SCÈNE II. L’Hiver, Comus. §
L’HIVER.
Mais j’aperçois Comus, charmant Dieu de la joie.
COMUS.
15 Dieu de l’Hiver, c’est vous ? Quoi déjà de retour ?
Quel bon vent sitôt vous renvoyé ?
L’HIVER.
Le désir de revoir dans ce riant séjour,
De toutes parts cent beautés réunies,
Et tant de folâtres génies
20 Qui parleurs traits badins égayeront ma Cour.
COMUS.
Mais à propos de Cour, je n’y vois point paraître
Mes enfants, les Jeux et les Ris :
Ils vous suivent toujours, peut-être ?
L’HIVER.
Oui, Comus, ils seront sur le soir à Paris ;
25 Mais pourras-tu les reconnaître ?
L’HIVER.
Par l’air du Nord, ils sont plus engourdis,
Qu’un épais Seigneur de finance.
COMUS.
Et pour avoir trop vu le bon Bacchus, je pense ?
L’HIVER.
30 Mais... Oui ; car vivre, est boire en ces pays.
COMUS.
Ah les petits vilains ! Quoi malgré ma défense...
Ah patience, patience,
Je vous les rends ce soir plus vifs, plus étourdis ;
Qu’un Petit Maître où de robe ou d’épée.
L’HIVER.
35 Appelles-tu cela les mettre à la raison ?
Mais m’as-tu fait une maison ?
COMUS.
Votre attente n’est point trompée ;
J’ai déjà retenu quatre gros cuisiniers,
Fiers, brillants d’embonpoint, plaignants peu les dépenses.
40 Professeurs en leur art : ils ont pris leurs licences
Chez de riches fermiers.
L’HIVER.
Peste la bonne école !
COMUS.
Item quatre Officiers.
Qui chez des Dévots mémo ont fait des confitures.
45 Es-ce là prendre ses mesures ?
COMUS.
Tubleu, je me connais en gens !
L’HIVER.
Voilà ma table assez bien établie ;
Mais pour d’autre plaisirs du moins aussi piquants,
50 Comus, de tes heureux talents,
Que puis-je espérer je te prie ?
Car avec toi je n’en sais pas le fin,
Je viens ici mener une joyeuse vie.
COMUS.
Vous êtes un vieux libertin,
55 Et vous ne serez jamais sage :
Aussi tous ces Guerriers vous aiment à la rage.
L’HIVER.
Du moins avec regret ils me quittent toujours.
COMUS.
C’est que vous les menez pleins d’honneurs et de joie,
Dans de certains quartiers où les mains des Amours
60 Filent pour eux des jours d’or et de joie.
L’HIVER.
Condamnes-tu mon penchant amoureux ?
COMUS.
Moi ? Vous ne me connaissez guère.
Livrez-vous aux plaisirs, l’Hiver est fait pour eux ;
Vous valez mieux que pas un de vos frères.
COMUS.
Le Printemps est fade, doucereux,
Étalant partout les fleurettes ;
Vous diriez d’un Abbé qui d’un air langoureux
À son Agnès soupire des sornettes.
COMUS.
3
C’est un grand flandrin,
4
Plus endormi mille fois qu’un robin,
Que le moindre travail, la plus petite peine,
Met en sueur, ou hors d’haleine.
L’HIVER.
75 Mais, pour l’Automne ?
COMUS.
Ah si ; son mérite est son vin ;
Et s’il faut qu’à vous je m’explique,
C’est un ivrogne, et des plus reconnus.
L’HIVER.
À propos d’ivrognes : Comus,
80 M’as-tu bien retenu des suppôts de Musique.
COMUS.
Le concert a voulu se traîner jusqu’ici,
Mais il était si faible et si transi,
Qu’il est mort de froid sur la route.
L’HIVER.
Mais j’aurai des comédiens ?
COMUS.
85 Si vous en aurez ? Oui sans doute ;
Des Français, des Italiens ;
5
Pour les Français, Phoebus même s’emploie.
L’HIVER.
Pour obliger ce Dieu, je les prends avec joie.
COMUS.
6
Pour les Italiens Momus vous parlera,
90 Et Mercure pour l’Opéra.
L’HIVER.
À la bonne heure.
COMUS.
Enfin, Seigneur, c’est une rage
Comme l’on montre des désirs
De travailler à vos plaisirs ;
95 Grands et petits briguent cet avantage,
Usuriers, beautés de tout âge.
Combien d’originaux je vous ai retenus !
Poètes, charlatans, danseuse blonde et brune,
7
Plaideurs désoeuvrés et camus,
100 Coquette surannée aboyant à la lune :
8
Plus un peintre en grotesque ; il peint les parvenus.
L’HIVER.
Mais aurai-je une femme?
COMUS.
Il en est venu mille
Mais vous êtes si difficile...
L’HIVER.
105 Moi difficile ? non, Comus,
9
Je veux de la beauté ; mais sans affetterie,
Des grâces sans minauderie ;
10
De la gaieté, mais sans coquetterie ;
De l’esprit, mais sans précieux;
110 De la vertu, mais sans rudesse.
COMUS.
Une femme de cette espèce,
Est rare même dans les cieux ;
J’espère encor pourtant, et dans ces lieux
Il en est qui sauront vous plaire.
L’HIVER.
115 Mais on vient.
COMUS.
C’est quelqu’un qui cherche de l’emploi
Dans votre cour.
L’HIVER.
Dans votre cour. C’est ton affaire ;
Je le laisse avec toi :
Je vais me délasser un instant du voyage,
120 Tu peux le renvoyer ou bien le recevoir,
Cher intendant ; mais songe à me pourvoir.
Il s’en va.
SCÈNE III. Comus, L’Hymen. §
L’hymen est habillé de jaune de la tête aux pieds ; il a un bonnet qui se termine en croissant.
COMUS.
Mais, que vois-je ? L’Hymen, le Dieu du mariage ?
L’HYMEN.
Tu vois, Comus : l’Hiver est, dit-on, en ces lieux.
COMUS.
Oui, les vents, ses porteurs, l’ont mis sur ce rivage.
125 Il arrive à l’instant.
L’HYMEN.
Tant mieux ;
Même on dit qu’il a pris : quelque goût pour la noce ?
COMUS.
Oui, d’en tâter trois mois, il serait curieux ;
Comme les gens de guerre il épouse en tous lieux.
L’HYMEN.
130 Ventrebleu, le joli négoce !
COMUS.
Mais, te voilà bien habillé !
