AMADIS
TRAGÉDIE en musique.
M. DCC. LIV. AVEC APPROBATION ET PRIVILÈGE DU ROI.

APPROBATION §

J’ai lu, par ordre de Monseigneur le Chancelier, la Tragédie d’AMADIS, nouevlle réimpression dque le public ne peut voir qu’avec plaisir. À Versailles, le 20 octobre 1759.

DE MONCRIF

À Paris, chez V. DELORMEL et FILS, Imprimeur de ladite Académis, rue du Foin, à l’Image Sainte-Geneviève. On trouvera des livres de Paroles à la Salle de l’Opéra.
1

ACTEURS DU PROLOGUE §

  • URGANDE, célèbre enchanteresse, épouse d’Alquif.
  • ALQUIF, célèbre enchanteur, époux d’Urgande.
  • Suivantes d’Urgande.
  • Suivants d’Alquif.

ACTEURS DE LA TRAGÉDIE §

  • AMADIS, fils du roi Périon de Gaule.
  • ORIANE, fille de Lisvart, roi de la Grande Bretagne.
  • FLORESTAN, fils naturel du roi Périon de Gaule.
  • CORISANDE, souveraine de Gravesande.
  • TROUPES DE CHEVALIERS combattants dans des jeux à l’honneur d’Oriane.
  • ARCALAÜS, chevalier enchanteur, frère d’Arcabonne et d’Ardan Canile.
  • ARCABONNE, enchanteresse, soeur d’Arcalaüs et d’Ardan Canile.
  • Troupes de suivants et de soldats d’Arcalaüs.
  • Troupes de démons sous la figure de monstres terribles, de nymphes agréables, de bergers et bergères.
  • Troupe de captifs.
  • Troupe de captives.
  • Troupe de geôliers.
  • Démons volants qui conduisent Arcabonne.
  • L’OMBRE D’ARDAN CANILE.
  • URGANDE, célèbre enchanteresse, amie d’Amadis.
  • Troupe de suivantes d’Urgande.
  • Troupe de démons infernaux.
  • Troupe de démons de l’air.
  • Troupe de héros et d’héroïnes, enchantés dans la chambre défendue du palais d’Appolidon.
Le théâtre représente la Palais de Cérès.

PROLOGUE §

Le théâtre représente les lieux qu’Urgande et Alquif ont choisis, pour y demeurer enchantés et assoupis avec leur suite. Un éclair et un coup de tonnerre commencent à dissiper l’assoupissement d’Urgande, d’Alquif et de leur suite.

OUVERTURE. §

URGANDE ET ALQUIF sous un riche pavillon.

Ah j’entends un bruit qui nous presse
De nous rassembler tous,
Le charme cesse
Éveillons-nous.

LES SUIVANTS D’ALQUIF ET LES SUIVANTES D’URGANDE, s’éveillent et répètent ces deux vers.

5 Le charme cesse...
Éveillons-nous.

URGANDE ET ALQUIF.

Esprits, empressés à nous plaire,
Vous, qui veillez ici pour notre sûreté,
Votre soin n’est plus nécessaire,
10 Vous pouvez désormais partir en liberté.
Que le ciel annonce à la Terre
La fin de cet enchantement,
Brillants éclairs, bruyant tonnerre,
Marqués avec éclat ce bienheureux moment.

LE CHOEUR.

15 Que le ciel annonce à la Terre
La fin de cet enchantement,
Brillants éclairs, bruyant tonnerre,
Marqués avec éclat ce bienheureux moment.
Pendant le Choeur, les Génies qui veillaient à la sûreté d’Alquif, d’Argande et de leur suite, s’envolant, au bruit du tonnerre et à la lueur des éclairs.
La suite d’Alquif et d’Urgande témoigne par des danses et des chants, la joie qu’elle ressent de ce que l’enchantement est fini.

URGANDE.

Les plaisirs nous suivront désormais ;
20 Nous allons voir nos désirs satisfaits.
Vivons sans alarmes,
Vivons tous en paix.
Revenez, reprenez tous vos charmes,
Jeux innocents, revenez pour jamais.
25 Il est temps que l’aurore vermeille
Cède au soleil, qui marche sur ses pas ;
Tout brille ici-bas.
Il est temps que chacun se réveille ;
L’amour ne dort pas,
30 Tout sent ses appas.
L’aimable Zéphire
Pour Flore soupire ;
Dans un si beau jour,
Tout parle d’amour.

URGANDE.

35 Lorsqu’Amadis périt, une douleur profonde
Nous fit retirer dans ces lieux :
Un charme assoupissant devait fermer nos yeux,
Jusqu’au temps fortuné que le destin du monde
Dépendrait d’un héros, encore plus glorieux.

ALQUIF.

40 Ce héros triomphant veut que tout soit tranquille ;
En vain, mille envieux s’arment de toutes parts ;
D’un mot, d’un seul de ses regards
Il sait rendre, à son gré, leur fureur inutile.

URGANDE ET ALQUIF.

C’est à lui d’enseigner
45 Aux maîtres de la terre
Le grand art de la guerre ;
C’est à lui d’enseigner
Le grand art de régner.

LE CHOEUR.

C’est à lui d’enseigner
50 Aux maîtres de la terre
Le grand art de la guerre ;
C’est à lui d’enseigner
Le grand art de régner.

URGANDE.

