M. DCC. LXXII.
ÉPITRE A MADAME LA COMTESSE DE B***** D*****. §
VOUS m’avez permis, MADAME, d’offrir, à une des plus aimables personnes, l’hommage aui méritait le moins cette grace. Une Préface est très - souvent consacrée par l’Auteur à s’entretenir de lui-même avec complaisance. Dans ces Vers, qui en tiennent lieu, je n’ai rien annoncé de mon très petit Ouvrage sur ce ton-là, parce qu’il n’y avait rien de bon à en dire. Dans l’Épître dédicatoire, où naturellement votre éloge doit se opposée à celle qui m’a mpêché de parler de mes talents.
J’ai l’honneur d’être, avec le plus sincere et le plus respectueux attachement, MADAME,
Votre très-humble, et très-obéissant serviteur, LE MARQUIS DE F***
AU PUBLIC. §
Mes moeurs d’un vrai sauvage unissent tous les traits.
Un séjour solitaire, au fond de la Champagne,
Est à mes yeux rempli d’attraits ;
Pour mon Théatre seul, Théatre de campagne,
J’ai produit ces faibles essais.
Soigneusement ailleurs je les cachais.
Sans vouloir jamais en démordre,
J’ai suivi, quelque tems, cette prudente loi.
Jusques-là tout était dans l’ordre ;
Mais peut-on répondre de soi ?
Un certain jour n’ai-je pas eu l’idée
De courir chez les Imprimeurs !
Puis la voilà contrariée
Par la plus juste des frayeurs.
De vous plaire, Messieurs, la flatteuse espérance
S’éloignait de mon coeur à la crainte livré ;
Deux minutes plus tard l’Ouvrage était serré.
Lors j’ai pensé que l’ignorance
Facilement se gendarme et s’offense,
Et que d’un esprit éclairé
Le caractère est l’indulgence :
Cette réslexion m’a bientôt rassuré ;
Je n’ai plus craint votre présence,
Et me voilà donc imprimé.
Si cet hommage est agréé,
Je pourrai vous en offrir d’autres.
Plus d’un Écrivain glorieux
Croit, en s’applaudissant, faire tout pour le mieux.
Quant à moi, les faveurs que j’aime sont les vôtres ;
Et de tous les Auteurs dont vous comblez les voeux,
En accordant un accueil gracieux
Aux nouveautés qu’ils font paraître,
Si je trouve grace à vos yeux,
Je jure qu’il n’en peut pas être
Un plus sensible, un plus heureux.
PERSONNAGES. §
- MONSIEUR POT-DE-VIN, Bourgeois de Paris.
- MADAME POT-DE-VIN, sa Femme.
- MADAME LA COMTESSE DE LA BICOQUETTE.
- MONSIEUR LE MARQUIS DE CINQ-ARPENS.
- MADEMOISELLE ADÉLAÏDE.
- MONSIEUR DE PODOLIE.
- MONSIEUR L’ABBÉ PATELIN, neveu de la maison.
- BABET, servante.
SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Pot-de-vin, Babet. §
MONSIEUR POT-DE-VIN entre seul et appelle.
Babet !
Babet répond, en entrant de l’autre côté.
Monsieur.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Mais... Ayez donc l’air occupé de ce que je vais vous dire. Ce n’est point ici une soirée comme les autres.
Ah ! Babet ! Il faut convenir que, s’il est flatteur pour nous autres bourgeois, de recevoir des Croix de Saint-Louis, et des Dames de condition, on paie cet honneur bien cher par toutes les attentions qu’il exige : aujourd’hui cependant, loin de les regretter, je n’en saurais avoir autant que la circonstance le mérite.
BABET.
Oh ! S’il plaît à Dieu, Monsieur, vous serez content ; mais vous avez, ma foi, bien envie de l’être ; je ne vous ai jamais vu vous trémousser comme cela.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
C’est fort bien, mon enfant : je suis tout réjoui de te voir répondre à mes vues avec autant d’intelligence.
BABET.
Cela est à merveille ; mais si Madame arrivait ; ne serait-elle pas fâchée de voir tout ce tracas chez elle sans en avoir été prévenue ?
MONSIEUR POT-DE-VIN.
BABET, à part. Suite du Couplet.
BABET. Fin du Couplet.
Monsieur n’a plus rien à me dire. Je vais à ma cuisine...
Rire tout à mon aise de l’air d’assurance qu’il a, tandis qu’il tremble comme un voleur.
SCÈNE II. §
MONSIEUR POT-DE-VIN, seul.
Il est, parbleu, bien difficile d’être d’accord, quand on est deux à partager l’autorité ; et ne vaut-il pas mieux la céder, que d’entretenir des querelles éternelles ? Heureusement, me voilà seul aujourd’hui chez moi: c’est-là où je brille. C’est alors que je suis le souverain le plus absolu... Mais quelle heure est-il ?... La Galiote ne pourrait-elle pas encore ?...