On le voit bien, fripon, vous hantez les Notaires.
L’HYMEN.
Ah ! C’est depuis que je me suis brouillé
Avec l’amour, j’en fais mieux mes affaires.
COMUS.
135 Comment donc ?
L’HYMEN.
Avec lui je ne finissais rien ;
Pendant un siècle il faisait des mystères ;
Avant qu’il me permît d’unir dans mon lien
Un amant avec sa maîtresse.
140 Sont-ils égaux, disait-il, en noblesse,
En âge, en bien,
Et leur humeur se convient-elfe ?
Sentent-ils l’un pour l’autre une ardeur mutuelle ?
COMUS.
Bon ! C’est bien de cela dont il est question !
145 L’Amour aima toujours la bagatelle.
L’HYMEN.
Quand il voulait sans moi faire quelque union ;
Il ne lanternait point, il allait au fait, zeste ;
Présentement je viens, je vois, j’unis.
L’HYMEN.
150 Quand il s’agit de matrimonion
L’homme doit brusquer l’aventure.
L’HYMEN.
11
Avec Plutus je suis associé.
COMUS.
Autre aveugle : ma foi, te voila bien lié !
155 Mais, notre cher Hymen, selon ce que j’augure
Tu n’aimes pas les clairs-voyants.
L’HYMEN.
Plutus a maintenant un carquois et des flèches,
Et tous ses coups sont surprenants.
COMUS.
Ce n’est pas dans les coeurs qu’ils vont faire des brèches.
L’HYMEN.
160 Par ses ordres j’unis.
Avec l’adolescent l’antique douairière ;
À l’aimable tendron, l’époux sexagénaire ;
Et le véritable Marquis,
Avec la fille du commis.
165 En vain la vertu toute nue,
Mais de mille charmes pourvue,
À son secours m’appelle nuit et jour ;
À ses soupirs je fuis plus sourd
Qu’un secrétaire,
170 Qu’un plaideur, la main vide, instruit de son affaire.
L’HYMEN.
Ce n’est pas tout.
COMUS.
Ce n’est pas tout. Que fais tu donc de pis ?
L’HYMEN.
L’Amour aime les gens de guerre ;
Pour me venger de ses mépris.
175 Je les barre par toute terre.
Quand j’en vois un qui veut se marier,
Aux parents de la fille alors je cours crier ;
Prendre un guerrier pour gendre, hélas ! c’est prendre un maître ;
Bientôt à vos dépens il le ferait connaître :
180 Il vous tourmenterait et vous et vos fermiers,
Vous verriez votre bien passer aux usuriers ;
Cependant votre fille en un triste village
Vivrait à peu de frais, pour qui ? Pour un volage
Qui loin d’elle en tous lieux, plein d’une folle ardeur
185 À d’autres porteront et ses voeux et son coeur ?
Il reviendrait un jour, victime de la guerre ;
Sans jambes et sans bras, avec un oeil de verre ;
Le beau meuble, Messieurs, pour sa jeune moitié,
Qu’un pauvre époux qui ne fait que pitié !
190 Oh je n’achète pas cher un invalide,
Répondent les parents, que l’avis intimide;
Entre l’amour et moi jamais de paix ;
Pour les guerriers, jamais de mariage.
COMUS.
De sa mauvaise humeur l’Amour les dédommage,
195 Et le plus souvent à tes frais.
Ami, retire-toi, je vois une brunette
Qui vient apparemment pour épouser l’Hiver.
L’HYMEN.
Pour l’épouser ? Quoi son emplette
N’est pas faite ?
COMUS.
200 Non, il ne veut rien prendre en l’air.
L’HYMEN.
Pour un bail de trois mois, c’est être difficile.
12
Je laisse avec toi cette Iris.
Quand je pourrai vous être utile,
J’ai mon temple à deux pas dans un champ de soucis.
SCÈNE IV. Comus, La Mode. §
LA MODE sautant au col de Comus.
205 Cher Comus, que je vous embrasse.
COMUS, la repoussant.
Comment donc, s’il vous plaît ?
LA MODE.
Quoi ! Vous me rebutez ?
COMUS.
Vous avez l’abord tendre.
LA MODE voulant l’embrasser.
En vain vous résistez.
COMUS la repoussant encore.
210 Madame finissez, de grâce.
LA MODE.
Comment, Dieu de la joie, et quel accueil glacé ?
COMUS.
Embrasse-t-on les gens sans les connaître ?
LA MODE.
Sans les connaître ? Moi ? vous vous moquez peut-être.
À la Cour de l’Hiver, je vous vis l’an passé.
COMUS.
215 Non, je ne vous vis de ma vie.
LA MODE vivement et gaiement.
Quoi tout de bon ?
COMUS.
Quoi tout de bon ? Tout de bon.
LA MODE.
Quoi tout de bon ? Tout de bon. Quel plaisir !
Comus me méconnaît, j’en ai l’âme ravie.
Elle rit comme une folle.
COMUS la considérant.
Quel vertigo vient la saisir ?
Un manchon d’une main, un éventail de l’autre ?
220 Elle a l’esprit troublé, je ne m’y méprends plus.
LA MODE.
Comus me méconnaît, quelle gloire est la nôtre !
Que vous me charmez, cher Comus,
Et que ce compliment est flatteur, agréable
C’est mon mérite à moi d’être méconnaissable :
225 Je change tous les jours,
Au moindre vent d’habit et de visage,
D’esprit, de geste, de discours,
De caprices, d’humeur, sans en être plus sage ;
Incessamment je cours du blanc au noir ;
230 Ce qui me plaît ce soir.
Me déplaira demain, j’en suis certaine.
LA MODE.
Il vous est bien connu ;
Je suis la mode.
COMUS.
235 Oui, qu’il vous en souvienne,
Divinité parisienne ;
Fille de la folie et du premier venu.
COMUS.
Qui diable vous eût devinée ?
LA MODE.
Qui diable vous eût devinée ? Depuis neuf mois
Vous me trouvez donc bien changée ?
COMUS.
240 Plus extravagante cent fois.
LA MODE lui faisant une profonde révérence.
Comus peut-être me cajole,
Sa politesse...
COMUS.
Ah croyez-moi,
Quoique intendant je suis de bonne foi,
245 Je ne vous vis jamais si folle,
Vous charmerez l’Hiver sur ma parole.
LA MODE.
Oh vraiment je l’ai bien compté,
Je me sens là-dedans une vivacité :
Et mille inventions cornues :
250 Le pauvre Dieu d’Hiver, au milieu de sa cour,
Avec moi sera chaque jour
Comme tombé des nues ;
Mon plan est déjà tout dressé.
