SCÈNE PREMIÈRE. La Comtesse, Lisette. §
LA COMTESSE.
As-tu fais tes efforts pour dévoiler ma nièce ?
LISETTE.
Madame, j’ai perdu près d’elle mon adresse.
Son air paraît ouvert, son cour ne l’est jamais ;
On ne peut pénétrer dans ses replis secrets ;
5 À le développer, vainement on s’attache ;
C’est par timidité, peut-être, qu’il se cache.
LA COMTESSE.
Non, c’est son naturel ; l’air d’ingénuité
Ne sert qu’à mieux couvrir sa sombre obscurité ;
Ce défaut, il est vrai, s’accroît par ses alarmes ;
10 Elle croit que je suis jalouse de ses charmes,
Que je veux lui ravir les cours qu’elle a conquis,
M’attacher le Baron, ou gagner le Marquis.
Entre ces deux amants qui lui rendent hommage,
Son injuste soupçon en secret se partage;
15 Et moi, pour l’en punir, j’aime à le redoubler,
En affectant pour eux ce qui peut la troubler.
Au Baron, le matin, mon coeur fait des avarices ;
Le soir, pour le Marquis j’ai mille préférences.
Je me plains du veuvage, et pour mieux l’effrayer,
20 Je parle exprès tout haut de me remarier.
LISETTE.
Quand on est comme vous, jeune et belle, Madame,
On peut former ce noeud, sans crainte qu’on le blâme.
Orpheline, sans biens, espérant tout de vous,
Vous peut-elle un moment disputer un époux ?
25 D’une figure aimable en vain elle est ornée,
Une Beauté sans dot se voit abandonnée.
Le Baron, j’en suis sûre, aspire à votre main ,
Et le Marquis, lui-même, a le même dessein.
Le premier, dans ses vers, célèbre vos conquêtes ;
30 L’autre vous rend des soins et vous donne des fêtes.
LA COMTESSE.
J’en reçois les honneurs, Lucile en est l’objet :
Je n’en suis pas la dupe, et j’en ris en secret ;
Mais surtout du Baron. Aux vers dont il m’honore
Je feins d’être sensible, il croit que je l’adore.
35 Une femme sensée, à se moquer d’un fat,
Goûte, je te l’avoue, un plaisir délicat.
C’est ma fête aujourd’hui, pour la rendre parfaite,
Je veux la célébrer à leurs dépens, Lisette :
Je m’en fais une, au fond, de les embarrasser,
40 Et ma nièce avec eux.
LISETTE.
Et ma nièce avec eux. On ne peut mieux penser ;
Mais, de ces deux amants, qui croyez-vous qu’elle aime ?
LA COMTESSE.
Voilà ce qu’elle cache avec un soin extrême,
Et ce que mes regards brûlent de découvrir ;
Avant la fin du jour, j’espère y parvenir.
45 Ce n’est pas qu’à son choix je veuille être contraire ;
Non : je veux, pour son bien, changer son caractère.
Avant que d’assurer le bonheur de ses jours,
Par ma ruse je veux combattre ses détours,
L’obliger d’en rougir, et d’être enfin sincère.
50 Le Marquis vient, jouons l’aimable à l’ordinaire.
SCÈNE II. La Comtesse, Le Marquis, Lisette, Monsieur du Berceau. §
LE MARQUIS, lui présentant un bouquet.
Madame, je préviens les pas de mon rival ;
Si l’esprit a sur vous un ascendant fatal,
Mes fleurs ne vaudront pas celles qu’il vous prépare ;
Mais si le sentiment y met un prix plus rare,
55 Je me flatte d’avoir l’avantage sur lui.
Mes ordres sont donnés pour les jeux d’aujourd’hui,
Agréez-en l’hommage, et soyez-en la Reine,
LA COMTESSE.
J’accepte cet honneur, et j’en suis toute vaine.
Pour soutenir l’éclat où je dois me montrer,
60 Je vole à ma toilette, et je cours me parer.
À la reconnaissance, un pareil choix m’invite ;
Marquis, il recevra le doux prix qu’il mérite.
LE MARQUIS, lui présentant Monsieur du Berceau.
Je dois vous présenter, Madame, auparavant,
Cet homme merveilleux.
LA COMTESSE.
Cet homme merveilleux. Quel est donc son talent ?
MONSIEUR DU BERCEAU.
