Par Mr Pradon
Chez THOMAS GUILLAIN, proche
les Augustins, à la descente du Pont-neuf,
à l’Image S. Loüis,
M. DC. XCXVII.
Avec privilège du roy.
Édition critique établie par Chloé Beaucamp dans le cadre d'un mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Forestier (2006-2007).
Introduction §
Quelle idée, Monsieur, peut vous offrir cette annonce ? Vais-je […] retracer à vos yeux [l]es fautes & [l]es malheurs dramatiques [d’un Auteur persécuté]? Ou bien, vais-je m’élever contre les idées qu’on a conçues de ce Poëte, leur opposer des paradoxes, & joncher de fleurs un Tombeau, où il ne croît que des cyprès ?1
Rare scrupule chez les critiques, qu’une telle interrogation liminaire, émanant d’un homme de lettres du XVIIIe siècle aux premiers volumes de son Observateur littéraire, après un siècle de flétrissure marquée à vif sur le nom de Pradon2, l’un de ces « minores » du Grand siècle, que l’on ne dénommait plus guère que le rival insensé du génie racinien. Auteur cependant singulier que ce Rouennais, grand admirateur de Corneille, dont l’œuvre parvint à retentir jusqu’au milieu du XVIIIe siècle avec Régulus, tragédie que l’ère du goût avait saluée par un triomphe quelques dix ans avant la disparition brutale du dramaturge en 1698. Pradon n’en fait pas moins partie des auteurs que l’Histoire littéraire a délaissés au profit des plus fameux classiques, lui entretenant la réputation d’« artisan médiocre3 » que Boileau lui avait assignée.
Toutefois la tache n’était pas mince, au pas du siècle finissant, que de compter parmi les « successeurs » des deux monuments émergeants – Corneille et Racine –, et de bâtir de nouveaux berceaux de création sur l’assise des règles et sur le syncrétisme des modèles tragiques, face au formidable succès de l’opéra, alors même que l’on suspectait désormais les auteurs d’écrire surtout pour « faire de l’argent4 ». C’est dans ce contexte que Scipion l’Africain vint à éclore au crépuscule du siècle, après plusieurs années de silence du dramaturge, et eut le mérite de galvaniser l’intérêt du public jusqu’à sa seizième représentation. Or la teneur de la pièce révèle qu’il y avait là plus qu’une quête d’un succès facile et galvaudé de la part de Pradon : en effet, tout écarté qu’il fût des canons littéraires de la postérité, Scipion l’Africain développe un écheveau dramaturgique élaboré, assorti d’une profondeur allégorique audacieuse, questionnant in extenso le rapport entre l’effigie des figures antiques, et la notion de « caractère » applicable aux héros tragiques. Un tel geste d’écriture ne demandait ainsi qu’à être mis en lumière, en vue de restituer au mieux un paradigme fidèle de la vie de la pièce, depuis sa genèse à son repos sur le papier.
Jacques Pradon : les paradoxes d’un auteur honni §
C’est à Rouen, dans la patrie du grand Corneille, que Jacques Pradon vint à naître en 1644, au sein d’une famille de la bourgeoisie moyenne. Baptisé le 21 janvier dans la paroisse de Saint-Godard, il avait hérité du prénom de son père, Jacques Pradon, né en 1602, qui avait épousé Marguerite De Lastre le 7 janvier 1635. En marge de ces faits, les biographes du XVIIIe siècle avaient instauré une tradition fautive qui plaçait la naissance du poète en 1632 et qui le prénommait Nicolas. Ces erreurs étaient manifestement dues à un défaut d’information et à l’absence de document manuscrit émanant de Pradon. Ce furent finalement les recherches de Charles de Beaurepaire qui permirent de rétablir les faits à l’extrême fin du XIXe siècle, par la découverte et la publication de l’acte de naissance de Pradon5. On sait en outre que Jacques avait un frère aîné dénommé Claude, mort en bas âge, en 1639, et un frère cadet, Joseph. Il avait également trois sœurs plus jeunes que lui, Marguerite et Françoise, nées en 1646 et 1647, ainsi que Thérèse, venue au monde après elles. Jacques se voyait ainsi l’aîné de la fratrie, Joseph en était le benjamin6.
La famille Pradon était établie dans la région normande depuis le milieu du XVIe siècle au moins, et désignait trois familles très probablement issues de la même souche. Jacques appartenait à la troisième. Ses ascendants assuraient des fonctions judiciaires sur le territoire, comme son arrière grand-père et son grand-père paternels, tous deux huissiers aux requêtes du Palais, ou encore son grand-père maternel, avocat et greffier de l’officialité de Rouen, jusqu’à son propre père, reçu avocat au Parlement de Normandie en 1631. Tout comme ce dernier et à l’instar de Corneille, Jacques Pradon fit ainsi des études pour devenir avocat, mais il resta avocat ad honores, car aucune plaidoirie ne fut enregistrée à son nom dans la ville de Rouen. En revanche on sait qu’il fit ses premiers pas dans l’écriture à l’âge de 20 ans, ce qui lui valut le prix de poésie Palinods en 1664, distinction dont son frère Joseph fut également gratifié à trois reprises dans les années qui suivirent. Pradon marchait en cela sur les traces de son grand-père maternel, Charles De Lastre, qui avait obtenu différents prix de poésie, en 1614, 1616, 1620, 1623, 1625 et 1627. Ainsi élevé dans l’admiration que tous vouaient au grand Corneille et membre comme son père de la congrégation de la Sainte-Vierge fondée aux Jésuites de Rouen7, le jeune Pradon était nanti de l’aura dont bénéficiait sa famille et s’acquit la faveur du duc de Montausier, Gouverneur de Normandie de 1663 à 1668, homme très influent, et gendre de la Marquise de Rambouillet depuis 1645.
Hormis ces indices fragmentaires, la connaissance des activités de Pradon souffre d’une carence surprenante d’informations pour la période 1664-1673. Fait singulier, le jeune homme qui avait tôt fait montre de ses dispositions littéraires ne fit que tard son entrée dans sa carrière de dramaturge, la production de sa première pièce Pyrame et Thisbé devant manifestement être située entre 1672 et 1673. Selon toute vraisemblance, c’est à cette date qu’il « descendit » à Paris et qu’il parvint à faire monter sa tragédie à l’Hotel de Bourgogne, à la mi-janvier 1674, un mois après la création de Démarate de l’abbé Boyer. Cette chronologie des événements, depuis la genèse de la pièce à sa représentation sur la scène parisienne, semble d’autant plus plausible que Pradon affirme dans son épître, à l’attention du duc de Montausier, que « [cet Ouvrage] est né dans une Province où les Muses font gloire d’estre de [son] Gouvernement, aussi bien que ses Peuples […]8 », ce qui place l’écriture de Pyrame et Thisbé dans la contrée natale de l’auteur, avant son arrivée à Paris. Or l’accueil réservé à la pièce devait l’encourager dans son entreprise, et l’inviter à en écrire rapidement une deuxième, car, première réussite pour lui, Pyrame et Thisbé rencontra un succès conséquent, qui présageait son intégration au répertoire du Théâtre Guénégaud, et son maintien dans celui de la Comédie-Française, pour un total de 53 représentations entre 1679 et 17119. Ainsi Pradon composa pour l’année suivante Tamerlan ou La Mort de Bajazet, sa seconde tragédie, jouée au mois de janvier 1676. Cependant la pièce n’obtint pas l’effet escompté, quittant promptement l’affiche de l’Hotel de Bourgogne – ce qui toutefois ne l’empêcha pas de reparaître, au Théâtre Guénégaud10 puis à la Comédie-Française en 170611, et de faire l’objet d’une adaptation italienne en 171112, ainsi que d’une traduction libre en espagnol, au cours du XVIIIe siècle13.
En dépit de ce changement de conjoncture, Pradon était donc établi à Paris. Sa subsistance et sa situation sociale restent un point mal connu et ne peuvent faire l’objet que de conjectures. Il semble évident que sa seule activité de dramaturge ne lui rapportait que des ressorts pécuniaires insuffisants. Toutefois ses parents semblent l’avoir estimé capable de subvenir à ses propres besoins, tout du moins davantage que ses sœurs : on sait en effet par un acte passé en date du 25 mai 1675, en l’étude de Maubert, notaire à Rouen, qu’ils avaient prévu de léguer leur héritage à leurs seules filles, déclarant que, « craignant d’estre prévenus par la mort, ils réservoient dlles Marguerite, Françoise et Thérèse Pradon, leurs filles, en partage de leur succession, tant mobile qu’héréditaire »14. On peut alors supposer, comme Charles de Beaurepaire, que Pradon « dut chercher [en vertu de son titre d’avocat] des moyens d’existence dans une profession étrangère à la poésie et plus conforme aux traditions de sa famille15 », afin de compléter ses revenus et de se maintenir à Paris. Mais l’hypothèse la plus séduisante réside sans aucun doute dans le concours des relations qu’il avait nouées, en premier lieu avec le duc de Montausier : devenu Gouverneur du Dauphin fils de Louis XIV, à compter de 1668, celui-ci était une personnalité de premier plan à la Cour et un grand habitué des Salons. Il a très probablement constitué un appui non négligeable pour Pradon, et ce tant sur le plan social que littéraire. C’est ce que l’auteur autorise à penser dans l’épître dédicatoire de Pyrame et Thisbé, adressée au duc :
Plus d’une raison indispensable m’oblige à vous dédier cet Ouvrage. […] ; et d’ailleurs, Monseigneur, vous l’avez trop honoré de vostre protection à la Cour, pour paraître sous un autre nom que le vostre […].
Plusieurs tragédies de Pradon comportent également de telles pièces liminaires dédiées à des personnes d’importance, comme La Troade, précédée d’une épître à « Monseigneur le Duc de Daumont, Pair de France », ou encore Régulus, assorti d’une dédicace à « Madame la Dauphine ». De surcroît, fréquentant la mouvance des milieux cornéliens, Pradon avait intégré l’entourage de Madame Deshoulières, de la duchesse de Bouillon, et de son frère Philippe Mancini, duc de Nevers. Tous ces éléments de fait coïncident avec le propos de Nicéron, qui écrit que Pradon « vécut [à Paris] dans une intime relation avec plusieurs beaux esprits, & où il se fit même quelques protecteurs d’un rang distingué16 ».
C’est dans ce contexte que, revenu de la Normandie, où il avait assisté à l’inhumation de son père le 25 juillet17, il se mit à écrire une Phèdre et Hippolyte à la fin de l’année 1676, traitant à cette occasion le même sujet que celui sur lequel Racine travaillait depuis plusieurs mois – et dont la pièce du même nom avait déjà fait l’objet de lectures dans les Salons. La tradition prétend que cette entreprise fut dictée par la cabale des Bouillon très hostile à Racine ; toujours est-il que dans sa préface, Pradon revendiquait le choix de cette concurrence, déclarant « j’avoue franchement que ce n’a point été un effet du hasard qui m’a fait rencontrer avec M. Racine, mais un pur effet de mon choix ». La pièce de Pradon parut le 3 janvier 1677 au Théâtre de Guénégaud, deux jours après celle de Racine, représentée à l’Hotel de Bourgogne. L’effervescence suscitée à l’occasion de la querelle littéraire fut l’opportunité pour la pièce de Pradon de parvenir à tenir 25 représentations, dont 16 consécutives, rapportant des recettes très satisfaisantes, pouvant même excéder 1300 livres18. Cependant, les « véritables orages19 » fomentés par la concurrence des deux pièces irent jusqu’au scandale, par l’altercation de sonnets satiriques émanant des deux camps, écrits à l’encontre de la pièce de Racine, puis à celle du duc de Nevers20. Du reste, la démarche de Pradon fut durablement considérée comme un acte attentatoire à l’égard de Racine, et ce jusqu’au XXe siècle. On oubliait manifestement que l’écriture parallèle de deux pièces rivales était un fait littéraire courant au XVIIe siècle, à l’exemple de la Bérénice de Racine, et de son antagoniste Tite et Bérénice de Corneille, ou de l’Iphigénie de Racine, concurrencée par l’Iphigénie en Aulide de Le Clerc et Coras.
Or, fustigé par les traits satiriques de Boileau, proche de Racine, Pradon se vit désormais poursuivi par une réputation d’auteur médiocre21, ignorant et infatué, devenant par là même occasion l’objet des anecdotes les plus fantasques22. Néanmoins la querelle ne l’écarta pas de la scène, puisque, puisant à nouveau dans la mythologie grecque, il produisit une Electre à la fin de l’année 1677. Cependant, abandonnée dès la huitième représentation au Théâtre de Guénégaud23, la pièce eut un moindre succès, et ne fut jamais imprimée. Il semble que Pradon soit alors parvenu à reconquérir un succès honorable sur les planches de l’Hotel de Bourgogne, grâce à La Troade créée le 17 janvier 1679, et jouée une fois devant Monsieur, frère du Roi, et Madame, son épouse :
La Troade […] a paru depuis quinze jours sur le théatre de l’Hotel de Bourgogne. Leurs Altesses royales en ont honoré une représentation de leur préférence. C’est un avantage que s’attirent ordinairement les pièces qui font du bruit.24
La même année, Pradon écrivait une autre tragédie, intitulée Statira, créée en décembre. On ignore quel fut l’accueil du public à son égard25 ; cependant la représentation de la pièce fut manifestement éphémère, sachant qu’une autre tragédie paraissait dès le mois de janvier, à savoir Genséric, roi des Vandales, de Madame Deshoulières. Dès lors Pradon décida de recourir à l’histoire romaine pour y trouver les sujets de ses pièces. C’est ainsi qu’il produisit un Tarquin, représenté le 9 janvier 1682, mais la pièce marqua un nouvel échec, tombant après quatre représentations sans même être éditée par la suite. L’auteur ne parvenait pas à retrouver le succès qui l’avait accueilli au début de sa carrière, et resta plusieurs années sans écrire de nouvelle pièce. Cette période de sa vie fut notamment occupée par la rédaction du Triomphe de Pradon, publié de façon anonyme à Lyon en 1684, puis réédité en 1686 sous un titre plus explicite, Le Triomphe de Pradon sur les Satires du Sieur D***, visant par là Nicolas Boileau-Despréaux. En effet les épîtres VI, VII et VIII de ce dernier, qui circulaient depuis la querelle des deux Phèdre, venaient d’être imprimées, en 1683, et persiflaient explicitement Pradon. Cette joute littéraire se poursuivit avec la parution en 1685 des Nouvelles remarques sur tous les ouvrages du Sieur D*** émanant de Pradon.
En ce qui concerne la vie affective de l’auteur, les informations restent lacunaires, mais il semble qu’il ait entretenu durant cette période une relation avec Catherine Bernard, la cousine de Fontenelle, et la nièce des frères Corneille, née comme lui à Rouen, en 166226. En tout état de cause, il est manifestement intervenu pour elle en prenant au nom du « Sieur de Pradon » des privilèges pour les premières œuvres qu’elle avait écrites27, à savoir Frédéric de Sicile, publié en 1680 et Le commerce galant ou Lettres tendres et galantes de la jeune Iris et de Timandre28, paru en 1682.
Pradon demeura encore plusieurs années sans écrire, et finit par renouer avec la scène en janvier 168829, par la création de Régulus, qui marqua son plus grand succès : avec ses quelques 37 représentations durant l’année 1688, et des recettes oscillant entre 1500 et 500 livres jusqu’à la vingt-neuvième séance, la pièce fut un triomphe, que saluait le Mercure galant avec un assortiment de commentaires élogieux : « ce que fit Regulus est si éclatant et part d’une si grande âme qu’on ne peut l’entendre sans l’admirer. Vous pouvez juger par là qu’il doit y avoir de grandes beautez dans cette pièce30 ». De surcroît Régulus connut un succès durable pendant une grande partie du XVIIIe siècle, donnant lieu à 60 représentations entre 1689 et 1728, et suscitant plusieurs traductions, en Hollandais31 et en Italien32. La célèbre lettre de Voltaire se plaignant du traitement réservé à ses productions en comparaison de Régulus, vient s’ajouter à ce faisceau d’éléments :
Jouissez du plaisir de cette mascarade sans que les comédiens me donnent l’insupportable dégoût de mutiler ma besogne. Les malheureux jouent Régulus sans y rien changer, et ils défigurent tout ce que je leur donne. Je ne conçois pas cette fureur ; elle m’humilie, me désespère, et me fait faire trop de mauvais sang.33
Une réussite aussi éclatante et pérenne ne fut toutefois pas réitérée lors de la création de Germanicus en décembre 1694, nouvelle tragédie de Pradon, dont l’échec conduisit à abandonner les représentations au bout de six séances. Le texte en est perdu pour ne pas avoir été imprimé, et il ne reste qu’une épigramme écrite à son encontre – attribuée probablement à tort à Racine –, dont les termes permettent de déduire que la pièce avait pour héros Claudius Germanicus, le premier époux d’Agrippine mère de Néron :
Que je plains le destin du grand Germanicus !Quel fut le prix de ses rares vertus !Persécuté par le cruel Tibère,Empoisonné par le traitre Pison,Il ne lui restoit plus, pour dernière misère,Que d’être chanté par Pradon !34
Au cours de la même année, Pradon fit également publier une Réponse à la Satire X du sieur D***, réplique aux nouvelles attaques de Boileau qui ne manquait plus aucune occasion pour le stigmatiser. Il produisit encore Scipion l’Africain à la fin de l’année 1696, joué 17 fois entre février et avril 1697. Ce fut sa dernière pièce, car il fut frappé d’apoplexie moins de 10 mois plus tard en janvier 1698, et mourut à Paris, « les cartes à la main35 », selon les termes d’une lettre adressée par Bourdelot à l’abbé Nicaise de Dijon, en date du 15 janvier36.
Création et vie théâtrale de Scipion l’Africain §
Dixième et dernière tragédie de Pradon, Scipion l’Africain est avant tout une œuvre de la maturité, celle d’un auteur qui avait tout autant connu les succès que les échecs, et dont l’ambition était de réitérer la réussite que lui avaient valu Pyrame et Thisbé ainsi que Régulus dans une plus grande mesure. Les représentations de ces deux pièces à la Comédie-Française venaient chaque année rappeler ce succès, à raison de une à 3 séances par an depuis l’ouverture de la Comédie-Française pour Pyrame et Thisbé37, et de 3 à 5 séances annuelles depuis 1688 pour Régulus. Par ailleurs la tentative de Germanicus en 1694 s’était soldée par un rude échec. Dans ce contexte, il était tout naturel pour l’auteur en quête d’un nouveau sujet de renouer avec les sources d’inspiration d’où avait jailli son Régulus. C’est ainsi qu’il en revenait à l’histoire des guerres puniques pour élire la matière de sa tragédie. Il redonnait alors à sa pièce le nom d’un Général romain venu sur les terres de l’Afrique pour conquérir l’empire carthaginois, mais selon une perspective inversée, puisque Régulus avait dépeint le sacrifice du héros fait prisonnier par l’ennemi, quand Scipion l’Africain devait y répondre par la victoire du personnage éponyme face aux Carthaginois à Zama. L’hypothèse de Charles Brunet, selon laquelle Scipion l’Africain serait une réécriture d’une pièce de Jean Royer de Prade38, n’est pas recevable, sachant qu’elle se fonde sur un corpus anecdotique florissant au XVIIe siècle, et n’est étayée par aucun document fiable.
La rédaction de la pièce était finalement achevée pour la fin novembre 1696, date à laquelle celle-ci fut lue devant les acteurs de la Comédie-Française. Ainsi on peut lire sur la feuille d’assemblée s’y rattachant :
Aujourd’huy Dimanche 25e novembre 1696 La Compagnye s’est assemblée extraordinairement suivant le Repertoire, pour entendre la lecture de la tragédie de Scipion de Mr Pradon […]39.
En effet il faut savoir qu’à compter de 1680, pour entrer dans le répertoire théâtral, toute pièce était préalablement soumise à l’épreuve de ce comité de lecture, au terme duquel les acteurs votaient pour déterminer si la pièce était « jouable » ou non. C’est de cette façon qu’entre 1680 et 1716, la Comédie-Française ajouta 298 créations aux 127 titres de son répertoire initial. Les registres d’assemblée signés par les participants venaient notifier chaque prise de décision – décisions qui d’ailleurs ne ressortissaient pas uniquement à la sélection des pièces, mais aussi aux problèmes d’ordre administratif et financier. Parfois des commentaires apportent des explications sur les choix effectués. Ainsi l’on sait qu’en ce qui concerne l’élection du répertoire, le refus des pièces proposées était fréquent, et ce bien souvent pour défauts de construction, écarts à la vraisemblance, propos inconvenants, dans une période marquée par une emprise accrue du pouvoir royal sur la liberté de création théâtrale. Ainsi à l’été 1696,
[…] samedy 28ème juillet 1696 la Compagnie s’est assemblée suivant le repertoire pour entendre la lecture d’une tragedie intitulée Oreste et Pilade. […] Il a esté deduit que la piece en l’estat qu’elle est ne peut estre représentée […] et que si l’auteur la veut raccomoder et en faire une seconde lecture la Compagnie l’entendra pour en juger40.
De même, en date du 21 septembre, l’Assemblée estimait que la tragédie Vercingétorix de Haumont, « quoyque remplie de beaux vers n’[était] pas accomodée au théatre41 ». Aucune feuille d’assemblée ne fait état d’une lecture de tragédie jusqu’à celle de Scipion l’Africain à la fin novembre42 ; toutefois la pièce fut également refusée. Dancourt, le premier à signer le registre, y joignait ce commentaire : « je suis fasché qu’elle ne soit pas bonne et qu’elle ne puisse l’estre », avis que suivaient tous les autres signataires. Scipion l’Africain a ainsi été refusé à l’unanimité des voix.
Cependant aucune nouvelle tragédie n’avait été jouée depuis Bradamante de Thomas Corneille, créé le 18 novembre 1695, Polixene de La Fosse d’Aubigny, créé le 3 février 1696, et Agrippa de Théodore de Riupeirous, créé la 19 mars de la même année, et tombé après deux représentations. De plus, au cours du mois de décembre, la Polymneste de l’abbé Genêt fut un échec, quittant l’affiche après cinq représentations, sans qu’une nouvelle lecture devant l’assemblée des acteurs fournisse une autre tragédie susceptible de lui succéder. Ces circonstances permettent de comprendre pourquoi une seconde lecture fut accordée à Scipion l’Africain, en date du 2 janvier 1697, au terme de laquelle la pièce fut finalement acceptée, par 7 voix contre 5 :
Ce jourd’huy mercredy 2e janvier 1697 : la Compagnie s’est assemblée pour entendre une seconde lecture de Scipion. La piece achevée et l’auteur s’estant retiré […], et comme la pluralité des voix est pour accepter la piece, il a esté resolu qu’elle sera joüée […]43.
