Cassandre, Comtesse de Barcelone
Trage-comédie

François Le Métel de Boisrobert

A PARIS, Chez AVGVSTIN COVRBÉ, au Palais, en la Galerie des Merciers, à la Palme.
M. DC. LIV.
AVEC PRIVILEGE DV ROY.

Édition critique établie par Francisco Guevara Quiel sous la direction de Georges Forestier (2002)

Introduction §

Biographie §

François Le Métel de Boisrobert naquit à Caen en 15921 dans la Paroisse de Notre-Dame de Froiderue et mourut à Paris le 30 mars 16622. Il était fils de Jérémie Le Métel, avocat au parlement de Rouen, huguenot converti et de Jeanne de Lion ; celle-ci, entichée de noblesse avait dérogé en épousant Jérémie. Son fils, lui-même avocat, sans avoir exercé longtemps sa profession, arrive à Paris vers 1616 et s’est mis ensuite sous la protection du cardinal du Perron3. Il serait entré en 1617 au service de la reine-mère Catherine de Médicis, qu’il suit dans sa petite cour de Blois, en qualité de poète. C’est à sa demande qu’il traduit en français le Pastor fido. Il abjura le protestantisme en octobre 16214 et décida d’entrer dans les ordres en novembre 1623, mais ses lettres de diaconat ne datent que de 1634 ; par la suite, il fut en possession du canonicat de Saint-Ouen, à Rouen. Notre abbé n’eut jamais de bonnes relations avec les chanoines du chapitre, lesquels ont payé d’ingratitude le dévouement qu’il eut toujours envers eux, car Boisrobert, il faut le dire, était un homme très généreux et dévoué. Ajoutons qu’aux yeux de ses contemporains il est passé pour quelqu’un de fort peu vertueux et de très étourdi. Il joue jusqu’à perdre sa chemise, boit jusqu’à perdre la raison, adore la bonne chère, s’emporte et blasphème facilement partout et surtout au théâtre, qu’il aime avec autant de passion5.

Il réussit à s’introduire dans les cercles d’influence de l’évêque de Luçon, futur cardinal de Richelieu, et c’est à partir de 1624 qu’il commence à recevoir des gratifications de sa part. Quand il est déjà bien établi chez lui, il s’emploie à servir tous ceux qui font profession de lettres. Richelieu lui-même l’appelle Solliciteur des muses affligées, tellement il assume le rôle de bienfaiteur des poètes. Ces requêtes fréquentes lui valent aussi des brouilles avec son maître, mais Boisrobert sait se réhabiliter, connaissant le faible du ministre pour la plaisanterie et le rire. C’est d’ailleurs cette qualité qui fait sa fortune auprès de lui, puisqu’il peut lui proposer des contes, mieux que personne, railler agréablement et lui rapporter « toutes les petites nouvelles de la Cour et de la Ville » qui sont de grande utilité au cardinal. On sait de même que le premier médecin de Richelieu, François Citois, grand ami de notre abbé, recommande souvent à son Eminence, lors de ses crises de santé, de mêler à ses ordonnances  « un peu de Boisrobert » pour accélérer la guérison6.

En 1625, Boisrobert accompagna le duc et la duchesse de Chevreuse en Angleterre après la célébration du mariage par procuration de Henriette-Marie de France, sœur de Louis XIII, avec le roi d’Angleterre, Charles Ier. En août 1626, il était de retour en France7. En 1630, le pape Urbain VIII lui fit à Rome l’accueil le plus distingué et, charmé par l’esprit et par les grâces de sa conversation, il offrit à Boisrobert un petit prieuré en Bretagne8. Mais cela ne l’empêcha pas de maintenir son train de vie mondain et d’ailleurs il ne s’est jamais piqué d’être dévot. À partir de 1633, ayant connaissance de la passion de Richelieu pour le théâtre, Boisrobert commença sa carrière de dramaturge avec sa tragi-comédie Pyrandre et Lisimène9. C’est dans ce contexte qu’on doit à notre abbé l’existence de l’Académie française, car ce fut lui qui parla au cardinal d’une petite société d’hommes de lettres et de savants qui se réunissait régulièrement et en secret chez Conrart. Il proposa à son maître d’instituer une compagnie qui, sous sa protection, pourrait contribuer à l’embellissement de la langue française. Le ministre embrassa l’idée avec ferveur et en 1634 le Parlement enregistrait déjà ses lettres patentes. Boisrobert en fut lui-même l’un des premiers membres10.

Le cardinal de Richelieu lui fait obtenir en 1634 le Prieuré de la Ferté-sur-Aube. Il le décora du titre de Grand Aumônier du Roi. Il voulut le faire aussi conseiller d’Etat et il obtint pour son père et ses enfants des lettres de noblesse en juin 1636. On le voit enfin, en février 1638, abbé de Notre-Dame de Châtillon-sur-Seine, en Bourgogne. Dans cette abbaye tenue par des chanoines réguliers de Saint-Augustin de la Congrégation de Sainte-Geneviève, il n’a jamais cessé d’être en conflit avec les moines11. Mais à la fin du ministère de Richelieu, Boisrobert essuya une disgrâce de laquelle il eut du mal à s’affranchir et quand il revint enfin en grâce, il n’en profita que très peu de temps. L’événement eut lieu en janvier 1641, et il ne fut rappelé que vingt mois après, le 16 novembre 1642. Le cardinal mourut le 4 décembre. Les frères Parfaict rapportent l’affaire dans leur Histoire du Théâtre françois12.

Une autre période de sa vie commence à partir d’ici, puisqu’en l’absence du cardinal de Richelieu, Boisrobert ne peut plus compter sur l’appui d’un puissant protecteur. Cherchant du secours auprès de quelques grandes familles, il n’obtint aucune faveur d’importance. Mazarin lui-même, malgré des promesses inaccomplies, ne l’aida jamais après la mort de son prédécesseur. À l’avènement de Louis XIV notre abbé n’exerçait plus le charme qui le valorisait tant auparavant. Cependant il s’était attaché au chancelier de Séguier qui avait jadis contribué à le faire conseiller d’Etat. Les hommes de lettres que protégeait Séguier ne pouvaient donc prendre parti contre Mazarin et se rallier aux Frondeurs. Boisrobert resta sur ce point fidèle à la couronne. Encore pouvait-il vivre aisément : il ne connut point la détresse puisqu’il possédait assez de bénéfices pour maintenir son train de vie mondain. Le théâtre et la poésie furent alors de vrais refuges. Sa production dramatique s’intensifia d’une manière prodigieuse entre 1653 et 1656. C’est de cette période que date sa Cassandre, comtesse de Barcelone, tragi-comédie en cinq actes créée en octobre 1653 et tirée de La mentirosa verdad de l’espagnol Juan Bautista de Villegas. Il y « déploie la galanterie la plus fine et la plus maniérée13. » C’est à cette période qu’on le vit plus souvent faire du théâtre à l’Hôtel de Bourgogne que célébrer la messe à l’église14. Il était toujours présent lors de la représentation de ses pièces et surveillait le moindre détail de la production. Mais le théâtre fut aussi pour lui une source d’ennuis. En 1654, il eut une querelle contre Scarron qui souhaitait comme lui faire représenter le premier une pièce dont la source commune était Obligados y ofendidos de Francisco de Rojas. Boisrobert l’emporta à l’aide de son amie la comtesse de Brancas et du prince d’Harcourt. Les généreux Ennemis eurent la primeur en dépit de L’Ecolier de Salamanque de Scarron, qui ne le pardonna jamais. En décembre 1655, il eut une autre querelle contre Costar, dont la Suite de la Défense de M. de Voiture nommait quelque part Boisrobert abbé Mondory15. Comme celui-ci pensa que cela pouvait nuire à sa réputation dans l’avenir, il lança une réponse cinglante contre son détracteur, qui très humblement le pria de l’excuser. Le jeune Baudeau de Somaize lui succèda dans la liste des querelles, car il s’érigeat subitement en censeur de sa tragi-comédie Théodore (1657). Somaize dirigea contre Boisrobert une violente cabale à laquelle notre abbé riposta avec autant de force. D’un autre ordre fut son démêlé avec Abel Servien, Surintendant de Finances, qui tenta à plusieurs reprises de supprimer les bénéfices accordés à son frère Antoine Le Métel d’Ouville, poète et dramaturge connu pour ses pièces comiques traduites de l’espagnol et des nouvelles que l’abbé Goujet considère comme licencieuses16.

En juin 1655, il subit une seconde disgrâce à cause des dévots de la cour qui l’accusaient « d’impiété »17. Il fut obligé de quitter Paris et de se retirer dans son canonicat de Normandie, où il fut encore persécuté par ses confrères. L’exil dura environ six mois, mais la disgrâce se prolongea jusqu’en février 1658. La Muse historique de Loret annonce son retour le 23 de ce mois18. Au printemps de 1659 il fit imprimer un second volume d’Epîtres en vers qui furent bien accueillies par la reine Christine de Suède. Ce dernier volume d’Epîtres est quasiment la dernière manifestation de sa personnalité littéraire. À partir d’ici et jusqu’à sa mort on perd sa trace car les documents se raréfient et ne nous informent guère sur sa vie. On sait cependant qu’à sa mort, Chapelain se borna à dire à Huet que la place de Boisrobert sera occupée par Segrais19.

L’œuvre de Boisrobert est assez vaste. Outre les pièces dramatiques collectives qu’il a produites avec les Cinq-Auteurs sous l’égide du cardinal de Richelieu (L’Aveugle de Smyrne et La Comédie des Tuileries, toutes deux de 1638), il nous a laissé de sa propre plume dix-huit pièces de théâtre où l’on compte une tragédie, huit comédies et neuf tragi-comédies20. Il a écrit aussi un roman (Histoire indienne d’Anaxandre et d’Orazie21), des Nouvelles héroïques et amoureuses et un Recueil de Lettres. Il fit publier deux volumes d’Epîtres en 1647 et en 1659, et diverses poésies dont une Paraphrase sur les sept Psaumes de la pénitence de David. Plus anciens sont ses Ballets de cour. Il fut aussi l’éditeur de deux autres recueils de poésie : le Parnasse alarmé ou Parnasse Royal et le Sacrifice des Muses au grand Cardinal de Richelieu, tous deux de 1635, en plus de sa Réponse au Parnasse alarmé. Quelques quarante poèmes se trouvent de même dans le Recueil des plus beaux Vers de Malherbe, Racan, etc.22

Cassandre, comtesse de Barcelone §

Création de la pièce §

Dans l’Avis au Lecteur de la Folle Gageure, Boisrobert annonce la parution en peu de temps d’une nouvelle pièce de théâtre qu’il a déjà sûrement bien avancée, vu la proximité de la publication de celle-ci (juillet 1653) avec celle qu’il promet au public (représentée en octobre). Il s’agit de Cassandre, comtesse de Barcelone,

que i’e tirée du mesme Autheur Espagnol [Lope de Vega], sous le titre de la Vérité menteuse ; ie me suis plusieurs fois estonné en la lisant, comment les Illustres Corneilles, qui nous ont desia donné de si beaux & de si merueilleux Ouurages, & leurs inferieurs encore que nous voyons quelquefois traitter des sujets si pitoyables, n’ont point descouuert celuy-cy si plein de richesse & d’inuention. Ie puis dire auec verité, que le grand Lope de Vega s’y est surmonté luy mesme, ie ne vy iamais rien de si beau ny de si brillant, mais i’ose croire sans beaucoup de presomption que ie l’ay rendu iuste & poly, de brut & de dereglé qu’il estoit…

L’auteur nous indique donc ses sources et pourtant la Vérité menteuse n’est sans doute pas de l’invention de Lope mais d’un autre dramaturge espagnol presque aussi inconnu au XVIIe siècle que de nos jours. Boisrobert en fait la rectification après s’être mieux renseigné en disant dans l’Avertissement Au lecteur de sa Cassandre qu’il s’agit de Villegas, « Espagnol assez obscur, qui a esté assez heureux pour trouuer vn si beau nœud » et que s’il « eust eu la mesme fortune dans le desnouëment, cette seule production l’auroit sans doute esgalé aux plus fameux Inuenteurs de sa nation, & de son siecle. » On peut bien croire qu’en si peu de temps, entre la parution de l’une et de l’autre œuvre dramatique, notre auteur n’ait guère pu avoir de détails sur la vie ni sur l’œuvre de Villegas, ce qui lui fait dire de ce dernier qu’il est un « Espagnol assez obscur ». Aujourd’hui les données de sa vie et de son œuvre ne sont pas pour autant plus abondantes ni plus précises23.

Martinenche24 a vérifié le premier que La mentirosa verdad de Juan Bautista de Villegas est la source de Cassandre : « J’ai fini par découvrir à Madrid cette pièce rare », dont il ne comprend pas que Boisrobert en trouve « le nœud si beau ». Il ajoute que La mentirosa verdad n’est pas une comedia de premier ordre et que le thème de la substitution d’enfants qui entraîne la crainte d’un inceste, fait que Boisrobert n’est original que par rapport à Villegas, puisqu’il aurait pu aisément tirer ce sujet de l’Héraclius de P. Corneille. Et pourtant il en « apprécie jusqu’à ses préciosités les plus criardes quand on les met en parallèle avec les platitudes de son traducteur », que Martinenche considère moins servile que son frère d’Ouville, quand il s’agit de transposer en français un texte espagnol.

Le critique allemand Tenner25 affirme comme Martinenche que Boisrobert tire l’intrigue principale de cette pièce espagnole, dont il suppose que la date de publication est de 1638. En réalité, elle parut pour la première fois en 1636, à Saragosse26. Lancaster27 rectifie cette méprise et souligne la position de Tenner en disant que Boisrobert reprend l’intrigue de la pièce espagnole presque telle quelle,

Except that he omitted a few unnecessary scenes, changed some of the names, limited the place to Barcelona, and explained Bernard’s silence much more satisfactorily. He reduced the time to some twelve hours and made the dialogue less affected and less comic, but he failed to link all of the scenes and did not succeed either in obtaining unity of action or on shifting the emphasis from plot to character.

Nous adhérons en grande partie aux remarques faites par Lancaster. En effet, comme on pourra le constater dans les annexes, quelques scènes de la pièce espagnole ne sont pas traduites ou adaptées par Boisrobert. Les changements les plus importants concernent les très longues tirades des personnages principaux, Carlos et Violante, qui dans un langage très affecté et très assaisonné de métaphores et d’hyperboles, expriment leurs élans amoureux ; il en est de même pour le duc, toujours soucieux des affaires de l’Etat et de la hâte qu’il a de réussir le mariage de la comtesse avec un prince étranger. Cependant, la plus grande liberté que prend Boisrobert par rapport à Villegas porte sur l’intervention de don Bernardo de Roca, qui rompt avec l’unité d’action et dont nous parlerons plus loin.

D’autres éléments sont à signaler, comme les variantes des noms des personnages, de temps et de lieux, ainsi que dans l’intrigue. Pour ce qui est des noms, ceux de don Bernardo de Roca et d’Isabelle restent les mêmes, mais celui des autres change : Violante devient Cassandre ; Carlos, Astolfe ; don Jayme de Aragón, Don Pèdre ; don Enrique tout simplement le duc de Cardone et le valet Beltrán devient l’écuyer Béralde, qui dans la pièce française s’exprime comme un courtisan aussi affecté et ampoulé que les gentilshommes de naissance dont il est sensé être le serviteur. Son rôle devient donc fade et artificiel, ce qui n’est pas le cas du valet espagnol, tout à fait cocasse, bouffon et rusé. Par conséquent, l’aspect comique qui fait la fortune de Boisrobert dans d’autres pièces de théâtres (notamment dans Les trois Orontes ou dans La jalouse d’elle-même) est ici réduit à sa plus simple expression. Rien de ce que dit Béralde ne porte à rire, alors que Beltrán est très désinvolte.

Une tragi-comédie dans les règles §

Cassandre, comtesse de Barcelone est la sixième tragi-comédie de Boisrobert. Elle fut produite en octobre 1653 pendant la période la plus prolixe de sa vie comme dramaturge, en une période où ce genre théâtral commençait vraiment son déclin. Si Cassandre eut le mérite de plaire, par un effet de mode, à un public friand de toutes les galanteries et de toutes les manières affectées dont elle est remplie, en s’accommodant parfaitement à l’humeur du dramaturge et des spectateurs, elle aura pour ennemi implacable le temps et sera victime de l’oubli après un succès éphémère.

Avec l’établissement progressif des règles des unités, de la bienséance et de la vraisemblance à partir de 1640 et avec l’influence d’une aristocratie plus polie dans les salons, l’intérêt du public se tourne vers les questions morales et la profondeur psychologique des passions, à l’exemple de la tragédie régulière. Si Cassandre est conçue dans l’esprit de la tragi-comédie, elle subit aussi cette transformation du genre. Même si l’on y ressent encore le goût du romanesque et la présence de coups de théâtre dans le dénouement, cela reste toutefois assez discret. D’ailleurs, l’action principale se déroule à l’intérieur d’un palais, se soumettant ainsi aux exigences classiques d’unité et de concentration dramatiques propres à la tragédie. Boisrobert y renonce ainsi à l’éparpillement de l’intrigue pour mettre en scène une série d’épisodes qui se succèdent de manière presque linéaire. Il traite aussi de problèmes politiques et moraux (d’un côté, l’inceste ; d’un autre côté, la raison d’Etat, la succession, l’abdication, l’usurpation de pouvoir) et des passions amoureuses qui sont en jeu dans le cadre unique d’un palais, en évitant la dispersion de l’action en divers lieux. Il est intéressant de remarquer que, comme dans les tragédies, Boisrobert a voulu raconter l’histoire de Cassandre in medias res (« Enfin, voicy le iour tant de fois souhaitté », v. 1), lorsque le Régent de Barcelone contraint cette princesse à épouser, au plus vite, un monarque étranger de peur qu’une guerre civile et un conflit extérieur imminents ne s’installent dans son Etat. Aussi, les amours entre Astolfe et Cassandre sont de longue date et quand la pièce commence les problèmes surviennent du fait que, tout en étant amoureux l’un de l’autre, la princesse est contrainte à conclure ce mariage politique avec un souverain étranger.

À la fin de la Fronde, Boisrobert reprend de plus belle le genre tragi-comique qu’il avait délaissé pour travailler sur la comédie et donne coup sur coup notre Cassandre, Les Coups d’Amour et de Fortune et Théodore, reine de Hongrie. Mais si en 1656, Timocrate est publié sous l’égide protectrice de la tragédie et connaît le plus grand succès tragique du XVIIe siècle, on peut comprendre, qu’en comparaison notre « comtesse », n’ait fait qu’un maigre succès en 1653, même si Boisrobert se plie davantage aux règles des unités que son contemporain Th. Corneille. Elle devient d’autant plus régulière que les intermèdes cocasses qui délassaient du pathétique et de l’héroïsme, sont quasiment inexistants, et l’on s’explique mieux que le jeu de l’écuyer Béralde soit très loin de celui du gracioso espagnol, le « criado Beltrán », de la comedia de Villegas dont il est issu. Car « les personnages bouffons et les scènes comiques sont réservés à la comédie28 ».

Un sujet non historique et sérieux §

En effet, Cassandre a pour sujet l’impossibilité de la réalisation de la cause d’Etat et de l’union de deux amants qui courent le risque d’une relation incestueuse. On y trouve alors des « accidents graves et funestes » qui mettent en péril la stabilité de l’Etat et le bonheur des personnages principaux. Les conflits qui les opposent entraînent, comme dans la comedia de Villegas, des obstacles qui passent par des aspects tels que el fingimiento (le faux semblant), el enredo, (l’embrouille), el lance (le déguisement), el engaño (les fausses apparences) et el desengaño (la situation caractéristique et logique du désabusé). Si les dramaturges tragi-comiques puisent de préférence dans les fonds romanesques, les nouvelles et les comedias, Cassandre ne fait pas exception. Elle développe une aventure fictive qui n’a aucune assise historique et dont le déroulement de l’action est situé dans un lieu réel. Ainsi, l’intérêt de Boisrobert porte sur les passions amoureuses et les problèmes moraux des personnages et non pas sur l’histoire ou l’épopée anciennes, le mariage final venant couronner l’heureux dénouement qui rend la paix et répand la joie parmi eux.

Du point de vue de la forme, Cassandre est donc une tragi-comédie de palais29 mais elle va mêler aux problèmes politiques et moraux le thème traditionnel des amours contrariées, où l’obstacle principal à la réalisation du mariage provient d’un père qui essaie par tous les moyens de rompre la liaison de son fils avec Cassandre, comtesse de Barcelone, qu’il suppose être sa propre fille et donc la sœur de son amant, la crainte de l’inceste étant à la base de l’intrigue principale de la pièce. De supposés rivaux viennent aussi contrecarrer l’amour des protagonistes ; c’est encore le cas d’Astolfe qui, abusé par les paroles de son écuyer Béralde et le quiproquo provoqué par les lettres qu’on lui a confiées, croit que Moncade – innocent en tout point – fait la cour à son amante la comtesse, qu’il soupçonne à son tour d’infidélité.

Une duplicité d’intrigues §

Si dans Théodore, reine de Hongrie (1657), l’action est une et toute classique, Boisrobert reste fidèle à La mentirosa verdad de Villegas et au genre tragi-comique en introduisant dans sa Cassandre (1654) une deuxième intrigue qui rend l’action encore plus complexe. Plusieurs fils s’enchevêtrent et quelques péripéties se succèdent. Ainsi, à une intrigue principale d’ordre politique et amoureux, il en ajoute une autre strictement amoureuse où il est question de la rivalité entre deux gentilshommes, Don Rémond de Moncade et Don Pèdre d’Aragon, pour l’amour d’Isabelle, sœur du héros. Les rapports entre l’une et l’autre actions sont plus ou moins distants, car la seconde n’a aucune influence sur le dénouement de la première et celle-ci aurait moins de piquant sans l’existence de la seconde. L’intrigue principale repose sur une double substitution de deux petites filles où la crainte d’un faux risque d’inceste causée par la première disparaît lorsqu’on apprend l’existence de la seconde. Une suite de malentendus est provoquée par un échange épistolaire qui a piégé tous les personnages et sa complexité va de pair avec la fonction de la lettre, qui a un rôle de premier ordre dans la pièce. En trois occasions elle est l’instrument d’un constant état de méprise : d’abord, des billets galants adressés à Isabelle sont rendus à Astolfe qui les croit destinés à son amante Cassandre ; ensuite, la lettre du duc adressée à Astolfe induit en erreur notre héroïne et l’amène à accuser injustement Isabelle d’avoir des inclinations incestueuses pour son frère ; enfin, une lettre sous forme de testament de Don Bernard de Rocas est adressée au duc de Cardone qui ne l’a jamais lue, alors qu’elle contient la vérité sur l’échange des petites filles et aurait pu épargner aux amants tant de contrariétés et à l’Etat tant d’ennuis. L’intrigue principale de la pièce est résolue donc in extremis par le vieux procédé des reconnaissances qui permet à la fin un dénouement heureux. Dans la pièce espagnole, la présence de don Bernardo de Roca est plus concrète car il intervient dès la Jornada segunda. Il se trouve dans la ville de Girona en tant que gouverneur et revient à la cour pour en faire la demande officielle ; profitant de sa présence à Barcelone et voyant les troubles provoqués par l’échange des enfants et les amours contrariées des jeunes gens, il éclaire le mystère qui en a donné lieu. Dans notre Cassandre, lorsqu’on apprend par Don Bernard que celle-ci n’est pas la fille du duc mais l’héritière légitime du feu comte de Barcelone, on assiste à l’élimination des tensions et à l’union tant souhaitée entre la princesse et Astolfe, longtemps désespéré par la crainte de commettre un inceste. Ce mariage permet aussi d’éliminer les pressions politiques qui tenaient le vieux Régent angoissé.

L’écuyer Béralde est le pivot sur lequel tournent les intrigues amoureuses. Il est cupide mais dépourvu de toute malveillance. La seule peur d’être châtié par son maître l’entraîne à provoquer une grande confusion qui bouleverse momentanément l’union heureuse du couple principal (Cassandre et Astolfe) et jusqu’à la fin de la pièce celle du couple secondaire (Isabelle et Moncade).

Dans cette intrigue secondaire nous avons donc deux rivaux qui sont aussi les meilleurs amis. Très civils et policés, au lieu de s’affronter dans un duel à mort comme il arrive dans la source espagnole, Don Pèdre d’Aragon et Don Rémond de Moncade décident de se plier à un commun accord selon lequel l’un cèdera sa place à l’autre s’il est défavorisé par Isabelle, la dame objet de leur rivalité. C’est donc un billet galant qui doit régler les affaires et non pas un duel de cape et d’épée où l’un des deux amoureux devrait nécessairement périr. Ayant perdu, comme il arrive souvent dans les tragi-comédies, on aurait pu espérer une autre réaction de Moncade, qui, jaloux, aurait refusé de s’effacer paisiblement et aurait cherché à brouiller le couple d’amants, à recourir à la violence, à forcer la volonté de la jeune fille ou à l’enlever. Or, il respecte l’accord et s’en va poursuivre une autre conquête selon les maximes « C’est foiblesse aprés tout d’aimer qui nous mesprise. » (v. 856) et « C’est justice aprés tout d’aimer quand on nous aime. » (v. 860). Boisrobert tient donc à ce que ces lois de la galanterie soient observées, puisqu’en tant que « directeur du royaume de coquetterie », il ne veut rien montrer de malséant, surtout parce qu’un rival doit toujours se montrer généreux. Si dans les tragi-comédies l’obstacle principal à la réalisation de l’amour vient normalement d’un adversaire jaloux, ce n’est pas le cas de ces personnages, puisqu’à la fin même de la pièce, une fois que Moncade gagne la main d’Isabelle, son concurrent Don Pèdre ne peut être que content de voir tout le monde heureux : aucun trait de sa jalousie ne nous est montré. Cette attitude permet aussi de ne pas assombrir un dénouement joyeux.

Un seul lieu §

La concentration de l’action dans un seul lieu commence à s’imposer à partir de 1640. Boisrobert a voulu s’adapter à cette contrainte en faisant que l’action de Cassandre se déroule dans un lieu unique : le palais d’un Etat moderne, Barcelone, capitale du comté de Catalogne. On peut bien supposer que tous les événements se déroulent à l’intérieur (la chambre de la princesse, une salle quelconque) ou à l’extérieur d’un palais, n’ayant aucun autre indice de lieu. Par contre, dans la pièce espagnole la diversité des lieux fait partie de la mise en scène. On y trouve des espaces fermés comme les différentes salles du palais (la comtesse dans ses entretiens avec le duc, Isabel ou Carlos ; le duc lisant ses requêtes ou en conférence avec don Bernardo ; la grande salle où Violante annonce à la noblesse la déposition de sa couronne et la déclaration de son mariage avec Carlos) et l’espace ouvert, qui est celui du bord de la mer, où don Jayme et don Ramón se disposent à se battre en duel. Dans Cassandre, les événements se succèdent de manière linéaire et ininterrompue tout en intercalant des récits rétrospectifs nécessaires à la compréhension de l’histoire (II, 4 du duc de Cardone ; IV, 5 de Cassandre; V, 8 de Don Bernard de Rocas). On n’y trouve pas de scènes spectaculaires qui détournent l’attention du spectateur. Tout y est conçu de manière à ce que l’effet de suspens se maintienne jusqu’au dernier moment lorsque Boisrobert y introduit un procédé de type deus ex machina. On peut imaginer que les événements ont tous lieu dans une seule chambre du palais où les personnages rentrent et sortent successivement. Cependant, deux scènes pourraient se produire l’une à l’extérieur du palais et l’autre dans une autre salle. C’est le cas de la scène 2 de l’acte IV, lorsque le duc prépare le passeport pour le départ de son fils et que Don Lope, le Capitaine des gardes, lui annonce que la comtesse le mande immédiatement. Si le duc prend congé de son fils sans que la princesse s’en aperçoive, il doit se rendre mine de rien chez elle dans la scène suivante. Voilà un possible changement de décor. Mais c’est aussi le cas de la scène 5 du dernier acte, où l’on peut imaginer une situation semblable. Cassandre s’entretient avec Isabelle lorsque Béralde rentre dans sa chambre en annonçant le retour de Don Bernard et d’Astolfe à la cour. Elles y sortent pour rejoindre dans une salle contiguë les nouveaux arrivés.

Le passage d’une scène à l’autre obéit donc au même schéma jusqu’à l’acte IV. Les personnages rentrent et sortent successivement et à chaque fois leur entrée est annoncée par des expressions de ce type : « Voicy le Duc » (v. 510), « Il vient tout à propos » (v. 647), « La voicy » (v. 820), « Je viens vous avertir » (v. 1408), « Rentrons » (v. 1554). Les sorties sont aussi indiquées par les personnages ou par les didascalies : « Au moment qu’il me void il s’enfuit brusquement » (v. 323), « Et me tire à l’escart » (v. 658), « Adieu resolvez vous » (v. 811), « Aussi triste & confus chez moy je me retire, » (v. 1474). Puis, dans la didascalie du vers 990, on nous place dans une chambre : « Cassandre, à vn bout de la chambre qui ne void point Moncade. », pour changer ensuite de cadre (V. 5) : « On fait dans le Palais assembler la Noblesse ; Rentrons… » (v. 1553, 1554). On finit donc dans une salle proche de la place où la noblesse a été convoquée pour lui annoncer d’abord la nouvelle de l’abdication de Cassandre et peu après celle de son mariage avec Astolfe : « Toute nostre noblesse est déja dans la place, » (v. 1582). Le dernier acte est rempli de déictiques du genre : « icy » (v. 1425, 1584), « en ces lieux » (v. 1567), « voicy » (v. 1576, 1587, 1610), « déja » (v. 1582). D’autres lieux sont aussi mentionnés mais ils font partie d’un récit rétrospectif. C’est le cas de « la frontière » de la Catalogne où le comte de Barcelone périt lors de la guerre (v. 572), mais c’est aussi celui du Portugal où Don Bernard devait se rendre avant d’être fait prisonnier à Tunis (v. 1655 et 1659).

Pour ce qui est du décor nous n’avons aucune référence écrite sur la mise en scène de Cassandre. Mahelot, dont le Mémoire s’arrête entre 1646-1647, nous informe seulement de deux décors pour des pièces de théâtre de Boisrobert. Le premier correspond à sa première tragi-comédie, Pyrandre et Lisimène30 (1633), qui date de la période faste de la vie de notre auteur aux côtés de Richelieu. Emile Magne nous dit que

la nomenclature des objets nécessaires aux acteurs pour l’interprétation de la pièce est accompagnée d’un dessin du décor, le meilleur que contienne le volume de Mahelot31.

Mais si on voulait se faire une idée de ce que fut la mise en scène de Cassandre en la comparant avec celle de Pyrandre et Lisimène, on aura du mal à tirer une bonne conclusion, vu la grande différence de besoins pour le scénario de l’une et de l’autre intrigues. D’ailleurs, les règles du jeu théâtral ont beaucoup changé depuis vingt ans. L’autre décor qui nous est décrit par Mahelot c’est celui de Les Trois Semblables32 (1642). Or il ne nous éclaire pas plus que le précédent, puisqu’il s’agit d’une comédie où il est question de l’agencement d’une intrigue encore plus complexe.

On peut donc croire que Cassandre reste très proche des prescriptions classiques pour la tragédie et que Boisrobert en ait réussit l’application. Ainsi, pour la mise en scène, la pièce ne nécessite que d’une salle où se déroulent les événements de manière ininterrompue, exception faite des scènes IV, 1 et V, 5 où l’on requiert d’un changement de décor. Pour ce qui est du matériel nécessaire aux acteurs, des lettres sont indispensables ainsi qu’un siège (pour le duc, v. 1052) et peut-être un sceptre (pour Cassandre, v. 1610, 1692).

Une action en douze heures §

Quant à la dimension temporelle, on peut supposer que l’action de la comedia espagnole se déroule dans une durée minimale de deux jours. Car elle débute certainement pendant l’après-midi de la Jornada primera, se prolonge jusqu’au soir du même jour au moment de l’emprisonnement de Carlos par son père dans la tour (fin de la Jornada segunda), et reprend le lendemain matin lorsque le duc annonce à la comtesse que Carlos s’est enfuit « oy à las risas del alua33 » (vers le milieu de la Jornada tercera).

Avec l’assemblage de l’action en un seul lieu, Boisrobert s’applique aussi à concentrer les événements sur une durée d’à peu près douze heures. Si les indices de temps ne sont pas toujours très éclairants, ils suffisent pour suggérer que l’action occupe une bonne partie de l’après-midi et du soir d’une seule journée. La pièce commence lorsque le duc dit à son fils : « Enfin voicy le jour tant de fois souhaitté » (v. 1). Les événements évoluent ensuite de manière successive et en toute normalité jusqu’à la fin du second acte lorsque le duc découvre à son fils que Cassandre est sa sœur : « Fuyez, preparez vous à partir dans vne heure, » (v. 626). Ensuite, un autre indice de temps nous est montré quand Moncade, peu convaincu du récit que Béralde lui fait sur l’échec de sa conquête d’Isabelle, demande à Don Pèdre un délai supplémentaire pour savoir de la propre bouche de la princesse le choix qu’elle a fait : « Donnez moy seulement le reste de ce jour, » (v. 739). On peut donc penser qu’à ce stade de la pièce, le soir approche quoiqu’il ne nous soit encore rien dit sur la nuit elle-même. Puis, nous voyons encore le duc dire à son fils, en préparant son passeport pour le départ, lorsque Don Lope vient lui annoncer que la comtesse le mande immédiatement : « Tenez vous prest, je reuiens dans une heure. » (v. 977). Mais c’est Cassandre qui nous éclaire davantage sur ce point quand elle s’adresse à son amant pour le menacer de mort s’il ne lui donne pas une excuse qui justifie son départ inattendu : « Avant la fin du jour, vous en perdrez la vie » (v. 1261). Enfin, c’est encore le Régent qui écrit à Astolfe pour lui dire : « Dérobez vous avant le jour, » (v. 1344), car celui-ci est emprisonné dans la tour par la volonté de son propre père. C’est alors qu’on peut supposer que le soir est déjà arrivé et qu’Astolfe, resté en prison quelque temps, s’en échappe ensuite comme un fugitif. Dans l’acte V, où prédominent les indices de lieu, le rythme des événements s’accélère avec la présence de Don Bernard de Rocas, qui, en liberté, a rencontré Astolfe chemin faisant « A mille pas d’icy » (v. 1560), c’est-à-dire du palais. Quelques heures ont donc dû s’écouler entre la fuite d’Astolfe, sa rencontre avec Don Bernard et leur retour à la cour (il est aussitôt ramené par le premier et ne se déplace jamais jusqu’à la mer, comme dans la pièce espagnole). C’est ici que se font les retrouvailles et que la pièce se termine, une fois que l’intrigue est dénouée et qu’on s’apprête à transmettre les bonnes nouvelles à la noblesse assemblée sur la place du palais. La nuit est alors certainement tombée.

Les personnages §

Dans Cassandre, les personnages principaux sont d’un rang élevé : il s’agit là d’un trait du genre tragi-comique. On y trouve des princes, de grandes dames, des gentilshommes, des ducs et des comtes, d’illustres personnes qui peuvent être aussi servies par des écuyers, des capitaines de gardes et des valets, dont la manière de s’exprimer ne diffère pas beaucoup de celle de leurs maîtres, bien que leurs rôles restent toujours secondaires.

Cassandre, princesse et sœur malgré elle §

Héroïne de la tragi-comédie, cette jeune princesse de quinze ans est destinée au gouvernement du comté de Barcelone. En atteignant sa majorité, elle est contrainte d’épouser un prince étranger pour rendre la stabilité politique à son Etat et satisfaire aux demandes dont elle est l’objet de la part des monarques voisins. Mais Cassandre est amoureuse d’Astolfe qu’elle compte faire le maître dont Barcelone a tant besoin. Malheureusement, cet amour s’avère impossible parce que selon le Régent, ils sont frère et sœur. Cassandre a toutes les qualités des héroïnes de son rang : elle est belle comme le jour, sage par nature, jalouse de ses devoirs comme souveraine, toujours digne en sa grandeur d’âme malgré l’adversité, respectueuse des lois naturelles et célestes, jalouse de son honneur comme femme et comme souveraine. Ainsi, lorsque Astolfe la quitte et que le duc lui avoue qu’elle est sa fille, Cassandre fait son auto-portrait moral (v. 1445-1450) :

Vous m’osez soustenir apres qu’il est mon frère,
Mon cœur qui vous dement m’asseure du contraire.
Il est grand, il est ferme, il est noble, il est franc,
Astolfe est fourbe & lasche, il n’est point de mon sang :
Et je sens malgré vous que j’ay toutes les marques,
Que la nature imprime en l’ame des Monarques.

