M. DCC. LXXXIV.
DE SEDAINE.
APPROBATION. §
Lu et approuvé. A Paris, ce 13 Juillet 1784.
Vu l’Approbation, permis d’imprimer. À Paris, ce 13 Juillet 1784. LE NOIR.
PERSONNAGES ACTEURS. §
- RICHARD.
- MARGUERITE.
- BLONDEL.
- MATHURIN.
- LA VIEILLE FEMME.
- LE SÉNÉCHAL.
- FLORESTAN.
- WILLIAMS.
- LAURETTE.
- BÉATRIX.
- ANTONIO.
- SUITE de MARGUERITE.
- VIEILLES.
- VIEILLARDS.
- OFFICIERS.
- SOLDATS.
ACTE I §
PROLOGUE. §
LE CHOEUR DE PAYSANS.
COLETTE.
AUTRE TROUPE DE PAYSANS.
LE VIEUX MATHURIN.
LA VIEILLE FEMME.
SCÈNE I. Blondel, Antonio. §
BLONDEL.
Antonio, qu’est-ce que j’entends ? J’entends, je crois, chanter.
ANTONIO.
Ce n’est rien, c’est tout le hameau qui s’en retourne chez lui après l’ouvrage des champs ; le soleil est couché.
BLONDEL.
Où suis-je ici, mon petit ami ?
ANTONIO.
Vous n’êtes pas loin d’un château où il y a des tours, des créneaux ; je vois tout en haut un soldat qui fait faction avec son arbalète.
BLONDEL.
Je suis bien las.
ANTONIO.
Tenez, asseyez-vous sur cette pierre ; c’est un banc...
BLONDEL.
Ah ! Je te remercie.
ANTONIO.
C’est un banc qui est vis-à-vis la porte d’une maison qui paraît être une ferme : c’est comme une maison de gentilhomme.
BLONDEL.
Hé bien, mon ami, va t’informer si on peut m’y donner à coucher pour cette nuit.
ANTONIO.
Je vous retrouverai là ?
BLONDEL.
Ah ! Je n’ai pas envie d’en sortir ; quand on ne voit pas, on est bien forcé de rester où on nous dit d’attendre ; ne manque pas de revenir.
ANTONIO.
Oh ! Non, car vous m’avez bien payé ; mais, père Blondel, j’ai quelque chose à vous dire.
BLONDEL.
Quoi ?
ANTONIO.
Ah ! C’est que...
BLONDEL.
Dis, mon fils, dis : qu’est-ce que c’est ?
ANTONIO.
C’est que je suis bien fâché ; je ne pourrai pas vous conduire demain.
BLONDEL.
Hé ! Pourquoi donc ?
ANTONIO.
C’est que je suis de noce ; mon grand-père et ma grand-mère se remarient, et mon petit-fils qui est leur frère...
BLONDEL.
Ton petit-fils ! Tu as un petit-fils ?
ANTONIO.
Oui, leur petit-fils, qui est mon frère, se marie, aussi le même jour de leur remariage, à une fille de ce canton.
BLONDEL.
Hé, dis-moi, elle ne demeurerait pas dans ce château que tu dis, où il y a un soldat qui a une arbalète ?
ANTONIO.
Non, non.
BLONDEL.
Mais, mon ami, demain, comment ferai-je pour me conduire ?
ANTONIO.
Ah ! Je vous donnerai un de mes camarades, il est un peu volage ; mais je vous ferai venir à la noce, et vous y jouerez du violon : ah ! ne vous embarrassez pas.
BLONDEL.
Tu aimes donc bien à danser ?
ANTONIO.
BLONDEL.
C’est vrai, mon fils, je suis bien à plaindre.
ANTONIO.
BLONDEL.
Continue, je crois la voir.
ANTONIO.
Vous la voyez ? Ah ! Vous êtes aveugle.
BLONDEL.
Va, mon fils, va toujours voir si je pourrai trouver où passer cette nuit.
SCÈNE II. §
BLONDEL.
Oui, voilà des tours, voilà des fossés, des redoutes ; c’est bien là un château fort ; il est éloigné des frontières, dans un pays sauvage, au milieu des marais ; il n’est propre qu’à renfermer des prisonniers d’État ; on dit qu’on ne peut en approcher, nous verrons, on se méfiera moins d’un homme que l’on croira aveugle. Orphée, animé par l’amour, s’est ouvert les enfers ; les guichets de ces tours s’ouvriront peut-être aux accents de l’amitié.
