M. DC. LXXXXIV.
Mise au Théâtre par Messieurs du F**, et B****.
ACTEURS §
- CROQUIGNOLET, Roi.
- ISMÉNIE, Fille du Roi. Marinette.
- OCTAVE, Prince, amant d’Isménie.
- ARLEQUIN, Valet d’Octave.
- LA NOURRICE d’Isménie. Mezzetin.
- LA FÉE, Conservatrice de l’honneur des Filles. Colombine.
- PIERROT, Valet de la Fée.
- SCARAMOUCHE, Prince des Ogres.
- UNE FÉE, chantante.
- TROUPE D’OGRES.
- UNE NYMPHE, changée en Papillon. La Chanteuse.
- UN BERGER, changé en Lanterne. Léandre.
- UN VIEUX, changé en Limaçon. Mezzetin.
- UNE DAME, changée en Pendule. Colombine.
SCÈNE I. Pierrot, Octave. §
PIERROT.
Hé bien, Monsieur, ne vous ai-je pas bien conduit ? La Fée qui m’a chargée de vous mener, m’a ordonné de vous laisser ici. Vous y serez fort bien, et vous n’y manquerez que de quoi boire et manger ; mais vous faites métier de Héros de Roman, et vous savez bien qu’il n’y a jamais eu d’Étape pour la nourriture des héros de Roman. Adieu, Monsieur.
OCTAVE.
Adieu, mon enfant, je te remercie.
PIERROT.
Bonsoir, Monsieur, je m’en vais.
OCTAVE.
Adieu mon enfant.
PIERROT.
N’avez-vous plus rien à me dire ? Je m’en vais, au moins.
OCTAVE.
Adieu, adieu.
PIERROT.
À propos, Monsieur, ma Maîtresse m’a dit comme ça, que si vous vouliez me donner quelque chose, je ne prisse rien.
OCTAVE.
J’entends le français, voilà un Louis pour boire à ma santé.
PIERROT.
Grand merci, Monsieur.
OCTAVE.
Mais parle donc, mon ami, tu dis que ta Maîtresse t’a défendu de rien prendre.
PIERROT.
Oh, c’est de la main gauche. Bonsoir, Monsieur.
SCÈNE II. Octave, Isménie. §
OCTAVE.
La Fée qui m’a envoyé ici m’a promis que j’y apprendrais des nouvelles de la Princesse que j’aime ; cependant je suis dans une solitude affreuse, et je n’y découvre rien. Le peu de courage d’Arlequin, et les enchantements des fées l’ont sans doute empêché de me suivre. Mais que vois-je ? Isménie enchaînée ? Courons la délivrer. Mais, par quel funeste lien me sens-je arrêté ? Je ne puis avancer.
ISMÉNIE sans apercevoir Octave.
Ô mort, funeste mort, ne viendras-tu pas finir le triste cours de mes infortunes ? Mais que vois-je, Octave ? Ah ! Octave, mon cher Prince, est-ce vous ?
OCTAVE.
Ah, ma Princesse !
ISMÉNIE.
Quoi ! Vous n’avancez point ; mes malheurs vous inspirent-ils du mépris pour moi ? Mais vous allez être dévoré par les Ogres. Voilà celui qui me garde qui s’éveille.
UN OGRE en s’éveillant.
Ah ! Qu’est-ce que j’entends ? Mais je sens la chair fraîche, qu’on le saisisse.
ISMÉNIE.
Arrêtez, barbares, arrêtez : que voulez-vous faire, respectez un Prince que j’aime plus que ma vie.
L’OGRE.
1Allons, allons, qu’on le mène au Cuisinier, et qu’on le mette au court-bouillon ; et pour vous, Madame, si vous l’aimez tant, on vous en servira un quartier à votre souper.
ISMÉNIE.
Ah ! Cruel, pouvez-vous...
L’OGRE.
2Bon, bon, voilà bien du fracas pour un petit homme à demi formé. À sa place vous aurez un mari double, triple, quadruple, un ogre, enfin. Oh si vous saviez ce que c’est que l’amour d’un ogre ! L’ogre mon maître vous épousera, et vous serez la Sultane Ogrine.
SCÈNE III. Arlequin, L’Ogre, Isménie, Une Fée. §
ARLEQUIN.
3Ohimé ! Je ne sais où je suis ? Je viens de rouler de ce Rocher en bas ; où trouverai-je mon Maître ?
L’OGRE.
Bon, bon, voici encore de la chair fraîche. Vite, qu’on le saisisse, et qu’on le fasse embrocher avec l’autre.
UNE FÉE.
Arrêtez, malheureux, arrêtez.