Ainsi, même si elle enrage lorsque son amant la quitte implacablement ou devant l’imposture forcée du duc, elle reste digne dans ses emportements pitoyables, toujours généreuse, jamais malséante.

Astolfe, maître et frère malgré lui §

Avec Cassandre, il forme un couple d’amoureux très éprouvé par les adversités. Devant l’impossibilité de réaliser son amour, Astolfe vit le drame poignant du bannissement que son père lui impose pour éviter des relations incestueuses avec la princesse. Elu maître et mari par sa bien-aimée, il est un adorateur passionné de la jeune fille plus qu’un gentilhomme soucieux d’honneur et de gloire. Cette attitude le conduit à contester les ordres de son père et même à s’opposer à ses desseins puisque face à l’inceste, Astolfe craint davantage la perte de Cassandre que le châtiment des dieux et des lois de la nature, ses élans amoureux régissant sa conduite. Ainsi, malgré l’interdiction de se présenter devant elle, lorsque le duc le contraint à s’exiler en France, il vient quand même en prendre congé (III, 8). Plus grave encore est l’attitude de défi vis-à-vis de son père sachant que celui-ci n’approuverait jamais un mariage entre lui et la princesse, toujours à cause de leur relation de parenté. Astolfe ose pourtant se présenter au duc comme le mari de sa sœur (de là le titre espagnol de la comedia de Villegas : El marido de su hermana), pour lui annoncer que Cassandre l’a choisi comme le maître dont l’Etat a tant besoin. La tirade très vigoureuse qui va du v. 549 au v. 568 (II, 4), nous le montre ainsi.

Il faut aussi signaler que Astolfe est largement moins éloquent que Carlos, son homologue espagnol. Carlos est aussi plus prolixe en galanteries et n’a aucune retenue pour dispenser de très longues tirades d’amour à perte d’haleine à sa bien-aimée Violante. En fait, il parle encore moins que son père, qui tient la parole dans 295 vers : il ne prononce lui-même que 247 vers. Quant à Cassandre, elle les devance tous les deux avec 556 vers.

Le duc de Cardone, homme d’État plus que père §

Le duc de Cardone est bon père et encore meilleur homme d’État. Son opposition au mariage des jeunes gens s’explique par la relation de parenté qu’il suppose exister entre les deux, car il a toujours cru que Cassandre était sa propre fille. Autrement, on pourrait penser qu’il serait tenté, par ambition de pouvoir, de permettre cette liaison et ainsi concentrer tout le pouvoir dans sa propre famille, comme c’est le cas dans la pièce espagnole. Mais le duc a des scrupules parce qu’il craint et respecte les lois divines et s’emploie à séparer les amants par tous les moyens possibles pour éviter le crime incestueux. En tant qu’homme politique, il a aussi une haute opinion de ses devoirs envers l’État. Dans l’exercice de sa Régence, il n’a cherché qu’à réaliser le mieux possible la tâche que feu le comte de Barcelone lui a confié. D’ailleurs, Cassandre le souligne aux v. 1082, 1083 et 1689.

Les tirades du Régent se limitent ainsi à des échanges où la politique est son seul souci, alors que son fils ne lui parle que de son mal d’amour. C’est un sujet qu’on sent qu’il abhorre puisque sa priorité est de marier la jeune comtesse avec un prince étranger, faisant ainsi fi de l’amour qu’elle peut ressentir. C’est peut être l’explication du fait qu’il tient une place bien plus importante qu’Astolfe par le nombre de ses interventions.

Béralde, l’écuyer courtisan §

Étrange personnage que celui-ci. Comme on l’a déjà dit, c’est autour de Béralde que naissent les intrigues amoureuses. Don Pèdre et Moncade lui confient des billets galants qu’il doit porter à Isabelle. Surpris par Astolfe, il commet l’imprudence de dire à celui-ci qu’ils sont pour Cassandre. Voici donc la source des jalousies infondées et de tous les quiproquos dont les tristes conséquences se prolongent jusqu’au dernier moment. Béralde se montre cupide sans malveillance ; il est victime de la peur qu’il a d’être châtié par son maître. Sa réaction devant lui obéit plus à la crainte de la punition qu’au désir de prendre part à une intrigue quelconque. Ecuyer, il est loin d’évoquer le caractère picaresque de Sancho Pansa, son collègue de la Manche ; il ne rappelle en rien non plus le personnage espagnol dont il est issu, Beltrán, plein de verve cocasse et désinvolte. Au contraire, Béralde agit en courtisan. Il parle comme ses maîtres, lance des sentences et fait des tours galants. En peu de mots, il ne fait pas sourire. Voir les v. 163-166 et 208-210.

Or pour nous rappeler qu’il est un fourbe, il devient nécessaire que lui-même ou les autres le disent de manière explicite, comme dans le cas des v. 209-210 : « Il faut […] fourber galamment. », ou dans les vers suivants : « feignons obligeamment », (v. 683) ; « Que Béralde est un fourbe & des plus achevez », (v. 731). Autrement dit, le registre de l’écuyer est de style soutenu :

O dieux ! que je suis interdit,
O cruelle surprise, insensé qu’ay-je dit ? » (v. 221, 222).

Les thèmes §

L’inceste §

Dans Cassandre, on trouve un procédé qui permet le développement du thème de l’inceste. Il s’agit de la substitution d’enfants, qui constitue la matière première et, avec le faux risque d’inceste, le nœud du drame de Boisrobert. C’est un moyen que notre dramaturge avait exploité auparavant dans Pyrandre et Lisimène, sa première tragi-comédie, le déguisement étant à l’origine de l’intrigue. Dans Cassandre nous avons deux substitutions d’enfants dont les conséquences sont la source des confusions et des angoisses qu’elles provoquent. La première a été commise pour des raisons d’État (par le risque de mort de l’héritière légitime à sa naissance, le Régent remplace celle-ci par sa propre fille sur le trône), la seconde, dont on ne se rend compte qu’au tout dernier moment, a été faite pour éviter l’excès de pouvoir (Don Bernard de Rocas craignait que le Régent concentre en sa seule famille tout le pouvoir politique du comté de Barcelone). Cette dernière substitution apporte le soulagement et un dénouement heureux, après tant d’angoisse par le faux risque d’inceste.

Le thème de l’inceste n’est pas nouveau chez Boisrobert ; il est même très fréquent au XVIIe siècle. Notre abbé y revient vingt ans après l’avoir traité dans Pyrandre et Lisimène, pour le reprendre après dans Théodore, reine de Hongrie, la dernière de ses pièces de théâtre. C’est aussi un sujet qu’ont touché d’autres dramaturges comme Du Ryer dans Cléomédon, Mareschal dans La Sœur valeureuse et Pierre Corneille dans Héraclius34. Georges Forestier considère que :

A aucun moment l’inceste n’est présenté comme objet de réflexion, et encore moins comme un interdit trasgressible ; et si le héros proteste, ce n’est pas contre l’interdit, mais contre le destin qui l’a fait naître frère de son amante35 […].

Par rapport à la situation d’ignorance d’identité qui fait courir un risque d’inceste, Georges Forestier s’attarde à traiter dans son ouvrage la variante plus fréquente qui est la relation entre frère et sœur. En parlant spécifiquement de notre Cassandre, où, selon lui, l’inceste joue une fonction essentiellement structurelle, il nous indique que :

[…] l’un des amants seulement apprend la vérité, et, obligé de se taire sous peine de révéler à l’autre sa véritable identité et de le faire ainsi déchoir de sa haute position, se voit contraint à un éloignement qui plonge l’autre dans l’égarement de l’incompréhension ; l’essentiel de l’intrigue de Cassandre de Boisrobert repose sur ce schéma36.

Le sujet du faux inceste se manifeste avec beaucoup de force et de sensibilité, car il constitue un moyen pour présenter des scènes d’amour malheureux qui permettent l’expression du pathétique. On peut trouver particulièrement de telles manifestations dans les scènes III, 8 et 9, lorsque Astolfe vient chez la princesse pour lui faire ses adieux et la quitte en la laissant dans la plus sombre des létargies. La qualité de l’expression des sentiments des amants rappelle le pathétique que l’on retrouvera des années plus tard dans les scènes IV, 5 de Bérénice quand Titus se sépare de la reine et dans la scène V, 4 de Andromaque de Racine, où Oreste est abandonné implacablement par Hermione une fois que celui-ci a assassiné Pyrrhus.

Le quiproquo sentimental crée des situations fortement psychologiques comme l’héroïsme d’Astolfe et le désespoir et la jalousie de Cassandre. Deux jeunes gens qui s’aiment depuis longtemps viennent à apprendre que leur rêve de se marier est interdit par la relation de parenté qui existe entre eux. L’angoisse devant cette passion s’installe. Le pathétique des sentiments du héros, qui désespère de ne pas pouvoir épouser celle qu’il croit être sa sœur, grandit au fur et à mesure que la noblesse et le peuple exigent un prompt mariage de la princesse héritière avec un monarque étranger. En fait, dans cette pièce une bonne part des affrontements reposent sur une invraisemblance fondamentale : dans la mesure où Astolfe est informé que Cassandre est sa sœur, comment peut-il continuer à se comporter en amoureux ? On pourrait répondre à cela que la passion et la souffrance du héros sont tellement grandes qu’il souhaite quand même épouser celle qu’il aime pour ensuite se donner la mort. C’est l’aveu des v. 1290-1291 qui donne une certaine cohérence au traitement du thème du faux inceste :

puis que de ce mal je ne sçaurois guerir :
Ie voudrois l’espouser, & puis apres mourir.

Alors, la séparation des amants s’impose. Résultat de la contrainte imposée par un père, cet aspect revient constamment dans les tragi-comédies et donne à l’œuvre un caractère tragique indéniable. Dans Cassandre, il arrive aux limites du pathétique lorsque désarçonnée par la rigueur de son sort, mais toujours avec grandeur d’âme, la comtesse, n’ayant alors que quinze ans, est forcée d’envisager sa retraite définitive dans un couvent :

Dans ma sainte retraitte où ma gloire se fonde,
Combien je la prefere à la gloire du monde. (v. 1513-1514)

De la même façon, Astolfe est forcé de partir dans un douloureux exil. Désespéré, il vit très mal la contrainte que son propre père lui impose :

L’esloignement tout seul ne me peut secourir,
Ie ne voy que la mort qui me puisse guerir. (v. 640-641).

L’angoisse finit par l’arrivée opportune d’un personnage qui connaît leurs liens réels de parenté. C’est alors que se produit le coup de théâtre. Don Bernard de Rocas, le gouverneur de la comtesse, déclare à la cour qu’elle est bien la fille du feu comte de Barcelone et non pas la fille du duc. Ainsi, Astolfe ne lui est rien et Cassandre peut alors l’épouser (V. 8).

Le travestissement de la réalité §

C’est peut être une manière grandiloquente de dire que dans Cassandre la feinte passe par le fait qu’on travestit la réalité au moyen de l’imposture. Concrètement, il s’agit de la façon dont l’écuyer Béralde, de peur d’être châtié par son maître pour se trouver, sans sa permission, émissaire inopiné d’amour, change le nom du destinataire des lettres qu’on lui confie pour Isabelle mais qu’il dit être adressées à Cassandre. Comme on l’avait avancé plus haut, cette imposture est à la source des intrigues amoureuses, des rivalités entre les gentilshommes et des jalousies princières.

Le déguisement a aussi lieu lorsque les amants veulent cacher leurs sentiments. C’est le cas de Cassandre qui, déshonorée par la fuite imprévisible d’Astolfe, se dit à elle-même :

Renferme dans ton cœur la douleur qui te presse,
Et ne fais pas connestre en ce lieu ta foiblesse,
Malheureuse Princesse, hélas qu’esperes-tu ?
Estouffe ton amour, & sauue ta vertu (v. 936-939)

C’est encore elle qui, en interpellant Astolfe sur ce propos, conclut que la mort est le seul remède pour cet amant,

Qui déguise sa langue aussi bien que son cœur. (v. 1283)

Une situation semblable se produit lorsque le héros et l’héroïne sont informés de la fausse relation de parenté qui les unit. Ils essayent ainsi d’annuler l’amour spontané qui naît entre eux lorsqu’ils se revoient. La peur de violer les lois divines les amène à dire :

Astolfe.
Voici Cassandre, ô Dieux ! le puis-je encore reuoir,
Cét objet de ma rage & de mon desespoir,
Cette sœur que j’adore ?
Cassandre.
Ah ! tout le cœur me tremble,
Puis-je bien voir mon frere, & mon Amant ensemble ?
Ainsi que nostre cœur destournons-en nos yeux,
Forçons un mouuement qui blesseroit les Dieux. (v. 1587-1592)

Les enjeux politiques §

Les enjeux politiques, comme dans les tragédies, occupent une grande partie de l’intrigue principale de la pièce. On peut les réduire à deux grands sujets : le mariage royal et l’usurpation du pouvoir, qui est en relation étroite avec l’abdication. Pour ce qui est du premier, il constitue l’unique et plus grande préoccupation du Régent de Catalogne. Celui-ci, devant la situation angoissante de la pression étrangère, souhaite au plus vite la conclusion du mariage de la comtesse Cassandre avec un monarque étranger. D’ailleurs, les ambassadeurs de Roussillon, de Portugal, d’Aragon et de Navarre, ayant eu connaissance de la majorité de la princesse, se sont empressés de demander sa main à la cour de Barcelone. En même temps, dès le début, le duc est absolument opposé à l’idée que la princesse épouse un de ses sujets et prévoyant l’éventuel intérêt de son fils pour elle, il lui interdit expressément de prétende à une telle liaison :

Et pour mille raisons j’exclurois les sujets.(v. 537)
Mais si Cassandre avoit jetté les yeux sur vous,
Ie voudrois vous voir mort plustost que son espoux (v. 484, 485)

Le deuxième aspect, l’usurpation du pouvoir, va ici de pair avec la restitution du pouvoir, car cela s’impose dans une tragi-comédie à fin heureuse. L’usurpation est cependant involontaire dans Cassandre, car l’héroïne est placée sur le trône sans avoir aucune connaissance de la substitution d’enfants dont elle a été l’objet. Innocente donc de cette usurpation, qui obéit plutôt à l’ambition de pouvoir du duc, elle s’apprête à restituer le sceptre et la couronne à celle qu’on croit légitime héritière :

Mon Pere, il faut ceder, voicy nostre Princesse,
Il faut la replacer dans ce trosne usurpé,
Que trop injustement nous auons occuppé. (v. 1506-1508)

Cassandre est encore plus précise lorsqu’elle s’adresse à Isabelle qui a des scrupules à recevoir un pouvoir qu’elle n’a jamais détenu et pour lequel elle ne se sent pas appelée :

En vous cedant l’Estat, ie ne vous cede rien,
C’est restitution, ie vous rends vostre bien (v. 1531-1532)

L’héroïne se dispose ainsi à l’abdication de sa couronne, ce qui est perçu comme un acte de générosité et de justice, qui s’accorde bien avec la condition d’un noble souverain :

pour voir couronner plus solemnellement,
Celle à qui cét Estat appartient justement. (v. 1595-1596)
Et voicy maintenant celle qui nous commande,
Ie m’en vay luy remettre & Sceptre & dignité. (v. 1610-1611)

Le style §

Cassandre est le règne du pathétique amoureux. Nous y trouvons une véritable rhétorique de la passion qui s’exprime par les sentiments exaltés des personnages qui cherchent à sensibiliser le spectateur à leurs ardeurs, leurs violences, leurs troubles, leurs douleurs. Ainsi, ils maintiennent un registre où la surcharge d’émotions est à l’ordre du jour pour mieux émouvoir le public. On y trouve donc une série de figures stylistiques qui illustrent parfaitement ces élans du pathétique amoureux, comme les hyperboles, les antithèses, les figures de répétition, les interrogations oratoires.

L’hyperbole et l’emphase se rencontrent surtout lorsque les personnages expriment leur amour, leur souffrance ou leur jalousie mais aussi leur admiration devant la beauté de l’être aimé. Astolfe, n’a aucune réserve pour dire à Cassandre :

Que je vous aime plus mille fois que ma vie (v. 893)

C’est lui qui se plaint le plus de son sort rigoureux, d’abord lorsqu’il croit que Cassandre lui est infidèle :

Ie ne puis resister à de si rudes coups,
Et n’ayant plus d’espoir, ie n’ay plus de courage :
Ma sœur, il faut mourir, la Princesse et volage. (v. 308-310)

Sa sœur Isabelle n’est pas moins prête à décrire de la même manière à la comtesse les maux d’amour de son frère :

Il est jaloux, Madame, & c’est tout dire ;
Le malheureux qu’il est souffre un cruel martire, (v. 325-326)

Mais le héros fait lui-même sa plaidoirie devant la femme qu’il aime quand celle-ci le croit à son tour inconstant :

Enfin, pretendez vous arracher de mon ame
Cette amour immortelle, & ces feux eternels,
Que vous avez trop tard reconnus criminels ? (v. 399-401)

Plus loin, devant l’impossibilité de réaliser l’union tant souhaitée avec l’être aimé, Astolfe est au seuil du fatidique :

Ie ne vois que la mort qui me puisse guerir. (v. 610)

Après cela, tout n’est pour lui qu’« excessive douleur » (v. 885), « opprobre eternel » (v. 903) et « douleur extresme » (v. 920).

Si la comtesse est plus réservée pour montrer ses élans amoureux, on peut la voir bien plus prompte à l’emportement lorsque son amant se dispose à l’abandonner et quand il a déjà pris la fuite. Les effets d’emphase se font alors ressentir :

Il ne peut échapper à mon juste courroux (v. 934)

Et plus loin : « Eclatte ma fureur, » (v. 1035). Mais la jalousie fait aussi proférer à cette femme des ordres emphatiques quand Isabelle est en sa présence et qu’elle considère comme la séductrice de son propre frère :

Ostez vous, miserable, ostez vous de mes yeux. (v. 1376)

Le pathétique de l’amour passe aussi par les interrogations oratoires qui nous montrent la souffrance du départ inexpliqué et incompréhensible d’Astolfe aux yeux de la princesse :

Pourquoi donc me quitter, à quoi bon ces adieux ?
Pourquoi si brusquement sortir en furieux ?
Car enfin, malheureux, vous m’auez delaissée,
Croyez vous l’auoir fait sans m’auoir offencée ?
D’où naist ce grand soupir, reprenez vos espris (v. 1246-1250)

Astolfe lui pose à son tour une rafale de questions aux v. 398-409, lorsqu’il pense que Cassandre aime un autre gentilhomme.

D’autres figures de style contribuent encore à suggérer la violence des sentiments et des passions, comme les apostrophes et les invocations que les personnages, au plus fort de leur fureur ou de leur désespoir, adressent aux dieux et aux forces de la nature. Cassandre et Astolfe font souvent appel aux « justes dieux » (v. 71, 568), aux « destins » et « au sort rigoureux » (v. 1158).

Étant donné la nature du discours pathétique des personnages principaux, on trouve souvent dans de longues tirades, d’ailleurs peu nombreuses, des figures de répétitions qui renforcent ou amplifient l’énergie de leurs paroles. C’est le cas d’Astolfe lorsque, contre la défense de son père, il rejoint la princesse pour lui faire ses adieux avant de partir en son exil. L’anaphore rhétorique y prend part :

I’atteste tous les Dieux dont i’ay blessé la gloire,
Que mes respects pour vous sont bien moins limitez,
Que ceux qu’on doit auoir pour leurs divinitez ;
Que seule vous bornez ma gloire & mon anuie ;
Que je vous aime plus mille fois que ma vie ;
Que hors de vostre veuë il n’est point de plaisirs,
Ny de biens, ny d’honneurs qui flattent mes desirs. (v. 890-895)

Le héros dépité ne peut pas s’empêcher d’ajouter :

Que je n’ose en partant monstrer mon innocence ;
Quoy que sans expirer je ne puisse partir,
Quoy que mon triste cœur n’y puisse consentir,
Quoy que je sente bien qu’en ma douleur extresme… (v. 917-920)

Astolfe n’est pas seul à employer cette figure de style. Cassandre même y excelle quand elle adresse sa requête au duc pour qu’il lui fasse justice et venge son honneur bafoué par Astolfe. Elle fait sa plaidoirie dans ces termes :

Ie l’ay fait Maistre enfin de toute ma puissance,
Ie l’ay fait triompher des Rois qui m’adoroient […] (v. 1121-1122)
« Dès que de ma fortune il s’est senti maistre,
Dès qu’il m’a veu sousmise, & qu’aux yeux de sa sœur […] (v. 1129-1130)
« Qu’il vienne en suppliant, sa faute est pardonnée,
Qu’il demande sa grace, elle est interinée : […] (v. 1180-1181)
« Eussiez-vous, dittes-moy, reconnu vostre sang ?
Eussiez-vous jamais creu qu’une amitié si rare, […] (v. 1183-1184)

Les figures de parallélisme et d’énumération, étant donné la charge persuasive qu’elles portent, se trouvent davantage dans les paroles du duc, car celui-ci plaide une cause fondamentale pour l’État : le mariage de la jeune comtesse avec un prince étranger pour rendre la stabilité politique à Barcelone. Nous voyons ainsi le Régent s’écrier dans les termes suivants :

Ce grand choix despend d’elle, elle n’en doute pas,
Et de ce choix dépend le bien de ses Estas (v. 49-50)

La technique dramatique §

Certains procédés de technique dramatique sont employés par Boisrobert dans sa tragi-comédie, alors qu’ils tendent à disparaître au fur et à mesure que les règles de la vraisemblance s’imposent dans le théâtre. On y trouve donc de nombreux apartés, des didascalies et quelques monologues. Les lettres et les récits rétrospectifs jouent aussi un rôle de premier ordre dans Cassandre. Mais la pièce n’est pas dépourvue de dialogues très vivants et de stichomythies vigoureuses.

C’est dans le monologue que les personnages principaux sont confrontés à eux-mêmes, à leur douleur sentimentale et à l’affrontement de la séparation définitive une fois qu’ils ont pris connaissance de leur relation de parenté, ainsi Cassandre lorsque son amant la quitte implacable et cruel. Elle se dresse contre elle-même par la promptitude avec laquelle elle s’aventure à donner sa main à Astolfe (v. 936-943). Puis elle se plie pour se lamenter du départ à l’improviste de son amant (v. 945-962) ; enfin, elle se plaint de son sort malheureux (v. 990-995).

En même temps, si dans cette pièce on ne trouve jamais de tendres dialogues entre les amants, ce procédé existe parfois sous une autre forme, mais plus animée et se transforme en des répliques qui se font chaque fois plus courtes et plus vives : les interlocuteurs se parlent en réparties quasiment parallèles donnant lieu à des stichomythies pathétiques. C’est le cas d’Astolfe et de son père le duc, lorsque celui-ci, dans l’extrait que nous avons signalé plus haut (v. 549-568), révèle à son fils que Cassandre est sa sœur et qu’il s’avère impossible d’envisager un mariage avec elle (II, 4). Boisrobert s’est montré très adroit dans la construction de cette réplique, très proche de la source espagnole.

Un moyen qu’emploie Boisrobert pour frapper notre imagination consiste en l’introduction de récits rétrospectifs qui nous « font voir » et qui nous transportent dans le temps. Ils nous expliquent comment se sont déroulés les événements dans le passé. Il y a là, par la force suggestive des mots, un véritable tableau des faits. On peut voir cela en trois occasions. D’abord, avec le récit que le duc fait à Astolfe de la manière dont l’échange des petites filles eut lieu « sur la frontière » et les circonstances qui tournent autour de cette substitution, (II, 4) ; ensuite, lorsque la princesse Cassandre convoque le duc chez elle pour lui demander justice et venger son honneur : c’est l’occasion pour elle de rappeler sa belle enfance en compagnie d’Astolfe et d’Isabelle et les nobles travaux qui lui sont confiés en raison de sa naissance, (IV, 5) ; enfin, lorsque l’agent deus ex machina de cette tragi-comédie, Don Bernard de Rocas, apparaît au tout dernier moment à la cour, après quinze ans de captivité, pour révéler à toute la compagnie la deuxième substitution des enfants. Ce récit apporte la joie et instaure la paix chez les personnages. Don Bernard rappelle aussi les ambitions de pouvoir du Régent et les péripéties qu’il a vécues en captivité, après qu’en route pour le Portugal, il ait été capturé par des corsaires qui le menèrent à Tunis (v. 8).

Nous trouvons également dans cette pièce de nombreux apartés. Ces répliques sont toujours exprimées sous les formes « bas » et « à part » qui accompagnent le nom du personnage qui parle. Quelques exemples se rencontrent aux v. 30, 56, 63, 71, 221, 223, 225, 253, 255, 260, 262, 263, 266, 281, seulement pour ce qui est du premier acte. Nous y trouvons au total quarante-cinq apartés.

Nous avons enfin la lettre comme un moyen de technique dramatique. On en trouve cinq dans cette tragi-comédie, dont quatre sont lues et relues par les personnages au cours de la pièce. Elles jouent un rôle de premier ordre dans le déroulement de l’intrigue secondaire et de vitale importance dans la première, puisqu’il s’agit de la lettre que, sous forme de testament, Don Bernard de Rocas adresse au duc de Cardone contenant la vérité sur la seconde substitution des petites filles. Cette forme d’écriture théâtrale prend ici différentes dénominations : « poulet », « billet », « lettre ». Scherer37 considère qu’il est admis que cette sorte d’écrit n’ait pas la même forme que le dialogue parlé, lequel s’exprime en alexandrins. Selon Georges Forestier, dans son Introduction à l’analyse des textes classiques38, cette forme d’écriture s’apparente à la stance en ce sens qu’elle marque une rupture du discours théâtral,

qui cesse d’être destiné à exercer une action sur le partenaire pour se concentrer sur l’expression des pensées et des sentiments de l’émetteur même du discours, […] dans la mesure où elles se présentent comme l’expression d’un moi souffrant, irrésolu, inquiet ou rêveur, les stances correspondent à ce que nous entendons aujourd’hui par lyrisme39.

C’est ce qui se passe dans Cassandre avec les lettres que Don Pèdre d’Aragon et Don Rémond de Moncade adressent à Isabelle ; c’est aussi le cas de la lettre que le duc envoie à son fils, qui à son tour l’adresse avec la sienne à Cassandre, pour lui montrer son innocence. On y trouve en chacune une hétérométrie (combinaison de vers de longueurs variées) et différentes combinaisons de rimes. Ainsi, dans la lettre de Astolfe à Cassandre, nous avons deux quatrains (un octosyllabe suivi de deux alexandrins, puis un octosyllabe dans le premier quatrain et un alexandrin, un octosyllabe et deux alexandrins, dans le deuxième) qui présentent un entrelancement de deux types de combinaisons de rimes : abba et abab. La lettre du duc présente des particularités plus complexes. Elle commence avec un quatrain à rime croisée (un alexandrin suivi de trois octosyllabes), puis un huitain à rime croisée (un alexandrin, puis un décasyllabe, suivi d’un octosyllabe et d’un décasyllabe, ensuite deux alexandrins et deux octosyllabes), enfin, un tercet à combinatoire aab (un décasyllabe suivi de deux octosyllabes)40.

Éditions §

La première édition de Cassandre date de 1654, imprimée à Paris chez Augustin Courbé, in-4°, VIII-126 pages. Le Privilège date du 12 mars, et l’Achevé du 15 mars. On en trouve des exemplaires dans la Bibliothèque Nationale de France [4-YF-156 (4)], à l’Arsenal [Rf. 5538] et à la Mazarine [1091865]. Losada Goya41 fait mention d’une édition de 1656 dont nous n’avons pas trouvé la trace et, d’après lui, elle aurait été imprimée chez Guillaume de Luynes. Après une recherche infructueuse, nous considérons qu’il s’agit d’une méprise de sa part qui pourrait tromper le lecteur. Un petit ouvrage que nous avons trouvé à l’Arsenal [Rf. 5539] date aussi de 1654. Il a été imprimé en format in-12, 91 pages, chez Augustin Courbé. Mais il existe de même une édition publiée en Hollande la même année chez Raphäl Smith, à Amsterdam, en format in-8° avec seulement 88 pages. Cet exemplaire se trouve dans la réserve de la Bibliothèque Nationale [RES-YF-3724].

Au XVIIIe siècle, la Cassandre de Boisrobert voit le jour chez d’autres maisons d’édition, mais elle est toujours insérée dans des recueils. Ainsi, on la trouve dans le sixième volume du Recueil du Théatre François, à Paris, par la Compagnie des Libraires en 1737, douze volumes in-12. Et en 1781, on la fait paraître dans le septième volume du Recueil des meilleures pieces dramatiques faites en France depuis Rotrou jusqu’à nos jours, ou Théatre françois, à Lyon, chez Joseph-Sulpice Grabit, in-1242. Jamais depuis, cette pièce n’a été réimprimée.

En ce qui concerne les représentations, Cassandre, comtesse de Barcelone fut produite pour la première fois le vendredi 31 Octobre 1653, dans le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne43. Cette date coïncide avec les remarques que fait Chappuzeau sur la saison des pièces nouvelles et sur les jours de la semaine destinés aux représentations. Si la production des œuvres dramatiques dites « héroïques » a lieu entre la Toussaint et Pâques, lorsque toute la cour se trouve au Louvre ou à Saint-Germain-en-Laye,

La premiere representation d’vne piece nouuelle se donne toûjours le Vendredy pour préparer l’assemblée à se rendre plus grande le Dimanche suiuant par les eloges que luy donnent l’Annonce & l’Affiche44.

En effet, Boisrobert lui-même nous dit dans son Avertissement Au lecteur que « toute la Cour & toute la ville ont trouué cette Trage-Comedie si belle sur le Theatre, & aussi bien soustenuë par la majesté et la délicatesse de ses vers, que par la dignité de son sujet.» D’ailleurs, il s’agit de la première production de Boisrobert dont Loret fasse mention dans sa Muse Historique, qu’il publiait tous les samedis de chaque semaine. Celle du 8 novembre 1653 s’exprime à ce propos dans les termes suivants :

Il faut qu’encore ici j’ajuste,
Que Vendredi dernier tout juste
Les Comédiens de l’Hôtel
Reciterent un Poëme tel,
Que sans mentir la renommée
En est par-tout Paris semée :
Et contenta tout à la fois,
Le Courtisan & le Bourgeois :
La Comtesse de Barcelone,
C’est le titre qu’on lui donne.
Chacun en fût l’admirateur,
Et Boisrobert en est l’Autheur45.

De son côté, le chevalier de Mouhy avance, encore une fois, une date de représentation erronée en disant qu’elle fut donnée en décembre 163346. Mais à cette époque Boisrobert ne faisait que commencer sa carrière de dramaturge et plus est, la source espagnole dont De Mouhy même confirme qu’il s’est inspiré, n’avait pas encore vu le jour. A notre connaissance cette pièce n’a jamais été reprise depuis le XVIIe siècle puisque De Mouhy n’atteste pas, dans ses Tablettes dramatiques, une quelconque représentation dans son siècle ; l’absence de témoignages ultérieurs permet d’avancer qu’il a été de même jusqu’à aujourd’hui.

Pour ce qui est du succès de Cassandre, le renseignement le plus ancien que nous ayons, à part la gazette en vers de Loret, est celui de Tallement des Réaux qui, dans ses Historiettes, nous apprend que « Cassandre est la meilleure piece de théatre que Boisrobert ayt faite47 », ce qui pourrait s’accorder d’une certaine manière à l’opinion des frères Parfaict, pour lesquels cette oeuvre est ce qu’il a fait « de plus passable pour le théâtre48 ». Un peu plus tard, dans les Préliminaires d’une édition de Cassandre de 1781, il est dit que la pièce a été choisie pour faire partie du recueil en question considérant qu’elle est la moins mauvaise des productions dramatiques de l’auteur :

Ce ne pas que le drame de Boisrobert n’ait pas ouvert en sa faveur les cent bouches de la renommée : on disoit à la cour qu’il étoit notre Sophocle ; & le cardinal, parmi les chef-d’œuvres de l’esprit humain, ne voyoit que Mirame au dessus de la Comtesse de Barcelone49.

Ce jugement ne peut être que faux puisque le cardinal était mort depuis 1642, alors même que la pièce ne fut créée qu’en 1653. Ch. Labitte, qui sans doute a connu cette édition, considère que le succès de la Comtesse de Barcelone engagea plus que jamais Boisrobert dans le théâtre, en y montrant une remarquable fécondité pendant quelques années jusqu’à peu de temps avant sa mort50. Il donna par la suite dix pièces de théâtre surtout à caractère comique, jusqu’à 1657. L’imitation espagnole domina, avant tout, dans la création boscorobertine, car, comme le dit A. Adam :

Nous sommes donc en présence, non pas d’une influence littéraire s’exerçant sur l’inspiration de nos écrivains, mais d’une mode du public, à laquelle nos auteurs s’efforcent de satisfaire. Les spectateurs veulent qu’on se transporte par l’imagination en Espagne…Ce plaisir très romantique, cette évocation d’un monde de volupté et de sang, voilà ce que d’abord recherchent les spectateurs du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne51.

Considéré comme un simple traducteur52, Boisrobert ne sait garder aucune des qualités des comedias espagnoles. Son originalité, au dire de Labitte,

c’est d’avoir conservé, dans les cadres improbables, mais amusants, qu’il empruntait à Lope de Vega, quelques traditions gauloises de l’Avocat Paletin et des farces graveleuses dont s’étaient amusés les bourgeois gausseurs de la Réforme et de la Ligue53.

Si quelques unes de ses pièces furent appréciées pendant la première moitié du XVIIe siècle, elles n’étaient guère goûtées au début de la seconde. Mazarin se contenta de le mettre à la porte, car il n’exerçait pas le même charme avec sa plume théâtrale. Cela peut expliquer aisément que Martinenche n’ait aucune réticence en affirmant que Cassandre n’est qu’une « misérable pauvreté54 », et Lancaster, tout en disant que la pièce fut « fairly popular, at least for a season » (automne 1653), conclut sur ce propos de la manière suivante :

…as there is nothing noteworthy in the study of character, and as the plot is unnecessary complicated, this success must have been due chiefly to the suspense created by the apparent danger of incest, the heroism of several characters, and the skillful presentation of certain situations, specially of the scène (II, 5) in which the father reveals to his son his belief that the young man is in love with his sister55.

Texte §

Nous avons choisi pour l’établissement de notre texte la première édition de Cassandre, comtesse de Barcelone, publiée donc en 1654 chez Courbé en format in-4° de la BnF. Les variantes trouvées dans tous les autres imprimés sont alors signalées en tenant compte de notre texte de base. Toujours est-il que les ouvrages parus au XVIIe siècle maintiennent une grande uniformité, si on les compare aux ouvrages imprimés au cours du siècle suivant. Cependant, quelques particularités peuvent être distinguées.

En ce qui concerne l’édition Courbé de l’Arsenal en format in-12, les variantes portent principalement sur deux aspects :

L’orthographe §

  • – Sensiblement corrigée pour les mots qui requièrent le doublement de la consonne, comme dans : apprenez (v. 134, 564, 790), appelle (v. 1044), souffert (v. 405) ; ou au contraire, lorsqu’ils n’en exigent qu’une seule, comme dans : loyale (v. 171), égale (v. 172, 530, 531, 1120), ingrate (v. 332, 415), éclate (v. 349, 414, 1035), chute (v. 526), rebute (v. 527), dites (v. 696), fidele (v. 693, 1085), fuite (v. 932), faites (v. 973, 1040, 1221, 1386, 1505, 1678), parfaite (v. 1132), satisfaite (v. 1678).
  • – L’emploi de l’apostrophe : M’a (v. 232), m’asseurez (v. 589), m’allez (v. 902), j’aye (v. 906), l’a (v. 1562).
  • – Le mot « septre » est systématiquement remplacé par « sceptre », (v. 437, 1018, 1123).
  • – Le « t » est introduit dans les formes au pluriel des mots : souhaits (v. 520), fruits (v. 983), esprits (v. 1250).
  • – La forme verbale « void » est remplacée par « voit » dans les vers 323, 459, dans les didascalies de la scène (I, 7) ; après la scène (IV, 4) ; après le vers 321. De même pour ce qui est du verbe « croid », le « d » devient « t » dans les vers 54, 1301, 1317.
  • – Il convient d’annoter que le v. 1191 (« Dissimulez, mon fils, ou vous nous perdez tous. ») a été complètement omis dans cette édition.