Mais j’entends du bruit, remettons-nous et reprenons notre rôle.
SCÈNE III. Blondel, Williams, Guillot, ensuite Laurette. §
WILLIAMS, sort, tenant par l’oreille un paysans, qui crie.
Je t’apprendrai à porter des lettres à ma fille.
GUILLOT.
C’est de la part du gouverneur.
WILLIAMS.
BLONDEL, à part.
GUILLOT.
WILLIAMS.
GUILLOT.
WILLIAMS.
BLONDEL, à part.
GUILLOT.
WILLIAMS.
BLONDEL.
LAURETTE.
BLONDEL.
SCÈNE IV. Williams, Blondel. §
WILLIAMS.
Rentrez dans la maison... Elle dit qu’elle ne l’a point vu, et qu’elle ne lui parle pas, et il lui écrit ; je voudrais bien connaître ce que dit cette lettre ; ils ont à présent une manière d’écrire qu’on ne peut déchiffrer. Si quelqu’un... ce vieillard n’est pas de ce pays-ci : bonhomme, savez-vous lire ?
BLONDEL.
Ah, mon Dieu ! Oui, je sais lire.
WILLIAMS.
Hé bien, lisez-moi cela.
BLONDEL.
Ah, mon bon monsieur ! Je suis aveugle, ces méchants Sarrasins m’ont brûlé les yeux avec une lame d’acier flamboyante ; mais ne voyez-vous pas venir un petit garçon ?
WILLIAMS.
Oui.
BLONDEL.
C’est celui qui me conduit ; il sait lire, et il vous lira tout ce que vous voudrez. Antonio, est-ce toi ?
SCÈNE V. Williams, Blondel, Antonio. §
ANTONIO.
Oui, c’est moi, père Blondel.
BLONDEL.
Tu as été bien longtemps.
ANTONIO.
Ah ! C’est que je l’ai trouvée, et je lui ai dit un petit mot.
BLONDEL.
Tiens, lis la lettre de ce monsieur que voilà, et lis bien haut, et distinctement ; lis, lis, mon petit ami.
ANTONIO.
« Belle Laurette... »
WILLIAMS.
Belle Laurette ! Voilà comme ils leur font tourner la tête.
ANTONIO.
« Belle Laurette, mon coeur ne peut se contenir de la joie qu’il ressent par l’assurance que vous me donnez de m’aimer toujours. »
WILLIAMS.
Ah, fille indigne ! Elle l’aime.
BLONDEL.
Laissez, laissez ; continue.
ANTONIO.
« Si le prisonnier que je ne peux quitter... »
WILLIAMS.
Tant mieux.
BLONDEL, à part.
Ce prisonnier !
ANTONIO.
« Si le prisonnier, que je ne peux quitter, me permettait de sortir pendant le jour, j’irais me jeter... »
WILLIAMS.
Fût-ce dans les fossés de ton château !
BLONDEL, à part.
Qu’il ne peut quitter.
Lis toujours.
ANTONIO.
« J’irais me jeter à vos pieds ; mais si cette nuit... » Il y a des mots effacés.
BLONDEL.
Ensuite ?
ANTONIO.
« Faites-moi dire par quelqu’un à quelle heure je pourrais vous parler. Votre tendre, fidèle amant, et constant chevalier, Florestan. »
WILLIAMS.
Ah, damnation ! Goddam !
BLONDEL.
Goddam ! Est-ce que vous êtes Anglais ?
WILLIAMS.
Ah ! Oui, je le suis.
BLONDEL.
Vigoureuse nation ! Eh ! Comment est-il possible que, né un brave Anglais, vous soyez venu vous établir dans le fond de l’Allemagne, et dans un pays aussi sauvage qu’on m’a dit qu’il était ?
WILLIAMS.
Ah ! C’est trop long à vous raconter. Est-ce que nous dépendons de nous ? Il ne faut qu’une circonstance pour nous envoyer bien loin.
BLONDEL.
Vous avez raison ; car moi je suis de l’Ile-de-France, et me voilà ici : et de quelle province d’Angleterre êtes-vous ?
WILLIAMS.
Du pays de Galles.
BLONDEL.
Vous êtes du pays de Galles ! Ah ! Si j’avais la jouissance de mes yeux, que j’aurais de plaisir à vous voir ! Et comment avez-vous quitté ce beau pays ?
