M. DCC. LXXXVIII.
Par MM. RADET et BARRÉ
Lu et approuvé pour la représentation et l’impression.
À Paris, le 7 Novembre 1787. Signé, SUARD.
Vu l’Approbation, permis de reprèsenter et imprimer.
À Paris, ce 20 Mai 1788. Signé, DE CROSNE.
De l’Imprimerie de CHARDON, rue de la Harpe.
PERSONNAGES, ACTEURS. §
- CANDIDE, M. d’Orsonville.
- MADAME CANDIDE, Mde Desforges.
- JUSTIN, leur fils, Mlle Carline.
- PANGLOSS, M. Rosiere.
- MARTIN, M. Favart.
- CACAMBO, M. Raymond.
- CALEB, M. Courcelle.
- ZULMIS, fille de Caleb, Mlle Desbrosses.
- ZÉLIE, autre fille de Caleb, Mlle Buret.
- OSMIN, mari de Zulmis, M. Solier.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. §
CACAMBO, seul.
Ce que c’est pourtant que la destinée, et comme le hasard se plaît à disposer de nous ! Qui croirait que sur les bords de la Propontide, à quelques milles de Constantinople, cette petite métairie renferme le Seigneur Candide, élevé jadis en Westphalie, dans le chäteau de Monsieur le Baron de Tundertentronck ; la fille de ce même Baron, devenue femme de ce même Candide ; le docteur Pangloss, leur ancien précepteur ; le savant Martin, qui travailla jadis pour les libraires d’Amsterdam ; et enfin, moi, Cacambo, né en Espagne, qui, après avoir fait tous les métiers dans tous les pays, suis aujourd’hui réduit à servir ces gens-là ? Ah ! Que voilà un beau sujet de réflexion, et comme on voit que... les effets et les causes... sont produits par un certain rapport... qui fait que... les événements de la vie... Eh bien, ne voilà-t-il pas que je raisonne, et que par conséquent je ne sais ce que je dis ! Je suis si accoutumé à entendre nos philosophes, que leur manie me gagne. Songeons bien plutôt à porter vendre à la ville le produit de notre petit jardin... Allons, Cacambo, du courage, mon garçon, de la gaieté.
Voilà, je pense, tout ce qu’il me faut. Eh ! J’oubliais bien l’essentiel, ma foi ; les manuscrits des docteurs Pangloss et Martin, que je dois vendre à Constantinople. Le produit de ces chef-d’oeuvres suffira, disent-ils, pour faire notre fortune à tous : je le souhaite, mais j’en doute. J’entends du bruit dans le jardin... C’est sans doute l’aimable Justin, mon jeune maître, que les ennuyeuses leçons de ses deux précepteurs ont fait déserter la maison paternelle, et qui vient tous les matins, avant le jour, placer en secret des fleurs dans le bosquet chéri de sa mère.
SCÈNE II. Cacambo, Justin. §
JUSTIN entr’ouvrant doucement la porte.
CACAMBO.
JUSTIN.
CACAMBO.
Le bon coeur ! Ah ! Monsieur, les fleurs que vous donnez à Madame votre mère lui font grand plaisir ; elle est bien éloignée de deviner qui les lui apporte.
JUSTIN.
Donne-moi promptement des nouvelles de mes chers parents : comment se portent-ils ?
CACAMBO.
À merveille. Madame votre mère grondant, selon sa coutume, du matin au soir ; Monsieur votre père l’endurant avec peine, et vous regrette tant sans cesse.
JUSTIN.
Mon bon père ! Pangloss et Martin se disputent toujours ?
CACAMBO.
Comme vous dites.
JUSTIN.
CACAMBO.
Eh, dites-moi, Monsieur, je vous prie, ce vieillard respectable a-t-il des enfants ?
JUSTIN.
Deux filles.
CACAMBO.
Je m’en doutais... Grandes ?
JUSTIN.
