SCÈNE II. Panfile, Marine. §
PANFILE.
20 Marine, écoute un mot.
MARINE.
Marine, écoute un mot. Monsieur, que vous plaît-il ?
PANFILE.
Tu sais fort bien qu’en toi j’ai confiance entière :
Dis-moi, que fait ma fille ?
MARINE.
Dis-moi, que fait ma fille ? Elle fait sa prière.
PANFILE.
Vraiment j’en suis fort aise on ne peut faire mieux,
Sitôt qu’on voit le jour, d’en rendre grâce aux Dieux.
25 Je m’en vais assister, au temple, au sacrifice,
Pour ne pas l’interrompre en ce saint exercice.
PANFILE.
C’est bien fait. Mais Marine avant que de sortir,
De ses désirs secrets voudrais-tu m’avertir?
Tu sais que pour mari je lui destine un homme,
30 Qui n’eut jamais d’égal dans Athènes et dans Rome :
Un savant, mais savant qui ne ressemble pas
Ceux qui sont, d’ordinaire, aussi gueux que des rats,
Et qui sait, pour charmer l’âme la plus farouche,
Parler d’or de la main, ainsi que de la bouche.
35 D’où provient que ma fille, en cette occasion,
Témoigne pour l’hymen si grande aversion ?
Et n’aurait-elle point, par une ardeur fatale,
2
De même que sa soeur, fait voeu d’être vestale ?
MARINE.
Pour moi, je ne crois pas, à dire vérité,
40 Qu’elle ait, jusques ici, fait voeu de chasteté ;
Et cette aversion, où votre choix t’engage,
Est plus pour le mari que pour le mariage.
L’époux qu’on lui destine est un barbon hideux,
Plus propre à ressentir des glaçons que des feux
45 Cet objet ne doit pas toucher une jeune âme.
Lorsqu’on fait demander une fille pour femme,
Une telle demande a toujours des appas
Mais c’est le demandeur qui souvent ne plaît pas.
Si vous ne l’eussiez point refusée à Tersandre,
50 Sans peine au mariage on l’eut fait condescendre.
PANFILE.
Le Docteur est plus riche.
MARINE.
Le Docteur est plus riche. Oui, mais c’est son vieux corps
Qu’elle doit épouser, et non pas ses trésors.
PANFILE.
3
Mais pour ce jeune amant, ce conteur de fleurettes,
N’a-t-elle point aussi des passions secrètes ?
MARINE.
55 Vous lui faites grand tort d’avoir de tels soupçons
Votre fille est fort sage ; elle suit mes leçons.
PANFILE.
Je t’estime fidèle ; il faut que je te croie.
Mais quel est ce papier ?
Il voit la lettre.
MARINE.
Mais quel est ce papier ? Ce n’est rien.
PANFILE.
Mais quel est ce papier ? Ce n’est rien. Que je voie.
MARINE.
À d’autres je connais quel est votre dessein ;
60 Vous voulez m’approcher pour me toucher le sein.
Qui ne vous connaîtrait...
PANFILE.
Qui ne vous connaîtrait... C’est...
MARINE.
Qui ne vous connaîtrait... C’est... Vous avez beau dire ;
Vous n’y toucherez point.
PANFILE.
Vous n’y toucherez point. Mais.
MARINE.
Vous n’y toucherez point. Mais. Mais vous voulez rire !
PANFILE.
Ce papier que j’ai vu doit être un billet doux.
MARINE.
C’est de mon serviteur ; en êtes-vous jaloux ?
PANFILE.
65 Va, tu n’es qu’une folle. Adieu je vais au temple.
Bas.
Son procédé me donne un soupçon sans exemple :
Sortons pour la surprendre.
MARINE.
Sortons pour la surprendre. Il s’en va fort content.
Mais serrons autre part ce billet important.
PANFILE.
Retournons doucement j’espère, de la sorte,
70 Arracher de ses mains le papier qu’elle porte.
MARINE.
La lettre est chiffonnée ; il faut la plier mieux.
Ma foi, le vieux pénard n’est point malicieux.
PANFILE, lui ôtant le billet.
Voyons ton innocence, ou bien ton artifice.
MARINE.
Quoi ! Vous ouvrez ma lettre.
PANFILE.
Quoi ! Vous ouvrez ma lettre. Oui, mais c’est sans malice.
75 Cet écrit, tel qu’il est, sans adresse et sans seing,
De ma fille, pourtant, me découvre la main.
Parle, à qui portes-tu cette lettre fatale
De la part d’Isabelle ?
MARINE.