La ponctuation §

Nous signalons toutes les variantes de ponctuation trouvées à l’hémistiche et en fin de vers. Les signes d’interrogation y sont plus abondants, de même que pour les points d’exclamation, pratiquement inexistants dans notre texte de base.

En fin de vers §

v. 11  : entreprendre ;

v. 14  : mesprisez ;

v. 48  : Prouinces,

v. 71   : ame ?

v. 88 : elle,

v. 123 : franchise,

v. 131 : fidelle,

v. 132 : Isabelle.

v. 134 : amis,

v. 146 : appas,

v. 148 : trompe ;

v. 158 : douleur.

v. 160 : caprice ;

v. 175 : l’autre,

v. 180 : yeux,

v. 219 : Maitresse ?

v. 228 : apprendre.

v. 241 : sang

v. 245 : tour.

v. 247 : sorte ?

v. 250 : curieux ;

v. 270 : amant !

v. 278 : voir.

v. 290 : flattez

v. 303 : injustice !

v. 325 : dire,

v. 331 : mespris ;

v. 333 : tendresse,

v. 339 : m’estonnez !

v. 344 : deffendu !

v. 347 : examinons,

v. 360 : ainsy ;

v. 395 : reglée.

v. 398 : Madame,

v. 411 : deplaire,

v. 430 : Madame ;

v. 448 : bontez ?

v. 474   : grace,

v. 550   : pense.

v. 554   : tendresse,

v. 562  : ame ?

v. 567 : gloire ?

v. 576 : jour

v. 614 : estrange !

v. 670  : abusé,

v. 675  : appris !

v. 676  : caprice

v. 682 : doucement ;

v. 742 : venir,

v. 768  : conte,

v. 833  : naistre,

v. 880  : silence,

v. 933  : rameine

v. 949  : l’abandonne

v. 957   : égarée,

v. 1002 : secret,

v. 1038 : pretens.

v. 1145 : fauorable ?

v. 1153 : confondre ?

v. 1327 : appartement,

v. 1375 : lieux ?

v. 1394 : s’égare ;

v. 1439 : escoutez.

v. 1451 : examinez

v. 1452 : condamnez ;

v. 1464 : costez :

v. 1482 : Souueraine ;

v. 1582 : place

v. 1617 : pure ;

v. 1652 : temps :

v. 1670 : mesme.

À l’hémistiche §

v. 60 : plus,

v. 72 : Moncade,

v. 182 : actions,

v. 219 : Poulets,

v. 260 : billet ?

v. 273 : Cassandre !

v. 314 : enfin

v. 323 : voit

v. 670 : l’ingrate !

v. 759 : transports,

v. 1410 : innocent ;

v. 1481 : colere,

v. 1573 : retour !

Quant à l’édition hollandaise de Cassandre, outre le fait que la ponctuation est considérablement différente de celle des éditions Courbé et que nous n’allons pas nous attarder à en faire le relevé, il est intéressant de tenir en compte certaines singularités orthographiques. Le trait le plus marquant c’est l’emploi des accents aigus lorsqu’ils remplacent le groupe « -es- » par « é » dans les mots ainsi construits chez les éditions Courbé. Nous en avons les exemples suivants : mépris et les dérivés verbaux (v. 14, 327, 331, 744, 792, 806, 817, 856, 940, 959, 1235, 1244, 1251), répons (v. 58, 794, 855, 955), déplaire (v. 60, 110, 145, 175, 900, 1048), égal (v. 83), témoignage (v. 100, 588, 721, 733, 735, 1380, 1686), échappe (v. 106), découurons (v. 197), ménager (v. 214), émotion (255, 314, 343), émeu (v. 254), déplaisir (v. 327), témoin et les variantes verbales (v. 338, 339, 412, 473, 1054), ébranle (v. 772), éloigne (v. 931), méchant (v. 1233). On en fait de même avec les mots dont l’orthographe actuelle exige un accent circonflexe, comme dans : fâcheux (v. 168), tâchons (v. 239, 1029), fâche (v. 649), extrême (v. 944), trônes (v. 1602, 1629). Mais l’accent circonflexe y est aussi employé pour remplacer le groupe « -us » même si l’orthographe est aujourd’hui fautive, comme dans : soûpirs (v. 98, 101, 790, 1112, 1152, 1387), pû (v. 233, 1133), flâme (v. 244, 264, 395, 409, 431, 764, 841, 1005, 1029, 1116, 1383), toûjours (v. 442, 906), plûtost (v. 485, 1686), soûtenir (v. 533, 743, 1083, 1250), soûtien (v. 962). Cependant, l’aspect le plus curieux de l’édition hollandaise est l’emploi de certains signes qui raccourcissent les mots lorsque les vers s’avèrent trop longs par rapport à la largeur de la page. Ainsi, on voit le pronom personnel « vous » construit sous la forme « vo⁹ » dans les vers 29, 307, 418, 513, 1025, de même que pour l’adverbe de quantité « plus » : « pl⁹ », dans les vers 1267, 1477. Mais on remarque aussi la présence des tildes pour des termes tels que : sçauẽt (v. 37), hoñeur (v. 80), rẽdre (v. 200), mõ (v. 240), cõme (v. 297), prõpt (v. 324), sãs (v. 418), attẽdre (v. 499), cãpagne (v. 873), võt (v. 909), abandõne (v. 925, 929), pressãt (v. 976), croyãt (v. 1024), mãque (v. 1073), fẽme (v. 1289), prõptement (v. 1409), entẽdre (v. 1438), estoñe (v. 1477), grãdeur (v. 1602).

Nous avons déjà signalé qu’il existe encore deux autres éditions de Cassandre en format in-12, parues au XVIIIe siècle, en 1737 la première chez la Compagnie des Libraires et en 1781 la seconde chez Joseph-Sulpice Grabit. Par rapport aux éditions du siècle précédent, outre que l’orthographe a été adaptée aux normes de l’époque, on peut ajouter que la ponctuation est considérablement détaillée : les deux points, les points de suspension, les points d’exclamation et d’interrogation, guère existants dans les éditions Courbé, sont ici très abondants à l’hémistiche et en fin de vers comme ailleurs. Du point de vue de la forme, l’aspect le plus curieux c’est la grande quantité de scènes introduites tout en respectant celles déjà existantes dans le texte du XVIIe siècle. Nous avons donc pour le premier acte, onze scènes ; six, pour le second ; seize, pour le troisième, huit, pour le quatrième et dix, pour le cinquième. Encore faut-il dire que toutes les deux maintiennent la même structure et les mêmes changements introduits au texte ancien. Il est aussi à remarquer que si les imprimés de 1654 comptent au total 1714 vers, les éditions du siècle des Lumières en ajoutent un de plus, car le vers 1366, qui fait partie de la lettre du duc de Cardone à son fils, est coupé pour en faire deux :

Esuitez vne amour horrible,
Que ie regarde auec effroy.

Les éditions du XVIIIe siècle nous apportent aussi des informations intéressantes sur le souci de précision qu’ont éprouvé les imprimeurs en apportant des changements au texte original, non seulement du point de vue orthographique et de la structure, comme on vient de le voir, mais aussi du point de vue lexical et syntaxique. Le sens y est donc quelque peu altéré.

Corrections de sens §


Texte de 1654 Texte de 1737
v. 60 : que me desplaire de me déplaire
v. 81 : Suiuons doncques Suivons, suivons
v. 87 : que lui parler de lui parler
v. 211 : je n’en puis je ne puis
v. 213 : chaud grand
v. 248 : nous vous
v. 298 : ses mespris ces mépris
v. 317 : la fait l’a fait
v. 330 : Oyez qui Voyez qui
v. 373 : ce vers y est entre parenthèses
v. 397   : ce succez, un succès
v. 400   : cette amour cet amour
v. 506   : impose propose
v. 570  : Descouurez Remarquez
v. 585  : Astolfe Altesse
v. 593   : Que par sa mort Et par sa mort
v. 642   : Je vous d’y verité, Je dis la vérite,
v. 654   : Parlans Parlons
v. 660   : As-t’on donné As-tu donné
v. 664   : insigne imposture indigne imposture
v. 774   : permettroit permettoit
v. 834  : oyez & connoissez. voyez & connoissez…
v. 877   : Que dedans Qu’au milieu
v. 927   : a frappé mes espris ? a glacé mes esprits !
v. 943   : & ses dedains. & son dédain.
v. 991   : ces mépris, ses mépris :
v. 1015 : trompiez trompez
v. 1019 : vos beaux yeux. vos propres yeux.
v. 1025 : ferez feriez
v. 1053 : un grand priuilege, ce grand privilege.
v. 1289 : la voudrez vous la voulez-vous
v. 1315 : le pourrez le pouvez
v. 1385 : Ah l’infame, ah le traiste. Ah ! l’infame, le traître ! [v. 1386]
v. 1486 : nous vous rendrions nous vous rendron [v. 1487]
v. 1563 : diligemment, secretement [v. 1564]
v. 1583 : sçaurez sçauez [v. 1584]
v. 1591 : nos yeux, les yeux, [v. 1592]
v. 1610 : nous commande, vous commende, [v. 1611]
v. 1629 : qu’auec l’Enfant avec l’Enfant [v. 1630]
v. 1643 : vous m’auez promis vous m’aviez promis [v. 1644]

Corrections de syntaxe §


v. 223  : je luy deuois dire, je devois lui dire
v. 610   : par nous fut appaisée, fut par nous appaisée,
v. 813   : je les sçay comprendre : je sçai les comprendre,
v. 1263 : Et ma plus douce Et plus ma douce

Nous allons nous attarder maintenant sur le texte qui fait l’objet de l’établissement de la présente édition. Comme nous l’avons déjà dit, l’imprimé sur lequel nous travaillons est l’exemplaire 4-YF-156 (4) de la Bibliothèque Nationale. Nous avons choisi d’introduire le minimum de modifications à l’ouvrage consulté et nous le respectons autant que possible. Toutefois certaines corrections nous semblent pertinentes pour rendre la lecture plus aisée, tout en faisant la remarque que l’Epître et l’Avertissement au lecteur ont été laissés intactes. Nous avons ainsi :

  • – Changement de l’écriture en corps de texte normal et non pas en italique, comme dans l’original.
  • – Nous laissons l’italique lorsqu’il s’agit de lettres.
  • – Nous changeons le signe « β » par son correspondant « ss » dans les mots suivants : bleβé(e) (v. 140, 573, 889, 1496), paβé(es) (v. 697, 1256, 1687), poβede (v. 950), preβe(e) (v. 935, 1104, 1294), delaiβée (v. 1248), laiβé (v. 1495, 1664, 1688), laiβay (v. 1654).
  • – Nous avons systématiquement transformé le signe « ſ » par le « s » qui correspond, sauf pour l’Epître et l’Avertissement.
  • – Nous avons corrigé la liste suivante de fautes d’impression : balencée (v. 24), où (v. 121), ma (v. 133), dauantage (v. 154), maistre (v. 192), galemment (v. 210), ma (v. 232), ou (v. 324), ISABEELE (v. 325, 750), jamis (v. 397, 636), importent (v. 420), ardant (v. 454, 472, 1116), laudace (v. 475), méchapper (v. 503), jmpose (v. 506), dégalle (v. 531), quauez-vous (v. 558), orfeline (v. 594), examinans (v. 612), quay (v. 628), d’y (v. 642), PEDDRE (après le v. 687), masseurez (v. 689), à (v. 816), mallez (v. 902), crimniel (v. 902), jaye (v. 906), DON LAPE (v. 935), R’enferme (v. 936), méclaircir (v. 955), ASTOLE (après le v. 971), éclaue (v. 978), recueilliir (v. 983), resistes (v. 1048), aseoir (v. 1053), triomfer (v. 1122), bizare (v. 1134), balence (v. 1141), tenderez (v. 1146), conjuncture (v. 1148), vanger (v. 1171), poignart (v. 1175), CASSANDE (après les v. 1175, 1281), cassandre (dans la didascalie qui jouxte le v. 1188), d’eterminement (v. 1259), d’écouuert (v. 1270), jnnocence (v. 1322), jniure (v. 1369), CARDONNE (Sc. VII), rejallit (v. 1395), ma (v. 1664), Catalongne (v. 1521), pouray-ie (v. 1566), prissez (v. 1572), me’stes (v. 1602), jnjustice (v. 1646).
  • – Nous avons également introduit des changments dans la ponctuation : « […] doucement ? » (v. 682) ; « […] l’abandonne- » (v. 949) ; « […] sœur : » (v. 1130) ; « Prenez la- » (v. 1224) ; « […] née » (v. 1517).

La description de l’ouvrage que nous avons choisi est la suivante : 1 vol. [VIII]-126 p., in-4° ;

[I]. CASSANDRE, / COMTESSE / DE BARCELONE. / TRAGE-COMEDIE. / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez AVGVSTIN COVRBÉ, au palais, en la / Galerie des Merciers, à la Palme. / [filet] / M. DC. LIV. / AVEC PRIVILEGE DV ROY.

[II]. Page blanche.

[III-V]. Epître dédicatoire à Monseigneur le duc de Nemours, Archevêque et duc de Reims, Premier Pair de France.

[VI-VII]. AV LECTEVR.

[VIII]. LES NOMS DES ACTEVRS.

1-124. Le texte de la pièce.

125-126. Extraict du Priuilege du Roy.

CASSANDRE, COMTESSE DE BARCELONE.

TRAGE-COMEDIE. §

A MONSEIGNEVR LE DVC DE NEMOVRS, ARCHEVESQVE ET DVC DE REIMS, Premier Pair de France56. §

MONSEIGNEVR,

Si vous-vous ſouuenez que ce fut en voſtre preſence, qu’vne grande Princeſſe 57 ſouffrit auec plaiſir la premiere lecture qui a eſté faite de

EPISTRE.

cette Trage-Comedie ; Vous-vous ſouuiendrez aussi des aduis obligeans qui me furent donnez par Vous & par Elle, pour en augmenter les agrémens ; & ainſi vous n’aurez pas eſté fort ſurpris de la grande reputation qu’elle s’eſt acquiſe. Mais vous aurez ſans doute quelque ſujet de vous eſtonner, de ce qu’aujourd’huy que je l’expoſe hardiment, & auec tant de confiance à la veuë du monde, apres la glorieuſe approbation que vous luy auez donnée, j’oſe vous demander pour elle vne nouuelle protection. Ie ſçay bien, MONSEIGNEVR, que ce qui a eu une fois le don de vous plaire, & d’attirer vos loüanges, ne doit plus apprehender le blâme ny le mespris. Ie ſçay que cet esprit clair-voyant & judicieux, par lequel vous ne brillez pas moins que par la splendeur de vostre naiſſance, a ſes priuileges particuliers qui ſeroient respectez dans les Academies les plus seueres. Auſſi quelques couleurs que je donne à la vanité que j’oſe montrer icy d’auoir merité voſtre estime ; on void bien que ce n’eſt pas tant vne grace* que je vous demande, puiſque j’apprens aux Lecteurs, que je l’ay deſia receuë , qu’vn hommage que je vous rends, & que ce n’eſt pas tant vn teſmoignage que je veux exiger de vous pour ma gloire*, puis que vous l’auez deſia ſi bien eſtablie, qu’vn tribut que je cherche à payer à voſtre Vertu*. Mais, MONSEIGNEVR, j’ay quelque ſujet de craindre encore que ce dernier deſſein ne me reüſſiſſe pas mieux que l’autre, comme je confeſſe ingenument*, que je dois à vos bontez les principales graces de cet Ouurage. On ne manquera pas de dire que c’eſt pluſtoſt vne reſtitution qu’vn preſent que je vous faits, & que quelque ardeur qui paroiſſe dans mon zele*, vous n’auriez rien receu de moy, ſi vous ne m’auiez rien donné. Si les delicats* s’aduiſent de me faire cette objection, ſouffrez que je leur reſponde, que vous auez cela de commun auec les Dieux, dont vous tirez voſtre origine, que comme ils ne verroient point de fleurs ny de parfums ſur leurs Autels s’ils ne les auoient donnez aux hommes ; Ainſi, MONSEIGNEVR, ſi vous n’auiez respandu ſur moy quelques rayons de vos

propres graces, je n’en connoiſſois point d’eſtrangeres qui fuſſent dignes de vous, ny n’euſſe jamais pû vous teſmoigner aſſez parfaitement de moy-meſme auec quel reſpect*, & quelle veneration je ſuis,

MONSEIGNEVR,

De V. A.

Le tres-humble & tres-obeïſſant seruiteur,

BOIS-ROBERT, Abbé de Chaſtillon.

AV LECTEVR. §

Ie m’aſſeure, LECTEVR, que cette Trage-Comedie, que toute la Cour & toute la Ville ont trouuée ſi belle ſur le Theatre, ne te paroiſtra guere moins agreable ſur le papier, & que tu la trouueras auſſi bien ſouſtenuë par la delicateſſe & par la majeſté de ſes vers, que par la dignité de ſon sujet. Si Villegas58 Eſpagnol aſſez obſcur, qui a eſte aſſez heureux pour trouuer vn ſi beau nœud, euſt eu la meſme fortune* dans le deſnouëment, cette ſeule production l’auroit ſans doute eſgalé aux plus fameux Inuenteurs de ſa nation, & de ſon siecle : Si comme cette piece eſt aſſez rare, il arriue par hazard qu’elle vienne à tomber entre tes mains ; j’ay la vanité d’eſperer que tu priſeras peut-eſtre moins les richeſſes & les profuſions de l’Autheur, que ma petite Œconomie*.

LES NOMS DES ACTEVRS. §

  • CASSANDRE, Comteſſe de Barcelone.
  • LE DVC DE CARDONE, Regent de Catalogne.
  • ASTOLFE, Fils du Duc de Cardone, amoureux de Caſſandre.
  • ISABELLE, Fille du Duc de Cardone, Amante de Moncade.
  • D. REMON DE MONCADE, Amoureux d’Iſabelle.
  • D. PEDRE D’ARRAGON, Amoureux d’Iſabelle.
  • D. LOPE, Capitaine des Gardes de la Princeſſe.
  • BERALDE, Eſcuyer d’Astolfe.
  • D. BERNARD DE ROCCAS, Gouuerneur de la Princeſſe.
La Scene eſt à Barcelone.
[p. 1, A]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

LE DVC DE CARDONE, ASTOLFE.

LE DVC.

Enfin voicy le jour tant de fois souhaitté,
Nostre Princesse arriue à sa majorité,
Mon fils, & de son choix nous attendons vn Maistre,
Que les plus clairuoyans encor59 n’ont pû connestre ;
5 Son esprit* sur ce choix est trop irresolu, [p. 2]
Faisons qu’elle vse enfin de son droit absolu ;
Faisons qu’elle choisisse vn braue & sage Prince,
Et par ce digne choix rasseurons* la Prouince.
Sur tout, faisons, mon fils, qu’elle jette les yeux
10 Sur vn Prince estranger qui nous appuira mieux,
Qui plus absolument60 pourra tout entreprendre,
Et contre nos voisins nous sçaura mieux deffendre ;
Elle n’a pû souffrir* ceux que j’ay proposez,
I’ay beau vanter leur gloire*, ils sont tous mesprisez,
15 Et cette auersion qu’elle a trop fait parestre,
Me fait douter encor si nous aurons vn Maistre.
Cependant le temps presse, on void que nos Estas
Ont besoin d’vne teste aussi bien que d’vn bras ;
Que par ce peuple fier* l’authorité s’entame,
20 Et qu’il vit à regret sous le joug d’vne femme.

ASTOLFE.

Si vos sages conseils pour elle ont esté vains,
Croyez-vous que les miens renuersent ses desseins ?
Qu’elle s’explique à moy de toute sa pensée ?

LE DVC.

Ouy ; comme sur ce choix son ame est balancée,
25 Vers le bien de l’Estat vous la ferez pencher,
Et luy pourrez enfin son secret arracher.
Auec elle esleué dés la plus tendre enfance [p. 3, Aij]
Vous serez bien plus propre à cette confidence,
Son cœur s’ouurira mieux sans doute à vous qu’à moy.

ASTOLFE, bas.

30 Diray-je que j’attens des marques de sa foy ?
Diray-je que je l’ayme, & que mon feu la touche ?
Non, ayons-en deuant* le congé* de sa bouche.

LE DVC.

Voyez-la donc, Astolfe, & luy faites juger
L’appuy qu’attend l’Estat du choix d’vn estranger,
35 Que les Ambassadeurs des Princes qui pretendent61,
Sont remis à ce jour pour ce choix qu’ils attendent ;
Que chacun fait sa brigue*, & qu’ils sçauent pourtant,
Qu’elle seule peut tout en ce choix important ;
Le braue Roussillon, le moins puissant en terre,
40 A paru le plus aspre à nous faire la guerre.
C’est vn Prince vaillant qui peut recommencer,
Ie le prefererois pour moy sans balancer,
Si le Roy d’Arragon paroist fier & bizarre*,
Comme il est plus puissant que le Roy de Nauarre,
45 Il nous deffendra mieux, celuy de Portugal
Estant plus esloigné, nous feroit moins de mal :
Enfin, elle a receu les portrais de ces Princes,
Elle sçait leurs humeurs*, & connoist leurs Prouinces
Ce grand choix despend d’elle, elle n’en doute pas, [p. 4]
50 Et de ce choix dépend le bien de ses Estas ;
Sauuez-moy par ce choix du soin qui m’embarrasse,
Le grand faix de l’Estat m’importune & me lasse ;
Les Grands veulent vn Maistre, & le Peuple indiscret*
Croid que je quitteray la Regence à regret ;
55 Sauuez-moy du murmure*, & des vns & des autres,
Si mes conseils sont bons, secondez-les des vostres.

ASTOLFE, à part.

Oüy, Seigneur, sur ce point vous serez obey,
N’y respons, pas mon cœur, ma bouche t’a trahy ;
Mais voicy la Princesse à qui ie ne puis taire.

SCENE II. §

ASTOLFE, CASSANDRE, DORISE.

CASSANDRE.

60 Qv’on ne m’en parle plus à moins que me desplaire :
Ah c’est trop me presser sur ce choix odieux !
Ne precipitons rien, laissons-le faire aux Dieux.

ASTOLFE, à part.

O Dieux que ce discours* me donne lieu de craindre, [p. 5, Aiij]
Ie ne puis plus, Madame, à vos yeux me contraindre,
65 Voyez les maux cruels qui me sont preparez,
Mon Pere & les Destins contre moy conjurez.

CASSANDRE.

Astolfe, allez chercher vostre sœur Isabelle.

ASTOLFE.

Souffrez qu’auparauant.

CASSANDRE.

Viste j’ay besoin d’elle.

ASTOLFE.

Sans m’escouter, Madame.

CASSANDRE.

Allez-y de ce pas,
70 Obeïssez, vous dis-je, & ne repliquez pas.

ASTOLFE, à part.

Quel accueil, justes Dieux, quelle atteinte à mon ame.
[p. 6]

SCENE III. §

DON REMOND DE MONCADE, DON PEDRE D’ARRAGON, CASSANDRE, DON LOPE, Capitaine des Gardes.

DON LOPE.

Don Remon de Moncade & Don Pedre, Madame,
Viennent vers vostre Altesse.

CASSANDRE.

Ah je ne doute point
Qu’ils ne viennent encor me presser sur ce point ;
75 Rentrons Don Lope, il faut que je les abandonne,
En l’humeur* où je suis ie n’escoute personne.

DON REMON DE MONCADE.

Don Pedre, je le veux, si le Ciel l’a permis,
Nous pouuons demeurer* riuaux, & bons amis,
Qu’vn interest* d’amour jamais ne desunisse,
80 Deux cœurs tout pleins d’honneur, & qui se font justice.

DON PEDRE.

Suiuons doncques62 l’accord entre-nous arresté*, [p. 7]
Moncade, aymons tous deux cette jeune beauté ;
Par vn merite esgal nous la pouuons pretendre,
Le Duc auec plaisir m’accepteroit pour gendre
85 Ie croy qu’auecque63 joye il vous prendroit aussi,
Mais ce n’est pas de là que naist nostre soucy.
Auant que luy parler plaisons à cette belle,
Que celuy qui sera fauorisé par elle
S’en preuaille*, & l’emporte, & que le malheureux,
90 Cede sans murmurer* à son sort rigoureux64.

MONCADE.

I’accepte le party*65, mais si je ne m’abuse,
Sans employer prés d’elle ou l’adresse* ou la ruse,
Ie puis embarrasser mon genereux* riual,
Ie croy sans vanité que je n’y suis pas mal.

DON PEDRE.

95 Pour moy, si par ses yeux j’ay pû lire en son ame,
Elle n’a rejetté ny mes vœux ny ma flâme* ;
Encor que mes respects luy cachent mes desirs,
Elle en doit deuiner l’ardeur* par mes soupirs,
Et si ie ne me trompe elle entend ce langage*.

MONCADE.

100 I’ay de son agrément vn plus seur tesmoignage, [p. 8]
Vous luy faites parler vos soupirs & vos yeux,
Ie faits parler ma bouche, elle s’explique mieux.

DON PEDRE.

Que sert de cajoler vne jeune merueille,
Si le cœur ne reçoit ce qu’a receu l’oreille ?
105 Vn soupir entendu de l’objet que l’on sert,
Est plus fort que la voix qui s’eschappe & se perd,
Et je suis fort trompé si iamais vne œillade
A payé l’éloquence & les soins de Moncade ;

MONCADE.

Ie ne sçay si ma voix pour elle a des appas,
110 Mais je sçay que mes soins ne luy desplaisent pas.

DON PEDRE.

Moy j’ay plus que cela, car je luy puis escrire
Ce qu’inutilement Moncade a pû luy dire.

MONCADE.

Vous luy pouuez escrire ? & moy sans vanité
I’ay pareil aduantage & mesme liberté,
115 Et dans ce jour la belle aura de mes nouuelles.

DON PEDRE.

Enfin pour m’asseurer ce miracle des belles, [p. 9, B]
I’ay gagné chez le Duc vn zelé Partisan ;
Beralde cét adroit & ruzé Courtisan,
Qui les gouuerne tous, m’a promis de remettre
120 Dans les mains d’Isabelle auiourd’huy cette lettre,
Et par là i’apprendray si i’y suis bien ou mal,
Et si i’ay lieu de craindre ou brauer vn riual.

MONCADE.

Puis que66 vous me parlez auec tant de franchise*
Sçachez que mesme chose aujourd’huy m’est promise,
125 Par le mesme Beralde, & qu’il doit ce matin,
Regler par ce billet mon amoureux Destin*.

DON PEDRE.

Il vient tout à propos ; Puisqu’il connoist nos flâmes*,
Et qu’il a sceu par nous le secret de nos ames,
Qu’on luy découure aussi quel est ce juste accord,
130 Entre nous arresté, qui regle nostre sort.

MONCADE.

Ie le veux, aprenons sur son rapport fidelle
Qui de vous ou de moy plaist aux yeux d’Isabelle,
[p. 10]

SCENE IV. §

DON PEDRE, MONCADE, BERALDE,

DON PEDRE.

Beralde se souuient de ce qu’il m’a promis.

BERALDE.

Ouy, Seigneur.

DON PEDRE.

Aprenez que nous sommes amis
135 Ce qui dans deux riuaux67 semble chose assez rare,
Que nous ne voulons point que l’amour nous separe,
Qu’Esclaues d’Isabelle, & sans estre jaloux*,
Nous luy faisons justice en l’aymant, comme à nous.
Comme nous ignorons le fonds de sa pensée,
140 Nous craignons justement qu’elle ne fust blessée*,
Si mon riual ou moy la faisions demander,
Sans sçauoir si son cœur s’y pourroit accorder ;
Car je ne voudrois pas posseder cette belle,
Si quelque auersion se rencontroit en elle.
145 Nous nous sommes flattez de ne deplaire pas
A ce diuin objet* remply de tant d’appas*
Estallans68 nostre gloire* auec assez de pompe :                 [11, Bij]
Mais il faut ou que l’vn ou que l’autre se trompe,
Car il peut estre enfin que sa ciuilité69
150 Seule a produit l’éclat de nostre vanité.
Beralde qui peut tout dans toute la famille,
Et qui connoist l’esprit de cette aimable fille,
Pourroit bien descouurir qui des deux dans son cœur
Auroit plus d’auantage70 à s’en rendre vainqueur,
155 S’il veut fidellement tenter cette auanture*,
Qui sera mal-heureux cedera sans murmure.

MONCADE.

Ouy, s’il se trouue en grace, & moy dans le malheur,
Ie cede sans murmure, & non pas sans douleur,

BERALDE.

Certes ie suis rauy* de voir tant de Iustice*,
160 En deux cœurs amoureux, & si peu de caprice*,
Comme je vous honore & prise* également,
I’aime bien à vous voir ce noble sentiment.
C’est une belle chose & rare ce me semble,
Que voir viure l’amour & la raison ensemble,
165 Qui possede en tiran contente son desir,
Mais il n’a que trois jours de solide plaisir :
C’est de là que sont nez tant de mauuais mesnages, [p. 12]
Et tant de discordans & fascheux mariages ;
Puisque vous consentez que sur mon seul rapport
170 Isabelle decide aujourd’huy vostre sort,
I’ose vous asseurer que d’vne ame loyalle
I’agiray pour tous deux auec adresse égalle.
Enfin sans vostre accord i’estois fort empesché,
Car vous m’auez tous deux égallement touché ;
175 Et n’en pouuant seruir l’vn, sans deplaire à l’autre
Mon embarras estoit aussi grand que le vostre.

DON PEDRE.

M’auez vous pas promis de donner ce billet ?

MONCADE.

M’auez vous pas promis de rendre ce Poulet* ?

BERALDE.

I’ay promis l’vn & l’autre, & suis prest à le faire.

DON PEDRE,

180 Puis qu’ils parlent pour nous, Beralde se peut taire ;
Mais il peut découurir aux mouuemens des yeux
Et par les actions qui luy plaira le mieux.

MONCADE.

Ie laisse auec le mien, ce diamant pour gage, [p. 13, Biij]
Que si je suis choisy, vous aurez dauantage.

DON PEDRE.

185 Ie laisse auec le mien cét autre diamant :
Et je fais à Beralde vn solemnel serment,
Que si l’objet* aimé fauorise* ma flâme*,
Il peut tout sur mes biens ainsy que sur mon ame.

MONCADE.

Ie luy fais la mesme offre, & si je ne la tiens…71

BERALDE.

190 Enfin si je vous sers, ce n’est point pour vos biens,
C’est pour celuy du Duc qu’icy je m’interesse*,
L’vn ou l’autre ne peut espouser ma maistresse,
Qu’il n’en reçoiue honneur, moy je prens seulement
Vos presens, pour monstrer mon cœur plus franchement ;
195 Et je prens de tous deux, pour vous monstrer encore
Qu’auec égalité tous deux je vous honore.

DON PEDRE.

Allons vers la Princesse.

MONCADE.

Allons, & descouurons, [p. 14]
S’il est possible enfin, quel Maistre nous aurons.

SCENE V. §

BERALDE seul.
I’ay ce me semble esté bien leger à promettre,
200 De rendre à leur Maistresse & l’vne & l’autre lettre,
Qui prend, s’engage enfin, que sert de contester,
Quoy qu’elle en puisse dire, il les faut presenter,
Quel peril de seruir deux Seigneurs d’importance,
Dont la haute fortune* égalle la naissance !
205 Quand Isabelle au fonds auroit autre penser,
Le Duc n’y verra rien qui le puisse blesser :
Profitons de l’amour de ces deux Personnages ;
Mais si j’en veux tirer de plus grands aduantages,
Il faut faire durer la chose adrettement72,
210 La cacher à mon Maistre, & fourber* galamment*.
Ie n’en puis seruir l’vn, que l’autre je n’offence,
Desseruant l’vn aussi, l’autre prend ma deffence,
D. Pedre est le plus chaud*, si j’en sçay bien juger, [p. 15]
Il faut donc prendre peine à le mieux menager.
215 Mais sans subscription73 ces Poulets on enuoye,
Ils sont égaux de taille, & different en soye,
Que veut dire D. Pedre auec son bleu mourant ?
Le vert de l’autre marque vn espoir apparent.

SCENE VI. §

ASTOLFE, Surprenant Beralde luy arrache ces deux lettres.

De qui sont ces Poulets* sont-ils d’vne Maistresse.

BERALDE surpris.

220 On me les a donnez pour rendre à la Princesse.

ASTOLFE.

A la Princesse !

BERALDE, à part.

O dieux ! que je suis interdit*,
O cruelle surprise, insensé qu’ay-je dit ?

ASTOLFE.

Pour rendre à la Princesse ? [p. 16]

BERALDE. à part.

Ah ! je luy deuois dire,
Qu’à sa sœur ces riuaux auoient raison d’escrire,
225 O maudit interest*.

ASTOLFE, bas.

I’ay lieu* d’estre jaloux*.
Ie les rendray moy-mesme, allez retirez vous.
Qui donc si hardiment ose escrire à Cassandre ?
En ouurant ces billets, nous le pourrons apprendre,
Voyons, c’est de Moncade, ô dieux ! qui l’eust pensé !
230 Puis qu’il s’est librement* jusques là dispensé*,
Il faut qu’il soit aimé, sans doute il le doit estre,
De là naist la froideur qu’elle m’a fait parestre,
Et de là vient encor qu’on n’a peu l’engager
Au choix determiné d’aucun Prince estranger,
235 N’osant pas m’annoncer cette dure nouuelle,
Pour me la faire entendre elle mande* Isabelle.
Quoy Moncade, d’escrire a pris la liberté !
Quoy, i’aurois vn riual, plus chery, mieux traitté ?
Relisons ce billet, taschons d’y mieux connoistre.
[p. 17, C]

SCENE VII. §

CASSANDRE, MONCADE, ASTOLFE.
ASTOLFE, lit tousiours, & ne void point la Princesse.

CASSANDRE.

240 Ovy, je feray mon chois, ouy, vous aurez un Maistre.
Qu’on ne m’en parle plus.

ASTOLFE lit tout haut.

Puis que vous connoissez le sang.
De Moncade Madame.
Puis que vous connoissez son rang.
Daignez connoistre aussi son respect* & sa flame.

MONCADE.

245 O dieux le lasche tour,
C’est ma lettre, & Beralde a trahy mon amour.

CASSANDRE à Moncade.

Quelle lecture occupe Astolfe de la sorte,
Il ne nous a point veus, ce billet le transporte*, [p. 18]
Elle arrache la lettre à Astolfe.
Il attache son ame aussi bien que ses yeux,
250 Vous sçauez qu’vne fille a l’esprit curieux,
D’où vous vient ce billet, voyons qui vous l’enuoye,
Vous vous fâchez en vain, il faut que ie le voye.

ASTOLFE bas.

L’ingrate de Moncade a reconneu la main,
Et retire* sa lettre.

CASSANDRE.

à part.
Il s’est ému soudain,
255 De cette emotion je deuine la cause,
Astolphe, dans l’esprit, vous auez quelque chose,
Respondez sans contrainte, & sans vous estonner*.

ASTOLFE.

Mon mal est bien aisé, Madame, à deuiner,
Et je serois sans cœur si j’estois insensible.

MONCADE bas.

260 Il condamne mon feu la chose est trop visible,
Et veu ma qualité, j’en suis assez surpris.

CASSANDRE bas.

D’où luy vint ce billet.

MONCADE bas.

D’où luy vient ce mépris ? [p. 19, Cij]

CASSANDRE.

Quelque surprise icy vous broüille la ceruelle.

ASTOLFE.

Rien ne surprend si fort qu’vne flame nouuelle.

CASSANDRE.

265 Ce que vous auez leu vous touche fort au cœur.

ASTOLFE.

Oüy, Madame.

MONCADE bas.

Ay-je escrit pour outrager sa sœur ?

CASSANDRE.

Ie ne puis plus cacher ce que souffre mon ame.

ASTOLFE.

Ie deuois mieux cacher cette lettre, Madame.

CASSANDRE.

Elle a trop éclatté*, n’y pensons plus ; Adieu. [p. 20]

MONCADE.

270 Puis que mon feu, Madame, a paru dans ce lieu,
Ie n’en veux donc plus faire vn secret, ny m’en taire.

ASTOLFE.

La declaration ne peut estre plus claire.

CASSANDRE en s’en allant.

Malheureuse Cassandre.

ASTOLFE.

O malheureux amant.

MONCADE.

Suiuons-la pour luy dire enfin tout mon tourment* :
275 Car je n’attens plus rien de cét iniuste frere.
Elle emporte ma lettre.
[p. 21, Ciij]

SCENE VIII. §

ASTOLFE, MONCADE.