En outre on peut distinguer sur la feuille d’assemblée, dans la liste des absents, la mention « SAS Le Prince »44, ce qui laisse à supposer que la pièce bénéficiait d’un appui prestigieux, et il est possible que cela soit en la personne du prince de Conti45, sachant que l’on retrouve sur le registre des représentations de Scipion l’Africain, les formes « SAS Monseigneur le Prince », « SAS Mr le Prince de Conty », ou encore « Monseigneur le Prince de Conty »46, ce qui donne à penser que celui-ci fut présent à trois représentations au moins.
En ce qui concerne le texte de la pièce, les Frères Parfaict indiquent que « les Comediens accepterent la Tragédie, à condition que l’auteur y feroit quelques corrections47 ». Cette information n’est pas mentionnée sur le registre48, cependant on peut y accorder créance, dans la mesure où un manuscrit de souffleur conservé à la Bibliothèque de la Comédie-Française fait état de modifications pratiquées sur le texte original, qui fut alors rayé, rendant la lecture extrêmement difficile49. Ces retouches concernent une centaine de vers, dont la moitié fut supprimée50. Les corrections ne remettent pas en cause la conduite de l’intrigue, mais interviennent le plus souvent pour assurer la convenance du texte, depuis la reformulation de quelques mots jusqu’à la suppression d’une scène entière. Un personnage muet a également été introduit à cet effet51. Ces corrections furent vraisemblablement élaborées au cours des répétitions de la pièce52, et probablement sous le regard de l’auteur – on peut d’ailleurs émettre l’hypothèse selon laquelle il s’agirait de corrections autographes. Le texte primitif se trouva ainsi ponctuellement biffé, suppléé par une autre version, il fut parfois même repris par la suite, comme au gré des hésitations des acteurs travaillant leur texte53. Le manuscrit constitua donc un document de travail, et les modifications introduites furent manifestement appliquées sur scène par les comédiens – probablement avec des variantes selon les séances, ce qui permettrait d’expliquer les changements successifs apportés à certains vers.
La pièce fut ainsi représentée sous cette forme, et les rôles revinrent en partage à douze des acteurs de la troupe, comme l’un des deux registres journaliers l’indique à chaque représentation54 :
ACTEURSACTRICES
MrsMlles
BeaubourDuclos
GuerinClavel
DufeyBeaubour
DuperierChampvalon55
Lavoy
Beauval
Rosélis
Baron56
On ignore quelle fut la répartition des rôles de la pièce, d’autant que l’ordre des noms retranscrits sur le registre varie considérablement selon les jours. Toutefois l’on peut émettre des hypothèses, et supposer que le rôle de Scipion était tenu par Beaubourg, qui avait hérité de la place de Baron le 17 octobre 169257. Le parcours de Rosélis autorise également à penser que celui-ci interprétait le personnage d’Annibal58, et l’on peut imaginer que le rôle de Lucéjus, l’amant d’Ispérie, revenait à Etienne Baron, sachant que Lemazurier parle à son sujet d’« un emploi comme le sien (celui que les comédiens appèlent l’emploi des grands amoureux tragiques et comiques)59 ». Quant à Ispérie, nièce d’Annibal et principal protagoniste féminin dans la pièce, son rôle était manifestement assuré par la Duclos, qui doublait les premiers rôles tragiques de la Champmeslé depuis le 3 mai 1696. La distribution des autres comédiens s’avère plus délicate, dans la mesure où il s’agit d’acteurs de second plan, comme Mlle Champvallon, qui ne jouait que des rôles de confidentes, ou Guérin, qui excellait dans l’emploi des grands confidents tragiques, tels Narcisse, Arbate ou Théramène. Son rôle dans la pièce de Pradon ne pouvait être très important étant donné qu’il fut remplacé par Le Comte à la troisième séance, durant laquelle il jouait à Versailles, ainsi qu’à la soirée « de comédie »60 du 23 mars, pour la quinzième représentation de la pièce61.
Scipion l’Africain parut pour la première fois sur la scène en date du 22 février 1697, un vendredi de la saison hivernale, conformément à l’usage mis en place pour la représentation des nouvelles pièces sérieuses en cinq actes62. En l’occurrence cette date s’explique parfaitement, sachant qu’elle se situe immédiatement après le Mardi gras63, conformément à ce qui avait été précisé sur la feuille d’assemblée du 2 janvier :
[…] il a esté resolu que [la piece Scipion l’Africain] sera joüée mais qu’avant de luy donner un temps on entendra une seconde lecture de la piece de Monsieur Boyer […]. Celle de Monsieur Boyer [estant] acceptée […] l’une ou l’autre [sera] joüée avant le Carnaval […]. Les dimanche, lundy et mardy gras demeureront à la troupe sans qu’elles soient représentées pendant ces trois jours.
Scipion l’Africain a ainsi été créé après le Carnaval64. Les deux registres journaliers de la Comédie-Française65 permettent de constater que la pièce fut d’emblée jouée au simple, probablement en raison de l’échec de Polymneste de l’abbé Genêt au mois de décembre, jouée au double et tombée après cinq séances66. Ceci fut favorisable à la pièce, dont la première représentation fut suivie par un public excédant les 600 personnes, ce qui constitue un bon effectif, au regard de la fréquentation habituelle du théâtre67, à raison d’une recette de 1125 livres 5 sols. En outre l’affluence des spectateurs était confortée le dimanche 24 février, date de la seconde séance, au jour de la semaine le plus attractif du théâtre : enregistrant à cette représentation un total de 730 billets, la pièce suscita le déplacement massif du public le moins fortuné, comme en témoigne le chiffre de 408 billets à 15 sols vendus ce jour-là. Ceci explique que la recette ait été légèrement inférieure à la première – à hauteur de de 1011 livres 10 sols –, en dépit d’un public plus fourni. Les séances suivantes furent marquées par un reflux du parterre, dont l’effectif retombait à 278 puis à 171 billets à la cinquième représentation. Néanmoins les recettes parvenaient à se maintenir à un niveau tout à fait convenable, à hauteur de 895, 735 puis 932 livres, grâce à un intérêt soutenu dans le reste du public, notamment dans sa belle partie, sachant que les acheteurs de billets à 3 livres s’élevaient au nombre de 213 à l’occasion du samedi 2 mars, pour la cinquième représentation de la pièce. Le recul de ces derniers le lundi 4 mars était compensé grâce au nouveau surcroît des billets les moins onéreux, à savoir ceux à 30, 20 et 15 sols, qui permirent de porter la recette à 793 livres 10 sols. Toutefois, à compter de ce jour, les acteurs se décidèrent à jouer des petites comédies en un acte à la suite de Scipion pour soutenir la fréquentation des séances : ce furent d’abord La Parisienne et L’été des coquettes de Dancourt, puis Le cocher supposé de Hauteroche et Georges Dandin, comédie en trois actes de Molière.
Ainsi le mardi 6 mars, la septième représentation rapporta une belle recette de 955 livres 5 sols, pour 622 billets vendus. Ce résultat ne fut cependant réitéré que dans une moindre mesure lors des trois séances qui suivirent, dont les recettes oscillèrent autour de 550 livres : en conséquence il fut décidé de différer de deux jours la dizième représentation de Scipion, qui fut donc programmée au samedi 16 mars, en vue d’éviter l’essoufflement des effectifs68. Ce procédé ne manqua pas de réussir, car la onzième représentation, conjointe aux Vendanges de Surênes de Dancourt, atteignait 477 billets vendus, et ne rapporta pas moins de 815 livres 15 sols. Par la suite, les représentations des 18, 20 et 22 mars étaient complétées respectivement par Attendez moi sous l’orme de Dufresny et Régnard, La Sérénade de Régnard69, et enfin La Parisienne de Dancourt, trois petites comédies à succès créées dans les années 1690. Elles obtenaient des recettes satisfaisantes, à hauteur de 587 livres, 633 livres 5 sols et 660 livres 15 sols. Il semble que la perspective de la fermeture annuelle du théâtre en date du 23 mars ait alors aiguisé l’intérêt des spectateurs, venus en plus grand nombre le 22, pour la quatorzième et dernière représentation de Scipion avant la fin de la saison, au Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. Parallèlement à cette vie théâtrale, un Privilège du Roi avait été pris le 21 mars pour le Recueil des Œuvres du Sieur Pradon, par le libraire parisien Thomas Guillain, qui avait déjà publié Régulus en 1688, et qui allait achever d’imprimer Scipion l’Africain en date du premier avril70.
En outre on sait, grâce aux indications du registre journalier, portées sur la page de gauche du samedi 23 mars, que la pièce fit également l’objet d’une représentation à la Cour à cette date. Il y est ainsi précisé : « on a joué aujourd’huy à Versailles Scipion et Le Medecin malgré luy », avec mention de la liste des acteurs et des frais engagés par l’usage de cinq carosses et deux chariots, pour un montant de 29 livres 6 sols71. Cette représentation correspond manifestement à ce qu’avaient indiqué les registres au samedi 2 mars, à savoir : « un voyage de Versailles [pour] la pièce » et « un voyage à Versailles où l’auteur doit entrer72 ». Il semble donc que la soirée « de comédie » du 23 mars ait été programmée ce jour-là. Outre ces documents qui établissent la réalité de la représentation, on dispose également d’un témoignage direct grâce à une lettre de la duchesse d’Orléans, qui y a assisté et qui en fait part à la duchesse de Hanovre :
Versailles, le 24 mars 1697.
Nous avons vu hier la nouvelle comédie de Scipion ; elle n’est pas mal […]. Selon moi, c’est la meilleure pièce qu’ait composée Pradon73.
Ce jugement favorable porté sur la pièce coïncide avec le fait que celle-ci s’était maintenue à l’affiche depuis plus d’un mois, preuve effective du succès qu’elle rencontra. Dans ces circonstances, Scipion l’Africain fut maintenu au répertoire à la réouverture de la Comédie-Française le 15 avril, et fut à nouveau joué le mercredi 17, avec La Comtesse d’Escarbagnas, petite comédie en un acte de Molière, très goûtée du public. Cette quinzième représentation offrit une recette satisfaisante atteignant 653 livres 10 sols, quoique fragile du fait de la faible affluence du public, puisque 356 billets furent achetés ce jour-là. C’est ainsi que les recettes s’effondrèrent à la séance suivante, le vendredi 19 mars74, chutant à 256 livres 15 sols pour 204 billets vendus. Après avoir rapporté une part de 1025 livres à Pradon, Scipion l’Africain quitta donc la scène75 et ne fut plus jamais rejoué76. Aucune nouvelle tragédie ne vint lui succéder jusqu’au 11 décembre de la même année, date de la création de l’Oreste et Pylade de La Grange-Chancel. Ce fait est normal puisqu’il était d’usage que les pièces sérieuses en cinq actes paraissent pour la première fois durant la saison hivernale.
Du reste, les seize représentations que tint la pièce de Pradon, auxquelles s’ajoute la séance de Versailles77, reflètent l’intérêt que celle-ci put susciter au sein du public, car, compte tenu du nombre limité de spectateurs potentiels à cette époque, ce chiffre suppose que les mêmes personnes soient venues à plusieurs reprises assister aux séances. C’est pourquoi Léris concluera au XVIIIe siècle que « c’est la derniere piece de cet Auteur, & elle eut un grand succès78 ». En outre, les informations fragmentaires précisées sur les deux registres journaliers de la Comédie-Française autorisent à croire que les représentations furent résolument fréquentées par le beau monde, sachant que plusieurs noms assortis de titres honorifiques figurent sous la liste des acteurs, ou sous la liste des billets achetés, pour avoir acquitté ou devoir leur place79 : le registre mentionne ainsi « le Chevalier d’Hautefort », « le Chevalier de Bouillon », « Monseigneur le duc », « Madame la duchesse », « Mr le Comte d’Albert ». Certains de ces noms apparaissent même plusieurs fois. Pradon pourra ainsi dire dans sa préface que sa tragédie eut le « bonheur » de « plaire » et d’avoir du « succés ». Cette réussite fut également invoquée par l’abbé Bordelon qui déclarait dans sa correspondance :
[…] la Tragedie de Scipion, piece en theatre, […] a été joüée fort long-temps avec grand succez, & […] on [la] remet de tems en tems sur la Scene Françoise, où elle plaist tousjours […]80.
En l’occurrence les termes de cette lettre répondaient aux attaques proférées par Gâcon à l’encontre de la pièce, et dénonçaient « l’injustice que [celui-ci] rend aux autres, & particulierement à feu Mr Pradon dont il censure (par imitation satyrique) la Tragedie de Scipion ». En effet la pièce fit l’objet d’une épigramme satirique de François Gâcon81, et fut également fustigée par Jean-Baptiste Rousseau82, qui la mentionna à la chute d’une épigramme adressée à Pradon : « Et le Grand Scipion sera toujours mauvais83, » formule qui faisait manifestement écho au vers 1402 de la pièce de Pradon, « Mais du grand Scipion nous devions tout attendre84. » Il est vrai que la pièce ne bénéficia pas des faveurs dont d’autres tragédies de Pradon pouvaient se targuer, comme Régulus et Pyrame et Thisbé. Au XVIIIe siècle, les Frères Parfaict, qui avaient consulté les registres de la Comédie-Française, s’étonnèrent même du nombre de représentations dont elle avait fait l’objet :
Il ne faut pas moins qu’une preuve aussi authentique, que celle qu’on peut tirer des Registres de la Comédie, pour assurer que cette Tragédie a été poussée jusqu’à la quatorziéme représentation […].85
Dès lors les critiques et biographes dénièrent tout le succès que la pièce avait pu avoir : Scipion l’Africain fut très rapidement considéré comme une œuvre médiocre, et ne fut plus édité après 174486.
Intrigue de Scipion l’Africain §
Acte I §
Les nombreux succès militaires de Scipion ont contraint Annibal à quitter l’Italie pour venir défendre l’Afrique, et les deux armées ennemies siègent près de Zama dans la perspective d’un combat. Aurilcar, un envoyé d’Annibal, vient requérir pour son Général une entrevue avec Scipion, auprès de Lépide, confident de ce dernier. À cette occasion il s’enquiert des deux captives des Romains, Ispérie, nièce d’Annibal, et Erixène, fille d’Hannon (sc. 1). Lépide sort à l’entrée d’Erixène, et Aurilcar confie à cette dernière le dessein d’Annibal de briguer la paix. Erixène lui révèle quant à elle que Scipion est amoureux, et finit par avouer malgré elle qu’elle en est éprise. Elle explique également qu’Ispérie se languit de son amant, le prince Lucéjus (sc. 2). Scipion paraît à la scène 3, et accepte l’entrevue sollicitée par son ennemi, puis dévoile à son confident l’amour que lui inspire la vue d’Ispérie (sc. 4).
Acte II §
Ispérie se plaint de la longue absence de Lucéjus, qui ne s’est pas manifesté à elle depuis qu’ils ont été séparés, lors de l’assaut contre Zama (sc. 1). L’arrivée impromptue du prince met fin à ses incertitudes, d’autant que celui-ci est déterminé à assaillir le camp pour la libérer. Elle le convainc toutefois de différer ses projets, car l’entrevue entre Annibal et Scipion pourrait bien l’affranchir de ses chaînes (sc. 2). Scipion la rejoint pour sonder les desseins d’Annibal, mais il ne peut s’empêcher de lui tenir un discours aux accents galants à peine voilés87 (sc. 4). Restant cependant fermement opposé à toute idée de conciliation avec Carthage, il se heurte aux larmes de la princesse et laisse éclater son irrésolution dans un monologue, au terme duquel il décide de tourner ses voeux vers Erixène, pour échapper à l’égarement que lui dictent ses sentiments (sc. 5).
Acte III §
Scipion a rendu un hommage galant à Erixène au cours de l’entracte, mais la protagoniste jalouse et clairvoyante dépeint l’échec persuasif de ce discours, qui n’a pu masquer les véritables sentiments du héros (sc. 1). L’expression de son dépit est interrompue par Lépide (sc. 2), qui annonce la venue de Scipion, en vue de la conférence avec Annibal. Le héros paraît et affirme son intention de refuser toute compromission avec Carthage, en acceptant un traité qui serait indigne de Rome (sc. 3). L’entrée d’Annibal à la scène 4 marque l’ouverture de la grande conférence, sommet politique de la pièce. Escomptant un accord de paix avec les Romains, Annibal retrace les vicissitudes de son parcours, et se constitue en parfait exemple de la versatilité de la fortune. Il finit par proposer à Scipion la main de sa nièce, et se retire pour parler à celle-ci (sc. 4). Troublé dans sa détermination, et craignant qu’Annibal n’ait eu vent de ses sentiments, le héros demeuré seul exprime les indécisions qui ressurgissent en lui (sc. 5).
Acte IV §
Ispérie explique qu’elle a eu connaissance du projet d’hyménée émis par Annibal (sc. 1). Interrogée par son amant indigné, la princesse tente de détourner ce dernier de tout dessein délétère, lui renouvelant sa promesse d’une fidélité absolue, pour laquelle elle compte rejeter toute défection qu’on lui imposerait ; Lucéjus décide malgré tout de prendre les armes pour libérer sa promise (sc. 2). Annibal reparaît à la scène 4, et enjoint sa nièce de se ranger au parti du sacrifice, mais il se heurte à un refus inébranlable. Après un bref monologue dans lequel elle réaffirme sa position (sc. 5), Ispérie est ensuite sollicitée par Scipion qui lui exprime sa répugnance à agir en tyran (sc. 6). Le dialogue est interrompu car Lucéjus est sur le point d’assaillir le camp : le soulagement affecté par Ispérie irrite la jalousie de Scipion, qui soupçonne Annibal de duplicité (sc. 8). Annibal vient tout au contraire désavouer l’initiative du prince, mais les insinuations de Scipion ne manquent pas de l’offenser (sc. 9) : l’acte se clôt ainsi sur la rupture brutale des tentatives de conciliation.
Acte V §
Seule sur scène avec sa confidente, Ispérie rapporte les premiers éclats du combat qui s’est ouvert et qu’elle n’a pu voir sans perdre connaissance (sc. 1). Ses craintes sont confirmées lorsqu’Erixène vient annoncer la large victoire de Scipion (sc. 2). Ispérie s’étant retirée pour partir à la recherche de son amant, Erixène décide de réfréner ses sentiments et de regagner Carthage pour y finir ses jours (sc. 3). Scipion lui accorde cette liberté à la scène suivante, mettant au jour la magnanimité dont il est capable. Mais le héros exprime encore ses doutes auprès de Lépide (sc. 5), d’autant que la conjoncture le met en position d’omnipotence sur les amants, Lucéjus étant désormais son prisonnier. La mise à l’épreuve de sa vertu est ainsi à son comble lorsque survient Ispérie, dont le charme continue à opérer sur lui (sc. 6). Le dénouement reste donc en suspens, et ce n’est qu’au cours des vingt-cinq derniers vers de la pièce que Scipion réalise un effort décisif sur lui-même, en rendant la liberté aux amants.
Élaboration dramaturgique de l’action §
Deux héros notoires §
Au XVIIe siècle, à une époque où l’Histoire passionne les Français, Annibal et Scipion l’Africain sont des personnages parfaitement familiers du public. En effet, outre les diverses pièces de théâtre dont ils furent les héros88, les œuvres de Plutarque et de Tite-Live, où ils comptaient parmi les figures historiques les plus éminentes, connurent un succès considérable au cours du siècle, et furent éditées de nombreuses fois, une vingtaine pour Les vies des hommes illustres grecs et romains de Plutarque, traduites par Jacques Amyot89. Il en fut de même pour Le Grand Dictionnaire historique de Moreri, édité à partir de 1680. Ces publications étaient également corroborées par la parution d’ouvrages de vulgarisation historique, comme celui d’Alain-Claude de Mestre, datant de 1675, intitulé Annibal et Scipion, ou les Grands capitaines avec les ordres et plans de batailles et les annotations, discours et remarques politiques et militaires de Mr le Cte G. L. de Nassau. Adoptant dans un premier temps un point de vue factuel sur les vies d’Annibal et de Scipion, l’auteur analysait le déroulement de l’Histoire, examinant la pertinence des décisions militaires prises par les deux grands Généraux. Ce type d’œuvre participait de l’intérêt grandissant pour une culture historique commune, fondée sur l’héritage du monde antique. Ainsi dans le domaine des arts, entre 1688 et 1690, Louis XIV avait commandé à la manufacture des Gobelins une copie intégrale de L’Histoire de Scipion tissée à Bruxelles vers 1558, dont les cartons avaient été réalisés par Giulio Romano, principal collaborateur de Raphaël entre 1515 et 1520. De même, en littérature, Pierre Ortigue de Vaumorière avait fait publier de 1656 à 1662 les quatre volumes de son roman héroïque, Le grand Scipion, œuvre qui refondait les données de l’Histoire au sein d’une intrigue d’ordre galant impliquant les deux grands héros, Annibal et Scipion. Les références antiques étaient en effet omniprésentes au sein de la société, apparaissant parfois sous la forme de métaphores ou de comparaisons, comme dans les bouts-rimés publiés par le Mercure galant. Par exemple, des vers de M. de Grammont disaient en janvier 1685 :
Dans chaque âge on a eu plus d’un grand capitaineLe plus grand eut toujours un concurrent fatal ;Témoins ce qu’on nous dit dans l’histoire romaineDu fameux Scipion et du grand Annibal. […]… Louis sans concurrent paraît seul aujourd’hui90.
Par conséquent le sujet choisi par Pradon s’inscrivait dans un horizon culturel commun avec un public averti.
Aux origines du choix du sujet §
Pradon avait déjà mis en scène des sujets romains, notamment en 1688, année de son plus grand succès. Après s’être inspiré de Florus pour son Régulus, selon ses propres indications91, l’auteur puisait dans les Décades de Tite-Live pour élaborer Scipion l’Africain. En effet, Germanicus ayant été un échec, sa volonté fut de produire une tragédie susceptible de renouer avec le succès qu’il avait connu huit ans plus tôt, et à cet égard les indications préfacielles de Régulus étaient explicites :
[…] je puis dire que cet Ouvrage a frappé si vivement tout le Public, & les Acteurs en ont rempli si dignement les caracteres, que cela me doit encourager à travailler à l’avenir avec plus d’application que jamais, & à chercher des sujets dont la grandeur soutienne celui de Régulus […].92
Le choix de l’auteur se porta donc sur un sujet romain historiquement proche de celui de Régulus, et s’attacha plus précisément à la figure de Scipion l’Africain, héros de la seconde guerre punique. Si la source historique mise en œuvre ne fut pas indiquée dans la préface, il est manifeste que Pradon puisa en grande partie dans les Décades, sachant que de nombreux vers de la pièce sont des reformulations directes de Tite-Live, particulièrement dans les scènes III, 4 et V, 793. Le dramaturge allait ainsi privilégier deux épisodes de la vie de son personnage. Dans un premier temps, il réinvestissait une action souvent magnifiée par les poètes et les peintres, narrée au livre 6 de la troisième décade, et dont la teneur s’inscrivait dans le sillage des Panthée94. Elle consiste en ce que Scipion, jeune Général envoyé à la reconquête de l’Espagne, consentit à libérer une très belle prisonnière en 210 avant J.-C., la rendant indemne à son fiancé, un prince des Celtibériens95. Le sujet avait déjà été traité en 1639 par Desmarets, dans la tragi-comédie Scipion, mais il n’y avait été développé que dans les deux dernières scènes de l’acte IV, et dans l’acte V, le reste de la pièce étant occupé par la prise de Carthagène, et par de nombreuses péripéties96. De même dans le drame musical de Minato Nicolò, Scipione Affricano97, l’épisode ne constituait qu’un des fils de l’action, qui adaptait simultanément l’histoire de Massinisse et de Sophonisbe. Pradon comptait tout au contraire en faire « l’action principale » de sa pièce.