ARLEQUIN.
Oui, arrêtez, arrêtez-vous donc.
L’OGRE en s’en allant.
4Allez, Madame la Fée, vous avez beau faire le Diable à quatre, votre pouvoir expire aujourd’hui.
ARLEQUIN.
Ah, Madame la Fée, que je vous suis obligé ! Sans vous on m’allait embrocher. Mais ne pourriez-vous point me dire des nouvelles de ce que je cherche ?
LA FÉE.
Et que cherches-tu ?
ARLEQUIN.
Je cherche mon camarade que j’ai perdu en l’air.
LA FÉE.
Et qui est ton camarade ?
ARLEQUIN.
C’est un Prince de mes amis dont je porte les couleurs.
LA FÉE.
J’entends. Mais que venez-vous chercher dans ces lieux ?
ARLEQUIN.
LA FÉE.
5Je suis Fée de ma vacation. Je cours le pays sans bouger d’une place ; je vide les coffres sans les ouvrir, je fais perdre la honte aux débiteurs, et la mémoire aux créanciers ; je dors toute éveillée, et je me nourris d’air ; mais ma principale occupation est de voler incessamment au secours de l’honneur des filles.
ARLEQUIN.
Et vous arrivez quelquefois un peu trop tard, n’est-ce pas ? Pour moi je cours après celui de ma Maîtresse qui a été enlevée par un Ogre.
LA FÉE.
Conte-moi un peu cette histoire-là.
ARLEQUIN.
6 7Volontiers, vous allez apprendre ses aventures. Il était un Prince d’une coudée et demie de haut, qu’on surnommait Croquignolet, à cause de quantité de Batailles qu’il avait gagnées à coup de Croquignoles. Il avait épousé l’Infante Bichette, surnommée l’œil Pochée, à cause d’un coup de poing qu’il lui donna le premier jour de ses noces. L’Infante Bichette était héritière présomptive d’un Royaume que son Père avait envie de conquérir. Croquignolet eut de l’Infante une fille belle comme le jour, et dont il était si raffolé, qu’il passait les jours et les nuits à la bercer, en chantant ; Do do, l’enfant dort. Car c’était le Premier Prince du monde, et qui avait les plus beaux talents pour endormir les petits enfants.
LA FÉE.
Continue, j’ai entendu parler de cette histoire.
ARLEQUIN.
Il arriva qu’un jour Croquignolet allant à la chasse aux Dindons, il en prit un par la barbe : mais il fut tout surpris d’y voir une Fée à cheval qui lui parla ainsi ;
8LA FÉE, regardant Arlequin.
Un homme de toute pièce ?
ARLEQUIN.
12Oui un homme de toute pièce. Croquignolet épouvanté de la prédiction de la Fée, fit enfermer sa fille dans une grande Tour de fer ; mais un Ogre qui en était éperdument amoureux, sachant cela se fit faire d’abord une bague d’une pierre d’aimant, avec laquelle il attirait la Tour, et la faisait suivre après lui comme un petit chien barbet, et prit des bottes de sept lieues pour ne point être rattrapé. Des bottes de sept lieues à un Ravisseur de filles, le font aller bon train. Il y a cinq ans que nous suivons l’honneur de ma Maîtresse à la piste ; mais Madame, un honneur qui chemine depuis cinq ans avec des bottes de sept lieurs, met bien des fois des lévriers en défaut.
LA FÉE.
13Je t’ai déjà dit, que je protège l’honneur des filles ; mais mon pouvoir est limité, et je ne puis le conserver que jusqu’à l’âge de quinze ans et six minutes, et si c’est bien tiré.
ARLEQUIN, regardant sa montre.
14Quinze ans et six minutes ? Hélas, il ne s’en faut qu’une demie heure que ma maîtresse n’ait cet âge là ! L’honneur de ma maîtresse n’a plus qu’une demie heure à vivre, et l’aiguille avance toujours ? Ah malheureuse Isménie ?
LA FÉE.
Quoi ? C’est la Princesse Isménie que tu cherches.
ARLEQUIN.
Oui, Madame.
LA FÉE.
Je t’apprends qu’elle est dans cette caverne ; que je sauverai son honneur, et que tu es l’homme de toutes pièces qui doit la délivrer.
ARLEQUIN.
Tout de bon !
LA FÉE.
Je puis bien faire cela, puisque j’ai bien pu sauver la vie au Prince Octave, que j’ai changé en Rocher dans le temps qu’il allait être dévoré par les Ogres.
ARLEQUIN.
Ah, Madame, vous m’avez ruiné ! Il sera sourd à ma voix, quand je lui demanderai mes gages.