ASTOLFE.

Et je pourray m’en taire ?
Ie souffriray sans bruit* ce coup de desespoir ?
Moncade, hors d’icy, je desire vous voir-

MONCADE.

Pourquoy ?

ASTOLFE.

Pour vous prier de me tirer de peine.
280 Il faut vous desister d’vne recherche vaine.

MONCADE.

Moy, je mourrois plustost que de m’en desister,
bas.
Ah ! ce cruel mespris ne se peut supporter ;
Astolfe, suis-je donc de si basse naissance,
Que je n’ose aspirer à si haute alliance ?
285 D’où vous naissent enfin ces rigoureux dédains ?

ASTOLFE.

Moncade, je ne puis approuuer vos desseins, [p. 22]
Ny je ne puis icy vous en dire la cause,

MONCADE.

Ie fondois mon espoir en vous sur toute chose,
Ie croiois si mes vœux* n’estoient pas escoutez,
290 Qu’au moins par vostre bouche on les verroit flattez ;
I’esperois si l’amour m’estois peu fauorable,
Qu’en vous je trouuerois vn amy secourable,
Qui voyant perdre en l’air mes pleurs & mes soupirs,
Me viendroit consoler de tous mes desplaisirs* ;
295 Déja je regardois Astolfe comme vn frere,
Et c’est luy cependant qui m’est le plus contraire :
Mais comme en cette humeur* j’attens du changement,
Ie n’ose à ses mespris repartir aigrement,
Il m’est trop important au dessein qui m’arreste,
300 Que vous m’aydiez, Astolfe, à faire ma conqueste ;
Il m’est trop important que nous soyons amis.

ASTOLFE.

Vous vous abusez fort de vous l’estre promis,
Ie ne puis jamais l’estre, adieu.

MONCADE, seul.

Quelle injustice. [p. 23]
D’où luy vient ce mespris, d’où luy naist ce caprice ?
305 Si i’apprens qu’Isabelle ait vn mespris pareil,
Enfin de la raison nous suiurons le conseil.

Fin du premier Acte.

[p. 24]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

ISABELLE, ASTOLFE.

ISABELLE.

D’où vous naist ce chagrin, mon frere qu’auez vous ?

ASTOLFE.

Ie ne puis resister à de si rudes cous,
Et n’ayant plus despoir, ie n’ay plus de courage :
310 Ma sœur, il faut mourir, la Princesse est volage.

ISABELLE.

Quelle preuue auez-vous de sa legereté ?

ASTOLFE.

Auec vn fier mespris, l’ingratte* m’a quitté,
I’ay veu dans vn billet son amitié nouuelle : [p. 25, D]
Et c’est Moncade enfin qui la rend infidelle.

ISABELLE bas.

315 Moncade ? Ah s’il est vray je suis au desespoir.

ASTOLFE.

D’où naist l’emotion que vous me faittes voir ?

ISABELLE.

Vostre seul interest la fait naistre, mon frere,
La Princesse changer ? ce coup me desespere.

ASTOLFE.

Vous auez bien sujet de vous en estonner,
320 On auoit cette lettre encor à luy donner,
Vous verrez ce que c’est, ma sœur, je vous la laisse.
Il void venir la Princesse.
Adieu, vos propres yeux y verront sa foiblesse*.

SCENE II.[26] §

ISABELLE, CASSANDRE.

CASSANDRE.

Av moment qu’il me void il s’enfuit brusquement
L’ingrat, d’où luy peut naistre vn si prompt changement ?
325 Que voy-je ?

ISABELLE.

Il est jaloux, Madame, & c’est tout dire ;
Le malheureux qu’il est souffre vn cruel martire,
Vos mespris ont causé son desplaisir secret,
Il s’en va, mais je sçay qu’il vous quitte à regret.

CASSANDRE.

Quoy le traistre m’accuse, he ! qu’est-ce qu’il peut craindre ?
330 Oyez qui de nous deux a sujet de se plaindre,
Apprenez, Isabelle, apprenez ses mespris,
Il ne s’en peut deffendre, enfin je l’ay surpris,
Vous sçauez si j’aimois l’ingrat auec tendresse* ; [p. 27, Dij]
Helas vous auez veu ma premiere foiblesse ;
335 Et je n’en puis cacher vne autre en confessant
Qu’on l’aimeroit encor s’il estoit innocent,
Mais qui l’excuseroit tenteroit l’impossible,
I’ay de son inconstance vn tesmoin trop visible.

ISABELLE.

Vn tesmoin trop visible ? Ah que vous m’estonnez 
340 Croyez moy, c’est à tort que vous le soupçonnez.

CASSANDRE.

I’ay tantost de ses mains cette lettre arrachée,
Et j’en ay veu son ame estrangement touchée ;
Dans cette esmotion son esprit s’est perdu,
Que je l’ay veu surpris, qu’il s’est mal deffendu.

ISABELLE.

345 Mais que dit cette lettre encor, l’auez vous leuë ?

CASSANDRE.

Non ; car cent importuns qui m’ont tousiours tenuë*,
Ne me l’ont peu permettre.

ISABELLE.

Enfin examinons [p. 28]
Si c’est auec raison que nous le condamnons.

CASSANDRE lit la lettre de Moncade.

Auant que de faire éclatter,
350 La Passion* incomparable,
Par qui je me laisse flatter,
Voyez si pour vous meriter
I’ay quelque qualité qui vous soit agreable.
Puis que vous connoissez le sang
355 De Moncade, Madame,
Puis que vous connoissez son rang,
Daignez connoistre aussi son respect & sa flâme.

ISABELLE.

Madame, qu’est-ce cecy, cette lettre s’adresse
A vous.

CASSANDRE.

De Dom Remon i’y voy la hardiesse.

ISABELLE. bas.

360 C’est à moy que l’ingrat deuoit escrire ainsy,

CASSANDRE.

L’innocence d’Astolfe y paroist claire aussi. [p. 29, Diij]

ISABELLE.

Ie vous l’auois bien dit qu’il seroit impossible,
Que pour vn autre objet* mon frere fust sensible ;
I’ay trop veu ses respects, j’ay trop connu son cœur,
365 Vous en jugiez, Madame, auec trop de rigueur.

CASSANDRE.

Ouy je condamne enfin mon iniuste caprice* ;
Et je me veux resoudre à luy faire justice :
Mais Moncade sans doute est vain de presumer
Qu’il puisse en m’escriuant m’obliger à l’aimer.

ISABELLE.

370 Mais, Madame, est-ce à vous que Moncade ose escrire ?

CASSANDRE.

Il a plus fait encore ayant osé me dire,
Que puis que son amour auoit tant éclatté,
Admirez cette audace, & cette vanité,74
Il n’en vouloit plus faire vn secret, ny s’en taire.

ISABELLE.

375 Ouy sans doute, Madame, il est trop temeraire, [p. 30]
Et meriteroit bien qu’on luy fist ressentir,
De cette vaine audace vn cuisant* repentir.

CASSANDRE.

Ie suiuray vos conseils, & croyez Isabelle,
Qu’Astolfe aura le prix* de son amour fidelle,
380 Hola, qu’on cherche Astolfe, & qu’on l’ameine icy.

ISABELLE.

Vn valet vient
I’admire vos bontez de le traitter ainsy,
Madame il va passer de la mort à la gloire ;
Tantost, de ses malheurs me racontant l’histoire,
Il m’a mis cette lettre encore entre les mains,
385 Qu’il croit estre pour vous.

CASSANDRE.

Voyons la, je le pleins.
Cassandre lit.
Souffrez adorable Isabelle,
Qu’vn Amant discret & fidelle
Vous descouure sa passion,
Vous connoissez le sang Illustre d’Arragon.
390 C’est à vous qu’on l’escrit. [p. 31]

ISABELLE.

Souffrez que je la voye
Elle lit
Dom Pedre d’Arragon est celuy qui l’enuoye,
D’où naist la passion de cét homme imprudent,
Et d’où vient que mon frere en est le confident
Sans m’en auoir rien dit ? a-t’il l’ame troublée* ?

CASSANDRE.

395 La flame de Dom Pedre est vn peu mieux reglée ;

ISABELLE.

Elle n’est pas plus juste, & ce vain amoureux
N’en doit jamais attendre ce succez* plus heureux,
Astolfe vient à nous.

SCENE III. §

ASTOLFE, CASSANDRE, ISABELLE.

ASTOLFE.

Qve voulez vous Madame
Enfin, pretendez vous arracher de mon ame
400 Cette amour immortelle, & ces feux* eternels, [p. 32]
Que vous auez trop tard reconnus criminels ?
Pourquoy permettiez-vous qu’ils y prissent racines,
Pourquoy rendant hommage à vos beautez diuines,
Me laissiez-vous flatter par vn espoir si doux,
405 L’ayant soufert enfin, pourquoy le chassez-vous ?
D’où naist cette rigueur, qui vous a fait connestre,
Qu’on peut guerir d’vn mal que vos yeux ont fait naistre ?
Pourquoy me preferer vn riual glorieux,
Si ma flame a brillé la premiere à vos yeux ?

CASSANDRE.

410 I’aime bien à vous voir cette noble colere,
Ces beaux emportemens* ne me sçauroient deplaire
Puis qu’ils sont les tesmoins d’vne immuable ardeur*,
Dont j’aime la durée ainsi que la grandeur.
Sçachez, puis qu’à mes yeux vostre innocence éclatte*,
415 Que Cassandre à vos vœux ne fut jamais ingratte,
Qu’elle vous crut volage & hors de son pouuoir,
Et qu’elle souhaittoit, ce qu’elle vient de voir ;
Ie veux, puis qu’il est vray que vous m’aimez sans feinte,
Vous descouurir* aussi mon ame sans contrainte ;
420 Et vous dire moy-mesme vn important secret,
Que mesme à vostre sœur je fyois75 à regret ;
Puis qu’vne passion si belle & si connuë, [p. 33, E]
Ne doit plus m’engager à tant de retenuë.
Sçachez donc que ce choix dont on nous presse tant,
425 Ce choix, pour nos Estats, & pour nous important
Ne regarde qu’Astolfe, & non pas tous ces Princes,
Qui m’offrent leur amour ainsy que leurs Prouinces,
Que vostre souueraine a jetté l’œil sur vous,
Et qu’elle entend vous faire aujourd’huy son espoux.

ASTOLFE.

430 Quel heur* inesperé ! quelle gloire* ! Ah ! Madame,
C’est trop pour mon merite*, & non pas pour ma flame,
Elle emporteroit* tout, si je la mesurois,
Auecques la puissance, & des Dieux, & des Rois.
Sçachez que c’est l’éclat qui vos yeux enuironne,
435 Qui me tente & me charme*, & non vostre couronne,
Par luy je suis esclaue, & n’estois que sujet,
Du septre qu’vne autre ame auroit eu pour objet.
Par luy vous effacez les autres Souueraines,
Et surpassez l’éclat des plus superbes Reines,
440 Celles de qui l’Empire* a paru le plus doux,
N’ont jamais merité tant de sujets que vous,
Aussi le suis-je encore, & le veux toujours estre,
De celle qui m’esleue & qui m’erige en maistre,
Ie prendray quelque part à vostre authorité,
445 Pour appuyer le trosne où je seray monté ;
Mais comme vn autre Atlas aprés cette victoire, [p. 34]
I’auray toute la charge, & vous toute la gloire.

ISABELLE.

Que ne deuons nous point, Madame, à vos bontez.

CASSANDRE.

Ne differons donc plus l’heur* que vous meritez.

ASTOLFE.

450 Souffrez, puis qu’il vous plaist, Madame, que jespere,
Que je puisse annoncer cette gloire à mon pere.

CASSANDRE.

C’estoit bien ma pensée, ouy, ne luy cachez rien.

ASTOLFE.

Ie crains fort son esprit, le connoissez vous bien,
Madame ?

CASSANDRE.

Ouÿ c’est vn homme ardent* & magnanime,
455 Qui pour sauuer l’Estat s’en feroit la victime,
Qui m’aime auec tendresse, & qui d’vn mesme cœur,
Embrasse mes Estats. [p. 35, Eij]

ASTOLFE.

Ces raisons me font peur,
Vous connoissez son cœur, moy sa delicatesse,
Comme il void nos voisins nous quereller sans cesse,
460 Il s’est mis dans l’esprit qu’il faut vous engager,
Pour nous deffendre mieux, au choix d’vn Estranger.

CASSANDRE.

Il connoist vostre cœur dont il doit tout attendre,
Vos bras, & ses conseils nous sçauront bien deffendre ;
Comme il aime son sang, & qu’il en sçait le pris*,
465 Il agrera mon choix,

ASTOLFE.

Il en sera surpris ;
Madame, excusez moy si j’ose encor vous dire,
Que je crains d’autant plus qu’ardamment je desire.
Ie sçay jusqu’à quel point le Duc est delicat,
Sur les moindres soupçons qui regardent l’Estat ;
470 Ce n’est pas, croyez-moy, sans raison que je tremble ;
Il me souuient qu’vn iour nous discourions ensemble,
Sur ce choix, sur vostre âge, & sur les soins ardens
Que tesmoignoient déja les diuers pretendans ;
Il regardoit de l’vn le merite & la grace [p. 36]
475 Mais appuyant de l’autre, & la force & l’audace,
C’est celuy-là que doit la Princesse choisir,
Dit-il, si sa raison s’accorde à son desir.
I’admiré76 les raisons qu’il dit sur chaque Prince,
En suitte examinant les grands de la Prouince
480 Qui pouuoient y pretendre, & me nommant entr’eux,
Nostre destin, dit-il, n’est pas assez heureux
Pour esperer ce choix quoy que j’en vaille vn autre,
Ce n’est pas ma pensée, & ce n’est pas la vostre,
Mais si Cassandre auoit jetté les yeux sur vous,
485 Ie voudrois vous voir mort plustost que son espoux ;
Ie ne veux pas, dit-il, donner prise à l’enuie,
Ny que tant de jaloux qui regardent ma vie,
Me puissent reprocher d’auoir eu le dessein,
En éleuant mon fils, d’en faire vn Souuerain ;
490 Ie ne replique point, & n’ose m’en deffendre,
Tant pource qu’en77 ce temps je n’osois y pretendre,
Que pource qu’en effect je croyois du danger
A ne nous pas sousmettre au joug d’vn Estranger,
Jugez aprés cela si j’ay sujet de craindre.

CASSANDRE.

495 Il doutoit de la gloire où je vous fais atteindre,
Ignorant sa fortune, il parloit sagement,
Vous luy verrez, Astolfe, vn autre sentiment,
Si tost qu’en78 liberté vous luy ferez entendre, [p. 37, Eij]
Que mon choix vous regarde, & qu’il s’y doit attendre.

ISABELLE.

500 Sans incredulité vous n’en pouuez douter,
Mon frere.

ASTOLFE.

Son humeur* est fort à redouter,
Et toute ma fortune*, Adorable Princesse,
Enfin peut m’échapper par sa delicatesse.

CASSANDRE.

Pour rasseurer Astolfe, & fonder son bon-heur,
505 I’abandonnerois tout excepté mon honneur :
Suiuez toutes les loix que l’amour vous impose ;
Allez, je permets tout, hazardez toute chose.

ASTOLFE.

O trop heureux Astolfe, Astolfe glorieux,
Cette faueur* t’égalle à la gloire des Dieux,
510 Voicy le Duc mon Pere, il faut luy faire entendre,
Les effets d’vn amour & si noble & si tendre,
Il est dénaturé* s’il n’en est satisfait.
[p. 38]

SCENE IV. §

LE DVC DE CARDONE, ASTOLFE.

LE DVC.

Qv’auez-vous auancé, mon fils, qu’auez-vous fait ?
La Princesse à nos vœux est-elle inexorable ?
515 N’auez-vous point trouué ce moment fauorable ?
A-t’on presté l’oreille à vos sages aduis,
Et peut-on esperer qu’on les verras suiuis ?

ASTOLFE.

Nous auons eu, Seigneur, vne longue audience,
Mais je n’ay rien tiré de cette conference*
520 Qui flatte vos souhais, & jay lieu de juger,
Que son choix ne regarde aucun Prince Estranger.

LE DVC.

Tant pis, vous m’annoncez vne triste nouuelle,
Car entre ses sujets ce choix qui dépend d’elle,
En regardera tel qui pourra nous troubler*,
525 Et la peur que i’en ay me fait déja trembler :
D’vn estat chancelant j’aprehende la chutte, [p. 39]
Entre les pretendans, tel Prince qu’on rebutte*,
Et qui de la Couronne auroit esté l’appuy,
Peut vanger le mespris qu’on aura fait de luy.

ASTOLFE.

530 Mais puis qu’ils sont plusieurs d’vne égalle puissance,
Et de merite égal, & d’égalle naissance,
Sont ils pas tous à craindre, & sçait-on l’auenir,
Pour juger qui d’eux tous nous peut mieux soustenir ?
On n’en peut choisir vn, qu’on n’offence les autres ;
535 Ie crains donc moins ce choix, s’il tombe sur les nostres.

LE DVC.

Enfin on doit auoir de plus nobles objets,
Et pour mille raisons j’exclurois les sujets.

ASTOLFE.

Mais, Seigneur, aprés tout seroit-il bien possible,
Que pour pas vn d’entr’eux vous ne fussiez sensible,
540 N’en sçauez-vous pas vn qui puisse meriter
L’honneur qu’aux Estrangers vous laissez contester ?
Si par vn sentiment d’estime, ou de tendresse,
Ie deuenois l’objet du choix de la Princesse ;
Dittes moy je vous prie, y pourrois-je aspirer, [p. 40]
545 Et serois-je de rang à pouuoir esperer ?

LE DVC.

Ouy, si la par la naissance on meritoit Cassandre,
Personne mieux que vous n’auroit droit d’y pretendre,
Mais ne vous flattez pas de cette ambition,
Cherchez vn autre objet* à vostre passion* :
550 Car cela ne se peut.

ASTOLFE.

Et toutefois je pense,

LE DVC.

Vous pensez ; moy je sçay de certaine science,
Que cela ne se peut, vous dis-ie, asseurement.

ASTOLFE.

Moy, je sçay mieux encore, & plus certainement,
Que la Princesse m’aime, & m’aime auec tendresse*.

LE DVC.

555 Vous vous flattez, mon fils, je plains vostre jeunesse,
Vous vous l’imaginez par vne vanité,
Qui vous monte à la teste, & vous a transporté*.

ASTOLFE.

I’ay plus. [p. 41, F]

LE DVC.

Et qu’auez-vous.

ASTOLFE79

Vn plus seur temoignage.
Sa parole & sa foy*, m’en faut-il dauantage ?

LE DVC.

560 Sa parole & sa foy ?  bornez-là vos souhais,
Gardez de passer outre, & n’y pensez jamais ?

ASTOLFE.

Comment puis-je oublier la moitié de mon ame,
Vostre defence est vaine, elle est déja ma femme.

LE DVC.

Vostre femme ! qu’entens-je ? ô destin rigoureux,
565 O Pere miserable*, ô fils trop malheureux.         565

ASTOLFE.

Quel mal-heur !

LE DVC.

Ah mon fils, aprenez vne histoire, [p. 42]
Qui vous couure de honte & destruit vostre gloire*,
Cassandre est vostre sœur.

ASTOLFE.

Qu’entens-je ? ô justes Dieux.

LE DVC.

Descouurez* si quelqu’vn nous escoute en ces lieux,
570 Ce secret reuelé dont vous doutez encore,
Astolfe, me perdroit, comme il vous deshonore.
Lors que80 sur la frontiere en la fleur de ses ans
Le Prince fut blessé parmy ses combattans,
Voyant que l’on iugeoit sa blessure mortelle,
575 Et que sa moitié chaste autant qu’elle estoit belle
De neuf mois estoit grosse, & preste à mettre au jour,
L’vnique & premier fruit qu’eust produit leur amour,
Auant que la nouuelle en fust plus loin semée,
Il assembla les grands & les chefs de l’armée,
580 Et les fit tous iurer que sa mort arriuant,
Ils presteroient serment à l’enfant suruiuant,
Qu’à la Mere Regente on resteroit fidelle,
Et me fit Gouuerneur de ses Estats sous elle.
Dom Bernard de Rocas que sur tous il aimoit,
585 Et qu’à l’esgal de moy son Astolfe81 estimoit,
Fut encore nommé par ce preuoyant Maistre, [p. 43, Fij]
Gouuerneur de l’enfant qui deuoit bien-tost naistre,
N’osant pas me laisser toute l’authorité,
Quelque preuue qu’il eust de ma fidelité.
590 Or comme il plut aux Dieux, il en perdit la vie,
Et cette perte encor fut d’vne autre suiuie :
La Princesse accoucha parmy tant de douleurs,
Que par sa mort cruelle elle accrut nos mal-heurs,
Laissant vne orpheline & mourante & plaintiue,
595 Qu’on ne crut pas trois jours deuoir demeurer* viue ;
Sa langueur fut connuë, & Dom Bernard & moy,
Dans vn si grand peril nous vnismes de foy* :
La Duchesse ma femme en la mesme semaine,
Accoucha d’vne fille & plus forte & plus saine,
600 Et voyant qu’en l’armée on se mutinoit fort,
Pour cét enfant mourant qu’on croyoit déja mort,
Nous supposames* l’autre ; & comme on faisoit ligue,
Et que chaque party formoit déja sa brigue*,
Ie portay dans mes bras l’enfant viuant & sain,
605 Et Dom Bernard & moy rompismes leur dessein.
Connoissez, disions-nous, ô fidelle noblesse,
Et vous braues soldats vostre vnique maistresse,
Honorez-la viuante & saine entre nos bras,
Et que son innocence appaise vos debats.
610 Enfin cette rumeur par nous fut appaisée,
Nous laissames regner ma fille supposée*,
Quoy qu’examinant l’autre on pust déja trouuer, [p. 44]
Des signes euidens qu’on la pourroit sauuer :
Enfin on la sauua : mais pourtant chose estrange,
615 Nous n’auons plus osé toucher à cét eschange,
De peur que des sujets prompts à se mutiner,
N’eussent en mal iugeant lieu de s’imaginer,
Qu’au lieu de replacer au trosne l’heritiere,
On ne la supposast* comme on fit la premiere.
620 Ie voy que mon discours vous a percé le cœur :
Mais il est vray, mon fils, Cassandre est vostre sœur.
Fuyez auec horreur l’objet* de vostre inceste,
Abandonnez, mon fils, vn sujet si funeste*,
L’absence est vn remede aux maux les plus cruels,
625 Prés d’elle, vos remors seroient continuels,
Fuyez, preparez vous à partir dans vne heure,
Et ne regardez plus cette horrible demeure.

ASTOLFE.

Helas ! qu’auez vous dit, helas qu’ay je entendu ?

LE DVC.

Si Dom Bernard captif nous peut estre rendu,
630 Il vous confirmera ces veritez cruelles,
De qui nous fusmes seuls les tesmoins trop fidelles.
Partez, fuyez Cassandre, éuitez les Adieux,
Il s’en va.
Et pour l’oster du Cœur, ostez-la de vos yeux.

ASTOLFE.

Abandonner Cassandre ! oster de ma memoire,      [p. 45, Fiij]
635 Cét objet de ma vie ainsi que de ma gloire !
Perdre à jamais l’espoir d’en estre possesseur !
Ah que fis-tu Nature en la faisant ma sœur ?
M’en priuer, m’en bannir, helas m’est-il possible ?
A ce charme* diuin mon ame est trop sensible,
640 L’esloignement tout seul ne me peut secourir,
Ie ne voy que la mort qui me puisse guerir.

Fin du second Acte.

[p. 46]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

DOM REMON DE MONCADE, D. PEDRE D’ARRAGON.

MONCADE.

Ie vous dy verité, Dom Pedre, il est certain,
Que j’ay veu mon billet dedans la propre main
D’Astolfe, qui tout haut en faisoit la lecture,
645 Beralde m’a trahy.

D. PEDRE.

I’ay donc part à l’injure*,
Le fourbe* m’aura fait sans doute vn mesme tour*.

MONCADE.

Il vient tout à propos ce confident d’Amour,
Si je souffre l’affront tenez moy pour vn lasche. [p. 47]

D. PEDRE.

Il faut sçauoir l’histoire auant que l’on se fasche,
650 Peut-estre a-t’il raison.

SCENE II. §

D. PEDRE, MONCADE, BERALDE.

BERALDE.

Que leur diray-je, ô Dieux.

D. PEDRE bas.

Vous verrez qu’on le fourbe*, & qu’on me traitte mieux.

MONCADE.

Dom Pedre, interrogeons-le ensemble je vous prie,

D. PEDRE.

Nous découurirons mieux toute la fourberie,
Parlans l’vn aprés l’autre, allez mais sans courrous, [p. 48]
655 Découurir le premier ce qu’il a fait pour vous,
Puis nous nous rendrons conte82 aprés d’vne disgrace,
Que je crains comme vous, je vous quitte la place,83
Et me tire à l’escart à quatre pas d’icy.

MONCADE.

He bien, Beralde, enfin auons nous reüssi ?
660 A-t’on donné ma lettre, a t’elle esté receuë ?
Nos desseins ont ils eu bonne ou mauuaise issuë ?

BERALDE.

Dans les mains d’Isabelle ainsi que i’ay promis,
I’ay fort fidellement vostre billet remis.

MONCADE.

En main propre ?

BERALDE.

En main propre.

MONCADE bas.

O l’insigne* imposture.

BERALDE.

665 Mais, Seigneur, en cecy je pleins vostre auanture*, [p. 49, G]
Son visage aussi-tost a changé de couleur,
Et dans ses yeux en feu* i’ay leu vostre mal-heur :
Elle ne pouuoit mieux me monstrer sa colere,
Qu’en donnant deuant moy vostre lettre à son frere.

MONCADE.

670 A son frere ? Ah l’ingrate.

BERALDE.

Ou je suis abusé ;
Ou de quelque autre objet son cœur est embrazé ?
De cette auersion je ne suis pas la cause,
Et ne pouvois pas mieux executer la chose.

MONCADE bas.

Mon amy je vous croy, par là j’ay trop compris,
675 Que ma disgrace* est vraye, ah j’en ay trop appris,
Le mespris de la sœur respond bien au caprice,
Du frere, dont je viens d’esprouuer l’injustice.
Puis-je l’aimer encore ? Adieu, quoy qu’outragé,
Beralde, ie me sens à vos soins* obligé.

BERALDE seul.

680 Ie suis defait de l’vn, l’autre est encore à craindre, [p. 50]
Mais ne luy disons rien qui l’oblige à se plaindre :
C’est vn esprit fougueux, traittons-le doucement ;
Puis qu’il faut feindre encor, feignons obligemment.
Il vient.

SCENE III. §

D. PEDRE D’ARRAGON, BERALDE.

D. PEDRE.

He, bien Beralde a-t’il donné ma lettre,
685 Qu’en doit-on esperer, que m’en puis-je promettre ?

BERALDE.

Seigneur, je l’ay donnée, & me suis aperceu,
Qu’on l’a fort bien receuë, ou je suis fort deceu*.

D. PEDRE.

En main propre, Beralde ?

BERALDE.

Ouy je vous en asseure. [p. 51, Gij]

D. PEDRE.

Ce que vous m’asseurez, est-ce point imposture ?

BERALDE.

690 Pourquoy ? quelqu’vn, Seigneur, vous auroit-il donné
Des preuues du contraire, & m’a t’on soupçonné,
Moy qui m’ose vanter sur tout, d’auoir le zele,
Et la sincerité d’vn homme fort fidelle.

D. PEDRE.

Non, je croy que Beralde en a fort bien vsé,
695 Mais je suis défiant, & crains d’estre abusé :
Dittes donc, cher amy, mais d’vn esprit sincere,
Et sans déguisement, comme a passé l’affaire ;
Quand vous auez rendu ce gage de ma foy,
Les beaux yeux d’Isabelle ont ils esté pour moy ?
700 Auez vous obserué l’air* de son beau visage,
N’auez-vous remarqué ny chagrin ny nuage ?
Et le ton de la voix, n’a t’il point dementy
Le bien que par cét air vous aurez pressenty ?

BERALDE.

Si je me sçay connoistre aux mouuements de l’ame, [p. 52]
705 Seigneur, esperez tout de cette belle Dame ;
Elle a pris de ma main la lettre en rougissant,
Et l’œil m’a bien marqué que le cœur y consent :
Enfin dans l’air serain d’vn visage adorable,
Ie n’ay rien remarqué qui ne fust fauorable.

D. PEDRE.

710 Si je me trouue heureux & par vostre secours,
Si l’effect*, cher amy, respond à vos discours ;
Si je suis preferé, ce que je n’ose croire,
Asseurez-vous d’auoir bonne part à ma gloire*.
Adieu ; Pour arriuer au but où je pretens,
715 Mettons tout en vsage & ne perdons pas temps.

BERALDE.

Croyez que i’employray toute mon industrie*,
Pour vous rendre content.

D. PEDRE.

Amy je vous en prie.

BERALDE à part.

[p. 53, Giij]
Ie me suis bien tiré d’vn pas fort dangereux,
Mais on ne peut long-temps fourber deux amoureux.
Il se tire à l’écart.

SCENE IV. §

MONCADE. D. PEDRE.

D. PEDRE.

720 He bien qui de nous deux, Moncade, a l’auantage ?

MONCADE.

S’il faut du confident croire le tesmoignage,
Mes affaires vont mal.

D. PEDRE.

S’il l’en faut croire aussi,
Ie voy que mon dessein n’a pas mal reüssi ;
Elle a receu ma lettre, & d’vn œil fauorable.

MONCADE.

725 Vous estes bienheureux, & moy bien miserable.

D. PEDRE.

Moncade, il faut ceder à la rigueur du sort, [p. 54]
Et n’y pretendre plus, vous sçauez nostre accord.

MONCADE.

Ouy, mais je veux auoir vn congé* de sa bouche,
Vous sçauez à quel point cette affaire me touche :
730 Et vous n’ignorez pas de l’air* dont vous viuez
Que Beralde est vn fourbe & des plus acheuez.
Dans le bruit* qu’il en a, je ne serois pas sage,
De ceder tout mon bien sur son seul tesmoignage.

D. PEDRE.

Nostre accord toutefois porte qu’on cedera,
735 Sur son seul tesmoignage, & que l’on l’en croira.

MONCADE.

Beralde ne m’a dit rien qui me desespere,
Disant qu’elle a donné mon billet à son frere ;
Si tant d’impatience est iointe à vostre amour,
Donnez moy seulement le reste de ce jour,
740 Et je vous cederay l’adorable Isabelle,
Sur le moindre mespris que je receuray d’elle.

D. PEDRE.

Vostre demande est juste.

MONCADE.

Ah je la voy venir [p. 55]
L’ingratte, & je ne puis ses regards soustenir ;
Que je crains ses mespris.

D. PEDRE.

La voulez vous attendre ?

MONCADE.

745 Ouy, quoy qu’à son amour je n’ose rien pretendre.
Il s’en esloigne, & D. Ped. l’aborde.

SCENE V. §

MONCADE, DOM PEDRE, ISABELLE, BERALDE.

D. PEDRE.

Souffrez qu’auec respect je vous donne la main,
Madame, & que mon cœur ait part à ce dessein.

ISABELLE bas.

Quoy donc, ce que je hay me cherche, & ce que j’aime,
Me fuit ?

D. PEDRE.

Vous connoissez ma passion extresme [p. 56]
750 Madame,

ISABELLE.

Ouy je la sçay D. Pedre, & sçay de plus,
Que vous m’auez escrit.

BERALDE bas.

Nos billets sont receus.

ISABELLE.

Ouy, jusque dans mes mains vostre lettre est venuë,
Et pour responce enfin sçachez que je l’ay leuë.

D. PEDRE embrassant Beralde.

Ah veritable amy, je te croiray toujours,
755 Que ne te doy-je point aprés vn tel secours,

BERALDE.

Ie vous l’auois bien dit, je suis franc & fidelle.

MONCADE à l’autre bout du theatre.

Aprés cette action que puis-je esperer d’elle ?

D. PEDRE.

Receuez donc ma main, Madame, & permettez. [p. 57, H]

ISABELLE.

Moderez vos transports* D. Pedre & me quittez ;
760 Adieu, laissez moy seule.

D. PEDRE.

He bien je me retire.

MONCADE à part.

D. Pedre se tire à vn coin pour obseruer Moncade.
Que tu souffres, mon cœur, vn estrange* martire.

ISABELLE à part.

Ingrat*, que ton mespris me va couster de pleurs,
Cessons de nous flatter, sans doute il aime ailleurs ;
S’il approuuoit ma flame, il m’auroit abordée,
765 Helas son cœur est plein d’vne plus noble idée.
Il aime la Princesse, il s’est déja donné.

MONCADE à part.

Romps l’obstacle, mon cœur, qui te tient enchaisné,
Quoy que de ton ardeur on face peu de conte ;
Que tu n’esperes rien que mespris & que honte, [p. 58]
770 Rends vn dernier hommage à sa fiere beauté,
Et donne luy ta vie aprés ta liberté.

ISABELLE à part.

Il s’esbranle à la fin,

MONCADE.

O rigoureuse crainte ;

ISABELLE à part.

Il vient : mais l’action me parest bien contrainte,
La bienseance enfin ne luy permettroit pas,
775 En destournant son cœur de destourner ses pas.

MONCADE.

Ie n’ose ouurir la bouche, & tremble deuant elle.

ISABELLE.

Qu’il est gesné*, bons Dieux.

MONCADE.

Adorable Isabelle,
Souffrez que dans ce lieu je vous parle vn moment.

ISABELLE bas.

La ciuilité seule a fait son compliment.
780 Mais comme je connoy le sujet qui l’engage, [p. 59, Hij]
Ie ne le puis tenir en suspens dauantage.

MONCADE.

Ie voy déja sa bouche ouuerte à la rigueur.

ISABELLE.

Moncade je sçay bien ce qui vous tient au cœur,
Vos secrets sentimens sont connus de la Dame,
785 Qu’en vain vous adorez, elle a leu dans vostre ame ;
Mais pour elle vos vœux sont des vœux superflus,
Et si vous me croyez vous n’y penserez plus.

MONCADE.

Helas vous connoissez son cœur mieux que tout autre.

ISABELLE.

Suiuez donc mes aduis, pour dégager le vostre,
790 Aprenez que l’objet pour qui vous souspirez,
S’attache à d’autres fers* qui vous sont preferez ;
Que cét engagement fait qu’elle vous mesprise ;
Mais qu’vne autre beauté qui vaut bien qu’on la prise*,
Et dont je vous respons pour connestre son cœur,
795 Ne vous traittera pas auec tant de rigueur ;
Adieu songez en elle, & si vous estes sage,
De vostre mal connu tirez vostre aduantage.
à part
Helas ! j’en ay trop dit, il m’a bien entendu. [p. 60]

MONCADE.

I’ay cherché ma ruine, helas ! je suis perdu :
800 N’estoit-ce pas assez, trop ingrate Isabelle,
D’accabler de mespris vn Amant si fidelle ?
Sans vouloir esbranler encor sa fermeté,
Luy proposant le change & l’infidelité.

SCENE VI. §

MONCADE, DOM PEDRE,

D. PEDRE.

Enfin vous auez sceu qui de nous deux la touche,
805 Vous auez tout appris, & de sa propre bouche.

MONCADE.

Me proposer le change ! ah mespris sans pareil.

D. PEDRE.

Vous feriez sagement de suiure son conseil,
La beauté qu’on vous offre estant plus fauorable,
Vous rendroit plus heureux.

MONCADE.

Que je suis miserable. [p. 61, Hiij]

D. PEDRE.

810 Vn cœur genereux* cede aux volontez du sort,
Adieu resoluez vous, vous sçauez nostre accord.

MONCADE seul.

L’objet qu’elle propose est sans doute Cassandre,
Ses mots estoient obscurs, mais je les sçay comprendre :
Et tout autre que moy degageroit* son cœur,
815 Pour s’attacher aux fers d’vn plus noble vainqueur ;
Ouy sans doute Cassandre a pour moy de l’estime,
Vn amant mesprisé peut l’adorer sans crime* ;
Ie deuois sans mentir l’obseruer vn peu mieux,
I’eusse conneu son ame aux mouuemens des yeux.
820 La voicy ; dans l’air gay qui brille en son visage,
Ie voy de ma fortune vn asseuré* presage ;
Ma rencontre a causé ce transport amoureux,
Si j’en sçay bien vser suis-je pas trop heureux ?
[p. 62]

SCENE VII. §

CASSANDRE, MONCADE.