Dans un second temps, il décidait de faire intervenir les événements afférents à la bataille de Zama : cet autre épisode se situe au livre 10 de la troisième décade de Tite-Live. Il y est narré qu’en 202 avant J.-C., Annibal, rappelé par le Sénat de Carthage pour défendre l’Afrique des Romains, obtient une entrevue avec Scipion, afin de négocier la paix ; sa tentative est un échec ; Scipion remporte la fameuse bataille de Zama qui lui vaut le surnom d’Africain, et qui marque la fin de la seconde guerre punique. Dans la pièce de Pradon, ces événements sont structurés avec l’épisode de la libération de la Celtibérienne, de telle sorte que l’action se situe en 202 avant J.-C. Un tel procédé n’avait pas encore été employé dans les autres productions théâtrales du siècle qui avaient traité ce sujet, comme la pièce de Desmarets ou encore les drames musicaux italiens, tels Scipione Affricano de Minato Nicolò et Il Trionfo della continenza considerata in Scipione Affricano de Giacomo Torelli98. De surcroît la grande confrontation des deux Généraux ennemis n’avait pas encore été réalisée sur la scène : certes dans sa tragédie Annibal, Dominique de Colonia avait déjà réuni les deux hommes, mais Scipion, désigné comme « le jeune Scipion », n’était pas encore L’Africain ; il n’avait pas même atteint l’âge de vingt ans, et n’était pas encore Général – l’action de la pièce se déroulant aux alentours de 216 avant J.-C. Le bref dialogue des deux protagonistes, à la scène 4 de l’acte V, n’avait donc rien de commun avec le sommet politique de l’an 202. De plus cette pièce n’avait été représentée qu’au Collège de la Sainte-Trinité de la Compagnie de Jésus de Lyon, le 1er juin 1692, et n’avait pas encore été publiée99. Pour ce qui est de la tragédie Annibal émanant de Théodore de Riupeirous, créée en 1688, elle n’avait pas même été imprimée, car les représentations avaient échoué. Il y avait bien eu une tragi-comédie de De Prade, intitulée Annibal, mais son intrigue prenait place à une date où Annibal mettait encore Rome en péril, soit approximativement entre 216 et 211 avant J.-C.100. Quant à la pièce de Thomas Corneille, La Mort d’Hannibal, datant de 1669, elle mettait en scène les événements de l’année 183 avant J.-C., soit nettement postérieurs à la seconde guerre punique. Par conséquent, Pradon disposait là d’une matière encore inexploitée, riche de possibilités, et adoptait une configuration dramatique inédite sur le sujet choisi, par la conjonction des deux épisodes historiques retenus.
Mise en œuvre des sources historiques §
Les indications parcellaires fournies dans la préface de Scipion l’Africain permettent d’arborer le trajet dramaturgique ayant présidé à son élaboration :
[…] mettant [Scipion] sur la Scene, j’ay dû luy donner ce caractere [amoureux], qui releve son action principale, qui est de vaincre sa passion, et de rendre sa Maîtresse à son Rival. […] il est vray-semblable que Scipion à l’âge de vingt-quatre ans, ayant pris la plus belle personne de l’Univers, ait été sensible à sa beauté et qu’il ait rendu quelques combats […]. Comme l’Histoire ne nomme point cette belle captive, je la fais Niéce d’Annibal, pour donner un plus grand contraste à l’amour de Scipion […].
Ces balises établissent sans conteste que la démarche dramaturgique de Pradon fut de mettre en scène l’épisode de la prisonnière celtibérienne, et de le replacer ensuite dans le cadre fastueux de Zama, le constituant ainsi en « action principale » de son héros101. Or chez Tite-Live, le récit mis en œuvre sur le sujet se résume à narrer la libération de la belle captive : après la prise de Carthagène par les Romains, des soldats conduisent la jeune fille auprès de Scipion, qui décide de convoquer son fiancé, nommé Allucius, prince des Celtibériens, et ses parents, pour la leur remettre inviolée ; les parents, frappés d’admiration en voyant qu’aucun tribut ne leur est réclamé pour cette marque de clémence envers leur fille, insistent pour offrir de somptueux présents à Scipion, qui finit par les accepter à condition qu’Allucius les prenne en complément de la dot102. Ces données forment le dénouement de la pièce. Pradon n’en a retenu que l’épure, maintenant le seul personnage du fiancé et supprimant les éléments matériels comme les cadeaux apportés à Scipion. Ce point de départ historique succinct, correspondant à l’extrême fin de l’intrigue, induisait donc un processus de construction à rebours de la pièce, à la recherche d’obstacles au dénouement, que le dramaturge pouvait ensuite lever au moment voulu. En l’occurrence, pour que Scipion hésitât à rendre la liberté à sa captive – que Pradon nommait Ispérie –, il fallait nécessairement faire intervenir un obstacle interne, puisque le Général avait à lui seul plein pouvoir de décision sur ses otages. Le « nœud » de l’intrigue émergeait dès lors en toute logique, grâce à l’invention d’un émoi amoureux affectant le héros romain, comme avait pu le faire Jean Desmarets dans son Scipion103. La passion allait ainsi être mise au service de l’action et la « relever », selon le terme employé par Pradon dans la préface. De plus cet expédient se prêtait d’autant mieux aux circonstances de l’action qu’il était conforme à la vraisemblance, car l’épisode choisi rassemblait les deux conditions propices à l’octroi d’un tel caractère au héros : d’une part, Scipion était remarquablement jeune, et d’autre part, sa captive était remarquablement aimable, au sens classique du terme. Or la typologie traditionnelle des caractères avait établi qu’un jeune homme porte en lui une propension naturelle à l’amour. C’est ce que La Mesnardière avait appelé « la Vrai-semblance Ordinaire », qui « se tire encore d’ailleurs que des Qualitez naturelles, puis que les accidentelles en sont les principales sources : comme la condition de vie, les divers attributs des âges, la nation, & la fortune104 ». Par conséquent il était vraisemblable de faire entrer sur la scène un jeune Scipion perméable au sentiment amoureux, d’autant plus qu’il se trouvait confronté à une femme proprement adorable. C’est exactement ce que Pradon allait étayer dans sa préface citée supra105. En conséquence il aurait été invraisemblable que Scipion demeure tout au contraire insensible à la vue d’Ispérie, et l’on aurait pu dire, à l’instar d’Abradate dans Panthée de Tristant Lhermite, qui s’étonne que son amante ait conservé sa chasteté tout au long de sa captivité auprès du Roi Cyrus,
Un vaincueur de ce grade, en l’avril de ses ans,Pres de toy ne sentir les aiguillons cuisans,Qui rebellent la chair de notre obëissance ? (III, 2)106
En outre, le récit de Tite-Live sur le sujet donnait matière à Pradon pour imaginer son héros amoureux :
Je suis jeune aussi bien que vous, luy dit-il […]. Aussi-tost qu’on m’eust amené vostre fiancée, & que j’eus appris que vous l’aimiez, ce que sa beauté me confirma facilement, comme je voudrois qu’on m’excusast d’aimer ardemment une Maistresse, s’il m’estoit permis de suivre les inclinations de mon âge, & que les soins de la Republique n’occupassent pas tout mon esprit, je me resolus de favoriser vostre amour […] (nous soulignons)107.
La pièce allait ainsi recourir à des « Sentimens d’amour », instruments dramaturgiques privilégiés par le théâtre classique, qui avaient massivement investi la scène, jusqu’à en devenir « l’ame du Théatre » selon les termes de La Mesnardière108. De surcroît la configuration dramatique adoptée était d’autant plus féconde qu’elle permettait d’associer le motif de l’amour à celui de la captivité : en effet la situation antinomique du amare captivae victor captus, qui fait du héros victorieux un amoureux vaincu par les beaux yeux de sa prisonnière, constituait une structure particulièrement goûtée au XVIIe siècle, et très souvent employée au théâtre, comme dans les Sophonisbe, dans Andromaque de Racine, La mort d’Hannibal de Thomas Corneille, Annibal de De Prade, Scevole de Du Ryer, ou encore, chez Pradon, dans Pyrame et Thisbé, Tamerlan ou La mort de Bajazet et La Troade. En d’autres termes, Pradon superposait à un sujet historique considéré comme un emblème de la continence, la thématique à la fois tragique et galante du héros épris de sa captive, selon laquelle la passion est toute-puissante.
Cependant la conduite d’une tragédie en cinq actes sur ce seul obstacle ne fournissait qu’une intrigue fragile et peu étoffée. Un tel défi n’avait pas été réalisé jusqu’alors, puisque chez Desmarets, la rencontre du héros avec la prisonnière n’occupait que le statut d’un épisode, intervenant à l’extrémité du quatrième acte, et enchâssé dans une suite de péripéties assez fournies. Par conséquent, il fallait faire entrer de nouveaux personnages illustres au sein de l’action, afin de créer une situation de péril, selon la terminologie cornélienne : or l’identité d’Ispérie, indéterminée chez les différents historiens, autorisait à attribuer une noble ascendance à celle-ci, d’autant que son fiancé était un prince des Celtibériens, et que la pièce était une tragédie. C’est ainsi que l’auteur pouvait l’arracher à son anonymat et en faire la fille d’Asdrubal109. Dès lors l’amour ressenti par Scipion pour cette illustre captive se redoublait d’incidences politiques majeures, puisqu’il entrait en conflit avec les exigences attachées à l’allégeance du personnage, selon lesquelles « Rome ne peut souffrir d’alliance ennemie (v. 546). »
Par conséquent, afin d’éviter une intrigue confinée à un conflit indépendant entre amour et devoir, et de soutenir une machine tragique déployée en cinq actes, l’action nécessitait de rendre consistant le rôle du grand dignitaire ennemi. Cependant un tel cheminement appliqué aux circonstances de la matrice historique aurait graduellement conduit à une action fortement éloignée des faits historiques : on aurait pu supposer qu’Asdrubal, pour sauver sa fille ou pour sauver Carthagène, aurait cherché à jouer sur les sentiments amoureux de Scipion, ce qui, hormis l’intérêt de cœur du Romain, se serait sensiblement rapproché de l’intrigue du Sac de Carthage, dramatisée par Puget de la Serre en 1642110.
Parvenu à ce point d’achoppement, le dramaturge choisissait de déplacer l’intrigue déjà élaborée vers d’autres circonstances géographiques et temporelles d’autant plus prestigieuses. En l’occurrence l’éminent exploit accompli par Scipion fut de faire migrer le foyer de la guerre punique depuis l’Italie et l’Espagne jusqu’en Afrique à compter de l’an 204 avant J.-C., date à laquelle il débarqua avec son armée près d’Utique, et parvint à redonner l’avantage militaire à son pays. Le succès de son entreprise fut couronné par la grande bataille de Zama le 19 octobre 202 avant J.-C., qu’il remporta contre le fameux Annibal Barca, fils d’Hamilcar, et frère d’Asdrubal. L’événement était d’autant plus intéressant qu’il était à l’origine de la naissance du cognomen distinctif de Scipion, « l’Africain ». Ainsi cette conquête du surnom offrait un élément symbolique majeur dans la construction de l’identité du héros, par l’acquisition d’un trait définitoire et singulier : c’est en effet par ce nom que Publius Cornelius Scipio se distingua de ses homonymes au sein de la gens Cornelia, notamment de son père, Publius Cornelius Scipio, et de son oncle, Cnaeus Cornelius Scipio, deux autres grandes figures de la seconde guerre punique. Ainsi, à la différence de la tragi-comédie Scipion de Desmarets, le titre que Pradon donnait à sa pièce, Scipion l’Africain, faisait d’emblée signe vers un personnage historique défini, et désignait, par la même occasion, un moment particulier de la vie du héros, en l’occurrence l’année 202, et la victoire de Zama, qui avait été considérée par les Romains comme emblématique, au point de valoir à Scipion le nom du pays où il avait vaincu les ennemis, procédé inédit jusqu’alors. La bataille de Zama apparaissait donc comme un aboutissement fécond d’un point de vue symbolique, intégrant une problématique liée à l’édification de l’identité individuelle, figurée par l’acquisition du surnom d’Africain : par conséquent Pradon élisait ce second épisode pour y fondre le premier, qui de Carthagène allait ainsi s’ancrer à Zama.
Outre son originalité, la translation était d’autant plus intéressante qu’elle fournissait l’avantage d’un enrichissement et d’un embellissement de la matière historique, permettant par ce biais de confronter Scipion à un adversaire prestigieux, en la personne d’Annibal. En effet une rencontre entre les deux grands dignitaires était établie à cette date dans l’Histoire, selon laquelle Scipion consentit à s’entretenir avec Annibal avant le combat, comme celui-ci l’avait sollicité. Cet événement constituait un fait exceptionnel, car les deux illustres chefs se retrouvaient face à face pour la première fois. On sait que durant la conférence, Annibal exprima son souhait de conclure la paix avec Rome, mais que sa requête échoua devant un ferme refus de Scipion, et que cette issue infructueuse engendra la fameuse bataille, selon un rapport de cause à effet propice à la progression de la tragédie : gravitant autour de la conférence entre les deux héros, à l’instar de la grande scène entre Sertorius et Pompée à l’acte III de Sertorius de Corneille, cet épisode opportun devait ainsi investir l’intrigue, et le personnage d’Annibal allait hériter des actions que l’Histoire lui avait prêtées.
Naturellement cette recontextualisation offrait de nouvelles possibilités d’anoblissement pour la jeune prisonnière, qui gagnait de ce fait un lien de parenté éclatant avec le Général carthaginois le plus fameux de la seconde guerre punique, à savoir Annibal Barca, que l’élaboration dramaturgique avait préalablement convoqué. Cette illustre filiation devait ainsi assurer la ligature et la concentration des deux fils d’intrigue, portant à un niveau hyperbolique les entraves à l’amour de Scipion, qui sans cela était déjà impossible. Dès lors, suivant un travail de déduction, la conjonction des événements précédant la bataille de Zama et de la captivité d’Ispérie conduisait à imaginer que celle-ci avait été faite prisonnière lors d’un assaut militaire récent : c’est pourquoi Pradon inventait l’existence d’une attaque contre Zama lancée deux mois avant le début de l’action. Ispérie était donc parfaitement intégrée au décor africain de l’an 202. Cependant restaient à relier le déchirement de Scipion entre amour et devoir et la grande conférence avant la bataille. Or Annibal qui était venu requérir la paix auprès de Scipion avait proposé en échange un ensemble de concessions politiques : dans ces circonstances, et compte tenu des sentiments octroyés au héros romain, il était tout à fait cohérent de l’entendre offrir la main d’Ispérie pour faire vaciller la résolution de Scipion111. C’est effectivement ce que le Carthaginois allait faire à l’acte III, son entreprise devant ainsi constituer le « milieu » de l’action.
Par ce raisonnement déductif, l’action de la pièce se dessinait donc graduellement : Ispérie est depuis peu la captive de Scipion ; celui-ci s’éprend d’elle selon les dispositions naturelles de son âge ; Annibal qui veut exhorter Rome à la paix, tente d’exploiter cette faiblesse en proposant la main de sa nièce à Scipion ; et tout ceci devait infailliblement conduire à la bataille de Zama et à la libération de la jeune fille par le héros. Or pour des raisons de bienséance mais aussi de vraisemblance, la bataille ne pouvait avoir lieu qu’au cours d’un entracte, puisqu’elle supposait l’écoulement d’un temps suffisamment conséquent, correspondant à la durée des combats : elle ne pouvait donc se produire qu’entre les actes IV et V, à proximité immédiate du dénouement de la pièce112. De la même manière, le dilemme entre amour et devoir qui animait le héros ne pouvait se résoudre avant, au quatrième acte, sans quoi ce dénouement était déjà réalisé. Par conséquent, puisque Scipion ne pouvait avoir déjà choisi de renoncer à son amour, il fallait nécessairement qu’un élément déclencheur allogène intervienne pour fomenter la bataille, sachant que ce rôle ne pouvait être assumé par Annibal, dont l’intérêt premier était d’obtenir la paix avec Rome.
En l’occurrence le personnage du fiancé décrit par Tite-Live avait toute sa place dans ce paysage dramatique, d’autant que son illustre naissance de prince des Celtibériens le prédestinait à être l’un des héros de la tragédie. De plus l’Histoire lui attribuait un rôle d’autorité militaire, Tite-Live rapportant à ce sujet qu’après la libération de son amante, « ayans fait une levée dans le Pays de son obeïssance, [le Prince] revint quelques temps apres trouver Scipion avec une Cavallerie de quatorze cens hommes d’élite113 ». En effet, avant d’être conquis par la générosité de Scipion, Lucéjus comptait parmi les ennemis des Romains et combattait comme les autres Celtibériens aux côtés d’Asdrubal : il était donc parfaitement cohérent d’en faire un allié d’Annibal dans la pièce, après transposition de ces faits à Zama. D’autre part, sa qualité de fiancé de la jeune fille présupposait qu’il avait obtenu l’accord du père de celle-ci – ce qui coïncide avec la présence des parents dans le récit de Tite-Live. Ceci explique pourquoi Ispérie ne pouvait en aucun cas être la fille d’Annibal dans la pièce, puisque ce dernier devait tout au contraire y proposer sa main à Scipion : le dramaturge préférait donc « la fai[re] nièce » d’Annibal, et par voie de conséquence fille d’Asdrubal, autre parent prestigieux114, ce qui évitait de mettre en scène un Annibal inconstant dans ses promesses.
Or dans ce contexte, et fort de l’assentiment consenti par son beau-père, Lucéjus ne pouvait qu’être un opposant à la tractation ouverte par Annibal, et, en dépit d’une apparition brève dans les Décades de Tite-Live, il était susceptible de constituer un agent important : soucieux et impatient de retrouver sa promise, le jeune prince était à même de reprendre sa liberté d’action face aux projets contraires d’Annibal, et d’entreprendre un assaut militaire à l’origine de la bataille de Zama. Cette intervention zélée permettait en outre de contrevenir à un artifice répudié par les classiques, qui consiste à faire entrer in extremis un nouveau personnage au cours du dernier acte. Le dramaturge avait ainsi la matière pour son quatrième acte, à savoir que Lucéjus, apprenant les desseins d’Annibal formulés lors de la conférence au troisième acte, prend l’initiative d’assaillir le camp romain pour libérer son amante, et se voit à l’origine de la rupture des pourparlers de paix, suscitant par là même l’ouverture de la bataille de Zama durant l’entracte. Dramatisés sur un total de huit scènes, ces éléments offraient là un rebondissement à une intrigue dont l’avancée était jusque là demeurée ténue, et dont le nœud s’était même resserré. En outre Pradon opérait une remotivation des faits historiques, mettant la passion au service de l’action de sa pièce, « interpos[ant] entre les causes politiques et l’effet tragique des motivations passionnelles parfaitement vraisemblables115 ».
Dès lors, au cinquième acte, l’acheminement dramatique menant au dénouement ne nécessitait plus que la réduction du dilemme animant le héros depuis le début de la pièce – donner libre cours à ses propres aspirations ou consentir à la liberté de celle qu’il aime. La solution à l’alternative trouvait déjà son modèle dans l’Histoire, qui rapporte comment Scipion libéra sa prisonnière : l’obstacle interne appelait donc à un ultime renversement par une sublimation éthique du héros, digne d’un souverain, prêtant ainsi à un sujet simple une action complexe, modulée in extremis sur un coup de théâtre à la Cinna. En effet, au cours des vingt-cinq derniers vers de la pièce, Pradon rejoignait les termes de la diégèse antique, par la mise en œuvre de la décision généreuse de Scipion, présidant à la réunion finale des amants.
Au terme de cette analyse génétique, l’enchaînement dramatique de la pièce s’affirme dans toute sa cohérence : l’analyse a montré qu’il était parfaitement justifié de reconnaître à Pradon un talent d’élaboration dramaturgique, comme le firent certains critiques tel M. l’abbé de La Porte, qui finissait par admettre, après avoir qualifié Scipion l’Africain de « Piéce […] très-médiocre »,
Aujourd’hui, ceux qui ne jugent point de ses ouvrages d’après les vers de Despréaux, avouent que Pradon sçavoit conduire régulièrement une Tragédie, en ménager les incidens, y placer des peintures vives, des traits heureux, des situations intéressantes, quelquefois neuves, des mouvemens forts & véhémens […]116.
En effet, dans Scipion l’Africain, Pradon a su déduire un écheveau en mettant en œuvre des matériaux narratifs disparates, tout en évitant l’écueil de la duplicité d’action grâce à un assortiment intime des épisodes historiques retenus. En l’espèce, leur jointure première fut assurée par la filiation établie entre Ispérie et Annibal, qui permettait ensuite d’élaborer le reste de l’intrigue : la main d’Ispérie devenait l’offre d’Annibal pour appuyer la demande de la paix, et le déclenchement de la bataille de Zama était remotivé par l’entreprise guerrière du jeune amant, opposé aux termes de la tractation amoureuse. En outre l’action dégagée à partir du dénouement, selon un processus de « construction à rebours », se dotait par la même occasion d’une profondeur symbolique figurée par la conquête du surnom emblématique du héros. Il est étonnant que Pradon n’ait pas évoqué dans sa préface cette inventio ambitieuse faisant appel à plusieurs pages d’histoire, se limitant sur ce point à indiquer qu’il avait fait d’Ispérie la nièce d’Annibal, alors qu’il avait pris la coutume de détailler son travail dramaturgique dans ses autres préfaces, comme dans celles de Statira ou de Régulus.