WILLIAMS.
J’ai été à la croisade, à la Palestine.
BLONDEL.
À la Palestine ! Et moi aussi.
WILLIAMS.
Avec notre roi Richard.
BLONDEL.
Avec votre roi ! Et moi de même.
WILLIAMS.
Quand je suis revenu dans mon pays, n’ai-je pas trouvé mon père mort !
BLONDEL.
Il était peut-être bien vieux ?
WILLIAMS.
Ah ! Ce n’est pas de vieillesse : il avait été tué par un gentilhomme des environs, pour un lapin qu’il avait tiré sur ses terres. J’apprends cela en arrivant, je cours trouver ce gentilhomme, et j’ai vengé la mort de mon père par la sienne.
BLONDEL.
Ainsi voilà deux hommes tués pour un lapin.
WILLIAMS.
Cela n’est que trop vrai.
BLONDEL.
Enfin vous vous êtes enfui ?
WILLIAMS.
Oui, avec ma fille, et ma femme, qui est morte depuis ; et me voilà. La justice a mangé mon château et mon fief, et je n’ai plus rien là-bas, qu’une sentence de mort ; mais ici je ne les crains pas.
BLONDEL.
Je vous demande bien pardon de toutes mes questions.
WILLIAMS.
Ah ! Il ne me déplaît pas de parler de tout cela.
BLONDEL.
Et à la croisade, vous avez donc connu le brave roi Richard, ce héros, ce grand homme ?
WILLIAMS.
Oui, puisque j’ai servi sous lui.
BLONDEL.
Et sans doute vous avez... ?
WILLIAMS.
Mais j’ai affaire, et je crois que voilà cette voyageuse qui va arriver.
SCÈNE VI. Blondel, Laurette, Antonio. §
BLONDEL.
C’est vous qui êtes la belle Laurette ?
LAURETTE.
Oui, monsieur.
BLONDEL.
Votre père est irrité ; il sait ce que contient la lettre du chevalier FLorestan.
LAURETTE.
Oui, Florestan, c’est son nom. Est-ce qu’on a lu la lettre à mon père ?
BLONDEL.
Non, pas moi, je suis aveugle, mais c’est mon petit conducteur.
ANTONIO.
Oui, c’est moi : mais, est-ce que vous ne me l’aviez pas dit, de la lire ?
LAURETTE.
On aurait bien dû ne le pas faire.
BLONDEL.
Il l’aurait fait lire par un autre.
LAURETTE.
C’est vrai. Et que disait la lettre ?
BLONDEL.
Que sans le prisonnier qu’il garde... Et qu’est-ce que c’est que ce prisonnier ?
LAURETTE.
On ne dit pas ce qu’il est.
BLONDEL.
Que sans le prisonnier qu’il garde, il viendrait se jeter à vos pieds.
LAURETTE.
Pauvre chevalier !
BLONDEL.
Mais que cette nuit...
LAURETTE.
Cette nuit ? Ah, la nuit !
BLONDEL.
Vous l’aimez donc bien, belle Laurette !
LAURETTE.
Ah, mon Dieu, oui, je l’aime bien !
BLONDEL.
En vérité, votre aveu est si naïf que je ne peux m’empêcher de vous donner un conseil.
LAURETTE.
Dites, dites. Je ne sais ici à qui me confier ; mais votre air, votre âge... Et puis vous ne pouvez me voir... Tout cela me donne la hardiesse de vous parler, et me fait, je crois, moins rougir.
BLONDEL.
Hé bien, belle Laurette...
LAURETTE.
Mais, qui vous a dit que j’étais belle ?
BLONDEL.
Hélas ! Pour moi, pauvre aveugle, la beauté d’une femme est dans le charme, dans la douceur de sa voix.
LAURETTE.
Hé bien ?
BLONDEL.
Je vous dirai donc que, lorsque ces chevaliers, ces gens de haute condition, s’adressent à une jeune personne, d’un état inférieur, moins touchés souvent de la beauté, de la noblesse de son âme que de celle de leur extraction...
LAURETTE.
Hé bien ?
BLONDEL.
Ils ne se font quelquefois aucun scrupule de la tromper.
LAURETTE.
Mais ma noblesse est égale à la sienne.
BLONDEL.
Le sait-il ?
LAURETTE.