De la part d’Isabelle ? À sa soeur vestale.
PANFILE.
C’est plutôt à Tersandre.
MARINE.
C’est plutôt à Tersandre. Ah ! Ne le croyez point.
PANFILE.
80 La lecture pourra m’éclaircir sur ce point.
Il lit.
Le peu de soin que tu prends de m’écrire ne m’empêche pas d’être encore sensible à l’amour.
Des vertus, l’obéissance est celle qui, sur toutes, me plaît la moins.
Heureuse entre les filles est celle qui n’a point de parents qui aiment le bien !
On me presse d’épouser un vieux Docteur en vain ; j’ai promis de n’y consentir jamais ; sans plus songer, à ma promesse il faut que je satisfasse.
Mon père tâche, par des remontrances, de me faire accepter ce vieil amant que je ne hais point sans raison.
Ceux qui m’aiment se feront connaître, s’ils s’opposent à ce mariage.
Hé bien ! Oseras-tu maintenant, déloyale,
Dire que cet écrit soit pour une vestale ?
Ma fille, par tes mains, l’envoie à son amant.
MARINE.
Vous lui faites grand tort, Monsieur assurément
85 Vous ne lisez pas bien, et j’y mettrais ma vie.
PANFILE.
Ô Ciel ! Vit-on jamais plus grande effronterie !
MARINE.
Pour qui me prenez-vous ? De grâce, parlez mieux,
Monsieur, j’ai de l’honneur.
PANFILE.
Monsieur, j’ai de l’honneur. Et moi j’ai de bons yeux.
MARINE.
N’en déplaise pourtant à vos grandes lunettes,
90 Je crois que vous avez les visières mal nettes
Regardez de plus près : le sens pourra changer.
PANFILE.
La traîtresse a dessein de me faire enrager.
MARINE.
Vous nous faites, Monsieur, une injustice extrême :
Je connais ma maîtresse.
PANFILE.
Je connais ma maîtresse. Hé bien ! Lis donc toi-même.
MARINE.
95 Si je ne vous fais voir que ces mots seulement
S’adressent à sa soeur, et non à son amant,
Et que c’est sans raison que vous m’avez criée,
Que puisse-je mourir sans être mariée !
Vous me pouvez bien croire après un tel serment.
PANFILE.
100 J’en doute ; hâte-toi de lire promptement.
MARINE, lit.
Le peu de soin que tu prends de m’écrire ne m’empêche pas d’être encore sensible à l’amour des vertus. L’obéissance est celle qui, sur toutes, me plaît.
La moins heureuse entre filles est celle qui n’a point de parents qui aiment le bien.
On me presse d’épouser un vieux Docteur : en vain j’ai promis de n’y consentir jamais sans songer à ma promesse, il faut que je satisfasse mon père.
Tâche, par des remontrances, de me faire accepter ce vieil amant que je ne hais point : sans raison ceux qui m’aiment se feront connaître, s’ils s’opposent à ce mariage.
PANFILE.
Dieux sans changer un mot, comment se peut-il faire
Que ce sens se rencontre au premier si contraire ?
MARINE.
Hé bien ! N’aviez-vous pas l’esprit préoccupé ?
PANFILE.
Les points qui sont omis doivent m’avoir trompé :
105 Les filles de ce temps estiment ridicules
Celles dont les écrits sont remplis de virgules.
MARINE.
Votre humeur, fort sujette aux paniques terreurs,
Est le défaut qui seul a causé vos erreurs.
Je vous l’avais bien dit : votre fille est bien née.
110 Vous m’avez fait injure, et l’avez soupçonnée ;
J’en crève de dépit.
PANFILE.
J’en crève de dépit. Marine, excuse-moi.
Je jure de jamais ne douter de ta foi.
MARINE.
Vous avez eu grand tort.
PANFILE.
Vous avez eu grand tort. Oui, je te le confesse.
MARINE.
Rendez-moi mon billet, Monsieur le temps me presse.
PANFILE.
115 Je le ferai tenir.
MARINE.
Je le ferai tenir. Il n’en est pas besoin.
PANFILE.
Va, quelqu’un de mes gens t’épargnera ce soin
Et, pour mieux employer ton temps et ton adresse,
À l’hymen du Docteur dispose ta maîtresse.
MARINE.
Mais la presserez-vous ?
PANFILE.
Mais la presserez-vous ? Oui, dis-lui de ma part,
120 Qu’il le faut épouser dès demain, au plus tard.
MARINE.
Je crains fort d’aborder ma maîtresse Isabelle
Je serai mal reçue avec cette nouvelle.
