SCÈNE II. Madame de Saint-Franc, d’Inville, Sophie. §
MADAME DE SAINT-FRANC.
Embrasse-moi, viens, ma Sophie.
SOPHIE.
Ah ! Madame, j’aurais bien dû vous prévenir ;
25 Vous me voyez confuse....
MADAME DE SAINT-FRANC.
Vous me voyez confuse.... Et moi, je suis ravie.
Mon enfant, nous avions arrangé la partie,
Et te surprendre, était notre plaisir.
D’INVILLE.
Ah ! D’Inville ! Excusez.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Ah ! D’Inville ! Excusez. C’est l’amour qui t’éveille.
Penses-tu donc qu’un tendre amant,
30 Si près de toi paisiblement sommeille,
Le jour de son bonheur ? Car enfin, men enfant,
Le voici le grand jour !
D’INVILLE.
Le voici le grand jour ! Ah ! Madame, ah ! Sophie !
Ce sera le plus beau, le plus cher de ma vie !
Nous ne saurions former de plus doux noeuds,
35 Sous des auspices plus heureux.
C’est aujourd’hui, que, guidé par l’usage,
La nature, ou le coeur, les parents, les amis,
Dans leurs embrassements vont se donner le gage
Du tendre sentiment qui les a réunis....
40 Par un lien bien plus durable,
Ce jour, assemblant nos deux coeurs,
Va commencer le cours des plus belles ardeurs,
Et d’un bonheur inaltérable !
Permettez-vous que ce présent
45 De mon amour soit le premier hommage ?
Acceptez-le.
Il lui offre un petit écrin, Sophie hésite à le recevoir.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Acceptez-le. Prends, mon enfant ;
C’est le présent de noce.
D’INVILLE.
C’est le présent de noce. Et dans ce jour, l’usage
Doublement m’autorise.
SOPHIE.
Doublement m’autorise. Oh ! S’il vous plaît, laissons
Ce mot ; j’imite votre père,
50 Qui ne peut le souffrir. Je veux bien, pour vous plaire,
Le passer aujourd’hui ; mais, du moins, promettons
Qu’il ne sera jamais rien dans notre ménage.
En dépit de l’usage, il faudra constamment
M’aimer encore après le mariage.
D’INVILLE.
55 Ah ! pourriez vous en douter un moment ?
Vous régnez pour toujours sur mon âme fidèle ;
L’hymen, l’amour et vos attraits,
Vous seront les garants d’une flamme éternelle.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Mes chers enfants, soyez tous deux en paix.
60 Je réponds que vos coeurs ne changeront jamais.
Mais nous avons des visites à faire,
Allons nous préparer.
D’INVILLE.
Allons nous préparer. Mon père
Ne viendra-t-il pas avec nous ?
MADAME DE SAINT-FRANC.
Oh ! votre père est bizarre en ces goûts.
65 Il tient toujours à la franchise,
Aux simples moeurs de son pays ;
La politesse de Paris,
Notre civilité, lui semble une sottise,
Et parmi nous il veut vivre à sa guise.
70 Mais, laissez-moi. Je vais, si je puis, le gagner.
Les Jeunes Gens sortent. Madame de Saint-Franc ouvre la porte du fond, Saint-Franc sort vêtu d’une capote à la Hollandaise et en négligé.
SCÈNE III. Monsieur et Madame de Saint-Franc. §
MADAME DE SAINT-FRANC.
Eh quoi ! Monsieur Saint-Franc, votre lenteur m’assomme.
Nous recevons du monde, et vous restez ainsi !
De grâce, habillez-vous.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
De grâce, habillez-vous. Moi, je n’attends personne ;
Et je me trouve bien.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Et je me trouve bien. Mais du moins, mon ami,
75 Vous attendez votre Notaire....
Pour ce contrat ; il va se rendre ici.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Eh bien ! nous signerons, voilà tout le mystère,
Et nos enfants seront heureux.
Le moment fortuné qui doit combler leurs voeux,
80 Dépend de notre coeur, de notre signature ;
Pour leur bonheur, qu’importe ma parure ?
MADAME DE SAINT-FRANC.
Soit. Mais le jour de l’An nous impose un devoir.
Il faut se visiter, se voir.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Oh ! nous sommes encor sur la cérémonie !
85 Je ne vous comprends point. Quelle étrange manie !
Courir pour voir des gens qu’à peine l’on connaît ;
Se déguiser près d’eux par intérêt ;
Beaucoup parler pour ne rien dire,
Se caresser en voulant se détruire ;
90 Une heure ou deux s’être ennuyés
D’un inutile bavardage,
Et se quitter, après s’être payés
D’un fade compliment ! Le voila, cet usage
Qui fait tourner la tête aux trois quarts de Paris !