65 Je puis, sans vanité , m’appeler un génie ;
J’exerce innocemment tout l’art de la magie ;
D’un seul coup de sifflet je bâtis un château,
Je change un mont en plaine, une ville en hameau ;
Maître des Éléments je fais trembler la terre,
70 J’allume les éclairs, je lance le tonnerre :
Au milieu de Paris je fais couler les mers,
Et descendre les cieux, ou monter les enfers.
Par un contraste, enfin, des plus inconcevables,
Je fais danser les Dieux, et voltiger les Diables.
LA COMTESSE.
75 C’est un art surprenant.
MONSIEUR DU BERCEAU.
C’est un art surprenant. J’en possède un plus beau.
La poudre, entre mes mains, devient un vrai pinceau ;
Mes touches, mes couleurs sont si bien ordonnées,
Mes croix de Chevalier, surtout, sont dessinées
Dans un vrai si parfait, que l’oeil en est surpris,
80 Et mes nombreux soleils sont toujours applaudis.
La flamme, sous mes doigts, prend la forme de l’onde ;
Tantôt c’est un jet d’eau qui jaillit à la ronde,
Tantôt une cascade, et tantôt un torrent.
J’offre, chaque semaine, un tableau différent.
85 Aujourd’hui c’est.... l’Atlas, demain la Pyramide,
Et pour faire un lieu plein d’un endroit souvent vide,
J’ai produit un berceau, chef-d’oeuvre si vanté,
Si couru, que le nom m’en est depuis resté.
LA COMTESSE.
Vous, Monsieur du Berceau ? Cet homme qu’on renomme !
90 Ce grand artificier !
MONSIEUR DU BERCEAU.
Ce grand artificier ! C’est ainsi qu’on me nomme ;
Je suis en même temps machiniste parfait,
Décorateur unique, et maître de ballet.
LA COMTESSE.
Ah ! Ciel ! Que de talents cet étranger rassemble !
MONSIEUR DU BERCEAU.
Je les veux dans ces lieux faire briller ensemble.
LA COMTESSE.
95 Ah ! Je suis enchantée, et rends grâce au Marquis
De vous avoir, Monsieur, conduit dans ce logis.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Pour répondre, Madame, à cet accueil honnête,
Et pour mieux célébrer le jour de votre fête,
Je prétends vous servir trois plats de mon métier :
100 Comme peintre d’abord, j’offrirai le premier ;
Un Temple tout nouveau donnera cette entrée ;
Il fera du fracas, s’il n’est pas de durée.
Comme maître à danser, après, je donnerai
Un divertissement que j’intitulerai
105 Le ballet des oiseaux. Chaque espèce y figure ;
Il vous amusera selon ma conjecture.
Puis nous couronnerons un jour si solennel
Par un feu d’artifice appelé l’arc-en-ciel.
LA COMTESSE.
De vos talents, pour nous, vous êtes trop prodigue.
MONSIEUR DU BERCEAU.
110 Cet ouvrage, pour moi, n’est pas une fatigue ;
S’il peut vous divertir, il me délassera.
LA COMTESSE.
Je cours donc m’habiller pour voir tous ces jeux-là.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Daignez ne pas tarder, car la première fête,
Dans demi-heure au plus, Madame, sera prête.
LA COMTESSE.
115 On n’a qu’à m’avertir dès qu’il en sera temps.
LE MARQUIS.
Oui ; nous irons vous prendre.
LA COMTESSE.
Oui ; nous irons vous prendre. Adieu, je vous attends.
SCÈNE III. Le Marquis, Monsieur Du Berceau, Le Marquis. §
LE MARQUIS.
Mon hommage, en public, à la tante s’adresse;
Mais j’offre tous mes voux en secret à la nièce.
C’est à présent, mon cher, que j’implore vos soins,
120 Pour forcer sa réserve à me voir sans témoins.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Je veux, à la faveur d’un ballet que j’apprête,
Je veux vous procurer un si doux tête à tête,
Et la tromper si bien par un coup de mon art,
Qu’il paraisse à ses yeux un effet du hasard.
125 Je serai plus adroit qu’elle n’est pénétrante ;
Fiez-vous en à moi.
LE MARQUIS.
Fiez-vous en à moi. Comme elle craint sa tante,
Qu’elle est d’ailleurs portée à se cacher par goût,
Jusqu’au moindre regard, elle m’interdit tout.