Sans doute. Quoique mon père ait peu d’aisance, nous avons toujours vécu noblement ; et si je ne craignais sa vivacité, vivacité qui heureusement l’a forcé de s’établir dans ce pays-ci, je lui aurais confié les intentions du chevalier.
BLONDEL.
C’est lui qui est le gouverneur de ce château ?
LAURETTE.
Oui.
BLONDEL.
Et tout en attendant cette confiance en votre père, vous le recevrez cette nuit : cette nuit ! Ce chevalier que vous aimez, vous lui parlerez cette nuit ! Écoutez-moi, ceci n’est qu’une chansonnette.
LAURETTE.
BLONDEL.
Très volontiers.
BLONDEL, LAURETTE.
LAURETTE.
Ah ! Voici je ne sais combien de personnes qui arrivent ; des chevaux, des chariots. C’est sans doute cette dame qui descend ici : j’y cours.
BLONDEL.
Écoutez donc, belle Laurette, j’ai quelque chose à vous dire.
LAURETTE.
De lui ?
BLONDEL.
Non.
LAURETTE.
Dites donc vite.
BLONDEL.
Pourrai-je passer cette nuit-ci seulement dans votre maison ?
LAURETTE.
Non, cela ne se peut pas. Mon père, à la prière d’un ancien ami, a cédé, pour cette nuit seulement, la maison tout entière à une grande dame, et, à moins qu’elle ne le permette, nous ne pouvons pas disposer du plus petit endroit ; mais demain... Adieu.
BLONDEL.
Allons, prenons patience... Antonio ?
ANTONIO.
Plaît-il ?
BLONDEL.
Va voir s’il n’y a pas d’autre retraite aux environs.
SCÈNE VII. Marguerite, Comtesse de Flandre et d’Artois ; Blondel. §
BLONDEL.
Ciel ! Que vois-je ? C’est la Comtesse de Flandre ! C’est Marguerite ; c’est le tendre et malheureux objet de l’amour de l’infortuné Richard ! Ah ! J’accepte le présage ; sa rencontre ici ne peut être qu’un coup du ciel. Si le roi est ici, et si ces tours lui servent de prison... Ah, dieux ! Mais, peut-être me trompé-je ! Voyons si vraiment c’est elle. Si c’est Marguerite, son âme ne pourra se refuser aux douces impressions d’un air qu’en des temps bienheureux son amant a fait pour elle.
MARGUERITE.
Oh, ciel, qu’entends-je... ! Bonhomme, qui peut vous avoir appris l’air que vous jouez si bien sur votre violon ?
BLONDEL.
Madame, je l’ai appris d’un brave écuyer qui venait de la Terre-Sainte, et qui, disait-il, l’avait entendu chanter au roi Richard.
MARGUERITE.
Il vous a dit la vérité.
BLONDEL.
Mais, madame, vous qui avez la voix d’un ange, n’êtes-vous pas cette grande dame qui doit occuper la maison qu’on m’a dit être ici tout près ?
MARGUERITE.
Oui, bonhomme.
BLONDEL.
Ayez pitié, je vous prie, d’un pauvre aveugle, et permettez-lui d’y passer cette nuit, dans le lieu où il n’incommodera pas.
MARGUERITE.
Ah ! Je le veux bien, pourvu que vous répétiez plusieurs fois l’air que vous venez de jouer.
BLONDEL.
Ah, tant qu’il vous plaira !
MARGUERITE, à ses gens.
Je vous recommande ce bon vieillard.
SCÈNE VIII. §
Blondel se met à jouer plusieurs fois ce même air, avec des variations. Pendant ce temps, tout le bagage se décharge : les gens de la Comtesse vont et viennent. On dresse une grande table à la porte : on y met du vin et des verresUN PREMIER DOMESTIQUE, à Blondel.
Allons, bonhomme, mettez-vous là, vous boirez un coup avec nous.
BLONDEL.
Antonio ?
ANTONIO.
Me voilà.
BLONDEL, lui donnant son verre plein.
Tiens, bois, mon fils, bois.
En vous remerciant, mes amis : mais je veux payer mon écot.
UN DOMESTIQUE.
Hé ! Comment ça ?
BLONDEL.
En vous disant une chanson, et vous ferez chorus.
UN AUTRE DOMESTIQUE.
Allons, c’est un bon vivant. Courage, père.
BLONDEL.
2BLONDEL.
UN OFFICIER DE LA COMTESSE.
Voilà Madame qui va se retirer dans son appartement.