95 Eh ! morbleu, d’en parler j’ai déjà la migraine.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Quoi ! selon vous, Monsieur, ce n’est donc pas la peine
D’aller visiter ses amis ?
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Ses amis ! À quoi bon ? L’amitié nous dispense
Des devoirs importuns. Elle lit dans les coeurs ;
100 Et ne s’arrête point à la vaine apparence
Qui masque trop souvent des dehors imposteurs.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Mais de voir ses parents, l’usage est raisonnable.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
L’usage ! Ah ! De ce mot osez-vous vous servir ?
Et le prononcer sans rougir !
105 Du sentiment quel abus condamnable !
N’est-ce donc qu’aujourd’hui qu’en nos coeurs dépravés
Devrait parler la voix de la nature ?
Ses droits dans tous les temPs dans nos âmes gravés,
Devraient de nos plaisirs être la source pure.
110 Si les enfants, les pères, les époux
Connaissaient bien le prix des noeuds qui les unissent,
Si leurs coeurs pénétrés des transports les plus doux,
Savaient goûter les biens dont ils jouissent,
Les jours seraient égaux pour nous ;
115 Et l’on verrait bientôt la froide politesse
Et l’usage ennuyeux, remplacés et bannis
Par le bonheur et la tendresse.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Oui. Vous avez raison, Je suis de votre avis.
Mais si quelque chose est capable
120 De nous faire sortir d’un oubli si coupable,
Ce doit être l’attrait de la société.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Bon ! Encore un terme inventé,
Pour abuser et pour séduire !
Mais, entre nous, que veut-il dire ?
MADAME DE SAINT-FRANC.
125 Quoi ! Vous ne croyez pas à ce charme puissant
Qui l’un vers l’autre nous entraîne,
Qui, du plaisir formant la douce chaîne,
Nous réunit par le penchant,
Et de tout l’univers ne fait qu’une famille ?
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
130 Oui. La société nous promet des douceurs,
On nous la peint des plus belles couleurs.
D’un vif éclat le tableau brille
A nos yeux éblouis ; mais nos coeurs corrompus
Négligent ses devoirs, s’arrêtent aux abus.
135 Vous, croyez vous aimer ! Insensés que vous êtes !...
Si l’on pénétrait bien dans les raisons secrètes,
Qui rassemblent souvent les trois quarts des humains
Sous les dehors trompeurs et vains,
D’attachement, de politesse,
140 Que l’on trouverait peu de sincère tendresse !
On verrait dans les uns le projet médité
De se faire applaudir d’un mérite emprunté ;
Dans les autres, tous fiers d’étaler leur richesse,
Une insultante vanité ;
145 Dans celui-ci, l’espérance et l’adresse
De vous porter à le servir ;
Dans celui-là qui songe à vous trahir,
Vous ne trouveriez que l’envie
De déguiser sa perfidie....
150 En un mot, on verrait par-tout
La curiosité mise en place du goût ;
Bien moins de sentiments que de coquetterie ;
N’écouter que l’orgueil pour placer un bienfait ;
Trop souvent le propos démenti par l’effet ;
155 Sacrifier tout à la jalousie ;
Et chaque jour pour un vil intérêt,
L’amitié dans nos coeurs étouffée et trahie.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Sur la société vous déclamez en vain.
C’est en Philosophe chagrin
160 Que vous la décriez ; mais malgré votre envie,
Elle sera toujours le charme de la vie.
Eh ! S’il vous plaît, que devenir
Sans elle ? Où prendre.... où chercher le plaisir ?
Sans cesse confiné dans le fond d’un ménage,
165 On périrait d’ennui, l’on deviendrait sauvage !
Mais on fait choix de quelques vrais amis,
À qui le coeur donne la préférence,
Dont tous les goûts aux nôtres font unis
Par le rapport d’humeur, ou par la complaisance :
170 On se visite tour-à-tour ;
On raisonne entre soi des nouvelles du jour ;
Est-on las de causer ? on fait une partie ;
Par mille nouveaux jeux on charme ses loisirs :
Sans user les désirs, sans cesse on les varie,
175 Et la tristesse fuit sur l’aile des plaisirs.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Eh bien ! pensez, ma femme, à votre fantaisie.
Cherchez, voyez la compagnie ;
Pour mieux vous amuser, fréquentez l’univers ;
Et si vous le pouvez, riez de ses travers.
180 Je verrai vos plaisirs, sans leur porter envie.
Mais aussi, quand je cède à votre volonté,
Permettez-moi du moins de vivre en liberté.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Sont-ce-là les leçons de la Philosophie ?
Vous m’en donnez mauvaise opinion.