L’aînée est mariée.
CACAMBO.
Et la cadette, en âge de l’être ?
JUSTIN.
Je le crois.
CACAMBO.
Fort bien.
JUSTIN.
CACAMBO.
JUSTIN.
CACAMBO.
JUSTIN.
CACAMBO.
JUSTIN.
CACAMBO.
Eh, voilà donc le précepteur que vous choisissez ?
JUSTIN.
CACAMBO.
JUSTIN.
Le jour va bientôt paraître... Je crains qu’on ne m’apperçoive, et je m’enfuis. Adieu, continue à me garder le secret.
CACAMBO.
Soyez tranquille, allez... Mais, j’entends quelqu’un. Oh ! Oh ! Déjà le Seigneur Candide !
SCÈNE III. Cacambo, Candide. §
CANDIDE.
CACAMBO.
Il est grand jour. Ce n’est pas tout de se désoler, il faut encore aller à la ville et rapporter de quoi dîner. N’est-il pas vrai, Monsieur ?
CANDIDE.
Je n’avais que mon fils pour me consoler, et il m’a quitté sans que je sache ce qu’il est devenu ! Ah ! Mon cher Cacambo, je suis bien à plaindre !...
CACAMBO.
Vous aimez à vous chagriner aussi... Par exemple, à l’égard de votre femme, vous êtes, je crois, trop regardant... Tenez, mon cher maître...
CANDIDE.
Cela m’empêcherait-il d’être en bute à sa mauvaise humeur, à son caractère intraitable ?
CACAMBO.
Ah ! Monsieur, il y a des moyens de remédier à tout cela.
SCÈNE IV. §
CANDIDE seul.
Je suis donc destiné à être sans cesse malheureux en courant après le bonheur ! Air : Du pauvre monde.SCÈNE V. Candide, Pangloss, Martin. §
PANGLOSS ET MARTIN.
CANDIDE.
PANGLOSS.
CANDIDE.
Vous avez raison. Mais, en attendant....
PANGLOSS.
MARTIN, à Candide.
CANDIDE.
Je la préviens en tout.
PANGLOSS.
En tout absolument ?
CANDIDE.
Que voulez-vous dire ?
PANGLOSS.
Tenez, mon cher éleve, vous êtes un bon humain, le meilleur enfant du monde : mais cela ne suffit pas toujours.
CANDIDE.
Vous croyez ?
MARTIN.
Eh oui, conseillez-lui la douceur, il en fera de belles.
PANGLOSS.
MARTIN.
PANGLOSS.
MARTIN.
PANGLOSS.
CANDIDE.
Eh quoi, Messieurs, toujours d’opinion contraire dans les conseils que vous me donnez !
PANGLOSS.
C’est mon avis qu’il faut suivre.
MARTIN.
C’est le mien.
PANGLOSS.
CANDIDE.
MARTIN.
SCÈNE VI. Pangloss, Madame de Candide, ensuite Martin paroissant au fónd du Théátre. §
MADAME de CANDIDE.
PANGLOSS.
Mais non, c’est lui qui vous accuse....
MADAME de CANDIDE.
PANGLOSS.
Mais votre mauvaise humeur....
MADAME de CANDIDE.
Eh qui n’en aurait pas ! Loin de mon pays, sans parents, sans État, sans fortune, habiter tristement une miqérable chaumière, et pour surcroît de peine, un mari... Ah !...
PANGLOSS.
Il est donc bien changé ?
MADAME de CANDIDE.
PANGLOSS.
Eh bien, c’est peut-être ce qui pourrait arriver de plus heureux.
MARTIN, au fond de la scène.
Écoutons un peu comment Maître Pangloff s’y prend pour faire entendre raison à Madame.
MADAME de CANDIDE.
Vous savez que dans notre jardin....
MARTIN, à part.
Le valet est le confident ; c’est dans l’ordre.
MADAME de CANDIDE.
