1774
Voltaire
Épître dédicatoire à Monsieur le Duc de la Vallière Grand Fauconnier de France, chevalier des ordres du roi, etc., etc. §
Quoique les épîtres dédicatoires aient la réputation d’être aussi ennuyeuses qu’inutiles, souffrez pourtant que je vous offre la Sophonisbe de Mairet, corrigée par un amateur autrefois très connu. C’est votre bien que je vous rends. Tout ce qui regarde l’histoire du théâtre vous appartient, après l’honneur que vous avez fait à la littérature française de présider à l’histoire du théâtre la plus complète. Presque tous les sujets des pièces dont cette histoire parle ont été tirés de votre bibliothèque, la plus curieuse de l’Europe en ce genre. Le manuscrit de la pièce qui vous est dédiée vous manquait : il vient de M. Lantin, auteur de plusieurs poèmes singuliers qui n’ont pas été imprimés, mais que les littérateurs conservent dans leurs portefeuilles.
J’ai commencé par mettre ce manuscrit parmi les vôtres. Personne ne jugera mieux que vous si l’auteur a rendu quelque service à la scène française en habillant la Sophonisbe de Mairet à la moderne.
Il était triste que l’ouvrage de Mairet, qui eut tant de réputation autrefois, fût absolument exclu du théâtre, et qu’il rebutât même tous les lecteurs, non seulement par les expressions surannées, et par les familiarités qui déshonoraient alors la scène, mais par quelques indécences que la pureté de notre théâtre rend aujourd’hui intolérables. Il faut toujours se souvenir que cette pièce, écrite longtemps avant le Cid, est la première qui apprit aux Français les règles de la tragédie, et qui mit le théâtre en honneur.
Il est très remarquable qu’en France ainsi qu’en Italie l’art tragique ait commencé par une Sophonisbe. Le prélat Georgio Trissino, par le conseil de l’archevêque de Bénévent, voulant faire passer ce grand art de la Grèce chez ses compatriotes, choisit le sujet de Sophonisbe pour son coup d’essai plus de cent ans avant Mairet. Sa tragédie, ornée de choeurs, fut représentée à Vicenza dès l’an 1514, avec une magnificence digne du plus beau siècle de l’Italie. Notre émulation se borna, près de cinquante ans après, à la traduire en prose ; et quelle prose encore ! Vous avez, monseigneur, cette traduction faite par Mélin de Saint-Gelais. Nous n’étions dignes alors de rien traduire ni en prose ni en vers. Notre langue n’était pas formée ; elle ne le fut que par nos premiers académiciens ; et il n’y avait point d’académie encore quand Mairet travailla.
Dans cette barbarie, il commença par imiter les Italiens ; il conçut les préceptes qu’ils avaient tous suivis ; les unités de lieu, de temps, et d’action, furent scrupuleusement observées dans sa Sophonisbe. Elle fut composée dès l’an 1629, et jouée en 1633. Une faible aurore de bon goût commençait à naître. Les indignes bouffonneries dont l’Espagne et l’Angleterre salissaient souvent leur scène tragique furent proscrites par Mairet ; mais il ne put chasser je ne sais quelle familiarité comique, qui était d’autant plus à la mode alors que ce genre est plus facile, et qu’on a pour excuse de pouvoir dire : « Cela est naturel. » Ces naïvetés furent longtemps en possession du théâtre en France.
Vous trouverez dans la première édition du Cid, composée longtemps après la Sophonisbe, A de plus hauts partis ce beau fils doit prétendre ; et dans Cinna, Vous m’aviez bien promis des conseils d’une femme. Ainsi il ne faut pas s’étonner que le style de Mairet, qui nous choque tant aujourd’hui, ne révoltât personne de son temps.
Corneille surpassa Mairet en tout ; mais il ne le fit point oublier ; et même, quand il voulut traiter le sujet de Sophonisbe, le public donna la préférence à l’ancienne tragédie de Mairet. Vous avez souvent dit, monsieur le duc, la raison de cette préférence ; c’est qu’il y a un grand fonds d’intérêt dans la pièce de Mairet, et aucun dans celle de Corneille. La fin de l’ancienne Sophonisbe est surtout admirable ; c’est un coup de théâtre, et le plus beau qui fût alors. Je crois donc vous présenter un hommage digne de vous en ressuscitant la mère de toutes les tragédies françaises, hissée depuis quatre-vingts ans dans son tombeau.