185 J’aurais pensé qu’en toute occasion,
Par des principes respectables,
Elle apprenait à l’homme à chérir ses semblables.
Mais vous, sans cesse occupé de les fuir,
Bien loin de les aimer, vous semblez les haïr.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
190 Non. Je ne les hais point. Jamais la basse envie,
Ni l’inquiète jalousie,
N’ont de leur fiel amer empoisonné mon coeur ;
Mais trop instruit par le malheur,
Je connais les humains, les crains, et m’en défie.
195 Victime, ainsi que moi, de leur malignité,
Oubliez-vous leurs torts et leur perversité ?
Lorsque l’hymen nous unit l’un à l’autre,
Quand je quittai mon pays pour le vôtre,
Je vous sacrifiai mes goûts ;
200 Tous mes penchants furent réglés par vous ;
Je fréquentai, je suivis pour vous plaire
Cette société qui vous était si chère ;
J’eus le malheur, enfin, de croire à vos amis.
Quel fut le fruit de cette complaisance ?
205 Bientôt par tous nous nous vîmes trahis.
Sur l’espoir séducteur d’une fausse apparence,
On m’embarque en un vain projet,
Dont ma ruine était l’objet ;
Je pars pour l’Amérique, et pendant mon voyage
210 De ma fortune on se fait le partage.
On s’accorde à me perdre ; et des uns rançonné,
Par les autres surpris, de tous abandonné,
Excepté de d’Herbain le père de Sophie,
A qui je dois peut-être et l’honneur et la vie.
215 De mes fonds dispersés ne me voyant plus rien,
Redoutant les effets d’une injuste poursuite,
Je me vis obligé de leur laisser mon bien,
Et de chercher mon salut dans la fuite.
J’aimais alors cette société,
220 Et dupe comme vous, j’en étais enchanté.
Cette cruelle expérience
A dessillé mes yeux, a détrompé mon coeur ;
Et j’ai perdu, grâce à mon imprudence,
Et ma fortune et mon erreur.
MADAME DE SAINT-FRANC.
225 Je suis loin de blâmer l’ardeur qui vous anime ;
Votre courroux est légitime.
On se repent souvent de sa facilité ;
C’est, sans doute, un défaut que la crédulité....
Mais faut-il donc, injustes que nous sommes,
230 Pour quelques scélérats condamner tous les hommes ?
Quoique j’aie éprouvé de leur méchanceté,
Mon coeur se plaît encor à croire à la bonté....
Pour aujourd’hui, du moins, je vous demande grâce.
De nos malheurs passés que la funeste trace
235 Ne trouble point ce jour d’un triste souvenir.
Je l’ai promis tout entier au plaisir
D’unir nos chers enfants ; Sophie est notre fille.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Oui, ma femme, elle l’est ! Ah ! L’enfant d’un ami
Est toujours de notre famille !
240 Son père avec moi fut uni
Par un lien bien tendre ! Et depuis quinze années
Que dans l’Inde je l’ai laissé,
J’ignore en tout ses destinées.
Mais d’Herbain de mon coeur ne peut-âtre effacé.
245 Sans doute il a perdu la vie :
C’est à nous de le remplacer,
En travaillant au bonheur de Sophie.
Ah ! de fortune on peut donc se passer ?
Je me plaignais au sort de sa rigueur extrême ;
250 Mais je n’ai rien perdu, quand il reste un bon coeur ;
En faisant des heureux, on l’est encor soi-même.
SCÈNE IV. Monsieur et Madame de Saint-Franc, leur jeune fils et son précepteur. §
PRUD’HOMME, d’un ton pédant.
Monsieur, Madame, avec empressement,
Je vous rends mes devoirs. Voici la jeune plante
Que vous avez commise à mon soin vigilant ;
255 Selon votre désir je vous la représente.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Bon jour, Monsieur Prud’homme ; et toi, mon cher enfant,
Vient m’embrasser.
PRUD’HOMME, retenant le Petit.
Vient m’embrasser. Ah ! permettez, Madame,
Que mon Disciple auparavant
Vous fasse voir que dans son âme,
260 Il a su profiter des sages documents...
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, à part.
Morbleu ! par ses grands mots ce pédant-là m’assomme.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Je vous entends, Monsieur Prud’homme ;
Vous avez pour mon fils fait quelques compliments ?
PRUD’HOMME.
Oui, Madame, sans doute ; et de ses sentiments,
265 Comme un miroir fidèle, en vous offrant l’image,
Sa mémoire à l’instant va vous donner un gage.
Allons, Monsieur Saint-Franc, récitez.
LE PETIT, d’un ton d’Écolier.