MARTIN, à part.
Fort bien.
PANGLOSS.
Peut-être est-ce Candide lui-même, qui voulant vous surprendre...
MADAME de CANDIDE.
PANGLOSS.
En ce cas-là...
MADAME de CANDIDE.
On le dit.
PANGLOSS.
Je vous conseille de suivre cette affaire-là.
MARTIN, à part.
À merveille, Maître Pangloss. Allons chercher Candide.
MADAME de CANDIDE.
Mais, Docteur, songez donc que l’honneur de ma maison....
PANGLOSS.
Tout cela ne sera qu’en apparence et pour éveiller la jalousie de votre mari.
MADAME de CANDIDE.
Après tout, vous avez raison.
PANGLOSS.
MADAME de CANDIDE.
Je vous promets que dorénavant... Le voici, vous allez voir...
SCÈNE VII. Les Mêmes, Candide, Martin. §
MARTIN, à Candide.
Venez, venez, vous allez apprendre du nouveau.
MADAME de CANDIDE.
MARTIN, à part, avec ironie.
Son cher mari !
CANDIDE, à Pangloss.
MADAME de CANDIDE.
CANDIDE.
TOUS.
MADAME de CANDIDE.
MARTIN, à Pangloss.
PANGLOSS.
MARTIN.
CANDIDE, à Pangloss.
MARTIN.
PANGLOSS.
Eh pourquoi pas, Monsieur !
CANDIDE.
Comment, est-ce que je serais ?....
MARTIN.
Apparemment, et vous auriez dû deviner à l’air dont Madame vous a reçu tout à l’heure....
CANDIDE.
Mais qu’est-ce que cela signifie ?
MARTIN.
Que Madame vous caresse aujourd’hui, parce qu’elle vous trompe ; qu’elle a un amant ; que cet amant lui fait des cadeaux.... M’entendez-vous ?
CANDIDE.
Est-il possible ?
MARTIN.
Oh que non ; cela ne s’est jamais vu.
MADAME de CANDIDE.
Je vous jure, mon ami....
PANGLOSS.
Mais n’écoutez donc pas Monsieur Martin ; il rêve, selon sa coutume.
Vous voyez ? Le moyen réussit.
MADAME de CANDIDE, à part.
Il est jaloux ! Bon.
SCÈNE VIII. Les Mêmes, Cacambo. §
PANGLOSS.
Eh ! Voici l’ami Cacambo !
MARTIN.
Déjà de retour !
PANGLOSS.
As-tu bien vendu mon ouvrage ?
MARTIN.
M’apportes-tu beaucoup d’or ?
CACAMBO.
PANGLOSS.
MARTIN.
CACAMBO.
PANGLOSS.
Qu’est-ce que cela fait ? On les prône, on en dit du bien ou du mal, on les achète, on les paye, et tout est pour le mieux.
MARTIN.
Que les temps sont changés !
PANGLOSS.
C’est ma faute aussi, j’aurais dû aller proposer mon ouvrage moi-même.
CACAMBO.
Écoutez, Messieurs, tout n’est pas encore désespéré. On m’a assuré que si vous pouviez avoir l’approbation d’un fameux Derviche, qui passe pour le meilleur philosophe de la Turquie, vos manuscrits se vendraient aisément : informez-vous du lieu de sa demeure, qui n’est pas loin d’ici, et allez le trouver.
MARTIN.
Soit. Si ce Derviche est vraiment un Sage, il pensera comme moi.
PANGLOSS.
S’il est grand philosophe, je pourrai raisonner avec lui des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de l’harmonie prééatablie et de la raison suffifante.... Qu’en dites-vous, mon cher élève ? Écoutez donc, vous êtes-là à rêver...
CANDIDE.
PANGLOSS.
CANDIDE.
MARTIN.
Il y a quelqu’un ici qui peut encore mieux vous instruire. Le prudent Cacambo est dans la confidence.