Ce n’est pas que M. Lantin, en ranimant la Sophonisbe, lui ait laissé tous ses traits ; mais enfin le fond est entièrement conservé : on y voit l’ancien amour de Massinisse et de la veuve de Syphax ; la lettre écrite par cette Carthaginoise à Massinisse ; la douleur de Syphax, sa mort ; tout le caractère de Scipion, la même catastrophe, et surtout point d’épisode, point de rivale de Sophonisbe, point d’amour étranger dans la pièce.
Je ne sais pourquoi M. Lantin n’a pas laissé subsister ce vers qui était autrefois dans la bouche de toute la cour : Massinisse, en un jour, voit, aime, et se marie.
Il tient, à la vérité, de cette naïveté comique dont je vous ai parlé ; mais il est énergique, et il était consacré. On l’a retranché probablement parce qu’en effet il n’était pas vrai que Massinisse n’eût aimé Sophonisbe que le jour de la prise de Cirthe ; il l’avait aimée éperdument longtemps auparavant, et un amour d’un moment n’intéresse jamais : aussi c’est Scipion qui prononçait ce vers, et Scipion était mal informé.
Quoi qu’il en soit, c’est à vous, monsieur le duc, et à vos amis, à décider si cette première tragédie régulière qui ait paru sur le théâtre de France mérite d’y remonter encore. Elle fit les délices de cette illustre maison de Montmorency ; c’est dans son hôtel qu’elle fut faite ; c’est la première tragédie qui fut représentée devant Louis XIII. Messieurs les premiers gentilshommes de la chambre, qui dirigent les spectacles de la cour, peuvent protéger ce premier monument de la gloire littéraire de la France, et se faire un plaisir de voir nos ruines réparées.
Le cinquième acte est trop court ; mais le cinquième d’Athalie n’est pas beaucoup plus long ; et d’ailleurs peut-être vaut-il mieux avoir à se plaindre du peu que du trop. Peut-être la coutume de remplir tous les actes de trois à quatre cents vers entraîne-t-elle des langueurs et des inutilités.
Enfin, si on trouve qu’on puisse ajouter quelque ornement à cet ancien ouvrage, vous avez en France plus d’un génie naissant qui peut contribuer à décorer un monument respectable qui doit être cher à la nation.
La réparation qu’on y a faite est déjà fort ancienne elle-même, puisqu’il y a plus de cinquante ans que M. Lantin est mort.
Je ne garantis pas (tout éditeur que je suis) qu’il ait réussi dans tous les points ; je pourrais même prévoir qu’on lui reprochera de s’être trop écarté de son original ; mais je dois vous en laisser le jugement.
Comme M. Lantin a retouché la Sophonisbe de Mairet, on pourra retoucher celle de M. Lantin. La même plume qui a corrigé le Venceslas pourrait faire revivre aussi la Sophonisbe de Corneille, dont le fond est très inférieur à celle de Mairet, mais dont on pourrait tirer de grandes beautés.
Nous avons des jeunes gens qui font très bien des vers sur des sujets assez inutiles ; ne pourrait-on pas employer leurs talents à soutenir l’honneur du théâtre français, en corrigeant Agésilas, Attila, Suréna, Othon, Pulchérie, Pertharite, Oedipe, Médée, Don Sanche d’Aragon, la Toison d’or, Andromède, enfin tant de pièces de Corneille tombées dans un plus grand oubli que Sophonisbe, et qui ne furent jamais lues de personne après leur chute ? Il n’y a pas jusqu’à Théodore qui ne pût être retouchée avec succès, en retranchant la prostitution de cette héroïne dans un mauvais lieu. On pourrait même refaire quelques scènes de Pompée, de Sertorius, des Horaces, et en retrancher d’autres, comme on a retranché entièrement les rôles de Livie et de l’infante dans ses meilleures pièces. Ce serait à la fois rendre service à la mémoire de Corneille et à la scène française, qui reprendrait une nouvelle vie : cette entreprise serait digne de votre protection, et même de celle du ministère.
Nous avons plus d’une ancienne pièce qui, étant corrigée, pourrait aller à la postérité. J’ose croire que l’Astrate, de Quinault, le Scévole de du Ryer, l’Amour tyrannique de Scudéry, bien rétablis au théâtre, pourraient faire de prodigieux effets.