CASSANDRE à part.

Astolfe tarde bien, sa longueur importune,
825 Retarde vn peu ma joye ainsi que sa fortune* ;
Mais ce retardement ne peut m’inquieter,
Le Duc a consenty, je n’en sçaurois douter ;
Il aime trop son sang, il aime trop la gloire,
Sur tous ses concurrens Astolfe a la victoire :
830 Et l’aise que je sens de sa felicité,
Emeut si bien mon cœur qu’il en est transporté.

MONCADE.

Auançons nous vers elle, & luy faisons connestre
Que l’on n’ignore pas l’amour qu’on a fait naistre.
Adorable Princessse, oyez & connoissez.

CASSANDRE.

835 I’en sçay trop, brizez là Moncade, c’est assez,
Puisque je vous voy seul, il faut que je vous die,
Que j’ay quelque pitié de vostre maladie :
I’ay regret qu’vn esprit d’ailleurs tres-accomply, [p. 63]
Se soit si follement de chimeres* remply ;
840 On n’escrit pas d’amour si librement aux dames,
Sans sçauoir si leur cœur approuuera vos flames :
Ces choses ont pour prix souuent vn repentir,
Auant que les tenter, il les faut pressentir,
Affin de n’en auoir ny déplaisir ny honte.

MONCADE bas.

845 C’est d’vn Illustre Sang faire trop peu de conte ;
Ah cette amour m’expose à trop de déplaisirs.
Quand on n’a dans le cœur que de justes desirs,
Madame, à mon aduis on n’est pas fort coupable.

CASSANDRE.

Moncade, agissés donc en Amant raisonnable,
850 Car vous ne l’estes pas de parestre obstiné
A seruir vn objet qui pour vous n’est pas né ;
Amour engage ailleurs celle qui vous engage,
Changez de sentiment, & si vous estes sage,
Seruez vn autre objet que vous auez charmé,
855 Et dont je vous respons que vous serez aimé,
C’est foiblesse* aprés tout d’aimer qui nous mesprise.

MONCADE.

Elle s’explique assez, j’admire sa franchise*,
Ie vous obeïray, Madame, aueuglement,      [p. 64]
Ie suiuray vos conseils.

CASSANDRE.

Vous ferez sagement,

MONCADE.

860 C’est justice, aprés tout d’aimer quand on nous aime.

CASSANDRE.

Dégageant* vostre esprit de ce tourment* extresme,
Vous sentez bien à qui vous serez obligé.

MONCADE faisant vne profonde reuerence.

Ouy je le sens, Madame, & je suis dégagé,
Bas
Elle confirme bien ce qu’a dit Isabelle ;
865 Ie la cede à D. Pedre, il peut disposer d’elle.

CASSANDRE.

Elle s’en va84.
Adieu, songez Moncade, en reuenant icy,
D’y reuenir plus sage & plus content aussi.

MONCADE.

Si mon œil ne s’ouuroit à si grande lumiere,
I’aurois l’esprit bien foible, & l’ame bien grossiere ;
870 Voila pourquoy sans doute on n’a peu l’obliger, [p. 65, I]
De s’arrester au choix d’aucun Prince estranger.

SCENE VIII. §

ASTOLFE, CASSANDRE,

CASSANDRE.

Astolfe enfin parest, quel chagrin l’accompagne,
Et d’où vient qu’il parest en habit de campagne ?
Quel bizarre équipage*, Astolfe qu’est-ce cy
875 Qu’auez vous, qui vous meut à m’aborder ainsi ?
Qu’est-ce, auez vous querelle* ? & pourroit il bien estre,
Que dedans85 vn estat dont vous estes le maistre,
Quelqu’vn de mes sujets eust l’audace & le front*,
De vous oser déplaire ? il en auroit l’affront.
880 Parlez, car ces soupirs & ce trop long silence ?
Enfin à mon esprit font trop de violence.

ASTOLFE.

Plust au Ciel que cét œil mon vnique vainqueur,
Pust percer jusqu’au fonds le secret de mon cœur,
Et me pust espargner la peine de vous dire,
885 L’excessive douleur qui cause mon martire. [p. 66]

CASSANDRE,

Quelle douleur, qu’entens-je ?

ASTOLFE.

Ah qu’allez-vous iuger,
D’vn cœur qui vous adore & qui ne peut changer ?
Helas qu’allez-vous dire ? helas qu’allez-vous croire ?
I’atteste tous les Dieux dont i’ay blessé la gloire,
890 Que mes respects pour vous sont bien moins limitez,
Que ceux qu’on doit auoir pour leurs diuinitez ;
Que seule vous bornez ma gloire & mon enuie ;
Que je vous aime plus mille fois que ma vie ;
Que hors de vostre veuë il n’est point de plaisirs,
895 Ny de biens, ny d’honneurs qui flattent mes desirs.
Si cette verité vous peut entrer dans l’ame,
Si vous la conceuez, vous me plaindrez, Madame,
Car vous participez à la bonté des Dieux,
Et vous auez le cœur aussi doux que les yeux.
900 Ie sçay que malgré moy je m’en vay vous deplaire ;
Contre mon innocence armez vostre colere,
Vous m’allez regarder comme vn grand criminel,
Ie vay couurir mon nom d’vn opprobre eternel ;
Vous m’allez accabler de reproches, & d’injures,
905 Vous m’allez estimer le plus grand des parjures ;
Quoy que j’aye abhorré toujours la trahison, [p. 67, Iij]
Vous m’allez nommer traistre, & vous aurez raison ;
Mais sans considerer vos sensibles atteintes,
Sourd aux reproches vains qui vont suiure vos pleintes,
910 Il faut que ie vous dise vn adieu surprenant :
Et que je m’abandonne en vous abandonnant.
Qui l’eust creu, ma Princesse ? helas je vay parestre,
A vos sens estonnez, ce que je ne puis estre,
Vous m’allez croire ingrat sans honneur & sans foy,
915 Mais ce que vos fureurs vont vomir contre moy,
Parestra d’autant juste en ma cruelle absence,
Que je n’ose en partant monstrer mon innocence ;
Quoy que sans expirer je ne puisse partir,
Quoy que mon triste cœur n’y puisse consentir,
920 Quoy que je sente bien qu’en ma douleur extresme,
Me separant de vous je m’arrache à moy mesme,
Il faut de vos beaux yeux me priuer desormais,
Princesse, il faut vous dire vn adieu pour jamais86.
[p. 68]

SCENE IX. §

CASSANDRE seule, comme si elle reuenoit d’vne letargie.

Est-ce Astolfe ? est-ce luy que j’ay veu disparestre87,
925 Quoy l’ingrat m’abandonne ? Ah cela ne peut estre,
Quoy, c’est sa propre voix qui d’vn ton de mespris,
Ainsi qu’vn coup de foudre a frappé mes espris ?
Il alloit partager mon cœur & ma couronne,
Et sans vouloir m’entendre, ô Dieux, il m’abandonne ;
930 Il fuit de ma presence, il part en furieux,
Et s’esloigne du cœur ainsi qu’il fait des yeux ;
Quel caprice a produit cette fuitte soudaine ?
Qu’on aille aprés ce traistre, & qu’on me le rameine,
Il ne peut s’échapper88 à mon juste courroux ;
935 Hola.

DON LOPE vient au bruit.

Que vous plaist-il, Madame, & qu’auez-vous ?

CASSANDRE.

Renferme dans ton cœur la douleur qui te presse*,
Et ne fais pas connestre en ce lieu ta foiblesse, [p. 69, Iiij]
Malheureuse Princesse, helas qu’esperes-tu ?
Estouffe ton amour, & sauue ta vertu ;
940 C’est ta facilité qui fait qu’on te mesprise,
I’agis auec ce traistre auec trop de franchise,
Ouy, ouy je fus trop prompte à luy donner les mains,
Et je merité bien sa fuitte, & ses dedains.

DON LOPE bas.

Son cœur paroist touché d’vne douleur extresme.

CASSANDRE.

945 Si tu m’aimes, ingrat, si tu vois que je t’aime :
Pourquoy ce brusque adieu, dont mon cœur est surpris ?
Sans demander ce cœur, ingrat, tu me l’as pris,
Tu n’as non plus que luy demandé ma Couronne :
Et tu vois cependant que je te l’abandonne.
950 Si j’auois possedé l’honneur des Immortels,
I’aurois auecque toy partagé mes Autels*,
Et tu quittes ta gloire, & tu fuis miserable,
Vn objet adoré quand il t’est fauorable.
Plus j’en cherche la cause, & plus je me confons,
955 Reuien pour m’éclaircir, Astolfe, & me respons ;
Est-ce point que ta joye estant démesurée,
A causé ces transpors dans ton ame égarée ;
Ouy c’est ce grand excez qui trouble tes espris, [p. 70]
Que dis-je ! Ah ie me flatte, il s’en va par mespris.
960 Ie ne le puis souffrir, cét affront est estrange,
Hola je le veux perdre, il faut que je me vange.
Perdre qui de ma vie est l’vnique soustien ?

DOM LOPE.

Que voulez-vous, Madame.

CASSANDRE.

Helas je ne veux rien.

DOM LOPE.

Son esprit agité souffre vne estrange* peine.

CASSANDRE.

965 Qu’on me cherche le Duc viste, & qu’on me l’ameine.

Fin du troisiesme Acte.

[p. 71]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

LE DVC, ASTOLFE.

LE DVC.

Ie souffre* autant que vous dans cét éloignement,
Mais je ne le puis plus differer d’vn moment :
Embrassez moy, mon fils, adieu fuyez en France :
Et dans ce coup du sort montrez vostre constance,
970 Vostre équipage est prest, pour vostre passeport,
Ie m’en vay le signer.

ASTOLFE à part.

Ah c’est signer ma mort.
[p. 72]

SCENE II. §

LE DVC, D. LOPE, ASTOLFE.

DOM LOPE.

La Princesse, Seigneur, auec impatience,
Vous attend.

LE DVC.

Ie vous suy.

DOM LOPE.

Mais faittes diligence*.

LE DVC.

Ie marche sur vos pas, i’y suis dans vn moment,

DOM LOPE.

975 Elle ne peut souffrir* aucun retardement,
Seigneur, l’ordre est pressant, donc sans plus de demeure*.

LE DVC.

Allons, tenez vous prest, je reuiens dans vne heure.
[p. 73, K]

SCENE III. §

MONCADE seul, chez la Princesse.

Ovy, ouy, brize tes fers*, esclaue malheureux,
Porte ailleurs tes respects*, & tes soins* amoureux :
980 Et sans plus t’exposer aux mépris d’Isabelle,
Cherche vne autre prison & plus noble & plus belle.
La fortune* te rit aueugle, & tu la fuis,
Ie sens bien qu’il est temps d’en recueillir les fruis,
Elle ne s’est encor qu’à demy declarée,
985 Mais je voy ma fortune, elle est bien asseurée.
Ouy, je sens qu’elle m’aime, & je viens en ce lieu,
Pour tirer de sa bouche vn clair & libre adueu,
Ie pleins cette pudeur que j’ay trop reconnuë
Qui la gesne*, & l’engage à tant de retenuë,
990 La voicy.

SCENE IV. §

CASSANDRE, MONCADE.

CASSANDRE à vn bout de la chambre qui ne void point Moncade.

Malheureuse ! he n’as tu pas compris,
Que ton humeur facile attira ces mépris,
Pour m’estre à cœur ouuert librement declarée, [p. 74]
Mon amour d’vn ingrat* est peu considerée :
Il destourne son cœur aussi bien que ses pas,
995 Et ma Couronne mesme est pour luy sans appas*.

MONCADE89.

Elle me fait pitié ; que les grands sont à pleindre,
Quand leur condition les force à se contraindre.

LA PRINCESSE CASSANDRE90.

Ouy, ouy j’en ay trop dit, ouy, j’en ay trop fait voir,
Ma bouche m’a trahy, & c’est mon desespoir,
1000 I’ay trop donné de force au Dieu qui me commande.

MONCADE

Ne vous repentez pas d’vne bonté si grande,
Madame.

CASSANDRE.

Quoy Moncade auroit sceu mon secret.

MONCADE.

Vous l’offenceriez trop d’en montrer du regret,
Ouy, diuine Princesse, ouy, j’ay leu dans vostre ame,
1005 Vous la croyez cacher cette obligeante flame* ; [p. 75, Kij]
Qui me doit éleuer à la gloire* des Dieux :
Mais le secret du cœur a paru dans vos yeux,
Quoy qu’en termes obscurs, j’ay sceu, j’ay sceu comprendre,
La force d’vn amour où je n’osois pretendre.
1010 Ouurez donc vostre cœur, ses vœux sont exaucez,
Et n’ouurez plus la bouche, elle en a dit assez,
Vne confession nouuelle seroit vaine,
Ie vous en viens sauuer & la honte & la peine.
Si vous croyez Moncade espris de vos appas*,
1015 Princesse, asseurement vous ne vous trompiez pas,
Il est prest de respondre à l’espoir qui vous flatte,
Vous ne pouuiez semer en terre moins ingratte,
Et ce septre herité de vos braues ayeux,
A moins d’éclat pour luy que n’en ont vos beaux yeux.

CASSANDRE à part.

1020 Comme il s’est abusé, je m’estois abusée,
Son nom a trop d’eclat pour seruir de risée*,
Comme il est homme enfin de merite*, & de cœur,
Ie ne veux point nourrir ny flatter son erreur,
Haut.
Vous me plaignez, Moncade, en croyant qu’on vous aime,
1025 Mais vous ferez bien mieux de vous pleindre vous mesme,
Mieux que vous ne pensez i’ay compris vos desseins,
Connoissez vous l’escrit que je tiens en mes mains : [p. 76]
Et n’est-il pas de vous ! relisez-le.

MONCADE.

Ouy, Madame,

CASSANDRE aprés auoir rompu la lettre, qu’elle luy jette.

Adieu taschez d’en faire autant de vostre flame.

MONCADE à part.

1030 Cette colere est juste, & j’ay mal fait ma cour,
Puis qu’elle a veu ma lettre, auant que mon amour,
Auec tant de ferueur se declarast pour elle,
Ie luy deuois marquer vn oubly d’Isabelle 
I’ay connu sa prudence, & je voy mon erreur.
[p. 77, Kiij]

SCENE V. §

CASSANDRE, LE DVC, D. LOPE, MONCADE.

DOM LOPE.

1035 Voicy le Duc, Madame.

CASSANDRE.

Eclatte* ma fureur*,
L’amour dessus91 mon ame auoit trop pris d’Empire*,
Adieu sortez, Messieurs, que chacun se retire,

MONCADE en faisant vne profonde reuerence.

à part
Ie ne pers pas l’espoir de l’heur*92 je pretens :
Mais je voy pour ce coup que i’ay mal pris mon temps.

CASSANDRE.

1040 Duc faittes moy chercher Astolfe en diligence* :
Car nous auons icy besoin de sa presence ;

LE DVC.

C’est ce qui ne se peut, Madame, il est party.

CASSANDRE.

Quoy sans mes ordres, Duc, peut-il estre sorty ? [p. 78]
Ah je ne vous croy pas, viste qu’on me l’apelle,
1045 Ou je le traitteray comme vn sujet rebelle,
Commandez qu’on le cherche & qu’on l’ameine icy.

LE DVC.

Ie croy que vainement j’en prendray le soucy.

CASSANDRE.

Quoy, vous me resistez, me voulez vous deplaire ?

LE DVC.

A vos commandemens je voudrois satisfaire,
Vn valet vient
1050 Hola qu’on cherche Astolfe, & qu’on coure aprés luy,
à part.
Helas s’il est trouué93 je vay mourir d’ennuy*.

CASSANDRE elle s’assied.

Enfin nous voicy seuls ; vous pouuez prendre vn siege,
Elle luy fait signe de s’asseoir il s’en deffend.
Vostre age & vostre rang ont vn grand priuilege,
Seyez vous.

LE DVC.

Iobeïs. [p. 79]

CASSANDRE.

Parlez c’est sans tesmoins.
1055 Depuis que mes Estats sont regis pas vos soins*,
Me tenez vous pas lieu de Tuteur & de Pere ?

LE DVC.

Outre qu’en Souueraine icy je vous reuere,
I’ose vous dire encore auecques verité,
Si le respect* s’accorde auec ma liberté ;
1060 Que comme mon enfant je cheris ma Princesse,
Auec le mesme amour & la mesme tendresse*.

CASSANDRE.

Puis que mon Pere est mort, & mort entre vos bras,
Parlez, Duc, aujourd’huy me connoissez* vous pas
Pour vostre Souueraine, & pour son heritiere,
1065 Et me deuez vous pas obeissance entiere.

LE DVC.

Ie vous ay déja dit auec sincerité,
Que nous vous reuerrons en cette qualité,
Et ne sçaurions pretendre vne gloire plus grande.

CASSANDRE.

Souffrez que je vous face encor vne demande, [p. 80]
1070 N’est il pas du deuoir d’vn homme genereux*,
Qui des Loix* de l’honneur est vrayment amoureux,
De proteger l’honneur des Dames qu’on offence.

LE DVC.

Quiconque y manque est lâche*, & rien ne l’en dispence.

CASSANDRE.

Faittes moy donc raison d’vn lasche suborneur,
1075 Qui temerairement s’attaque à mon honneur,
Et qui presqu’à vos yeux m’a si fort outragée,
Que je mourray d’ennuy* si je n’en suis vengée.

LE DVC.

De quelque rang qu’il soit, Madame, il doit mourir,
Nommez-moy donc ce traistre, & je le fais perir.

CASSANDRE.

1080 Ie n’attendois pas moins de ce noble courage,
Qui mieux que la fortune* eut la gloire en partage ;
Et qui d’vn esprit* ferme adroit & vigilent,
A si bien soustenu mon Estat chancelant.
Ie me doy souuenir tout le temps de ma vie, [p. 81, L]
1085 De la fidelle ardeur* dont94 vous m’auez seruie,
Ce que i’ay de sujets sont autant95 de tesmoins,
Que si mon sort est doux, il est doux par vos soins,
Et de ce sentiment* mon ame est possedée,
Plus96 de mes premiers ans je retrace l’idée*.
1090 Ah si cette innocence en mon cœur eust duré,
Le dangereux Tyran qui s’en est emparé,
Ne me forceroit pas toute honte banie,
A chercher vostre appuy contre sa Tyranie.
Vous n’ignorez pas, Duc, qu’auec moy vos enfans,
1095 Se trouuans éleuez dés leurs plus jeunes ans,
Si tost que j’eus connu leur merueilleuse enfance,
Ce que je ne souffrois que par accoustumance,
Ie l’aimé par raison & l’aimé tendrement,
Ie croiois les aimer tous deux égallement :
1100 Mais insensiblement sans cesser de me plaire,
La sœur vint à ceder au merite* du frere.
Cét enfant agreable, à toute heure à mes yeux,
Prompt, zelé*, complaisant, ardant*, officieux,
Si du moindre soucy j’auois l’ame pressée*,
1105 Preuenoit mes desirs, deuinoit ma pensée,
Ne cherchoit qu’à me plaire : & certes ses respects*,
Ne pouuoient en cét age encor m’estre suspects.
Comme à me bien seruir il mit tout son estude*,
Et que j’auois tourné ses soins* en habitude,
1110 Ie ne m’aperceus pas qu’à ses regards* pressans*, [p. 82]
Qui lors me paroissoient tous purs, tous innocens,
Il mesla des soupirs dont l’ardeur* continuë,
En vn age plus meur enfin me fut connuë,
Diray-je sans rougir qu’au feu* qui s’alluma,
1115 Comme à ceux qui brilloient, mon cœur s’accoustuma,
Et que je respondis à cette ardente* flame*,
Sans preuoir les malheurs qui menaçoient mon ame ?
Ouy, j’aimé cét ingrat, & l’aimé jusqu’au point,
De luy donner vn cœur qu’il ne demandoit point,
1120 Croyant que son merite* égalloit ma naissance,
Ie l’ay fait Maistre enfin de toute ma puissance,
Ie l’ay fait triompher des Rois qui m’adoroient,
Et qui mieux qu’à mon Septre à ce cœur aspiroient.
Ouy Duc, ce choix fatal* dont on m’a tant pressée*,
1125 Pour qui toute l’Espagne estoit interessée,
N’a regardé qu’Astolfe au mespris de ces Rois,
Et je ne pouuois faire vn plus indigne choix.
Admirez le caprice* & l’humeur* de ce traistre :
Dés que de ma fortune* il s’est senty le maistre,
1130 Dés qu’il m’a veu sousmise, & qu’aux yeux de sa sœur :
Il s’est veu de mon ame absolu possesseur,
Oubliant cette amour si parfaitte & si tendre,
Auec vn fier mespris que je n’ay peu comprendre,
Le perfide* en bizarre* est sorty de ce lieu,
1135 Et m’a dit sans m’entendre vn eternel adieu.

LE DVC à part.

O Dieux, il l’a reueuë, & contre ma deffence. [p. 83, Lij]

CASSANDRE.

C’est contre cét ingrat* que butte ma vengeance,
Quoy qu’il soit né de vous cét enfant malheureux,
Vous m’en ferez justice* estant né genereux*.
1140 Vous auez jusqu’icy, depuis vostre Regence,
Tenu sur mes sujets vne égale balance,
Le puissant & le foible auec mesme equité,
Ont senty les effects de vostre authorité :
Serois-je en mes Estats la seule miserable*,
1145 A qui cette equité ne fust pas fauorable ;
Non Duc, vous m’appuirez, vous me tendrez les bras,
Vostre fils est injuste*, & vous ne l’estes pas ;
Ie sçay que la Iustice* en cette conjoncture,
Se trouuera plus forte en vous que la nature* ;
1150 Vous me ferez raison de ce perfide* amant ;
Pouuoit-il me traitter plus inhumainement ?
Quoy Duc, vous souspirez ; & n’osez me respondre ?
Quoy ? tout ce que j’ay dit ne sert qu’à me confondre ;
Ah ! considerez mieux celle qui parle à vous,
1155 C’est vostre Souueraine en pleurs à vos genous,
Qui n’a recours qu’à vous dans sa peine infinie. [p. 84]
Ah Duc, si vous laissez cette offence impunie,
I’auray lieu de penser que tiran de mon sort,
Vous voulez aujourd’huy proffiter de ma mort
1160 Et de mon desespoir, pour vsurper en traistre,
Vn Estat desolé qui n’aura plus de Maistre,

LE DVC.

Si j’ay la bouche close, & les sens* interdis*,
C’est par l’enormité du crime* de mon fils ;
L’action me parest & si lasche & si noire,
1165 Que d’vn autre que vous j’aurois peine à la croire.
Quoy donc l’ingrat vous fuit, il est méconnoissant*,
D’vn honneur dont l’éclat* le rendoit si puissant ?
En quelque part qu’il aille, il perira, Madame,
Quel lieu pourroit seruir d’Azile à cét infame ?
1170 Où fuira-t’il, le traistre, est-il Prince estranger,
Qui n’embrasse auec soin* l’honneur de vous venger ?
S’il paroist à mes yeux, Princesse, je vous jure,
Que ma main dans son sang lauera cette injure*,
Sa mort est resoluë, ouy, cette propre main,
1175 De cent coups de poignard luy percera le sein.

CASSANDRE.

Ie ne veux point sa mort, vous estes trop seuere,
Comme je suis amante, enfin vous estes Pere,
Ce seroit bien assez s’il me faisoit sentir, [p. 85, Liij]
De son ingratitude* vn leger repentir ;
1180 Qu’il vienne en suppliant, sa faute est pardonnée,
Qu’il demande sa grace*, elle est enterinée* :
A ce sanglant affront qu’on a fait à mon rang,
Eussiez-vous, dittes moy, reconnu vostre sang ?
Eussiez vous jamais creu qu’vne amitié si rare,
1185 Eust peu trouuer vn cœur si dur & si barbare ?
Que celuy que j’auois jusqu’au trosne éleué.

LE DVC.

Ah l’ingrat*, le perfide*.

SCENE VI. §

LE DVC, ASTOLFE, CASSANDRE, DOM LOPE.

DOM LOPE.

Astolfe s’est treuué,
Madame,

CASSANDRE.

Icy Cassandre fait signe à D.Lope de sortir.
Astolfe ?

LE DVC.

O Dieux ! [p. 86]

CASSANDRE.

Qu’il approche, qu’il vienne,
L’ingrat,

LE DVC.

Quelle disgrace est pareille à la mienne.

CASSANDRE.

1190 Sa presence a d’abord* dissipé mon courroux.

LE DVC bas à Astolfe.

Dissimulez, mon fils, ou vous nous perdez tous.

CASSANDRE.

Que son visage marque vne horrible tristesse.

LE DVC.

Vien-ça meschant, dy moy, connois-tu ta Princesse ?
Sçais-tu ce qu’elle peut, & ce que tu luy dois,
1195 Puis que nature* enfin t’a soumis à ses loix* ?

ASTOLFE.

De ce juste deuoir perdant la connoissance,
Auecque ma raison j’oublirois ma naissance.

LE DVC.

Estant né son sujet tu ne peux ignorer, [p. 87]
Qu’auecque tout respect*, tu la dois honorer,
1200 Mais sçais-tu que tu dois à sa bonté supresme,
Plus qu’à sa qualité, s’il est vray qu’elle t’aime,
Et qu’elle ait dedaigné des Princes & des Rois,
Pour s’arrester à toy par vn indigne choix ?
Parle donc.

ASTOLFE.

Ouy, Seigneur je sçay toutes ces choses.

LE DVC.

1205 Cependant à ce chois on dit que tu t’opposes.
Dy traistre, à son vouloir ne t’és-tu pas sousmis,
Et te souuiens-tu pas de ce que tu promis ?
Veux-tu pas l’espouser ?

ASTOLFE.

S’il est en ma puissance,
I’ay les mesmes respects*, la mesme obeïssance.
1210 De ce tresor diuin je seray possesseur,
Si vous me l’ordonnez.

LE DVC bas.

Quoy meschant, de ta sœur ? [p. 88]
Haut.
L’extrauagance est grande, & je ne la puis taire,
Il dit qu’il ne le peut, & qu’il n’en veut rien faire.

CASSANDRE.

Quoy l’insensé mesprise & mon Sceptre & ma foy*.
1215 Ah c’est trop en souffrir, à moy gardes, à moy,
Qu’on l’enferme en la tour, que le traistre y perisse.

LE DVC.

Cét ordre rigoureux est tout plein de Iustice*,
Madame, hola.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Seigneur.

ASTOLFE.

Injuste effet d’amour.

LE DVC.

Saisissez vous de luy, menez le dans la tour,
1220 Et nous en respondez.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Dieux cét ordre m’estonne. [p. 89, M]

LE DVC.

Faittes ce qu’on vous dit, la Princesse l’ordonne.

CASSANDRE.

Ouy, ouy, c’est par mon ordre, asseurez-vous* de luy.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Rendez moy vostre espée.

CASSANDRE à part.

Ah j’en mourray d’ennuy*.

ASTOLFE.

Prenez la.

LE CAPITAINE.

Suiuez moy.

ASTOLFE.

I’obeis sans murmure.
1225 Cette rigueur, mon Pere, offence la nature*,
Si je n’ay point failly, Dieux par quelle raison,

LE DVC bas à Astolfe.

Marche, ton seul salut consiste en ta prison. [p. 90]

ASTOLFE.

Suiuons auec respect* l’ordre de ma Princesse.

CASSANDRE.

Cette sousmission rappelle ma tendresse,
1230 Que j’ay peine à souffrir* cette extresme rigueur,
En luy faisant outrage* on m’arrache le cœur ;
Hola, ramenez moy cette ame criminelle,
Ie le veux voir à part, ce meschant, ce rebelle,
Ie veux l’interroger, car je n’ay pas compris,
1235 D’où peut naistre pour moy cét injuste* mespris.

LE DVC.

Grands Dieux, qu’enten-ie icy, puis-je éuiter ma perte,
Si par sa bouche enfin la chose est découuerte ?

CASSANDRE.

Approchez, malheureux, parlez volage amant,
Qui feigniez autrefois d’aimer si constamment ;
1240 Quel plaisir auez vous de m’auoir offencée ?

ASTOLFE.

I’aimerois mieux mourir qu’en auoir la pensée. [p. 91, Mij]

CASSANDRE.

Ingrat*, s’il est ainsi, pourquoy refusez-vous,
De partager mon Sceptre, & d’estre mon espoux ?

ASTOLFE.

Refuser vn tel bien, le mespriser, Madame !
1245 Ah sauuez mon honneur, de cét injuste* blâme.

CASSANDRE.

Pourquoy donc me quitter, à quoy bons ces adieux ?
Pourquoy si brusquement sortir en furieux* ?
Car enfin, malheureux, vous m’auez delaissée,
Croyez vous l’auoir fait sans m’auoir offencée ?
Il iette vn soupir.
1250 D’où naist ce grand soupir, reprenez vos espris*,
Astolfe, si l’on vient à sçauoir vos mespris ;
Aprés tant de bienfais, tant d’amour, tant d’estime,
Si l’on peut seulement soupçonner vostre crime ;
Vostre mort est certaine, ouy, vous esties perdu,
1255 Songez donc mieux, Astolfe, au respect* qui m’est deu,
Quand bien vous oubliriez vos tendresses* passées,
Ou que vous les auriez de vostre ame effacées.
Ie jure, & vous verrez l’effet de mon serment, [p. 92]
Si vous ne promettez, mais determinement,
1260 Que par vous de mon choix la loy* sera suiuie,
Auant la fin du jour ; vous en perdrez la vie.

ASTOLFE.

Si mon Pere y consent de bon cœur, je le veux ;
Et ma plus douce gloire* est d’accomplir vos vœux.

CASSANDRE.

Qui peut l’en empescher ?

ASTOLFE.

Sçachez-le de sa bouche,
1265 L’obstacle vient de luy, car pour ce qui me touche,
Ie jure par l’éclat qui sort de vos beaux yeux,
Que j’ay plus de respect* pour vous, que pour les Dieux :
Que je vous aime plus mille fois que ma vie,
Et que suiure vos loix* est mon vnique enuie.

CASSANDRE.

1270 Duc, que vins-je d’entendre, & qu’ay-je découuert,
Pour me joüer* tous deux, seriez vous de concert* ?
D’où vous naist cette humeur* ou bizarre*, ou jalouse*,
Il ne tient plus qu’à vous, dit-il, qu’il ne m’espouse,

LE DVC.

O Dieux ! le méchant* homme, ô l’esprit* dangereux, [p. 93, Miij]
1275 Ne tiendroit qu’à moy ! l’as tu dit malheureux :
Bas.
Eh songe à nostre honneur, songe à ta conscience,
Et tasche d’oublier cette horrible alliance.

ASTOLFE bas.

Ce grand mal dans mon ame est trop enraciné,
Ie n’en sçaurois sortir, je suis trop enchesné.

LE DVC Haut.

1280 Voyez l’extrauagance où l’emporte sa rage,
Il ne dit pas vn mot qui ne tende à l’outrage* ;

CASSANDRE.

Ah, nous le chastirons cét insolent mocqueur,
Qui déguise* sa langue aussi bien que son cœur.
Découurez, s’il se peut, d’où naist sa frenesie*,
1285 Et si quelqu’autre objet* trouble* sa fantaisie*.

LE DVC.

Rappellez vos espris, mon fils, songez à vous :
Et des Dieux irritez éuitez le courroux.

ASTOLFE bas.

Peuuent-ils condamner vne si sainte flâme* ? [p. 94]

LE DVC bas.

Mais elle est vostre sœur, la voudriez vous pour femme ?

ASTOLFE.

1290 Ouy, puis que de ce mal je ne sçaurois guerir :
Ie voudrois l’espouser, & puis apres mourir.

LE DVC bas à Astolfe.

N’attens que la moitié d’vn souhait si funeste*,
Demon incestueux, n’espere pas le reste,
A la Princesse
Pressé* sur cét hymen, l’ingrat* m’a respondu,
1295 Qu’il aime mieux mourir.

CASSANDRE.

Ie l’ay bien entendu,
Mourir ? Ah c’est vn songe, & je ne le puis croire,
Quoy preferer la mort à ton bien, à ta gloire,
Méchant ! quoy je te suis vn objet* odieux ?
Qu’on l’enleue d’icy, qu’on l’oste de mes yeux ;
1300 Qu’on l’entreine en prison cét objet* de ma haine, [p. 95]
Qui croid impunement brauer sa Souueraine,
Gardes qu’on s’en saisisse.

ASTOLFE.

Ah dure extremité.

LE DVC.

Monstre d’ingratitude* & d’infidelité.

ASTOLFE.

Helas vous sçauez bien mon Pere.

LE DVC.

Quoy, barbare ?

ASTOLFE.

1305 Souffrez que je luy parle auant qu’on m’en separe.

LE DVC.

Non non, tu ne ferois qu’augmenter ses douleurs,
Viste emmenez ce traistre autheur de nos malheurs,
Gardes ne souffrez pas qu’il parle dauantage.

CASSANDE.

Duc, vous nous respondrez de cét esprit* volage : [p. 96]
1310 Il a voulu la mort, mais j’en auray le choix ;
I’entens qu’il soit jugé dans la rigueur des loix*.

Fin du quatriesme Acte.

[p. 97, N]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

CASSANDRE, BERALDE.

CASSANDRE.

Vous m’estonnez, Beralde, Astolfe ose m’escrire ?

BERALDE.

Pour se justifier.

CASSANDRE.

Et que me peut-il dire ?

BERALDE.

En ouurant ce pacquet qu’il vient de me donner,
1315 Vous ne le pourrez plus de crime* soupçonner ;
Va, m’a dit en pleurant ce captif miserable*,
Va trouuer ma Princesse, elle me croid coupable, [p. 98]
Mais ouurant ces billets, & jettant l’œil dessus,
Dy luy que dans son cœur je ne le seray plus,
1320 Pour la derniere fois je prens cette licence*,
Et je n’y suis forcé que par mon innocence.

CASSANDRE.

Quelle innocence, ô Dieux. Hé bien voyons que c’est,
Et si j’ay mal iugé reuocquons nostre Arrest.
Mais je voy deux billets écrits. A la Princesse :
1325 Ie croy que c’est à moy que ce premier s’addresse,
Lisons. Vous cependant, allez, mais promptement
Me chercher Isabelle en son appartement.

Lettre d’Astolfe à la Princesse.

Si deuant* que me condamner,
Vous lisez cét escrit qui me vient de mon Pere,
1330 Madame, vous aurez quelque peine à le faire ;
Et vous me pourrez pardonner.
Sa juste violence a borné mes souhaits,
Ie pars pour esuiter le blâme,
Et sors de vos Estats pour n’y rentrer jamais,
1335 Iugez de la douleur que doit souffrir mon ame.
Ce sens est bien obscur, ouurons l’autre, & voyons
S’il n’esclaircira point ce que nous ignorons.

LETTRE DV DVC DE CARDONNE [p. 99, Nij]

A ASTOLFE.

Qvand j’ay souffert, mon fils, qu’on vous fist violence,
Ie me la faisois plus qu’à vous,
1340 Et contre vostre resistance,
Ie n’ay monstré qu’vn feint courroux.
Receuez cette clef d’vne porte secrette,
Que vous verrez dans le pié de la tour,
Derobez* vous auant le jour,
1345 Et dans Paris, cherchez vostre retraitte*,
Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy*,
Doit gesner* vostre esprit* d’vne peine terrible,
Ce crime* noir m’est bien sensible*,
Quoy qu’il ne soit sceu que de moy.
1350 Fuyez, mon fils, & s’il vous est possible,
Oubliez vne amour horrible,
Que ie regarde auec effroy.
Dans vn gouffre nouueau cette lettre me plonge,
Ay-je leu, justes Dieux, ou si j’ay fait vn songe.
1355 Ah ! si j’ay veu l’horreur dont je me sens fremir,
D’vn sommeil eternel puissé-je icy dormir,
Mais d’vn sens* plus rassis* relisons cette lettre,
O Ciel tu vois son crime,* & tu l’as peu permettre,
Elle lit.
De ton foudre vangeur fait il si peu de cas ? [p. 100]
1360 Il gronde sur ce monstre, & ne l’escrase pas :
Ciel tu le laisses viure, & ta vaine tempeste
Se perd sur des rochers pour espargner sa teste.
Elle relit.
Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy*,
Doit gesner* vostre esprit* d’vne peine terrible ?
1365 Fuyez, mon fils, & s’il vous est possible,
Esuitez vne amour horrible, que ie regarde auec effroy. 97
La chose est trop visible, il a seduit sa sœur,
Pour elle il m’abandonne, il en est possesseur ;
A sa seule Princesse il n’a pas fait iniure*,
1370 Ce monstre auec l’amour outrage la nature*.
Il estalle son crime*, il me le fait sentir,
Et croid en estre quitte auec vn repentir.
Mais, je la voy venir cette impudique femme,
Qui m’a volé le cœur de cét Amant infame.
1375 Auez vous bien le front* de parestre en ces lieux,
Ostez vous, miserable*, ostez vous de mes yeux.

