
Tu seras instruite ce soir.
ADÉLAÏDE.
345 Ce soir ? Oh ! C’est trop long ! Je voudrais tout savoir
À l’instant même.
MADAME WANDERK.
À l’instant même. Ah ! Quelle pétulance !
Plutôt, plus tard ; c’est bien égal.
ADÉLAÏDE tourne la tête, voit Mirval, et jette un petit cri de joie.
Ah ?
MADAME WANDERK.
Ah ? Comment ? Qu’as-tu donc ?
ADÉLAÏDE.
Ah ? Comment ? Qu’as-tu donc ? Mirval.
Je ne vous voyais pas.
Pendant cette seine, Adélaïde se tourne du côté de Mirval, et sa mère la retourne vis-à-vis d’elle.
MADAME WANDERK.
Je ne vous voyais pas. Si pour te satisfaire
350 Il faut absolument t’apprendre ce mystère,
Je vais te contenter.
ADÉLAÏDE, à Mirval,
Je vais te contenter. C’est mal.
D’abandonner votre écolière.
MADAME WANDERK.
J’étais... Tu vas savoir des détails importants
Que, malgré moi, j’ai dû te taire.
ADÉLAÏDE à Mirval.
355 J’ai perdu mes leçons...
MIRVAL.
J’ai perdu mes leçons... Pendant dix jours.
ADÉLAÏDE.
J’ai perdu mes leçons... Pendant dix jours. Le temps
M’a paru bien plus long.
MADAME WANDERK.
M’a paru bien plus long. J’espère
Que tu m’écouteras.
ADÉLAÏDE.
Que tu m’écouteras. C’est que je m’ennuyais !
Mais où donc étiez-vous ?
MIRVAL.
Mais où donc étiez-vous ? J’étais à votre terre.
ADÉLAÏDE.
Pardi, c’était bien nécessaire.
360 Il fallait venir où j’étais.
MIRVAL.
J’obéissais à votre mère.
ADÉLAÏDE.
Et moi je n’ai pu travailler
Pendant ces dix grands jours !
MADAME WANDERK, se plaçant entre eux.
Pendant ces dix grands jours ! Elle mourait d’envie
De savoir mon secret.... Hé bien ? Elle l’oublie :
365 Quand il s’agit de babiller,
Quelle tête folle et légère !
ADÉLAÏDE.
Quand mon maître est absent, je ne puis plus rien faire.
MADAME WANDERK.
Hé bien, le voilà de retour.
ADÉLAÏDE.
Depuis que j’ai pris l’habitude
370 De prendre leçon chaque jour ;
Vous n’imaginez pas combien j’aime... l’étude.
MADAME WANDERK.
Mais mon enfant, ce que lu sait déjà,
Quelques leçons de moins ne peuvent le détruire.
ADÉLAÏDE.
Oh ! C’est égal : j’aime à m’instruire.
MADAME WANDERK, avec malice.
375 Hé ! Laisse faire, il t’instruira.
À Mirval.
Dans votre chambre allez m’attendre.
Mon cher Mirval, je veux publiquement
Vous donner aujourd’hui la marque la plus tendre
De mon sincère attachement.
380 Allez.
MIRVAL, à part.
Allez. À peine je respire.
MADAME WANDERK, à sa fille.
Toi, j’ai quelque chose à te dire
Qui t’intéresse vivement.
À Mirval.
Allez, mon franc ami.
Mirval s’éloigne lentement en regardant attentivement Adélaïde et sa mère ; Madame Wanderk les observe.
ADÉLAÏDE, voyant sa mère rire sous cape.
Qu’a-t-elle donc à rire ?
MADAME WANDERK, à part.
385 Leur embarras m’amuse infiniment.
SCÈNE XII. Madame Wanderk, Adélaïde. §
MADAME WANDERK.
Pourras-tu m’écouter à présent ?
ADÉLAÏDE.
Pourras-tu m’écouter à présent ? Oui, ma mère.
MADAME WANDERK, à sa fille.
Sais-tu ma fille à quel point tu m’es chère ?
ADÉLAÏDE, aire tendre tu.
Maman ? Mets la main sur mon coeur,
Il te répondra.
MADAME WANDERK.