CANDIDE.
Lui ?
CACAMBO.
Quoi ! Quelle confidence ?
MARTIN.
Tu fais l’ignorant.... et ce galant qui fournit à Madame de si belles fleurs.... là.... dans le petit bosquet du jardin ?
CACAMBO.
MARTIN.
Sur la simple apparence ! Il est bon-là.
CACAMBO.
Sachez, Monsieur, que ce prétendu galant, qui vous cause tant d’ombrage, n’est autre que votre fils.
CANDIDE.
Est-il possible ?
MADAME DE CANDIDE et PANGLOSS.
Ô Ciel !
MARTIN.
Cela ne se peut pas.
PANGLOSS, à Martin.
Eh bien, Monsieur le visionnaire....
CACAMBO.
C’est cet aimable enfant, qui vient tous les matins apporter à sa mère les fleurs qu’il fait qu’elle aime, et qu’il prend plaisir à cultiver pour elle.
MADAME DE CANDIDE, à part.
Voilà mon projet manqué.
CANDIDE, à Cacambo.
Tu sais donc où il est ?
CACAMBO.
Non pas précisément, mais je sais que vous ne tarderez pas à le voir.
CANDIDE.
Je reverrai mon fils, et ma femme est fidele ! Ah ! Pardonne, chere épouse...
MADAME de CANDIDE.
Laissez-moi, laissez-moi.
CANDIDE.
Eh bien, la voilà plus furieuse que jamais.
PANGLOSS.
MARTIN.
CANDIDE.
PANGLOSS.
CANDIDE, à Cacambo.
PANGLOSS, à Martin.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Justin, Osmin, Zulmis, Zélie. §
OSMIN.
JUSTIN.
ZULMIS.
ZÉLIE.
OSMIN, JUSITN.
ZULMIS, ZÉLIE.
TOUS.
ZULMIS.
Que ces fleurs sont belles ! Qu’elles sont fraîches ! Ah ! C’est que leur culture est l’ouvrage de mon époux.
OSMIN.
Ô ! Ma Zulmis ; cet espace de terrain est destiné à ton amusement ; travailler à l’embellir est le plus grand, le plus cher de mes plaisirs.
ZÉLIE.
Je me flatte, ma soeur, que mon jardin est tout aussi beau que le vôtre, malgré que je sois seule à le cultiver.
JUSTIN.
Il ne tiendrait qu’à vous, belle Zélie, de trouver un aide.
OSMIN.
ZULMIS.
JUSTIN, à Zélie.
ZÉLIE.
OSMIN, ZULMIS, à Justin.
ZÉLIE.
Voilà mon père.
SCÈNE II. Les Mêmes, Caleb, apportant des arbustes. §
OSMIN, allant au-devant de lui et le débarrassant.
ZULMIS.
CALEB.
Je le sais, mes enfants, je le sais.
OSMIN, JUSTIN.
CALEB.
SCÈNE III. Zulmis, Zélie, Caleb, Candide, Madame Candide, Pangloss, Martin, Cacambo. §
CACAMBO.
CANDIDE.
CALEB.
CACAMBO.
On nous a cependant bien indiqué...
CANDIDE.
Comment pouvez-vous méconnaître ce grand homme ?
CACAMBO.
Vous n’êtes donc pas Philosophe ?
CALEB.
Non, Monsieur.
CACAMBO.
Vous n’êtes pas Philosophe ! À votre áge ! Vous ne raisonnez pas ! Vous ne disputez pas sans cesse sur les moyens de vivre en bonne intelligence ?
ZÉLIE.
CACAMBO.
ZÉLIE.
CACAMBO.
ZÉLIE.
CACAMBO.
PANGLOSS, du haut de la montagne.
Oui, j’aperçois une chaumière isolée, qui m’a tout l’air de la demeure d’un derviche.
CACAMBO.
C’est sûrement cela.