Création d’un fil d’intrigue secondaire : le personnage d’Érixène §
La critique ne s’étendit en commentaires sur l’action de Scipion l’Africain et demeura silencieuse sur la construction élaborée qui la sous-tendait. Le seul reproche formulé à cet égard visait le personnage d’Erixène, inventé par Pradon : ce rôle fut en effet jugé « absolument inutile à la Piéce » par les Frères Parfaict117, « postiche » par l’abbé de La Porte118, « inutile » par Lancaster119 ou encore « inexplicable » par Bussom120. Certes Erixène est un personnage épisodique enchâssé au sein de la tragédie : absent des actes II et IV121, il n’apparaît que dans six scènes sur vingt-neuf, et semble à la marge du sujet de la pièce, dont l’épure se résume à la libération d’une princesse hispanique par un Général romain magnanime. Fille d’Hannon, Général hostile à la dynastie des Barca, Erixène est une captive des Romains au même titre qu’Ispérie, et s’est éprise de Scipion, qui consent à lui rendre la liberté à la fin de la pièce : il est vrai que ce rôle relève plutôt d’un intérêt thématique. Cependant il semble que la création du personnage trouve également une justification dramaturgique en la seule action d’Erixène qui a une incidence sur l’intrigue principale : en effet c’est elle qui apprend à Aurilcar que Scipion est amoureux, au premier acte – préparant par la même occasion le spectateur à l’aveu du héros à la scène 4. Cette confidence a une importance déterminante, puisque c’est par elle qu’Annibal a connaissance des émois de son illustre ennemi – grâce au concours d’Aurilcar, qui l’en a informé hors scène –, et qu’il en vient à proposer la main de sa nièce à l’acte III. Or en dépit de ce que dit Lancaster,
l’information qu’[Erixène] fournit à l’envoyé d’Hannibal pouvait facilement émaner d’une autre source122,
il n’était pas si simple d’élaborer un autre expédient dramaturgique. En effet l’information ne pouvait être fournie par Ispérie, qui devait seulement paraître au début du second acte, à l’instar d’une Hermione ou d’une Eriphile, et selon une configuration fréquente chez Pradon lui-même, mettant en lumière l’entrée de l’héroïne123. En outre, une apparition d’Aurilcar à l’acte II n’aurait pas été pertinente, de même qu’une visite anticipée d’Annibal avant la grande conférence. Par conséquent, il fallait que le secret soit dévoilé par un autre protagoniste, à l’acte I, au cours de l’exposition, et même avant l’aveu de Scipion, sachant que les sentiments de ce dernier ne pouvaient alors être connus que par un témoin oculaire de son trouble face à Ispérie. En tout état de cause le rôle ne pouvait être tenu par un Capitaine de l’armée romaine, ni même par Lépide, le propre confident du héros, car ceux-ci auraient trahi leur Général ; il pouvait encore moins l’être par la confidente d’Ispérie, qu’il aurait été inconvenant d’introduire un acte avant l’héroïne. Il fallait donc créer un personnage carthaginois susceptible d’être présent dans le camp, auprès d’Ispérie, et en situation de percevoir le désordre de Scipion face à elle : cette position ne pouvait être assumée que par une autre captive, et peut-être même par une rivale d’Ispérie, afin de la rendre sensible aux émois de Scipion. C’est ainsi qu’émergeait le personnage d’Erixène, dont le nom semble être un souvenir patent de celui d’Eryxe dans la Sophonisbe de Corneille, sachant que sa confidente allait également s’appeler Barcé124.
En outre il semble que l’initiative de Pradon ait trouvé sa matière dans l’Histoire, car il s’avère qu’avant la libération de la princesse celtibérienne, Scipion fut sollicité par une autre captive, la femme de Mandonius125, qui avait été faite prisonnière lors de la prise de Carthagène, avec ses jeunes nièces :
Une Dame déjà âgée, femme de Mandonius […] pria [Scipion] de commander plus particulierement aux Gardes de respecter, & de bien traiter les femmes. A quoy Scipion ayant répondu qu’elle ne manqueroit de rien, cette femme reprit la parole, Nous ne nous soucions pas beaucoup de cela, dit elle, & de quoy ne se contenteroit pas la fortune où nous sommes aujourd’huy reduites ; j’ay bien d’autres soins & d’autres soucis quand je regarde l’âge de ces miserables filles, car pour moy je suis déjà hors du danger & de l’apprehension des ouvrages que je crains pour elles. Elle avoit autour d’elle les filles d’Indibilis, qui estoient remarquables par leur jeunesse & par leur beauté, & outre cela beaucoup d’autres qui n’estoient pas de moindre condition […]. Scipion luy fit cette reponse, Je serois assez obligé par la discipline du Peuple Romain, & par celle que j’ay accoustumé de suivre, d’empécher qu’on ne profanast parmy nous, ce qu’on respecte par tout le monde ; mais vostre condition & vostre Vertu m’obligent d’y prendre garde de plus prés […]. Apres cela il les donna en garde à un homme dont la probité luy estoit connuë, & luy commanda d’en avoir le mesme soin, & de les traiter avec autant de respect que les femmes, & que les meres de leurs amis & de leurs hostes126.
Il semble que Pradon ait transposé et transformé cet épisode pour mettre au point le personnage d’Erixène. En effet les circonstances de la libération de la princesse à la fin de la pièce rappellent assez nettement le récit de Tite-Live : d’une part Scipion lui rend sa liberté juste avant Ispérie, et d’autre part il la confie à Sextus, en précisant
Cependant vous pouvez partir, allez Sextus,Et rendez les hommages qu’on doit à ses vertus (v. 1271-1272),
consigne qui ressemble sensiblement à l’attitude de Scipion décrite ci-devant par l’historien antique. Quant à l’ascendance d’Erixène, l’auteur s’est manifestement fondé sur une défaite d’Hannon après la prise de Carthagène, rapportée par Plutarque :
Apres qu’Asdrubal se fut retiré vers [l’]Italie, Hanno fut envoyé de Carthage pour tenir son lieu, lequel, ainsi qu’il taschoit en passant à faire rebeller la Celtiberie, M. Syllanus vint assaillir par le commandement de Scipion, où il fut si heureux qu’il le vainquit en bataille & le print127.
Pradon a ainsi refondu une autre matrice historique au sein de la pièce, en lui accordant le statut d’un épisode subordonné et enchâssé à l’action principale. Blâmé à compter du XVIIIe siècle, le personnage d’Erixène ne fut cependant pas celui qui frappa les contemporains, davantage interpelés par la constitution des caractères prêtés aux héros de la tragédie.
Une tragédie des caractères §
C’est vous dire […] jusqu’à quel point le Peintre habile de Regulus a pris le change dans le caractère de Scipion128.
Par cet éclairage apporté au XVIIIe siècle, Joseph de La Porte reformulait le plus grand reproche asséné à l’encontre de la pièce, depuis sa création, en passant par les Frères Parfaict et même jusqu’à Lancaster. Les seules critiques contemporaines des représentations dont on dispose aujourd’hui – assorties d’une visée satirique ou pas – pointaient en effet de façon convergente vers les « mœurs » accolées aux héros – ce qui, rappelons-le, ne sonna nullement l’insuccès de la pièce. François Gâcon, dans l’épigramme XCV de son Poëte sans fard, dressait ainsi un portrait caustique des personnages :
Dans sa pièce de Scipion,Pradon fait voir ce Capitaine,Prêt à se marier avec une Africaine ;D’Hannibal il fait un poltron.Ses Heros sont enfin si differents d’eux-mêmes,Qu’un quidam les voyant plus masquez qu’en un bal,Dit que Pradon donnoit au milieu du CarêmeUn piece de Carnaval129 .
L’expression « si differents d’eux-mêmes » est révélatrice : aux personnages « faits » et dépeints par Pradon, il était reproché un manque de ressemblance avec leur effigie historique, soit une transgression par rapport à l’un des quatre critères qui contituent les caractères des tragédies, selon lequel un héros doit être semblable à l’image qui lui est traditionnellement attachée – les trois autres critères étant la convenance, la qualité et la constance. C’était également la signification du propos tenu par la duchesse d’Orléans, qui estimait : « l’auteur a faussé le caractère de Scipion : il le rend trop amoureux130 ».
Scipion arrive ainsi en première ligne des « Heros si differents d’eux-mêmes » raillés par Gâcon et vilipendés par la critique. Cela n’est guère étonnant, car Pradon – tout comme Desmarets dans son Scipion – avait osé transgresser les exigences de ressemblance et de qualité incombant au personnage tragique, en mettant son héros à l’épreuve des assauts du pathos, notamment amoureux, ce que La Mesnardière qualifiait de « faute notable contre les mœurs », expliquant :
N’auroit-il pas bonne grace de nous faire voir […] Un Scipion affecté, & plus capable de brusler à l’aspect du premier visage pourveu de quelques attraits, que de vanger ses Ancestres, & le sang de ses Citoyens ? […] Il faut sans mentir estre aveugles pour ne point appercevoir que les Sujets de Théatre où se treuvent ces manquemens, ne peuvent jamais reüssir, quelque peine que l’on employe à parer les Avantures que d’abord on aura basties sur de si mauvais fondemens131,
argumentaire que reprenaient La Porte et Chamfort en 1776, dans leur Dictionnaire dramatique, déclarant qu’« il y a des Personnages qu’il ne faut jamais représenter amoureux ; les grands hommes, comme Alexandre, César, Scipion, Caton, Cicéron, parce que c’est les avilir132 ». En effet Scipion l’Africain est un parangon historique de la continence, et la libération de la princesse hispanique par ses soins est à cet égard devenue l’illustration emblématique de sa vertu : comme le disait Plutarque à ce sujet,
[…] il y eut une chose entre toutes qui luy augmenta son los, & luy aquit grande benevolence, laquelle a esté celebree de tous auteurs comme un exemplaire de toute vertu. […] Certes c’est chose digne d’estre redigee par escrit, & Scipion luy-mesme est digne de recevoir le fruict de si grande humanité & continence, par les escrits de tous auteurs133.
Par conséquent, placer sur la scène un Scipion amoureux apparaissait comme un sacrilège et comme une subversion du caractère attaché au personnage. En l’occurrence, dans la pièce de Pradon, la bravade était d’autant plus saisissante que le support historique employé consistait en un épisode tout entier dominé par l’ethos du héros – consacrant sa vertu exemplaire envers une belle prisonnière. Pourtant il est patent que la configuration adoptée dans Scipion l’Africain n’émanait nullement d’une ignorance de l’auteur, qui était tout autant soucieux de satisfaire le goût du public que de respecter les bienséances, dont il connaissait les règles. Ainsi les indications préfacielles de Régulus convergeaient en ce sens :
J’avoue qu’il y a peu d’amour [dans cette pièce] ; mais je n’y en pouvois mettre davantage avec bienséance : & j’ai fait cette réflexion dans les représentations de Regulus, que la grandeur d’ame frappe plus que la tendresse, & que le Spectateur est touché plus vivement par une grande action qui l’enleve, que par une fade amour qui languit, & qui fatigue & l’Auditeur & l’Acteur134.
Ces propos permettent de conclure que les choix dramaturgiques de Pradon dans Scipion l’Africain n’étaient nullement dus au hasard, ni d’ailleurs à une volonté d’infléchir la tragédie dans le sens d’une esthétique du pathétique tendre, sous l’influence de la tragédie galante. Les sentiments de Scipion ne se résument pas à « une fade amour qui languit […] » ; ils ne tiennent pas non plus le statut d’un épisode, car la tragédie tout entière roule sur leur conflit avec l’ethos constitutif du héros. En effet l’amour de Scipion avait été induit par la construction dramaturgique de la pièce, et apposé comme obstacle interne à la générosité de Scipion envers sa captive : Pradon l’avait déduit des traits fixes qui définissent le caractère de son personnage, à savoir sa jeunesse remarquable, qui selon les lois de la vraisemblance, le prédisposait à être affecté par un trait temporaire, en l’occurrence par un pathos d’ordre amoureux, comme le dictait la typologie traditionnelle des caractères. Il n’est donc pas anodin qu’Aurilcar, puis Annibal, mettent successivement l’accent sur le jeune âge du Général :
Son jeune cœur n’a-t-il que de l’ambition ? (Aurilcar, v. 88)Et mon étonnement est qu’en un si jeune âge,Vous ayez fait trembler Annibal pour Cartage […]. (Annibal, v. 733-734)
Ces rappels visent à souligner que Scipion porte en lui un trait fixe dont les présupposés sont contradictoires avec le modèle historique d’un jeune Général demeuré inaccessible à la passion, malgré une situation de mise à l’épreuve paroxystique face à la belle princesse celtibérienne. En d’autres termes, la constitution même du caractère de Scipion était déjà sous-tendue par une dichotomie essentielle, et contenait en ses prémisses les virtualités d’un conflit intérieur entre ethos et pathos, que Pradon allait ainsi dramatiser en le déployant sur toute sa pièce.
À ce stade du raisonnement, il incombe d’en revenir au propos de la duchesse d’Orléans qui considérait que « l’auteur a faussé le caractère de Scipion : il le rend trop amoureux135 ». La duchesse ne réprouvait pas l’amour du héros en lui-même : son reproche visait bien plus le degré d’emprise accordé à la passion sur le personnage. En effet certains vers de la pièce donnent à entendre que l’ethos de Scipion vacille dangereusement, comme :
Je ne suis plus Romain, je suis foible, & je sensQue contre ma vertu se revoltent mes sens […] (v. 1283-1284)
En l’espèce, Pradon a manifestement opéré la synthèse entre une matrice historique conduite par le triomphe de l’ethos et une structure qui consacre la toute-puissance de la passion. Cette seconde structure, dominée par les élans du pathos, repose sur la figure de l’inversion paradoxale, qui place le vainqueur en situation de captif de sa captive, sous l’effet des beaux yeux de la dame, comme avait pu l’être Pyrrhus dans l’Andromaque de Racine. La nature irrépressible de la passion rend alors possible une brisure temporaire dans la constance du souverain. Dans Scipion l’Africain, la fusion des deux sujets aboutit à la peinture d’un antagonisme véritable, au sens où le pathos tout autant que l’ethos semble avoir la possibilité de l’emporter, par interstices, au gré des hésitations, puis des ressaisissements du héros. D’un point de vue dramaturgique, cette double potentialité suspendue au sein de l’action, jusqu’à l’extrémité de la dernière scène, était rendue nécessaire par le sujet même de la pièce, sachant que l’auteur dramatisait une matrice tragique à fin heureuse, clôturée par la réunion des amants, et par la magnanimité du Général. Pour cette raison, il fallait nécessairement créer l’illusion que les amants pouvaient sombrer dans le malheur, et le héros dans la tyrannie, ce qui conduisait logiquement à accorder de la place au dérèglement suscité par les mouvements du pathos affectant Scipion. De la même manière, les résistances de l’ethos ne pouvaient être évincées de la délibération sans outrer la convenance attendue du personnage. En ce sens il est à souligner que la pièce insiste à plusieurs reprises sur les réticences du héros à se plier aux velléités de son amour : se révoltant contre les symptômes qui l’affectent – et dont les descriptions sont influencées par la Phèdre de Racine –, celui-ci y fait « des efforts en vain pour l’arracher » (v. 96), « rougi[t] d’en sentir les mortelles atteintes » (v. 221), et refuse d’user des prérogatives attachées à son statut de vainqueur, déclarant à Ispérie,
Mais sans contraindre un cœur s’il ne se donne pas,Loin d’en être tyran j’en abhorre le titre […]. (v. 1104-1105)
Ces propos ont leur importance, car Scipion précise bien qu’il ne compte nullement s’abandonner à sa passion jusqu’à tyranniser sa captive – à la différence d’un Pyrrhus qui cherchait à fléchir Andromaque en menaçant la vie de son fils : en effet La Mesnardière explique sur ce point que « quelques étranges effets que produise cette Passion [la jalousie], elle ne doit point emporter un noble & généreux courage jusqu’à offenser son amour par des saillies violentes, lors principalement que la personne qu’il aime, est d’un rang à estre servie avec d’extrémes respects136 ».
En aval de cette suspension entre ethos et pathos, Pradon a choisi de refondre le principe racinien de la cause finale, instillant dès la scène d’exposition la virtualité du dénouement – « virtualité » étant à entendre au sens de ce « qui est en puissance, possible » –que l’enchaînement tragique doit donner l’illusion de mettre en péril :
Sa bonté, sa clemence égalent sa valeur ;Oüy, son bras aux vaincus ne fut jamais funeste, […]. (Lépide, v. 60-61)
La catastrophe se voyait donc préfigurée dans les premiers vers de la pièce, mais la clarté de la prolepse devait être embrumée par le propos tenu dans les vers suivants, qui présentaient le pouvoir impérieux des attraits de la femme aimable :
La Niéce d’Annibal, l’adorable Isperie,Fit briller tant d’éclat & tant de modestieQu’il en fut ébloüy : mais enfin sa beautéPorte un charme secret dont on est enchanté. (v. 65-68)
En effet, la figure étymologique associant ici « charme » et « enchanté » faisait signe vers le sens originel de ces deux mots, tous deux issus du même étymon canere, « chanter », à l’origine « terme de la langue augurale et magique dont les formules sont des mélopées rythmées137 ». L’expression est donc à prendre en son sens fort. Par conséquent cette scène d’exposition était déjà grosse de l’étroite rivalité entre les deux instances scindant le héros, l’ethos et le pathos, situation conflictuelle qui allait innerver la conduite de l’intrigue – Scipion l’Africain n’étant pas une tragédie de la déploration face à l’hégémonie des passions, mais de la lutte avec ces mêmes passions. Entre aspirations et résistances, suite d’hésitations ravivées par la vue de la femme aimée puis par ses larmes138, la pièce est donc bien une tragédie d’action, car le héros peut à tout moment prendre l’ultime décision de lever l’obstacle à l’union des amants, ou tout au contraire de le rendre définitif.
« Vaincre sa passion » constitue donc l’« action prinpale » réalisée par le héros éponyme, selon les termes employés par Pradon dans sa préface. Du point de vue de la construction de l’intrigue, l’auteur aurait aussi pu faire en sorte que Scipion l’accomplisse avant la bataille de Zama, qui aurait alors constitué l’horizon final de la pièce – cette combinaison théâtrale aurait ainsi abouti à un dénouement analogue à celui de la tragi-comédie Annibal de De Prade139. Dans ces circonstances, le héros aurait pu assurer lui-même la rupture des pourparlers avec Annibal, comme cela était fondé dans l’Histoire. Tout au contraire, Pradon a préféré faire intervenir la bataille avant de mettre en œuvre la catastrophe qui consacre la magnanimité de Scipion. Ce choix dramaturgique est encore une fois loin d’être anodin. Il a déjà été exposé qu’il permet d’aménager le quatrième acte grâce aux éclats du conflit entre les personnages, et de prêter à Lucéjus un rôle d’agent majeur au sein de l’action. Mais ce n’est pas l’unique raison de cette dispositio. En effet, d’un point de vue symbolique, une telle distribution des événements dramatiques donne à entendre que si Scipion a fait preuve d’une telle magnanimitas envers Ispérie, c’est parce qu’il est devenu Scipion l’Africain – les soldats viennent en effet de lui décerner ce surnom, comme l’indique Lépide : « Cartage va tomber, & le soldat Romain / Vous honore déjà du titre d’Africain » (v. 1291-1292). En outre, la syntaxe dramaturgique consistant à faire entrer au cinquième acte un Scipion déjà vainqueur d’Annibal permet également d’exhausser jusqu’à un niveau paroxysmique la situation conflictuelle qui l’anime. Le paradoxe qui fait du héros victorieux un homme désarmé par les charmes de sa captive, thématique à la fois tragique et galante, trouve ainsi une expression d’autant plus tangible à travers ce schéma dramaturgique, car il permet d’approfondir le clivage existant entre les deux protagonistes, Scipion ayant désormais un pouvoir absolu sur la vie de celle qu’il aime – sachant par surcroît que l’amant de cette dernière, ayant été fait prisonnier à son tour, ne peut plus lui venir en aide –, comme le souligne Lépide, disciple du pathos : « Hé ? Seigneur, profitez des droits de la victoire ? […] / Seigneur vous pouvez tout, & vous êtes le maître » (v. 1289, v. 1293). Dès lors, le seul garde-fou qui subsiste en contrepoint des mouvements du pathos tient dans la « vertu civile » du héros – sa « vertu bellique140 » étant déjà sauve grâce à l’absence de compromission et à la victoire sur Annibal : rencontre frontale, qui porte à son comble la mise à l’épreuve de Scipion et l’interrogation de son paradigme historique, face à la tentation hyperbolique d’exercer un pouvoir fort sur les vaincus.
Le dénouement mis en œuvre procède alors d’un retournement structurel touchant le premier acteur, qui met fin à la situation conflictuelle par le verdict effectif d’une parole à valeur performative : dévoilée dans les derniers vers de la pièce, la catastrophe est ainsi scellée par la prise de décision du héros éponyme rétabli dans la permanence de son ethos. Elle pourrait se résumer en ce vers de Régulus, « Quelle grande victoire il remporte sur soi ! (Metellus, IV, 4)141 ». Le coup de théâtre fomenté sur la scène, restituant l’effort sublime du souverain142, fut suspecté d’artifice par Lancaster, qui concluait que « le triomphe de Scipion sur lui-même […] semble plutôt être un expédient pour réunir les amants143 ». Il avait également été accusé d’invraisemblance par les Frères Parfaict, qui avaient estimé que Scipion « est […] un homme irrésolu, & méprisable au point, qu’on peut être étonné de la résolution héroïque qu’il prend à la derniere Scéne144 ». Etait donc reproché un défaut de cohérence dans la restitution du caractère, en somme un manquement au critère de la constance attendue de lui, ce que La Mesnardière appelait « sentimens égaux145 ». En l’occurrence Pradon réinvestissait là le principe de l’invraisemblable vraisemblable inventé par Corneille dans son Cinna, fondé sur « l’expression du sublime monarchique146 » et sur une esthétique de l’admiration147 : dans Cinna, la décision finale d’Auguste n’est pas vraisemblable en elle-même, mais elle le devient en tant qu’elle est le produit de la clémence, soit la plus haute vertu des rois, qualité « transgressive148 » par nature au regard des lois de la vraisemblance. Or dans Scipion l’Africain, Pradon a dramatisé cette structure paradoxale qui constituait le sujet même de la pièce, superposant l’exercice de la clémence à la résorption de l’empire du pathos amoureux préalablement insufflé à son protagoniste.
Cette restitution du personnage de Scipion valut donc à Pradon d’être accusé de « prendre le change » par rapport à la peinture de Régulus149. Cependant il ne faut pas oublier qu’avant d’être jouée, la pièce fut lue et élue par les acteurs de la Comédie-Française, qui étaient particulièrement soucieux de la qualité et de la conformité des œuvres théâtrales150. Or le précieux manuscrit de Scipion l’Africain donne à constater que des retouches furent pratiquées sur le texte au cours des répétitions151, et qu’elles concernèrent tout autant des passages excédant plusieurs vers – jusqu’à une scène entière – que des éléments de détail, portant parfois sur un seul mot, comme « tournez vos vœux » changé en « portez vos vœux » (v. 282). Ces remaniements témoignent de l’attention minutieuse prêtée au texte, et ce tant à sa forme qu’à son sens. Or sur les 475 vers et demi prononcés par Scipion152, seuls dix-sept subirent des corrections, et neuf syllabes furent supprimées153 : il s’agit de corrections ponctuelles, qui ne remettent pas en cause le caractère octroyé au héros. Au contraire, plusieurs d’entre elles tendent à assurer une meilleure adéquation du texte avec cette dramaturgie, déplaçant subtilement le sens du propos, comme aux vers 607-608, à l’origine :
Méprisons ses attraits, et je veux en ce jourQu’Erixene détruise un si fatal amour,
qui devinrent ensuite :
Méprisons ses attraits, et peut-être à son tourQu’Erixene sçaura détruire cet amour154.