COMUS.
De grâce, tracez-m’en une légère image.
LA MODE.
255 Volontiers. Par exemple il laissa l’an passé
Les Médecins en lugubre équipage,
En habit noir, manteau, rabat, petits cheveux.
Le sourcil sombre et ténébreux,
L’accueil farouche ; enfin toutes les marques
260 Qui doivent distinguer les ministres des Parques.
COMUS.
Ils tutoient du coup d’oeil.
LA MODE.
Ils tutoient du coup d’oeil. Je les ai déguisés
En Adonis ; j’ai mis leurs personnes charmantes ;
Sous les couleurs les plus brillantes.
Ils sont brodés , poudrés, frisés,
265 Ils ont des teints fleuris, des yeux vifs, des voix claires
Comme des courtisans, même des airs aisés :
Enfin vous les croiriez d’aimables mousquetaires,
S’ils n’étaient pas un peu trop empesés ;
Bref, la seringue et la lancette en France
270 Vont aujourd’hui sous le velours.
COMUS.
Ces Charlatans sont gens sans conséquence.
LA MODE.
Ces Médecins chez eux tapis comme des Ours ;
Lisaient des bouquins Grecs, Arabes...
COMUS.
Ils en tiraient cent barbares syllabes
275 Dont ils éblouissaient les gens.
LA MODE.
13
Je leur fais lire à présent les Gazettes,
Les Livres de bons mots, et les nouveaux Romans :
14
Ils sont toujours féru de chansonnettes,
De Brevets de Calotte ; et de telles sornettes ;
15
280 De caquets du quartier ; d’un malade aux abois,
Ils vont en égayer l’oreille.
COMUS.
Et les guérirent-ils ?
LA MODE.
Et les guérirent-ils ? Serait-ce donc merveille ?
On les en voit rater tout autant qu’autrefois.
COMUS.
Qu’appeliez-vous rater ?
LA MODE.
Qu’appeliez-vous rater ? Guérir, c’est même chose.
285 Hé bien, que dites-vous de la métamorphose ?
COMUS.
Vous êtes trop plaisante, et l’Hiver en rira.
LA MODE.
C’est le moindre des tours que ma gaieté projette.
COMUS.
Avez-vous des suivants avec ces travers-là ?
LA MODE.
Une femme plutôt voudrait être coquette
290 Que de n’être pas ma sujette.
COMUS.
Vous changez si souvent de goût, que quelque jour
Pour le mérite enfin vous prendrez de l’amour.
LA MODE.
J’en ai voulu tâter ; Misanthrope incommode,
Il contrôlait toutes mes actions,
295 Il voulait réprimer toutes mes passions.
Oh vive un pied plat pour la mode,
Il ne connaît la honte, ni l’honneur,’
Mes caprices font son bonheur.
COMUS.
Vous en jouez comme d’une pagode.
LA MODE, follement.
300 À propos je vous quitte, et je cours de ce pas...
COMUS.
Déjà ? Quelle importante affaire...
L’Hiver est arrivé, vous avez des appas,
Il pourrait pour épouse...
LA MODE.
Il pourrait pour épouse... Oh je n’épouse pas.
Je reviendrai, je cours dire à ma couturière,
305 Que l’habit que tantôt j’avais imaginé,
Me paraît déjà vieux pour le goût et l’ouvrage !
À tantôt, cher Comus.
Elle part en courant.
COMUS.
Soyez toujours bien sage...
Mais que cherche ce forcené.
SCÈNE V. Comus, Le Pharaon. §
LE PHARAON, mal habillé et enveloppé dans un manteau courant sur le théâtre.
310 Où suis-je... où me cacher;... Ah grâce...
Il se jette à genoux tourné vers le côté d’où il vient de sortir.
Messieurs, je vous quitte la place ;
Vous ne me verrez plus ici sur mon honneur ;
Je sors de Paris dans une heure,
Ou je meure.
COMUS.
315 Tout Dieu que je me sens, ce drôle me fait peur,
C’est sans doute un voleur.
LE PHARAON, se rassurant.
Mais du Dieu de l’Hiver c’est ici la demeure ;
Et j’aperçois Comus, Bonjour Seigneur...
Quoi vous, tremblez ! Allons qu’on se rassure,
320 Je suis un Dieu d’honneur, un Dieu Gascon ;
Je m’appelle le Pharaon.
COMUS.
Le Pharaon ! Quelle triste aventure,
Vous a poursuivi jusqu’ici ?
LE PHARAON.
Vous en allez être éclairci.
325 Ci-devant dans toutes les rues
J’avais des Temples à Paris,
Où de mes zélés favoris,
Je voyais chaque jour accourir les recrues ;
Parieurs délit», par leurs clameurs,
330 Par leurs craintes, par leurs fureurs,
Par leur désespoir, par leur rage,
Par d’horribles contorsions,
Et par mille imprécations,
Ils m’exprimaient leur tendre hommage.
COMUS.
335 Le beau style, le beau langage !
LE PHARAON.
Tout mes honneurs aujourd’hui font cessez,
Tous mes Temples sont renversés,
Je n’ai pas un grenier, je n’ai pas une cave,
Pas un seul trou pour me fourrer.
340 Partout mon ennemi me brave,
Et me vient déterrer ;
Voyez, jugez par mon désordre.
Il entrouvre son manteau.
COMUS.
Cet ennemi quel est-il ?
LE PHARAON.
Cet ennemi quel est-il ? Le bon ordre,
345 Un Dieu qui voir plus clair qu’Argus.
Four m’échapper de lui, mes soins sont superflus,
Son nez lut dit où je puis être :’
Tout à l’heure il m’avait barré tous les chemins,
Et je n’ai pu me sauver de ses mains
350 Qu’en me jetant par la fenêtre.
COMUS.
Je plains l’état où vous voilà.
LE PHARAON.
Tous pourriez réparer ce mal...
COMUS.
Tous pourriez réparer ce mal... Comment cela ?
LE PHARAON.
À l’Hiver faites moi connaître ;
Qu’il me loge pour grand merci,
355 Je vous divertirais...
COMUS.
Je vous divertirais... Eh de quelle manière ?
LE PHARAON.
Et tandis par mon savoir-faire.
Vous verriez arriver ici,
En cortège nombreux, en brillant équipage;
Un Marquis du bel air, riant et sans souci ;
360 Dès qu’il m’aurait fait son hommage,
Vous l’en verriez sortir triste, pâle, transi ;
La fureur dans la bouche, et la vue égarée
Sans Marquisat, à pied et sans bijoux, sans livrée ;
16
Je donnerais le tout au premier Cadedis.