Retirons Amadis de la nuit éternelle ;
55 Le ciel nous le permet, un sort nouveau l’appelle
Où son sang régnait autrefois.

ALQUIF.

Nous ne saurions choisir de demeure plus belle.
Allons être témoins de la gloire immortelle
D’un roi, l’étonnement des rois,
60 Et des plus grands héros le plus parfait modèle.

URGANDE ET ALQUIF.

Tout l’univers admire ses exploits ;
Allons vivre heureux sous ses lois.

LE CHOEUR.

Tout l’univers admire ses exploits ;
Allons vivre heureux sous ses lois.
On danse.

URGANDE ET LE CHOEUR.

65 Suivons l’amour, c’est lui qui nous mène ;
Tout doit sentir son aimable ardeur.
Un peu d’amour nous fait moins de peine
Que l’embarras de garder notre coeur.
Malgré nos soins, l’Amour nous enchaîne ;
70 On ne peut fuir ce charmant vainqueur ;
Un peu d’amour nous fait moins de peine
Que l’embarras de garder notre coeur.
On danse.

URGANDE ET ALQUIF.

Volez, tendres amours, Amadis va revivre.
Son grand coeur est fait pour vous suivre.
75 Volez, volez aimables jeux,
Conduisez Amadis en des climats heureux.

LE CHOEUR.

Volez, tendres amours, Amadis va revivre.
Son grand coeur est fait pour vous suivre.
Volez, volez aimables jeux,
80 Conduisez Amadis en des climats heureux.

ACTE I §

Le théâtre représente un Arc de triomphe, élevé près de la Ville capitale des États du Roi Lisvart, père d’Oriane.

SCÈNE PREMIÈRE. Amadis, Florestan §

FLORESTAN.

Je reviens dans ces lieux pour y voir ce que j’aime ;
Mais au sang qui nousjoint, je fais ce que je dois :
Je ne puis vous laisser, sans une peine extrême,
Dans la douleur où je vous vois.
85 Le grand coeur d’Amadis doit être inébranlable ;
Quel malheur peut troubler un héros indomptable,
Vainqueur des fiers tyrans et des monstres affreux.

AMADIS.

J’aime, hélas ! c’est assez pour être malheureux.

FLORESTAN.

Sans cesse vous volez de victoire en victoire,
90 Votre grand nom s’étend aussi loin que le jour :
Si vous vous plaignez de l’amour,
Consolez-vous avec la gloire.

AMADIS.

J’ai choisi la gloire pour guide,
J’ai prétendu marcher sur les traces d’Alcide ;
95 Heureux ! si j’avais évité
Le charme trop fatal dont il fut enchanté !
Son coeur n’eut que trop de tendresse,
Je suis tombé dans son malheur ;
J’ai mal imité sa valeur,
100 J’imite trop bien sa faiblesse.
J’aime Oriane, hélas ! Je l’aime sans espoir.

FLORESTAN.

Elle dépend d’un père, elle suit son devoir.

AMADIS.

Oriane m’aimait, je l’aimais sans alarmes.

FLORESTAN.

Que vous peut-elle offrir, que d’inutiles larmes ?
105 L’empereur des Romains sur son trône l’attend.

AMADIS.

Je pourrais l’obtenir par la force des armes,
Si son amour était constant ;
Et je croyais son coeur à l’épreuve des charmes
Du trône le plus éclatant.
110 Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre,
Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ?
La beauté dont je suis la loi
Me bannit, pour jamais, sans me vouloir entendre ;
Hélas ! Est-ce le prix que je devais attendre
115 De mon amour et de ma foi ?
Fût-il jamais amant plus fidèle et plus tendre,
Fût-il jamais amant plus malheureux que moi ?

FLORESTAN.

Quand on est aimé comme on aime,
C’est une trahison que de se dégager ;
120 Mais c’est une faiblesse extrême
D’aimer une inconstante, et de ne pas changer.
Vous serez plus heureux dans une amour nouvelle.

AMADIS.

Oriane, ingrate et cruelle,
M’accable de mortels ennuis.
125 Mais j’ai juré de conserver pour elle
Une amour éternelle ;
Tout infortuné que je suis,
J’aime mieux être encore malheureux, qu’infidèle.
C’est trop vous arrêter, allez, suivez l’amour.
130 Corisande en ces lieux attend votre retour.

FLORESTAN.

Vous puis-je abandonner à votre inquiétude ?

AMADIS.

Un amour malheureux cherche la solitude.

SCÈNE II. Corisande, Florestan, Ritournelle. §

CORISANDE.

Florestan !

FLORESTAN.

Corisande !

CORISANDE ET FLORESTAN.

Ô bienheureux moment
Qui finit mon cruel tourment !
135 Après la rigueur extrême
D’un fatal éloignement ;
Que c’est un plaisir charmant
De revoir ce que l’on aime !

FLORESTAN.

Il faut unir votre coeur et le mien
140 D’un éternel lien.

CORISANDE.

Venez régner aux lieux où je commande.

FLORESTAN.

Aimons-nous, belle Corisande,
Et comptons la grandeur pour rien.

CORISANDE ET FLORESTAN.

Vous êtes le seul bien
145 Que mon amour demande.

CORISANDE.

Au tendre amour, qui me tient sous sa loi,
Si votre coeur eût été bine sensible
Vous eût-il été possible
De vous éloigner de moi ?

FLORESTAN.