SCÈNE VI. Le Docteur, Panfile, Marine, Tersandre, Ragotin. §
LE DOCTEUR, dans un habit de paille.
195 Future épouse, et vous, beau-père proposé,
Sachez que tout mon corps est métamorphosé ;
Que je suis, à présent, de l’ultime matière
Où se peut transmuer chaque corps sublunaire,
Et qu’Amour, dont toujours je me suis défié,
200 M’a mis à si grand feu qu’il m’a vitrifié.
PANFILE.
Vous n’êtes point de verre ; en vain vous nous le dites :
Il n’en est rien.
LE DOCTEUR.
Il n’en est rien. Vos yeux sont donc hétéroclites ?
PANFILE.
Mais vous parlez encor ?
LE DOCTEUR.
Mais vous parlez encor ? Mes accents sont formés
Par des esprits mouvants dans ce verre enfermés :
205 Mon corps est résonnant ; mais, comme il est fort frêle,
Mes esprits s’enfuiront pour peu que t’en me fêle.
PANFILE.
Pour vous tirer d’erreur je veux vous embrasser.
LE DOCTEUR.
Ah ! Gardez-vous-en bien ! Ce serait me casser.
PANFILE.
Souffrez qu’on vous détrompe.
LE DOCTEUR.
Souffrez qu’on vous détrompe. Il n’est pas nécessaire,
210 De ma fragilité durissime adversaire.
PANFILE, l’embrassant.
Voyez...
LE DOCTEUR.
Voyez... Ah ! Par le flanc il vient de me fêler ;
L’humide radical par là va s’écouler.
PANFILE.
Mais vous n’êtes pas bien.
LE DOCTEUR.
Mais vous n’êtes pas bien. Je suis le mieux du monde.
LE DOCTEUR.
Sortez. Ah ! Que plutôt Jupiter vous confonde !
PANFILE.
215 Laissez-moi faire.
LE DOCTEUR.
Laissez-moi faire. Hé, quoi ! Barbon pernicieux,
Si j’étais en morceaux, en seriez-vous bien mieux ?
PANFILE.
Mais, Monsieur le Docteur.
LE DOCTEUR.
Mais, Monsieur le Docteur. Mais, Monsieur mon beau-père,
N’approchez point de moi, vous ne sauriez mieux faire.
Je suis déjà fêlé ; que voulez-vous de plus ?
PANFILE, lui ôtant son habit de paille.
220 Je veux guérir l’erreur dont vos sens sont déçus.
LE DOCTEUR.
Peste ! Comme il me serre ! Ah, le traître me brise !
7
Bourreau, gendrifracteur, apprends que j’agonise !
Il s’évanouit.
TERSANDRE, au docteur.
Dominé, Dominé, procrastinez vos ans.
PANFILE.
Qu’on apporte de l’eau pour rappeler ses sens !
225 Son pouls qui meut encor fait voir qu’il reste en vie,
8
Et que sa pâmoison sera bientôt finie.
Il reprend ses esprits de faiblesse accablés ;
Ses pas sont chancelants, et ses regards troublés.
LE DOCTEUR.
Mon esprit, spolié de son fourreau de verre,
230 Se voit donc translaté dans l’infernale terre
9
J’ai trajeté déjà le Cocyte bourbeux,
Et voici de Pluton le palais ténébreux.
TERSANDRE.
Il croit être appulsé dans le règne des Ombres.
LE DOCTEUR.
Bons Dieux ! Que cette plage étale d’objets sombres !
235 Je n’incide partout que Larves, Diablotins,
Follets, Ténébrions, Farfadets et Lutins.
Il s’adresse à Ragotin.
10
Bon ! Je cerne déjà Tantale enfanticide.
La peste ! Comme il bâille, et comme il mache à vide !
Que j’aime à l’aspicer, voulant gober souvent
240 Des fruits près de son nez, ne gober que du vent !
Macheur infortuné, qui n’a ni bien ni joie,
Du séjour de Pluton enseigne-moi la voie ?
Quel est le chemin ?
RAGOTIN.
Quel est le chemin ? Long.
LE DOCTEUR.
Quel est le chemin ? Long. Que me diras-tu ?
LE DOCTEUR.
Rien. Me veux-tu du mal ?
RAGOTIN.
Rien. Me veux-tu du mal ? Nul.
LE DOCTEUR.
Rien. Me veux-tu du mal ? Nul. Mais me connais-tu ?
LE DOCTEUR.
Bien. Que m’estimes-tu ?
RAGOTIN.