365 Vous verriez la Comtesse aimable
Qui montre pour mon culte un zèle infatigable ,
Me sacrifier tout, bagues, joyaux de prix,
Meubles.... enfin jusques à ses habits.
COMUS.
Et garder assez mal le reste.
LE PHARAON.
370 Pour orner mes autels la chicane funeste
Souvent immolerait la veuve et le mineur,
Et le Marchand impitoyable,
M’apporterait avec ardeur,
Ce qu’une usure abominable,
375 Lui ferait arracher au prodigue Seigneur.
COMUS.
Le tout irait souvent aux mains d’un misérable.
LE PHARAON.
Bref ; à Plutus il faut des dix, vingt ans,
Pour métamorphoser des laquais en traitants ;
Pour changer un faquin en homme d’importance
380 Je ne demande, moi, qu’un jour, moins quelquefois.
COMUS.
Cet habit prouve mal votre rare science ;
Pour faire croire vos exploits
Vous êtes, notre ami, trop mal dans vos affaires.
LE PHARAON.
Vous en êtes surpris ? Hé donc ! Depuis un mois ;
385 J’ai passé par les mains de quatre Commissaires :
Mais vous allez m’arracher de ce pas ;
À l’Hiver menez-moi tirer ma révérence.
COMUS.
Qui ? Moi, non ne l’espérez pas.
Si vous ne faisiez connaissance
390 Qu’avec des gens d’usure ou de finance,
L’Hiver vous verrait volontiers.
17
Plumer jusques au vif ces vautours de la France.
Mais il vient ici des guerriers
Dont nous chérissons la présence ;
395 Vous voudriez d’abord vous lier avec eux :
De votre adresse infortunée,
Et de votre commerce affreux,
Ils mordraient les doigts le reste de l’année.
Allez ailleurs chercher fortune.
LE PHARAON.
400 Eh du moins attendez qu’il soit un peu plus tard ;
Je me sauverai sur la brune,
Chez quelque Comte de hasard.
COMUS.
Non sans réplique et sans excuse,
Sortez vite...
LE PHARAON.
Sortez vite... Ha ha ha.
COMUS.
Sortez vite... Ha ha ha. Vous riez ?
LE PHARAON.
Sortez vite... Ha ha ha. Vous riez ? Oui, ma foi.
405 Vous croyez me fâcher, et vous êtes bien buse,
Car vous y perdez plus que moi.
Avec un Intendant, je sais comme on en use,
D’un pot de vin, en bel argent comptant,
J’aurais payé votre entremise ;
410 Vous me regretterez, et je pars à l’instant :
Je vais faire briller mon mérite à Venise,
Où Mons du Carnaval m’attend.
Il s’en va. Et après quelques pas il se détourne.
Ah !... Vous me rappelez ?...
COMUS.
Ah !... Vous me rappelez ?... Qui, moi ? Je vous rappelle ?
LE PHARAON.
Oui, vous jouez de la prunelle :
415 Vous voudriez raccrocher mes écus,
18
Sandis ; vous ne me tenez plus ;
Aux regrets, je vous abandonnes.
Une autre fols soyez moins fier, Comus,
Avec un Dieu de la Garonne.
COMUS.
420 Le coquin ! Son sang-froid m’étonne.
SCÈNE VI. Comus, Le Bal en domino noué sur le côté, un masque à la main. §
LE BAL dansant et chantant.
La, la, la, la, la, la, la, la.
COMUS.
Ah le bel enfant que voilà !
LE BAL.
La, la, la,la, la, la, la, la.
COMUS.
Cette gaieté, ce beau visage,
425 Et cette taille faite au tour,
M’annoncent sans doute l’Amour ?
LE BAL.
Qui, moi l’Amour ? Fi donc ; ce brillant étalage
Annonce-t-il un pauvre Dieu,
Qui n’ayant plus ni feu ni lieu
430 Est contraint de vivre au Village ?
COMUS.
Il est vrai de l’Amour, le Champs sont l’apanage.
LE BAL.
Le jour que je naquis, que j’excitai de ris !
Car tout l’Olympe était en fête,
Et de me voir l’Hymen fut si surpris.
435 Que les cornes soudain lui vinrent à la tête.
COMUS.
Mais qui donc êtes-vous ? Peste !
LE BAL.
Mais qui donc êtes-vous ? Peste ! Du Carnaval,
Je suis fils naturel et frère de la Danse,
Mercure éleva mon enfance.
COMUS.
L’habile Précepteur ! Votre nom est ?
LE BAL.
L’habile Précepteur ! Votre nom est ? Le Bal.
COMUS.
440 Ah, je ne vous connais guère.
LE BAL.
Je le crois bien, car je dors tout le jour :
Ce sont les Dieux bourgeois que le soleil éclaire,
Ils reçoivent l’encens tandis qu’il fait son tour.
Pour moi, pour mes joyeux mystères,
445 Vive la nuit, et ses sombres lumières.
COMUS.
Que vous devez avoir une gaillarde Cour !
LE BAL.
Ah je vous en réponds : avec ce masque
Je fais tous les jours quelque frasque ;
Et j’ose défier l’Amour et tous ses traits
450 De faire les coups que je fais.
Ils tiennent ma foi du miracle.
COMUS.
Vous me surprenez, et comment ?
LE BAL.
Ce masque fait parler un sot comme un Oracle :
Le trop timide amant
455 Qu’un respect du vieux temps aux genoux de sa Belle,
Retenait plus interdit qu’elle,
Devient avec ce masque entreprenant, hardi.
COMUS.
En amour, vive un étourdi.
LE BAL.
Jamais avec ce masque il ne fut de cruelle.
460 Ce masque change en beauté la laideur ;
En tendron, l’antique femelle.
Cette prude dont la pudeur
Au seul nom d’un Amant était sur le qui-vive ;
Lui prête avec ce masque une oreille attentive,
465 Et son hypocrite froideur,
Devient une brûlante ardeur.
COMUS.
Elle savoure à longs traits la fleurette.
LE BAL.
Avec ce masque une fine coquette ;
19
À l’étranger se donne pour Agnès.
COMUS.
470 Non, l’étranger ne s’y trompe jamais :
Mais comme nos Marquis cherchent la gloire aisée,
Plus une belle est décriée,
Et pour lui plus elle a d’attraits.