Oh ! Non. Ma femme m’aurait écrit si elle avait dû revenir. Jouissons en repos du pouvoir sans concurrence... Voici ce que j’en aime le plus.
Enfin, chère amie, te voilà dans ma poche au moins jusqu’à demain. C’est toi qui joueras ce soir le personnage intéressant, et ta gloire sera la mienne. Va, charmante clé, tu ne peux appartenir à personne qui sente mieux que moi ce que tu vaux.
SCÈNE III. Monsieur Pot-De-Vin, Babet. §
BABET.
Madame la Comtesse de la Bicoquette, Mademoiselle Adélaîde, Monsieur le Marquis de Cinq-Arpens et Monsieur de Podolie.
SCÈNE IV. Monsieur Pot-De-Vin, Les Quatre Personnages annoncés. §
MONSIEUR POT-DE-VIN, s’avançant vers Madame la Comtesse.
Mon coeur...
MADAME LA COMTESSE.
En vérité, Monsieur Pot-de-vin, vous êtes trop honnête : on ne s’attend pas à être reçu avec autant de grâce.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Oh ! Assurément, Madame plaisante : je ne suis point gracieux ; mais j’ai du goût et de la franchise. Cela suffit pour vous trouver charmante et pour vous le dire. Il ne manque à mon bonheur que d’avoir un Palais à offrir à Madame la Comtesse.
LE MARQUIS.
Bon ! Un Palais ! Il n’y a rien de si triste, Monsieur Pot-de-vin : une maison petite et commode est cent fois plus agréable.
LA COMTESSE.
Il est certain que vous auriez tort, mais le plus grand tort, Monsieur Pot-de-vin, de vous plaindre de la manière dont vous êtes logé ; c’est une retraite délicieuse.
MONSIEUR POT-DE-VIN. Même Air.
La bonne santé de Mademoiselle Adélaïde ajoute encore à ma satisfaction ; je craignais de n’avoir pas l’honneur de la voir: elle devrait se dissiper, s’égayer ; oui, en peu de temps, vous seriez tout-à-fait bien.
MADEMOISELLE ADÉLAÏDE.
Vous me faites une querelle d’Allemand, Monsieur Pot-de-vin; je ne suis point triste, et je n’ai jamais eu moins envie de l’être.
MONSIEUR POT-DE-VIN, achevant le Couplet.
Ces Messieurs ne voudraient-ils pas boire un doigt de vin, en attendant le souper ? Ils en seront bien les maîtres; car, pour le coup, j’ai la clé de la cave.
LE MARQUIS.
Pour moi, je vous rends mille graces... Monsieur de Podolie ne vous refusera peut-être point.
MONSIEUR DE PODOLIE.
Je vous demande pardon, Monsieur le Marquis; je ne bois jamais entre mes repas.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Monsieur de Podolie regarde tout ceci en pitié, lui dont les yeux sont accoutumés au faste des Seigneurs Polonais.
MONSIEUR DE PODOLIE.
4Je vous jure, Monsieur Pot-de-vin, qu’à mon gré vous êtes plus heureux que le Grand Maréchal de la Couronne. Je pense comme Monsieur le Marquis. De riches tapis, des appartemens vastes, des esclaves infortunés peuvent-ils contribuer à notre bonheur ? C’est la société qui fait le prix du lieu que l’on habite, et parmi nous autres gourmands, la bonne chère, inconnue en Pologne, est aussi comptée pour quelque chose. On ne mange ni les Héducs, ni les Gardes du Maître de la maison.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Monsieur de Podolie a raison.
Mais, eh! mais...Eh! bon Dieu!
SCÈNE V. Les mêmes Personnages, Madame Pot-de-Vin, Monsieur L’Abbé Patelin. §
MADAME POT-DE-VIN.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Madame, je vais les chercher dans toutes mes poches.
MADEMOISELLE ADÉLAIDE, bas à Monsieur de Podolie.
MADAME POT-DE-VIN, à son Mari.
Finirons-nous ?
MONSIEUR POT-DE-VIN, tirant différentes clés.
Voici la clé de l’office, et puis celle du garde-meuble, et puis celle du fruitier...
MADAME POT-DE-VIN.
Et la clé de la cave ? Il fallait commencer par elle.....
MONSIEUR POT-DE-VIN, à part.
Oh ! Voilà bien le Diable!
Permettez, je vous en prie, ma chère femme.
MADAME POT-DE-VIN.
Comment, Monsieur ! Vous vous le faites dire deux fois ! J’ai de la patience, cela est vrai : mais il est des circonstances où elle échappe... Tenez, Monsieur Pot-de-vin, n’achevez pas de me pousser à bout.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
Eh ! Mon Dieu ! Madame, prenez ; et, sur toutes choses, la paix: écoutez ma justification.