Il te répondra. Ton bonheur
390 Tient trop au mien pour que je le diffère ;
C’est mon plus doux plaisir, c’est ma plus grande affaire ;
Et lui seul peut combler mes voeux.
ADÉLAÏDE.
Ô ma bonne maman !
MADAME WANDERK.
Ô ma bonne maman ! J’ai mandé mou notaire,
Et j’attends nos parents, nos amis.
ADÉLAÏDE.
Et j’attends nos parents, nos amis. Pourquoi faire ?
MADAME WANDERK.
395 Pour t’assurer le sort le plus heureux.
ADÉLAÏDE.
Tout cela n’est pas nécessaire :
Pour être heureux avec ma mère,
Je n’ai jamais eu besoin d’eux.
MADAME WANDERK, en confidence.
Tu vas changer d’état.
ADÉLAÏDE.
Tu vas changer d’état. Comment ?
MADAME WANDERK, gaiement.
Tu vas changer d’état. Comment ? Je te marie.
ADÉLAÏDE.
400 Ne badine pas, je t’en prie,
À part.
Le coeur me bât terriblement.
MADAME WANDERK.
Et j’ai voulu, ma bonne amie,
Te surprendre agréablement.
ADÉLAÏDE, à part.
Ah ! Si c’était ce que je pense !
MADAME WANDERK.
405 Depuis longtemps avec prudence
J’étudiais les goûts afin de les saisir...
ADÉLAÏDE, à part.
Elle a lu dans mon coeur.
MADAME WANDERK.
Elle a lu dans mon coeur. Ma tendre complaisance
N’a consulté dans cette circonstance
Que ce qui peut contenter ton désir.
ADÉLAÏDE.
410 Ô combien je dois vous chérir !
MADAME WANDERK.
J’ai sondé les replis de ton âme ingénue :
Quand je me suis bien convaincue
Que ton coeur était libre...
Adélaïde, qui écoutait avec joie, change de visage tout-à-coup. Madame Wanderk qui saisit tout ses mouvements, continue gaiement.
Que ton coeur était libre... ... Et que tu n’aimais rien.
Que la parure et la magnificence...
ADÉLAÏDE.
415 Moi, ma mère ?
MADAME WANDERK, lui souriant.
Moi, ma mère ? Tu vois que je te connaît bien.
MADAME WANDERK, l’interrompant.
Mais... Il fallait en conséquence
Te ménager ure riche alliance,
Et c’est à quoi je viens de travailler.
ADÉLAÏDE, très inquiète.
Vous avez, dites-vous ?...
MADAME WANDERK, gaîment.
Vous avez, dites-vous ?... Hé ! Oui, tu vas briller !
420 Tu vas nager dans l’opulence !
De la félicité mon coeur jouit d’avance.
ADÉLAÏDE, les larmes aux yeux.
Écoutez-moi.
MADAME WANDERK, voulant s’en aller.
Écoutez-moi. C’en est assez.
ADÉLAÏDE, en pleurs.
À vos pieds...
MADAME WANDERK.
À vos pieds... Lève toi, ma fille,
Quand sur ton front le plaisir brille,
425 Mes soins sont trop récompensés.
MADAME WANDERK.
Quoi ?... Dans tes yeux ton coeur se déploie.
ADÉLAÏDE.
Mais, regardez-les donc.
MADAME WANDERK.
Mais, regardez-les donc. Que ces larmes de joie
Me payent bien...
ADÉLAÏDE.
Me payent bien... Écoutez.
MADAME WANDERK.
Me payent bien... Écoutez. Non :
Ma chère enfant, je te dispense ;
430 De ces remerciements qui sont hors de saison.
ADÉLAÏDE.
Si vous vouliez m’entendre !
MADAME WANDERK.
Si vous vouliez m’entendre ! Eh ! Mais je sais d’avance
Ce que tu me dirais.
ADÉLAÏDE.
Ce que tu me dirais. Mon coeur...
MADAME WANDERK.
Ce que tu me dirais. Mon coeur... C’est bon ! C’est bon.
Adélaïde reste absorbée : Madame Wanderk prête à rentrer, jette un coup d’oeil, et à toutes les peines du monde à s’empêcher de rire.
SCÈNE XV. Les mêmes, Fridric. §
FRIDRIC, accourant en sautant dans un joie folle.