Toute la différence tenait ici dans l’effacement de l’expression votive, transformant ainsi l’affirmation d’une volonté conquérante en une supposition fragile, là où le discours originel apparaissait prématuré en cette clôture du second acte. De même au vers 824, « Mais pour le mien il faut vous combattre une fois, » la forme « le mien » – subsumée sous « de pressants interêts » – fut rectifiée en « ma gloire », modification infime qui visait à rappeler la scission profonde du héros, partagé entre différents « interêts » contradictoires, comme il l’avouait à Lépide, à la scène 4, I :
Voilà donc l’interest le premier de ma gloire ;J’en ay d’autres secrets que tu ne pouras croire […] (v. 209-210)
D’autres exemples pourraient entériner le fait que la représentation de la pièce fut alla de pair avec une analyse et une rectification scrupuleuses du texte, qui n’altérèrent pas la conduite du caractère imparti au héros. Scipion l’Africain a ainsi été soumis au filtre de la censure à laquelle était tenus les acteurs, souvent rappelés à l’ordre par le Roi155. Par conséquent, la peinture du personnage telle qu’elle a été exposée ne pouvait émaner d’une ignorance des règles de la bienséance, ni même d’une faute de goût imputable à l’auteur, et par là même aux acteurs. Il s’agissait bien d’un geste littéraire conscient, ce que confirment indubitablement les constats formulés par le héros au cours de la pièce :
J’en ay d’autres secrets que tu ne pouras croire,Je ne sçay si mon cœur se seroit démenty,Je sens ce que jamais je n’avois ressenty. (v. 210-212)J’en ay rougy cent fois, & j’y fus trop sensible [aux transports de mon coeur] (v. 697).
L’auteur a ainsi traduit au sein même du discours l’étonnement potentiel des spectateurs confrontés au désordre de Scipion, et, à cet effet, il a volontairement instruit son personnage d’une conscience de lui-même, afin que celui-ci puisse exprimer sua sponte à quel point il est déroutant qu’un fameux héros de la continence connaisse les troubles de l’amour.
De plus ce type de propos n’est pas isolé dans la pièce, et ne concerne d’ailleurs pas uniquement Scipion : le dessein pacifique d’Annibal est lui aussi signalé à plusieurs reprises comme étant en dissonance avec la fama attachée à l’illustre « Capitaine ». Scipion n’insiste pas moins de quatre fois sur la surprise que suscite en lui l’attitude de son grand ennemi :
Annibal me surprend par ce nouveau dessein,Je ne le croyois voir que le fer à la main […]. (v. 147-148)Quoy ! luy-même en mon Camp, ma surprise est extrême ? (v. 170)Il dément la fierté de son ame hautaine. (v. 197)Je ne m’attendois pas qu’un si grand CapitaineVînt icy desarmé de colere & de haine,Qu’Annibal si long-temps couronné de lauriers, […]Pût rallentir en luy le desir de la gloire,Et qu’un Heros illustre après tant de hauts faitsPût jamais se resoudre à demander la paix. (v. 753-760)
Annibal lui-même souligne le caractère singulier de ses entreprises à l’acte IV : « J’ay demandé la paix, ah Ciel ! qui l’eût pu croire ? (v. 1058) ». Dans la même lignée, la scène biffée sur le manuscrit de la pièce à l’acte IV mettait en scène une Erixène rappelant vigoureusement Annibal à son ethos de fameux Général :
Est [-] il vray qu’Annibal nous apprenne à trembler [,]Ce Heros qu’autrefois rien ne put ébranler ?Vous demandez la Paix, non je ne puis le croire,Demandez la bataille ou plustost la victoire […]. (annexe I, v. 8-11 ; nous soulignons)
L’ensemble de ces discours explicitait ainsi la disjonction entre un état antérieur dominé par l’ethos d’Annibal et un état présent corrodé et « ébranlé » par les offensives du pathos.
En l’espèce, Annibal fait lui aussi partie des héros inculpés d’une distorsion de leur caractère : Pradon fut en effet accusé d’en avoir fait un « poltron ». En l’occurrence, le Général carthaginois est signalé à plusieurs reprises dans la pièce pour sa « prudence » (v. 85, 100, 401) – vertu cardinale empruntée au modèle historique, tout comme les soupçons de duplicité dont le personnage fait l’objet (v. 1140-1148)156 – et est tout entier imbu par le principe typiquement tragique du renversement de fortune, dû à une faute passée dont il a inféré les conséquences et qui l’incite à briguer la paix pour esquiver les caprices du sort. Annibal soutient cet argumentaire aux scènes III, 4 et IV, 4, et Lancaster dira ainsi à son sujet qu’il « tient le rôle d’un chef vaincu sollicitant la paix157 » – alors même qu’il n’est effectivement vaincu qu’à l’acte V. En l’occurrence, derrière l’accusation de « poltronnerie », il était manifestement reproché à Pradon d’avoir prêté au Général carthaginois des traits proches du caractère archétypal du vieillard, tel que le définissait Aristote :
Les vieillards […], parce qu’ils ont vécu de nombreuses années, qu’ils ont été trompés et ont commis de nombreuses erreurs en plus d’une occasion, et aussi que la plupart du temps les choses humaines vont mal, […] savent par expérience, combien il est difficile d’acquérir, facile de perdre […] en sorte que la vieillesse a frayé le chemin à la poltronnerie […]158.
Annibal est en effet le siège de ces lieux communs, lorsqu’il énonce que « la fortune éclatante / Qui fut assez long-temps pour [luy] ferme & constante, / Ne [l]’a point ébloüy » (v. 761-763), que Scipion « n’[a] point encor esté trompé par elle » (v. 770), ou encore qu’« un seul jour, un instant nous meine au précipice » (v. 786).
Or de telles mores trouvaient leurs fondements dans l’Histoire. On sait par exemple qu’en quittant le rivage italien, Annibal déplora longuement ses erreurs qui le conduisaient à se retirer d’Italie alors qu’il avait mis le siège jusqu’aux portes de Rome159. L’affliction suscitée par la faute consommée et la défiance envers la fortune devinrent des stigmates apposés à la mémoire glorieuse du personnage, au point que l’épitaphe de la « Vie d’Hannibal comparée à celle de Scipion l’Africain », dans Les Vies des hommes illustres grecs et romains de Plutarque, disait :
Ne t’estonne de voir s’envoler la victoireHors de tes mains, pour se rendre à plus sage vainqueur,Il faut apres le coup (comme devant) du cœur,Qui ne poursuit son heur void tost finir sa gloire160.
De même, le discours qu’Annibal tint lors de la conférence avec Scipion déclinait essentiellement le thème de la versatilité de la fortune – invoquant même son âge pour asseoir son argumentation : « je retourne vieux en mon pays, d’où je suis party presque enfant161 » – et Pradon s’en inspira très nettement pour construire les répliques de son personnage à la scène 4 de l’acte III : en dépit de ce que dirent les Frères Parfaict,
On a eu raison de dire que M. Pradon avoit fait son Annibal poltron : sa conversation avec Scipion est pleine de bassesses, & indigne de deux aussi grands Capitaines […]162,
de nombreux vers de la scène ressemblent jusqu’aux termes mêmes employés par le Général carthaginois dans les Décades163. La différence majeure introduite par Pradon résidait dans la fin de la conférence, au terme de laquelle Annibal propose en dernier recours la main d’Ispérie à son adversaire, et quitte la scène sans qu’une décision politique ne soit prise, là où dans l’Histoire il s’achoppait à un refus immédiat du Romain164. Sur ce point Bussom blâma le fait qu’Annibal « achève son discours sur le destin des nations en bavardant à propos de l’amour de sa [nièce]165 ». Cependant le schéma génétique dégagé de la matrice historique a mis au jour le fait que cet élément ne pouvait être retranché à moins de faire souffrir l’unité de l’intrigue, et d’en bouleverser toute la construction, l’offre de l’hymen permettant de différer l’issue négative de la conférence, et s’inscrivant dans le conflit entre ethos et pathos qui affecte le héros éponyme. Néanmoins le traitement opéré autour du projet d’alliance médité par Annibal apparaît paradoxal en lui-même, sachant qu’il refond le motif cornélien du sacrifice de la tendresse individuelle, comme avait pu l’exprimer Sophonisbe dans la tragédie de Corneille qui porte son nom :
J’immolai ma tendresse au bien de ma patrie :Pour lui gagner Syphax, j’eusse immolé ma vie. (I, 2)
En effet, le discours impérieux d’Annibal à l’égard d’Ispérie reprend ce thème :
Non, ne m’oposez point de frivolles ardeurs,L’amour ne regle pas le destin des grands cœurs,Il le faut immoler au bien de la patrie […]. (v. 1023-1025)
Or par ces propos Annibal assimile le sacrifice de l’amour – et paradoxalement celui de l’ethos, le héros déclarant dans le même temps qu’il a « sacrifié [s]a gloire (v. 1057) – à un devoir d’allégeance envers la patrie, alors même que l’alliance avec Rome serait une indignité pour Carthage : ainsi, là où chez Corneille le sacrifice de la tendresse parfaisait le triomphe de l’ethos des héros, ici le motif consacre tout au contraire l’afflux du pathos. Cette attitude fut manifestement jugée transgressive eu égard à la convenance attendue du personnage et explique sans doute en bonne partie l’inculpation de « poltronnerie ».
En effet, au sein de la pièce, le héros de Carthage, tout comme son illustre antagoniste, est lui aussi sujet aux atteintes du pathos, qui lui indique périlleusement de se démettre de sa gloire :
Jusqu’à vous en prier [de ménager un accord] je fléchis mon courage,Mais j’immole ma gloire au salut de Cartage […] (v. 813-814)
Ceci fut probablement tenu pour une outrance de la vertu de prudence traditionnellement attachée à Annibal.
Cependant il ne faut pas s’en limiter à ce point d’achoppement. En effet, d’un point de vue symbolique, il n’est pas à négliger que c’est bien Annibal qui, irrité par les insinuations de Scipion166, prend finalement l’initiative de rompre les pourparlers de paix cinq scènes plus tard : il s’agit là d’une invention de Pradon qui est loin d’être anodine. Elle figure en effet un cheminement du personnage au fil de l’intrigue et un rétablissement de son ethos. À la scène 9 du quatrième acte, le grand stratège renverse ainsi la situation sous l’impulsion de son jouteur, et rétablit l’accointance avec ses mores d’« autrefois », selon le terme utilisé par Erixène, rappelant jusqu’à leurs prémices, forgées en lui depuis son plus jeune âge avec le concours de son père, Hamilcar Barca, qui lui avait fait prêter serment de ne jamais s’accomoder avec les Romains :
Je me rends à ma haine, il faut remplir mon sort,J’ay promis de haïr Rome jusqu’à la mort,En naissant j’ay juré la guerre au Capitole,Jusqu’au dernier soûpir je luy tiendray parole. (v. 1179-1182)
L’expression « remplir mon sort » est à cet égard significative : « remplir » est à entendre au sens de « occuper dignement une place, soit dignité, soit charge, soit autre employ167 », et « sort » au sens de « condition ». La formule signale ainsi la rentrée dans l’ethos et l’accession du héros à la dignité tragique. Bien évidemment, le croisement de ce discours avec celui de Scipion n’est nullement le produit d’une coïncidence, le personnage éponyme ayant affirmé à l’acte précédent : « C’est à moy de remplir la gloire de mon sort […]. (v. 723) ». En effet le développement dramaturgique privilégié par Pradon visait à amplifier le thème de la restauration éthique des héros : là où la matrice historique ne laissait pas à Annibal l’occasion de renaître à ses mores et de rétracter ses desseins pacifiques, l’auteur lui faisait rallier in extremis son ethos invétéré, par le renoncement à une entreprise qui était contraire à lui-même168. Pradon a donc eu la bonne idée de dramatiser un épisode de la vie d’Annibal où celui-ci s’écarte de son attitude habituelle169 – ou tout du moins le feint, car les desseins du Général ne sont pas totalement purs dans l’Histoire170 –, ce qui coïncidait avec l’enjeu dramaturgique de sa tragédie : le dévoiement temporaire des caractères171. Il a ainsi fait affleurer l’octroi d’un sentiment amoureux à Scipion – excursion littéraire dérogatoire par rapport à la ressemblance attendue du héros tragique – avec la peinture ressemblante du personnage d’Annibal, jusqu’aux derniers instants précédant sa sortie de scène, contrariant cette fois le principe de la convenance.
Au sein de cet appareil désavoué in extenso par la critique, le prince Lucéjus, héros impétueux et impatient de retrouver sa promise, fut lui aussi décrié à compter du XVIIIe siècle, pour être la peinture d’un « jeune étourdi172 », à la marge de l’ethos attendu d’un prince de tragédie :
Les mœurs d’un Gouverneur d’Empire, & ses qualitez nécessaires, sont l’extréme vigilance, la fermeté, la hardiesse, l’addresse, la modération, la prudence extraordinaire, l’exacte fidelité, la parfaite connoissance de la Science Politique […]. Les Princes […] auront les mesmes attributs […]173.
Or l’imputation d’étouderie affectée au personnage était explicitée par les Frères Parfaict, qui alléguaient : « Ispérie, qui connoît son caractere, ne manque pas de le faire cacher, dès qu’elle voit arriver quelqu’un de suspect174 ». En l’espèce, les reproches dressés par la critique à l’encontre de Lucéjus tendaient à blâmer en lui des mores qui s’apparentent à la définition éthique traditionnellement assortie aux « jeunes gens », établie par Aristote en ces termes :
Les jeunes gens sont par caractère enclins au désir. […] ils sont surtout asservis à ceux de l’amour, et impuissants à les maîtriser. […] Ils sont bouillants, emportés, enclins à suivre leur impulsion […] ; leur ambition ne leur permet pas de supporter le dédain, et ils s’indignent, s’ils croient subir une injustice. […] ils espèrent facilement […] l’emportement leur ôte la crainte ; l’espoir leur donne la confiance ; car personne ne craint dans la colère175.
En effet, à l’acte II de la pièce, le prince s’introduit dans le camp romain afin de le reconnaître et en vue de l’assaillir, escomptant la libération d’Ispérie au péril de ses jours, et « craign[ant] qu’Annibal par sa lente prudence / Ne serv[e] mal [s]a flâme & [s]on impatience » (v. 401-402) : il déclare également qu’ « il faut tout esperer » (v. 408), que « l’ardeur de servir [Ispérie] doit [l]e rendre invincible » (v. 410). De surcroît, tout entier « animé par l’amour qui luy servoit de guide » (v. 1198)176, Lucéjus s’offusque de l’exaction initiée par Annibal, qui contrevient à la parole donnée :
Barbare politique ?Malgré tant de sermens voilà la foy punique !Je m’en étois douté ; quoy ? malgré vôtre foy,L’aveu d’un pere helas ! qui vous donnoit à moy,Le crüel vous engage en une autre alliance,Je veux le voir, je veux courir à la vangeance […]. (v. 961-966)
En l’occurrence, les indications fragmentaires fournies par Tite-Live arboraient une esquisse du personnage d’Allucius qui convergeait dans le sens d’un tel caractère : le prince est « en une extreme inquietude » pour sa fiancée, qu’il aime « uniquement177 » et « ardemment » selon le terme employé par Scipion ; il est « transporté de joye » par la générosité du Général romain, et se rallie ensuite à ce dernier, avec une « Cavallerie de quatorze cens hommes d’élite178 » : ces traits saillants du personnage, bien que brièvement décrits par Tite-Live, permettent de ciseler le portrait d’un jeune prince aimant et empressé pour l’objet de ses vœux. En outre ces mores étaient indispensables au développement même de l’action, qui requérait l’insurrection du prince contre les tractations entreprises par Annibal179. Pradon a donc respecté l’image historique du prince et en a édifié un personnage ressemblant, parfaitement intégré à l’efficace du dispositif dramaturgique. Cependant il reste inexact de stigmatiser Lucéjus tel un « étourdi » – au sens de « imprudent, inconsideré qui fait les choses avec precipitation, & sans en considerer les suites180 » –, sachant que tout au contraire, celui-ci, bien que pétulant et fougueux, assume volontiers le corollaire de ses actes, étant disposé à « cesser de vivre » pour les mener à bien (v. 430).
En l’espèce, cette résistance animant le personnage de Lucéjus, jusqu’à sa contestation armée à l’acte IV, au mépris de sa propre survie, s’inscrit dans un affleurement des lieux de la pastorale, conviés au sein de la pièce par la construction même de l’intrigue. En effet la fin heureuse de Scipion l’Africain, édictée par la matrice historique, écartait la tragédie d’une poétique de la déploration, et induisait – à l’extrême opposé de la résignation élégiaque d’Eurydice et de Suréna – la lutte active d’Ispérie et de Lucéjus, conformément à l’esthétique positive de la pastorale, dans laquelle les amants parfaits font effort pour surmonter les obstacles qui subsistent à leur union, le plus souvent apposés par leurs parents. Plusieurs thèmes issus de cette forme littéraire ont par conséquent été refondus pour des nécessités dramaturgiques, comme le rêve de l’évasion avec la femme aimée, ou encore les rencontres secrètes des amants, qui, à l’instar de Pyrame et Thisbé, « ne peuvent se parler qu’en échappant à la surveillance de leurs cerbères181 », comme l’exigent les circonstances de l’intrigue – placée dans le camp romain, alors même qu’Annibal brigue la paix en offrant la main de sa nièce. Pradon a ainsi maintenu l’épure de cette esthétique, supprimant les éléments romanesques, davantage appropriés au genre tragi-comique, comme les fausses morts, les suicides manqués, mais il en ménageait un reliquat : l’auteur dotait en effet Lucéjus d’un déguisement romain, subterfuge qui permettait au prince de s’introduire dans le camp ennemi – comme avait pu le faire Scévole dans la pièce de ce nom émanant de Du Ryer, représentée en 1644182. Malséant pour un héros tragique, à une période où les règles théâtrales sont assises, ce motif fut retranché du manuscrit de la pièce183, et fut suppléé par la création d’un personnage muet, nommé Celsus, « ami romain » acquis à la cause de Lucéjus pour avoir été libéré par son père.
Ispérie et Lucéjus apparaissent ainsi fondamentalement attachés à la valeur absolue de leur amour, et sont prêts à immoler leur vie pour préserver leur foi mutuelle, ce qui fait d’eux des héros galants. Mais leur caractère ne se confine pas à cet aspect. En ce qui concerne Lucéjus, la motivation de ses entreprises trouve ses origines dans le devoir :
J’auray fait mon devoir s’il m’en coûte la vie. (v. 413)S’il vient me secourir il remplit mon devoir. (Ispérie, v. 1132)
Lucéjus est en effet lié à Ispérie sa fiancée par une « sainte promesse » (v. 1021) d’hymen, scellée par « l’aveu » du père, Hyerbal (v. 964). En outre, l’impératif de constance éthique envers la dame promise et aimée n’est pas contraire aux exigences attachées à la gloire du prince, sachant que ce dernier en est conduit à vilipender l’« indigne traité » (v. 1184) entamé par Annibal avec Scipion, et à « soûtenir dignement sa gloire & [celle d’Ispérie] » (v. 1014). Le débridement du pathos chez le Général carthaginois est en conséquence l’occasion pour Lucéjus de remplir son devoir militaire et politique, de « ser[vir] sa gloire & son amour », comme le souligne Scipion au vers 1156.
Quant à Ispérie, l’auteur a sensiblement mis en lumière son cheminement éthique d’héroïne tragique. Second personnage de la pièce après Scipion, pour être chargée de déclamer quelques 285 vers et demi184, Ispérie domine les actes II et IV par son temps de parole ; personnage clé, aiguillon de la situation conflictuelle animant le héros éponyme, Ispérie, la belle captive, était pourtant une figure historique parcellaire, dont le caractère demeurait tout entier à édifier, les portraits antiques se limitant sur ce point à la décrire telle une jeune femme d’une beauté exceptionnelle, ce qui la prédestinait à être une nouvelle Panthée185. Par ce trait définitoire, Pradon avait ainsi la matière potentielle pour en faire une héroïne de la fidélité conjugale, demeurant vertueuse en dépit de sa condition de captive. Le personnage d’Ispérie revêt bien ce caractère de l’indéfectibilité à la promesse de l’union matrimoniale :
Attendez tout de moy quand tout vous est contraire :Je ne rompray jamais le serment solemnelQue m’impose un lien qui doit être éternel,Ny Scipion, ny Rome, & toute sa puissanceN’obtiendront point de moy de lâche obéïssance […]. (v. 982-986)
En l’espèce, Ispérie ne détache pas la défense inconditionnelle de l’amour des brides du devoir, mais tout comme Lucéjus, l’embrasse dans la même exigence, grâce à l’entremise des serments échangés sous l’autorité du père, « sainte promesse / Sur qui [s]on cœur soûmis a reglé sa tendresse » (v. 1021-1022)186. Pradon a alors apposé à la loyauté de la jeune fille certains propos dignes d’une « Amante passionnée », qui « se mocque des remontrances, ne se soucie ni des grandeurs, ni des biens de la fortune187 » : en effet, à l’acte II, Ispérie tient tête aux arguments de Scipion, en déclarant que
La grandeur, la fortunePeut faire impression sur une ame commune ;Mais quoy ! tout son éclat mis dans son plus beau jourN’ébloüit point un cœur éclairé par l’amour. (v. 533-536)
Cette hybridité du caractère de l’héroïne allait être résolue sous l’effet des atteintes du pathos affectant les deux grands capitaines : en effet la déviation des mores d’Annibal et de Scipion offrait l’occasion pour la princesse de supplanter son inclination à agir en amante pour investir son ethos d’illustre carthaginoise, attachée à la gloire de sa nation. Ainsi, dans un premier temps, en digne héroïne galante, Ispérie fait vœu de la paix avec Rome, espérant être unie à Lucéjus, tout en esquivant les écueils délétères menaçant les jours de son amant :
Il [Annibal] va parler de paix, j’auray la liberté,Et nous serons tous deux compris dans le traité ;Peut-estre sans risquer une si chere vieDemain en liberté vous verrez Isperie […]. (v. 455-458)
Éperonnée par les projets contraires de son oncle, dont elle a connaissance entre les actes III et IV, Ispérie finit par gagner les renforts de l’ethos et exhorte Annibal à révoquer des desseins dissonants avec son statut de chef valeureux, patriarche d’une immense armée :
Et pourquoy cette paix, Seigneur, n’avez-vous pasCent mille hommes encor dont les cœurs & les bras… (v. 1027-1028)
Elle endosse ainsi la posture éthique que lui inspire son ascendance glorieuse, rappelant à Annibal l’éclat de sa patrie et de son sang :
Me faisant souvenir que je suis vôtre Niéce,A soûtenir ce nom ma gloire s’interesse,Je suis Cartaginoise, & fille d’Hyerbal,Et pour dire encor plus la Niéce d’Annibal ;Seigneur, j’ose ajoûter que je suis Africaine […]. (v. 1081-1085, nous soulignons)
Il est significatif que cette réplique fasse partie du texte ajouté au compte de l’héroïne lors de la correction du manuscrit, pointant en cela vers la thématique de la victoire de l’ethos sur les roulis du pathos. Ispérie parvient même à concilier son caractère d’héroïne galante à celui d’une héroïne digne de la tragédie cornélienne, en ce qu’elle consent au sacrifice de sa vie pour servir sa patrie, et pour préserver dans le même temps la pureté du serment échangé avec Lucéjus :
J’immoleray ma vie & non pas mon amour, […]Ordonnez de mon sort, disposez de ma tête,Je l’immole à Cartage, & ne puis rien de plus ;Mais je conserveray mon cœur à Lucejus. (v. 1064 ; v. 1066-1068)
Elle est ainsi la première à franchir les récifs du pathos et à retrouver l’unité individuelle par la promotion de l’ethos. Ceci explique sans doute pourquoi l’abbé de la Porte, dans le sillage des Frères Parfaict, s’estima « plus content d’Isperie188 ».