Bien. Que m’estimes-tu ? Fol.
LE DOCTEUR.
Bien. Que m’estimes-tu ? Fol. Comment, âme damnée,
Ma sagesse par toi sera contaminée,
Et tu me répondras monosyllabement !
Je te vais bien docer à jaser autrement.
RAGOTIN.
Ah ! Monsieur le Docteur, excusez, je vous prie !
250 Contre un de vos valets n’entrez point en furie :
Je vivrai, désormais, respectueusement,
Et répondrai toujours polisillabement.
TERSANDRE.
Dominé, n’ayez point une anime inclémente.
LE DOCTEUR, à Tersandre.
11
Je suivrai vos décrets, inclyte Rhadamante.
255 Mon sort dépend de vous, magistrat infernal ;
Je salue, en tremblant, votre noir tribunal.
PANFILE, au Docteur.
Faut-il jusqu’à ce point que votre esprit s’abuse ?
LE DOCTEUR.
12
Ah ! Monseigneur Pluton, je vous demande excuse ;
Mon procédé, sans doute, a dû vous étonner :
260 C’est devant vous d’abord qu’il se faut prosterner.
ISABELLE.
Reconnaissez, Monsieur, l’erreur qui vous domine.
LE DOCTEUR, à Isabelle.
13
Veuillez parler pour moi, Madame Proserpine.
ISABELLE.
Vous me connaissez mal.
LE DOCTEUR.
Vous me connaissez mal. Ne croyez pas cela :
Jupiter n’est-il pas Monsieur votre papa ?
265 Vous êtes de la nuit la Déesse muante ;
Les charmes ont de vous leur force omnipotente
On vous offre des voeux sous les titres divers
De fille de la Terre et Reine des Enfers ;
Et Pluton, fasciné de vos traits adorables,
270 Vous emmena jadis, par force, à tous les diables.
MARINE.
Plutôt que de l’entendre, il le faudrait chasser.
LE DOCTEUR, à Marine.
Quoi ! Tu viens donc encore ici me traverser,
Déesse de discorde au crin serpentifère,
14
Boute-feu, rabat-joie, exécrable Mégère,
275 Maudit tison d’enfer !
MARINE.
Maudit tison d’enfer ! Comme il roule les yeux !
Madame, sauvez-moi de ce fol furieux !
ISABELLE.
Ne vous emportez pas.
LE DOCTEUR.
Ne vous emportez pas. Soyez-moi donc propice
Et je promets d’offrir ensuite en sacrifice,
Sur un autel qu’exprès je dresserai pour vous,
15
280 Une vache bréhaigne avecque deux hiboux.
PANFILE.
Combattre son erreur, c’est l’aigrir davantage
Tâchons, en le flattant, de le rendre plus sage.
LE DOCTEUR.
Hé bien, après avoir longuement consulté,
Mes juges infernaux, qu’avez-vous décrété ?
PANFILE.
285 Qu’il faut dans votre corps retourner sur la terre.
LE DOCTEUR.
Dans mon corps ! Mais faut-il qu’il soit encorde verre ?
PANFILE.
Non, il n’en sera plus.
LE DOCTEUR.
Non, il n’en sera plus. Oserai-je, en partant,
Vous consulter encor sur un point important ?
LE DOCTEUR.
16
Oui, parlez. Un vieillard d’humeur cacochymique
290 Me défère en hymen sa géniture unique,
Fille qui peut donner des passe-temps bien doux,
Et qui me tente fort.
PANFILE.
Et qui me tente fort. Hé bien ! Mariez-vous.
LE DOCTEUR.
Mais, si je me marie, il faut quitter l’étude.
En prenant femme, on prend beaucoup d’inquiétude ;
295 On est toujours troublé de nouveaux embarras :
Cela m’effraye.
PANFILE.
Cela m’effraye. He bien ! Ne vous mariez pas.
LE DOCTEUR.
N’étant point marié, si quelque mal m’accable,
Je serai spolié du soin considérable
Qu’une femme se donne alors pour un époux ;
300 C’est ce que j’appréhende.
PANFILE.
C’est ce que j’appréhende. Hé bien ! Mariez-vous.
LE DOCTEUR.
Mais si, durant mon mal, ma femme avec Tersandre,
17
Certain godelureau qui ne vaut pas le pendre,
Loin d’avoir soin de moi, souhaitait mon trépas,
J’enragerais.
PANFILE.
J’enragerais. Hé bien ! Ne vous mariez pas.
LE DOCTEUR.
