Le théâtre représente un gros Village : on voit d’un côté le Moulin à eau d’un meunier, et une ferme dans le lointain.
SCÈNE PREMIÈRE. Michau, Antoinette. §
MICHAU.
Enfin voici le jour où tout me favorise ;
Nos pères vont ici terminer tout procès :
L’Objet dont mon âme est éprise,
Antoinette est le sceau d’une si douce paix.
ANTOINETTE.
5 Cette paix flatte autant mon âme
Que la vôtre y trouve d’appas.
Je vous dirai bien plus: une secrète flamme
Pour vous.... Mais ma pudeur...
MICHAU.
Pour vous.... Mais ma pudeur... Quel est cet embarras ?
Si j’eus le bonheur de te plaire,
10 Pourquoi, belle Antoinette, en ferais-tu mystère ?
Air : des Fraises.
Pour moi, toujours sous ta loi
Je serai plus sinc7re :
Je fais serment de ma foi,
Et veux sans cesse avec toi
15 Le faire, le faire, le faire.
Oui, ma petite femme, avec toi chaque jour
je veux augmenter de tendresse,
Et je compte sur du retour.
Mais tu ne réponds rien au transport qui me presse?
20 Je serais fâché qu’il te blesse.
ANTOINETTE.
Air Noté, n°1.
Dans le silence de l’amour
Il s’explique mieux qu’on ne pense;
Ce qu’on prend pour indifférence
N’est souvent qu’un adroit détour :
25 Mais un tendre coeur lit d’avance.
Dans le silence de l’amour.
MICHAU.
Ah ! Trop heureux Michau ! Que cet aveu me touche !
Malgré tant de procès nourris,
Antoinette et Michau vont donc se voir unis !
ANTOINETTE.
30 Oui, mon coeur aujourd’hui cesse d’être farouche.
Air: Et j’y pris bien du plaisir.
La forte délicatesse
D’examiner pour choisir,
Et de voir si la tendresse
Répond à notre désir !
35 Pour moi bien moins difficile,
Je te prends sans réfléchir :
Un époux nous est utile,
Et j’y prends bien du plaisir.
Oui, je te le répète encore,
40 Depuis ce matin je t’adore :
Car si je te disais que c’est depuis longtemps,
Je mentirais : sans nos parents sévères,
Tu m’aurais fait plutôt le destin le plus doux.
MICHAU.
Enfin me voilà ton époux :
45 Nous verrons désormais s’accorder nos deux pères.
Air des Fleurs de Rhétorique.
Tout va dans notre maison
Venir comme un champignon ;
Nos biens se joindront,
Et profiteront
50 En vivant de ménage.
Tu verras des miens, tels qu’ils sont :
Si j’en fais bon usage,
Lon là,
Si j’en fais bon usage.
ANTOINETTE.
Air du Prévôt des Marchands.
55 Que j’aime à te voir satisfait
Du choix que nos parents ont fait !
Pour finir toute procédure,
Ils nous ordonnent de l’amour ;
Le mien dans cette conjoncture
60 Ne demande qu’à voir le jour.
DUO.
Air Noté, N°2.
Vive, vive l’allégresse;
Entre nous plus de procès.
ANTOINETTE.
Mon coeur va payer les frais.
MICHAU.
Le mien tiendra sa promesse.
ENSEMBLE.
65 Vive, vive l’allégresse ;
Entre nous plus de procès.
MICHAU.
Trop de peine,
Trop de haine
Conduit la chicane au port :
70 Les Plaideurs ont toujours tort .
Les Procureurs les secondent,
Les avocats y répondent:
Et le succès tardif
Est à l’infinitif.
ENSEMBLE.
75 Vive, vive l’allégresse;
Entre nous plus de procès.
SCÈNE II. Furibon, Michau, Antoinette. §
FURIBON.
Air : Où s’en vont ces gais Bergers ?
Oui, mon coeur en est charmé,
Un tel parti m’honore,
Et mon esprit désarmé
80 N’a plus rien qu’il abhorre.
Où est-il mon gendre bien aimé ?
Que je l’embrasse encore. (bis)
Il l’embrasse.
Eh bien, qu’est-ce, mes chers enfants ?