Allons, Monsieur Saint-Franc, récitez. « Tout ainsi
Qu’au retour de la saison la plus belle,
Le Papillon sur la rose nouvelle,
270 Vient voltiger ; de même aussi
Qu’aux pays chauds, sur l’indigne rivage,
Au lever du soleil nous voyons l’Éléphant
Venir lui rendre son hommage ;
Tout de même mon coeur....»
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, impatienté, l’interrompt.
275 Morbleu ! Quel verbiage
Allons au fait. Dis, mon enfant,
M’aimes-tu, sans tant d’étalage ?
LE PETIT, courant à son père, et d’un ton naïf.
Ah ! Mon papa, de tout mon coeur.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, le serrant dans ses bras.
Eh ! Ventrebleu, voilà, Monsieur,
280 Voilà la plus superbe phrase
Qu’un père puisse entendre ! Embrasse moi, mon fils.
Au Précepteur.
Eh ! croyez-moi, Monsieur, tous vos discours bouffis
D’une ennuyeuse et sotte emphase,
Vos papillons, vos éléphants,
285 Ces mots dont à grands frais vous cherchez la tournure,
Ne vaudront jamais à mon sens,
Le plus simple de ceux qu’inspire la nature.
PRUD’HOMME.
Mais, Monsieur, d’un jeune homme on doit orner l’esprit ;
Ce sont des fleurs de Rhétorique,
290 Que nos meilleurs auteurs ont su mettre à profit.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Sans doute, mon ami.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Sans doute, mon ami. Ma femme, je m’explique.
Je voudrais qu’avant tout on cultivât le coeur,
Et que l’esprit sur lui n’eût pas la préférence ;
Qu’au lieu de fatiguer l’enfance
295 D’un jargon rebutant, un sage Précepteur
S’occupât de ses moeurs plus que de l’éloquence.
Eh ! que m’importe à moi que mon fils soit Docteur ?
Je veux d’abord qu’il soit honnête homme et qu’il pense ;
Qu’il sache ses devoirs, qu’il aime ses parents ;
300 Et surtout, je vous le répète,
Que, pour bien m’expliquer ses tendres sentiments,
La nature en tout temps soit son seul interprète.
PRUD’HOMME.
Mais, Monsieur, pour bien faire, on doit toujours unir
L’agréable à l’utile ; et comme a dit Horace :
305 Omne tulit punctum...
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Ah ! Mon cher Monsieur, de grâce.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Oui, voilà l’heure où nous devons sortir ;
Cessons ce discours qui le pique.
Pour moi, je tiens toujours aux fleurs de Rhétorique.
À Monsieur de Saint-Franc.
310 Mon ami, je vous laisse, et j’emmène mon fils.
Venez, Monsieur Prud’homme.
PRUD’HOMME.
A vos ordres je suis,
Madame ; disposez de mon humble personne.
À Monsieur de Saint Franc.
Monsieur, je suis de même à vos commandements.
Il s’en va avec Madame de Saint-Franc.
SCÈNE VI. Monsieur de Saint-Franc, D’Inville. §
D’INVILLE.
Mon père, avec votre Notaire,
Pour signer mon contrat, ma mère vous attend.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
335 Mon fils, demeurez un instant.
Causons ensemble, et que le sein d’un père
De vos secrets soit le dépositaire ;
Dans votre coeur sentez-vous bien le prix,
L’importance des noeuds où ce jour vous engage ?
340 Je sais trop bien qu’en ce pays
Où la mode fait tout, l’hymen est un usage.
Plutôt qu’un sentiment. Un jeune homme peu sage,
Aveuglé par le tourbillon,
Entraîné par l’exemple et par le feu de l’âge,
345 S’engage sans réflexion,
Donne sa main par imprudence,
Et se repent après par inconstance.
D’INVILLE.
Eh quoi ! mon père, en ce moment
Blâmez-vous donc mon amour pour Sophie ?
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
350 Non, mon fils, en tout point Sophie est accomplie.
Elle mérite bien tout votre attachement.
Mais à votre âge on se trompe aisément
Sur l’état de son coeur. On prend pour la tendresse
Un feu léger, transport de la jeunesse,
355 Qui brille et qui s’éteint. Prenez garde sur-tout,
Que votre déférence, aux volontés d’un père,
N’ait point uniquement décidé votre goût,
Et ne vous porte point à faire
Le sacrifice amer de votre liberté....
360 Épouser un objet dont on est enchanté,
N’avoir tous deux qu’un sentiment, qu’une âme,
Oui, mon fils, c’est le comble du bonheur !
Mais si loin de brûler d’une constante flamme,
A des goûts passagers on a livré son coeur,
365 Ah ! bientôt revenu de son ardeur frivole,
Le dégoût suit, l’amour s’envole.