Vivat, vivat ! Grande nouvelle !
ADÉLAÏDE.
485 Qu’est-ce que c’est ?
FRIDRIC.
Qu’est-ce que c’est ? Je l’ai dit ce matin,
« Il faut que le fait soit certain,
Puisque l’on donne une veillée ».
J’ai de l’esprit comme un lutin !
Vous allez être émerveillée !
ADÉLAÏDE.
490 Et de quoi donc ?
FRIDRIC.
Et de quoi donc ? Quand vous verrez cela !
Ceci par ci, cela par là !
Il faudra que chacun admire ;
Et puis ensemble on s’écriera...
« La bonne maman que voilà ! »
495 Et puis au bal comme on va rire !
Et walz, et walz : et houp ça ça.
Il saute comme s’il dansait une valse.
MIRVAL.
Du sujet de ta joie il faudrait nous instruire.
ADÉLAÏDE.
Mais sans doute.
FRIDRIC.
Mais sans doute. Je le veux bien.
Il les mène au-devant du théâtre et leur dit en confidence.
Votre mère m’a dit, mais sans m’expliquer rien,
500 Vas porter promptement ces papiers, cette lettre.
ADÉLAÏDE, avec impatiente.
À qui ?
FRIDRIC.
À qui ? Voulez-vous bien permettre ?
Je vous expliquerai le fait de bout en bout.
J’ai porté les papiers... ensuite
Chez l’autre j’ai couru bien vite :
505 Mais quand je me suis trouvé là,
Ah ! Bon dieu !
ADÉLAÏDE.
Ah ! Bon dieu ! Quoi donc ?
FRIDRIC.
Ah ! Bon dieu ! Quoi donc ? De ma vie.
Je n’ai rien vu comme cela !
Et vous en serez éblouie :
Oh ! Vous pouvez vous en fier à moi :
510 C’est superbe !
ADÉLAÏDE, impatientée.
C’est superbe ! Superbe ! Quoi ?
FRIDRIC.
Un petit moment, je vous prie.
Il m’a tout étalé pour me faire tout voir.
FRIDRIC.
Quoi donc ? Vous voulez le savoir ?
ADÉLAÏDE.
Eh ! Sûrement ; j’en meurs d’envie.
FRIDRIC.
515 Pendant que j’admirais cela
Il a relu la lettre.
MIRVAL.
Il a relu la lettre. Eh ! bien ?
FRIDRIC.
Il a relu la lettre. Eh ! bien ? Je vous annonce...
ADÉLAÏDE, impatientée.
Après ?
FRIDRIC, en confidence.
Après ? Que je m’en vais en porter la réponse :
Il sort en dansant.
Hé wals, hé wals, hé houp ça, ça !
SCÈNE XVI. Adélaïde, Mirval. §
ADÉLAÏDE.
Il est devenu fou.
MIRVAL.
Il est devenu fou. Qu’annonce ce mystère ?
ADÉLAÏDE.
520 En vérité, je n’en sais rien.
Mais vous, Mirval, serez-vous plus sincère ?
ADÉLAÏDE.
N’en doutez pas. Sur quoi roulait votre entretien
Quand je vous ai trouvé tantôt avec ma mère ?
MIRVAL.
Nous parlions de sincérité ;
525 Pour elle cette qualité
À plus d’une autre est préférable.
ADÉLAÏDE, vivement.
Elle a raison, rien n’est plus agréable !
MIRVAL.
Elle ajoutait avec bonté :
« Jamais un coeur pur ne déguise
530 Les accents de la vérité. »
ADÉLAÏDE, avec un sourire ingénu.
Mirval ? De ces leçons avez-vous profité ?
ADÉLAÏDE, avec effusion.
Sans doute. Hé bien, parlons avec franchise.
Voyons ; expliquons-nous.
MIRVAL, avec embarras.
Voyons ; expliquons-nous. Nous expliquer ? Sur quoi ?
ADÉLAÏDE, avec dépit.
Vous m’impatientez.
MIRVAL, à part.
Vous m’impatientez. Ô devoir trop sévère.
ADÉLAÏDE, d’un air piqué.
535 Hé bien, Mirval, conseillez moi.
D’abord ; apprenez que ma mère
Veut me marier dès ce soir.
MIRVAL, affectant un air froid.