150 Fils d’un roi, dont le nom partout s’est fait connaître,
Et frère d’Amadis, le plus grand des héros,
Pouvais-je demeurer dans un honteux repos ?
Aurais-je démenti le sang qui m’a fait naître ?
Pour mériter de plaire aux yeux qui m’ont charmé,
155 J’ai cherché tout l’éclat que donne la victoire :
Si j’avais moins aimé la gloire,
Vous ne m’auriez pas tant aimé.

SCÈNE III. Oriane, Florestan, Corisande. §

CORISANDE.

Je revois Florestan, je le revois fidèle.

ORIANE.

Ah, qu’il est beau d’aimer d’une amour éternelle !

FLORESTAN.

160 C’est en vain qu’Amadis vous aime constamment,
Et vous l’avez banni, par une loi cruelle.

ORIANE.

Non, ne défendez point un si volage amant.
Sa première amour est finie :
Il adore Briolanie.
165 Le confident de sa nouvelle ardeur
N’a que trop bien su m’en instruire :
Il n’est plus permis à mon coeur
De se laisser séduire.

FLORESTAN.

Se peut-il qu’Amadis vous ait manqué de foi !

ORIANE.

170 Ma rivale n’est que trop belle.

CORISANDE.

Êtes-vous moins aimable qu’elle ?

ORIANE.

Elle a l’avantage sur moi
D’être une conquête nouvelle.

FLORESTAN.

Amadis est saisi d’un mortel désespoir.

ORIANE.

175 Non, non, ce n’est qu’un artifice
Dont il couvre son injustice,
Il sera trop content de ne me jamais voir.

CORISANDE.

L’injustice serait étrange
De vouloir ajouter la feinte au changement :
180 Du moins un grand coeur, quand il change,
Doit changer sans déguisement.

ORIANE.

L’ingrat, un peu plus tard aurait changé son crime !
Je vais devenir la victime
Du devoir, qui règle mon sort.
185 L’inconstant n’a-t-il pu se faire un peu d’effort ?
De lui-même bientôt son coeur allait dépendre :
Eh ! Que n’attendait-il mon hymen, ou ma mort,
Il ne devait plus guère attendre.
Que j’ai de peine à cacher mes ennuis ?

CORISANDE.

190 Deux partis vont ici disputer la victoire.
Ces jeux guerriers se font à votre gloire.

ORIANE.

Ne m’abandonnez pas dans le trouble où je suis

SCÈNE IV. Oriane, Florestan, Corisande, Troupe de combattants de deux différents partis, Nymphes de la suite d’Oriane, Peuples. §

Les deux partis font divers combats, et le svitorieux portent aux pieds d’Oriane, les armes qu’ils ont gagnées.

UNE SUIVANTE D’ORIANE alternativement avec le choeur des femmes.

Que des plaisirs enchanteurs
Vous s’empresser sur vos traces !
195 Vous triomphez, heureux vainqueurs.
Quels hommages plus flatteurs !
À nos yeux la main des grâces
Va joindre à vos lauriers les plus aimables fleurs.
Oriane donne au chef du Parti vaincuque une couronne de lauriers et mirthe de pleuri ; et les nymphes, des couronnes de laurier aux autres vainqueurs.

LE CHOEUR.

Belle Princesse, que vos charmes,
200 Ont enchanté de coeurs !
Vous forcez les plus fiers vainqueurs
A vous rendre les armes.
Les plus grands rois de l’univers
Font gloire de porter vos fers.

ACTE II §

Le théâtre change et représente une forêt, dont les arbres sont chargés de trophées ; on voit dans le fond un pont et une forteresse au bout.

SCÈNE PREMIÈRE. §

ARCABONNE, seule.

205 Amour, que veux-tu de moi ?
Mon coeur n’est pas fait pour toi.
Non, ne t’oppose point au penchant qui m’entraîne,
Je suis accoutumée à ressentir la haine,
Je ne veux inspirer que l’horreur et l’effroi.
210 Amour que veux-tu de moi ?
Mon coeur aurait trop de peine
A suivre une douce loi,
C’est mon sort d’être inhumaine.
Amour, que veux-tu de moi ?
215 Mon coeur n’est pas fait pour toi.

SCÈNE II. Arcalaüs, Arcabonne. §

ARCALAÜS.

Ma soeur, qui peut causer votre sombre tristesse ?
Le silence des bois sert à l’entretenir.

ARCABONNE.

Il faut avouer ma faiblesse.
Pour commencer à m’en punir.
220 Un héros, contre un monstre, un jour prit ma défense,
J’étais morte sans son secours.
Il ne voulut, pour récompense,
Que le plaisir secret d’avoir sauvé mes jours.
Je n’ai point su quel héros m’a servie ;
225 Je m’informai de son nom vainement :
Mais son casque tomba, je le vis un moment,
Ce moment fut fatal au reste de ma vie.
Cet inconnu, si généreux,
Ne me parut que trop aimable ;
230 Il m’en revient sans cesse une image agréable,
Qui me plaît plus que je ne veux.
J’ai honte de mon trouble extrême ;
Je fuis partout l’amour, je sens partout ses traits ;
Je cherche en vain les paisibles forêts ;
235 Hélas ! Jusqu’au silence même,
Tout me parle de ce que j’aime.

ARCALAÜS.

L’amour n’est qu’une vaine erreur,
On n’en est point surpris quand on veut s’en défendre.
Est-ce à vous d’avoir un coeur tendre ?
240 Votre coeur tout entier n’est dû qu’à la fureur.