SCENE II. §

CASSANDRE, ISABELLE.

ISABELLE.

Ie ne puis sans pleurer la voir ainsi troublée*,
Ie souffre les douleurs dont elle est accablée,
Et je serois sans cœur l’aimant si tendrement, [p. 101, Niij]
1380 De ne tesmoigner pas ce grand ressentiment.

CASSANDRE.

Ah ! je voy de ces pleurs la source criminelle ;
Sa douleur la conuainc ; vous pleurez, Isabelle,
Mais vous blamez en vain les Astres rigoureux,
Enfin il est party ce frere malheureux.

ISABELLE.

1385 Il est party, Madame, ah l’infame, ah le traistre.

CASSANDRE.

Et ces emportemens* que vous faittes parestre,
Ces larmes, ces souspirs, ce visage interdit,
Ne confirment que trop ce qu’on m’a déja dit ;
Ce discours, Isabelle, est facile à comprendre,
1390 Mais vous feindrez encor de ne le pas entendre,
Sans donner auec art le change à vos douleurs :
Pleurez vostre disgrace, & vos propres malheurs,
Plus que l’esloignement de ce frere barbare,

ISABELLE.

Que dit-elle, grands Dieux, son jugement s’égare,
1395 D’où vient que son venin rejaillit jusqu’à nous,
Qu’est cecy, ma Princesse, où vous emportez vous, [p. 102]
Deuez vous jusqu’à moy porter vostre colere ?

CASSANDRE.

Connoissez cette lettre.

ISABELLE.

Elle est du Duc mon pere.

CASSANDRE.

Lisez-la, malheureuse, & voyez si j’ay tort,
1400 De detester l’horreur d’vn si funeste* sort.

ISABELLE lit.

Vostre sœur trop facile à vous donner sa foy,
Doit gesner* vostre esprit* d’vne peine terrible,
Ce crime* noir m’est bien sensible*,
Quoy qu’il ne soit sceu que de moy,
1405 Plus je ly cette lettre, & moins je sçay comprendre,
Quel est ce sens caché que vous croyez entendre.

SCENE III. [103] §

LE DVC DE CARDONE, CASSANDRE, ISABELLE.

CASSANDRE bas.

De ce grand coup de foudre* elle a l’esprit* frappé.

LE DVC.

Ie viens vous aduertir qu’Astolfe est eschappé.
Commandez promptement qu’on courre apres ce traistre,
1410 I’en suis fort innocent, pour le faire connestre,
Ie consens qu’on l’ameine en ce lieu vif ou mort,
Qu’il meure s’il resiste, & fait le moindre effort.

CASSANDRE.

Duc, il n’est pas besoin qu’on prenne tant de peine,
Ordonnez qu’on le sauue, & non pas qu’on l’ameine.
1415 Connoissez cette lettre, elle est de vostre main,
Vous auez ignoré sa fuitte & son dessein,
Vous n’y trempez* en rien, l’osez vous dire encore ?

LE DVC.

Puis qu’enfin vous sçauez son crime* que j’abhorre, [p. 104]
Puis que vous connoissez son malheur & le mien,
1420 Madame, il ne faut plus qu’on vous deguise* rien,
De cette fuitte donc ne soyez point troublée*,
Vous auez tout sujet d’en estre consolée.

CASSANDRE.

Consolez vostre fille, apres vn tel malheur,
C’est elle qui doit seule en mourir de douleur.

ISABELLE.

1425 Qu’enten-je icy, grand Dieux ! on s’emporte*, on m’outrage,
Ah, Seigneur, hastez vous de calmer cét orage,
Expliquez vostre Lettre, & la tirez d’erreur ;
Ce fol emportement me fait fremir d’horreur.

LE DVC.

Ie n’ay rien déguisé*, ma lettre est veritable.

ISABELLE.

1430 Quoy d’vn crime si noir, vous me croiriez coupable ?

LE DVC.

Cassandre est seule à pleindre, & son sort rigoureux, [p. 105, O]
Deshonore auec-elle vn Pere malheureux,
Puis que la verité ne se sçauroit plus taire,
Sçachez qu’elle est ma fille, & qu’Astolfe est son frere.

CASSANDRE.

1435 Moy je suis vostre fille ?

LE DVC.

Ouy j’en jure les Dieux.

CASSANDRE

Croyez vous qu’il en soit, esprit pernicieux ?
Dans vne fausseté l’on vient de vous surprendre,
Imposteur, qu’est-ce encor qu’on me veut faire entendre,
Moy je suis vostre fille ?

LE DVC.

Ouy, Madame, escoutez
1440 Vn recit surprenant, mais plein de veritez,
Ouy vous estes ma fille, encor je vous le jure,

CASSANDRE.

Iuriez vous pas n’aguiere98, esprit fourbe* & parjure, [p. 106]
Qu’Astolfe de la Tour sans vous estoit sorty ?
Et j’auois vostre escrit qui vous a dementy,
1445 Vous m’osez soustenir apres qu’il est mon frere,
Mon cœur qui vous dement m’asseure du contraire.
Il est grand, il est ferme, il est noble, il est franc,
Astolfe est fourbe* & lasche*, il n’est point de mon sang :
Et je sens malgré vous que j’ay toutes les marques,
1450 Que la nature* imprime en l’ame des Monarques.

LE DVC.

Ne vous emportez* pas, Madame, examinez,
D’vn esprit plus rassis*, ce que vous condamnez,
Si ce que je vous dis estoit vne imposture,
Il faudroit auant moy condamner la Nature*,
1455 Ce que j’oste à mon fils prouue assez clairement.

CASSANDRE.

Qui donc m’oste le sceptre ?

LE DVC.

Isabelle,

CASSANDRE.

Et comment ? [p. 107, Oij]

LE DVC.

Quand elle vint au monde elle y vint languissante,
Et la frayeur qu’on eut en la voyant mourante,
Faisant parmy les grands vn dangereux éclat*,
1460 Fit qu’on vous supposa pour le bien de l’Estat,
Auec plus de santé mesme jour estant née ;
Par D. Bernard & moy vous fustes promenée,
Au Camp parmy nos Chefs qui déja reuoltez,
Cherchoient sur cette mort party de tous costez.
1465 Ainsi l’on fut contraint apres la mort du Prince,
D’abandonner son sang pour sauuer sa Prouince,
La Princesse guerit, mais on n’osa toucher,
A ce change fatal* qu’on me va reprocher,
Non pas pour l’auoir fait lors qu’il fut necessaire :
1470 Mais pour auoir depuis manqué de le défaire,
En laissant à ma fille vn injuste pouuoir,
I’ay trahy mon honneur, j’ay trahy mon deuoir ;
I’ay trahy ma Princesse, & j’ay trahy l’Empire,
Aussi triste & confus chez moy je me retire,
1475 Et n’ay plus en ce lieu de conseils à donner,
Qu’on pourroit d’injustice* encore soupçonner. [p. 108]

CASSANDRE.

Ce grand coup me surprend*, mais plus qu’il ne m’estonne*,
Ie deuois perdre ensemble Astolfe & la Couronne.
Destins qui vous plaisez à me persecuter,
1480 Nous sçaurons sans foiblesse & sans nous emporter,
Souffrir vostre colere & brauer vostre haine,
Malgré vous sur mes sens* je seray Souueraine,
Et je vous confondray par cette fermeté,
De m’auoir fait vn trosne & me l’auoir osté.

ISABELLE.

1485 Quand vous le cederiez apres ce tesmoignage
Madame, malgré vous nous vous rendrions hommage.

CASSANDRE.

Non, non, il faut ceder aux loix* que nous suiuons,
Il faut rendre justice* à qui nous la deuons,
Le Duc nous a dit vray, déja je m’en console,
1490 Mon malheur me le prouue autant que sa parole.
Auroit-il refusé qu’vn fils qu’il aime tant,
Receust auec mon cœur vn honneur éclattant*,
Dans cette ambition qu’on void qui le transporte*,
Si nature* en son cœur n’eust esté la plus forte ? [p. 109, Oiij]
1495 Il m’a laissé regner tant que son attentat,
Et son ambition n’ont blessé que l’Estat,
Mais il n’a peu laisser durer cette imposture,
Au moment qu’il a veu qu’on blessoit la nature*.
Quoy qu’il aimast sa gloire* & son authorité,
1500 Par l’horreur de l’inceste il s’est espouuenté,
Sa retraitte* fait voir fuyant le diademe,
Qu’il aime la justice* encor plus qu’il ne s’aime,
Que la pieté borne vn cœur ambitieux,
Et que qui ne craint rien, craint quelquefois les Dieux.
1505 Faittes dans le Palais assembler la Noblesse
Mon Pere, il faut ceder, voicy nostre Princesse,
Il faut la replacer dans ce trosne vsurpé,
Que trop injustement nous auons occuppé.

LE DVC

Ie vay vous obeïr.
Le Duc s’en va.
[p. 110]

SCENE IV. §

CASSANDRE, ISABELLE.

CASSANDRE.

Dans cette obeïssance,
1510 Vous allez voir finir mon regne, & ma puissance :
Et vous verrez, Princesse, en vous la remettant,
Et mesprisant du sort le caprice* inconstant
Dans ma sainte retraitte* où ma gloire se fonde,
Combien je la prefere à la gloire* du monde.

ISABELLE.

1515 Conseruez vous, Madame, en l’estat glorieux,
Que vous m’abandonnez contre le gré des Dieux :
Pour vn si grand éclat* je ne me sens pas née ;
Connoissez vos vertus*, qui vous ont couronnée
Plus que vostre fortune*, & vous font meriter
1520 Ce haut dégré de gloire* où ie n’ose monter.
Toute la Catalogne en est déja charmée*,
Puis qu’à vos douces loix* elle est accoustumée,
Ne désesperez pas des sujets bien-heureux,
Qui sont si iustement de leurs fers* amoureux. [p. 111]
1525 Quand99 vous embrasseriez cette sainte retraitte,
Ie vous y voudrois suiure encor comme sujette :
Vous ne pouuez quitter l’Estat sans le trahir,
Ny me faire regner sans me faire hayr.

CASSANDRE.

Prenez des sentimens*, genereuse* Isabelle,
1530 Plus dignes de la gloire* où le Ciel vous appelle,
En vous cedant l’Estat, ie ne vous cede rien,
C’est restitution, ie vous rends vostre bien :
Mais vous cedant Astolfe, il faut que ie confesse,
Que ie vous cede tout, excusez ma foiblesse ;
1535 Ie ne puis me defaire encor du sentiment,
Qu’inspiroit dans mon cœur vn si parfait Amant,
Il le fut dés l’enfance, & ne le considere,
Que depuis vn moment en qualité de frere.

ISABELLE.

Ie renonce à ce bien que vous me presentez ;
1540 Et m’arreste, Madame, où vous vous arrestez.
Enfin, vous connoissez* qu’Astolfe est vostre frere ;
Mais ie l’ay creu le mien, & ne puis me defaire
De certains mouuemens qui viennent malgré moy
M’effrayer de l’horreur que i’aurois de sa foy*.

CASSANDRE.

1545 Ce scrupule est bien juste, & s’il gesne* vostre ame, [p. 112]
Moncade est vostre Amant, bornez vous à sa flâme*,
Enfin, vous estes libre, & vous pouuez choisir,
Celuy qui charmera* le plus vostre desir.
Pour nostre souueraine, on va vous reconnestre ;
1550 C’est à vous maintenant à nous donner vn maistre ;
Et quand vous choisirez ce bien-heureux Espoux,
Ie seray la premiere à flechir les genoux,
On fait dans le Palais assembler la Noblesse ;
Rentrons, non non, passez vous estes ma Princesse.
Isabelle luy presente la porte.

SCENE V100. §

CASSANDRE, ISABELLE, BERALDE.

BERALDE.

1555 Ie viens vous aduertir qu’Astolfe est de retour,
Que D. Bernard est libre, & le rameine en cour
Malgré luy.

CASSANDRE.

Dom Bernard ? l’a-t’il pû reconnestre?

BERALDE.

Il m’a plûtost connu, qu’il n’a connu mon maistre.

CASSANDRE.

Bernard depuis quinze ans detenu ? [p. 113, P]

BERALDE.

Les Voicy ?

CASSANDRE.

1560 Où s’est fait leur rencontre ?

BERALDE.

A mille pas d’icy,
Voyant quel desespoir l’emportoit vers la France,
Il la fait reuenir auecque diligence*,
I’en ay fait aduertir le Duc diligemment*,
Et suis vers vostre Altesse accouru promptement.

CASSANDRE en rentrant.

1565 He bien, nous les verrons auecque la Noblesse,
Pourray-ie bien le voir sans monstrer ma foiblesse* ?
[p. 114]

SCENE VI. §

DOM BERNARD, ASTOLFE.

ASTOLFE.

Pourquoy me ramener malgré moy dans ces lieux ?

DOM BERNARD.

Nous allons contenter vostre esprit curieux,
Ie vay vous détromper, Astolfe, & vous surprendre ;
1570 Mais ie le dis encor, si le Duc & Cassandre
Ne prennent comme vous part à cét entretien,
Vous me pressez en vain, je ne vous diray rien.

SCENE VII. §

LE DVC, ASTOLFE, D. BERNARD, BERALDE.

LE DVC.

Qvoy mon fils de retour.

BERALDE.

La chose est tres certaine. [p. 115, Pij]

LE DVC.

Et le vray D. Bernard malgré luy le rameine ?
1575 Captif depuis quinze ans, il reuient en ces lieux ?

BERALDE.

Ouy, Seigneur, les voicy.

LE DVC.

Quel bon-heur, justes Dieux !
Ne suis-je point deceu* par vne fausse joye,
Est-il vray, cher amy, qu’encor je vous reuoye ?
Embrassez moy, mon fils, vous venez à propos,
1580 Pour rendre à nos espris le calme & le repos.

ASTOLFE à part.

Et pour combler le mien d’ennuis* & de disgrace*,

LE DVC.

Toute nostre noblesse est déja dans la place,
Et je croy, D. Bernard, que vous ne sçaurez pas,
Pourquoy nous assemblons icy tous les Estats. [p. 116]

D. BERNARD.

1585 Astolfe en reuenant m’en a dit quelque chose,
Et je sçay son chagrin dont il m’a dit la cause.

SCENE VIII. §

CASSANDRE tenant Isabelle par la main. ASTOLFE, LE DVC, ISABELLE, BERALDE, DOM BERNARD.

ASTOLFE.

Voici Cassandre, ô Dieux ! le puis-je encore reuoir,
Cét objet* de ma rage & de mon desespoir,
Cette sœur que j’adore ?

CASSANDRE.

Ah ! tout le cœur me tremble,
1590 Puis-je bien voir mon frere, & mon Amant ensemble ?
Ainsi que nostre cœur destournons-en nos yeux,
Forçons vn mouuement qui blesseroit les Dieux.
Et bien, mon Pere, enfin, sont-ils prests à parestre,
Ces Estats assemblez pour receuoir vn Maistre,
1595 Et pour voir couronner plus solemnellement, [p. 117, Piij]
Celle à qui cét Estat appartient justement.

LE DVC.

Ouy, Madame, au Palais ils viennent tous se rendre.

CASSANDRE.

Ils vont voir ma justice, elle les va surprendre,
Et je me réjouis de voir que Dom Bernard,
1600 Chez nous se trouue libre afin d’y prendre part ;
Sortez de mon esprit vanitez passageres,
Trosnes, Sceptres, Grandeurs, vous m’estes des chimeres* :
Ie ne vous connoy plus foiblesses* des mortels ;
Et je n’aspire plus qu’à l’honneur des Autels,
1605 De ce fais* dangereux j’auois l’ame accablée.

D. BERNARD.

Auant que la Noblesse icy soit assemblée,
Madame, & qu’on s’explique en presence de tous,
I’ose vous demander audience entre nous.

CASSANDRE.

Ce n’est plus, D. Bernard, à moy qu’on la demande ;
1610 Et voicy maintenant celle qui nous commande, [p. 118]
Ie m’en vay luy remettre & Sceptre & dignité.

D. BERNARD.

Maintenez vous, Madame, en vostre authorité :
Ne plaise aux justes Dieux qu’elle vous soit rauie*,
Ny qu’on perde l’éclat* d’vne si belle vie,
1615 A vous seule appartient de regner justement,
Le Duc vous croit sa fille, & le croit vainement.

LE DVC.

Dieux que me dittes vous ?

D. BERNARD.

Vne verité pure,
Et quand vous aurez mieux consulté la nature*,
Et gousté mes raisons, vous le sentirez bien.

CASSANDRE.

1620 Astolfe en ce cas là ne me seroit donc rien ?

D. BERNARD.

Non, Madame, escoutez, s’il vous plaist vne histoire,
Qui vous surprendra tous.

LE DVC.

Quel moyen de vous croire, [p. 119]
Dittes moy, Dom Bernard, ne m’aydastes vous pas,
A supposer* l’enfant qui finit nos debas ?

D. BERNARD.

1625 Ouy, Duc, j’y consentis, le mal de la Princesse
Mettant l’Estat en proye, ouy, je vous le confesse,
Mais vous vous souuiendrez, quand pour la garantir*,
De l’air contagieux j’eus ordre de partir
Du camp, qu’auec l’Enfant que nous mismes au trosne,
1630 Ie menay la malade encore à Barcelone.
Quand je la vy guerie, & vous toûjours absent,
Dans son rang je remis cét Enfant innocent,
Iugeant qu’on ne pourroit discerner, ny connestre,
Au retour, deux Enfans qui ne faisoient que naistre.
1635 Les nourrices & moy fismes secrettement,
Vn juste coup d’Estat faisans ce changement :
Car on n’eust peu laisser dans le trosne sans crime*,
Celle qui n’en fut pas Maistresse legitime.
Vous reuintes enfin, & ne manquastes point,
1640 Me faisant confidence encore sur ce point,
Et croyant que Cassandre encor fust vostre fille,
De me parler toûjours d’interests* de famille, [p. 120]
Car vous m’auiez promis auant vostre retour,
Qu’Astolfe espouseroit ma fille quelque jour.
1645 Croyant qu’on m’abusoit auec cét artifice,
Et que l’ambition causoit cette injustice,
Qui vous faisoit sortir des bornes du deuoir,
I’entretins vostre erreur, craignant vostre pouuoir.

LE DVC.

Vous me faittes vous mesme vne injustice estrange*,
1650 Vous sçauez qu’on n’osa toucher à cét échange,
Voyant tant de mutins, & tant de mécontens.

D. BERNARD.

Ce furent vos raisons, & qu’il n’estoit pas temps,
Enfin quoy qu’il en soit, je n’osé vous rien dire,
Et vous laissay flatter des douceurs de l’Empire,
1655 Quand dans ce grand traitté qu’on commit à ma foy*
Le Roy de Portugal ne demandant que moy,
Le Conseil m’engagea dans ce cruel voyage,
Qui m’a cousté quinze ans de peine & d’esclauage :
Car je fus pris sur mer & mené dans Tunis,
1660 Où l’on m’a fait souffrir des tourmens infinis ;
Tant que le nouueau Roy moins dur & plus auare,
Que feu son Pere Acmat qui me fut si barbare,
Pour ses vaisseaux qu’on prit dont je fus le martir, [p. 121, P]
A receu ma rançon, & m’a laissé partir.

CASSANDRE.

1665 Estant mon Gouuerneur, & craignant la regence,
Du Duc dont vous voyez l’éclat* & la puissance,
Comment me laissiez vous sous son authorité ?

D. BERNARD.

Ie n’avois rien à craindre en cette extremité :
Car vous croyant sa fille auec le diadesme,
1670 Il n’eust peu vous manquer, sans manquer à soy-mesme ;
Sur cette confiance enfin je m’embarqué
Et comme je pouuois sur mer estre attaqué,
Preuoyant que de plus en vn si long voyage,
Ie pouuois estre pris, ou bien faire naufrage,
1675 Duc, s’il vous en souuient, je fis mon testament,
Que je creus vous pouuoir laisser confidamment.

LE DVC.

Il m’en souuient fort bien, & j’ay vostre Cassette.

D. BERNARD.

Faittes-la donc venir, vous serez satisfaitte,
Madame, en la voyant, de ma fidelité,
1680 Elle ne contient rien que cette verité [p. 122]
Qu’alors je n’osé dire, & que je ne pus taire,
Au lieu du testament, que je feignis de faire.

LE DVC.

La justice du Ciel visiblement parest,
Dans ce procedé franc où je prens interest*,
1685 Elle eust paru toûjours apres vostre voyage,
Si vous m’eussiez plustost rendu ce tesmoignage,
Que j’en eusse eu de joye.

CASSANDRE.

Oublions le passé
Sans condamner l’erreur où l’on vous a laissé,
Vous auez dignement gouuerné ma Prouince,
1690 A vostre Sang Illustre elle deuoit vn Prince,
Au lieu d’vne Princesse, aussi veux-je donner,
Mon Sceptre à vostre fils que l’on va couronner :
Et puis que l’on n’a peu couronner Isabelle,
Ie partage ma gloire* & mon cœur auec elle,
1695 Et luy donne Moncade.

ISABELLE.

O ! regne heureux & doux.

ASTOLFE.

O bonté sans exemple.
[p. 123]

SCENE DERNIERE. §

MONCADE, CASSANDRE, ISABELLE, ASTOLFE, LE DVC.

MONCADE.

On n’attend plus que vous,
Madame.

CASSANDRE.

Allons, Moncade, on vous a fait justice* :
Car de Beralde enfin on a sceu l’artifice,
Isabelle auoit creu que vous pensiez à moy :
1700 Mais elle est detrompée, & reçoit vostre foy*.

MONCADE.

Croiray-je ce miracle !

ISABELLE.

Ouy, vous le deuez croire.

MONCADE.

Aux douceurs de l’amour faisons ceder la gloire,
S’il est vray que nos vœux* ne soient pas mesprisez. [p. 124]

ISABELLE.

Beralde auant partir101 nous a desabusez,
1705 Si mon Pere y consent, que vostre peine cesse.

LE DVC.

Ie veux auec plaisir ce que veut ma Princesse.

MONCADE.

Allons, puis que le Ciel nous veut fauoriser*,
Et consoler Dom Pedre & le desabuser.

ISABELLE.

S’il sent bien les douceurs que le Ciel nous enuoye,
1710 Il noira ses douleurs dans la publique joye.

CASSANDRE.

Puis que tous nos Estats enfin sont assemblez,
Allons rendre le calme à leurs espris troublez*.
Suiuez moy, hastons nous de leur donner vn Prince ;
Et par ce digne choix rasseurons* la Prouince.

Fin du cinquiesme Acte.

Extraict du Priuilege du Roy. §

Le Roy, par ses Lettres Patentes, à permis au Sieur de Bois-Robert Abbé de Chaſtillon ſur Seine, de faire imprimer, vendre & debiter en tous lieux de ſon obeïſſance, deux Pieces de Theatre, intitulées la Caſſandre, Comteſſe de Barcelone, & l’autre, la belle Plaideuſe ; & ce, durant dix ans entiers, à compter du iour que chacune deſdites Pieces ſera acheuée d’imprimer pour la premiere fois : Auec deffenſes à toutes perſones de quelque qualité ou condition qu’elles ſoient, de les imprimer ny vendre, en aucun lieu de l’obeïſſance de ſa Majeſté, ſans le conſentement dudit Sieur de Bois-Robert, ou de ceux qui auront ſon droit, à peine de deux mil liures d’amende, de confiſcation des Exemplaires contrefaits, & de tous deſpens, dommages & intereſt ; à condition qu’il en sera mis deux Exemplaires de chacun deſdits Liures en la Bibliotheque de ſa Majeſté, & vn en celle de Monſieur Molé Garde des Seaux de France, auant que les expoſer en vente, voulant qu’à l’Extraict deſdites Lettres qui ſera mis au commencement ou à la fin deſdits Liures, foy ſoit adiouſtée, & aux copies qui en ſeront deuëment collationnées comme à l’Original. Et que tous Huiſſiers & Sergens Royaux, faſſent pour l’execution d’icelle tous exploits, & ne ce faire ſans demander autre permiſſion, comme il eſt plus au long porté par leſdites Lettres. DONNÉ à Paris le douziéme Mars mil ſix cens cinquante-quatre. Signé par le Roy en ſon Conſeil, CONRARD. Et ſcellé du grand ſceau de cire jaune ſur simple queuë.

Et ledit Sieur de Bois-Robert Abbé de Chaſtillon, a cedé & tranſporté ſon droit de Priuilege, à Auguſtin Courbé Marchand Libraire à Paris, ſuiuant l’accord fait entr’eux.

Acheué d’imprimer pour la premiere fois, le
quinziéme iour du Mars 1654.

Les Exemplaires ont eſté fournis.

Lexique §

Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Coignard, 1694. (Ac. 94)
Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 1995. (DHLF)
Cayrou G., Le français classique, lexique de la langue du XVIIe siècle, 6e éd., Paris, Didier, 1948. (C)
Dubois J., Lagane R., Lerond A., Dictionnaire du français du XVIIe siècle., nouv. éd. Larousse, 1992. (D.)
Furetière A., Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A. et R. Leers, 1690, 3 vol. [rééd.], réimpr., Paris, SNL-Le Robert, 1978. (F.)
Richelet F., Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680. (R.)
Sancier-Château A., Introduction à la langue du XVIIe siècle. I. Vocabulaire, Paris, Nathan, 1993. (S.)
Abord (d’)
Dès l’abord, tout de suite. (D.)
V. 1190
Adresse
Moyen ingénieux. (D.)
V. 92
Air
Expression du visage. Manière d’agir, comportement. (D.)
V. 700, 730
Appas
Attraits physiques. (S.)
V. 146, 995, 1014
Ardeur
Vif empressement, amour. (D.)
Épître, v. 98, 412, 454, 1085, 1103, 1112, 1116
Arrêté
Nettement déterminé. (D.)
V. 81
Assuré
Certain, incontestable. (D.)
V. 821
Assurer(s’)
Arrêter, faire prisonnier, s’emparer de quelqu’un. (D.)
V. 1222
Autel
Sens figuré s’étant employé dans le contexte du mariage. (DHLF)
V. 951
Aventure
Destin, sort, chance. (D.)
V. 155, 665
Bizarre
Fantasque, extravagant, inconstant. (D.)
V. 43, 1134, 1272
Blessée
Troublée. (D.)
V. 140
Brigue
Parti, cabale. (D.)
V. 37, 603
Bruit
fig. Querelle. (D.).
V. 277
Se dit figurément de la renommée, de la réputation. (F.)
V. 732
Caprice
Acte insensé. (D.)
Charme
Sortilège, puissance magique. (D.)
V. 639
Charmer
Soumettre à sa volonté, maîtriser en jetant un sort. (D.)
Chaud
fig. Ardant, emporté. Délicat, qu’on ne peut toucher. (D.)
V. 213
Chimère
Idée extravagante. (D.)
V. 839, 1602
Concer
Action de se concerter, accord préalable. (D.)
V. 1271
Conférence
Entretien, conversation privée. (D.)
V. 519
Congé
Permission. (D.)
V. 32, 728
Connaître
Reconnaître. (D.)
Crime
Tâche, faute grave. (D.)
Cuisant
On le dit des choses qui causent de la douleur [douloureux]. (F.)
V. 377
Décevoir
Tromper, induire en erreur. (D.)
V. 687, 1577
Découvrir
Faire connaître ce qui était caché. (Ac. 94)
V. 419, 569
Dégager
Rendre libre. Retirer une chose qu’on avait mise en gage. (C.)
V. 814, 861
Déguiser
Cacher. (C.)
Délicats
D’une sensibilité excessive en matière de goût et de plaisir. (D.)
Épître
Demeure
Retard, délai. (D.)
V. 976
Demeurer
Subsister, rester ferme. (D.)
V. 78, 595
Dénaturé
Participe passé substantivé avec le sens de « dépouillé de sentiments naturels ». Le sens normatif et moral de « gâter les sentiments naturels de qqn » est enregistré en 1611. (DHLF).
V. 512
Déplaisir
Évoque les souffrances les plus profondes, qui génèrent le désespoir. (S.)
V. 294
Dérober(-s)
S’évader, s’échapper. (D.)
V. 1344
Destin
Projet. (D.)
V. 126
Devant
adv. Avant, auparavant ; (1328) : loc. conj. Avant que.
V. 32
Diligence (en)
Avec rapidité. (D.)
Discours
Se prend pour ce que l’on récite. Entretien. (S.)
V. 63
Disgrâce
Malheur, infortune. (D.)
V. 675, 1581
Dispenser (se)
Se permettre de, s’autoriser. (D.)
V. 230
Éclat
Gloire, situation brillante. (D.)
Action de divulguer ; scandale. (D.)
V. 1459
Éclater
Se manifester, apparaître ouvertement. Déclarer clairement et publiquement ses sentiments. (D.)
Économie
Répartition de la matière dans les diverses parties du plan d’une œuvre littéraire. (D.)
Avertissement
Effet
Acte, réalisation. (D.)
V. 711
Empire
État, royaume. (D.)
V. 440, 1036
Emportements
Ardeur, mouvement de l’âme causé par une passion. (D.)
V. 411, 1386
Emporter
Effacer, faire oublier
V. 432
Causer de la colère.
V. 1451
S’emporter
Se laisser aller par une passion, (amour, désespoir, auj. seulement colère), passer les bornes de la bienséance, la justice. (D.)
V. 1425
Ennui(-s)
Chagrins, déplaisirs, soucis. (Ac. 94).
Entériner
Terme de Palais. Donner sentence ou arrêt sur une requête. Ce mot s’est dit apparemment d’abord des lettres de restitution en entier ; et depuis s’est étendu à toutes sortes de requêtes. (F.)
V. 1181
Équipage
Costume, façon de se vêtir. (v. 970) : Ensemble des êtres et des objets nécessaires à un voyage. (D.)
V. 874
Esprit
Souffle, âme, au sens matériel. Intelligence, inspiration, talent, au sens moral. Cœur sentiment.
Au pl. Vie, énergie morale et intellectuel. (C.)
V. 1250
Étonner
Frapper d’une émotion violente. (D.)
V. 257, 1477
Étrange
Extraordinaire, anormal, scandaleux. (D.)
V. 761, 964, 1649
Étude
Soin particulier apporté à quelque chose. (D.)
V. 1108
Faiblesse
Inconstance, imbécilité, facilité de se laisser aller.
V. 322, 856
On le dit encore quand une femme a succombé à la passion qu’elle a pour un homme. (F.)
V. 1566
Principal défaut, point faible. (D.)
V. 1603
Faix
Poids. (C.)
V. 1605
Fantaisie
Imagination, esprit. (D.)
V. 1285
Fatal
Qui apporte la douleur. (D.)
Favoriser
Accorder sa préférence
V. 187
Accorder son appui, avantager. (D.)
V. 1707
Faveur
Désigne les marques de prédilection à l’être dont on a reconnu le service. (S.)
V. 509
Fers
Particulièrement, état de l’amoureux soumis à sa maîtresse. (D.)
V. 791, 978, 1524
Feu
Passion, amour. (D.)
V. 400, 667, 1114
Fier
Farouche, sauvage, cruel. (D.)
V. 19
Flamme
Amour. (D.)
Foi
Fidélité à un engagement, loyauté. Amour fidèle. Sincérité, confiance. (D.)
Fortune
Chance.
Avertissement, 502, 825, 982, 1081, 1519
Situation sociale.
V. 204
Destinée, sort. (D.)
V. 1129
Foudre (coup de)
Événement subit et désastreux. (D.)
V. 1407
Fourbe
Caractère ou action d’un fourbe ; malhonnêteté. (D.)
Fourber
Tromper par ruse, faire des dupes. (D.)
V. 210, 651
Franchise
Particulièrement, en poésie, état de celui qui n’est pas asservi par l’amour. (D.)
V. 123, 857
Frénésie
Folie furieuse. (D.)
V. 1284
Front
Imprudence, effronterie. (D.)
V. 878, 1375
Funeste
Tragique, violent, en parlant de la mort. (D.)
V. 623, 1292
Qui cause la mort ou qui en menace, sinistre, fatal. (C.)
V. 1400
Fureur
Se dit des violents mouvements de l’âme. (F.)
Galamment
Avec goût, élégance, habilité. (D.)
V. 210
Garantir
Préserver de quelque mal ou accident. (Garentir chez F.)
V. 1627
Gêner
Torturer, soumettre à une contrainte pénible. Causer une souffrance morale. (D.)
Généreux(-euse)
De race noble, brave. Magnanime, sans mesquinerie. (D.)
Gloire
Honneur, considération, qualité flatteuse. Réputation intacte aux yeux d’autrui et aux yeux de soi-même.
Épître, v. 14, 430, 567, 713, 1006, 1499, 1514, 1520, 1530, 1694
Orgueil, vanité. (D.)
V. 147, 1263
Grâce
Faveur. Attrait. (D.)
Épître, v. 1181
Heur
Bonne fortune. (Ac. 94)
V. 430, 1038
Humeur
Caractère, tempérament, disposition habituelle d’esprit. (D.). Se dit aussi d’une disposition accidentelle, d’un état d’âme passager. Disposition, au point de vue intellectuel. (C.)
V. 48, 76, 297, 501, 1128, 1272
Idée
Image, dessin, peinture. (D.)
V. 1089
Indiscret
Qui manque de discernement, de jugement. (D.)
V. 53
Industrie
Activité ingénieuse, démarche adroite, habileté. (D.)
V. 716
Ingénument
Franchement, loyalement. (D.)
Épître
Ingrat
C’est celui qui ne sait pas reconnaître ce qu’on fait pour lui, dans l’ordre politique, social ou sentimental. (S.)
Ingratitude
S’inscrit dans le même champ notionnel que la trahison, mais le dépasse. (S.)
Injure
Dommage, tort causé.
V. 645, 1369
Injustice. (D.)
V. 1173
Injuste
Injustifié (D.)
Insigne
Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables. Il se dit tant en bonne qu’en mauvaise part., par exemple : ce Procureur a la réputation d’un insigne chicaneur. (F.)
V. 664
Interdit
Troublé, décontenancé. (D.)
V. 221, 1162
Intéresser(s’)
Prendre parti, se passionner pour ou contre. (D.)
V. 191
Intérêt
Ce qui touche à une personne par la part qu’elle y prend. Affaire, question, souci qui la regarde. (C.). Parti, cause, défense. (D.)
V. 79, 225, 1642, 1684
Jaloux(-se)
Attaché à, désireux de. (D.)
V. 137, 225, 1272
Jouer
Se moquer de quelqu’un ou de quelque chose. (D.)
V. 1271
Justice
Équité (D.)
Lâche
Mou, sans force. (D.)
Langage
Discours, paroles. (D.)
V. 99
Licence
Liberté. (D.)
V. 1320
Lieu
Motif légitime. (D.)
V. 225
Librement
Volontiers (D.)
V. 230
Lois
Ordres.
Dans le langage de la galanterie, lois de l’amour, asservissement à la personne aimée. (D.)
Mander
Désigne le fait de communiquer une nouvelle ou un avis, par lettre ou par messager. (S.)
V. 236
Méchant
Condamnable. (D.)
V. 1274
Méconnaissant
Ingrat. (C.)
V. 1166
Mérite
Habileté, talent. Importance d’une chose. (D.)
Misérable
Malheureux, digne de pitié. (D.).
Se prend aussi au sens défavorable pour exagérer un mépris. (C.)
V. 1376
Murmure
Réprobation.
V. 55
Murmurer
Gronder, faire du bruit. S’entretenir mystérieusement de. (D.)
V. 90
Nature
Se dit de l’action de la Providence qui agit en tous les corps. Se dit aussi en parlant de ce qui est ordinaire, qui arrive toujours. Se dit aussi d’une connaissance qui est née avec nous de ce qui est bon, ou mauvais, de ce qui nous sert, ou qui nous nuit. (F.)
Objet
Chose où l’on arrête sa pensée, son cœur, son but, ou son dessin. (R.) Se dit aussi poétiquement des personnes qui donnent de l’amour. (F.)
Outrage
Injustice, excès de violence.
V. 1231
Offense, atteinte à l’honneur. (D.)
V. 1281
Parti
Se dit proprement du « traité ». Il y a au fond une idée de partage et « parti » n’est que le participe passé, employé comme nom, du vieux verbe « partir ». (C.)
V. 91
Passion
Sentiment. (D.)
V. 350, 549
Perfide
Le fait de trahir la foi dans parole donnée, dans l’ordre chevaleresque comme dans l’ordre amoureux. (S.)
Poulet
Signifie aussi un petit billet amoureux qu’on envoie aux Dames galantes, ainsi nommé, parce qu’en le pliant on faisait deux pointes qui représentaient les ailes d’un poulet. On les appelle à présent [1690] billets galants, billets doux. (F.)
V. 178, 219
Presser
Serrer de près.
Pressions physiques, psychologiques ou morales sur quelqu’un pour arriver à ses fins. (S.)
Prévaloir
L’emporter sur, avoir l’avantage sur. (D.)
V. 89
Priser
Estimer, évaluer, peser. (D.)
V. 161, 793
Prix
Récompense.
V. 379
Valeur, mérite. (D.)
V. 464
Querelle
Se dit de l’intérêt d’autrui quand on en prend la défense. (F.)
V. 876
Rassis
fig. Calme, mûri par la réflexion. (D.)
Rassurer
Rendre plus sûr, sans danger (avec un nom de chose). (D.)
V. 8, 1714
Ravi
Porté à un état de bonheur extrême
V. 159
Enlever par force. (S.)
V. 1613
Rebuter
Repousser quelqu’un avec dureté. (D.)
V. 527
Regards
Egards. (C.)
V. 1110
Respect(-s)
Égards, considérations. (D.)
Épître, v. 244, 979, 1059, 1106, 1199, 1209, 1228, 1255, 1267
Retirer
Dégager une chose d’un lieu où elle était engagée. (F.)
V. 254
Retraite
Asile, refuge. Vie retirée. (D.)
Risée
Moquerie.
V. 1021
Sens
Jugement. (D.)
Sensible
Qui frappe les sens. (C.)
Sentiments
Opinion, avis.
V. 1088
Dispositions. (D.)
V. 1529
Soin
Intérêt porté à quelque chose.
V. 1171
Au pl. Assiduités, marques de dévouement à la personne aimée. (D.)
Souffrir
Endurer, supporter, tolérer. Aussi, le sens actuel d’éprouver une douleur physique ou morale. (D.)
V. 13, 966, 975, 1230
Succès
Issue d’une affaire. Se dit en bonne et en mauvaise part. (F.)
V. 397
Supposer
Substituer, mettre à la place (en général frauduleusement). (D.)
V. 602, 611, 1624
Surprendre
Prendre à l’improviste. (C.)
V. 1477
Tendresse
Délicatesse. (D.)
Tenir
Retenir. (D.)
V. 346
Tour
Ruse. (D.)
V. 646
Tourment
fig. Souffrance morale. (D.)
V. 274, 861
Transport
Manifestation d’une passion, en particulier de l’amour. (D.)
V. 759
Transporter
Emouvoir fortement, rendre fou. (D.)
V. 248, 557, 1493
Tremper
S’entend au sens moral. Tremper dans un crime, dans une conspiration, c’est en être complice, en avoir connaissance sans l’avoir révélée. (F.)
V. 1417
Troublé(-e), troubler
Fou, devenir fou. (D.)
Vertu
Puissance.
Épître
Qualités, avantages. (D.)
V. 1518
Vœu
Désir tendu vers un objet. (S.)
V. 289, 1703
Zèle
Dévouement. (D.)
Épître
Zélé
Épris de, passionné pour. (D.)
V. 1103

Tableau comparatif §

Nous proposons un tableau comparatif du déroulement de l’action dans les pièces respectives de Boisrobert et de Villegas. Ensuite on pourra trouver un relevé des extraits de La mentirosa verdad avec les numéros de scène et de vers qui correspondent à la adaptation française faite par Boisrobert dans sa Cassandre.