Je m’en doutais.
ADÉLAÏDE, ironiquement.
Je m’en doutais. Fort bien.... Elle ne fait pas voir
Ce beau mari !
MIRVAL.
Ce beau mari ! Sur sa sagesse
540 Vous devez fonder votre espoir :
Vous connaissez pour vous jusqu’où va ta tendresse,
Et vous savez votre devoir.
ADÉLAÏDE.
Et si cet homme est haïssable.
MIRVAL.
Votre mère est trop raisonnable
545 Pour avoir fait un choix dont elle pût rougir.
Ah ! Croyez que l’époux qu’elle a sua vous choisir...
ADÉLAÏDE, avec véhémente.
Mais quand il serait adorable,
Si je ne puis pas le souffrir ?
Que dois-je faire alors ?
MIRVAL.
Que dois-je faire alors ? Agir
550 Comme une fille raisonnable,
Qui craignant d’affliger sa mère respectable,
A le courage d’obéir.
ADÉLAÏDE, allant tejetter sur une tuaist*
Oh ! Vous êtes insupportable !
MIRVAL.
Ne vous mettez pas en courroux.
ADÉLAÏDE, se levant vivement.
555 Quel raisonnement est le vôtre !
Eh ! Comment voulez-vous que j’en épouse un autre,
Lorsque mon coeur est tout à vous ?
MIRVAL, hors de lui.
Quoi ! Vous m’aimez !
ADÉLAÏDE.
Quoi ! Vous m’aimez ! Allons, feignez de la surprise.
Hum ! Vous le saviez bien !
MIRVAL.
Hum ! Vous le saviez bien ! Jamais...
ADÉLAÏDE.
Hum ! Vous le saviez bien ! Jamais... Qu’il est menteur !
MIRVAL.
560 Ah ! Pour connaître mon bonheur...
ADÉLAÏDE.
Il fallait que je vous le dise ?
Eh bien ! Vous devez le savoir,
Je vous l’ai dit.
MIRVAL.
Je vous l’ai dit. Adélaïde,
Je serais un ingrat : je serais un perfide
565 Si je vous laissais entrevoir
La plus faible lueur d’espoir.
ADÉLAÏDE.
Pourquoi donc ? Ma mère vous aime,
Tantôt encor, comme elle m’assurait
Avec une tendresse extrême,
570 Que mon bonheur seul l’occupait.
J’ai cru que c’était vous qu’elle me destinait.
MIRVAL.
Eh mais ! la chose est impossible !
Sans état ; sans appui ; moi qui n’ai pour tout bien
Qu’une âme tendre, un coeur sensible...
ADÉLAÏDE, souríant.
575 Et vous comptez cela pour rien ?
MIRVAL.
Étouffez un penchant que votre mère ignore,
Et que vous ne devez jamais lui révéler.
ADÉLAÏDE, vivement.
Vous ne m’aimez donc pas ?
MIRVAL, tombant à ses pieds.
Qui, moi ? Je vous adore.
SCÈNE XVII. Adélaïde, au devant de la scène, Mirval à ses pieds ; Madame Wanderk, entrouvrant doucement la porte du fond. §
ADÉLAÏDE, avec joie.
580 Ah ! Cela s’appelle parler.
MIRVAL, se relevant.
Juste ciel ! Quel est mon délire ?
J’oublie, en osant vous le dire,
La reconnaissance et l’honneur.
Madame Wanberk se retire et ferme doucement la porte.
ADÉLAÏDE.
585 Hé non ! Vous êtes dans l’erreur.
MIRVAL.
Ah ! Loin d’encourager ma criminelle ardeur,
Condamnez moi vous-même au plus cruel martyre :
Défendez-moi de vous offrir mon coeur.
ADÉLAÏDE, arec un aimable sourire.
Eh ! Défend-on ce qu’on désire ?
MIRVAL, se remettant à genoux.
590 Adélaïde !
ADÉLAÏDE, tendrement.
Adélaïde ! Hé bien ?
MIRVAL.
Adélaïde ! Hé bien ? Vous nous perdez tous deux.
MADAME WANDERK, sans être vue.
Que l’on conduise ici Mirval et mon notaire.
MIRVAL, se levant avec confusion.
Je fuis !
ADÉLAÏDE, s’arrêtant.