ARCABONNE.

Non, je ne connais plus mon coeur.
L’amour qu’il a bravé le réduit à se rendre :
Tout barbare qu’il est, il se laisse surprendre
D’une douce langueur.
245 Non, je ne connais plus mon coeur.

ARCALAÜS.

Délivrez-vous de l’esclavage
Où l’amour vous engage.
Vous qui savez commander aux enfers,
Ne sauriez-vous briser vos fers ?

ARCABONNE.

250 Vous m’avez enseigné la science terrible
Des noirs enchantements, qui font pâlir le jour ;
Enseignez-moi, s’il est possible,
Le secret d’éviter les charmes de l’Amour.

ARCALAÜS.

Songez que notre sang nous demande vengeance.
255 Amadis l’a versé ; sa valeur nous offense :
Le superbe Amadis a terminé le sort
Du redoutable Ardan, notre malheureux frère...

ARCABONNE.

Que le nom d’Amadis m’inspire de colère !
Quand pourrai-je goûter le plaisir de sa mort ?

ARCALAÜS.

260 Que j’aime à voir en vous ce généreux transport !

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

Irritons notre barbarie :
Écoutons notre sang qui crie :
Périsse l’ennemi qui nous ose outrager.
Ah, qu’il est doux de se venger !

ARCABONNE.

265 L’espoir de la vengeance aujourd’hui me console,
De tout ce que l’amour m’a causé de tourments.
Hâtez-vous de livrer à mes ressentiments,
L’ennemi qu’il faut que j’immole.

ARCALAÜS.

Laissez-moi l’engager dans mes enchantements.
Arcabonne se retire, Arcalaüs demeure dans la forêt et aperçoit Amadis qui s’avance.

SCÈNE III. §

ARCALAÜS, seul.

270 Dans un piège fatal son mauvais sort l’amène.
Esprits malheureux, et jaloux,
Qui ne pouvez souffrir la vertu qu’avec peine ;
Vous dont la fureur inhumaine,
Dans les maux qu’elle fait trouve un plaisir si doux ;
275 Démons, préparez-vous
À seconder ma haine ;
Démons, préparez-vous
À servir mon courroux.
Arcalaüs se retire dans le fort qui est au bout du pont.

SCÈNE IV. §

AMADIS, seul.

Bois épais, redouble ton ombre :
280 Tu ne saurais être assez sombre ;
Tu ne peux trop cacher mon malheureux amour.
Je sens un désespoir dont l’horreur est extrême,
Je ne dois plus voir ce que j’aime,
Je ne veux plus souffrir le jour.

SCÈNE V. Corisande, Amadis, Ritorunelle. §

CORISANDE.

285 Ô Fortune cruelle !...
Que vois-je Amadis !

AMADIS.

Qui m’apppelle ?

CORISANDE.

Par quel sort puis-je ici vous voir ?

AMADIS.

Vous voyez un amant fidèle,
290 Réduit au dernier désespoir.

CORISANDE.

Protégez la vertu, que l’injustice opprime.
Secourez Florestan, même sang vous anime ;
Il était, comme vous, l’appui des malheureux.
Je n’ai pu retenir son coeur trop généreux ;
295 Aux pleurs d’une inconnue il s’est laissé séduire.
La perfide a su le conduire
Dans des enchantements affreux.

AMADIS.

Pour l’aller secourir quel chemin faut-il prendre ?

CORISANDE.

À d’horribles dangers vous devez vous attendre.

AMADIS.

300 J’ai vu le danger sans effroi
Lorsque mes jours heureux étaient dignes d’envie ;
Puis-je craindre la mort, dans un temps où la vie
N’est plus qu’un supplice pour moi ?

CORISANDE.

Florestan est tombé dans un triste esclavage
305 En voulant passer dans ces lieux.

AMADIS.

Allons.

SCÈNE VI. Arcalaüs, Suivants d’Arcalaüs, Amadis, Corisande. §

ARCALAÜS, empêchant Amadis de passer sur le pont.

Arrête, audacieux ;
Arrête, j’entreprends de garder ce passage.
Vois ces marques de mes exploits,
Vois combien de guerriers m’ont cédé la victoire.
310 Joins un nouveau trophée à ceux que dans ces bois
J’ai fait élever à ma gloire.

AMADIS.

Cesse de m’arrêter, ne force point mon bras
À tourner sur toi ma vengeance.

ARCALAÜS.

Si tu cherches ton frère, il est en ma puissance.

CORISANDE.

315 Rendez-moi Florestan.

ARCALAÜS.

Allez, suivez ses pas,
Suivez votre amant au trépas.
Les suivants d’Arcalaüs emmènent Corisande.

CORISANDE.

Amadis ! Amadis ! Notre unique espérance,
Ah ! Ne nous abandonnez pas.

AMADIS.

Perfide ! Il faut que je punisse
320 Ta barbare injustice.
Amadis combat contre Arcalaüs.

ARCALAÜS.

Esprits infernaux, il est temps
De me donner le secours que j’attends.

SCÈNE VII. Amadis, Troupe de de Bergères et de Bergers. §

Plusieurs démons et des monstres terribles, s’efforcent en vain d’étonner et d’arrêter Amadis ; d’autres démons, sous la forme de nymphes, de bergères et de bergers, prennent la place des monstres, et enchantent Amadis.