La chaîne alors se fait sentir,
Et du ménage exilant le plaisir,
De l’hymen aux époux ne fait plus qu’un supplice.
D’INVILLE.
370 Ah ! Mon père, le Ciel à nos voeux plus propice,
Écartera de nous ces tableaux odieux ;
Les attraits de Sophie ont su charmer mes yeux ;
Mais c’est par ses vertus qu’elle règne en mon âme.
SCÈNE IX. D’Inville, Le Valet. §
LE VALET, à part.
405 Ce poulet cause ici
1
Ce poulet cause ici Bien du grabuge.
D’INVILLE, à part.
Hélas ! Pour me confondre,
Quel démon envieux a pu troubler mon sort ?
LE VALET, à part.
La Lettre s’adressait au père,
J’ai bien peur que le fils n’en acquitte le port.
D’INVILLE, à part.
410 Contraignons-nous. Retenons ma colère.
Ce Valet peut m’instruire, il faut l’interroger.
LE VALET, à part.
Il va chercher à me faire jaser,
Allons, tâchons de nous remettre.
Le pis-aller est de mentir.
D’INVILLE.
415 Écoute, mon ami....
LE VALET, à part.
Écoute, mon ami.... Bon ! Je le vois venir.
LE VALET.
Dis-moi.... Quoi, Monsieur ?
D’INVILLE.
Dis-moi.... Quoi, Monsieur ? Cette Lettre
Est de ton Maître ?
LE VALET.
Est de ton Maître ? Non, Monsieur.
D’INVILLE.
Non ? Mais c’est un rival qui seul a pu l’écrire ?
D’INVILLE.
420 Comment ! Non ? Traître, il faut tout me dire.
C’est un jeune homme, enfin ?
D’INVILLE.
Non, Monsieur. La fureur
Me transporte. Dis tout, ou c’est fait de ta vie.
LE VALET.
Ah ! Monsieur, de mourir je n’ai pas trop d’envie.
D’INVILLE.
425 Parleras-tu ?
LE VALET.
Parleras-tu ? Que dirai-je ?
D’INVILLE.
Parleras-tu ? Que dirai-je ? Conviens
Que cette Lettre est de ton Maître.
D’INVILLE.
Oui, Monsieur. D’un jeune homme ?
LE VALET.
Oui, Monsieur. D’un jeune homme ? Oh ! non.
D’INVILLE, menaçant.
Oui, Monsieur. D’un jeune homme ? Oh ! non. Quoi ! Non ?
LE VALET, qui a peur du geste.
Oui, Monsieur. D’un jeune homme ? Oh ! non. Quoi ! Non ? Eh bien !
Oui, Monsieur.
D’INVILLE.
Oui, Monsieur. D’un rival ?
LE VALET.
Oui, Monsieur. D’un rival ? Non.
D’Inville lui fait peur.
Oui, Monsieur. D’un rival ? Non. Oui, Monsieur.
D’INVILLE.
Oui, Monsieur. D’un rival ? Non. Oui, Monsieur. Ah ! traître,
Tu mourras.
Il tire son épée.
LE VALET.
Tu mourras. Ah ! Monsieur, épargnez un chrétien,
430 Que les Turcs, les écueils, la mer et la tempête,
Ont respecté.
D’INVILLE.
Ont respecté. Ton Maître est mon rival ?
LE VALET.
Eh ! non, Monsieur ; vous entendez fort mal.
Et ce rival n’est que dans votre tête.
Mon Maître est un jeune homme au moins de soixante ans,
435 Qui n’est dans ce pays que depuis peu d’instants,
Qui, ce matin en écrivant sa lettre,
N’a fait que sangloter ; et je puis vous promettre
Qu’il ne vient pas ici pour être dangereux.
D’INVILLE.
Mais quel est-il, enfin ?
LE VALET.
Mais quel est-il, enfin ? Nous revenons tous deux
440 De l’Amérique ; il a des biens immenses,
Et moi, de grandes espérances
Sur sa succession.
D’INVILLE.
Sur sa succession. N’a-t-il point de parents ?
LE VALET.
Non, Dieu merci. Pourtant de sa famille,
Si le diable s’en mêle, il lui reste une fille.
D’INVILLE, avec émotion.
445 Une fille, dis-tu ?
LE VALET.
Une fille, dis-tu ? Du moins, depuis quinze ans,
Il la cherche et la pleure. On n’en a nulle trace,
Et le Ciel me fera la grâce....
D’INVILLE, à part.
Ah ! Si c’était.... Hélas ! Pour mon bonheur,
Quel espoir consolant dans mon coeur vient de naître !