Je fuis ! Non ! Demeurez... je veux,
Devant vous, tout dire à ma mère.
MIRVAL.
Je n’oserai jamais...
ADÉLAÏDE, avec un petit ton décidé.
Je n’oserai jamais... Hé bien, laisses moi faire.
595 J’ai du courage, moi.
MADAME WANDERK, à Mirval en entrant.
Ah ! Vous êtes ici ?
Je vous faisais chercher : vous m’êtes nécessaire.
Le bonheur de ma fille est ma première affaire.
Mais cependant il faut aussi
Qu’envers vous Mirval, je m’acquitte.
600 Je sais que je vous dois beaucoup.
ADÉLAÏDE, bas à Mirval.
Que vous avais-je dit ?
MIRVAL, à Madame Wanderk,
Que vous avais-je dit ? C’est moi qui vous doit tout.
MADAME WANDERK.
Ma fille tient de vous ce qu’elle a de mérite.
Ses talents, par vos soins, peuvent encore gagner.
Il est temps de vous témoigner
605 Jusqu’où va ma reconnaissance ;
Elle surpassera je crois voire espérance ;
Je m’en flatte du moins.
ADÉLAÏDE, à part.
Je m’en flatte du moins. Comme le coeur me bat !
MADAME WANDERK.
Madame... Oui : je veux assurer votre état :
Mais veut me promettez d’achever votre ouvrage ,
610 C’est une clause du contrat.
ADÉLAÏDE, bas à Mirval.
Du contrat : c’est bien clair.
MADAME WANDERK.
Du contrat : c’est bien clair. Sans consulter l’usage,
Sans prendre avis de mes parents.
Je vous ai fait un avantage
Qu’on n’accorde qu’à ses enfants,
615 Et vous voilà de la famille.
MIRVAL, enchanté.
Ah ! Madame !
ADÉLAÏDE, de même.
Ah ! Madame ! Ah ! Ma mère !
MADAME WANDERK, gaiement,
Ah ! Madame ! Ah ! Ma mère ! Écoute-moi, ma fille,
II est temps à présent de te faire savoir
Ce secret désiré.
Elle les amène tout deux au devant de la scène.
Ce secret désiré. J’ai rempli le devoir
D’une mère prudente et sage :
620 J’ai bien conduit l’affaire, et vous allez le voir.
À Adélaïde en confidence.
Le plus riche parti de tout le voisinage,
Qui réunit par un double avantage
Et l’opulence et le pouvoir ;
Homme puissant.
ADÉLAÏDE, inquiète.
Homme puissant. Hé bien ?
MADAME WANDERK, comme si elle donnait une bonne nouvelle.
Homme puissant. Hé bien ? Vient t’épouser ce soir.
ADÉLAÏDE, avec une grande surprise.
625 Moi ? J’épouse...
MADAME WANDERK, l’interrompant.
Moi ? J’épouse... Un seigneur, et du plut haut parage.
Vous, Mirval, vous allee signer.
À son contrat de mariage.
Je crois que cet honneur n’est pas a dédaigner.
MIRVAL, à part.
Quel coup !
MADAME WANDERK, à part.
Quel coup ! Il change de visage.
ADÉLAÏDE, bas à Mirval.
630 Je m’en vais lui parler... calmez votre chagrin.
À Madame Wanderk avec timidité.
Pardon, maman... mais...
MADAME WANDERK, gaiement.
Pardon, maman... mais... Quoi ?
ADÉLAÏDE.
Pardon, maman... mais... Quoi ? Je pense...
Que vous pouviez, par complaisance,
Interroger mon coeur avant d’offrir ma main.
MADAME WANDERK.
Pourquoi donc, mon enfant ? Le mien était certain
635 De la parfaite indifférence.
ADÉLAÏDE, vivement.
Qui vous l’assure ?
MADAME WANDERK, sérieusement.
Qui vous l’assure ? Ton silence.
ADÉLAÏDE, inquiète.
Quoi ? Mon silence ?...
MADAME WANDERK, gaiement.
Quoi ? Mon silence ?... Oh ! Je ne risquais rien.
ADÉLAÏDE, après un moment d’embarras.
Répondez franchement.
MADAME WANDERK.
Répondez franchement. Hé bien ?
ADÉLAÏDE.