LE CHOEUR.

Non, non, pour être invincible,
On n’en est pas moins sensible,
325 Quel vainqueur a résisté
Au charme de la beauté.
On danse

DEUX BERGÈRES, UN BERGER alternativement avec le CHOEUR.

Vous ne devez plus attendre
Rien qui trouble vos désirs.
Cédez aux plaisirs
330 Qui viennent vous surprendre.
Cédez, il est temps de vous rendre
Cédez, rendez-vous
Aux charmes les plus doux.
On danse.

AMADIS, enchanté, et croyant voir Oriane.

Est-ce vous, Oriane ! Ô ciel ! Est-il possible !
335 Votre coeur contre moi n’est-il plus irrité ?
L’éclat de vos beaux yeux dans ce bois écarté
Chasse ce que l’enfer a formé de terrible.
Que vivre loin de vous est un supplice horrible !
Quel plaisir de vous voir ! que j’en suis enchanté !
340 Disposez de ma vie et de ma liberté.
Amadis met ses armes entre les mains de la bergère qu’il prend pour Oriane, et la suit avec empressement.

LE CHOEUR.

Non, non, pour être invincible
On n’en est pas moins sensible :
Quel vainqueur a résisté,
Au charme de la beauté ?

ACTE III §

Le théâtre change et représente un vieux palais ruiné, on y voit le tombeau d’Ardan-Canile et plusieurs différents cachots.

SCÈNE I. Florestan, enchaîné et enfermé dans un cachot ; Corisandre, enchaînée et enfermée dans un autre cachot, Troupe de captives et de captifs enfermés ; Troupe de Geôliers. §

CHOEUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS.

345 Ciel ! Finissez nos peines.

CHOEUR DES GEOLIERS.

Vos clameurs seront vaines.

CHOEUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS.

Ciel ! Ô ciel ! Quel supplice, hélas !

CHOEUR DES GEOLIERS.

Le ciel ne vous écoute pas.

SCÈNE II. Arcabonne et les mêmes acteurs de la scène précédente. §

Arcabonne, conduite et portée en l’air par des démons, descend dans le palais ruiné.

ARCABONNE.

Il est temps de finir votre plainte importune.
350 Sortez, traînez ici vos fers.
Les geôliers ouvrent les cachots, et les captifs en sortent.

CHOEUR DES CAPTIVES ET DES CAPTIFS.

Contentez-vous des maux que nous avons soufferts ;
Faites cesser notre infortune.

ARCABONNE.

Vous allez cesser de souffrir,
Malheureux, vous allez mourir.
355 Bientôt l’ennemi qui m’outrage
Sera remis en mon pouvoir :
Et plus je suis près de le voir,
Plus je sens augmenter ma rage.
Le sang, ou l’amitié vous unit avec lui,
360 Vous périrez tous aujourd’hui.
Toi qui dans ce tombeau n’est plus qu’un peu de cendre
Et qui fut de la terre autrefois la terreur.
Reçois le sang que ma fureur
S’empresse de répandre.
365 Qu’entend-je ! Quel gémissement
Sort de ce monument ?
Je vais répondre à votre impatience,
Mânes plaintifs, cessez de murmurer.
Je punirai qui nous offense
370 Par la plus cruelle vengeance
Que la rage puisse inspirer,
Je vais répondre à votre impatience,
Mânes plaintifs, cessez de murmurer.

SCÈNE III. L’Ombre d’Ardan-Canile et les Acteurs de la scène précédente. §

L’OMBRE D’ARDAN-CANILE, sortant de son tombeau.

Ah ! Tu me trahis, malheureuse.

ARCABONNE.

375 J’ai juré d’achever une vengeance affreuse,
Voyez quelle est l’ardeur de mes ressentiments.

L’OMBRE.

Ah ! Tu me trahis, malheureuse.
Ah ! Tu vas trahir tes serments.
Je retombe ; le jour me blesse.
380 Tu me suivras dans peu de temps ;
Pour te reprocher ta faiblesse,
C’est aux enfers que je t’attends.
L’Ombre rentre dans le tombeau.

ARCABONNE.

Non, rien n’arrêtera la fureur qui m’anime
On vient me livrer ma victime.

SCÈNE IV. Amadis enchaîné, Troupe de soldats, qui gardent Amadis, et les acteurs de la scène précédente. §

Arcabonne

ARCABONNE, un poignard à la main, s’approche d’Amadis.

385 Meurs !... Que mes sens sont interdits !
Ô Ciel ! Que vois-je ? Est-ce Amadis !

AMADIS.

Je suis un malheureux, qui n’ai plus d’autre envie
Que de trouver la fin de mon funeste sort.

ARCABONNE.

Quoi, l’ennemi dont j’ai juré la mort,
390 Est le héros qui m’a sauvé la vie ?
Qu’est-ce que j’entreprends ? un trépas inhumain
De mon libérateur serait la récompense ?
Non, une cruelle vengeance
Contre vos jours m’a fait armer en vain :
395 Une juste reconnaissance
Me fait tomber les armes de la main.
Vivez, quittez vos fers, ne craignez plus ma haine.
Quel prix vous puis-je offrir pour ce que je vous dois ?

AMADIS.

D’innocents malheureux ont trop souffert pour moi ;
400 Le seul prix que je veux, c’est de briser leur chaîne.

ARCABONNE.