Vos coeurs ne sont-ils pas contents ?
85 Avez-vous à présent à vous plaindre d’un père ?
MICHAU.
Moi, je ne pense qu’au contraire.
ANTOINETTE.
Moi j’ai les mêmes sentiments.
FURIBON.
Bon, tant mieux, je m’en félicite.
Vos soeurs et vos frères sont tous
90 Sur le même article que vous,
Et chacun au mieux s’en acquitte.
ANTOINETTE, les yeux baissés.
Obéir à son père est une loi prescrite ;
C’est toujours un devoir pour nous :
Mais lorsqu’on le remplit avec un tendre époux,
95 Le devoir a bien du mérite.
FURIBON.
Air : Voulez-vous être heureux amants.
Cependant pour notre dessein
Je craignais de te voir débattre.
ANTOINETTE.
Mon cher Michau s’y prit trop bien
Pour que je puisse le combattre.
Air Noté, N°3
100 L’objet qu’on aime,
En nous parlant,
Prend sur nous-même
Trop d’ascendant,
Pour qu’on refuse
105 Ce qu’il nous dit.
L’Amour qui muse
Perd son crédit.
MICHAU.
Air : La bonne aventure.
Quel plaisir quand notre coeur
Aime avec usure !
110 L’intérêt de notre ardeur
N’altère point sa valeur.
ENSEMBLE.
La bonne aventure,
Ô gai,
La bonne aventure.
FURIBON.
115 Mais j’étais en peine de vous.
On vient de commencer la danse:
Chacun vous demande, et l’on pense
A faire sauter les époux.
Rendez-vous au salon; un peu de complaisance.
ANTOINETTE.
Air : Manon dormait.
120 C’est de bon coeur
Que j’y vais faire entrée;
Je suis d’humeur
À danser la bourrée :
J’aime les violons;
125 Allons, allons,
Allons nous en servir, allons.
Michau et Antoinette sortent.
SCÈNE I.I. Furibon, Patau. §
FURIBON, à part.
Oui, oui, dansez, chantez, je battrai la mesure.
PATAU.
J’attendais leur sortie : or sus, la plume en main.
Il tire l’écritoire.
FURIBON.
Il faut, mon cher Patau, prendre une route sûre,
130 Pour assigner Michau demain de grand matin.
PATAU.
Suffit ; comptez sur mon adresse.
Je suis connu dans le canton ;
Mais quand j’aurais moins de renom,
1
Un fabriqueur d’exploits méconnaît la paresse.
Air: Robin turelure.
135 Dix ans, vingt ans, si l’on veut
Je fais plaider sans conclure;
Le reste va comme il peut,
Turelure :
Entre mes mains, je vous jure,
140 Procès dure, dure, dure.
FURIBON.
Air : Quand la Mer rouge apparut.
Si le mien peut se gagner,
Comme je l’espère,
Je ne veux rien épargner
Pour te satisfaire :
145 Je te ferai pour tes soins
Cent écus de rente au moins,
Pour que tu gra gra, pour que tu pi pi,
Que tu gra, que tu pi,
Pour que tu grapille
150 En huissier qui brille.
PATAU.
Oh ! Vous vous moquez tout-à-fait.
Je n’aspire qu’à votre estime.
Qui moi, vous parler d’intérêt ?
C’est votre bien seul qui m’anime.
Air Noté, N°4.
155 Le plus petit exploit
Toujours me plaît :
Pour le porter, fusse en Turquie,
Fusse au fin fond de l’Arabie,
J’irais tout droit,
160 Sans me plaindre de la partie.
Le plus périt exploit
Toujours me plaît.
FURIBON.
Je n’ai jamais douté de ton intelligence;
Tu sais qu’il nous en saur dans cette circonstance.
PATAU.
165 Laissez faire à Patau, il n’en manquera pas.
FURIBON.
Ce que je crains en pareil cas,
C’est ma fille, c’est sa tendresse:
Elle est folle de son Michau.
PATAU.
Voyez-vous ça ! La bonne pièce !
170 Vraiment c’est un petit coeur chaud:
Tant mieux, nouvelle procédure;
Nous devons soutenir les lois.