Le théâtre est, de tous les arts cultivés en France, celui qui, du consentement de tous les étrangers, fait le plus d’honneur à notre patrie. Les Italiens sont encore nos maîtres en musique, en peinture ; les Anglais en philosophie : mais dans l’art des Sophocles, nous n’avons point de rivaux. Il est donc essentiel de protéger les talents par lesquels les Français sont au-dessus de tous les peuples. Les sujets commencent à s’épuiser ; il faut donc remettre sur la scène tous ceux qui ont été manqués, et dont il est aisé de tirer un grand parti.
Je soumets, comme je le dois, à vos lumières ces réflexions que mon zèle patriotique m’a dictées.
J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.
PERSONNAGES §
- SCIPION, consul.
- LÉLIE, lieutenant de Scipion.
- SYPHAX, roi de Numidie.
- SOPHONISBE, fille d’Asdrubal, femme de Syphax.
- MASSINISSE, roi d’une partie de la Numidie.
- ACTOR, attaché à Syphax et à Sophonisbe.
- ALAMAR, officier de Massinisse.
- PHAEDIME, dame numide, attachée à Sophonisbe.
- Soldats romains.
- Soldats numides.
- Licteurs.
ACTE I §
SCÈNE I. Syphax, une lettre à la main ; soldats. §
SYPHAX
SCÈNE II. Syphax, Sophonisbe, Phaedime. §
SOPHONISBE
SYPHAX, lui donnant la lettre.
SOPHONISBE
SYPHAX
SOPHONISBE
SYPHAX
SOPHONISBE
SYPHAX
SOPHONISBE
SYPHAX
SCÈNE III. Sophonisbe, Phaedime. §
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
SCÈNE IV. Sophonisbe, Phaedime, Actor. §
ACTOR
SOPHONISBE
ACTE II §
SCÈNE I. Sophonisbe, Phaedime. §
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SCÈNE II. Sophonisbe, Phaedime, Actor. §
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
MASSINISSE, arrivant.
SOPHONISBE, sortant.
SCÈNE III. Massinisse, Alamar, un des chefs numides, Actor, guerriers numides. §
MASSINISSE
ACTOR
MASSINISSE
SCÈNE IV. Massinisse, Alamar, guerriers numides. §
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
SCÈNE V. Sophonisbe, Massinisse, Phaedime, gardes. §
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SCÈNE VI. Sophonisbe, Phaedime. §
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SOPHONISBE
PHAEDIME
SCÈNE VII. Sophonisbe, Phaedime, Actor. §
ACTOR
SOPHONISBE
ACTOR
SOPHONISBE
ACTE III §
SCÈNE I. Lélie, Massinisse, assis, soldats romains, soldats numides dans l’enfoncement, divisés en deux troupes. §
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE, en se levant.
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
SCÈNE II. Massimisse, Alamar ; les soldats numides restent au fond de la scène. §
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
ALAMAR
MASSINISSE
SCÈNE III. Sophonisbe, Massinisse. §
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
SCÈNE IV. Sophonisbe, Massinisse, Phaedime. §
PHAEDIME
MASSINISSE
ACTE IV §
SCÈNE I. Lélie, Romains. §
LÉLIE, à ses centurions.
SCÈNE II. Massinisse, Lélie, Licteurs. §
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE, à part.
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE
LÉLIE
SCÈNE III. §
MASSINISSE
SCÈNE IV. Scipion, Massinisse, Licteurs. §
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
SCÈNE V. §
MASSINISSE
SCÈNE VI. Massinisse, Sophonisbe. §
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
MASSINISSE
SOPHONISBE
SCÈNE VII. §
MASSINISSE
ACTE V §
SCÈNE I. Lélie, Scipion, Romains. §
SCIPION
LÉLIE
SCIPION
LÉLIE
SCÈNE II. Scipion, Lélie, Phaedime. §
PHAEDIME
SCIPION
SCÈNE III. Scipion, Lélie, Massinisse, Licteurs. §
SCIPION
MASSINISSE, troublé et chancelant.
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
SCIPION
SOPHONISBE, à Massinisse penché vers elle.
MASSINISSE
SCIPION
MASSINISSE
LÉLIE
MASSINISSE, à Scipion.
LÉLIE
SCIPION