Tableau 1 §


Cassandre, comtesse de Barcelone La mentirosa verdad o el marido de su hermana
ACTE I JORNADA PRIMERA
1. Le duc de Cardone, Régent de Barcelone, entretient son fils Astolfe du besoin impérieux qu’a l’Etat de marier la princesse Cassandre, héritière du Comté, avec un prétendant étranger. Il ajoute que la comtesse a refusé toutes les propositions qu’on lui a faites et que les pressions montent à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Etat. Il confie donc à son fils la tâche de la persuader de se marier. Astolfe est contrarié puisqu’il est lui-même amoureux de Cassandre, et celle-ci l’est aussi de lui. Mais il cède enfin à la demande de son père. Enrique, duc de Cardona, Régent de Barcelone, entretient la princesse Violante du besoin impérieux qu’a l’Etat de son mariage avec un prince étranger. Elle refuse cette contrainte et se déclare libre de choisir un mari de son goût parmi ses sujets. Carlos ajoute qu’il préfère la mort plutôt que de la voir épouser quelqu’un d’autre que lui. Le duc s’en va non sans confier à son fils la tâche de la persuader de se marier. Il promet de la convaincre malgré lui, malgré elle, puisqu’ils sont amoureux l’un de l’autre.
2. Cassandre est vexée qu’on la presse tant de faire le choix d’un époux pour le bien de l’Etat. Elle ordonne à Astolfe d’aller chercher sa sœur Isabelle. Carlos reste avec la princesse et lui rappelle comment en grandissant ensemble il tombèrent amoureux l’un de l’autre ; qu’en gage de sa fidélité, elle lui offrit un diamant ; mais qu’à présent que les nobles exigent son mariage avec un prince étranger, il est obligé de respecter ses choix quels qu’ils soient et au risque de sa propre défaveur, sans pour autant se sentir trahi par elle. Carlos lui laisse le temps de la réflexion mais pour toute réponse elle lui redemande son diamant et l’envoie aussitôt quérir sa sœur Isabel.
3. Don Rémond de Moncade et Don Pèdre d’Aragon, jeunes gentilshommes amoureux d’Isabelle, faisant étalage de leurs atouts et présumant chacun de son avantage, conviennent de lui faire une déclaration d’amour par le biais d’un billet galant que Béralde, écuyer d’Astolfe, doit remettre en ses mains pour qu’elle choisisse celui de sa préférence et que, sur ce choix, le perdant cèdera la place sans conteste au gagnant. Don Ramón de Moncada et Don Jayme de Aragón, jeunes gentilshommes amoureux d’Isabel, conviennent de lui faire une déclaration d’amour par le biais d’un billet galant que le gracioso Beltrán doit remettre en ses mains pour qu’elle choisisse celui de sa préférence.
4. Moncade et D.Pèdre expliquent leur propos à Béralde, lui demandent de porter leurs lettres à Isabelle et de tenter de savoir par avance pour qui des deux elle incline le plus. Chacun lui donne un diamant en rétribution et lui promet davantage en cas de victoire. D.Ramón, qui s’explique le premier à Beltrán, lui offre en rétribution un bijou pour porter sa lettre à Isabel. De son côté, D.Jayme lui ordonne vertement la même chose.
5. Béralde reconnaît son imprudence d’avoir promis de servir en même temps ces deux rivaux, mais il compte tirer le meilleur profit de cette affaire. Surpris de se trouver l’émissaire de ces deux seigneurs, Beltrán compte tirer le meilleur profit de cette affaire.
6. Astolfe surprend Béralde avec les deux billets et les lui arrache. Celui-ci répond qu’on les envoie pour Cassandre. Surpris et jaloux en lisant celui de Moncade, il déduit que sa réticence au mariage obéit à ce nouvel amour qu’elle n’a pas encore osé divulguer. Carlos surprend Beltrán avec les deux billets et les lui arrache. Celui-ci répond que D.Ramón et D.Jayme les envoient pour Violante. Surpris et jaloux, il déduit que sa réticence au mariage obéit à son indécision de choisir entre l’un de ces deux prétendants.
7. Dépité, Astolfe lit toujours la lettre et ne voit ni Moncade ni Cassandre qui arrivent ensemble. Le premier reconnaît son billet et se dit trahi par Béralde mais ne comprend pas qu’Astolfe s’emporte pour avoir écrit à sa sœur ; la seconde est jalouse croyant que son amant a une autre amoureuse. Elle lui arrache la lettre et l’emporte avec elle. Dépité, Carlos lit la lettre de Moncada sans apercevoir qu’il arrive avec Violante et suppose qu’elle le trompe avec lui. Le premier reconnaît son billet et se dit trahi par Beltrán  mais ne comprend pas que Carlos s’emporte pour avoir écrit à sa sœur ; la seconde est jalouse en croyant que son amant a une autre amoureuse. Elle lui arrache la lettre et l’emporte avec elle.
8. En colère, Astolfe exhorte Moncade à renoncer à ses propos amoureux. Ayant les qualités requises, celui-ci n’arrive pas à savoir pourquoi il lui interdit de courtiser sa sœur. En colère, Carlos exhorte Moncada à renoncer à ses propos amoureux. Ayant les qualités requises, celui-ci n’arrive pas à savoir pourquoi il lui interdit de courtiser sa sœur.
ACTE II
1. Chagrin, Astolfe dit à sa sœur que Cassandre lui est infidèle avec Moncade. Déconcertée et jalouse, Isabelle se sent trahie par celui qu’elle croyait son amoureux, et dont elle est aussi amoureuse. Astolfe s’en va lorsqu’il voit venir Cassandre et donne à sa sœur l’autre billet, qu’il croit lui être aussi adressé. Chagrin, Carlos dit à sa sœur que Violante lui est infidèle avec Moncada. Déconcertée et jalouse, Isabel se sent trahie par celui qu’elle croyait son amoureux, et dont elle est aussi amoureuse. Carlos s’en va lorsqu’il voir venir Violante et donne à sa sœur le billet de D.Jayme, qu’il croit lui être aussi adressé.
2. A son tour, Cassandre dit à Isabelle qu’Astolfe lui est infidèle. Pour preuve elle lui montre la lettre qu’elle vient de lui enlever. En faisant sa lecture, Cassandre découvre que Moncade en est l’auteur et qu’Astolfe est donc innocent. Elle promet ainsi de le récompenser et l’envoie quérir. Déçue, Isabelle lui donne l’autre billet. Cassandre le lit aussi et déclare à Isabelle que D.Pèdre le lui adresse. Isabelle en est mécontente. A son tour, Violante dit à Isabel que Carlos lui est infidèle et que, persuadée de ses assiduités amoureuses, elle envisageait de l’épouser. Pour preuve elle lui montre la lettre qu’elle vient de lui enlever. En faisant sa lecture, Isabel la détrompe voyant que Moncada en est l’auteur et que Carlos est donc innocent. Déçue, Isabel lit aussi le billet de D.Ramón et découvre ses penchants amoureux pour elle, ce dont elle se montre mécontente.
3. Astolfe revient et se plaint à Cassandre qu’elle a nourri une passion qu’elle méprise à présent. Sachant son innocence, elle lui avoue son amour et sa ferme intention de l’épouser. Etonné mais reconnaissant, il craint l’opposition de son père le duc, qui attend plutôt le choix d’un prétendant étranger, non pas d’un sujet et surtout pas celui de son fils. Elle le rassure en disant que c’est son choix et que le duc doit se plier à cette décision. Carlos, qui vient chercher sa sœur par ordre du duc, se plaint à Violante qu’elle a nourri une passion qu’elle méprise à présent. Sachant son innocence, elle lui avoue son amour et sa ferme intention de l’épouser, ainsi que l’obligation d’en faire part au duc son père. Etonné mais reconnaissant, il craint son opposition, car le Régent attend plutôt le choix d’un prétendant étranger, non pas d’un sujet et surtout pas celui de son fils. Alors il demande la permission à Violante de parler au duc non en tant que solliciteur de son consentement mais en tant que mari, pour ainsi éviter tout empêchement de sa part.
Le duc dit à Beltrán que le poids de sa vieillesse et de l’Etat lui devient très lourd à supporter ; qu’il souhaite le mariage de la comtesse et de ses enfants pour qu’ils assument leur rôle politique et qu’il puisse ainsi prendre sa retraite. Tandis qu’il attend l’arrivée de Carlos, il fait lecture de plusieurs requêtes, dont celle de Don Bernardo de Roca, ami de jeunesse et délégué à la ville de Girona, qu’il a pacifiée et en demande le gouvernement.
4. Astolfe annonce au Régent l’échec de sa mission car la comtesse refuse d’épouser un prince étranger. Déçu, celui-ci prévoit la chute de l’Etat. Astolfe ajoute que Cassandre l’a choisi comme mari et pour éviter toute riposte de son père, il lui dit lapidaire qu’elle est déjà sa femme. Scandalisé, le duc lui avoue que la comtesse est sa sœur et lui en fait le récit suivant : orpheline, elle naquit «et mourante et plaintive », sur le champ de bataille lorsque son père faisait la guerre « sur la frontière » ; que n’ayant plus de chef d’Etat, la noblesse et le peuple se mutinèrent et, craignant de ce fait l’ampleur de l’instabilité et de la rébellion générales, il la substitua sur le trône, avec la complicité du gouverneur de la princesse, Don Bernard de Rocas (captif à présent), par la propre fille du duc, née la même semaine « et plus forte et plus saine » ; que Cassandre règne depuis et bien que la princesse légitime ait survécu, ils n’osèrent la rétablir dans ses droits de peur d’autres émeutes. Le duc conclut que le seul salut de son fils pour ce crime incestueux consiste en son exil définitif de la Catalogne, sans même faire ses adieux à la princesse. Astolfe est au désespoir. Carlos revient enfin et annonce au Régent l’échec de sa mission car la comtesse refuse d’épouser un prince étranger. Déçu, celui-ci prévoit la chute de l’Etat. Carlos ajoute que Violante l’a choisi comme mari et pour éviter toute riposte de son père, il lui dit, lapidaire, qu’elle est déjà sa femme. Scandalisé, le duc lui fait le récit suivant : orpheline, elle naquit « moitié vivante, moitié morte » lorsque son père fut tué en faisant la guerre contre les maures ; que n’ayant plus de chef d’Etat, la noblesse et le peuple se mutinèrent et, craignant de ce fait l’ampleur de l’instabilité et de la rébellion générales, il la substitua sur le trône, avec la complicité de son ami Don Bernardo de Roca, par la propre fille du duc, née aussi en ces jours-là ; que Violante règne depuis et bien que la princesse légitime ait survécu, il n’osa la rétablir dans ses droits en raison de l’ambition qu’il eut de concentrer tout le pouvoir dans sa famille ; qu’enfin, Violante est sa sœur et Isabel la comtesse légitime. Le duc conclut que le seul salut de son fils pour ce crime incestueux consiste en l’exil définitif de la Catalogne, sans même faire ses adieux à la princesse. Carlos est au désespoir.
ACTE III JORNADA SEGUNDA
1. Emporté, Moncade informe D.Pèdre que Béralde l’a trahi en donnant sa lettre à Astolfe et non pas à Isabelle. Il menace de se venger. Raisonnable, D.Pèdre préfère entendre une explication de l’écuyer. Emporté, Moncada informe à D.Jayme que Beltrán l’a trahi en donnant sa lettre à Carlos et non pas à Isabel. Avant de se venger, ils préfèrent entendre une explication du valet.
Craintif, Beltrán pense qu’il a un peu trop poussé l’audace d’avoir menti à tous ces gentilshommes.
2. Ils conviennent de l’écouter séparément. Moncade lui demande le premier s’il a donné sa lettre à Isabelle. Béralde répond qu’il la lui remit personnellement mais qu’elle l’avait reçue de très mauvais gré et que, fâchée, la donna ensuite à son frère. Résigné, Moncade croit alors comprendre l’opposition d’Astolfe à sa conquête. Après cela, Béralde est soulagé de s’être bien tiré d’affaire. Ils conviennent de l’écouter séparément. Moncada lui demande le premier pourquoi il avait donné son billet à Carlos. Beltrán lui réplique qu’il le remit à Isabel, mais que fâchée de son propos amoureux, elle le rendit aussitôt à son frère. Résigné, Moncada croit alors comprendre l’opposition de Carlos à sa conquête. Après cela, Beltrán est soulagé de s’être bien tiré d’affaire.
3. D.Pèdre vient ensuite et l’écuyer lui dit que sa lettre a été aussi remise et qu’Isabelle l’a très bien accueillie. D.Pèdre s’en va content, Béralde l’est de cette audace. D.Jayme vient ensuite pour savoir si Beltrán avait donné sa lettre à Isabel. Non seulement il lui répond affirmativement mais il ajoute que son billet fut accueilli de très bon gré. D.Jayme s’en va content, Beltrán s’étonne de la facilité avec laquelle il a cru à ce mensonge.
4. D.Pèdre informe Moncade qu’il est gagnant et lui demande de se plier à leur accord. Celui-ci refuse de céder sur le seul rapport de Béralde, connu de tous pour un fourbe. D.Pèdre consent alors que Moncade sache personnellement le choix d’Isabelle. D.Jayme informe Moncada qu’il est gagnant. Celui-ci refuse de céder si facilement et lui demande un délai pour apprendre personnellement la décision d’Isabel, ce à quoi D.Jayme consent.
5. Lorsque celle-ci revient avec Béralde, elle confirme à D.Pèdre la réception de son billet, mais lui donne pour seule réponse de l’avoir lu et lui demande de la quitter. Content, D.Pèdre remercie Béralde pour sa diligence. Sur ce, Moncade croit confirmer son échec. Isabelle à son tour le considère comme infidèle. Remplie de confusion par leurs propos, elle dit à Moncade que celle à laquelle il prétend (et qu’Isabelle pense être Cassandre) ne s’intéresse pas à lui et l’incite, en parlant d’elle-même, mais pas expressément, à accepter l’amour d’une autre dame qui soupire pour lui (et que Moncade suppose être Cassandre). Lorsqu’elle revient avec Beltrán, Isabel confirme à D.Jayme la réception de son billet, mais lui donne pour seule réponse de l’avoir lu et lui demande de la quitter. Content, D.Jayme remercie le valet pour sa diligence. Sur ce, Moncada croit confirmer son échec. Isabel à son tour le considère comme infidèle. Remplie de confusion par leurs propos, elle dit à Moncada que celle à laquelle il prétend (et qu’Isabel pense être Violante) ne s’intéresse pas à lui et l’incite, en parlant d’elle-même, mais pas expressément, à accepter l’amour d’une autre dame qui soupire pour lui (et que Moncada suppose être Violante).
6. Très content de ce récit qui ne fait qu’alimenter ses espoirs, D.Pèdre fait constater à Moncade sa défaveur et le convie à respecter leur accord. Persuadé de sa déroute, il se résigne à accepter l’échange qu’on lui propose. Très content de ce récit qui ne fait qu’alimenter ses espoirs, D.Jayme encourage D.Ramón à suivre le conseil d’Isabel. Persuadé de sa déroute, il se résigne à accepter l’échange qu’on lui propose.
7. Attendant le retour d’Astolfe avec une réponse positive de son père au consentement de leur mariage, Cassandre est aussitôt abordée par Moncade qui lui fait sa cour. Elle lui réplique froidement d’arrêter ses avances en faisant appel à son bon sens. Moncade ne voit en ce refus que prudence et retenue chez la comtesse et s’emploie à poursuivre autrement son propos d’amour. Attendant le retour de Carlos avec une réponse positive de son père au consentement de leur mariage, Violante est aussitôt abordée par Moncada qui lui fait sa cour. Elle lui réplique froidement que sa lettre fut reçue mais que ses avances sont absurdes et stériles. Moncada ne voit en ce refus que prudence et retenue chez la comtesse et s’incite à poursuivre autrement son propos d’amour.
8. Contre l’interdiction de son père, Astolfe paraît enfin devant la comtesse « en habit de campagne », non pour lui annoncer le consentement du mariage mais pour lui faire ses adieux définitifs. Et après avoir dit combien il l’aime, il s’en va subitement. Contre l’interdiction de son père, Carlos paraît enfin devant la comtesse. Elle s’effraye de le voir dans une tenue qui suggère son départ. Il lui dit que ce soir-là son père est obligé de l’envoyer pour Rome et sans autre explication, il s’apprête à partir en souhaitant sa propre mort. Enragée, Violante lui lance des invectives et menace de punir son déshonneur avec sa mort. Comme elle ne réussit pas à ce qu’il s’explique, Violante lui parle alors en amoureuse, mais Carlos part inflexible. Elle éclate de colère et promet encore vengeance.
9. Stupéfaite et furieuse, elle promet de se venger parce que déshonorée. Elle s’en veut aussi d’avoir promis si promptement à Astolfe de l’épouser ; ensuite, elle envoie quérir le duc. Stupéfaite, elle s’en veut aussi d’avoir promis si promptement à Carlos  de l’épouser ; ensuite, elle envoie quérir le duc.
A la cour, le Régent s’entretient avec D.Bernardo, qui est rentré de Girona pour faire la demande officielle du gouvernement de cette ville. Après avoir évoqué l’excellence de ses services pour la couronne et sa fidèle complicité dans l’affaire de l’échange des petites filles, le duc promet de satisfaire ses justes prétentions.
ACTE IV
1. Astolfe attend que son père signe son passeport pour pouvoir partir. Carlos attend des lettres de son père pour pouvoir partir.
2. D.Lope, le capitaine des Gardes, vient dire au duc que la comtesse le mande. Un valet vient dire au duc que la comtesse le mande.
3. Chez Cassandre, Moncade s’apprête à poursuivre sa conquête, supposant qu’elle en sera flattée. Chez Violante, Moncada s’apprête à poursuivre sa conquête, supposant qu’elle en sera flattée.
4. Ainsi, tandis qu’elle se plaint d’un amour ingrat, celui-ci accourt lui dire qu’elle n’est plus forcée de lui cacher son amour. Empressée de le détromper, elle déchire sa lettre en sa présence, mais Moncade ne donne pas le moindre crédit à ce geste et ne songe pas à abandonner. Ainsi, tandis qu’elle se plaint d’un amour ingrat, celui-ci accourt lui dire qu’elle n’est plus forcée de lui cacher son amour. Empressée de le détromper, elle lui jette sa lettre à la face mais Moncada ne donne pas le moindre crédit à ce geste et ne songe pas à abandonner.
5. Le duc présent, Moncade s’en va en attendant une occasion plus propice. Cassandre lui demande de faire chercher Astolfe. Elle lui rappelle aussi son rôle de père remplaçant, ses prérogatives de Régent, ses devoirs de gentilhomme et, en tant que tel, l’obligation de lui prêter secours en tant que femme et Souveraine. Elle exige donc qu’il venge l’outrage infligé à son honneur par son propre fils, dont elle est amoureuse et dont elle avait envisagé de faire le maître de Catalogne. Le duc promet de le tuer, mais elle ne demande qu’un léger repentir d’Astolfe. Le duc présent, Moncada s’en va en attendant une occasion plus propice. Violante lui demande de faire chercher Carlos. Elle lui rappelle aussi son rôle de père remplaçant, ses prérogatives de Régent, ses devoirs de gentilhomme et, en tant que tel, l’obligation de lui prêter secours en tant que femme et Souveraine. Elle exige donc qu’il venge l’outrage infligé à son honneur par son propre fils, dont elle est amoureuse et dont elle avait envisagé de faire le maître de Catalogne. Le duc promet de le tuer ; Violante consent sauf s’il se rétracte et accepte de l’épouser.
6. Ramené à la cour par D.Lope, le duc contraint son fils à dissimuler devant la princesse en feignant une requête contre lui. Il cherche à cacher à la comtesse les propos amoureux d’Astolfe tout en travestissant ses paroles pour éviter qu’elle apprenne qu’il est son frère et qu’il s’oppose à leur mariage. Outrée par le refus supposé de son amant, elle ordonne qu’on l’emprisonne en la tour. Mais Cassandre se rétracte et l’interroge personnellement. Astolfe se défend en disant que si son père ne s’opposait, il l’épouserait. Le duc soutient que son fils est un imposteur et lui souffle encore à l’oreille que ses propos incestueux sont contre nature et déshonorent la famille. Il dit encore à la comtesse que son fils préfère la mort que devenir son époux. Interdite, Cassandre ordonne à nouveau son emprisonnement et demande vengeance. Rentré à la cour, le duc contraint son fils à dissimuler devant la princesse en feignant une requête contre lui. Il cherche à cacher à la comtesse les propos amoureux de Carlos tout en travestissant ses paroles pour éviter qu’elle apprenne qu’il est son frère et qu’il s’oppose à leur mariage. Outrée par le refus supposé de son amant, elle ordonne qu’on l’emprisonne en la tour. Mais Violante se rétracte et l’interroge personnellement. Carlos se défend en disant que si son père ne s’opposait, il l’épouserait. Le duc soutient que son fils est un imposteur et lui souffle encore à l’oreille que ses propos incestueux sont contre nature et déshonorent la famille. Il dit aussi à la comtesse que son fils préfère la mort que devenir son époux et pour éviter qu’il parle davantage, il ordonne son emprisonnement définitif. Violante est complètement confuse et troublée.
ACTE V JORNADA TERCERA
1. Béralde vient apporter à la comtesse un paquet qu’Astolfe lui envoie de sa prison. Elle lui ordonne aussitôt d’aller chercher Isabelle. Dans une première lettre, son amant soutient que la seconde, dont le duc est l’auteur, témoigne suffisamment de son innocence. En effet, elle découvre que le Régent avait improvisé un faux procès et qu’il arrangea sa fuite de la prison pour éviter sa mort et ses inclinations incestueuses. Interdite, Cassandre croit comprendre qu’Astolfe a séduit sa propre sœur Isabelle. Beltrán vient apporter à la comtesse un paquet que Carlos lui envoie de sa prison. Elle lui ordonne aussitôt d’aller chercher Isabel. Dans une première lettre, son amant soutient que la seconde, dont le duc est l’auteur, témoigne suffisamment de son innocence. En effet, elle découvre que le Régent avait improvisé un faux procès et qu’il arrangea sa fuite de la prison pour éviter sa mort et ses inclinations incestueuses. Interdite, Violante croit comprendre que Carlos a séduit sa propre sœur Isabel.
2. Pleurant et offensée, Isabelle subit les invectives de Cassandre, qui lui fait lire la lettre de son père. Mais la jeune princesse ne fait qu’augmenter son désarroi et son incompréhension. Croyant qu’elle est l’amante de son frère, Cassandre condamne sa trahison. Pleurant et offensée, Isabel subit les invectives de Violante, qui lui fait lire la lettre de son père. Mais la jeune princesse ne fait qu’augmenter son désarroi et son incompréhension. Croyant qu’elle est l’amante de son frère, Violante condamne sa trahison.
3. Le duc vient informer Cassandre qu’Astolfe s’est enfui sans qu’il sache comment. Cassandre le démasque en lui montrant sa propre lettre. Isabelle exige qu’il en éclaire le sens. Le duc est alors contraint d’avouer que Cassandre est sa propre fille, qu’Astolfe en est le frère et Isabelle, la comtesse légitime ; qu’il fut obligé de la remplacer sur le trône à cause de sa faible santé en naissant et que n’ayant plus de chef d’Etat, il a voulu ainsi éviter la guerre civile. Cassandre se résigne à cette nouvelle et comprend que le Régent a voulu éviter l’inceste de ses enfants. Elle lui demande d’assembler la noblesse pour leur annoncer la nouvelle et rendre publiquement le pouvoir à Isabelle. Le duc vient informer Violante que Carlos s’est enfui à l’aube sans qu’il sache comment. Violante le démasque en lui montrant sa propre lettre. Isabel exige qu’il en éclaire le sens. Le duc est alors contraint d’avouer que Violante est sa propre fille, que Carlos en est le frère et Isabel, la comtesse légitime ; qu’il fut obligé de la remplacer sur le trône à cause de sa faible santé en naissant et que n’ayant plus de chef d’Etat, il a voulu ainsi éviter la guerre civile. Stupéfaite par cet aveu, dont elle voit les conséquences, Violante comprend enfin le départ de Carlos et l’opposition du duc à leur mariage.
4. Décidée à faire une noble retraite dans un couvent, elle veut alors remettre Isabelle dans tous ses droits devant l’assemblée de nobles et lui donner Astolfe pour mari, ce qu’elle regrette bien plus que la perte de la couronne. Attendrie, Isabelle proteste de sa soumission à Cassandre en disant qu’elle ne pourrait jamais épouser celui qu’elle a toujours considéré comme son propre frère. Cassandre rectifie qu’elle est libre de préférer Moncade. Décidée à faire une noble retraite dans un couvent, elle veut alors remettre Isabel dans tous ses droits et lui donner Carlos pour mari, ce qu’elle regrette bien plus que la perte de la couronne. Attendrie, Isabel proteste de sa soumission en disant qu’elle ne pourrait jamais épouser celui qu’elle a toujours considéré comme son propre frère. Violante rectifie qu’elle est libre de préférer Moncada.
Attendant tristement au bord de la mer que Beltrán vienne le chercher par ordre de Violante, Carlos s’étonne qu’elle n’ait pas réagit avec promptitude à ses lettres. Puis, il se cache en voyant D.Jayme et D.Ramón qui se disposent à se battre en duel. Le premier se plaint que l’autre n’ait pas voulu respecter leur accord sur le choix d’Isabel. Carlos sort alors de sa cachette pour les apaiser et leur dit que Beltrán les a induit en erreur puisque Isabel n’aime pas D.Jayme ni Violante D.Ramón. Beltrán rejoint enfin les trois gentilshommes et dit à son maître que la comtesse et le duc l’appellent à la cour. Carlos se montre content d’y aller éclairer cette confusion mais triste de ne pas pouvoir réaliser son amour avec Violante. Entre-temps, le duc craint les conséquences de l’assemblée de nobles convoquée par Violante en grande hâte. Don Bernardo le tranquillise en disant que la vérité de ce mystère va calmer les esprits.
5. Béralde vient annoncer qu’Astolfe est de retour et que D.Bernard de Rocas, libre d’une captivité de quinze ans, le ramène en cour. Beltrán vient annoncer que Carlos est de retour et que D.Ramón et D.Jayme l’accompagnent. Dans la salle règne une ambiance d’incertitude.
6. D.Bernard retourne avec Astolfe pour lui faire part d’un secret surprenant en la présence du duc et de la comtesse.
7. Emu et surpris du retour inattendu de son ami Bernard, le duc reçoit aussi son fils avec joie.
Violante s’apprête à révéler publiquement qu’elle est la fille du Régent, qu’Isabel est la vraie comtesse de Barcelone et que Carlos sera le maître tant espéré pour le bien du pays. Elle explique à la compagnie les circonstances de l’échange dont elle fut l’objet pour des raisons d’Etat ; puis, elle exprime sa soumission à Isabel et l’installe sur le trône. Voyant cela, D.Bernardo de Roca la prie de se conserver dans son rang. Il explique qu’en effet l’échange des petites filles eut lieu, mais sachant qu’elle avait récupéré la santé, il la rétablit dans tous ses droits, sans en faire part au duc. Car il fut obligé de partir pour pacifier Girona, où il écrivit une lettre contenant la déclaration de son procédé. D’ailleurs, le duc n’eut jamais la curiosité de la lire croyant que c’était un simple compte rendu de la pacification victorieuse de la ville. Cette nouvelle ne fait que rendre le souffle et la joie à toute la compagnie.
8. Cassandre et Astolfe se revoient mais n’osent se parler. Quand tout est prêt pour divulguer la nouvelle de l’ascension d’Isabelle au trône et d’un nouveau maître pour l’Etat, D.Bernard retient Cassandre pour lui déclarer qu’elle est la véritable héritière et fille des comtes de Barcelone, qu’à elle seule appartient légitimement le pouvoir et qu’Astolfe n’est donc pas son frère. D.Bernard explique qu’effet, il avait aidé le Régent à échanger les petites filles mais qu’ayant ordre de quitter le champ de bataille pour rentrer à Barcelone et les protéger de l’air contagieux, et voyant que Cassandre récupéra la santé, il la remit secrètement dans son rang de comtesse sans dire un mot au duc quand celui-ci fut de retour à la capitale ; qu’il entretint le Régent dans cette erreur parce qu’il voulait s’assurer de la promesse qu’il lui avait faite de marier Astolfe avec sa fille et d’empêcher ainsi que ce gentilhomme épouse une comtesse qui serait sa propre sœur. Enfin, il craignait que si le duc savait la vérité, il n’aurait aucune contrainte pour célébrer le mariage d’Astolfe avec Cassandre. Don Bernard explique qu’en son trajet vers le Portugal, il fut conduit à Tunis et réduit en esclavage peu après l’échange des enfants et que prévoyant un incident pareil, il avait laissé sous forme d’un testament, une déclaration écrite dont il fit dépôt au duc juste avant son départ ; et qu’en cette lettre, il avait consigné toute la vérité de l’affaire. Heureuse de cette nouvelle, Cassandre prend Astolfe comme mari et donne Moncade à Isabelle.
9. Moncade, qui revient pour dire que l’assemblée des nobles attend impatiente dans la place, reçoit heureux la main de son amoureuse. Cassandre s’apprête à annoncer publiquement qu’Astolfe sera son époux et le maître dont l’Etat a tant besoin. Alors Violante annonce publiquement que Carlos sera son époux et le maître dont Barcelone a tant besoin. Isabel reçoit la main de Moncade et ainsi finit la « vérité menteuse ».

LA MENTIROSA VERDAD COMEDIA FAMOSA. COMPVESTA POR IVAN DE VILLEGAS. §

Dedicada à Don Juan de Lujan y Aragon,
Cauallero de la Orden de Santiago.
Zagoroza, 1636
Salen Violante, el Duque, Carlos, y
acompañamiento.

Duque. De vuestra mucha prudencia,

los efetos se an de ver.

Violante. Bien sè que os devo tener,

Enrique, justa obediencia.

Pues sè por euidencia

vuestra lealtad y cuydado,

que en criarme aueys mostrado.

Duq. Essa fue obligacion mia,

que a vuestro padre deuia,

por todo el ser que me à dado.

No encarezcays mis lealtad,

que quien paga lo que deue

no obliga.

Viol. Con todo mueue

amor a la voluntad.

Pensays que no es nouedad

el pagar bien segun son

los tiempos ?

Duq. Tienes razon ;

mas esso se à de enterder

con gente de baxo ser,

y no de ilustre blason.

Mas esto a parte dexando,

digo, sino me entendeys,

que aguarda a que congregueys,

gran senora, vuestro estado.

(I,1)

El de Cerdenia à embiado

su embaxador, y le abona

el valor de su persona,

casamiento suficiente. (v. 34-36)

Duq. Carlos, de ti me confio,

Carlos. En que puedo seruir ?

Duq. No la puedo persuadir

al casarse, aunque porfio. (v. 13,14)

Tu eres prudente, y discreto,

juntos os aueys criado, (v. 27,28)

que don Iayme de Aragon,

es sol de suprema esfera. (v. 190)

D.Iay. Casarme espero, (v. 137, 138)

dalde este papel, que quiero

que por corteses caminos (v. 143, 144)

sepa mi amor y mi intento.

Bel. Estafeta vengo a ser.

D.Ia. Tomad, y boluedme a ver. (v. 176)

(5)

Bel. Por Dios que es donoso cuento,

tengolos de dar, o no ;

mas que puedo auenturar ? (v. 199-202)

Sale Carlos.

Bel. Ninguno tiene

sobrescrito, y es vsado

en papel de enamorado. (v. 215, 216)

(6)

Car. Que papeles escondiste ? (v. 219)

Bel. (Que me mata es cosa llana,

si echa de ver que a su hermana

se lo han escrito, ay triste). (v. 221-224)

Señor, yo los reciui, (v. 220)

Car. Y a quien darselos procuras ? (v.223)

Bel. Muerto soy, a la Condesa. (v. 221)

Car. Muestra, yo se los darè. (v. 226)

Bel. Ten,

yerros de codicia han sido,

y sus dueños me han pedido,

que a la Condesa se den. (v. 225)

Car. E de abrirlos, ay de mi :

nobles y galanes son,

de Mondaca, y de Aragon, (v. 228,229)

sangre ilustre, oy me perdi,

que quien a escriuir se atreue,

fauores à recibido : (v. 230,231)

si casarse no a querido,

algun nueuo amor la mueue,

pues el mio se oluidò

en tan muda soledad,

estos digan la verdad. (v. 232, 234)

Salen Violante, y don Ramon y Carlos

se aparta a leer los papeles.