CANDIDE.
ZÉLIE.
CACAMBO, à Caleb.
SCÈNE IV. Caleb, Zulmis, Zélie, Osmin, Justin. §
OSMIN, JUSTIN, occupés à placer autour du berceau d’oranger des arbustes qu’ils rapportent : pendant le Couplet suivant les autres parlent bas.
JUSTIN.
OSMIN.
ENSEMBLE.
OSMIN, à Zulmis, qui a les yeux fixés sur son jardin.
Que regardes-tu donc là ?
ZULMIS.
OSMIN.
Ma bonne amie, ce secret....
ZULMIS.
Un secret pour ta femme !
OSMIN.
JUSTIN.
C’est à moi qu’Osmin a donné ces fleurs.
ZÉLIE.
À vous !... Mais mon père veut savoir ce que vous en avez fait.
CALEB.
Moi ? Point du tout. N’est-il pas maître de disposer à son gré de ce que son ami lui donne. Je le crois trop raisonnable pour en faire un mauvais usage.
JUSTIN.
Ah ! Bien au contraire.
CALEB.
Mais, s’il veut garder le silence sur l’emploi de ces fleurs, ai-je le droit de le faire parler ? Je ne suis pas son père.
JUSTIN.
CALEB.
J’en aurai toujours les sentiments, et j’espère que tu n’en seras jamais indigne.
JUSTIN.
Oh ! Non, jamais.
OSMIN, à Zulmis.
Tu n’as plus d’inquiétude ?
ZULMIS.
Ô ! Mon ami, ce sentiment était trop pénible.
OSMIN.
ZULMIS.
OSMIN.
CALEB.
Osmin, viens avec moi parcourir le verger et voir quels sont les fruits qu’on peut cueillir aujourd’hui.
OSMIN.
Allons. Toi, ma femme, prépare des corbeilles pour les mettre.
ZULMIS.
J’y vais.
SCÈNE V. Justin, Zélie. §
JUSTIN.
Vous me boudez, Zélie ?
ZÉLIE.
Non, Monsieur, mais j’admire votre discrétion.
JUSTIN.
ZÉLIE.
JUSTIN.
Ma chère Zélie....
ZÉLIE.
Et vous me faites un mystère....
JUSTIN.
Soyez sûre que celle qui en est l’objet...
ZÉLIE.
Celle qui en est l’objet ! C’est une femme ?
JUSTIN.
Ah oui ; mais croyez....
ZÉLIE.
Comme vous en parlez avec feu !
JUSTIN.
ZÉLIE.
De votre mère !
JUSTIN.
Eh ! Oui.
ZÉLIE.
Ah ! Je respire.
Puisque ces fleurs étaient pour votre mère, il fallait donc les prendre dans mon jardin.
JUSTIN.
Les ayant reçues de vous, j’aurais peut-être eu peine à les donner.
ZÉLIE.
Mais, vous avez dit à mon père que vous étiez orphelin.
JUSTIN.
Il est vrai : je craignais qu’il ne refusát de me recevoir chez lui, s’il apprenait que mon père et ma mère ne sont pas loin d’ici, et que je les ai quittés sans qu’ils sachent ce que je suis devenu ; mais, belle Zélie, si Caleb se détermine à nous marier ensemble, j’irai sur-le-champ me jetter aux pieds de mes parents, et les prier de consentir à notre union.
ZÉLIE.
Eh ! Pourquoi ne m’avoir pas dit cela d’abord ?
JUSTIN.
ZÉLIE.
SCÈNE VI. Les Mêmes, Caleb, Osmin, Zulmis, sortant de la maison. §
CALEB.
Oh ça, mes enfants, vous allez vous mettre à cueillir les fruits ; et moi, pendant ce temps-là, je vais ici près visiter nos champs.
JUSTIN.
Nous aurons bientôt fait, papa.
SCÈNE VII. Les Mêmes, excepté Caleb. §
ZULMIS.