SCÈNE XI. Monsieur de Saint-Franc, D’Inville, Madame de Saint-Franc, Sophie parée pour sortir. §
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, à d’Inville.
Et dites-lui que je l’attends. Mon fils,
Vous ne pensez donc plus à nos visites ?
D’INVILLE.
Ah ! Madame, ah ! Sophie, aurions-nous pu prévoir....
Que ce beau jour eût eu de si funestes suites ?
Une Lettre fatale a déçu notre espoir.
MADAME DE SAINT-FRANC.
460 Expliquez-vous.
SOPHIE, à part.
Expliquez-vous. Je tremble.
D’INVILLE, à Sophie.
Expliquez-vous. Je tremble. Hélas ! Mon père
Ne consent plus à nous unir.
MADAME DE SAINT-FRANC, à son mari.
Serait-il vrai, Monsieur ?
D’INVILLE.
Serait-il vrai, Monsieur ? Sophie, et vous, ma mère,
Secondez-moi pour le fléchir.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Votre douleur me désespère ;
465 Mes chers enfants, n’accusez point mon coeur,
À vos chagrins il n’est que trop sensible ;
Il a voulu toujours, il veut votre bonheur ;
Mais cet hymen me devient impossible.
D’INVILLE.
Hélas ! Ah ! C’est vouloir ma mort.
MADAME DE SAINT-FRANC.
470 Mais...
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Mais... Bénissez ce jour, Sophie,
C’est le plus beau de votre vie.
Lisez.
Il lui donne la lettre.
SOPHIE, lit, et change de ton à mesure : avec curiosité d’abord, ensuite avec intérêt.
« J’apprends en ce moment, mon cher Van-Regth, que tu demeures à Paris, sous le nom de Saint-Franc.
C’est ce changement de pays et de nom qui t’a empêché de recevoir mes Lettres, et mes voyages continuels m’ont privé des tiennes.
Mais, enfin, nous allons nous revoir.
J’ai gagné des biens considérables, et je t’apprendrai des choses bien intéressantes.
Puisses-tu de même porter la consolation dans le coeur d’un père !
Ici commence le grand intérêt de Sophie.
« On m’a dit que toi seul pourrais me donner des nouvelles d’une fille que je regrette depuis quinze ans....
Ah !
Mon ami, si le Ciel me l’a conservée, je viens lui proposer un époux digne d’elle,
Ici sa voix s’affaiblit, en regardant d’Inville qui fait un mouvement de douleur.
« Et j’aurai le plaisir de leur partager ma fortune.
Mais, hélas !
Je ne dois plus peut-être espérer ce bonheur ; et le destin cruel qui m’a ravi mon épouse, m’aura, sans doute, encore enlevé ma fille.»
Ici les sanglots de Sophie lui doivent couper la voix.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, la prenant avec chaleur dans ses bras.
Lisez. Non, mon ami, j’ai veillé sur son sort.
Mon coeur a remplacé le coeur d’un tendre père.
Elle existe pour toi cette fille si chère ;
475 Oui, Sophie, à l’instant il va vous embrasser ;
Dans ses bras paternels il pourra vous presser.
Vous allez essuyer ses larmes ?
Dans ce moment, pour lui rempli de charmes,
Je perds les droits que j’eus sur vous,
480 Et la nature en reprend de plus doux !
SOPHIE, avec transport et attendrissement.
Ah ! Sophie ! Ah ! Monsieur ! Quoi ! Je vais voir mon père !
Ô Ciel ! Oui, c’est là le bonheur
Que ce matin me présageait mon coeur !
MADAME DE SAINT-FRANC.
Pourquoi donc nous troubler ? Loin de gâter l’affaire,
485 Le retour de Monsieur d’Herbain
Devrait hâter ce mariage.
Nous sommes assurés d’obtenir son suffrage.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Mais, vous voyez qu’il a disposé de sa main.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Projet fait au hasard, puisqu’enfin il ignore
490 Si cette fille existe encore.
Unissons-les toujours. Comptez qu’en l’apprenant
L’hymen de votre fils ne pourra que lui plaire.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Qu’osez-vous proposer ? Moi ! que je prive un père
Du plaisir de régler le sort de son enfant !
495 Et, qu’abusant ainsi de mes faibles services,
Je les fasse payer par de tels sacrifices !
Ah ! bien loin de mon coeur ce calcul d’intérêt,
Qui d’un plaisir d’ami ne fait plus qu’un vil prêt ;
D’un service rendu se promettre un salaire,
500 C’est avilir le prix du bien qu’on a pu faire.
Ah ! Renonçons plutôt à former ces liens.