LE BAL.
Ce masque rend le Commis supportable,
475 Et la provinciale aimable.
Sous le masque une femme enchante son mari,
Et le mari charme sa femme.
COMUS.
Mais du visage de la Dame
Si le masque tombait ; le beau charivari !
LE BAL.
480 Tant pis pour eux. Comus, de mon espièglerie,
Vous allez voir des tours joyeux.
COMUS.
Qu’allez-vous faire, je vous prie ?
LE BAL.
En entrant dans ces lieux
J’ai rencontré vos fils, les Ris, les Jeux ;
485 Je leur ai dit le plan de mon étourderie :
Et quoique ivre, Bacchus va venir avec eux
Aux noces de l’Hiver ; car, moi, je le marie.
COMUS.
Vous mariez l’Hiver ?
LE BAL.
Vous mariez l’Hiver ? À la Danse ma soeur.
COMUS.
Que voulez-vous qu’il fasse d’elle ?
LE BAL.
490 Ce que je veux qu’il en fasse ? Elle est belle.
COMUS.
Oui ; mais pour un barbon, la danse me fait peu
C’est, entre-nous, une étrange commère.
LE BAL.
Elle a quand il lui plaît moins de vivacité,
Selon les Gens elle est grave, tendre, ou légère.
COMUS.
495 Pour le front quelle sûreté,
Qu’une femme qui change ainsi de caractère !
LE BAL.
Une Jeune beauté,
Cher Cornus, est comédienne née ;
20
C’est un Protée.
500 Veut-elle plaire à l’homme de Palais,
Ou, bien au Financier ? Elle est simple, innocente,
Le Bal contrefait ces trois caractères.
Naïve, timide, tremblante ;
Elle rougit de tout, c’est une Agnès,
Veut-elle prendre en ses filets
505 Un Petit-Maître ? Elle est enjouée, indiscrète ;
Elle assomme de son caquet,
Elle est folle, étourdie ; et c’est une coquette
A-t-elle des desseins sur un petit collet ?
La voilà sombre, sérieuse,
510 Vindicative, précieuse ;
De tout le monde elle médit,
Et hardiment se loue et s’applaudit ;
C’est une Prude. Enfin sans qu’on s’en doute,
D’un rôle à l’autre elle passe à son choix
515 Et sans que la chose lui coûte.
COMUS.
Elle jouerait cent rôles à la fois,
Avec tous ces talents qu’en votre soeur j’admire,
L’Hiver pourra l’aimer ; mais je dois vous instruire,
Qu’il n’épouse que pour trois mois.
LE BAL.
520 Tant mieux ; en faut il davantage ?
Après trois mois de mariage ;
Le plus aimable époux, plaît-il encor longtemps ?
Ma soeur ne fit jamais de bail à vie,
Et quand l’Hiver faussera compagnie,
525 Elle compte épouser tour à tour le Printemps
L’Eté, l’Automne.
COMUS.
Votre soeur est une aimable friponne !
Mais malgré tous ses agréments,
Je doute que l’Hiver pour épouse la prenne.
LE BAL.
530 Qu’il la renvoie, ou bien qu’il la retienne,
Du moins il l’aimera, pendant quelques moments ;
C’est assez pour ma soeur, elle est peu façonnière.
Adieu je cours faire avancer mes gens.
Il sort en chantant et en dansant.
COMUS.
L’honnête soeur ! Et le bon frère !
SCÈNE VII. Comus, La Médisance. §
La médisance est habillée en dévote, sans panier, avec une pointe noir et une espèce de guimpe ou de collet.
COMUS.
21
535 Mais que veut cette douairière ?
Prétend-elle à l’Hiver avec ses cheveux blancs ?
Il faut écouter la friponne ;
Mais d’avance, elle peut compter sur mes refus.
LA MÉDISANCE doucereusement.
Le Ciel vous tienne en joie, agréable Cornus.
COMUS.
540 Sans compliment, que voulez-vous, ma bonne ?
LA MÉDISANCE aigrement.
Ma bonne ! Moi ?
COMUS.
Ma bonne ! Moi ? Quoi ! Ce nom vous étonne ?
LA MÉDISANCE doucereusement.
Ô Jupiter ! Souffrez-vous ces abus.
Moi ! M’appeler ma bonne ? une Déesse !
COMUS, riant.
Qui vous ? une Divinité !
545 Que Bacchus fit sans doute en son ivresse.
LA MÉDISANCE.
Non, traître, je le suis d’un et d’autre côté :
L’envieux Momus est mon père,
Et ma mère l’Oisiveté.
COMUS.
Les honnêtes parents ! Votre nom ?
LA MÉDISANCE.
Les honnêtes parents ! Votre nom ? Le vulgaire
550 M’appelle Médisance.
COMUS.
M’appelle Médisance. Ah, je vous reconnais.
LA MÉDISANCE.
Je me plais peu chez les petits Bourgeois ;
J’y fuis dégoûtante, grossière,
Sans façons, sans esprit.
COMUS.
Mais, chez les gens de Cour ?
LA MÉDISANCE.
555 Je n’y parais jamais sous ce nom effroyable,
J’en choisis un plus agréable :
J’en ai plusieurs que je prends tour à tour,
Selon les gens que je fréquente.
COMUS.
Bon : sous quel nom êtes-vous en ce jour ?
LA MÉDISANCE.
560 Avec cette démarche lente,
Ces yeux baissés, ce sévère maintien,
Cette parure innocente et modeste,
Ce ton de voix éteint, et ce doucereux geste ;
Je vais trouver des gens de bien.
COMUS.
565 Par ma foi, c’est l’entendre.
LA MÉDISANCE.
Écoutez, je vous prie.
Sous un dehors d’austérité,
Déguisant ma malignité,
Tout sentira les traits de ma furie.
COMUS.
570 Fort bien : et votre nom sera ?
LA MÉDISANCE.
Fort bien : et votre nom sera ? La vérité.
COMUS.
Qui diantre s’en serait douté ?
LA MÉDISANCE.
Sortant d’avec ces gens, vive, étourdie, aimable,
Toute brillante et d’or et de rubis ;
Je me ferai traîner dans un cercle agréable
575 De Duchesses et de Marquis.
Que de plaisirs, et que de ris
Exciteront les charmantes saillies.
Et les piquantes railleries,
Que je ferai tomber sur mes meilleurs amis.
580 Quel feu, quels traits ! Bons mots de toute espèce.
Je contreferai tout, l’air, les tons, les habits
Du Commandeur, de la Comtesse...