Allons, allons à l’ouvrage.
OSMIN, montrant un arbre qui est sur le bord de la scène.
Commençons ici.
JUSTIN.
Moi, je vais monter sur l’arbre.
OSMIN.
Il a raison. Place-toi là, Zélie ; toi, là, ma femme, et moi ici. C’est bien.
OSMIN.
ZULMIS.
OSMIN.
ZÉLIE.
JUSTIN, à Zélie.
OSMIN.
SCÈNE VIII ET DERNIÈRE. Les Mêmes, Caleb, Candide, Madame Candide, Pangloss, Martin, Cacambo. §
CALEB, invitant Candide et sa suite à entrer dans le verger.
CANDIDE et sa Suite.
JUSTIN, à Zélie, qui lui fait signe de descendre de l’arbre.
Ô ciel ! Mon père et ma mère !
ZÉLIE, à part.
Est-il possible !
PANGLOSS, à Caleb.
2Mais, vous n’avez pas répondu à ma question sur l’aventure arrivée à ce Muphti.
CALEB.
Je n’ai jamais su le nom d’aucun Muphti, ni d’aucun Vizir. J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; je ne m’informe point de ce que l’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive.
3ZULMIS, OSMIN.
ZÉLIE, à Candide, lui montrant les fruits.
CANDIDE.
PANGLOSS, à Caleb.
4Vous ne connaissez donc pas votre voisin, ce Derviche atrabilaire, qui vient de nous recevoir si mal ?
CALEB.
Non : je vis tranquillement ici avec ma famille, et je ne vois personne.
MARTIN.
Ah ! Que vous avez bien raison ! Les hommes sont méchants, les femmes sont perfides, et je vais vous prouver...
CALEB.
Non, je vous remercie : si c’est une vérité, elle est bien affligeante.
PANGLOSS.
N’écoutez pas Monsieur Martin, c’est un radoteur. Moi, je veux vous prouver que tout est au mieux, dans le meilleur des mondes.
CALEB.
Monsieur, cela se peut bien.
Quelle espèce de gens !
CACAMBO, à part, apercevant Justin dans l’arbre.
Eh mais... Je ne me trompe pas... Non, vraiment, c’est Justin !
JUSTIN, lui faisant signe de se taire.
Chut.
ZÉLIE, à Cacambo.
Paix donc.
CACAMBO.
Et voilà sans doute la charmante Zélie.
CANDIDE, à Caleb.
Vous devez avoir une grande et magnifique terre ?
CALEB.
5Je n’ai que vingt arpents ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin.
MADAME de CANDIDE, à part.
Que je me plais parmi ces bonnes gens !
CANDIDE.
Votre famille est-elle nombreuse ?
CALEB.
Le Ciel ne m’a donné que deux filles ; l’aînée a épousé cet honnête garçon que vous voyez près d’elle.
MADAME DE CANDIDE.
Ils paraissent, quoique mariés ensemble, s’aimer bien tendrement.
OSMIN.
ZULMIS, ZÉLIE.
ZULMIS, ZÉLIE, OSMIN, CALEB.
CALEB.
Je compte bientôt unir la cadette à un jeune orphelin que j’ai adopté.
CANDIDE.
Que je vous porte envie ! Vous augmentez votre famille, et moi, je n’avais qu’un fils, je l’ai perdu.
MADAME de CANDIDE, à Caleb.
Vous êtes donc bien heureux ?
CALEB.
J’ignore si l’on peut l’être davantage, mais je n’ai jamais desiré de changer mon sort contre celui d’un autre homme.
MADAME de CANDIDE.
Que j’aime à entendre ce bon vieillard !
CANDIDE.
Voilà cette félicité parfaite, que j’ai vainement cherchée jusqu’à ce jour.
MADAME de CANDIDE.