Du reste, l’adjonction tant décriée d’une deuxième captive au sein de cet éventail d’acteurs, procède de la même volonté d’illustrer la reconquête éthique accomplie par les héros. En effet, nonobstant la contestation péremptoire de sa raison d’être, le rôle subsidiaire d’Erixène est loin d’être dépourvu d’intérêt thématique au sein de la pièce : amoureuse de Scipion, et jalouse d’Ispérie, la fille d’Hannon tend elle aussi à être séduite – au sens originel de « détournée du bien, de la vérité » – par les saillies du pathos, dérivant vers l’hubris, jusqu’aux ombrages de l’aspiration vengeresse à l’encontre d’Ispérie :
Il faut pour me vanger d’une ardeur si fataleQu’il en coûte des pleurs, du sang à ma rivale […]. (v. 673-674)
Et Barcé, de lui rappeler à cette occasion : « Madame, soûtenez l’éclat de vôtre nom » (v. 684, nous soulignons). De plus, Erixène conçoit elle aussi de la « honte » au regard des sentiments que Scipion lui inspire189, et, de la même manière que les deux grands capitaines, elle finit par s’exhorter à quitter l’empire du pathos, requérant alors auprès de son vainqueur :
Souffrez que ma presence anime son courage [de Cartage],L’amour de ma patrie allumant mon ardeur,Je veux y terminer ma vie & mon malheur. (v. 1258-1260)
Le discours tenu par la jeune femme est hautement révélateur, sachant qu’il refond un champ lexical afférent à la langue galante, promotrice des métaphores topiques du feu et de l’« ardeur » amoureuse. Par ce déplacement des signifiants, Erixène accède ainsi à une remotivation de l’ardeur individuelle, depuis les émois de l’adoration amoureuse vers une allégeance politique refondée, passsage du pathos à l’ethos. Il s’agit là d’un retournement rapporté, qui préfigure le retournement structurel opéré par Scipion au dénouement.
Mais ce n’est pas le seul intérêt de l’épisode. D’une part, la présence d’une deuxième princesse permettait à l’auteur de reconstituer le carré pastoral avivant la chaîne amoureuse190 – satisfaisant par la même occasion le goût galant du public –, et de mettre en place un « rôle en contrepoint de celui d’Ispérie191 », voire même en revers de la nièce d’Annibal, comme l’indique Lépide au premier acte : « Elle est fille d’Hannon ennemy d’Annibal, […] / Aux charmes d’Isperie opposez Erixene, / Et prenez un amour conforme à vôtre haine, […] » (v. 283 ; 289-290). D’autre part, étant intégrée à l’arroi du personnage éponyme, Erixène fait partie de l’appareil théâtral destiné à dilater la thématique de la générosité de Scipion : sans incidence sur l’action, sa libération à la scène 4, V constitue en effet un acte épisodique visant à amplifier l’effet de « ravissement » et d’admiration face à la magnanimité du héros, qui atteint son acmé au dénouement, soit trois scènes plus tard. En outre, Erixène tient un discours à vocation épidictique qui magnifie les qualités inhérentes à l’ethos du héros romain – la gloire émanant du triomphe militaire et la générosité, au sens classique de « grandeur d’âme » –, et présage le décernement du surnom d’Africain à Scipion :
Enfin je vous revoy vainqueur & triomphant,Seigneur, & vôtre nom encor plus éclatantPar cette memorable & derniere victoireVous met en ce grand jour au comble de la gloire ;Vous êtes genereux, daignez briser mes fers […]. (v. 1251-1255 ; nous soulignons)
Placé peu avant l’ultime éclosion de Scipion, ce discours résonne à plein dans une pièce qui est avant tout une tragédie du nom, et de la conquête de ce nom. En effet, désignant à la fois la « renommée » (Richelet), et « le mot d’une langue qu’on applique à quelque personne, […] pour la faire reconnoistre » (Furetière), le terme « nom » fait signe vers l’appareil identitaire de l’ethos individuel, et pointe directement vers le titre de la pièce : au plan symbolique, l’action de Scipion l’Africain apparaît en effet tout entière concentrée dans la réunion du héros avec le paradigme historique qui lui est attaché. Par conséquent, si Erixène n’est qu’un personnage épisodique enchâssé au sein de l’intrigue, sa valeur thématique vient enrichir la dimension allégorique de l’artefact, qui promeut au statut d’enjeu dramatique la constitution des caractères impartis aux héros.
Ainsi le blâme général visant les mores des personnages de Scipion l’Africain est demeuré sourd au sens de cette dramaturgie, n’y voyant qu’une faute éminente contre les règles de la bienséance et de la vraisemblance, là où il y avait une véritable interrogation des modèles historiques et de la conception même du héros tragique.
Note sur la présente édition §
Précédant de peu la disparition de Pradon, la première édition de Scipion l’Africain est aussi la seule qui ait été établie du vivant de l’auteur. La pièce fut achevée d’imprimer le premier avril 1697 par Thomas Guillain, libraire parisien qui avait déjà fait paraître Regulus en 1688, et qui venait de prendre un Privilège du Roi pour le Recueil des Œuvres de Mr Pradon, en date du 21 mars 1697. Seuls quatre exemplaires de cette édition ont été conservés : trois d’entre eux sont compris dans des recueils factices intitulés Œuvres de Mr Pradon, comportant diverses tragédies choisies émanant de l’auteur – ou pas –, parfois imprimées par Jean Ribou192 ou par d’autres libraires. Ces exemplaires sont subsumés sous les cotes :
– GD-1501(5), disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal. Le volume comprend : Tamerlan ou La Mort de Bajazet, T. Guillain, 1697 ; Statira, J. Ribou, 1680 ; Regulus, T. Guillain, 1688 ; Scipion l’Africain, T. Guillain, 1697 ;
– R.ra.876, volume disponible à la Réserve de la Bibliothèque de la Sorbonne, qui comporte : Pirame et Thisbé, Veuve Louis Gontier, 1691 ; Tamerlan, Veuve Louis Gontier, 1691 ; Statira, J. Ribou, 1680 ; Regulus, T. Guillain, 1688 ; Scipion l’Africain, T. Guillain, 1697.
– 8-RF-6699, disponible à Richelieu, au Département des Arts du Spectacle de la Bibliothèque Nationale de France. Le volume comprend : Scipion l’Africain, T. Guillain, 1697 ; Athenaïs de La Grange-Chancel, J. Ribou, 1700 [accompagnée de l’extrait du Privilège du Roi pour le Recueil des Tragedies du Sieur de La Grange] ; Regulus, J. Ribou, 1700 ; Pirame et Thisbé, Ribou, 1700 ; Zelonide Princesse de Sparte de l’abbé Genest, C. Barbin, 1682 [accompagnée de l’extrait du Privilège du Roi octroyé à C. Barbin pour Zelonide] ;
Ces exemplaires sont en tout point identiques : on retrouve la même pagination et les mêmes coquilles, à l’exception du numéro de page 61, qui n’est complet que dans l’exemplaire de Richelieu – le chiffre 1 étant manquant dans les autres.
C’est le quatrième exemplaire qui m’a servi de base ; en effet, contrairement aux trois autres, il possède une page de titre dûment reliée193 ; c’est aussi le seul à occuper le volume à lui seul. Cet exemplaire est conservé au site Tolbiac de la Bibliothèque Nationale de France sous la cote YF-10720. L’ouvrage est un in-12 de VIII-64 pages qui se présente comme suit :
[I] SCIPION / L’AFRICAIN, / TRAGEDIE. / Par Mr PRADON. / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez THOMAS GUILLAIN, proche / les Augustins, à la descente du Pont-neuf, / à l’Image S. Loüis, / [filet (11,1)] / M. DC. XCXVII. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] [verso blanc]
[III-VI] [bandeau (11 x 1,7)] / PREFACE. / [texte de la préface]
[VII] [extrait du PRIVILEGE DU ROY]
[VIII] [bandeau (10,9 x 0,9)] / ACTEURS. / [liste des Acteurs]
1-64 [texte de la pièce, avec un titre courant constant : « SCIPION L’AFRICAIN, » sur la page paire ; « TRAGEDIE », sur la page impaire, à l’exception de la page 64 : « SCIPION L’AFR. TRAG. »].
Établissement du texte §
La retranscription du texte a eu pour principe une fidélité optimale à l’édition imprimée. L’orthographe originale a été respectée, y compris dans les cas de formes concurrentes, à savoir : Afrique / Affrique, fidele / fidelle, homage / hommage, en vain / envain, flatte / flate, fatalle / fatale, oppose / opose. Ces variations graphiques n’ont pas une répartition significative au sein de la pièce, susceptible de faire apparaître l’exercice de plusieurs ouvriers. Nous avons de même conservé le doublet avec/avecque, qu’il s’agisse ou pas d’une utilité métrique. En outre, nous nous sommes strictement conformée à l’accentuation des mots telle qu’elle est pratiquée dans l’édition originale : les formes déja, voila, toutes deux attestées par Richelet, ont par exemple été maintenues, de même que la déclinaison du verbe pouvoir avec un seul « r » au futur et au conditionnel, cette graphie étant constante dans l’imprimé. Enfin l’emploi des majuscules a été systématiquement suivi, à l’exception de deux occurrences qui semblaient fautive, au vers 1347 [Il cause / il cause] et au vers 1060 [A L’orgueil / A l’orgueil]. Ainsi seules les coquilles manifestes ont été rectifiées.
Par ailleurs, pour assurer une plus grande lisibilité du texte, nous avons modernisé tous les « ſ » en « s », et décomposé en voyelles nasales an, em, en, on, om, les quatorze tildes « ~ », dont l’utilité initiale était de gagner de la place et du plomb lors de la composition. Nous avons également choisi de conserver la ligature « & ». En ce qui concerne les distinctions entre « i » et « j » et « u » et « v », l’imprimé prouve sans conteste qu’elles sont assises à la fin du siècle, sachant que l’on ne relève que deux occurrences où il fallait les restituer, « novs » au vers 456 et « PRIVILEGE DV ROY » en tête de l’extrait du Privilège. Il en est de même pour les accents diacritiques, dont une seule forme avait besoin d’être rétablie, « achevez-là », au vers 579. Il s’agit probablement d’une coquille. Quant aux points de suspension, ils sont également indiqués de façon tout a fait régulière dans l’original, et présentent la forme moderne « … », hormis aux vers 1137 et 1222, respectivement ponctués avec « .. » et « .., ». Quelques virgules qui semblaient faire défaut ont été adjointes au sein du texte et sont signalées entre crochets. Aux vers 24, 55, 527, 592, 631, 634, 1093, 1233, 1289, les points d’interrogation qui peuvent sembler fautifs, ont cependant été maintenus car ils figuraient sur un manuscrit de souffleur, conservé aux Archives de la Comédie-Française sous la cote [MS 37], ce qui signifie qu’ils étaient également présents sur le manuscrit de Pradon.
Pour la présentation, nous avons respecté les changements de page à chaque fin d’acte, de même que l’unique alinéa pratiqué au vers 871, qui marquait une articulation du raisonnement. La pagination de l’édition originale ainsi que les changements de cahiers ont été précisés entre crochets à la droite du texte. Les ornements tels que les lettrines et les gravures à la fin des actes ont été supprimés.
En ce qui concerne les quelques erreurs de mots et les vers incomplets dans l’édition imprimée, le manuscrit de souffleur a permis de procéder à la correction avec succès : ce fut le cas pour deux vers de 11 syllabes (vers 172 et 1055), et pour les coquilles qui s’étaient glissées aux vers 294, 738, 855 et 1333. Quant aux variantes indiquées en note, elles proviennent toutes de ce même manuscrit194 : la majorité sont subsumées sous l’abréviation « Var : I », qui signifie que la variante provient du texte d’origine de la pièce, rayé sur le manuscrit. Les autres cas sont précédés de l’abréviation « Var : II », qui signifie que la variante provient du texte modifié, présent en marge du texte initial sur le manuscrit.
Enfin les notes de bas de page de la présente édition font régulièrement référence aux dictionnaires de l’Académie française, de Furetière et de Richelet : ils sont respectivement désignés par les abréviations (Acad.), (F) et (Ric.). De même, il est souvent fait mention de certains ouvrages dont le nom n’est pas précisé car les références y afférent sont fréquentes : il s’agit des Vies des hommes illustres grecs et romains de Plutarque ; des Décades de Tite-Live ; du Grand dictionnaire historique de Moreri et de la Syntaxe française du XVIIe siècle de Haase.
Coquilles corrigées §
M. DC. XCXVII. / M. DC. XCVII. (page de titre) ; 26 Mars 1695 / 26 Mars 1697 (Privilege du Roy) ; depeur / de peur (préface) ; fut / fût (v.39, 381, 769 et 773) ; sentit / sentît (v.124) ; fonds / fond (v. 155 et 898) ; éxige / exige (v. 171) ; que demande-t-il / que me demande-t-il (v. 172) ; entendte / entendre (v. 182) ; flates / flate (v.237) ; Sauve moy / Sauve-moy (v. 241) ; nous / vous (v. 294) ; qu’elle / quelle (v.302, 309 et 1225) ; madamé / madame (v. 330) ; sera-il / sera-t-il (v.378) ; EMILIE / ERMILIE (liste des personnages : scène 2, II ; scène 2, IV) ; reconnoistte / reconnoistre (v. 393) ; servit / servît (v. 402) ; l’oin / loin (v. 423) ; LUEEJUS / LUCEJUS (entre v. 433 et v. 434) ; quelle / qu’elle (v. 475) ; infortunê / infortuné (v. 506) ; devint / devînt (v. 523) ; plût / plut (v. 551) ; unit / unît (v. 559) ; nu / un (v. 568) ; achevez-là / achevez-la (v. 579) ; malheur / malheurs (v. 628) ; riavale / rivale (v.642) ; fit / fut (v. 738) ; vint / vînt (v. 754) ; put / pût (v. 758) ; détroites / d’étroites (v. 805) ; pour elle / par elle (v. 855) ; aine / vaine (v. 885) ; qu’y / qui (v. 906) ; EREMILIE / ERMILIE (entre v. 925 et v. 926) ; juste / justes (v. 933) ; ais-je / ai-je (v. 972, 1057) ; vouss / vous (v. 1008) ; quel triomphe vous / quel triomphe pour vous (v. 1055) ; A L’orgueil / A l’orgueil (v. 1060) ; rejallit / rejaillit (v.1076) ; momenspar / momens par (v. 1095) ; êtiez / étiez (v. 1127) ; dise / dire (v. 1159) ; Il cause / il cause (v. 1347) ; maisde grace / mais de grace (v. 1388) ; perfait / parfait (v. 1414).
Correction des ponctuations §
combats ? / combats, (préface) ; helas !, / helas ! (v. 631) ; Que de pleurs ? / Que de pleurs, (v. 908) ; je tremble ? / je tremble ! (v. 953) ; Qu’il est heureux ? / Qu’il est heureux ! (v. 1155) ; Quel combat ? ; Quel combat ! (v. 1191) ; Hé ? / Hé ! (v. 1289) ; Justes Dieux ? / Justes Dieux ! (v. 1321).
, au lieu de . à la fin des vers 34, 1081
! au lieu de ? à la fin des vers 264, 265, 475, 908, 1133, 1191, 1194, 1207, 1341 et à l’hémistiche du vers 1191
. au lieu de ? à la fin des vers 442, 912
; au lieu de ? à la fin des vers 526
? au lieu de , à la fin des vers 605, 955, 972
inversion des ponctuations en fin de vers entre les vers 742 et 743
, au lieu de ? à la fin des vers 951, 1134, 1136 et à l’hémistiche du vers 265
. supprimé à la fin du vers 1101
? au lieu de . à l’hémistiche du vers 1133
Scipion
l’Africain,
Tragédie §
PREFACE. §
Si le succés d’un Ouvrage doit le défendre contre la critique, et si la premiere et la plus infaillible regle du Theatre est celle de plaire195, j’ose dire que Scipion l’Africain ayant eu ce bonheur, je pourois me dispenser de répondre au critiques qu’on en a faites. Cependant sans me prévaloir des applaudissemens que le public luy a donnez, je vais tâcher en peu de mots d’en justifier la conduite. On me reproche d’avoir fait Scipion amoureux ; mais je soûtiens que le mettant sur la Scene, j’ay dû luy donner ce caractere, qui releve son [p. II] action principale, qui est de vaincre sa passion, et de rendre sa Maîtresse à son Rival. Aristote nous aprend qu’on peut ajoûter quelque chose de vray-semblable au vray196 ; et il est vray-semblable que Scipion à l’âge de vingt-quatre ans, ayant pris la plus belle personne de l’Univers, ait été sensible à sa beauté et qu’il ait rendu quelques combats, avant que de la rendre à Lucejus Prince des Celtiberiens, à qui elle estoit promise. D’ailleurs si Scipion avoit remis sa captive sans la voir, son action n’auroit pas été si belle, que de la rendre aprés l’avoir veuë, et aprés en avoir esté vivement touché197 ; car comme dit le grand Corneille,
Ce n’est qu’en ces assauts qu’éclate la vertu,Et l’on doute d’un cœur qui n’a point combatu198.
[p. III] Il me semble même que Scipion auroit bien douté de sa vertu, et du pouvoir qu’il avoit sur luy de n’oser voir une tres-belle personne, de peur d’en être tenté 199 . Comme l’Histoire ne nomme point cette belle captive, je la fais Niéce d’Annibal, pour donner un plus grand contraste à l’amour de Scipion qu’il combat, et dont enfin il triomphe, et je puis dire que cette action a plû trop generalement dans le cinquiéme Acte pour me repentir de l’avoir fait. Il y a des gens qui s’étonnent qu’Annibal vienne demander la Paix avecque une assez grosse Armée ; mais il n’est pas permis d’ignorer un fait historique aussi connu que celuy-là. Il est constant qu’Annibal fut rapellé par le Senat de Cartage pour [p. IV] défendre sa patrie, qu’il quitta l’Italie, qu’il revint en Afrique, et qu’il y trouva les affaires en un si mauvais état, qu’il n’eût point d’autre party à prendre pour sauver Cartage, que celuy de demander la Paix 200 ; mais il la demande d’une maniere assez noble, et cette Scene a toujours paru tres-belle, et tres-bien conduite ; je ne doute point qu’il n’y ait bien des choses qui auroient pû être mieux dans cette Piece, mais je ne suis pas infaillible, et je ne donne point cecy pour un ouvrage achevé. Il suffit qu’il ait réussi, pour en devoir être content, et pour m’encourager à travailler à l’avenir avec encor plus de soin et plus d’exactitude.
EXTRAIT DU PRIVILEGE
du Roy. §
Par Grace & Privilege du Roy, donné à Paris le vingt-uniéme Mars201 1697. Signé, Par le Roy en son Conseil, LE FEVRE. Il est permis à THOMAS GUILLAIN, Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer, vendre & debiter le Recueil des Tragedies du Sieur PRADON202, pendant le temps de six années, à compter du jour qu’elles seront achevées d’imprimer pour la premiere fois, en vertu des presentes, pendant lequel temps tres-expresses inhibitions & défenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient ; de faire imprimer, vendre ny debiter desdites Tragedies conjointement, ou separément, d’autre Edition que celles de l’Exposant, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de quinze cens livres d’amende, payable sans déport par chacun des Contrevenans, de confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous dépens, dommages & interests, & autres peines portées plus au long par lesdites Lettres de Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de la Ville de Paris, le 26 Mars 1697.
Signé P. AUBOUIN, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois le premier Avril 1697.
Le prix est vingt sols203.
Acteurs. §
- SCIPION, surnommé l’AFRICAIN, Consul & General de l’Armée des Romains.
- ANNIBAL, General de l’Armée des Cartaginois.
- LUCEJUS204, Prince des Celtiberiens, Amant d’Isperie Niéce d’Annibal.
- ISPERIE, Niéce d’Annibal, promise à Lucejus, prisonniere dans le Camp de Scipion.
- ERIXENE205, fille d’Hannon, ennemy d’Annibal, prisonniere dans le Camp de Scipion.
- AURILCAR, Envoyé d’Annibal vers Scipion.
- LEPIDE, Confident de Scipion.
- SEXTUS, Capitaine de l’Armée de Scipion.
- CELSUS206[,] Romain, amy de Lucejus.
- ERMILIE, Confidente d’Isperie.
- BARCÉ, Confidente d’Erixene.
- GARDES.
ACTE I. §
SCENE PREMIERE. §
LEPIDE.
AURILCAR.
[p. 2]LEPIDE.
AURILCAR.
LEPIDE.
AURILCAR.
LEPIDE.
SCENE II. §
ERIXENE.
AURILCAR.
ERIXENE.
AURILCAR.
[p. 5]ERIXENE.
AURILCAR.
ERIXENE.
AURILCAR.
ERIXENE.
SCENE III. §
SCIPION.
AURILCAR.
SCIPION.
AURILCAR.
SCIPION.
AURILCAR.
SCIPION.
AURILCAR.
SCIPION.
AURILCAR.
SCIPION.
SCIPION.
SCENE IV. §
SCIPION.
SCIPION.
Apprens à meLEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
[p. 11]LEPIDE.
SCIPION.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
Oüy, Seigneur, & j’ay cru leSCIPION.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
ISPERIE.
ERMILIE.
[p. 16]ISPERIE.
ERMILIE.
[p. 17]ISPERIE.
SCENE II. §
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
ISPERIE.