LA FÉE.
C’est une Fée plus puissante que moi, à qui je vais te présenter, je te donnerai un habit mystérieux, et une baguette enchantée pour délivrer ta Princesse. Tu la changeras en rocher quand l’Ogre voudra l’épouser, et tu lui rendras sa première forme quand tu verras arriver une Urne d’or. Mais voilà la Fée.
SCÈNE IV. Une Fée chante, Arlequin. §
LA FÉE, chante.
SCÈNE V. Un Ogre, Isménie, La Nourrice. §
L’OGRE.
Allons, Madame, voilà la Nourrice qui va vous faire un Conte pour vous endormir. Nourrice faites-lui un Conte.
LA NOURRICE.
15Madame, écoutez-moi, s’il vous plaît. Il était une fois un Prince nommé Brutalin, il avait une fille qui s’appelait Pétille : or Pétille voulait se marier, parce qu’elle en avait envie, et elle disait toujours tout ci tout ça, par ci par là, je suis déjà grande, ma mère le fut, je voudrais bien l’être. Or Brutalin avait pris la Principauté d’un autre Prince qui s’appelait Bonbenin Bonbenêt Bonbeninguet. Bonbeningueutte sa femme, en fut si fâchée qu’elle en mourut de douleur en accouchant, et Bonbeninguet prit le Poupard entre ses bras, et s’en alla dans un bois en pleurant. Il y trouva une vieille fée, qui lui dit en marmottant, Bonbenin Bonbenêt, Bonbeninguet, donne-moi ton poupard, et dans neuf mois d’ici je te ferai trouver ta Principauté, une belle fille, et ton poupard encore avec. Bonbeninguet lui donna le poupard, et la Fée le rendit si petit, si petit, qu’elle le fit entrer dans un œuf de poulette par le trou d’une aiguille, et puis elle porta cet œuf à la belle Pétille, en lui disant : Ma belle Pétille, prends cet œuf de poulette, et porte-le neuf mois dans ton sein sans le casser ; quand tu l’auras porté neuf mois dans ton sein, tu t’en iras dans le jardinet de ton père, et tu chanteras ce refrain.
Si bien donc que Pétille s’en alla dans le jardinet de son père chanter.
Et Brutalin son père qui était à la fenêtre, disait de son côté :
Or Brutalin fit un grand Bal où il convia tous ceux qui la demandaient en mariage. La Fée y amena Bonbeninguet déguisé en invisible ; et la première chose qu’il fit, fut d’aller batifoler à l’entour du sein de Pétille, qui se mit à dire ; Fi donc, ôtez-vous de là, arrêtez-vous, vous casserez mon œuf. Tant y a que l’œuf cassa, et une coquille piqua le sein de Pétille qui se mit à crier, ahi, ahi, ahi ! Et le Poupard en sortit, qui cria de son côté, eh, eh, eh, eh !
Les Épouseurs dirent tous : Je n’en veux plus, je n’en veux plus. Brutalin rendit le Royaume à Bonbeninguet qui reconnut le Poupard, et épousa Pétille. On rit, on dansa, et Bonbeninguet chanta cette chanson :
SCÈNE VI. Le Grand Ogre, Isménie, Plusieurs Ogres qui les accompagnent. §
LE GRAND OGRE.
Bonjour, ma Mignonne. Il faut que je t’épouse, ou que je te dévore. Choisis.
ISMÉNIE.
Quel choix !
LE GRAND OGRE.
Mariage, ou carnage, carnage.
ISMÉNIE.
Si tu n’as point d’égard pour la pitié, du moins respecte l’amour.
LE GRAND OGRE.
17L’amour ! Ah, ah ! L’amour ! Je frissonne d’amour ; mais j’enrage de faim. Si tu veux je serai un ours affamé, un tigre en fureur, ou bien un bichon caressant, un petit mouton.
ISMÉNIE.
Ah ! Je n’ai point d’autre choix à faire, dévore-moi, monstre horrible.
LE GRAND OGRE.
Tu me trouves horrible ! Hé de grâce trouve-moi beau ! Ah ! Si tu te connaissais en grimaces ; tiens.
Mes yeux, mon nez, ma bouche, ce ton de voix moelleux. Admire ma force, admire mon agilité.
SCÈNE VII. Arlequin, Isménie et Octave changés en Rocher. §
ARLEQUIN.
Voilà mon Maître et la Princesse, tous deux en Rochers. Ah ! Qu’ils sont bien en état de se faire l’amour à présent ! Allez, contez-vous donc des douceurs, allons donc.