UN DOMESTIQUE.
Rachevons : encore un couplet, père.
BLONDEL.
BÉATRIX.
Finissez donc, Madame vous entend de son appartement.
ACTE II §
SCÈNE I. Le Roi Richard, Florestan. §
FLORESTAN.
L’aurore va se lever ; profitez-en, Sire, pour votre santé : dans une heure on va vous renfermer.
RICHARD.
Florestan ?
FLORESTAN.
Sire ?
RICHARD.
Votre fortune est dans vos mains.
FLORESTAN.
Je le sais, sire, mais mon honneur...
RICHARD.
Pour un perfide ! Pour un traître !
FLORESTAN.
Pour un traître ! S’il l’était, sire, je ne le servirais pas. Non, non, je ne le servirais pas, si je croyais qu’il fût un perfide.
RICHARD.
Mais, Florestan...
SCÈNE II. §
RICHARD, sur la terrasse.
Ah, grand Dieu, quel funeste coup du sort ! Couvert de lauriers cueillis dans la Palestine, au milieu de ma gloire, dans la vigueur de l’âge, être obscurément confiné, comme le dernier des hommes, dans le fond d’une prison !
SCÈNE III. Richard, Blondel, Antonio. §
BLONDEL.
Petit garçon, arrêtons-nous ici : j’aime à respirer cet air frais et pur qui annonce et accompagne le lever de l’aurore. Où suis-je à présent ?
ANTONIO.
Près du parapet de cette forteresse, où vous m’avez dit de vous mener.
BLONDEL.
C’est bien.
ANTONIO.
Ah ! Ne montez pas dessus ce parapet, vous tomberiez dans un grand fossé plein d’eau, et vous vous noieriez.
BLONDEL.
Ah ! Je n’en ai pas d’envie. Tiens, mon fils, voilà de l’argent, va nous chercher quelque chose pour déjeuner.
ANTONIO.
Ah ! Vous me donnez trop.
BLONDEL.
Le reste sera pour toi.
ANTONIO.
En vous remerciant.
BLONDEL.
Quand tu seras revenu, nous irons promener. Sans doute que les campagnes sont aussi belles que je les ai vues autrefois. Au défaut de mes yeux, je me plais à l’imaginer. Tu ne réponds pas. Ah ! Est-il parti ?
SCÈNE IV. Richard, sur sa terrasse ; Blondel monte et s’arrange sur le parapet. §
RICHARD.
Une année ! Une année entière se passe, sans que je reçoive aucune consolation, et je ne prévois aucun terme au malheur qui m’accable !
BLONDEL.
S’il est ici, le calme du matin, le silence qui règne dans ces lieux laissera sans doute pénétrer ma voix jusqu’au fond de sa retraite. Eh ! S’il est ici, peut-il n’être pas frappé d’une romance qu’autrefois l’amour lui a inspirée ? Auteur, amoureux et malheureux : que de raisons pour s’en souvenir !
RICHARD.
Trône, grandeurs, souveraine puissance ! Vous ne pouvez donc rien contre une telle infortune ! Et Marguerite, Marguerite !
Quels sons ! Ô ciel ! Est-il possible qu’un air que j’ai fait pour elle ait passé jusqu’ici ? Écoutons.
BLONDELcommence à chanter.
RICHARD.
Quels accents... ! Quelle voix !
BLONDEL.
RICHARD.
BLONDEL.
RICHARD.
C’est Blondel ! Ah ! Grands dieux.
BLONDEL et RICHARD, ensemble.
SCÈNE V. Richard, Blondel, des Soldats. §
LES SOLDATS.
BLONDEL, feignant d’avoir peur.
LES SOLDATS.
BLONDEL.
LES SOLDATS.
BLONDEL.
LES SOLDATS, à un officier.
BLONDEL.
LES SOLDATS.
LES OFFICIERS ET LES SOLDATS.
SCÈNE VI. Les Précédents, Florestan, Gouverneur. §
UN SOLDAT.
Voici monsieur le gouverneur.
BLONDEL.
Où est-il, monsieur le gouverneur ?
FLORESTAN.
Me voilà.
BLONDEL.
De quel côté ? Où est-il ?
FLORESTAN.
Ici.
BLONDEL.
J’ai un avis important à lui donner.
FLORESTAN.
Hé bien ! De quoi s’agit-il ? Mais ne cherche point à mentir, ni à m’amuser, car à l’instant tu perdrais la vie.