Des époux s’aimer ! Quelle injure !
Oh ! nous en produirons bons et loyaux exploits.
FURIBON.
175 Je suis sûr de Catau, de Suson, de Nannette ;
Charlotte, Madelon, toutes m’ont bien promis
De me livrer mes ennemis:
Mais je m’alarme d’Antoinette.
Air: Le tout par nature.
Elle n’a pas répondu
180 À ce que j’ai résolu ;
Et je me suis aperçu,
À travers son murmure,
Qu’elle aimait son prétendu,
Le tout par nature.
185 Je puis punir Michau dans l’aîné de ses fils.
Il a certains contrats qui pourraient bien me nuire,
Et dont je connais seul le prix :
S’il allait s’aviser de lire,
Comme un sot je me verrais pris.
190 Contre ce souvenir je n’ai point le coeur fermé ;
Je connais trop par quel moyen
J’ai su m’adjuger cette ferme.
PATAU.
Laissons-là le scrupule, il n’est utile à rien.
Air: Tout roule aujourd’hui dans le Monde.
Bien ou mal acquis, il n’importe;
195 Défendez-vous pour votre honneur.
Heureux celui qui se comporte
En pareil cas avec valeur.
Bannissez votre inquiétude;
C’est réfléchir hors de saison.
200 En dépit de la multitude,
Quand on est riche, on a raison.
Assignons, chicanons ; mais quelqu’un va paraître,
Car j’entends murmurer au loin.
FURIBON.
Afin de voir qui ce peut être,
205 Allons nous cacher dans ce coin.
Ils se retirent.
SCÈNE IV. Antoinette, Françoise. §
FRANÇOISE.
Air: De tous les Capucins du monde.
Pourquoi quitter la Compagnie.
ANTOINETTE.
Tout ce tintamarre m’ennuie:
Le grand Monde n’est pas ici
L’amusement où je m’arrête,
210 Et mon tendre coeur aujourd’hui
Aimerait mieux le tête-à-tête.
FRANÇOISE.
Quand on est tous amis, qu’est-il donc tant besoin
D’en agir avec la contrainte.
ANTOINETTE.
Je n’ai point de plaisir sans crainte,
215 Quand je le prends devant témoin.
Air Noté, N° 5.
Au coeur né sensible
L’éclat est nuisible.
Il veut soupirer loin du bruit.
L’amour invisible
220 D’un réduit paisible
Sait tirer le fruit.
FRANÇOISE.
L’Amour a des charmes, sans doute :
Vous en parlez d’un ton qui fait que je le goûte.
Air : Comment faire.
Votre époux vous aimera bien.
ANTOINETTE.
225 Jusqu’à présent je n’en sais rien.
Il est vrai qu’il me considère :
Tantôt il vint me le jurer;
Mais je voudrais m’en assurer.
Comment faire ?
FRANÇOISE.
Air: Lon, lan, là, derirette.
230 Ce soir, avant qu’il soit plus tard,
Il faudrait le prendre à l’écart,
Lon, lan, là, derirette.
ANTOINETTE.
S’il refusait....
FRANÇOISE.
S’il refusait.... Oh ! que nenni,
Lon, lan, là, deriri.
Air : Je ne suis né ni Roi ni Prince.
235 Le croyez-vous donc si novice ?
ANTOINETTE.
Ah ! Tu lui ferais injustice,
De le soupçonner un moment
D’imprudence ou de stratagème.
FRANÇOISE.
Tâchez qu’il vous prouve souvent
240 Si c’est de la sorte qu’il aime.
SCÈNE VI. Furibon, Antoinette. §
FURIBON.
255 Nous sommes seuls ici; c’est un point nécessaire.
Je ne t’ai rien caché sur différents sujets;
Mais voici le plus beau, le plus grand des secrets
Que te puisse apprendre ton père.
Te sens-tu disposée à servir mes projets ?
ANTOINETTE.
Air : Réveillez-vous, Belle endormie.
260 Me voilà prête à vous entendre,
Vous avez tout pouvoir sur moi ;
Après vous je n’en laisse prendre
Qu’à l’époux dont je suis la lois.
FURIBON.
