Le théâtre représente un bocage, à travers lequel on voit les débris des rochers.
SCÈNE I. Prométhée, Pandore. §
PANDORE, tenant la boîte.
Eh quoi ! Vous me quittez, cher amant que j’adore ?
Êtes-vous soumis ou vainqueur ?
PROMÉTHÉE.
La victoire est à moi, si vous m’aimez encore.
L’Amour et le Destin parlent en ma faveur.
PANDORE.
465 Eh quoi ! Vous me quittez, cher amant que j’adore ?
PROMÉTHÉE.
Les Titans sont tombés : plaignez leur sort affreux.
Je dois soulager leur chaîne.
Apprenons à la race humaine
À secourir les malheureux.
PANDORE.
470 Demeurez un moment. Voyez votre victoire.
Ouvrons ce don charmant du souverain des dieux :
Ouvrons.
PROMÉTHÉE.
Ouvrons. Que faites-vous ? Hélas ! Daignez me croire.
Je crains tout d’un rival : et ces soins curieux
Sont des pièges nouveaux que vous tendent les dieux.
PANDORE.
475 Quoi ! Vous pensez... ?
PROMÉTHÉE.
Quoi ! Vous pensez... ? Songez à ma prière,
Songez à l’intérêt de la nature entière,
Et du moins attendez mon retour en ces lieux.
PANDORE.
Eh bien ! Vous le voulez : il faut vous satisfaire.
Je soumets ma raison : je ne veux que vous plaire.
480 Je jure, je promets à mes tendres amours
De vous croire toujours.
PROMÉTHÉE.
Vous me le promettez ?
PANDORE.
J’en jure par vous-même.
On obéit dès que l’on aime.
PROMÉTHÉE.
485 C’en est assez, je pars, et je suis rassuré.
Nymphes des bois, redoublez votre zèle :
Chantez cet univers détruit et réparé.
Que tout s’embellisse à son gré,
Puisque tout est formé pour elle.
Il sort.
UNE NYMPHE.
490 Voici le siècle d’or, voici le temps de plaire.
Doux loisir, ciel pur, heureux jours,
Tendres amours,
La nature est votre mère.
Comme elle durez toujours.
UNE AUTRE NYMPHE.
495 La discorde, la triste guerre,
Ne viendront plus nous affliger :
Le bonheur est né sur la terre.
Le malheur était étranger.
Les fleurs commencent à paraître :
500 Quelle main pourrait les flétrir ?
Les plaisirs s’empressent de naître :
Quels tyrans les feraient périr ?
LE CHOEUR répète.
Voici le siècle d’or, voici le temps de plaire.
Doux loisir, ciel pur, heureux jours,
505 Tendres amours,
La nature est votre mère.
Comme elle durez toujours.
UNE NYMPHE.
Vous voyez l’éloquent Mercure :
Il est avec Pandore, il confirme en ces lieux,
510 De la part du maître des dieux,
La paix de la nature.
Les nymphes se retirent : Pandore s’avance avec Némésis, qui paraît sous la figure de Mercure.
NÉMÉSIS.
Je vous l’ai déjà dit, Prométhée est jaloux :
Il abuse de sa puissance.
PANDORE.
Il est l’auteur de ma naissance,
515 Mon roi, mon amant, mon époux.
NÉMÉSIS.
Il porte à trop d’excès les droits qu’il a sur vous.
Devait-il jamais vous défendre
De voir ce don charmant que vous tenez des dieux ?
PANDORE.
Il craint tout : son amour est tendre,
520 Et j’aime à complaire à ses voeux.
NÉMÉSIS.
Il en exige trop, adorable Pandore :
Il n’a point fait pour vous ce que vous méritez.
Il put en vous formant vous donner des beautés
Dont vous manquez peut-être encore.
PANDORE.
525 Il m’a fait un coeur tendre, il me charme, il m’adore :
Pouvait-il mieux m’embellir ?
NÉMÉSIS.
Vos charmes périront.
PANDORE.
Vos charmes périront. Vous me faites frémir !
NÉMÉSIS.
Cette boîte mystérieuse
Immortalise la beauté :
530 Vous serez, en ouvrant ce trésor enchanté,
Toujours belle, toujours heureuse :
Vous régnerez sur votre époux :
Il sera soumis et facile.
Craignez un tyran jaloux :
535 Formez un sujet docile.
PANDORE.
Non, il est mon amant, il doit l’être à jamais.
Il est mon roi, mon dieu, pourvu qu’il soit fidèle.
C’est pour l’aimer toujours qu’il faut être immortelle :
C’est pour le mieux charmer que je veux plus d’attraits.
NÉMÉSIS.
540 Ah ! C’est trop vous en défendre :
Je sers vos tendres amours :
Je ne veux que vous apprendre
À plaire, à brûler toujours.
PANDORE.
Mais n’abusez-vous point de ma faible innocence ?
545 Auriez-vous tant de cruauté ?
NÉMÉSIS.