MADAME POT-DE-VIN.
Qu’appellez-vous de la colère ? Ah ! Si j’en avais, je ne me posséderais pas comme je fais, et votre perruque, Monsieur Pot-de-vin, ne serait plus sur votre tête.
Je me corrigerai, je me corrigerai à l’avenir ; si je vous eusse traité avec un peu moins de complaisance, vous ne manqueriez pas à un devoir aussi essentiel... Vous seriez venu trente fois pour une à Séves, savoir si j’y étais.
LA COMTESSE, au Marquis, à part.
La surprise m’a pétrifiée au point de pouvoir à peine ouvrir la bouche.
LE MARQUIS, à la Comtesse.
C’est de l’excellent comique. Oh ! En honneur ! Ce ne peut pas être là Madame Pot-de-vin ; ce sont bien ses traits ; mais vous verrez que ce sera quelqu’homme travesti, et caché sous un masque qui rend à merveille toute sa laideur.
LA COMTESSE, à part, à sa Société.
Je n’y tiens pas, cela est excédent.... Cette bourgeoise nous connaît et se conduit ainsi ! Elle se moque de nous, sortons.
LE MARQUIS.
Je suis à vos ordres.
MADEMOISELLE ADÉLAÏDE.
Il y a longtemps que je voudrais être dehors.
MONSIEUR DE PODOLIE.
Ah ! Mesdames, par grâce demeurez ; ce malheureux homme serait au désespoir...
LA COMTESSE, finissant cet A parte.
Voyons donc ce que cela deviendra.
MADAME POT-DE-VIN,
Demandez à mon neveu ce que j’ai souffert : il me donnait le bras ; j’aurais pris aussi le vôtre, imbécille, et j’eusse été bien moins fatiguée... Je fais mes excuses à ces Dames et à ces Messieurs ; l’agitation dans laquelle vous m’avez mise, m’a empêchée de les saluer plutôt.
LA COMTESSE.
Nous ne nous en sommes aperçus, Madame, que par l’intérêt que nous avons pris à l’aventure désagréable qui vous est arrivée.
MONSIEUR L’ABBÉ PATELIN.
Désagréable au possible, Madame.
MONSIEUR POT-DE-VIN.
6Peste soit du butor ! Mais il faut filer doux.
Qu’à cela ne tienne, pourvu que je ne sois plus grondé; que nous soupions bien, et que la compagnie soit contente.
LE MARQUIS.
Peut-on sans indiscrétion vous demander, Madame, l’histoire des lits jumeaux ; elle doit être intéressante.
MADAME POT-DE-VIN.
Cela est tout simple. Nous avons chacun notre lit dans la même chambre, et ils sont jumeaux... Vous savez mieux que personne, Monsieur le Marquis, que les femmes et les maris d’une certaine façon ne couchent plus ensemble... Il a fallu s’assujettir à l’usage ; mais on y déroge quelquefois et ce souvenir-là est une petite gaillardise de Monsieur Pot-de-vin, qu’il aurait dû réserver pour un autre temps.
LE MARQUIS.
Votre morale est trop sévère, Madame Pot-de-vin, c’est une misère exactement, dont personne ne peut se formaliser.
MADAME POT-DE-VIN.
Vous êtes trop aimable, Monsieur le Marquis ; Vous ne perdez jamais l’occasion de dire une chose honnête.
MADEMOISELLE ADÉLAÏDE, à part à la Comtesse.
La Maman de Madame Pot-de-vin ; c’est un trait de mémoire unique : car il y a quarante ans que la bonne femme doit être morte.
MONSIEUR DE PODOLIE, à part, à Madame la Comteesse et à Mademoiselle Adélaïde.
J’espère, Mesdames, que vous ne serez point fâchées d’être restées. L’arrangement des lits, les douceurs de Monsieur le Marquis ; voilà pour Madame Pot-de-vin de l’utile et de l’agréable ; son front est déjà plus serein.
SCÈNE DERNIÈRE. Les Personnages Précédents, Babet. §
BABET.
Madame est servie.
MADAME POT-DE-VIN.
Monsieur Pot-de-vin, suppliez Madame la Comtesse d’accepter votre main, Mademoiselle Adélaïde prendra celle de Monsieur de Podolie.
LE MARQUIS, offrant sa main à Madame Pot-de-vin.
Et moi, Madame, je vous demanderai la même grâce.
MADAME POT-DE-VIN, l’acceptant.
Monsieur le Marquis, c’est bien de l’honneur que vous me faites.
L’Abbé, fermez la porte...
L’ABBÉ.
Oui, ma chère Tante.