(7)

D.Ra. Este es mi papel ; que engaños

mis desdichas solicitan. (v. 246)

Lee. Moncada soy, dad lugar

de que llegue a vuestros braços. (v. 242)

Vio. Carlos en otro cuydado

tambien a mi me condena,

hermano, pues de tu pena,

tan grande parte me alcança. (v. 316-318)

Car. De don Iayme de Aragon

otro papel tengo aqui,

pero ya no ay fuerça en mi

para tan gran sinrazon.

Ni le procuro leer,

tomale, que dèl sabràs

mis desdichas, si es que ay mas

desdichas que padecer. (v. 319-322)

Isa. La Condesa viene. (Didascalie)

Sale Violante.

(2)

Viol. Adonde se fue tu hermano ? (v. 323)

Isa. Esso preguntas agora,

quando ocasiones le has dado,

para que pierda el sentido. (v. 326,327)

Viol. Que dizes ? estàs burlando ;

antes Isabel, se và,

porque se siente culpado :

y tiene de mi verguença. (v. 329-332)

Isa. De que tal digas me espanto. (v. 339)

Sientase.

Ya sabes que desde niña,

Isabel, quise a don Carlos,

y que de ti solamente

este secreto è fiado. (v. 333-335)

... pues que boluiendo

despues, le hallè embelesado

leyendo aqueste papel,

testigo de que es ingrato. (v. 341-344)

Tomèle el papel, leile. (v. 341)

Viol. Pensandolo mas de espacio,

sabreys por êl la aficion

(dixo Ramon al dexarnos)

de mi noble proceder. (v. 359/372-374)

Viol. Cuento gallardo,

ay Isabel, con mas veras,

ya que veo el desengaño,

le adoro. (v. 361)

Viol. Donde està ? verle deseo. (v. 380)

Viol. A mi don Ramon se atreue ? (v. 370)

Isa. Otro villete me ha dado

de don Iayme de Aragon,

pero no me dixo al darlo,

que era para ti. (v. 383-385)

Lee Isa. Dize assi : Si la fortuna

(4)

Duq. hablastela por ventura

en esto del casamiento ? (v. 513-515)

Car. Si señor. (v. 518)

Duq. Y que es su intento ? (v. 516)

Car. Sus pensamientos estàn

lejos de lo que à passado. (v. 519,520)

Duq. Quiere casarse ? (v. 517)

Car. Si quiere,

pero no con estrangero. (v. 521)

Duq. Los estoruos considero

si en Barcelona prefiere

a alguno. (v. 536,537)

Car. No ay caualleros

que la puedan merecer ? (v. 538,529)

no es calidad el poder ? (v. 540, 541)

Si sus hermosos luzeros

(pongo por caso) eligieran

a tu hijo, que perdia

tu sangre ? (v. 542,543)

Duq. Nada ; en la mia

altas glorias reuerueran ;

mas esso no puede ser. (v. 546-550)

Car. Que pienso que yo. (v. 550)

Duq. Hijo, pensar no es saber. (v. 551,552)

Car. Pues yo sè que me à mirado

su Alteza con aficion. (v. 553,554)

Duq. No vès que tendrà atencion

a aueros juntos criado ? (v. 555-557)

Car. Ay mas. (v. 558)

Duq. Que mas ? (v. 558)

Car. Mil fauores. (v. 558)

Car. Señor palabra me à dado,

de ser mi esposa. (v. 559)

Duq. Ay de mi !

Carlos, Carlos, cesse ay

lo que teneys empeçado ;

palabras daldas al viento,

lo demas no puede ser. (v. 560,561)

Car. Como no, si es mi muger,

sin que baste impedimento ? (v. 563)

Duq. Como ? (v.564)

Car. No es bien te assombre.

Duq. Viose mayor confusion ? (v. 565)

Duq. Que escuches digo. (v. 566)

El Conde de Barcelona,

que Dios en su gloria tenga,

en la mitad de los años

le dio el mio. (v. 645,646)

D.Ra. Puede ser,

pero conuiene saber

si fue accion de la fortuna,

o falta de su lealtad, (v. 647)

la necia temeridad

no intente algun desatino

dando muerte a este criado. (v. 648)

D.Iay. de la suerte que le dimos

los papeles, aguardemos, (v. 649)

y de su boca sabremos

la duda con que viuimos. (v. 650)

D.Ra. No nos vea

assi juntos a los dos. (v. 654)

Sale Beltran.

(2)

Bel. Iamas me vi tan dudoso, (v. 650)

Que yo se le di a Isabel,

desabrida le leyò,

el tomarle me culpò,

mostròse esquiua y cruel,

y enojada, es caso llano,

que para que su razon

impida la pretension

vuestra, se le dio a su hermano.(v. 662-669)

De mi no esteys ofendido,

porque no tendreys razon,

culpad a Isabel, Ramon,

de quien soys aborrecido. (v. 671-673)

D.Ra. Pienso que dezys verdad,

porque sino se enojara

Isabel, Carlos mostrara,

sabiendo mi calidad,

y que merezco a su hermana,

menos enojo conmigo. (v. 674-677)

D.Ra. Contigo el furor se allana, (v. 679)

Bel. Otra maquina và armada. (v. 683)

Escondese.

Bel. No ay borrasca que me anegue,

pues deste golfo sali,

a pesar de los estremos (v. 680)

(3)

D.Iay. Quiero saber

de vos, si el papel que os di

tiene Isabel ? (v. 684)

Bel. Si señor, (v. 688)

y que os tiene algun amor

en su rostro conoci,

(5)

Sale Isabel con manto, y Beltran
con ella.

Isa. El que quiero se desuia

y se acerca el que no quiero ; (v. 748,749)

antes que os quedeys, os pido,

que vuestro intento è sabido,

y escusar la nota quiero :

no aueys de passar de aqui. (v. 750,751)

Isa. Vn papel vuestro lei,

y solo auerlo leido

os doy por respuesta (v. 752, 753)

Bel. Mira agora si è mentido. (v. 756)

D.Ia. Deuote mi vida. (v. 755)

D.Ra. Cielos,

ciertas mis desdichas son,

ya don Iayme de Aragon  

me da muerte con sus zelos :

no me atreuo a hablar, ni puedo. (v. 761)

Isa. Ramon no quiere llegar,

ama en mas alto lugar. (v. 764-766)

D.R. Entre amor verguença, y miedo(v. 769)

se turba el alma abrasada ; (v. 772/776)

permita V. Señoria

que yo. (v. 777,778)

Isa. Ya es la cortesia

para conmigo escusada. (v. 779)

Los intentos è sabido

de V. Senoria, y creo

que no serà de su desseo

en ningun tiempo admitido. (v. 783-787)

Porque està la voluntad

que conquista, tan prendada

en otro amor, que le enfada

que muestra tanta lealtad. (v. 790-792)

Bien puede mudar de intento,

y poner en otra dama

que le estima, y que le ama,

el gusto, y el pensamiento. (v. 793-795)

quedese V. Señoria. (v. 796)Vase.

D.Ra. Viose mayo desengaño ? (v. 799)

(6)

D.Iay. Que ventura !

ya conoceys vuestro daño (v. 804,805)

don Ramon, sabed la dama

que os promete tal firmeza,

quizà con otra belleza

templareys la ardiente llama

D.Ra. Ya don Iayme te texo

a Isabel, sin tratar de competencia,

y sigo su consejo,

despues podrè saber con euidencia

del amor de Violante,868, 869)  

quien ja gazado gloria semejante ? (v. 865/

Viol. Mas ay Carlos que à vn siglo que no os veo. (v. 824)

Sale Carlos de camino.

(8)

Viol. Carlos esposo,

que es esso ? Que trage eliges

para nuestras bodas ? como

muestras de ausencia te vistes ?

Con essa gala te adornas

que mi muerte pronostique ?

al talamo con espulas,

que disfrazes apercibes ? (v. 872-875)

Car. A lo que parece vengo,

mi Violante, bien dixiste,

porque en la noche de ausencia

la luz de tu Sol me eclipse. (v. 910,911)

Quexaràste de mi amor,

diràs que engañarte quise,

quando sè que serà fuerça   /907)

que muera antes que te oluide. (v. 900,901

Pues si te adoro, y soy dueño

de tu honor, y tengo de irme

sin que puedan detenerme

amor, ni industria, ni ardides. (v. 908-910)

Mira si es noble el caso,

y porque a espacio lo mires,

a Dios hasta que mis penas

hallen en la muerte fines. (v. 922,923)

(9)

Viol. Fuesse, suspiros, seguilde,

agrauios, ofensas, zelos,

al amor vengança pide,

si los suspiros no bastan

mayores fuerças embien

mis temores, y mis quexas,

ya no ay respeto que mire :

ola criados. (v. 930-935)

Sale vn Criado.

Criado. Señora. (v. 935)

Viol. Yd presto, llamadme a Enrique,

que importa que venga luego. (v. 965)

Viol. Pues necia fuyste,

publican que me quereys,

y que ay vna alma en los dos ; (v.1015,1016)

Viol. No es vuestro aqueste papel ? (v.1027)

Enseñasele.

D.Ra. Si señora. (v. 1028)

Viol. Pues en èl

dad vuestra esperança al viento. (v. 1029)

D.Ra. En aquesto con prudencia

darme a entender à querido,

que de que a Isabel oluido

harà primero experiencia. (v. 1030-1034)

(5)

Salen el criado y el Duque.

Viol. Hablaros a solas quiero,

pero no puedo empeçar

sin que embieys a llamar

a vuestro hijo primero. (v. 1037/1040,1041)

Duq. Ya señora se à partido. (v. 1042)

Viol. No aurà. (v. 1043)

Viol. Sentaos pues estamos solos. (v. 1052)

Duq. Essa merced no merezco. (Didascalie)

Viol. Sentaos Duque, y escuchadme,

(v. 1054)

Duque no me aueys criado ?

por ayo, y padre no os tengo ? (v.1055,1056)

Duq. Yo os confiesso gran señora

que como a mi hija os quiero. (v. 1060)

Viol. Por muerte de mis padres

este Condado no heredo ? (v. 1062-1064)

Duq. Por mi natural señora

os obedezco y respeto. (v. 1057)

Viol. Defender a las mugeres

no es accion de caualleros ? (v. 1070-1072)

Duq. Con el alma, y con la vida

las amparo, y las defiendo. (v. 1073)

Viol. Sabreys vengarme de vn hombre

con valor y con secreto ? (v. 1074/1077)

Duq. Por la Cruz de aquesta espada

juro señora, de hazerlo. (v. 1078,1079)

Viol. Pues Enrique de Cardona,

desde los años primeros

de mi edad, a vuestro hijo

hize de mi alma dueño. (v. 1096-1098)

Fingio que mi fè pagaua,

y fue con la edad creciendo

de manera, que imagino

que tuuo sombras de eterno. (v. 1110-1113)

(6)

Sale Carlos.

Duq. Dissimulad : dezid Carlos (v. 1191)

Duq. Carlos, quien os mete en esso ?

no la aueis dado palabra,

oydme de casamiento ? (v. 1205-1208)

Car. Si señor, y es possible

que la cumpla. (v. 1208-1210)

como puede ser rapaz ?

estàs loco, estàs sin sesso ?1212)

con tu hermana has de casarte ? (v. 1211,

Duq. Señora,

èl responde, que en efeto

no à de casarse. (v. 1214)

Viol. estè en vna torre preso,

donde se vengue mi agrauio. (v. 1216)

Duq. Bien dizes, lleuenle luego. (v. 1217)

Viol. Ponelde guardas. (v. 1222)

Viol. Antes que le lleuen Duque

hablarle a solas desseo. (v. 1232,1233)

Duq. Aqui se descubre todo. (v. 1236,1237)

Viol. que è mandado, que en sabiendo

Barcelona tu delito,

por no mostrar que te ruego,

aunque tu quieras despues,

as de morir viue el cielo. (v. 1248/1251-1255)

Que no ha de dezir el mundo,

que tu hiziste menosprecio

de mi, sin que te costasse

la vida el ser tan ligero ; (v. 1258-1261)

Car. Si mi padre

quiere, yo casarme quiero. (v. 1262)

Viol. Pues no à de querer ? (v. 1263)

Car. No sè,

diselo. (v. 1263)

Viol. Duque yo creo

que entre los dos me engañays. (v. 1271)

Viol. Que es esto ?

Carlos dize que si quieres

està a casarse dispuesto. (v. 1273)

Duq. Esso ha dicho ? (v. 1275)

Duq. Malicias son de su pecho. (v. 1274)

Car. Ya no sabes que le tengo ? (v. 1291)

Duq. De que ? que no casarte ;

esso dizes ? Yo lo creo ; (v. 1294,1295)

Car. No dexas

que diga yo lo que siento ? (v. 1305)

y pues vos fuisteys tan necio

que le rendistes el alma,

y ella libre se rindio ;

con aquesta ausencia larga

vuestro daño se remedia,

y el deshonor de mi casa.

Partid luego, y ecriuidme

luego que llegueys a Francia ;1352)

vuestro padre el Duque. Cielos, (v. 1338-

ya los sentidos me faltan. (v. 1353,1354)

Lee. Bien sabeys que es impossible

casaros con vuestra hermana : (v. 1366)

Lee. Y ella libre se rindio : (v. 1363)

cielos dadme la vengança

de dos hermanos aleues,1359)

que me ofenden y me agrauian. (v. 1358,

(2)

Viol. Lloras ? (v. 1381,1382)

Isa. Siento tu desgracia. (v. 1378)

Viol. Mira si sientes la tuya,

pues la ausencia te amenaça ?

llora que se fue don Carlos. (v. 1383,1384)

Isa. A traydor. (v. 1385)

Viol. Esso me agrada,

no encubras mas tu delito ;

pero pues fuyste liuiana,

de ti sola forma quexas. (v. 1386-1393)

Isa. Que es lo que dizes ? aguarda. (v. 1394)

Is. No te entiendo, con quien hablas ?

(v. 1396)

Viol. No conoces esta letra ? (v. 1398)

Isa. Esta es de mi padre. (v. 1398)

Viol. Espera,

esto que no importa passa.

Lee. Bien sabeys que es impossible,

casaros con vuestra hermana,

y pues vos fuistes tan necio

que le rendisteys el alma,

y ella libre se rindio : (v. 1401-1404)

Isa. Estoy turbada ;

su letra, y su firma es esta ? (v. 1405)

(3)

Sale el Duque.

Duq. Mandad señora que luego

algunos tras Carlos vayan,

que rompiendo la prision,

oy a la risas del alua. (v. 1408,1409)

Siganle, trayganle, muera,

que el Duque no me casara,

pues si ambicion le incitara,

Conde a su hijo no hiziera ?

esta razon considera,

que me condena, y te abona. (v. 1489-1492)

Viol. Oy mi fortuna cruel

hazerte quiere Isabel,

Condesa de Barcelona.

Ya determinada estoy,

porque en tantos pareceres,

aun no siendo yo quien eres,

subes a ser lo que soy. (v. 1505-1508)

(4)

Oy el estado te doy, (v. 1511)

vaya mi nobleza assi,

que no quiero para mi  

mas qu’vn humilde Conuento.(v.1513,1514)

El alma se à enternecido,

y los ojos lo an mostrado,

no siento darte el estado,

darte a Carlos è sentido. (v. 1533,1534)

De quien mi hermano à nacido

tiene mi terneza vana

zelos, pero es cosa llana

que es la disculpa bastante,

que à mucho que soy su amante,

y poco que soy su hermana. (v. 1535-1538)

Isa. Mas quiero ser tu criada,

que el estado que me das. (v. 1526)

Pues en possession estàs,

dissimula, y tu belleza

goze el estado, y grandeza,

humilde me criè ya,

mudar costumbre, serà

mudar de naturaleza. (v. 1515-1520)

De las dos queda excluido

Carlos, afligeste en vano,

de ti porque es ya tu hermano,

y de mi porque lo à sido

y lo tengo tan creydo,

que imagino que ofendiera

al cielo, si lo quisiera. (v. 1541-1544)

Viol. En esso del casamiento,

Isabel haràs tu gusto,

si a Ramon quieres, no es justo

que contradiga tu intento. (v. 1545-1548)

Viol. Entre delante

que es aquesto, donde os vays ?

ocupad Violante hermosa

esse assiento, y gouernad

el estado que os adora. (v. 1612-1615)

Viol. Como sino no es mio ya ?

yo no soy hija del Duque ? (v. 1620)

Duq. Que dezys ? (v. 1617)

D.Ber. No me mandaste

que lo hiziesse ? no hize mas

que conocer su salud,

ruegala que tome estado, (v. 25)

Car. Conuenserla prometo, (v. 57)

Duq. Si tiene su boda efeto

todo mi descanso empieça ;

tenga dueño su belleza,

que importa. (v. 49-53)

Car. Los nobles de Cataluña (v. 53)

quieren, mi bien, sugetarte

a vn estraño que no estime

lo que mereces, y vales.

Hablòte mi padre el Duque,

y mandòme que te hablasse,

para que al de Ruyssellon,

o Cerdenia, te inclinases. (v. 34-39)

(2)

Viol. Dadla Carlos por mi vida,

vn recado de mi parte,

y porque siento su ausencia,

venga luego a visitarme. (v. 67)

Car. Ni aun responderme siquiera,

à condiciones mudables

mal aya : (v. 71)

Vase Violante, y sale don Ramon, y don
Iaime.

(3)

Don Ramon. y en los dos la competencia,

no serà justo que passe

a enemistad, pues su gusto

es el que ha de hazer las pazes,

dandole la mano al vno.

y assi presumo don Iayme,

que es bien que de nuestro amor,

si gustays le demos parte   77-80)

Don Jaime. Don Ramon bien me parece.(v.

Sale Beltran

(4)

D.Ra. Huelgome que disculpeys

mi amoroso atreuimiento,

pues solamente es mi intento

que aqueste papel le deys.

Bel. Darele en su misma mano.

D.Ra. De aquesta joya os seruid.

Bel. No mandeis tal.

D.Ra. Auertid,

que es estilo cortesano.

Bel. No quiero ser descortes,

necio sino porfiado. (v. 177-184)

Bel. Que os sirua en todo es razon,

deue de ocupar su empleo. (v. 247)

Viol. Mal zelosa me asseguro. (v. 267)

Lee. Solo que sepais procuro

mi amor si puedes premiarlo. (v. 244)

Viol. Quitarele de sus manos. (Didascalie)

Viol. Dexad Carlos el papel,

que no se si es para vos. (v. 250,251)

Car. Sin duda que à conocido

su letra, y me lo à quitado,

pues Moncada se à nombrado

el de Ramon he leido. (v. 245,146)

Viol. Turbado Carlos està,

mi desdicha se apercibe,

alguna dama le escriue,

que ya cuydados me dà. (v. 247-249)

D.Ra. Enojado està sin duda

porque a su hermana escriui. (v. 260-262)

Car. Que a don Ramon à estimado

me dize ya claramente. (v. 272)

Viol. De espacio pretendo ver

el papel, a Dios Ramon. (v. 269/276)

D.Ra. Sabreys por èl la aficion

de mi noble proceder. (v. 270)

(8)

Car. Conmigo se han declarado

ya los cielos enemigos : (v. 276)

para hazeros oluidar

vuestra injusta pretension. (v. 279,280)

D.Ra. En que ofende mi aficion, (v. 285)

si me pretendo casar, (v. 284)

Car. Si darme gusto quereys,

os pido que lo dexeys,

don Ramon, si soys mi amigo. (v. 285-287)

(II, 1)

Salen Beltran, y Isabel.

Isa. Estàs triste ? (v. 307)

Car. Por estremo. (v. 308)

Isa. No me diràs la ocasion ? (v. 307)

Isa. Que tienes hermano ? (v. 311)

Car. Hermana,

paga injusta a mucha fè. (v. 312)

Car. De don Ramon de Moncada

solicitada, y querida,

le corresponde, y me oluida. (v. 313-314)

Isa. Que dizes ? Ay desdichada,

que aunque è callado, le tengo

amor; miralo mejor. (v. 315)

Isa. Esta mundança

fauorece a los ossados,

de tan grande atreuimiento

felize sucesso aguardo;

no puede Isabel hermosa

encubrirte el fuego tanto. (v. 386, 387)

Viol. Esse es para ti. (v. 390)

Isa. Que es esto,

es mi tercero, ò mi hermano ? (v. 393)

Lee. No perdeys nada en ser mia,

pues mi sangre se la à dado

a los Reyes de Aragon : (v. 388,389)

Isa. Calla, que viene don Carlos. (v. 398)

Sale Carlos.

(3)

Car. Ya nada aguardo,

que pueda darme la vida. (v. 398,399)

Car. Quien no los tiene,

dezid, como à de animarlos ? (v. 403,404)

Car. Si tuue, y me los an quitado. (v. 405)

Car. No cobran los desdichados.

Viol. Y soys lo vos ?

Car. No lo veys ? (v. 406,407)

Isa. Linda flema, lindo espacio. (v. 410)

Viol. Contentareysos ?

Car. Con que?424-426)

Vio. Con mi mano, y con mis braços. (v.

Car. Dexad que glorioso en ellos

diga mi penas. (v. 430,431)

Isa. En vano

son, si Violante te adora. (v. 448)

Viol. Ya trato

de que a Barcelona rijas

con su Condesa casado, (v. 428,428)

declarate con tu padre. (v. 451,452)

Car. El como leal vasallo,

mas que todos, a mi gusto

à de mostrarse contrario, (v. 457-461)

porque no digan que fue

el criarte, el ser tu amparo,

gouernando en nombre tuyo,

para que tras hechos tantos

hiziesses Duque a su hijo. (v. 486-489)

Car. No mi bien, animo es este,

necios son los temerarios ; (v. 501,502)

Viol. Turbada voy. (v. 507)

Car. Fauor cielos,

pues ocasion me aueys dado. (v. 508-511)

Sale Carlos.

tuuo con los Moros guerra. (v. 572,573)

a tiempo que la Condesa,

ya para parir estaua

preñada la vez primera. (v. 575-577)

... La Duquesa

estaba tambien preñada,

y tambien al parto cerca. (v. 598,599)

... y en la batalla sangrienta

priuò de la vida al Rey (v. 590)

buelue Bernardo, y me cuenta

que ya vna hija tenia,

dile en albricias promessas. (v. 598,599)

En este punto espirò

en el parto la Condesa,

tras de parir vna niña

medio viua, y medio muerta. (v. 592-594)

... con presteza

(porque el faltar heredero

no alboratasse la tierra)

hize a Bernardo de Roca

que la lleuara, y trujera

mi hija con tal secreto,

tal industria y sutileza,

que Dios, y los dos no mas

supimos esta cautela : (v. 596-603)

viendo al pueblo alborotado ;

ciudadanos que os altera

les dixe, aqui està en mis braços

la que vuestro estado hereda. (v. 603,604)

Mostrad la lealtad heroyca,

aquesta lastima os mueua,

amparad esta justicia,

defended esta inocencia. (v. 606-609)

no destroquè las dos niñas, (v. 615)

vuestra hermana es la Condesa,

la que teneys por hermana

es ligitima heredera. (v. 568/621)

Duq. Larga ausencia. (v. 626,632)

Car. Sin el alma ? (v. 634)

Duq. Si la hablays

es forçoso que se pierda. (v. 632)

(III, 1)

Salen don Ramon, y don Iayme.

D.Ra. Esto me passò en efeto,

Carlos mi papel tenia. (v. 642-644)

D.Iay. Quien en hombre bajo fia,

poco tiene de discreto.

Tambien sin duda ninguna

quando leyendole estuuo,

que os hizieron mil fauores

las vergonçosas colores,

y lo mucho que entretuuo

los ojos, pues al leerlas

risueña en razones tales,

descomponiendo corales

descubrio compuestas perlas. (v. 704-709)

D.Iay. Miraldo bien. (v. 689)

Bel. Bien lo miro ;

sabeys contra esta verdad

algo ? (v. 690,691)

D.Iay. Dessa nouedad

y dessa dicha me admiro,

que yo crey : (v. 694,995)

D.Iay. Algo enojado lleguè,

y de suerte me atajays

con nueua tan amorosa,

que estoy en vez de enojado,

a seruiros obligado,

si no es traycion cautelosa. (v. 710-713)

Bel. Valgame Dios, como engaña

el despojo y desenfado. (v. 716,717)

Vase y sale don Ramon.

(4)

D.Ra. Que dize ? (v. 720)

D.Iay. Que à recibido

mi papel Isabel bella,

y que à conocido en ella

que es mi desseo admitido : (v. 722-724)

D.Ra. y que soy menospreciado

de mi dueño. (v. 721)

D.Ra. Es de suerte que imagina,

que ella le entregò a su hermano

mi papel. (v. 736)

D.Iay. Es caso llano ;

mirad lo que determina

vuestro engañado desseo,

quando mi fauor empieça. (v. 725)

D.Ra. Hasta tener mas certeza,

ni me aflixo, ni lo creo ;

tan facil es de oluidar

lo que se quiere ? (v. 730-733)

... hasta que amanezca el dia (v. 739)

D.Iay. A vuestra amistad no ofendo (v. 742)

D.Ra. Ay de mi. (v. 742)

D.Iay. Aueys de esperarla ? (v. 744)

D.Ra. Si. (v. 745)

del disfauor de Isabel, (v. 807-809)

D.Ra. Donde va mi desseo

perdido tras vn bien que me assegura ?

mi mal agora veo, (v. 811-813)

a otra dama me embia

Isabel rigurosa en mi firmeza

beulueme el alma mia

para que pueda amar otra belleza, (v. 815)

Sale Violante.

(7)

Viol. Solo espero que Enrique

aprueue mi eleccion, y que piadoso

mis bienes multiplique,827-829)

dandome en Carlos desseado esposo. (v.

D.Ra. Varias dudas padezco. (v. 834)  

Viol. Este me quiere bien, que le aborrezco. (v. 835)

Viol. Ya sè vuestra nobleza,

pero quisiera veros mas couarde,

que es accion mas valiente   839)

no mar tan confiado y libremente. (v. 837-

No se embian papeles

don Ramon, auer primero auido

mas ocasion. (v. 840,841)

D.Ra. Crueles   845,846)

hados a este desprecio me han traydo, (v.

amar a quien sin causa le aborrece.

Lo que es honesto intento

no ofende. (v. 847,848)

Viol. Dezis bien, mas incitada

con otro pensamiento,

por la que aueis querido,851)

dad vuestras esperanças al oluido. (v. 849-

Y pues que soys discreto

hazedme nueua eleccion, pues os anima

vn diuino sujeto,

que sè que os quiere bien, y que os anima

con amorosas veras. (v. 853-855)

Viol. Andareys muy discreto   856)

en no seguir, Ramon a quien os huye, (v.

D.Ra. Pues desde aqui os prometo

si el premer pensamiento se concluye,

que a quien me quiere quiero. (v. 858-860)

Viol. Hazeys como prudente cauallero.

(v. 859)

D.Ra. Por esto no à querido

dar a estrangero Principe la mano (v. 870)

Viol. Id en buena hora Conde. (v. 866)

Condesa, paguen tus ojos

atreuimientos tan viles,

que quien tan facil se rinde,

razon es que los hombres no la

estimen. (v. 938-943)

(IV,1)

Sale Carlos.

Duq. Sabe Dios quanto siento que se   ausente,   966)

mas en fin lo que importa considero : (v.

Voy a cerrar las cartas. (v. 971)

(2)

Sale vn criado.

Cria. La Condesa, 972)

por V. Excelencia presurosa embia. (v.

Duq. Podreme detener a cierta empresa ? (v. 974)

Cria. La breuedad de mi cuydado fia.

(v. 975)

Duq. yo voy, aqui aguardad por vida mia. (v. 977)

(3)

Sale don Ramon.

D.Ra. A que aguarda mi temor (v. 878)

entre duda semejante ?

auiendo visto en Violante

claras muestras de su amor. (v. 985-987)

(4)

Sale Violante.

Viol. A que aguardays penas mias,

que el dolor no publicays ?

amor para que callays

buscando honrosas porfias ?

Amorosas fantasias,

si la libertad perdi,

dad vozes, para que assi

os procuren remediar,

pues no podeys con callar

cobrar el bien que perdi. (v. 990-995)

D.Ra. De sus quexas è aduertido

que su passion es mortal,

si yo è causado su mal

el remedio le è traido. (v. 996)

Viol. Conde. (v. 1002)

D.Ra. Vuestros ojos, cielos claros,

publiquen con voz serena,

la ley a que amor condena

el mio y vuestro cuidado. (v. 1007-1010)

D.Ra. Las muestras que è visto en vos

y confiada di luego (v. 1120)

la possession de mi honor, (v. 1131)

con que mi nobleza ofendo. (v. 1127)

Vuestra hija fue testigo

de nuestro injusto concierto,

ella dirà la verdad. (v. 1130)

Viol. Siendo vos el que obligastes

tan leal a todo el pueblo

a mi obediencia, esperando,

gouernando tanto tiempo,

a que yo tiuiesse edad, (v. 1140-1143)

podeys dar consentimiento

a que me lleue el honor,1145)

y la vida vn hijo vuestro ? (v. 1138/1144,

El ampararme era justo

por muger, y assi os aduierto

que os remito aquesta causa,

a vuestro cargo la dexo. (v. 1146-1148)

Hazedme justicia Duque,

poned a mi mal remedio, (v. 1150)

ò desdorareys agora

el blason de vuestros hechos. (v. 1157)

Dirè a vozes que aueys sido

complice quando no reo,

en delito tan estraño,

y fue entre los dos concierto.

Para que yo con la pena

muera, y no auiendo heredero

os alceys con Barcelona,

mostando tirano emperio. (v. 1158-1161)

Si lagrimas no os ablandan,

en ellas vereys el fuego

que mi coraçon abraça,

dezid luego vuestro intento. (v. 1152-1155)

Duq. Enmudezco

considerando en don Carlos

el injusto atreuimiento. (v. 1162,1163)

Pluguiera a Dios, que a mis ojos

me le presentaran muerto, (v. 1168)

Pero lo que importa agora,

es señora que trazemos

vuestra vengança. (v. 1171-1173)

Viol. Esso pido,

mas si acaso. (v. 1176)

Duq. Ya os entiendo,

direys que si arrepentido

como prudente y discreto,

quiere casarse, que os case. (v. 1178-1180)

Duq. Si señora, ya le prendo ;

lleualde. (v. 1302)

Car. Viue Dios,

que es marmol mi sufrimiento. (v. 1302)

Duq. No causarà mas enredos,

lleualde preso, que hazeys ? (v. 1306-1308)

(V,1)

Sale Beltran.

Bel. Carlos desde su prision

te embia:

Viol. Que embia ?

Bel. Aqueste papel. (v. 1316-1319)

Daselo.

Viol. llama tu mientras le leo,

Beltran, a doña Isabel.

Otro papel viene dentro, (v. 1326-1319)

el suyo leo. Oy acaban,

Violante del alma mia,

mis altiuas esperanças.

Yo me parto donde nunca,

de tus soles que me abrasan

vea las luzes que al cielo

mas viuamente retratan.

No culpes mi ingratitud,

pues ves que te desengaña

esse papel que mi padre

me escriue, cuyas palabras

disculpan la que te di :

con mas veras, con mas ansias

te adoro agora que nunca,

mi padre de ti me aparta,1335)  

dèl te informa, y Dios te guarde. (v. 1329-

Ay cielos, mis ansias vayan

tras èl, ola. (v. 1322,1323)

Lee. Hijo don Carlos, yo os puse

con sagaz industria, y traza

en essa torre que tiene

vn postigo a la muralla.

Por donde podeys salir

sin que lo sientan las guardas,

para Napoles, y Roma

lleuays letras de importancia.

Y algunas preciosas joyas

que os embio en essa caxa,

cauallos teneys a punto,

no ay que reparar en nada.

Bien sabeys que es impossible

casaros con vuestra hermana ;

sino se entrega, y le alcançan,

porque no creays de mi

alguna engañosa traça. (v. 1411,1412)

Viol. No le siga nadie Duque,

que no serà de importancia, (v. 1413,1414)

... tomad Enrique,

quando escriua desde Francia

Carlos, aqueste papel

que me embiò esta mañana

le bolued ò entregad luego

esse secreto a la llamas. (v. 1415-1417)

Duq. Pues si ya sabeys señora,

su delito y mi desgracia, (v. 1418,1419)

consolaos en esta ausencia. (v. 1422)

Viol. A mi no me digays nada,

consolad a vuestra hija. (v. 1423,1424)

Isa. Señor, mi deshonra ataja,

que es aquesto que as escrito ?

de mi hermano enamorada

yo ? desengaña a Violante,

declara aqui lo que passa. (v. 1425-1428)

Duq. Verdad digo en lo que escriuo.

(v. 1429)

Isa. A mi me gozò mi hermano ? (v. 1430)

Duq. No Isabel, sino a su hermana,

que es Violante, hija mia. (v. 1431,1434)

Viol. Que dizes ? (v. 1435)

Duq. De que te espantas ? (v. 1439)

Condesa vos soys mi hija, (v. 1441)

que por la muerte temprana

del Conde (que Dios perdone)

en el parto rindiò el alma

la Condesa, y yo temiendo

que si sucession faltaua,

estauan ciertas las guerras.

Hize que a las dos trocara

vn criado con secreto,

porque casi muerta estaua

la hija de la Condesa, (v. 1457-1466)

viuio, criòse en mi casa,

siendo entre tantos testigos

impossible destrocarlas. (v. 1467,1468)

Que yo afligido de ver

que fuy deste daño causa,

me retirarè a Cardona,

que ya el gouierno me cansa. (v. 1474-1476)

Viol. Sin alma quedo. (v. 1477)

Viol. Que otra cosa hazer pudiera

pues es justo, vuestra Alteza. (v. 1554)

(5)

Sale Beltran.

Bel. Mi diligencia estima, pues à sido

causa de que don Carlos aya buelto,

(v. 1555)

(8)

Salen don Carlos, y don Ramon, y don Iayme,
y toda la compañia

Salen damas, y doña Isabel, y Violante.

Viol. Don Carlos hermano, alçad :

dissimulad ojos mios,

encubrid el llanto. (v. 1566/1591)

Car. Ya

por esse amoroso nombre

he trocado el de galan.

Hermana. (v. 1588,1589)

Viol. Leuanta Carlos,

de doña Isabel seràs,

y Conde de Barcelona,

que es quanto te puedo dar. (v. 1594-1596)

Viol. El Conde de Barcelona,

que en assiento de cristal

(quedando muerto en la guerra)

goza de una eterna paz.

A la Condesa dexò

tan afligida y mortal,

que le dio al mundo vna hija,

y el alma a la eternidad.

A este tiempo la Duquesa

de Cardona, por causar

esta confusion, pariò

otra hija...

La hija de la Condesa

estaua para espirar,

y el Duque que està presente

como discreto y leal,

por euitar dissensiones

ciuiles, puso en lugar

su hija, de la que estaua

ya sin aliento vital. (v. 590-605)

D.Ber. Yo lleuè,

con secreto, y con lealtad

a la hija de los Condes,

y la troquè, sin que mas

que el cielo, y yo lo supiesse.(v. 1632-1635)

D.Ber. Teneos

y boluerla al destrocar. (v. 1622-1624)

D.Ber. en vna carta escriui ;

quanto me mandaste està

hecho, no tengas cuydado. (v. 1675,1676)

(Scène derniere)

Viol. Dad vos la mano a Isabel,

don Ramon, y assi tendrà

con aquestas bodas juntas,

alegre fin tanto mal. (v. 1693-1695)

D.Ra. Dichoso soy. (v. 1701,1702)

FIN

Bibliographie §

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Boirobert François Le Métel de, Cassandre, Comtesse de Barcelone, Amsterdam, Raphal Smith, 1654., in-8°, 88 p.

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LA MENTIROSA VERDAD. / COMEDIA / FAMOSA. / COMPVUESTA POR / IVAN DE VILLEGAS. / [in] COMEDIAS / PARTE TREYNTA. / COMPVESTAS POR DIFERENTES AVTORES. / [fleuron] / CON LICENCIA / En Zaragoça, En el Hospital Real, y General de Nuestra Señora de / GRACIA, año 1638./, in-4°, texto a dos columnas, pp. 221-255.

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COMEDIA FAMOSA / EL MARIDO DE / SV HERMANA / DE IVAN DE VILLEGAS. / [in] QUINTA / PARTE DE / COMEDIAS ESCOGIDAS / DE LOS MEIORES INGENIOS / DE ESPAÑA / DEDICADAS / A Don Iuan de Lujan y Arangon, Cauallero de la / Orden de Santiago. Año [fleuron] 1653./ Con ... / [filet] / En Madrid... /, in-4° à deux col., pp. 212-308.

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