Oui, Sophie autrefois, sans parents et sans biens,
Pouvait voir en d’Inville un époux convenable ;
Mais aujourd’hui Sophie, aussi riche qu’aimable,
505 Doit aspirer à des plus hauts partis.
SOPHIE.
Ah ! D’Inville ! Ah ! Monsieur ! Le coeur de votre fils
Est le plus beau pour moi ; c’est le seul que j’envie.
SCÈNE XVII. Madame Dormont, Monsieur d’Herbain. §
MONSIEUR D’HERBAIN.
Madame, pardonnez....
MADAME DORMONT, allant pour l’embrasser.
Madame, pardonnez.... Monsieur, de tout mon coeur.
MONSIEUR D’HERBAIN, se retirant par derrière.
Madame....
MADAME DORMONT.
Madame.... Eh bien ! parlez.
MONSIEUR D’HERBAIN.
Madame.... Eh bien ! parlez. Ne sauriez-vous me dire....
MADAME DORMONT.
Oui-dà ! Très volontiers. Asseyez-vous, Monsieur.
MONSIEUR D’HERBAIN.
Excusez-moi, je ne veux que m’instruire....
MADAME DORMONT.
550 Tout est perdu, Monsieur, tout est bouleversé ;
Nature, probité, tout, dis-je, est renversé ;
Il ne faut plus compter désormais sur personne.
MONSIEUR D’HERBAIN.
Ce que vous dites-là m’étonne.
Connaissez-vous Saint-Franc ?
MADAME DORMONT.
Connaissez-vous Saint-Franc ? Oh ! Oui, Monsieur, très bien.
555 Ce Saint-Franc est un fou, sa femme est une sotte,
Et d’Inville leur fils n’est qu’un méchant vaurien.
MONSIEUR D’HERBAIN, alarmé.
Est-il possible ? Ô Ciel !
MADAME DORMONT.
Est-il possible ? Ô Ciel ! Croyez vous qu’on radote ?
De ce que je vous dis, j’ai bonne caution.
Si vous saviez, Monsieur, quelle réception
560 Ils viennent de me faire !
MONSIEUR D’HERBAIN, revenant à lui.
Ils viennent de me faire ! Ils ont grand tort, Madame.
Mais, vous m’aviez troublé. Je craignais qu’à Saint-Franc
Il ne fut arrivé quelque triste accident,
Et vos discours ont alarmé mon âme.
MADAME DORMONT.
Comment ! Quelque accident, savez-vous bien, Monsieur,
565 Que, quoique je sois encor fille,
Il me doivent respect ; que je suis tante et soeur,
Et la plus vieille, enfin, de toute la famille ?
MONSIEUR D’HERBAIN.
Je le crois : mais, Madame, puis-je voir
Monsieur Saint-Franc ?
MADAME DORMONT.
Monsieur Saint-Franc ? Ah ! Monsieur, je soupçonne,
570 À l’air dont il a su me recevoir,
Qu’il n’est pas en humeur de parler à personne.
MONSIEUR D’HERBAIN.
C’est pour l’entretenir sur un point important.
MADAME DORMONT.
Eh bien ! attendez un instant,
Je vais vous le chercher. Aussi bien je m’apprête
575 À lui laver un peu la tête.
Oh ! Sa réception, je l’ai là sur le coeur.
Non content d’un accueil tout rempli de froideur,
Sans respect pour mon âge, il m’ose appeler folle !
Il la payera, Monsieur, j’en donne ma parole ;
580 Et de plus de vingt ans, à compter d’aujourd’hui,
Je ne mettrai les pieds chez lui.
Elle s’en va.
SCÈNE XX. Les Précédents, Monsieur de Saint-Franc, Madame de Saint-Franc, entrant avec chaleur. §
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, à M. d’Herbain.
Ma fille !... Oui, la voilà ; toujours dans ma famille
Je te l’ai conservée.
MONSIEUR D’HERBAIN.
Je te l’ai conservée. Ah ! Digne et tendre ami !
Bénissons le moment qui nous rejoint ici.
À Madame de Saint-Franc.
Madame, à nos désirs en ce jour tout prospère.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Se peut-il ?
MONSIEUR D’HERBAIN.
Se peut-il ? Vous savez la malheureuse affaire,
625 Où Saint-Franc eut jadis un si triste succès,
Et qui le contraignit à quitter l’Amérique ?...
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Eh bien !
MONSIEUR D’HERBAIN.
Eh bien ! J’ai fait revoir tout le procès,
J’ai fait casser le jugement inique
Qui t’avait condamné. J’ai sauvé ton honneur,
630 Et les débris de ta fortune ;
Je les ai fait valoir depuis avec bonheur,
Sans éprouver disgrâce aucune.