Vous seriez-vous mise en colère
640 Si je vous avais dit : « Quelqu’un a su me plaire,
Et ce quelqu’un n’a pat de bien ? »
MADAME WANDERK, avec tendresse.
Ah ! Loin de prendre un ton sévère,
Ton choix, tel qu’il put être, aurait été le mien.
Reprenant son air gai.
Mais j’étais sûre du contraire.
ADÉLAÏDE.
645 Bien sûre ?
MADAME WANDERK, avec chaleur.
Bien sûre ? Ah ! Mon enfant, je croirais t’outrager,
Si j’osais supposer qu’une fille si chère
Eut quelques secrets pour ta mère.
Du plus faible penchant, du goût le plus léger,
Tu m’aurais sur-le-champ fait un aveu sincère.
ADÉLAÏDE, se couvrant le visage.
650 Oh !!!
MADAME WANDERK.
Oh !!! Les détours sont faits pour les coeurs corrompus
Que la honte retient, que le grand jour offense.
Mais lorsqu’au sein de l’innocence,
On chérit à la fois sa mère et les vertus,
On dit hardiment ce qu’on pense.
MIRVAL, à part.
655 Que le reproche est dur, quand il est mérité.
ADÉLAÏDE, à part.
J’allais dire la vérité,
Mais quand on est coupable on n’a plus de courage.
MADAME WANDERK, caressant sa fille.
Va, mon cceur du lien est si sûr,
Qu’en arrangeant ce mariage...
ADÉLAÏDE, les larmes aux yeux.
660 Ce coeur...
MADAME WANDERK.
Ce coeur... Est franc, sensible et pur.
Le soupçonner est un outrage.
SCÈNE DERNIÈRE. Les Mêmes, Fridric, Lisbeth, Le Notaire. §
FRIDRIC, annonçant.
Votre notaire.
ADÉLAÏDE, allant s’asseoir dans un coin.
Votre notaire. Ô ciel !
MADAME WANDERK, à Fridric.
Votre notaire. Ô ciel ! Mets cette table ici.
Au Notaire qui entre.
Je vous attendais.
LE NOTAIRE, d’un ton pédant.
Je vous attendais. Me voici.
MADAME WANDERK.
Notre affaire est-elle finie ?
LE NOTAIRE.
665 J’ai stipulé le tout au gré de voire envie :
Je ne veux pas être vanté.
Mais je puis assurer avec véracité
Que dans tous les contrats que j’ai fait en ma vie,
Jamais ma perspicacité,
670 N’a saisi les objets...
MADAME WANDERK.
N’a saisi les objets... Finissons, je vous prie.
LE NOTAIRE.
Un moment s’il vous plaît : ne m’avez-vous pas dit
Qu’il fallait expliquer clairement...
MADAME WANDERK, lui faisant des signes.
Qu’il fallait expliquer clairement... Au contraire,
Je vous ai prié de vous taire.
LE NOTAIRE.
Non pas, dans le contrat cela n’est point écrit.
MADAME WANDERK.
675 Ô quelle tête !
LE NOTAIRE.
Ô quelle tête ! En fait d’affaire,
On prend le parti le plus sûr ;
Donc, j’ai joint au nom du futur...
MADAME WANDERK.
Hé, taisez-vous.
LE NOTAIRE.
Hé, taisez-vous. ... Le titre de la terre
Qui vient de vous coûter deux cents mille florins.
MADAME WANDERK, s’impatientant.
680 Eh ! Paix donc !
LE NOTAIRE, étonné de son ton.
Eh ! Paix donc ! D’après vos desseins,
J’ai rédigé l’article, et je vais vous le lire.
MADAME WANDERK, prenant le contrat.
Mais vous extravaguez, je crois !
LE NOTAIRE, fâché.
Si quelqu’un extravague ici, ce n’est pas moi.
MADAME WANDERK.
Écoutez moi.
Elle le mène au coin du théâtre, le notaire lui indique l’article qu’elle lit bas, en jettent set yeux de temps en temps sur les jeunes gens, et paraissant toujours écouter ce qu’ils disent.
LISBETH, à part.
Écoutez moi. Toujours se cacher ! Quel martyre!
ADÉLAÏDE, se levant avec vivacité et allant joindre Mirval.