Allez en liberté . goûtez un doux repos :
Rendez grâces à ce héros.
Arcabonne fait remettre en liberté Florestan, Corisandre, et les autres captifs et captives ; mais elle retient Amadis et l’emmène avec elle. Les captifs et les captives se réjouissent de la liberté qui leur est rendue.

FLORESTAN, CORISANDE, LE CHOEUR.

Sortons d’esclavage,
Profitons de l’avantage.
405 Qu’Amadis a remporté :
Notre liberté
Est le prix de son courage.
Sortons d’esclavage.
Amadis a surmonté
410 L’envie et la rage ;
Amadis a surmonté
L’enfer irrité.
Sortons d’esclavage,
Profitons de l’avantage.
415 Qu’Amadis a remporté :
Notre liberté
Est le prix de son courage.
Sortons d’esclavage.
On danse.

CORISANDE.

Quel plaisir dans mon coeur succède au désespoir !

FLORESTAN.

420 Aimons-nous, livrons-nous au bonheur de nous voir.

CORISANDE ET FLORESTAN.

L’amour et la victoire
S’unissent, pour nous rendre heureux.
De ce jour, par nos chants, consacrons le mémoire.
Volez, plaisirs ; régnez, aimables jeux :
425 L’amour vous appelle en ces lieux.
On danse.

ACTE IV §

Le théâtre représente une île agréable.

SCÈNE I. Arcalaüs, Arcabonne. §

ARCALAÜS.

Par mes enchantements Oriane est captive,
Sa beauté causa nos malheurs :
Dans ces lieux, sans pitié, j’entends sa voix plaintive,
Et j’aime à voir couler ses pleurs.
430 Notre ennemi l’aimait, il a tout fait pour elle ;
Il combattait pour l’obtenir.

ARCABONNE.

Je viens de la voir, qu’elle est belle !
Vous ne la sauriez trop punir.

ARCALAÜS.

Ne permettons pas qu’elle ignore
435 La perte d’un amant, dont son coeur est charmé,
Il faut qu’après la mort Amadis souffre encore
Dans ce qu’il a le plus aimé.
Aux regards d’Oriane, exposez la victime
Qu’à nos ressentiments vous venez d’immoler.
440 Un soupir vous échappe ; et vous n’osez parler !
Est-ce par des soupirs que la haine s’exprime ?

ARCABONNE.

Que vous êtes heureux de n’avoir à songer
Qu’à haïr, et qu’à vous venger !
Hélas ! Dans notre ennemi même
445 J’ai trouvé l’inconnu que j’aime.

ARCALAÜS.

Vous aimez Amadis ! Il voit encore le jour !
Quoi ! Sur votre vengeance un lâche amour l’emporte ?

ARCABONNE.

La vengeance la plus forte
Est faible contre l’amour.

ARCALAÜS.

450 Quelle faiblesse est plus étrange !
Notre ennemi mortel devient votre vainqueur ?
Malgré tant de serments, votre perfide coeur
Du parti d’Amadis se range !
Parjure ! Ah, c’est de vous qu’il faut que je me venge !

ARCABONNE.

455 Je l’aime, malgré moi, cet ennemi charmant ;
Je n’en puis être aimée, une autre a su lui plaire :
Je vous défie, avec votre colère,
D’inventer pour mon châtiment
Un plus cruel tourment.

ARCALAÜS.

460 Pour augmenter votre supplice,
Il faut vous faire voir ces deux amants heureux ;
Avant que ma vengeance en fasse un sacrifice,
Il faut que l’hymen les unisse...

ARCABONNE.

Ah ! Que plutôt cent fois ils périssent tous deux.
465 Entre l’amour et la haine cruelle
J’ai cru pouvoir me partager ;
Mais dans mon coeur l’amour est étranger,
Et la haine m’est naturelle.

ARCABONNE, voyant approcher Oriane.

Ma rivale gémit : que ses maux me sont doux !
470 Pour punir ces amants, j’imagine une peine
Digne de ma fureur, et de votre courroux ;
C’est peu d’une mort inhumaine...

ARCALAÜS.

Puis-je encore me fier à vous ?

ARCABONNE.

Fiez-vous à l’amour jaloux,
475 Il est plus cruel que la haine.

SCÈNE II. §

ORIANE, seule.

À qui pourrai-je avoir recours ?
C’est de vous, juste Ciel ! Que j’attends du secours,
Sur ces bords inconnus, un enchanteur barbare
Dispose de mes tristes jours :
480 L’enfer contre moi se déclare ;
À qui pourrais-je avoir recours ?
C’est de vous, juste Ciel ! que j’attends du secours.
Autrefois Amadis aurait pris ma défense :
Mais l’inconstant m’oublie, et suit une autre loi.
485 Pourquoi m’en souvenir ? Pourquoi
N’oublier pas de lui jusqu’à son inconstance ?
Ici, loin de toute assistance,
Je tremble d’un mortel effroi ;
Eh ! Faut-il encore que je pense
490 À qui ne pense plus à moi ?

SCÈNE III. Arcalaüs, Oriane. §

ARCALAÜS.

Je vous entends, cessez de feindre.
Plaignez-vous d’Amadis ; je ne veux pas contraindre
Un si juste courroux.

ORIANE.

J’ai tant de sujet de m’en plaindre,
495 Que j’ai presque oublié de me plaindre de vous.
Non, ce n’est point ici son secours que j’implore ;
Il est allé chercher la beauté qu’il adore,
Et je l’appellerais par des cris superflus.