Bref, aujourd’hui ton bien monte à cent mille écus.
Il lui donne un porte-feuille.
Les voici. Reçois-les, sans discours superflus.
635 De l’Amitié ce sont là les Étrennes.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Ah ! Mon ami, je reconnais ton coeur ;
Et sans remerciement, sans des paroles vaines,
Le mien va s’acquitter au gré de son ardeur.
D’une épouse qui t’était chère,
640 À ses derniers moments j’ai reçu les soupirs ;
À ta fille quinze ans j’ai tenu lieu de père,
Et t’ai préparé les plaisirs
De la tendresse la plus pure.
Formée à la vertu, son âme est mon présent ;
645 Elle est digne de toi, ton ami te la rend :
C’est l’Étrenne de la Nature.
Il lui remet Sophie entre les bras.
SOPHIE, embrassant son père.
Ah ! mon père !
D’INVILLE, se jetant aux pieds de d’Herbain.
Ah ! mon père ! Ah ! Monsieur !
MONSIEUR D’HERBAIN, le relevant avec amitié.
Ah ! mon père ! Ah ! Monsieur ! Je vous entends.
Rassurez-vous, mes chers enfants.
En unissant ton fils avec ma fille,
650 Je ne crois rien changer à tes arrangements.
Reçois-nous tous les deux, Saint Franc, dans ta famille,
Et que tes bons amis deviennent tes parents !
À d’Inville.
Vous, Monsieur, de son père acceptez ma Sophie ;
Et pour couronner ce beau jour,
655 Que le coeur et la main d’une amante ? Chérie,
Soient les Étrennes de l’Amour.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC, l’embrassant.
Mon cher ami !
SCÈNE XXI et DERNIÈRE. Les précédents, Madame Dormont. §
MADAME DORMONT, à Saint-Franc.
Mon cher ami ! Comment ! Vous êtes là, mon frère ?
On vous cherche partout.
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
On vous cherche partout. Que voulez-vous, ma soeur ?
MADAME DORMONT.
Apercevant d’Herbain.
C’est un homme qui veut.... Ah ! vous voilà, Monsieur !
MONSIEUR D’HERBAIN.
660 Pour vous servir, Madame.
MADAME DORMONT.
Pour vous servir, Madame. Eh bien ! Quoi ! Cette affaire ?...
Parlez-lui donc.
MADAME DE SAINT-FRANC.
Parlez-lui donc. C’est fait, ma soeur.
MADAME DORMONT.
Parlez-lui donc. C’est fait, ma soeur. Ah ! Ah ! C’est fait.
Et ces enfants.... leur mariage ?
Quand le terminez-vous ? N’est-ce qu’un vain projet ?
MADAME DE SAINT-FRANC.
Tout est fini, ma soeur.
MADAME DORMONT.
Tout est fini, ma soeur. Comment donc, s’il vous plaît ?
665 Fini, sans m’en parler ! Sans avoir mon suffrage !
C’était pourtant le moins qu’on me fit cet honneur.
Mais, selon vous, je suis folle. Oh ! J’enrage !
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Pardonnez-moi ce mouvement d’humeur,
Qui troublait mon esprit, sans prendre sur mon coeur.
670 Un rien, souvent de l’homme le plus sage,
Altère la tranquillité.
Mais de ce digne ami, notre félicité
Dans un moment devient l’ouvrage.
MADAME DORMONT, à Monsieur d’Herbain.
Oh ! Pour le coup, Monsieur, embrassons-nous.
675 Vous me gagnez le coeur.
Elle l’embrasse.
MONSIEUR D’HERBAIN, l’embrassant.
Vous me gagnez le coeur. Madame, il m’est bien doux
D’avoir mérité votre estime.
MADAME DORMONT, voulant embrasser Monsieur de Saint-Franc.
Et vous, mon frère, encor me refuserez-vous ?
MONSIEUR DE SAINT-FRANC.
Votre transport est légitime,
Et mon coeur le partage.
Il l’embrasse.
MADAME DORMONT, aux autres alternativement.
Et mon coeur le partage. Allons, ma chère soeur,
680 Et vous, mes chers enfants... Quel plaisir ! quel bonheur !
Elle a embrassé tout le monde.
Ah ! je me reconnais.. Voilà de la tendresse !
Voilà du bon vieux temps la véritable ivresse.
C’est ainsi qu’autrefois les amis, les parents,
Réunis par d’heureux événements,
685 Se témoignaient leur allégresse !
Ils négligeaient les compliments,
Et préféraient une caresse :
Ils avaient bien raison. Ce sont les sentiments
Et les tendres embrassements
690 Qui savent honorer, par une marque sûre,
L’Amour, l’Amitié, la Nature.