BLONDEL.
Ah ! Monsieur ! C’est être déjà mort à moitié que d’avoir perdu la vue. Eh ! Comment un pauvre aveugle pourrait-il prétendre à vous tromper ?
FLORESTAN.
Hé bien ! Parle.
BLONDEL.
Êtes-vous seul ?
FLORESTAN.
Oui. Retirez-vous, vous autres.
BLONDEL.
Monsieur, c’est que la belle Laurette...
FLORESTAN.
Parle bas.
BLONDEL.
C’est que la belle Laurette m’a lu la lettre que vous lui avez écrite, afin que vous vissiez que je suis envoyé par elle ; or, vous y dites que vous vous jetez à ses pieds, et vous lui demandez un rendez-vous pour cette nuit.
FLORESTAN.
Hé bien, mon ami ?
BLONDEL.
Hé bien, monsieur ! Elle m’a dit de vous dire que vous pourriez venir à l’heure que vous voudriez.
FLORESTAN.
Comment à l’heure que je voudrais ?
BLONDEL.
Il y a chez son père une dame de haut parage, qui, pour célébrer la joie d’une nouvelle intéressante, y donne toute la nuit à danser, à boire, manger et rire, et vous pourriez y venir sous quelque prétexte ; alors la belle Laurette trouvera toujours bien l’occasion de vous dire quelque petite chose.
FLORESTAN.
C’est donc pour me parler que tu as chanté ?
BLONDEL.
C’est pour être mené vers vous que j’ai fait tout ce bruit avec mon violon.
FLORESTAN.
Il n’y a pas de mal : dis-lui que j’irai. Mais se servir d’un aveugle pour faire une commission ! Ah ! Elle est charmante. Va-t’en.
BLONDEL.
Mais, Monsieur le Gouverneur ! Monsieur le Gouverneur !
FLORESTAN.
Hé bien ?
BLONDEL.
Ah ! Vous voilà de ce côté-là. Pour qu’on ne soupçonne rien de ma mission, grondez-moi bien fort, et renvoyez-moi.
FLORESTAN.
Tu as raison ;
ce drôle a de l’esprit.
BLONDEL.
LES SOLDATS.
SCÈNE VII. Les Précédents, Antonio. §
ANTONIO.
LES SOLDATS.
BLONDEL.
ANTONIO.
ACTE III §
SCÈNE I. Blondel, Deux hommes de la Comtesse. §
Cette scène est chantée ensemble en duo entre Blondel et les deux hommes.
BLONDEL.
LES DEUX HOMMES.
BLONDEL.
LES DEUX HOMMES.
BLONDEL.
LES DEUX HOMMES.
SCÈNE II. La Comtesse, Sire Williams, Les Chevaliers, Le Sénéchal, La dame de compagnie. §
LA COMTESSE.
Sire Williams, je ne peux trop vous remercier du gracieux accueil que j’ai reçu chez vous.
WILLIAMS.
Madame, que ne puis-je vous y retenir plus longtemps !
LA COMTESSE.
Cela ne peut être.
LE SÉNÉCHAL.
Madame, tout sera bientôt prêt pour votre départ.
LA COMTESSE.
Ah ! Chevalier, ce soir assignera le terme à notre voyage ; qu’il m’en coûte de vous dire ce qui va le terminer !
LE SÉNÉCHAL.
Quoi donc, madame ?
LA COMTESSE.
Je vais consacrer mes jours à une retraite éternelle.
LE SÉNÉCHAL.
Vous, madame !
LA COMTESSE.
Un long chagrin qui me dévore me rend incapable de m’occuper du bonheur de mes sujets ; je vais, chevalier, faire ajouter quelques mots à cet écrit, vous le remettrez aux états assemblés : ce sont mes volontés.
SCÈNE III. Les Précédents, Béatrix, Dame suivante. §
BÉATRIX.
Madame.
LA COMTESSE.
Que voulez-vous ?
BÉATRIX.
Ce bon homme à qui vous avez permis de passer la nuit dans ce logis, et qui n’est plus aveugle.
LA COMTESSE.
Hé bien ?
BÉATRIX.
Il demande l’honneur de vous être présenté.
LA COMTESSE.
Que veut-il ? Ah, ciel !
BÉATRIX.
Je lui ai dit que madame était bien triste ; il m’a répondu : « Si je lui parle, je la rendrai bien gaie. » Entendez-vous sa voix, madame ? il l’a très belle.