685 Je vous aime... ce soir je puis encore le dire ;
Mais si l’on engage ma main,
Je ne le pourrai plus demain.
Profitons du moment... J’ai tort avec ma mère !
Tout ce qu’elle m’a dit me l’a trop fait sentir !
690 Prévenons sa juste colère ;
Tâchons, par un aveu sincère
De la toucher, de l’attendrir.
MIRVAL, avec la même vivacité.
Et si malgré nos pleurs elle reste inflexible,
Promettons tous deux de remplir
695 Un devoir sacré ! Mais pénible.
ADÉLAÏDE, baissant les yeux.
Quel sera le mien ?
MIRVAL.
Quel sera le mien ? D’obéir.
ADÉLAÏDE, avec tendresse.
Le vôtre, Mirval ?
MIRVAL, tes larmes aux yeux.
Le vôtre, Mirval ? De vous fuir.
MADAME WANDERK, qui a souri en entendant leurs dermiers mots, dit au Notaire en parlant haut.
Ajoutez-y cela.
LE NOTAIRE, sans la comprendre.
Ajoutez-y cela. Cela ?... Quoi, je vous prie ?
MADAME WANDERK, le conduisant à la table.
Asseyez-vous.
LE NOTAIRE.
Asseyez-vous. Que diable signifie ?...
Position de la Scène.
Le Notaire à la table, Lisbeth, derrière se chaise, cherchant à lire par dessus son épaule, Fridric, dans le fond; Madame Wanderk, au milieu de la scène. Adélaïde, ensuite, Mirval, au coin du théâtre à gauche.
MADAME WANDERK, aux jeunes gens.
700 Enfin, voici l’instant le plus doux pour mon cceur.
Je vais partager mon bonheur,
Et celle tâche m’est bien chère.
Adélaïde en la prenant par la main.
Viens : en attendant ton époux,
Signes toujours.
ADÉLAÏDE, en pleurs.
Signes toujours. Je tombe à vos genoux.
705 Pardon ! pardon !
MADAME WANDERK, feignant l’étonnement.
Pardon ! pardon ! Mon dieu ! Qu’as-tu pu faire
Qui te fasse à ce point redouter ma colère ?
ADÉLAÏDE.
Et ce n’est pas votre courroux
Que je crains.
MADAME WANDERK.
Que je crains. Et quoi donc ?
ADÉLAÏDE.
Que je crains. Et quoi donc ? C’est d’affliger ma mère.
MADAME WANDERK.
Toi, m’affliger, mon enfant ? Toi !
ADÉLAÏDE, hésitant.
710 Oui, moi-même... Cet homme à qui l’on me marie...
N’obtiendra que ma main.
MADAME WANDERK.
N’obtiendra que ma main. Pourquoi ?
Expliques-toi donc, je t’en prie.
ADÉLAÏDE, presque en pleurant.
C’est que mon coeur n’est plus à moi.
MADAME WANDERK, affectant ta plus grande colère.
Qu’ai-je entendu ? Ma fille ! À peine je le crois.
715 Quoi ? Dans le coeur d’Adélaïde
Un secret a pu m’échapper?
ADÉLAÏDE.
Ah ! Moins coupable que timide,
Je me taisais sans vouloir vous tromper.
MADAME WANDERK, avec tendresse.
À cette méfiance aurais-je pu m’attendre !
720 Me cacher ton penchant, n’est-ce pas me trahir?
Tu voulais donc priver la mère la plus tendre
Du droit le plus sacré, celui de te servir ;
Celui de te guider et de te rendre heureuse ?
Pour un coeur maternel, épreuve douloureuse !
Elle va se jeter dans les bras de Mirval.
725 Venez, mon cher Mirval, venez me secourir ;
Contre un coup si cruel venez me soutenir.
Montrant Mirval à Adélaïde.
L’exemple de cette âme et franche et généreuse,
Suffit pour te faire rougir.
Son amitié sincère et tendre
730 N’éprouvera jamais ni remords ni regrets.
Si son coeur avait des secrets
Ce serait dans mon sein qu’il viendrait les répandre.
MIRVAL, désespéré.
Ah ! De grâce, arrêtez : vous déchirez mon coeur.
Loin d’avoir mérité cet éloge flatteur,
735 Je suis mille fois plus coupable...
MADAME WANDERK, feignant l’étonnement.