[p. 20] Non, Seigneur, gardez-vous d’entreprendreLUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
SCENE III. §
ISPERIE.
SCENE IV. §
SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
Ma presence vousISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
[p. 24]SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
La grandeur, laSCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
Il faut bien que je pleure,SCENE V. §
SCIPION.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
BARCÉ.
ERIXENE.
BARCÉ.
ERIXENE.
BARCÉ.
ERIXENE.
SCENE II. §
LEPIDE.
ERIXENE.
SCENE III. §
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
SCENE IV. §
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
ANNIBAL.
SCIPION.
SCENE V. §
SCIPION.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
ERMILIE.
ISPERIE.
SCENE II. §
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
ISPERIE.
LUCEJUS.
SCENE III. §
ISPERIE.
SCENE IV. §
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ISPERIE.
SCENE V. §
ISPERIE.
SCENE VI. §
SCIPION.
ISPERIE.
[p. 51]SCIPION.
SCENE VII. §
SEXTUS.
SCIPION.
ISPERIE.
SCENE VIII. §
SCIPION.
SCENE IX. §
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION.
SCIPION.
ANNIBAL.
SCIPION430.
Fin du quatriéme Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
ISPERIE.
ERMILIE.
SCENE II. §
ERIXENE.
ERIXENE.
ISPERIE.
SCENE III. §
ERIXENE.
SCENE IV. §
SCIPION.
ERIXENE.
SCIPION.
ERIXENE.
SCENE V. §
LEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
LEPIDE.
SCIPION.
SCENE VI. §
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
[p. 62]SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
ISPERIE.
SCENE DERNIERE. §
LUCEJUS.
SCIPION.
SCIPION.
ISPERIE.
SCIPION.
Glossaire §
Dictionnaires cités :
– Académie française, Dictionnaire, Paris, J-B. Coignard, 1694 ; 2 volumes (Acad.).
– Furetière, A., Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690 ; 3 volumes (F).
– Richelet, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, Genêne, J.-H. Widerhold, 1680 ; 2 volumes (Ric.).
Annexe I : Version originale des scènes 4 et 5 de l’acte IV (vers 1168 à 1198 de l’imprimé) §
Les vers qui ont été refondus dans la version finale sont ici indiqués en gras.
En outre il faut préciser que le texte n’est pas toujours ponctué de manière rigoureuse dans le manuscrit. La virgule, le point ou le trait d’union ont ci-après été rajoutés là où ils faisaient défaut. Les corrections apportées sont indiquées entre crochets.
Les accents diacritiques ont également été rétablis (ou/où au vers 27 et a/à aux vers 4, 5, 7, 26, 32, 51 et 54).
[…] ISPERIE.
SCENE V.
ERIXENE.
ANNIBAL.
ERIXENE.
ISPERIE.
ANNIBAL.
ERIXENE.
ANNIBAL.
SCENE VI.
ERIXENE.
Annexe II : Répartition du temps de parole entre les différents personnages au sein de la pièce §
Acte I [312 vers] |
Acte II [300 vers] |
Acte III [308 vers] |
Acte IV [268 vers] |
Acte V [226 vers] |
Total : [1414 vers] | % | |
Scipion123 +10 s. * | 91+6 s. | 105 +3 s. | 58 +9 s. | 96 +1 s. | 475 +5 s. | 33.63 | |
Ispérie | 140 +8 s. | 88 +8 s. | 56 +2 s. | 285 +6 s. | 20.20 | ||
Annibal | 119 +3 s. | 70 +9s. | 190 | 13.45 | |||
Erixène | 44 +3 s. | 50 +9 s. | 39 | 134 | 9.48 | ||
Lucéjus | 53 +6 s. | 34 +1 s. | 15 | 102 +7 s. | 7.25 | ||
Lépide | 74 +5 s. | 10 +6 s. | | 14 +9 s. | 99 +8 s. | 7.05 | |
Aurilcar | 69 +6 s. | | | 69 +6 s. | 4.92 | ||
Ermilie | 14 +4 s. | 11 | 5 | 30 +4 s. | 2.15 | ||
Barcé | | 22 +3 s. | | 22 +3 s. | 1.57 | ||
Sextus | 4 +9 syll. | | 4 +9 s. | 0.30 | |||
Celsus | | | 0 | 0 | |||
Gardes | | | 0 | 0 |
* s. signifie syllabes. « » signifie que le personnage est présent mais qu’il ne parle pas.
Annexe III : Liste des pièces représentées aux mois de février, mars et avril 1697 §
Les deux chiffres indiquent : le nombre de spectateurs ; le montant de la recette rapportée479.
Février 1697 §
[…]
15 Crispin musicien, Maison de c. : 287 ; 386.10
16 Flatteur, Eau de Bourbon : 412 ; 557
17 Malade imaginaire : 1255 ; 1676.5
18 Amphitryon, Grondeur : 1300 ; 1835.5
19 Bourgeois gentilhomme : 921 ; 1397.5
20 Pénélope, Parisienne : 290 ; 392.5
21 Dom Bertrand, Florentin : 227 ; 314
22 Scipion : 629 ; 1125.5
23 Malade imaginaire : 611 ; 795.5
24 Scipion : 730 ; 1011.10
25 Esprit follet, Médecin malgré lui : 464 ; 643.15
26 Scipion : 573 ; 895
27 Joueur de Mr Rivière : 1247 ; 1785.15
28 Scipion : 429 ; 735.5
Mars §
1 Etourdi, Escarbagnas : 439 ; 509.10
2 Scipion : 484 ; 932.5
3 Grondeur, Pourceaugnac : 938 ; 1177.5
4 Scipion : 529 ; 793.10
5 Misanthrope, Cocu imaginaire : 408 ; 484 :10
6 Scipion, Parisienne : 622 ; 955.5
7 Malade imaginaire : 444 ; 543.19
8 Scipion, Eté des coquettes : 374 ; 552.5
9 Andronic, Fille médecin : 583 ; 827.15
10 Scipion, Cocher supposé : 484 ; 568.10
11 Phèdre, Fille médecin : 393 ; 530
12 Scipion, Georges Dandin : 373 ; 528.5
13 Esope, Fille médecin : 310 ; 341.5
14 Tartuffe, Crispin musicien : 247 ; 247.15
15 Iphigénie, Fille médecin : 323 ; 425.10
16 Scipion, Vendanges de Surênes : 477 ; 815.15
17 Joueur, Grondeur : 713 ; 819.10
18 Scipion, Attendez moi : 358 ; 587
19 Flatteur, Moulin de Javelle : 385 ; 454.10
20 Scipion, Sérénade : 362 ; 633.5
21 Polyeucte, Vacances : 274 ; 341.10
22 Scipion, Parisienne : 437 ; 660.15
23 Amphitryon, Florentin : 879 ; 1337.10
Avril §
15 Andromaque, Cocher supposé : 695 ; 1087.5
16 Tartuffe, Mariage forcé : 343 ; 349.10
17 Scipion, Escarbagnas : 356 ; 653.10
18 Menteur, Eté des coquettes : 543 ; 785.5
19 Scipion, Souper mal apprêté : 204 ; 256.15
20 Avare, Veau perdu : 290 ; 432
21 Britannicus, Florentin : 515 ; 714.15
22 Esprit follet, Cocu imaginaire : 446 ; 564.15
23 Pompée, Précieuses ridicules : 294 ; 413.10
24 Dom Bertrand, Amour médecin : 254 ; 309.5
25 Cléopâtre, Tuteur : 225 ; 295
26 Homme à bonne fortune, Tuteur : 492 ; 573
27 Phèdre, Tuteur : 280 ; 389.5
28 Mère coquette, Grondeur : 374 ; 391.5
29 Cid, Deuil : 180 ; 183.5
30 Festin de Pierre : 257 ; 316
Annexe IV : Deux registres journaliers de la Comédie-Française (année 1697) §
Jour et date | Pièce(s) représentée(s) | Billets achetés | Part d’auteur | Reçu en tout | Autres informations recueillies sur l’un ou l’autre registre | |||||||
Loges basses à 24 livres | Loges hautes à 12 livres | Billets à 3 livres | Billets à 30 sols | Billets à 20 sols | Billets à 15 sols | TOTAL | ||||||
1 | vendredi 22 février | Scipion | 2 | | 164 | 89 | 23 | 337 | 629 billets | 88.18 | 1125.5 livres | S.A.S. Monseigneur le Prince a payé les 3 loges qu’il devoit du Lundy gras dernier cy. Madame la Duchesse a payé une loge qu’elle devoit. 3.12 : donné à Subtil qui a apporté l’argent des loges de Monseigneur le Prince et Madame la Duchesse. |
2 | dimanche 24 février | Scipion | 1 | | 151 | 131 | 32 | 408 | 730 billets | 97.14 | 1011.10 livres | Le Chevalier de Bouillon doit 3 livres. Idem Mr de Richebourg, Mr de Turgis. Mr de La Carte. Mr Cavreau a payé à la pierre pour Mr Pradon 7 livres 20. SAS Mr le Prince de Conty. |
3 | mardi 26 février | Scipion | 2 | | 150 | 119 | 10 | 278 | 573 billets | 83.3 | 895 livres | Guérin et Mlle Champvallon sont à la Cour, ils sont remplacés par Le Comte et par Mlle Desbrosses. On a joué aujourd’huy à la Cour Le joueur de Mr de Rivière. Mr Le Prince d’Espinoy doit 3 livres. Mr le Duc doit une loge. |
4 | jeudi 28 février | Scipion | 2 | 1 | 134 | 79 | 19 | 173 | 429 billets | 66.10 | 735.5 livres | Monsieur de Croissy a payé 3 livres qu’il devoit. |
5 | samedi 2 mars | Scipion | 1 | | 213 | 80 | 12 | 171 | 484 billets | 87.6 | 932.5 livres | Receu de Mr de Livry : 6 livres ; de Mr Le Chevalier Destouches : 3 livres. On a joué à la Cour Jodelet Mr. Le voyage à Versailles : 23 livres 18. Un voyage à Versailles où l’auteur doit entrer ; un voyage de Versailles [pour] la pièce : 16 livres Mr de Ravignan doit 3 livres. Idem Mr le Baron de Loc, le Comte d’Albert, Mr de Richebourg, Mr de Bonœuil. Mr de Turgis doit 6 livres. |
6 | lundi 4 mars | Scipion | | | 136 | 92 | 22 | 278 | 529 billets | 72 | 793.10 livres | Receu de Mr de La Carte acompte : 14 livres Mr le marquis de Quolies doit 3 livres, idem Mr de Bonœuil et Mr de Vantadour. |
7 | mercredi 6 mars | Scipion et La Parisienne | | | 181 | 101 | 23 | 317 | 622 billets | 91.6 | 955.5 livres | Monseigneur Le Duc : 1 place au théâtre. Monseigneur Le Prince de Conty : sa place. Monsieur de Richebourg. |
8 | vendredi 8 mars | Scipion et L’été des Coquettes | | | 90 | 74 | 19 | 191 | 374 billets | 44.18 | 552.5 livres | Receu de Mr Le Duc D’User acompte : 9 livres |
Jour et date | Pièce(s) représentée(s) | Billets achetés | Part d’auteur | Reçu en tout | Autres informations | |||||||
Loges basses à 24 livres | Loges hautes à 12 livres | Billets à 3 livres | Billets à 30 sols | Billets à 20 sols | Billets à 15 sols | TOTAL | ||||||
9 | dimanche 10 mars | Scipion et Le Cocher supposé | | | 48 | 111 | 41 | 280 | 484 billets | 48 | 568.10 livres | Receu de Mr Le Chevalier D’Hautefort : 3 livres 4 hommes mis au parterre : 3.12 Mr Le Chevalier de Villeroy doit 3 livres. |
10 | mardi 12 mars | Scipion et Georges Dandin | | 1 | 84 | 67 | 13 | 201 | 373 billets | 44 | 528.5 livres | Une chaise de poste : 6.15 Mr de Richebourg doit 3 livres. |
11 | samedi 16 mars | Scipion et Les Vandanges de Suresne | 2 | | 151 | 101 | 14 | 195 | 477 billets | 71.12 | 815.15 livres | Mr Le Duc doit deux places : 6 livres. Mr Le comte d’Albert doit 3 livres. Idem Mr le Chevalier de Villeroy. |
12 | lundi 18 mars | Scipion et Attendez moi sous l’orme | | | 122 | 53 | 17 | 166 | 358 billets | 49.4 | 587 livres | Mr Moret doit 3 livres. Idem Mr de Livry, Mr Le Chevalier de Villeroy, Mr Le Prince de Burnonville, Mr de La Carte, Mr Le Comte d’Albert, Mr le marquis de Villard, Mr le Prince de Talmin. |
13 | mercredi 20 mars | Scipion et La sérénade | 1 | | 129 | 67 | 13 | 145 | 362 billets | 54.14 | 633.5 livres | Absence de Mlle Beaubour, remplacée par Mlle Du Rieu ou par Mlle Godefroy. Mr Le Marquis de Tressant doit 3 livres. Idem Le Comte d’Albert, Mr de la Carte, Mr le Chevalier d’Hautefort. Mr de Richebourg a payé. |
14 | vendredi 22 mars | Scipion et La Parisienne | | | 117 | 89 | 12 | 219 | 437 billets | 58.14 | 660.15 livres | Monseigneur Le Duc doit 3 livres. Idem Mr de Meillerais, Mr de Richebourg. |
15 | samedi 23 marsà Versailles | Scipion et Le médecin malgré lui | | | | | | | | | | Absence de Guérin remplacé par Le Comte ; absence de Lavoy, remplacé par La Thorillière ou Desmares. Frais : cinq carosses et 2 chariots : 29.6 livres. Lettre de la Duchesse d’Orléans en date du 24 mars évoquant cette représentation. |
16 | mercredi 17 avril | Scipion et La Comtesse d’Escarbagnas | | | 130 | 56 | 6 | 194 | 356 billets | 53.10 | 653.10 livres | Acompte du Prince d’Espinoy : 28 livres. |
17 | vendredi 19 avril | Scipion et Le souper mal apresté | 1 | | 23 | 44 | 4 | 125 | 204 billets | 14 | 256.15 livres | |
Annexe V : Histoire romaine de Tite-Live, traduction de Du Ryer, publ. 1694-1696 (volume 5) §
La fiancée d’Allucius (troisième décade, livre VI, p. 82-84) §
Ensuite les soldats luy amenerent une fille prisonniere, en âge d’estre mariée, mais qui au reste estoit si belle qu’en quelque lieu qu’elle parlast, elle attiroit les regards de tout le monde. Scipion luy ayant demandé de quel Pays elle estoit, & qui estoient ses parens, elle luy repondit entre autre chose qu’elle estoit fiancée à un Prince des Celtiberiens que l’on appeloit Allucius. En mesme temps il manda son Pere, sa Mere, & son Fiancé, & fut cependant averty que ce Prince qui l’aymoit uniquement, estoit pour elle en une extreme inquietude. Lors qu’ils furent tous venus, il parla plus particulierement à Allucius, qu’au Pere & à la Mere de cette fille, Je suis jeune aussi bien que vous, luy dit-il, c’est pourquoy j’ay esté bien-aise de vous parler en secret, afin de nous entretenir avecque plus de liberté. Aussi-tost qu’on m’eust amené vostre fiancée, & quej’eus appris que vous l’aimiez, ce que sa beauté me confirma facilement, comme je voudrois qu’on m’excusast d’aimer ardemment une Maistresse, s’il m’estoit permis de suivre les inclinations de mon âge, & que les soins de la Republique n’occupassent pas tout mon esprit, je me resolus de favoriser vostre amour, & en effet je luy seray favorable autant qu’il me sera possible. Vostre fiancée a esté traitrée chez moy avec autant de respect que chez vostre Pere, ou que chez le sien. On vous l’a religieusement conservée, afin que je pussevous faire un present qui fût digne & de vous et de moy. Je ne vous demande point d’autre reconnoissance de cette faveur, sinon que vous soyez amy du Peuple Romain ; et si vous croyez que j’aye quelque probité, comme les Peuples d’Espagne en ont toujours reconnu en mon Pere & mon Oncle, persuadez vous aussy qu’il y en a beaucoup dans Rome qui nous ressemblent, & qu’il n’y a point de Peuple sur la terre que vous deviez moins vouloir pour Ennemy, & souhaitter plutost pour amy. Ce jeune Prince transporté de joye, serrant la main de Scipion, invoqua tous les Dieux, & les pria de vouloir donner pour luy la recompense de ce bienfait, parce qu’il n’avoit pas le pouvoir de le reconnoistre, selon qu’il en avoit volonté. Alors on fit venir le Pere & la Mere, & les parens de cette fille, qui avoient apporté quantité d’or pour la racheter ; & quand ils virent qu’on la rendoit gratuitement, ils prierent Scipion de vouloir accepter ce present qu’ils luy faisoient, luy protestant qu’il ne leur feroit pas un moindre plaisir, que de leur avoir rendu leur fille avec son honneur & sa chasteté. Scipion voyant qu’ils le prioient avec tant d’ardeur de prendre cét or, leur promit qu’il le prendroit, & leur commanda de le mettre devant luy à ses pieds. Alors se tournant vers Allucius, Outre le dot, luy dit-il, que vostre Beau-pere vous doit donner, je vous donne aussi ce present en faveur de vostre mariage, & aussi-tost il luy enjoignit de faire enslever cet or, & de le faire emporter avecque luy. Ainsi ce Prince s’estant retiré satisfait des presens & des honneurs qu’il avoit receus, remplit tout son Païs des louanges de Scipion ; qu’il estoit venu en Espagne un jeune Romain qui estoit semblable aux Dieux, & qu’il triomphoit par tout par ses armes, par sa douceur & par ses bien-faits. Et ayans fait une levée dans le Pays de son obeïssance, il revint quelques temps apres trouver Scipion avec une Cavallerie de quatorze cens hommes d’élite.
Rencontre d’Annibal et de Scipion (troisième décade, livre X, p. 357) §
[…] Ainsi encore qu’il fust luy-mesme la cause de la guerre, & qu’il eust troublé par son arrivée & les tréves, & l’espérance de s’accomoder ; néantmoins, s’imaginant que s’il demandoit la paix tandis qu’il avoit encore toutes ses forces, les conditions en seroient plus avantageuses que s’il avoit perdu une bataille, [Annibal] envoya à Scipion pour demander à conferer avecque luy. […] Au reste, comme Scipion accepta cette conference, les deux Chefs firent rapprocher leurs Camps l’un de l’autre, […] afin de s’assembler de plus prés, & d’avoir plus de commodité de conferer. Scipion vint camper asez prés de la ville de Nagabate, parce que le lieu estoit commode en toutes choses, & sur tout, parce qu’on n’estoit esloigné de l’eau que de la portée d’un trait. Pour Annibal, il campa à quatre mille de là, sur une eminence qui estoit assez seure & assez commode, si ce n’est que l’eau en estoit un peu esloignée ; & l’on avoit choisi entre les deux Camps un endroit descouvert de tous costez, de peur de quelque embuscade.