ARCALAÜS.

Lorsque vous le verrez, vous l’aimerez encore.

ORIANE.

500 Non, non, je ne le verrai plus.
Je dois trop le haïr, pour renouer la chaîne
Dont il a dégagé son coeur.

ARCALAÜS.

Si vous le haïssez, j’ai servi votre haine ;
À la fin j’ai vaincu ce superbe vainqueur.

ORIANE.

505 Vous, vainqueur d’Amadis ! Non, il n’est pas possible
Qu’il ait cessé d’être invincible :
Tout cède à sa valeur, et vous la connaissez...

ARCALAÜS.

Eh ! C’est ainsi que vous le haïssez ?

ORIANE.

Je veux haïr toujours un amant si volage,
510 Et je me le suis bien promis :
Mais ses plus cruels ennemis
Peuvent-ils s’empêcher d’admirer son courage.
Non, rien ne peut être assez fort,
Pour surmonter ce héros indomptable.

ARCALAÜS.

515 Voyez si je me vante à tort,
D’avoir vaincu ce vainqueur redoutable.
Amadis, étendu sur ses armes sanglantes, paraît mort.

SCÈNE IV. Oriane, Amadis qui paraît mort. §

ORIANE.

Que vois-je ! Ô spectacle effroyable ?
Ô trop funeste sort !
Ciel ! Ô Ciel ! Amadis est mort !
520 Ma colère lui fut fatale ;
J’eus tort de l’accuser de suivre une autre amour.
Que ne puis-je, en mourant, le rappeler au jour,
Dû-t-il vivre pour ma rivale !
Ciel ! Qui nous donna ce héros,
525 Que ne prenais-tu sa défense
Contre l’infernale puissance ?
L’univers a perdu l’auteur de son repos.
Pleure, gémis, faible innocence,
Pleure, hélas ! Tu n’as plus d’appui,
530 Tu vois expirer aujourd’hui
Ton unique espérance.
Ô trop funeste sort !
Ciel ! Ô Ciel ! Amadis est mort !
Il m’appelle ; je le vais suivre
535 Le sort qui nous rejoint m’est doux :
Amadis, je vivais pour vous,
Vous mourez, je ne puis plus vivre.
Oriane tombe évanouie.

SCÈNE V. rcalaüs, Arcabonne, Amadis qui paraît mort, Oriane, évanouie. §

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

Quel plaisir de voir
Un si cruel désespoir !

ARCABONNE.

540 Joignez votre fureur à ma rage inhumaine.
Il faut que ces amants revivent tour à tour
Pour souffrir une affreuse peine

ARCALAÜS.

Il faut faire de leur amour
Le ministre de notre haine.

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

545 Quel plaisir de voir
Un si cruel désespoir!

ARCABONNE.

Il faut qu’Amadis sorte
Du profond assoupissement
Où le tient notre enchantement,
550 Et qu’il pleure Oriane morte....
Mais pour eux contre nous, quel pouvoir s’est armé ?

ARCALAÜS.

Qui peut conduire ici ce rocher enflammé.

SCÈNE VI. Urgande, Troupe de suivantes d’Urgande, Arcalaüs, Arcabonne, Amadis qui paraît mort, Oriane évanouie. §

URGANDE.

Un rocher environné de flammes s’approche, les flammes se retirent, et laissent voir un vaisseau sous la figure d’un serpent, ce qui l’a fait appeler la grande serpente. Urgande et ses suivantes sortent de ce vaisseau.
Je soumets à mes lois l’enfer, la terre et l’onde.
Sans qu’on sache où je suis, je parcours tout le monde ;
555 Et je connais des secrets que les cieux
N’ont jusqu’ici dévoilé qu’à mes yeux.
Mais j’arme seulement ma fatale puissance
Contre l’injuste violence ;
J’ai soin de secourir le mérite abattu,
560 Et je fais mon bonheur de servir la vertu.
Tremblez, tremblez, reconnaissez Urgande ;
Tout obéit, sitôt que je commande ;
Barbares, laissez pour jamais
Ces fidèles amants en paix.
Urgande touche de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne.

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

565 Tout mon effort est inutile,
Je demeure immobile ;
Je cède aux charmes trop puissants
Qui saisissent mes sens.
On danse.

LES SUIVANTES D’URGANDE.

Coeurs, accablés de rigueurs inhumaines,
570 Ne cessez point d’espérer en aimant :
Il est fâcheux de porter des chaînes,
C’est un cruel tourment ;
Mais quand l’amour en veut payer les peines,
C’est un plaisir charmant.
Les suivantes d’Urgande commencent à dissiper par leurs danses l’enchantement dont Amadis et Oriane sont saisis, et les emportent dans le vaisseau. Urgande, avant que d’y renter, touche une seconde fois de sa baguette Arcalaüs et Arcabonne.

URGANDE.

575 Il faut que de vos sens je vous rende l’usage,
Perfides ! Je vous livre à votre propre rage.
Urgande rentre dans le vaisseau de la grande serpente, qui
commence à s’éloigner et à se couvrir de flammes

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

Démons, soumis à nos lois,
580 Volez, venez nous défendre.
N’osez-vous rien entreprendre ?
Méprisez-vous notre voix ?
Hâtez-vous, c’est trop attendre.
Démons, soumis à nos lois,
585 Volez, venez nous défendre.
Les démons des enfers sortent pour secourir Arcalaüs, et Arcabonne. Les démons de l’air viennent combattre contre ceux des enfers et les surmontent.