COMUS.
Vous vous appellerez dans ces endroits chéris ?
LA MÉDISANCE.
Enjouement, gentillesse,
585 Vivacité, délicatesse.
COMUS.
Les beaux noms que vous avez pris !
LA MÉDISANCE.
De là dans un café, bureau des beaux-esprits,
En pédant de robe ou d’épée,
22
En petit collet, en poupée,
590 Par des tons décisifs et d’effroyables cris,
Incapable de rien (mais capable d’envie)
Je vais fronder tous les nouveaux écrits :
Jusques sur leurs auteurs étendant ma furie,
Je me crois un docteur sans prix,
595 Et je me fais nommer fine plaisanterie.
C’est à midi qu’on y vient m’écouter.
COMUS.
Mais, vous vous faites détester.
LA MÉDISANCE.
Que m’importe ? Mais, non : tel qui dit qu’il m’abhorre
Dans le fond de son coeur m’adore ;
600 Et tel me hait de bonne foi
Qui pourtant se plaît à m’entendre.
Pour tout ouïr, tout voir, et tout répandre,
La Renommée a moins de voix que moi,
Moins d’oreilles, moins d’yeux. Nulle chose innocente
605 Que je ne tourne avec malignité ;
Dans un besoin même j’invente.
Partout mon esprit est fêté ;
On rit dès qu’on me voit paraître ;
Et l’on se croit heureux de me connaître.
COMUS.
610 Plus heureux qui de vous, ne fut connu jamais.
LA MÉDISANCE.
Il faut me voir dans un spectacle
Avant que l’on commence ; ah, c’est-là que je plais !
On m’environne, on m’écoute en oracle :
Je promène mes yeux distraits
615 De loge en loge ; homme, femme, personne
Ne peut échapper à mes traits.
Les charmants contes que j’en fais !
Voyez cette beauté qui paraît simple et bonne,
Dis-je à mes auditeurs, les bons tours que j’en sais !
620 Son sot d’époux dans ce coin l’espionne,
Il prête aux jeunes gens à triples intérêts.
Ce petit freluquet que vous voyez auprès,
Est l’ennuyeux, ou l’amant de la belle ;
23
Il danse, il chante, il joue un air de vielle,
625 Voilà tout son petit savoir ;
C’est un échappé de finance,
Cependant il faut voir,
Comme il fait le gros dos, et l’homme d’importance.
Ce beau Marquis qui s’étale là-bas,
630 Qui vient de s’annoncer avec tant de fracas,
Est un fat : pour mérite il n’a que sa naissance,
Il attend pour parler que sa pièce commence ;
Plus haut que les acteurs, alors il parlera,
De ses sottises il rira,
635 Ou bien dans les foyers il ira voir la pièce,
Et Dieu sait ce qu’il en dira,
Et comme hardiment il en décidera,
Chez la Présidente Lucrèce,
Qui veut passer pour sa maîtresse ;
640 Mais le public s’obstine par malheur ;
À la croire femme d’honneur.
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Ah... ce blondin qui vient jusqu’aux bords du théâtre,
En propre original est la fatuité ;
De son air et de sa beauté,
645 Il croit chaque femme idolâtre.
Par pitié pour le sexe il vient se faire voir ;
Vous ne le verrez point s’asseoir,
Il est toujours debout, ou bien il se promène :
Malgré les cris du spectateur,
650 Il offusque, il arrête et l’actrice et l’acteur ;
En traversant cent fois la scène
Cet autre...
COMUS.
Cet autre... As-tu bientôt noirci tous les mortels ?
25
Sors d’ici cruelle furie,
Retourne aux Enfers ta patrie ;
655 Des fers éternels,
Sont pour toi de trop doux supplices.
LA MÉDISANCE.
Vous me chassez ? Malgré vous je reviens.
Je fuis l’âme des entretiens,
Et j’en fais toutes les délices.
660 L’Hiver sans moi ne ferait que bailler ;
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Sa ressource toujours serait de quadriller :
Le jeu n’est que pour ceux qui ne savent rien dire.
L’Hiver m’épousera.
COMUS.
L’Hiver m’épousera. Sors d’ici, Monstre affreux.
LA MÉDISANCE, d’un ton doucereux.
Adieu, pour un instant, Comus, je me retire.
Elle fait deux pas.
665 Vous êtes intendant, seigneur et scrupuleux.
COMUS.
Quoi, jusques sur moi-même clic exerce sa rage ?
SCÈNE VIII. Comus, Hector Criquet. §
Hector Criquet est habillé de noir avec un manteau, une grande perruque sans poudre et un grand rabat.
COMUS.
Mais que cherche ici ce visage ?
Serait-ce encore un Dieu ? Je n’en vis jamais tant.
Ni de plus sots. Écoutons-le pourtant.
HECTOR CRIQUET.
C’est sans doute ici le palais du Dieu de l’Hiver ?
COMUS.
670 Oui, Monsieur.
HECTOR CRIQUET.
Et c’est au Dieu Comus que j’ai apparemment l’honneur de parler.
COMUS.
Oui, Monsieur ; vous suis-je nécessaire ?
HECTOR CRIQUET.
Seigneur, j’ai appris que vous cherchiez un nombre de gens pour contribuer par leurs divers talents aux besoins et aux plaisirs de l’Hiver pendant son séjour en France.
HECTOR CRIQUET.
Avec votre permission, et sauf le meilleur avis de votre divinité, ne serait-il pas beaucoup plus avantageux, au lieu de multiplier les êtres à l’infini, de trouver un sujet qui rassemblât en lui tous les divers talents ?
COMUS.
Ce serait une fort bonne affaire,
Car moins de gens, moins d’ennemis ;
675 Mais dans quels climats pourrait être
Un original d’un tel prix ?
HECTOR CRIQUET.
Je le connais, c’est une véritable encyclopédie ; Id est, l’abrégé de toutes les sciences.
COMUS.
Ah de grâce, Monsieur, faites-le moi connaître.
HECTOR CRIQUET.
27
J’ai trop de modestie pour vous le nommer ; mais voici un petit placet où vous trouverez avec ses mérites détaillés, ses nom et demeure.
HECTOR CRIQUET.
Je reviendrai demain matin, savoir quel cas vous aurez fait de mon placet.
Serviteur, Seigneur, serviteur.
Il fait deux pas et revient.
Comme vous êtes un Dieu, j’ai mis le placet en votre langage, je l’ai écrit en vers.
COMUS.
Je le lirai. Tant mieux.
Il m’en sera plus précieux.