Discours d’Annibal (troisième décade, livre X, p. 358-361) §
Ainsi les armées de part & d’autre s’estant esgallement esloignées de ce lieu, les deux plus grands Capitaines non seulement de leur siecle, mais de tous les siecles passez, y vinrent pour y conferer avec chacun un truchement. Ils demeurerent quelque temps l’un devant l’autre sans se parler, comme ravis l’un pour l’autre d’une admiration mutuelle ; mais enfin Annibal parla le premier. Si les destins, dit-il, avoient ordonné, que comme j’ay commencé le premier la guerre, je vinsse aussi le premier demander la paix, je me rejoüis que la fortune ait voulu que ce soit à Scipion à qui je vinsse la demander. Ce ne sera pas sans doute la moins illustre de vos loüanges ; qu’Annibal, à qui les Dieux avoient donné la victoire de tant de Capitaines Romains, soit venu vous la ceder, & que vous ayez mis fin à cette guerre plus memorable par vos defaites que par les nostres. En quoy certeson void un autre jeu de la fortune, en ce que m’ayant fait prendre les armes durant le Consulat de vostre Pere, & que vostre Pere ayant esté le premier des Generaux des armées Romaines contre qui j’ay donné bataille, je viens aujourd’huy desarmé demander la paixà son fils. Il eûst sans doute esté avantageux que les Dieux eussent inspiré à nos Peres de se contenter de leur ancien partage, les vostres de l’Empire d’Italie, & les nostres de la domination de l’Afrique. En effet, ny la Sicile, ny la Sardaigne, ne sont pas des recompenses qui soient capables de reparer & la perte de tant de flottes, & la défaites de tant d’armées & la mort de tant de fameux Capitaines : mais il est plus aisé de blasmer que de corriger les choses passées. Que ce soit donc assez que nous ayons attaqué ce qui ne nous appartenoit pas, que nous soyons contrains de défendre les choses qui nous appartiennent, & que non seulement vous ayez eu la guerre en Italie, & que nous l’ayons eue en Afrique, mais que vous ayez veu devant vos portes & au pied de vos murailles les enseignes & les Armées des Carthaginois, & que nous ayons entendu de Carthage le bruit de l’armée Romaine. Ainsi ce que nous devrions avoir en horreur, & ce que vous devriez particulierement souhaitter, on vous vient parler de la paix lors que toutes choses vous sont favorables ; & nous en traittons aujourd’huy, nous à qui il importe particulierement qu’on la fasse, & qui pouvons la conclurre avec asseurance que nos Peuples la confirmeront. Nous n’avons besoin que d’un esprit qui n’ait pas de l’aversion pour le repos & pour la tranquilité publique. Pour ce qui me regarde, comme je retourne vieux en mon pays, d’où je suis party presque enfant ;l’âge, les prosperitez & les mal-heurs, m’ont instruit de telle sorte que j’ayme mieux [écouter] aujourd’huy la raison que la fortune. Mais je crains que vostre jeunesse & vostre bonheur perpetuel ne vous donnent des pensées qui soient contraires à la paix ; & certes celuy que la fortune n’a jamais trompé, ne considere pas beaucoup l’inquietude des evenemens. Vous estes aujourd’huy ce que j’estois auprés de Trasymene,& de Cannes ;vous receustes le commandement en un âge où l’on est à peine capable de porter les armes, & alors en entreprenant toutes choses avec un courage extréme, & une hardiesse incomparable, la fortune ne manqua jamais à vos entreprises. Vous poursuivites la vengeance de vostre Pere & de vostre Oncle ; & vous tirastes de la fortune de vostre Maison, uneréputation glorieuse de courage & de pieté. Vous avez reconquis les Espagnes, apres en avoir chassé quatre armées Carthaginoises. Lors qu’on vous eut creé Consul, & que les autres avoient à peine assez de courage pour oser defendre l’Italie, vous traversâtes en Afrique ; & apres y avoir taillé en piece deux armées, forcé & bruslé deux camps en mesme heure, pris le puissant Roy Syphax, &tant de villes en son royaume & de nostre domination, enfin vous m’avez arraché de l’Italie, dont il y avoit desja seize ans que j’estois enpossession. Il y a donc de l’apparence que la victoire vous sera plus agreable que la paix, & que vous aymerez mieux les grands desseins que les desseins profitables, mais quelquefois la mesme fortune m’a regardé du mesme œil qu’elle vous regarde maintenant. Que si les Dieux nous donnoient de laprudenceavec les prosperitez, nous jetterions les yeux non seulement sur les choses qui nous sont desja arrivées, mais aussi sur celles qui peuvent arriver ; & au reste, quand vous voudriez tout mettre en oubly, je suis assez capable de vous fournir tout ensemble un exemple de l’une & de l’autre fortune. En effet, moy que vous avez veu nagueres campé entre le Teveron & vostre Patrie, & desja tout prest de monter sur les murailles de Rome, vous me voyez icy maintenant privé de deux freres genereux devant les murailles de ma Patrie presque assiegée, comme vous demandant sa grace, & que vous l’affranchissiez des maux dont j’ay fait peur à vostre Ville. C’est aux plus hautes & aux plus favorables fortunes en quoy il faut avoir moins de confiance.Comme vos affaires sont florissantes, & que les nostres sont incertaines, & dans un estat douteux, la paix que vous donnerez sera pour vous glorieuse ; & pour nous qui la demandons, elle sera plus necessaire qu’elle ne doit estre honorable. Enfin une paix certaine est toujours plus avantageuse, & un bien plus asseuré que l’espérance de la victoire. L’une dépend de vous, & est desja entre vos mains,& l’autre est en la puissance & en la disposition des Dieux.N’exposez donc pas au hazard d’une mauvaise heure, un bon-heur de tant d’années. Représentez vous & vos forces ; & la force de la fortune, & le hazard de la guerre. Il y aura du fer de part & d’autre ; il y aura des corps qui ne sont pas invulnerables ; &il n’y a point d’occasions où les succés respondent moins aux esperances que dans la guerre & parmy les armes.Quand mesme vous gagneriez la bataille, vous ne pouvez ajouster tant de gloire à celle qui vous peut venir de la paix que vou donnerez, que vous pouvez vous en oster, s’il vous arrive quelque mal-heur.Un instant seul est capable de ruiner & de perdre tout ce que vous avez acquisde reputation & de gloire, & tout ce que vous pouvez en esperer.Toutes choses, Scipion, sont encore en vostre puissance ; tandis qu’on peut faire la paix ; mais si vous n’y voulez consentir, il faudra prendre la fortune que les Dieux voudront vous donner. On eût pu mettre sans doute M. Attilius Regulus dans le petit nombre des exemples de bonheur & de courage, s’il eust voulu estant vainqueur, donner la Paix à nos Peres, qui la demandoient.Mais comme il ne pouvoit mettre de bornes ny à son bon-heur ; ny à sa fortune, sa cheute fut d’autant plus rude & plus honteuse, qu’il tomba du lieu plus haut. Veritablement il appartient à celuy qui donne la paix, d’enproposer les conditions, & non pas à celuy qui la demande ; mais peut-estre que nous ne sommes pas indignes d’ordonner nous-mesmes nostre chastiment.Nous ne refusons point que les choses qui ont esté cause de la guerre, ne vous demeurerent, la Sicile, la Sardaigne, l’Espagne, & toutes les Isles qui sont entre l’Italie & l’Afrique : & les Carthaginois renfermez entre leurs rivages, puisque les Dieux le veulent ainsi, verront vostre domination s’estendre glorieusementdans les Païs estrangers, sur la mer & sur la terre. Je ne nieray pas que le peu de sincerité qu’ils ont fait paroistre en demandant & en attendant la paix, ne vous rendeleurfoy suspecte & douteuse ; mais il importe beaucoup Scipion pour faire un traité de paix, de considerer qui sont ceux qui la demandent. Vostre Senat mesme, comme je l’ay entendu dire, ne l’a pas voulu accorder, parce que l’Ambassade qu’on envoyoit pour ce sujet, n’estoit pas assez venerable ny assez majestueuse. C’est Annibal qui vous demande la paix, & qui ne la demanderoit pas s’il ne la croyoit utile ; & la mesmeutilité qui l’oblige de la demander, l’obligera de la maintenir. Car comme j’ay fait en sorte, tant que les Dieux ne m’ont point envié ma gloire, qu’on n’a point eu de sujet de se repentir de la guerre que j’ay commencée ; ainsi je feray mes efforts pour que personne ne se repente de la paix que j’auray concluë.
Réponse de Scipion (troisième décade, livre X, p. 361-362) §
Scipion fit à peu prés cette réponse à Annibal. Je sçavois bien, Annibal, que les Carthaginois avoient rompu la tréve, & ruiné l’esperance de la paix, par l’esperance de vostre arrivée ; & vous mesme vous ne le dissimulez pas, puisque vous retranchez toutes choses des articles qu’on avoit déja proposez, excepté ce qui est en nostre puissance il y a desja long-temps. Mais au reste, comme vous prenez le soin de faire voir à vos Citoyens de quel grand fardeau vous les deschargerez, ainsi il faut que je fasse en sorte que les choses dont ils estoient demeurez d’accord, ne soient pas ostées des conditions de la paix, pour estre la recompense de leur perfidie. Vous vous estes rendus indignes de traiter aux mesmes conditions qu’auparavant ; & cependant vous demandez que vostre fardeau vous soit aujourd’huy profitable. Nos Peres ne commencerent pas les premiers la guerre pour la Sicile, ny nous ne l’avons pas commencée les premiers pour l’Espagne ; mais le danger où estoient reduits en ce temps-là les Mamertins nos alliez, & de nostre temps la destruction de Sagonte, nous firent prendre les armes premierement par pitié, & depuis avec justice. Vous nous avez attaquez, comme vous le confessez vous mesme, & les Dieux en sont tesmoins. Aussi nous donnerent-ils alors un succés conforme à la justice de nostre cause ; & comme ils ont desja commencé, ils nous donnerent encore un heureux evenement de cette guerre. Pour ce qui me regarde en particulier, je n’ay pas perdu la memoire ny de la Condition humaine, ny du pouvoir de la fortune, & je sçay que le hazard est ordinairement le maistre de toutes les choses que nous faisons. Au reste, comme j’avouërois moy-mesme que je me serois gouverné avec trop d’orgueil & d’insolence, si avant que je fusse passé en Afrique, j’eusse méprisé les demandes que vous m’eussiez faites de la paix, en sortant volontairement de l’Italie, & après avoir fait embarquer vostre armée ; ainsi maintenant que je vous ay attiré en Afrique comme par la main, & malgré tous vos artifices, il n’y a point de respect qui m’oblige à considerer vos demandes. C’est pourquoy si vous voulez ajouster aux conditions ausquelles on vouloit faire la paix, & dont vous avez connoissance, quelque sorte de reputation, pour avoir pris nos vaisseaux chargez de vivres, & outragé nos Ambassadeurs durant la tréve, j’en parleray à mon Conseil ; mais si ces conditions vous paroissent trop rigoureuses, preparez vous à la guerre, puisque vous n’avez pû souffrir la paix. Ainsi chacun s’estant retiré sans avoir rien resolu, ils firent sçavoir à leurs gens, qu’on avoit tenté en vain par des paroles de faire la paix ; qu’il falloit en decider par la force & par les armes, & prendre enfin telle fortune que les Dieux vouloient envoyer.
Annexe VI : Rappels historiques §
Chronologie indicative §
221 avant JC : mort d’Asdrubal, gendre d’Hamilcar Barca ; Annibal Barca prend à sa suite le commandement des armées.
219/218 : siège et prise de Sagonte par Annibal ;
Début de la seconde guerre punique ;
Novembre 218 : bataille du Tessin remportée par Annibal ;
Décembre 218 : victoire des Carthaginois à la bataille de Trébie (Italie du Nord) :
217 : fin Juin, bataille de Trasimène (Italie du Nord).
216 : le 2 août, bataille de Cannes (Sud-Est de l’Italie) ;
Annibal hiverne à Capoue avec son armée.
212 : mort des Scipions en Espagne (père et oncle de l’Africain) ;
Siège de Capoue par les Romains.
211: poursuite du siège de Capoue ;
Marche d’Annibal sur Rome ;
Reddition de Capoue ;
Scipion est élu Général de l’armée d’Espagne.
210 : capitulation de Salapia (ville d’Apulie, en Italie méridionale) ;
Prise de Carthagène en un jour par Scipion.
209 : reprise de Tarente par Fabius Cunctator (Italie méridionale) ;
Ralliement d’Indibilis et de Mandonius aux Romains ;
Victoire de Scipion à Bécula contre Asdrubal Barca.
207 : victoire de Néron sur Annibal devant Grumentum ;
Silanus met en fuite l’armée de Magon en Espagne ;
Bataille du Métaure, mort d’Asdrubal Barca (23 juin) ;
Prise d’Oringis par Lucius Scipion (frère de l’Africain) en Espagne.
206 : bataille de Silpia perdue par Asdrubal Giscon (père de Sophonisbe) ;
Prise d’Iliturgi, de Castulon, d’Astapa en Espagne par les Romains ;
Rébellion d’Indibilis et de Mandonius contre les Romains ;
Alliance de Scipion avec Massinissa.
205 : Scipion est officiellement chargé de la Sicile ;
Débat sur l’autorisation de passer en Afrique ;
Nouvelle rébellion d’Indibilis et de Mandonius ; mort des deux frères ;
Fin de la guerre d’Espagne.
204 : Syphax épouse la fille d’Asdrubal Giscon, Sophonisbe, et rompt l’alliance avec Rome ;
La flotte romaine aborde en Afrique ;
Scipion campe près d’Utique.
203 : incendie des camps de Syphax et d’Asdrubal Giscon ;
Printemps : victoire de Scipion aux Grandes Plaines ; le Sénat de Carthage décide de rappeler Annibal d’Italie (fin de l’été).
Syphax est fait prisonnier, mort de Sophonisbe ;
Conclusion d’une première trêve avec les Carthaginois ;
Défaite de Magon en Ligurie. Il meurt peu après ;
Envoi d’une première ambassade carthaginoise au Sénat. La demande de paix est repoussée.
202 : rencontre entre Annibal et Scipion ;
Bataille de Zama le 19 octobre ;
Annibal revient à Carthage après 36 ans d’absence ;
Scipion accorde une nouvelle trêve aux Carthaginois.
201 : une deuxième ambassade carthaginoise vient à Rome demander la paix ;
Négociations et traité de paix avec Carthage ;
Entrée triomphale de Scipion à Rome.
199 : Scipion est élu censeur ; il devient le princeps senatus, le « premier du Sénat ».
195 : Annibal s’exile définitivement et se réfugie auprès d’Antiochus de Syrie.
193-190 : expédition contre Antiochus ; Scipion et son frère Scipion l’Asiatique commandent la première armée romaine qui ait été envoyée en Asie ;
Attaques politiques dirigées contre les deux Scipions par Caton le Censeur ; les accusations sont levées mais l’influence des Scipions est brisée ; Scipion se retire en Campanie, à Literne.
183 : pour échapper aux Romains, Annibal s’enfuit à la cour de Prusias ; il se donne la mort ;
Mort de Scipion à Literne.
Les principales batailles de la seconde guerre punique §
Les batailles évoquées dans la pièce sont indiquées en gras.
Bataille | Date | Vainqueur | Commandants | Forces en présence | Pertes | |||
Carthage | Rome | Carthage | Rome | Carthage | Rome | |||
Trébie | 218 avant J.-C. | Carthage | Annibal | Publius Cornelius Scipion, Tiberius Sempronius Longus |
28 000 fantassins, 10 000 cavaliers, 38 éléphants | 45 000 | inconnues mais faibles | 20 000 |
Trasimène | 217 | Flaminius † | 31 à 39 000 fantassins, 10 000 cavaliers | 22 000 fantassins 3 000 à 3 500 cavaliers | 1 500 à 2 500 | 15 000 morts, 10 000 prisonniers | ||
Cannes | 216 | Annibal, Asdrubal Barca, Maharbal | Varron et Paul Emile | 55 000 | 86 000 | 6 000 | 50 000, dont 29 tribuns et 80 sénateurs | |
Numistro | 210 | résultat non concluant | Annibal | Marcus Claudius, Marcellus | ||||
Grumentum | 207 | Gaius Claudius Nero | ||||||
Métaure | 207 | Rome | Asdrubal Barca † | M. Livius Salinator, G. Claudius Nero |
30 000 | 37 000 | environ 10 000 | inconnues |
Grandes Plaines | 203 | Asdrubal Giscon, Syphax | Scipion l’Africain | |||||
Zama | 202 | Annibal | Scipion l’Africain, Massinissa | 50 000 fantassins, 4 000 cavaliers, 80 éléphants | 34 000 fantassins, 9 000 cavaliers | 20 000 morts, 11 000 blessés, 15 000 prisonniers |
1 500 morts, 4 000 blessés |
Bibliographie §
Sources historiques de la pièce §
PLUTARQUE, Les Vies des hommes illustres grecs et romains, comparées l’une avec l’autre, par Plutarque,... translatées par M. Jacques Amyot,... avec les vies d’Annibal et de Scipion l’Africain, traduites de latin en français par Charles de l’Ecluse, Paris, Jean Gesselin, 1609, tome II.TITE-LIVE, Les Décades de Tite Live, avec les Supplémens de J. Freinshemius [et les Sommaires complets de Florus] ; nouvellement augmentées d’un Abrégé chronologique ; mises en françois par P. Du Ryer, suivant la copie imprimée à Lyon, 1694-1696, volume 5.
Documents sur la pièce §
Concernant sa représentation à la Comédie-Française §
COMEDIE-FRANÇAISE, Registres des Comediens ordinaires du Roy (année 1697).COMEDIE-FRANÇAISE, Registre d’Assemblée (années 1696-97).
Concernant sa réception §
BORDELON, L., Diversitez curieuses en plusieurs lettres. Augmentées d’une lettre pour servir de response aux sieurs Gacon et de L'Homme, Amsterdam, A. de Hoogenhuysen, 1699, tome II, p. 393.GACON, F., Le Poëte sans fard, ou discours satiriques sur toute sorte de sujets, 1701.ORLEANS, C. E. de Bavière, duchesse d’, Correspondance de Madame duchesse d’Orléans, extraite de ses lettres originales déposées aux Archives de Hanovre et de ses lettres publiées par M. de Ranke et M. L. W. Holland, 2e édition, revue et augmentée, Paris, Bouillon, 1890, traduction et notes par Ernest Jaeglé, volume 1, p. 146.ROUSSEAU, J.-B., Épigrammes, Paris, Sansot, 1911, p. 68.
Ouvrages sur Pradon et son œuvre §
Argument de Scipion l’Africain de Pradon (Sans lieu ni date).BEAUREPAIRE, C. de, Notice sur le poète Pradon, dans le Précis analytique des travaux de l’Académie des sciences belles lettres et arts de Rouen, 1897-1898, p. 127-148.BOILEAU-DESPREAUX, N., Épîtres, Paris, Droz, 1937.BOSQUET, A., Une victime de Boileau, Pradon, né à Rouen, extrait de la Revue de Rouen et de Normandie, mai 1847, p. 274-300.BUSSOM, T. W., A Rival of Racine, Pradon : his Life and Dramatic Works, Paris, Champion, 1922.DEGUERLE, J.-M., Pradon à la comédie, ou les sifflets, Paris, Chaignieau aîné, 1799.DELTOUR, F., Les Ennemis de Racine au XVIIe siècle, Paris, E. Ducrocq, 1865 (chapitre 1 « Les poètes tragiques », p. 41).FOURNEL, V., Contemporains et successeurs de Racine. Les poètes tragiques décriés, Le Clerc, L’Abbé Boyer, Pradon, Campistron, Revue d’histoire littéraire de la France, 1894.IRAILH, S.-A., Racine et Pradon, dans Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours, Paris, Durand, 1761, vol. I, p. 334-348.JACQUELIN, J.-A., et PHILIDOR, Pradon sifflé, battu et content, comédie anecdote en un acte et en vaudeville, Paris, Jeunes artistes, Fages, 1800.JAL, A., s. v. « Pradon », dans Dictionnaire de biographies et d’histoire, Paris, H. Plon, 1867.LA HARPE, J.-F. de, Phèdre de Pradon, dans Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, Emler frères, 1829 (vol. 5, p. 503-517).LA PORTE, M. l’abbé de, Théâtre de Pradon, dans L'Observateur littéraire, Amsterdam, 1, 1760, p. 73-92.LA ROCHE GUILHEM, La Pradonnade ou la guerre des sonnets, dans Œuvres diverses de Mlle de La R** G***, contenant quelques histoires galantes et plusieurs autres pièces, Amsterdam, J. F. Bernard, 1711, p. 229-244.NICERON, J.-P., s. v. « Pradon », dans Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres dans la république des lettres, Paris, Briasson, 1727-1745, vol. 43, p. 371-396.MONGREDIEN, G., Une vieille querelle : Racine et Pradon, Revue bleue, également nommée Revue politique et littéraire, Paris, Germer Baillère, 1921, p. 54-58, 77-82.QUITARD, Anthologie de l’amour, Paris, 1862, p. 140.VOLTAIRE, Correspondance, éd. M. Beuchot, Paris, Didot, 1830-1834, t. XI, année 1764, p. 433.
Ouvrages sur Annibal et Scipion l’Africain §
BONECHI, J., Scipion, opéra composé par ordre de S. M. I. Élisabeth Petrowna, Saint-Pétersbourg, Académie impériale des sciences, 1745.COLONIA, D. de, Annibal, dans Tragédies et oeuvres mêlées, Lyon, J. Guerrier, 1697.CORNEILLE, Thomas, La Mort d’Hannibal, dans Le Théatre de Thomas Corneille, Frères Châtelain, 1709, t. IV.DE MESTRE, A.-C. de, Annibal et Scipion, ou Les Grands Capitaines avec les ordres et plans de batailles et les annotations, discours et remarques politiques et militaires de Mr le Cte G. L. de Nassau, etc., La Haye, J. et D. Steucker, 1675.DESMARETS DE SAINT-SORLIN, J., Scipion, dans Théâtre complet, Paris, H. Champion, 2005.MINATO, N., Scipione Affricano, drama per musica, Venezia, S. Curti e F. Nicolini, 1664.PUGET DE LA SERRE, J., Portrait de Scipion l’Africain, ou l’Image de la gloire et de la vertu représentée au naturel dans celle de Mgr le cardinal duc de Richelieu, Bordeaux, G. Millanges, 1641.Scipion, tragédie représentée au Collège des Grassins pour la distribution des prix, le douzième août 1682, dans Poesies diverses, t. II, Paris, François le Cointe.Scipione nelle Spagne, dramma per musica da rappresentarsi nel regio ducal teatro di Milano nel carnovale, Milan, G. R. Malatesta, 1740.VAUMORIERE, Pierre Ortigue de, Le Grand Scipion, Paris, A. Courbé, 1656-1662, 4 vol.
Autres documents antérieurs à 1800 §
BERNARD, C., Œuvres, t. 1, Romans et nouvelles, éd. Franco Piva, Schena-Nizet, Biblioteca della Ricerca, 1993.CORNEILLE, Pierre, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, 3 volumes.DU RYER, P., Scevole, Paris, A. de Sommaville, 1647.DU RYER, P., Themistocle, Paris, A. de Sommaville, 1648.DUBOS, J.-B., Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, Paris, Mariette, 1733, I, section 38.HARDY, A., Panthée, dans Le théâtre d’Alexandre Hardy, Paris, J. Quesnel, puis F. Targa, 1624-1628, tome 1.LA GRANGE, Registre (1658-1685), fac simile du manuscrit, consulté aux Archives de la Comédie-Française.LA MESNARDIERE, J. P. de, La Poëtique, Paris, chez Antoine de Sommaville, 1639.LHERMITE, T., Panthée, dans le Théâtre français ou Recueil des meilleures pièces de théâtre des anciens auteurs ; Paris, P. Ribou, 1705 ; volume 3.Mercure galant, Paris, C. Barbin (années 1679, 1685, 1688).PRADE, J. Le Royer, sieur de, Annibal, Paris, chez N. & J. de La Coste, 1649.PRADON, J., Le Triomphe de Pradon, Lyon, 1684 (publié de façon anonyme).PRADON, J., Réponse à la satire X du Sieur D***, Paris, Robert de la Caille, G. Cavelier, et C. Osmont, 1694.PRADON, J., Œuvres de Mr Pradon, Paris, par la Compagnie des Libraires associés, 1744, 2 volumes.PRADON, J., Phèdre et Hippolyte, dans Théâtre du XVIIe siècle, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1992.RACINE, J., Œuvres complètes, tome I, éd. G. Forestier, Paris Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999.SAINTE-BEUVE, Port-Royal, Paris, Hachette, 1860, tome VI, p. 483.
Travaux critiques §
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Instruments de travail §
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Articles consultés §
DENIS, D., « Réflexions sur le “style galant” : une théorisation floue », Littératures classiques, n° 28, 1993, p. 147-158.DONDAINE, C., « Le vocabulaire de l’amour au XVIIe siècle principalement au théâtre », dans D'Eschyle à Genêt, études sur le théâtre en hommage à Francis Pruner, Dijon, Éditions universitaires dijonnaises, 1986, p. 137-154.ESSAM, S., « Tragédie et mort, ou la mort est-elle nécessaire dans la tragédie ? », dans Actes de Lexington 1993 : Pierre Charron : autour de l’année 1715 dans les “Mémoires” de Saint-Simon, la mort dans la littérature du XVIIe siècle, Paris, « Biblio 17 », nº 87, p. 345-359.FORESTIER, G., « Le merveilleux sans merveilleux, ou du sublime au théâtre », Dix-septième siècle, XLVI, 1994, p. 95-103.FORESTIER, G., « Dramaturgie du désir amoureux, La conquête déguisée dans le théâtre française du XVIIe siècle », dans Eros in Francia nel Seicento, Paris, Nizet, 1987.KNUTSON, H.-C., « Le dénouement heureux dans la tragédie française du dix-septième siècle », Zeitschrift für frazösische sprache und literatur, 77, 1967, p. 339-346.LAUMAILLE, S., « Le sublime au XVIIe siècle : de l’éthique à la rhétorique », Dix-septième siècle, XLVII, 1995, p. 381-388.LEBEGUE, R., « Tragique et dénouement heureux dans l’ancien théâtre français », dans Le Théâtre tragique, Paris, Éditions du CNRS, 1962, p. 219-224.MOREL, J., « Pastorale et tragédie », dans La Pastorale française de Rémi Belleau à Victor Hugo, Paris, « Biblio 17 », nº 63, p. 47-50.VUILLEMAIN, J.-C., « Spectacle tragique mode d’emploi : amour, politique et histoire », Australian Journal of French Studies, XXIV, 1987, p. 155-164.