LA COMTESSE.
Qu’il paraisse ; peut-être a-t-il appris cette complainte de la bouche même de Richard.
SCÈNE IV. Les Précédents, Blondel. §
LA COMTESSE.
Hé bien ! Bonhomme, on dit que vous demandez à m’être présenté.
BLONDEL.
Oui, madame : mais qu’il est difficile d’approcher des grands, même pour leur rendre service !
LA COMTESSE.
Qui était celui qui vous a appris ce que vous chantiez si bien tout à l’heure, et en quel lieu de la terre cette complainte vous a-t-elle été connue ?
BLONDEL.
Je ne peux le dire qu’à vous.
LA COMTESSE.
Hier, vous étiez aveugle.
BLONDEL.
Oui, madame ; mais je ne le suis plus, et quelles grâces n’ai-je point à rendre au ciel, puisqu’il me fait jouir de la présence de Madame Marguerite, comtesse de Flandre et d’Artois.
LA COMTESSE.
Ciel ! Vous me connaissez ?
BLONDEL.
Oui, madame, et reconnaissez Blondel.
LA COMTESSE.
Quoi, c’est vous, Blondel ! Vous étiez avec le roi : où l’avez-vous laissé ?
BLONDEL.
Le roi, le roi, que je cherchais depuis un an, le roi, Madame, est à cent pas d’ici.
LA COMTESSE.
Le roi !
BLONDEL.
Il est prisonnier dans ce château que vous voyez de vos fenêtres ; car, sans le voir, je lui ai parlé ce matin.
LA COMTESSE.
Ah, dieux ! Ah, Blondel ! Chevaliers !
BLONDEL.
Madame, qu’allez-vous dire ?
LA COMTESSE.
Qu’ai-je à craindre ? Ce sont mes chevaliers, tous attachés à moi, à ma personne, et sire Williams est Anglais.
BLONDEL.
LES CHEVALIERS.
BLONDEL.
LES CHEVALIERS.
LA COMTESSE.
BLONDEL.
LA COMTESSE.
LES CHEVALIERS, WILLIAMS, BÉATRIX ET LA COMTESSE.
BLONDEL.
LES CHEVALIERS.
LA COMTESSE.
LES CHEVALIERS.
LA COMTESSE.
BLONDEL.
SCÈNE V. Blondel, Le Comtesse, Sire Williams, Les Chevaliers §
LA COMTESSE.
Ah, chevaliers ! Ah, sire Williams ! Et vous Blondel ! Mon cher Blondel ! Voyez entre vous ce qu’il convient de faire pour délivrer le roi ; la joie, la surprise, cette nouvelle m’a saisie, de manière que je ne peux jouir de ma réflexion ; servez-vous de tout mon pouvoir, c’est de moi, c’est de mon bonheur que vous allez vous occuper.
SCÈNE VI. Blondel, Williams, Le Sénéchal, Deux chevaliers. §
LE SÉNÉCHAL.
Oui, c’est l’infortune de Richard qui faisait toute sa peine.
BLONDEL.
Sires chevaliers, sire Williams, le temps est précieux ; voyons quels sont les moyens qui s’offrent à nous pour délivrer Richard ; sachons d’abord quel est l’homme qui le garde. Williams, quel homme est-ce que ce gouverneur ? Le connaissez-vous ?
WILLIAMS.
Que trop !
BLONDEL.
L’intérêt peut-il quelque chose sur lui ?
WILLIAMS.
Non.
BLONDEL.
Et la crainte ?
WILLIAMS.
Encore moins.
BLONDEL.
Ni l’intérêt, ni la crainte ; c’est un homme bien rare : écoutez, chevaliers, et vous Williams, voici mon avis : le gouverneur va venir parler à votre fille.
WILLIAMS.
Parler à ma fille !
BLONDEL.
Oui : il sait que ce soir vous donnez un bal, une fête.
WILLIAMS.
Moi !
BLONDEL.
Oui, vous, et faites tout préparer à l’instant pour recevoir ici les bonnes gens des noces qui s’amusent ici près, et que j’ai prévenus de votre part.
WILLIAMS.
Des noces ! Un bal ! Il sait que je donnerais une fête ! Et de qui aurait-il pu savoir... ?
BLONDEL.
De moi.
WILLIAMS.
De vous ! Eh ! Comment cela se peut-il ?