HECTOR CRIQUET.
Si vous me le permettez ; j’aurai l’honneur de vous déclamer mon Placet.
COMUS.
680 Très volontiers.
HECTOR CRIQUET, déclamant ridiculement.
Très volontiers. À Monseigneur
Comus, Dieu de la joie et de la bonne chère,
Et du Dieu de l’Hiver Intendant ordinaire,
Mais Intendant tout plein d’honneur.
Monseigneur, humblement supplie ;
685 Hector Criquet.
Et vous remontre en ce Placet,
Qu’il montre l’Éloquence et la Philosophie,
Les Langues, le Blason, et la Géographie ;
la Médecine, et les Lois,
690 La Marine, l’Astrologie,
La Guerre, la Magie,
Et mille autres Arts à la fois.
Ledit Hector Criquet demeure,
Depuis plusieurs saisons,
28
695 Auprès des petites Maisons,
On l’y trouve à toute heure.
COMUS.
Le charmant placet ! Les beaux Vers !
Vous savez tous ces arts divers ?
HECTOR CRIQUET, déclamant ridiculement.
Non pas, Seigneur, mais je les enseigne.
À demain Seigneur, Serviteur.
Il fait six pas.
COMUS.
La peste soit du fanatique.
HECTOR CRIQUET, revenant.
700 S’il vous plaisait, je vous chanterais mon placet,
Car je l’ai mis en musique.
COMUS.
Voyons : un placet en Musique ?
HECTOR CRIQUET.
En quelle musique voulez-vous que je le chante ?
Musique Italienne, Française, anglaise, allemande, suisse, turque, chinoise ?
Car je compose en routes ces musiques, sans les avoir apprises que par les Mathématiques : oh cela fait de beau chant !
Parlez.
COMUS.
Chantez celle qu’il vous plaira.
HECTOR CRIQUET.
Vous en êtes pour l’Italienne, je le vois ; c’est le grand goût : aussi, qu’est-ce que cette Musique Française ?
Elle approche trop des paroles.
COMUS.
Oui, mais de ce défaut on la corrigera.
HECTOR CRIQUET.
La, là la...
Quelle voix voulez-vous ?
Car je les ai tontes, haut-dessus, bas-dessus, haute-contre, taille, concordant, discordant ; voix entière ; voix claire ; basse-taille, basse-contre : parlez, choisissez.
COMUS.
705 La voix que vous voudrez ; il ne m’importe guère.
HECTOR CRIQUET.
La la la : je n’ai pas mis le titre du Placet en musique, si vous vouliez pourtant...
COMUS.
Non, non, il n’est pas nécessaire.
HECTOR CRIQUET chante en musique italienne.
Monseigneur humblement supplie, etc.
Jusqu’à ces mots, le dit Hector Criquet.
COMUS.
Je suis enchanté de votre air.
Et j’en ferai rire l’Hiver.
HECTOR CRIQUET.
J’abuse de vos bontés.
À demain, Seigneur.
Serviteur.
Il fait huit pas.
COMUS.
Faut-il jamais pareille extravagance !
HECTOR CRIQUET, revenant.
Il tire de dessous son manteau un violon qu’il présente à Comus.
Un Dieu sait toutes choses.
Sauriez-vous jouer du violon ?
COMUS.
710 Non, je n’ai pas toutes votre science.
HECTOR CRIQUET.
C’est que je vous danserais mon placet, j’ai composé des pas dessus.
COMUS.
Ah ! Voyons danser un placet.
Je n’oublierai jamais ce trait.
HECTOR CRIQUET.
Il chante, joue du violon, et danse en même-temps.
Je vais vous en donner le plaisir moi seul.
COMUS.
Vous êtes de talents un si rare assemblage,
Que vous avez sans doute un équipage ?
HECTOR CRIQUET.
Un équipage, Seigneur !
Est-ce que ces talents sont récompensés dans ce pays ?
On croit trop payer un génie, qui va par les maisons enseigner la philosophie et la Politique, quand on lui donne une demi-pistole pour trente leçons ; et l’on ne rougit point d’en donner dix à un danseur, à un chanteur pour douze quarts-d’heure ; cependant il est honteux à un honnête homme de trop bien savoir leurs Arts : bien danser n’est qu’un mérite de singe.
COMUS.
715 Mais tout Paris aime ces arts galants,
HECTOR CRIQUET.
Dites, la Bagatelle.
Qu’un homme du premier mérite entre dans une compagnie du bel air, s’il ne débute pas par une révérence extravagante, dit-il d’ailleurs des choses plus galantes que Démosthène et Ciceron ; si, c’est un maussade, un pédant, un sot, un homme à jeter par les fenêtres : qu’il entre ensuite un étourdi, qui jette sa tête d’un côté, son corps de l’autre ; qui danse sur un pied, qui chante en même temps, qui voltige de fauteuil en fauteuil, il ne dira que des fadaises, et toute la compagnie s’écrira : ah le joli homme !
Qu’il est aimable !
Qu’il a d’esprit !
C’est un prodige.
COMUS.
Cela vous dit, que le corps a ses grâces,
Comme l’esprit a ces talents ;
Il faut les cultiver en homme de bons sens.
De l’éducation, ils nous montrent les traces ;
720 Mais le Français veut être universel,
Et jamais, quoiqu’il se propose,
Il ne sait à fond nulle chose ;
Il n’est que superficiel.
Bien plus, c’est de l’Art qu’il professe,
725 Qu’il parle souvent le plus mal.
Le Magistrat parle guerre sans cesse,
L’Abbé parle toilette et bal,
Le courtisan morale, et l’homme de Finance
Parle bel esprit et science.
730 Mais vous m’avez donné des passe-temps trop doux ;
Venez revoir demain, et j’aurai soin de vous.
HECTOR CRIQUET, joyeux.
À demain, Seigneur, Serviteur, Serviteur.
SCÈNE IX. L’Hiver, Comus. §
COMUS.
Mais voici l’Hiver qui s’avance ?
L’HIVER.
Hé bien aurai-je une femme, Comus ?
Est-elle jeune ? Est-elle belle ?
735 De bonne humeur ? Me plaira-t-elle ?
COMUS.
Jusques ici mes soins ont été superflus,
Un galant de votre âge est de dure défaite
S’il ne prend pas une coquette.
L’HIVER.
Va, mon cher intendant, ne te tourmente plus
740 J’ai moi-même fait choix d’une aimable Déesse,
En qui les grâces, la gaieté,
L’esprit et la délicatesse,
Brillent autant que la beauté.