ARCABONNE ET ARCALAÜS.

On brave notre vain pouvoir,
Tout est contraire à notre envie :
Nous perdons tout espoir,
Renonçons à la vie !
Ils se tuent.

ACTE V §

Le théâtre représente le palais enchanté d’Apollidon, où l’on voit l’arc des loyaux amants, et la chambre défendue, qui est gardée par un mondtre jetant des flammes.

SCÈNE I. Urgande, Amadis. §

URGANDE.

590 Apollidon, par un pouvoir magique,
Autrefois éleva ce palais magnifique ;
Consolez-vous en des lieux si charmants ;
Vous y devez trouver la fin de vos tourments.

AMADIS.

Je ne puis ressentir les charmes
595 Du plus agréable séjour :
Non, rien ne plaît à des yeux que l’Amour
A condamnés à d’éternelles larmes.

URGANDE.

Oriane est ici, rappelez votre espoir.

AMADIS.

Oriane...

URGANDE.

Vous l’allez voir.

AMADIS.

600 Je puis voir par vos soins la beauté que j’adore !
Voir Oriane !... Hélas ! C’est l’irriter encore.
Ah, que mon coeur se sent troublé !
Je tremble...

URGANDE.

Amadis peut trembler !

AMADIS.

Je suis inébranlable
605 Contre un ennemi redoutable,
Dont il faut vaincre la fureur,
Mais contre la colère
De la beauté qui m’a su plaire,
Rien n’est si faible que mon coeur.

URGANDE.

610 Dissipez une crainte vaine ;
Empressez-vous de voir Oriane en ces lieux.

AMADIS.

Elle m’a défendu de paraître à ses yeux ;
Je crains de mériter sa haine.

SCÈNE II. Oriane, Amadis. §

ORIANE.

Fermez-vous pour jamais, mes yeux, mes tristes yeux.
615 Je perds ce que j’aime le mieux,
La clarté doit m’être ravie.
Hélas ! Quelle rigueur de me rendre la vie,
Pour me faire sentir la perte que je fais !
Mes yeux, mes tristes yeux, fermez-vous pour jamais.

ORIANE ET AMADIS.

620 Ô ciel ! Le puis-je croire ?

ORIANE.

Amadis ! Vous vivez !

AMADIS.

Vous plaignez mes malheurs !
Vos beaux yeux m’ont donné des pleurs !

ORIANE.

Vous vivez ?

AMADIS.

Puis-je encore vivre en votre mémoire ?

ORIANE ET AMADIS.

Ô Ciel ! Le puis-je croire !

ORIANE.

625 Je vous aime constamment
Malgré votre changement.
Dans une amour nouvelle
Vous pourrez trouver plus d’appas :
Mais vous n’y trouverez pas
630 Un coeur plus fidèle.

AMADIS.

Oriane, m’accusez-vous ?

ORIANE.

Briolanie a des charmes trop doux ;
Je n’empêcherai pas que votre amour la suive...

AMADIS.

Ah ! Ne reprenez plus votre fatal courroux,
635 Si vous souhaitez que je vive.

ORIANE.

Vous aurez peu de peine à me désabuser,
Amadis, contre vous à regret je m’irrite ;
Le dépit que l’amour excite
Ne demande qu’à s’apaiser.
640 Tout vous a dit que je vous aime :
Mes larmes, ma douleur extrême,
Mes larmes, ma douleur extrême,
Et jusqu’à mon dépit
Tout vous a dit
645 Que je vous aime.

ORIANE ET AMADIS.

Je vous promets
De n’éteindre jamais
Une flamme si belle
Je vous promets
650 Une amour éternelle.

SCÈNE IV ET DERNIÈRE. Amadis, Oriane, Urgande, Florestan, Corisande, Troupe de héros et d’héroïne. §

LE CHOEUR.

La chambre défendue s’ouvre, et une troupe de héros et d’héroïnes, qu’Apollidon y avait autrefois enchantés pour y attendre le plus fidèle des amants et la plus parfaite des amantes reçoit Amadis et Oriane, et les reconnaît dignes de cet honneur.
Digne sang de Lisvart, régnez votre naissance
Vous élève aux plus grands honneurs.
Vootre beauté sur tous les coeurs
Vous donne encor de la puissance.
On danse.

CORISANDE ET LE CHOEUR.

655 D’un bonheur nouveau
Goûtons tous les charmes ;
Mars est sans armes,
Et l’Amour sans bandeau.

CORISANDE, seule.

Volez, plaisirs ; régnez avec la gloire ;
660 Ramenez les amours ;
Enchaînez la victoire ;
Donnez à jamais de beaux jours.

CORISANDE ET LE CHOEUR.

D’un bonheur nouveau
Goûtons tous les charmes ;
665 Mars est sans armes,
Et l’Amour sans bandeau.
On danse.

CORISANDE ET LE CHOEUR.

Aimable maître
De nos désirs,
Toi seul fais naître
670 Les vrais plaisirs.

CORISANDE, seule.

Malgré tes peines,
Un tendre coeur
Trouve ne tes chaînes
Le parfait bonheur.

LE CHOEUR.

675 Aimable maître
De nos désirs,
Toi seul fais naître
Les vrais plaisirs.
Un ballet général termine l’Opéra.