Ah ! Qui pourrait tromper une jeune beauté ?
Tout prendrait votre défense.
PANDORE.
Hélas ! Je mourrais de douleur,
Si je méritais sa colère,
550 Si je pouvais déplaire
Au maître de mon coeur.
NÉMÉSIS.
Au nom de la nature entière,
Au nom de votre époux, rendez-vous à ma voix.
PANDORE.
Ce nom l’emporte, et je vous crois :
555 Ouvrons.
Elle ouvre la boîte : la nuit se répand sur le théâtre, et l’on entend un bruit souterrain.
Ouvrons. Quelle vapeur épaisse, épouvantable,
M’a dérobé le jour, et troublé tous mes sens ?
Dieu trompeur, ministre implacable !
Ah ! Quels maux affreux je ressens !
Je me vois punie et coupable.
NÉMÉSIS.
560 Fuyons de la terre et des airs.
Jupiter est vengé, rentrons dans les enfers.
Némésis s’abîme : Pandore est évanouie sur un lit de gazon.
PROMÉTHÉE arrive au fond du théâtre.
Ô surprise ! ô douleur profonde !
Fatale absence ! horribles changements !
Quels astres malfaisants
565 Ont flétri la face du monde ?
Je ne vois point Pandore : elle ne répond pas
Aux accents de ma voix plaintive.
Pandore ! mais, hélas ! de l’infernale rive
Les monstres déchaînés volent dans ces climats.
LES FURIES ET LES DÉMONS, accourant sur le théâtre.
570 Les temps sont remplis :
Voici notre empire :
Tout ce qui respire
Nous sera soumis.
La triste froidure
575 Glace la nature
Dans les flancs du Nord.
La Crainte tremblante,
L’injure arrogante,
Le sombre Remord,
580 La Guerre sanglante,
Arbitre du sort,
Toutes les furies
Vont avec transport
Dans ces lieux impies
585 Apporter la mort.
PROMÉTHÉE.
Quoi ! La mort en ces lieux s’est donc fait un passage !
Quoi ! La terre a perdu son éternel printemps,
Et ses malheureux habitants
Sont tombés en partage
590 A la fureur des dieux, de l’enfer, et du temps !
Ces nymphes de leurs pleurs arrosent ce rivage.
Pandore ! Cher objet, ma vie et mon image,
Chef-d’oeuvre de mes mains, idole de mon coeur,
Répondez à ma douleur.
595 Je la vois, de ses sens elle a perdu l’usage.
PANDORE.
Ah ! Je suis indigne de vous :
J’ai perdu l’univers, j’ai trahi mon époux.
Punissez-moi : nos maux sont mon ouvrage.
Frappez.
PROMÉTHÉE.
Frappez. Moi, la punir !
PANDORE.
600 Frappez, arrachez-moi
Cette vie odieuse
Que vous rendiez heureuse,
Ce jour que je vous dois.
CHOEUR DE NYMPHES.
Tendre époux, essuyez ses larmes :
605 Faites grâce à tant de beauté :
L’excès de sa fragilité
Ne saurait égaler ses charmes.
PROMÉTHÉE.
Quoi ! Malgré ma prière, et malgré vos serments,
Vous avez donc ouvert cette boîte odieuse ?
PANDORE.
610 Un dieu cruel, par ses enchantements,
A séduit ma raison faible et trop curieuse.
Ô fatale crédulité !
Tous les maux sont sortis de ce don détesté,
Tous les maux sont venus de la triste Pandore.
L’AMOUR, descendant du ciel.
615 Tous les biens sont à vous, l’Amour vous reste encore.
Le théâtre change, et représente le palais de l’Amour.
L’AMOUR continue.
Je combattrai pour vous le Destin rigoureux.
Aux humains j’ai donné l’être :
Ils ne seront point malheureux
Quand ils n’auront que moi pour maître.
PANDORE.
620 Consolateur charmant, dieu digne de mes voeux,
Vous qui vivez dans moi, vous, l’âme de mon âme,
Punissez Jupiter en redoublant la flamme
Dont vous nous embrasez tous deux.
PROMÉTHÉE ET PANDORE.
Le ciel en vain sur nous rassemble
625 Les maux, la crainte, et l’horreur de mourir.
Nous souffrirons ensemble,
Et ce n’est point souffrir.
L’AMOUR.
Descendez, douce Espérance,
Venez, Désirs flatteurs :
630 Habitez dans tous les coeurs,
Vous serez leur jouissance.
Fussiez-vous trompeurs,
C’est vous qu’on implore :
Par vous on jouit,
635 Au moment qui passe et qui fuit,
Du moment qui n’est pas encore.
PANDORE.
Des destins la chaîne redoutable
Nous entraîne à d’éternels malheurs :
Mais l’Espoir, à jamais secourable,
640 De ses mains viendra sécher nos pleurs.
Dans nos maux il sera des délices :
Nous aurons de charmantes erreurs :
Nous serons au bord des précipices,
Mais l’Amour les couvrira de fleurs.