305 Mais, vivant ainsi seul, je mourrai sans lignée,
À qui pouvoir laisser ma richesse épargnée
Prenant femme, il naîtra quelqu’héritier de nous,
Et j’en serai bien aise.
PANFILE.
Et j’en serai bien aise. Hé bien ! Mariez-vous.
LE DOCTEUR.
Mais, étant marié, si, comme il se peut faire,
310 Des fils qui me viendront quelqu’autre était le père,
Et s’il fallait pourtant les avoir sur les bras,
J’en tiendrais.
PANFILE.
J’en tiendrais. Hé bien donc, ne vous mariez pas.
LE DOCTEUR.
Cet ultime conseil est celui qu’il faut suivre.
J’ai, pour faire un bon choix, trop peu de temps à vivre
315 Je fuirai donc l’hymen, Dieu du sombre manoir
Je m’en retourne au monde adieu ; jusqu’au revoir.
PANFILE.
Que l’on approche un siège il retombe en faiblesse.
Ma fille, il ne faut plus croire que son mal cesse
J’aurai peine à trouver quelque parti pour vous.
320 Que n’avez-vous Tersandre, à présent, pour époux !
Fallait-il, pour ce fol, rebuter sa demande ?
L’intérêt me fit faire une faute si grande.
Mais le Docteur revient ; écoutons ses propos.
LE DOCTEUR.
Pluton en soit loué ! Je suis de chair et d’os.
325 Beau-père prétendu, que Jupiter console,
Cherchez un gendre ailleurs ; je reprends ma parole :
Le grand Dieu des Enfers, dont je suis de retour,
M’a donné ce conseil, en me rendant le jour.
PANFILE.
Ah ! Changez de discours.
LE DOCTEUR.
Ah ! Changez de discours. Je comprends vos pensées :
330 Vous désirez savoir ce qu’aux Champs Elysées,
Où je viens de passer, j’ai récemment appris.
LE DOCTEUR.
Ce n’est pas... Par ma foi ! Vous en serez surpris :
Plusieurs qui, dans ce monde, ont possédé l’Empire,
Sont là dans un état qui vous ferait trop rire.
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335 Ninus l’usurpateur, y racoutre des bas ;
Cambise, le cruel, vend de la mort aux rats ;
Xerxès, le gras, y vent des couennes de lard jaune ;
Crésus, qui fut si riche, y demande l’aumône.
LE DOCTEUR.
C’est... Ah ! Ce n’est pas tout. Philippe, le hableur,
340 Tire les cors des pieds, sans mal et sans douleur
Alexandre-le-Grand déniche des fauvettes ;
César, le vigilant, est vendeur d’allumettes.
PANFILE.
Ce n’est rien de cela que je voudrais savoir.
LE DOCTEUR.
Quoi donc ? Si les savants ont là bien du pouvoir ?
345 Vous êtes curieux il faut vous tout apprendre
Sachez donc qu’à présent le morne Anaximandre,
Diogène le chien, Ésope le velu,
Aristote le bègue, et Platon le rablu,
Hérille l’affamé, le châtré Xénocrate,
350 Épictète le gueux, et le cornard Socrate,
Qui n’eurent point ici grands biens ni grands honneurs,
Au pays d’où je viens sont de fort grands Seigneurs.
Êtes-vous satisfait ?
PANFILE.
Êtes-vous satisfait ? Vous me le pouvez rendre,
En épousant ma fille et devenant mon gendre.
LE DOCTEUR.
355 Ne vous ai-je pas dit que je n’en ferais rien ?
C’est l’avis de Pluton, et c’est aussi le mien.
LE DOCTEUR.
Mais. Mais Pluton l’a dit ; cela vous doit suffire.
PANFILE.
Vous êtes fol, Monsieur.
LE DOCTEUR.
Vous êtes fol, Monsieur. Il faut vous laisser dire ;
Vous avez beau vous plaindre et beau m’injurier,
360 Je ne suis pas si fol que de me marier.
Il sort.
PANFILE.
Que ferons-nous?
TERSANDRE.
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Que ferons-nous? Spondez votre fille à Tersandre.
PANFILE.
Je l’ai traité trop mal; il n’y faut plus prétendre.
ISABELLE.
Mais s’il avait pour moi le même sentiment,
Lui serais-je accordée?
PANFILE.
Lui serais-je accordée? Avec ravissement.
TERSANDRE, se découvrant.
365 Tersandre à vos genoux vous la demande encore.
PANFILE.
Elle est à vous, Tersandre, et votre amour l’honore.
Mais je suis fort surpris d’un si grand changement ;
Venez m’en éclaircir dans votre appartement.