Tu dois savoir ma haine extrême
265 Pour le père et les fils, pour ton époux lui-même.
En s’unissant à moi, je connais leurs desseins:
A mes intentions ils n’ont donné les mains
Que pour augmenter leur fortune.
Sers-nous dans la cause commune.
270 Ton époux dans son Cabinet
A des contrats et des quittances
Qui font toutes mes espérances;
C’est à toi d’accomplir l’ambitieux projet.
Cette nuit saisis-toi des pièces:
275 Au bas de la fenêtre où ton père attendra,
Jettes le porte-feuille et toutes ses richesses ;
Ton contrat d’hyménée à coup sûr y sera :
D’abord on vous le cassera,
Et par raison ou par finesse,
280 Ensuite on vous séparera.
ANTOINETTE, évanouie.
Ah ! Je succombe de faiblesse.
Air : Sous un ormeau.
Dans mon esprit
Quel soudain changement agit!
Il n’est plus à moi;
285 Et mon coeur est plein d’effroi,
Froid.
Quoi! mon père, en ces lieux
Vous voulez que ma main... Ah ! Grands Dieux
Moi priver un époux
290 Des effets qui serviraient chez nous !
Songez-vous bien
Que c’est lui ravir tout son bien.
Après cet effort,
Tout de chez nous par ce tort
295 Sort.
FURIBON.
Air : Ciel ! l’Univers va-t-il donc se dissoudre.
C’est justement l’espoir qui me lutine,
Depuis long-temps il m’occupe en ces lieux
Je me doutais bien, coquine,
Que tu combattrais mes voeux ;
300 Mais sois mutine,
Si tu le veux,
Je saurai bien ici
Dans ma colère
Me satisfaire:
305 Un autre va me servir aujourd’hui.
Il veut sortir.
ANTOINETTE, l’arrêtant.
Ah ! mon père, arrêtez.
FURIBON.
Ah ! mon père, arrêtez. Je vais de ce pas même
Charger un autre du projet.
Toi, si tu trahis mon secret,
Crains tout de mon courroux extrême:
310 Toi seule a combattu contre mes intérêts,
Et pour toi seule aussi je cours à la vengeance.
Tes soeurs avec mes voeux bien plus d’intelligence,
M’assurent déjà du succès.
ANTOINETTE.
Quoi, mes soeurs vont trahir l’amour et la nature ?
FURIBON.
315 Dès ce soir meme; qu’en dis-tu?
ANTOINETTE, pleurant.
Je dis qu’elles n’ont pas une bonne teinture
De l’hymen ni de sa vertu.
FURIBON.
Air : De son joli Jardinet.
Je pardonne encor l’injure,
Pourvu que tu dise ici,
320 Oui, oui, oui, oui,
Oui, oui, oui, oui.
ANTOINETTE.
Je le voudrais, je vous jure ;
Mais mon coeur dit tout de bon,
Non, non, non, non,
325 Non, non, non, non.
FURIBON.
Cela suffit ; ma mignonne,
Vous verrez lorsque j’ordonne,
Si je veux être obéi ;
Vous verrez lorsque j’ordonne,
330 Si je veux être obéi.
Il sort.
SCÈNE VII. §
ANTOINETTE.
Air : Margoton, mamie.
Peut-on voir paraître
Plus de cruauté ?
Il me faut en vérité,
Pour me, pour me, pour me remettre ;
335 Il me faut en vérité,
Un peu plus d’humanité.
A cette extrémité me verrais-je forçée !
Que faire dans cet embarras ?
Cependant le temps presse : hélas !
340 Une nuit est sitôt passée ;
Je comptais l’employer... Il n’en démordra pas.
Je ne connais que trop mon père ;
Mais je me meurs, si j’obéis.
Tâchons de m’introduire en secret au logis
345 De mon nouvel époux. J’espère...
Quand je devrais cacher les effets... Ciel ! Que faire ?
Air : Sans le savoir.
2
Mais je m’amuse aux fariboles ;
Laissons d’inutiles paroles,
Pour ne penser qu’à non devoir.
350 Cher époux, on veut ta ruine !
Mais prévenons un trait si noir ;
Car autrement je l’assassine,
Sans le savoir.