Je voudrais bien pouvoir leur rendre leur première figure ; mais je ne le puis faire que quand je verrai une Urne d’Or, à ce que m’a dit la Fée.
Ah ! Voilà justement l’Urne. Allons.
OCTAVE.
Ah, ma Princesse !
ISMÉNIE.
Ah, mon Prince !
ARLEQUIN.
Vite, vite, mariez-vous pendant que la tendresse est toute chaude.
OCTAVE.
Mais il faudrait le consentement du Roi Croquignolet son père.
ARLEQUIN.
Hé, mariez-vous toujours, le consentement viendra ensuite. Mais voilà justement Monsieur Croquignolet lui-même.
ISMÉNIE.
C’est mon père.
ARLEQUIN.
Monsieur Croquignolet, ces deux Amants vous attendent pour donner votre consentement à leur mariage.
CROQUIGNOLET, chante.
ARLEQUIN.
Puisque voilà le consentement, réjouissons-nous. Je m’en vais changer cette grotte en un palais magnifique, le Palais des Fées.
ARLEQUIN.
Tout ce que vous voyez-là, ce sont des gens que les Fées ont ainsi métamorphosés pour se divertir, mais je m’en vais leur rendre leur première forme.
ARLEQUIN.
Hé bien, vous qui étiez Papillon tout à l’heure, contez-nous un peu la raison pourquoi les Fées vous avaient ainsi métamorphosée.
LA NYMPHE, chante.
ARLEQUIN.
Mais vous, voudriez-vous bien nous dire par quelle raison on vous avait changé en Lanterne ?
LE BERGER.
19 20La Fée qui m’a ainsi métamorphosé avait de la bonne volonté pour moi, je crus qu’il fallait filer le parfait amour, je débutai par les soupirs, les soins, les respects, enfin je m’amusai à lanterner l’amour. La Fée fut si rebutée de mon lanternage romanesque, qu’elle me changea comme vous avez vu.
ARLEQUIN.
LE BERGER chante.
ARLEQUIN.
Et vous qui gardez encore quelque chose du Limaçon que vous étiez tout à l’heure, contez-nous donc votre aventure.
LE VIEILLARD, chante.
ARLEQUIN.
Oh vous n’êtes pas le premier Limaçon qu’on a fait rentrer dans sa coquille, après lui avoir fait montrer les cornes. Mais vous, Madame la Pendule, pourrait-on savoir votre histoire ?
LA DAME.
C’est une Fée de mes voisines qui me changea en Pendule, parce que ma conduite était trop bien réglée.
ARLEQUIN.
Ce Trop bien, n’est pas dans la nature.
LA DAME.
Oh, Monsieur, c’est une chose avérée, toutes mes voisines se réglaient sur moi, et on m’appelait la Pendule du quartier, parce que tout était si bien ordonné chez moi, qu’on n’y perdait pas un moment, et que le jeu, la conversation galante, et les autres occupations des femmes se succédaient régulièrement.
ARLEQUIN.
Le jeu et la conversation galante faisaient vos occupations sérieuses ? À quoi passiez-vous donc vos heures de récréation ?
LA DAME.
22Tout était si bien distribué, qu’on ne s’ennuyait jamais. Toutes les heures étaient marquées sur mon agenda de coquetterie, l’heure du joueur, l’heure du musicien, l’heure du bel esprit...
ARLEQUIN.
L’heure du Berger ? Mais dites-moi, comment marquiez-vous l’heure des importuns, car les importuns sont des animaux qui viennent à toutes les heures ?
LA DAME.
23Ah, monsieur, on ne saurait trop importuner une femme d’esprit. Elle se sert de l’un pour chasser l’autre, et elle tire de chaque caractère d’homme tout ce qu’on en peut tirer. Elle oblige, par exemple, ce fade Adorateur qui ne sait dire que gano et sans prendre, à perdre son argent contre ce Galant mal aisé qui en sait faire un meilleur usage ; et quand la reprise d’ombre est finie, il faut bien que le sot cède la place au bel-esprit.
ARLEQUIN.
24 25J’entends. C’est-à-dire que les amants se succèdent chez vous comme les heures dans les pendules. Et comme un clou chasse l’autre, le jeune héritier commence où la dupe ruinée finit. Ceux qui payent la collation sont relevés par ceux qui la mangent, et quand le Colonel entre par la porte, le sous-traitant sort par la fenêtre. Voilà assurément une belle police. Vous êtes une pendule à répétition. Vous sonnez à toutes les heures ; mais vous sonnez très irrégulièrement. Voici la Fée qui vient mener le branle.
LA FÉE chante.
LA DAME, chante.
LE VIEILLARD, chante.
ARELQUIN, chante.