COMUS.
C’est la mode, sur ma parole.
L’HIVER.
745 Fi donc, Comus, c’est une folle,
Et qui contre un ruban troque un amant chéri.
COMUS.
Que ferait-ce d’un vieux mari ?
Vous prenez donc la Médisance ?
L’HIVER.
Oh ! non : de sa sincérité,
750 J’étais cependant enchanté ;
Mais de moi-même, en ma présence :
Elle m’a dit du mal.
COMUS.
Voyez quelle insolence !
Ah ! Si vous étiez son époux,
À cause de la connaissance,
755 Elle parlerait mieux de vous.
Enfin, vous choisissez la Danse ?
L’HIVER.
Ne pense pas railler, j’aime ses entrechats,
Et je lui donnerais ma foi la préférence ;
Mais de sa part je crains trop les faux pas.
COMUS.
760 Hé quelle est donc cette aimable Déesse,
Dont votre coeur est enchanté ?
L’HIVER.
Cher Comus, c’est la Volupté.
COMUS.
Vous aimiez, disiez-vous, la Vertu sans rudesse ;
Vous la trouvez en cette Déité.
L’HIVER.
765 Je l’aperçois, mon bonheur me l’adresse,
Cours appeler l’Hymen, et que le Bal s’empresse
À célébrer mes feux et sa beauté.
SCÈNE X. L’Hiver, La Volupté. §
L’HIVER.
Venez, belle Divinité,
Par devant l’Hymen que j’appelle,
770 Mon coeur va vous jurer une ardeur immortelle.
LA VOLUPTÉ.
Que parlez-vous d’Hymen, Seigneur ? C’est me trahir.
Voulez-vous déjà me haïr ?
Le talisman du mariage,
D’un Amant tendre, aimable, vif et doux,
775 Fait souvent un mari moine, avare , jaloux ;
D’un galant, un brutal ; d’un fidèle, un volage.
L’HIVER.
D’un amant bel esprit, peut-être un mari sot.
LA VOLUPTÉ.
Toujours d’une beauté charmante, douce et sage,
Complaisante, attentive aux soins de son ménage,
780 En un moment l’Hymen fait, par un mot,
Une Guenon maussade, altière, impérieuse,
Une furie et coquette et joueuse.
Ce beau couple d’amants, qui toujours se cherchaient ;
Que les plaisirs l’un à l’autre attachaient ;
785 Sont-ils époux, incessamment se fuient ;
Et quand le sort malin les rassemble, ils s’ennuient ;
On les voit dormir ou bailler,
Et la discorde peut seule les réveiller.
L’HIVER.
Appelons donc l’Amour. Oui, confiant, vif et tendre...
LA VOLUPTÉ.
790 Jurez pour le présent et non pour l’avenir,
Et faites des serments que vous puissiez tenir.
Souvent du premier coup un coeur se laisse prendre ;
Il ne faut pour charmer qu’un regard languissant ;
Tout engage, tout plaît dans un amour naissant ;
795 On croit toujours aimer, on le jure de même,
Et soi-même on se trompe en trompant ce qu’on aime.
L’HIVER.
Remplissez mes désirs, aimable Déité,
Et mon ardeur pour vous sera toujours extrême.
LA VOLUPTÉ.
Ne vous y trompez pas... je suis la Volupté,
800 Et fille de la Liberté,
Mais non pas du libertinage.
Mon enjouement et ma gaieté,
Et mon aimable badinage
Viennent de ma tranquillité,
L’HIVER.
805 Vous êtes philosophe ?
LA VOLUPTÉ.
Oh non. mais le vrai Sage,
Quand il touche au midi de l’âge,
Trouve en moi sa félicité ;
Je suis la fougueuse jeunesse,
810 Ses foins impétueux et ses distractions ;
Je hais et la folie et l’austère sagesse :
J’ai des plaisirs et non des passions.
Libre de soins, libre d’inquiétude,
De craintes, de désirs,
815 De remords et de repentirs,
Dans une douce étude,
Je trouve d’innocents plaisirs,
Sans en être plus précieuse.
Voilà la Volupté, Seigneur, telle qu’elle est,
820 Si son caractère vous plaît...
L’HIVER.
Non : vous êtes trop sérieuse :
Pardonnez, je suis franc et peut-être brutal.
LA VOLUPTÉ.
Je ne vous en veux point de mal,
Tous ne savent pas me connaître.
825 Adieu je vois quelqu’un paraître :
Vous vivez au terrestre, et je cours à l’esprit.
VAUDEVILLE. §
[JEUX, RIS et GRACES].
Quand un jeune amant vif et tendre,
880 A trouvé l’art de nous surprendre,
L’Hiver n’éteint point nos feux ;
Quels aimables noeuds,
Quel sort heureux !
Près de l’époux que l’Hyménée,
885 Unit à notre destinée,
Nous nous morfondons,
Nous grelottons,
Nous tremblons,
Nous gelons,
890 Les quatre saisons de l’année.
Auprès d’un objet du bel âge,
Tant qu’on s’en tient au badinage,
L’amour répond à nos voeux :
Quels aimables noeuds,
895 Quel sort heureux !
Mais quand par un destin contraire,
L’Hymen se mêle de l’affaire,
Nous nous morfondons, etc.
L’amour fuit toujours le Notaire.
900 Quand un Marquis dans notre bourse
A dessein de faire ressource,
Qu’il est doux, poli, pressant,
Flatteur, caressant,
Et séduisant !
905 Doit-il rendre ? Pendant Septembre,
Octobre, Novembre, Décembre,
Nous nous morfondons,
Nous grelottons, etc.
À la porte de l’Antichambre.
910 Auprès d’un objet agréable,
En commençant tout est aimable,
L’amour répond à nos voeux ;
L’ardeur de nos feux
Nous rend heureux.
915 Mais après deux jours on s’ennuie :
Aux genoux de notre Sylvie,
Nous nous morfondons, etc.
Et l’Amour fausse compagnie.
Quand une plaideuse est gentille,
920 Ou que dans sa main l’argent brille,
Elle gagne son procès,
Tous les intérêts,
Dépens et frais ;
Mais n’avons-nous plus de quoi plaire,
925 Ni d’argent pour aider l’affaire,
Nous nous, etc.
À la porté du secrétaire.
Meilleurs quand notre Comédie
Vous plaît et vous paraît jolie ;
930 Quand vous vous divertissez,
Vous applaudissez,
Mais quand par un destin contraire
Elle a le malheur de déplaire.