BLONDEL.
Enfin il le sait, je vous le dirai ; mais ne perdons pas un instant, il viendra ici dans l’espoir que cette fête lui donnera les moyens de parler à la belle Laurette.
WILLIAMS.
Ah ! Qu’il lui parle.
BLONDEL.
Oui, il lui parlera ; mais qu’aussitôt il soit entouré des officiers de la princesse, qu’il soit sommé de rendre le roi ; s’il le refuse, alors la force...
LE SÉNÉCHAL.
Oui, la force : armons-nous, forçons le château.
WILLIAMS.
Forcer le château ! Et que peuvent vingt ou trente hommes, armés seulement de lances et d’épées, contre cent hommes de garnison placés dans un château fort !
LE SÉNÉCHAL.
Vingt ou trente hommes ! Et les soldats qui jusqu’ici ont servi d’escorte à Marguerite, et qui sont dans la forêt voisine en attendant notre retour ? Je vais les faire avancer ; et que ne peuvent la valeur, notre exemple, et le désir de délivrer le roi ?
BLONDEL.
Ah, Sénéchal ! Vous me rendez la vie ; est-il quelqu’un de nous qui ne se sacrifie pour une si belle cause ! Williams, Richard est dans les fers, et vous êtes Anglais.
WILLIAMS.
Ou le délivrer, ou mourir !
BLONDEL.
Sénéchal, faites promptement avancer votre escorte, faites armer tous vos chevaliers, que Florestan soit arrêté, et dès que nos gens seront au pied des murailles, le signal de l’assaut. J’ai remarqué un endroit faible, où, à l’aide des travailleurs, j’espère faire brèche, et montrer à nos amis le chemin de la victoire : en attendant, Williams, faites tout préparer ici pour la danse.
SCÈNE VI.. §
BLONDEL.
Si l’amitié la plus pure, si l’ardeur la plus vive peuvent inspirer un coeur tendre et sensible, que ne dois-je pas attendre des motifs qui m’enflamment.
SCÈNE VI.I. Williams, Laurette, Des Domestiques. §
WILLIAMS, aux garçons.
Préparez tout ici, rangez cette table, enlevez les meubles qui peuvent embarrasser.
LAURETTE.
Est-ce qu’on va danser ?
WILLIAMS.
Oui, ma fille, ma chère fille.
LAURETTE.
Ma chère fille ! Ah, mon père n’est plus en colère ! On va danser ; ah ! Si le chevalier le savait, peut-être pourrait-il...
WILLIAMS.
Allons, aide-nous à préparer cette salle, nous allons danser.
Mettez encore ici des lumières.
SCÈNE IX. Les Précédents, Blondel. §
BLONDEL, à Laurette.
LAURETTE.
BLONDEL, à Williams qui approche.
LAURETTE.
WILLIAMS.
LAURETTE, à part.
BLONDEL.
LAURETTE.
WILLIAMS.
LAURETTE.
BLONDEL.
LAURETTE.
WILLIAMS.
LAURETTE.
SCÈNE X. Williams, Laurette, Antonio. §
UN PAYSAN.
FLORESTAN.
Ciel ! Qu’entends-je ?
WILLIAMS, accompagné des chevaliers de Marguerite.
Je vous arrête.
FLORESTAN.
Vous !
WILLIAMS.
Moi.
FLORESTAN.
Dieux, quelle trahison !
LES CHEVALIERS.
FLORESTAN.
RICHARD.
MARGUERITE.
RICHARD.
MARGUERITE, montrant Blondel.
RICHARD, embrasse Blondel.
RICHARD.
MARGUERITE.
MARGUERITE, BLONDEL.
CHOEUR. Les Femmes de la Comtesse, Laurette, Antonio, Les Paysans.
LA COMTESSE, RICHARD, BLONDEL, WILLIAMS, FLORESTAN, LES CHEVALIERS.
MARGUERITE, RICHARD, BLONDEL.
MARGUERITE, à Florestan et à Laurette.
CHOEUR GÉNÉRAL.
MARGUERITE.
RICHARD.
BLONDEL.
LE CHOEUR, RICHARD, LA COMTESSE, FLORESTAN, WILLIAMS, LES CHEVALIERS.
LAURETTE, LES FEMMES DE LA COMTESSE, LES PAYSANS.
RICHARD.
MARGUERITE.
BLONDEL.
LE CHOEUR.