Eh bien, mon ami, ne pourrions-nous donc la trouver encore ? Ah ! L’exemple de ce respectable vieillard m’éclaire et m’apprend mon devoir.
CANDIDE.
MADAME de CANDIDE.
Ô mon ami, daigneras-tu oublier...
CANDIDE.
Ne pensons plus qu’à l’avenir.
MADAME de CANDIDE.
Hélas ! Une chose encore va troubler notre félicité.
CANDIDE.
Ah oui, l’absence d’un fils.
MADAME de CANDIDE.
N’est-ce pas que s’il était avec nous...
CANDIDE.
Je n’aurais plus rien à désirer.
MADAME de CANDIDE.
Ni moi.
JUSTIN.
Que je suis ému !
MADAME de CANDIDE.
Ce sont les leçons ennuyeuses de ces maudits raisonneurs qui ont causé sa fuite.
PANGLOSS et MARTIN, se montrant l’un l’autre.
C’est Monsieur.
CANDIDE ainsi que sa femme, toujours assis au pied de l’arbre où est caché Jusitin.
JUSTIN, toujours caché.
MADAME de CANDIDE.
JUSTIN.
Si j’osais...
MADAME de CANDIDE.
JUSTIN, descendant.
MADEME DE CANDIDE, CANDIDE.
JUSTIN, les embrassant.
MADAME de CANDIDE, CANDIDE.
Ah ! Mon fils !
CALEB, MARTIN, PANGLOSS.
Son fils !
JUSTIN, à son père et à sa mère.
Pardonnez-moi le chagrin que vous a causé mon absence.
CANDIDE.
Il est oublié, puisque je te revois.
MADAME de CANDIDE.
Nous ne songeons plus qu’au plaisir que nous fait ton retour.
CALEB, à Justin.
Vous m’avez donc trompé en vous donnant pour orphelin ?
JUSTIN.
Pardon, mon cher Caleb.
PANGLOSS, à Justin.
J’espère que vous n’avez pas oublié mes principes de philosophie ?
MARTIN.
Je crois qu’il ne se souvient plus guère des miens.
JUSTIN.
Vous l’avez dit.
MADAME de CANDIDE.
Eh, Messieurs, laissez-le tranquille.
CALEB.
Aux discours de ces Messieurs, je conçois facilement le motif de ton départ, et je te pardonne ton petit mensonge.
Puisque je l’avais choisi pour gendre, le croyant orphelin, je ne retirerai point ma promesse au moment où il retrouve ses parents ; si vous y consentez, rien ne sera changé.
ZÉLIE, à Candide et à sa femme.
Voudrez-vous bien de moi pour votre fille ?
MADAME de CANDIDE.
De tout mon coeur.
CANDIDE.
Nos deux métairies sont peu distantes l’une de l’autre ; nous ne ferons qu’une même famille.
MADAME de CANDIDE.
Oui, sûrement : et Messieurs Pangloss et Martin peuvent maintenant chercher fortune ailleurs.
CALEB.
Pourquoi donc ? Ces Messieurs se portent bien, ils sont forts, ils travailleront : les cultivateurs ne sont jamais à charge.
CANDIDE.
Mais surtout plus de philosophie.
PANGLOSS.
À la bonne heure, moi, je travaillerai.
CACAMBO, à Martin.
Et vous, papa ?
MARTIN.
Il le faut bien.
PANGLOSS, à Martin.
Ne vous inquiétez pas, nous trouverons encore de temps en temps des occasions de nous disputer.
CACAMBO.
Oh que oui, aux heures de récréations.
CANDIDE.
Je vais donc enfin être heureux !
PANGLOSS.
Mais certainement, je vous l’ai toujours dit.
PANGLOSS.
MARTIN.
PANGLOSS.
MARTIN.
PANGLOSS, MARTIN.
CANDIDE.
CALEB.
CACAMBO.
MADAME de CANDIDE.
JUSTIN.
EN CHOEUR, au Public.