Qui, vous Mirval ?
MIRVAL.
Qui, vous Mirval ? Je vais vous faire horreur.
J’ai mérité les noms d’ingrat, de suborneur.
J’adore Adélaïde.
MADAME WANDERK, tombant dans un fauteuil.
J’adore Adélaïde. Ô crime épouvantable !
Ce dernier trait m’étourdit et m’accable.
MIRVAL.
740 Je dois être un monstre à vos yeux.
MADAME WANDERK.
Quand les attentions, les soins officieux
De ma conduite étaient les guides,
Loin de me payer de retour
Je n’ai trouvé, pour prix de tant d’amour,
745 Que des coeurs ingrats et perfides.
MIRVAL, à genoux.
Madame...
ADÉLAÏDE.
Madame... Ayez pitié.
MADAME WANDERK, les repoussant.
Madame... Ayez pitié. Laissez moi, laissez moi.
LE NOTAIRE, à part.
Mais le contrat qu’elle-même a fait faire
Ne cadre point du tout avec cette colère.
Il quitte sa table et s’approche de Madame Wanderk.
Je vais savoir la vérité.
À Madame Wanderk qui paraît accablée.
750 Madame, expliquez moi.
MADAME WANDERK, se levant, et avec un ton absolu.
Madame, expliquez moi. Silence !
Tout le monde paraît étonné : Fridric fait un bond de frayeur: le Notaire remporte son contrat et retourne à sa table.
MADAME WANDERK d’un ton décidé.
Soumettez-vous ma fille à mon obéissance,
Rien ne peut plus changer ma volonté ;
Mais n’accusez de ma sévérité
Que votre peu de confiance.
ADÉLAÏDE, suppliant.
755 Ah ! Différez du moins, et que voire bonté...
MADAME WANDERK.
Hé bien... je ne veux pas te faire violence :
Tu peux choisir en liberté.
Entre ces deux partis celui qui peut le plaire.
En lui présentant la plume.
Sans connaître l’époux que je t’ai destiné,
760 Qu’à l’instant de ta main ce contrat soit signé,
Ou renonce à jamais à l’amour de ta mère.
ADÉLAÏDE, saisissant la plume.
Mon choix n’est pas douteux... Le plus affreux malheur
Est la perte de votre coeur.
MADAME WANDERK, à part.
Ô chère enfant !
ADÉLAÏDE, avant de signer.
Ô chère enfant ! Mirval, que votre âme attendrie,
765 Imite un généreux effort :
Qui me donna le jour veut m’arracher la vie,
Je signe l’arrêt de ma mort.
Elle signe et s’appuie sur Lisbeth. Mirval, inquiet, s’avance. Madame Wanderk les prend tous deux par la main.
MADAME WANDERK.
Votre manque de confiance,
Avait trop justement excité mon courroux.
770 Apprenez tous les deux jusqu’où va ma vengeance.
Adélaïde... embrasse ton époux.
Elle la met dans les bras de Mirval.
ADÉLAÏDE.
Ô ma bonne maman !
MIRVAL.
Ô ma bonne maman ! Je tombe à vos genoux.
LISBETH.
Ah ! Je vous reconnais !
LE NOTAIRE.
Ah ! Je vous reconnais ! Je commence à comprendre.
FRIDRIC.
C’est à présent qu’on valsera.
Fridric va pour valser, Lisbeth l’arrête tout court.
ADÉLAÏDE, lui baisant ta main.
775 Ma mère !
MIRVAL, de même.
Ma mère ! À ce bonheur aurais-je dû m’attendre ?
MADAME WANDERK.
Levez-vous mes enfants, et venez dans mes bras.
J’ai peut-être un peu trop prolongé ma vengeance ;
Mais c’est en vous faisant rougir,
Que j’ai voulu tous les deux vous guérir
780 De votre injuste méfiance.
« Jeunes gens sans expérience,
Fuyez la ruse et les détours ;
Ne cachez rien aux auteurs de vos jours,
Et comptez sur leur indulgence.
785 Évitez les pièges trompeurs
Où vous entraîne l’imposture.
On marche au vice par l’erreur.
Si vous voulez toujours suivre l’honneur,
N’offensez jamais la nature. »
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