Bien plus, elle m’a fait une expresse défense
130 De mettre un tiers ici dans notre confidence,
Sous peine d’attirer son indignation.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Soyez sûr aujourd’hui de ma discrétion.
Vous en avez, Monsieur, un garant admirable.
LE MARQUIS.
Quel garant ?
MONSIEUR DU BERCEAU.
Quel garant ? Votre argent : ce métal agréable
135 M’a subjugué le cour. Oui, foi d’italien,
Je ferai tout pour vous, vous me payez trop bien.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Mes voeux... Seront remplis, j’ose vous le prédire.
Pour hâter l’entretien que votre amour désire,
Je vais tout disposer. Dans peu, je vous rejoins ;
140 Daignez ici m’attendre, et comptez sur mes soins.
Il sort.
SCÈNE IV. Le Baron, Le Marquis. §
LE BARON.
Je te trouve à propos.
LE MARQUIS.
Je te trouve à propos. Une affaire me presse.
LE BARON.
Écoute un seul moment, avant que je te laisse;
Je veux savoir ton goût sur un écrit nouveau.
LE MARQUIS.
Tu choisis mal ton temps : je roule en mon cerveau...
LE BARON.
145 Un air de violon ?
LE MARQUIS.
Un air de violon ? Non, c’est une musette ;
Tu l’entendras bientôt : d’honneur elle est parfaite.
LE BARON.
Oh ! mes Vers ne sont pas moins séduisants.
LE MARQUIS.
Oh ! mes Vers ne sont pas moins séduisants. Des vers !
Quoi ! Ne reviendras-tu jamais de ce travers ?
Étouffe ou cache au moins ta rage poétique.
LE BARON.
150 Mais tu composes, toi, souvent de la musique.
Quand tu chantes, je puis rimer.
LE MARQUIS.
Quand tu chantes, je puis rimer. Non, Baron, non.
LE BARON.
Mais les vers sont, je crois, d’aussi bonne maison.
LE MARQUIS.
Point du tout. La musique est un talent aimable,
Qu’un seigneur même apprend pour se rendre agréable ;
155 Mais la rime, entre nous, est un art roturier,
Qu’un homme comme toi doit rougir d’employer.
LE BARON.
La poésie, un art roturier ! Quel blasphème!
C’est le don de l’esprit, le plus grand en soi-même.
C’est la langue des Dieux. Chanter ré, mi, fa, si,
160 Jouer du violon, est-il plus noble, dis ?
LE MARQUIS.
À son point d’excellence il faut porter la Rime ;
Ou...
LE BARON.
Ou... Mes vers sont marqués au vrai coin de l’estime ;
Et, pour mieux t’en convaincre, écoute ce morceau.
LE MARQUIS.
Oui, tes vers sont frappés ; tu les prends dans Rousseau.
LE BARON.
165 Et les airs que tu fais, comme ceux que tu chantes,
1
Marquis, sont la plupart dans les Indes galantes.
LE MARQUIS.
Pour te prouver, Baron, le contraire à l’instant,
Écoute un air de flûte aussi neuf que brillant.
Il chante.
LE BARON.
Prête plutôt l’oreille à ma nouvelle fable.
LE MARQUIS.
170 Non, non ; écoute-moi, mon air est préférable.
LE BARON, déclame.
Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent
Pour une colombe discrète.
La Marquis joue, et l’interrompt.
Ah ! Suspends les accords de ta voix indiscrète :
Entends, entends mes vers, sens-en tout l’agrément.
II reprend.
175 Pour une colombe discrète,
Un pigeon ressentait l’amour le plus ardent.
Elle ignorait l’excès de sa flamme parfaite.
Le Marquis l’interrompt toujours en chantant, et le poursuit.
Le Baron, piqué.
Que le Diable t’emporte, exécrable chanteur !
Je bouche mon oreille, et je sors de fureur.
180 Cesse de me poursuivre ; arrête-toi, barbare !
2
Pour éviter tes sons, je fuirais au Tartare.
Il sort.
SCÈNE VII. Le Marquis, Monsieur Du Berceau, Le Baron, Lucile, Le Comtesse. §
LA COMTESSE, au Baron, dans le fond du Théâtre.
195 Vous allez en juger : sur votre goût, je compte.
Au Marquis et à Monsieur du Berceau.
Meilleurs, je vous préviens.
LE MARQUIS.
Meilleurs, je vous préviens. Votre toilette est prompte.
LA COMTESSE.
Le soin, de me parer m’occupe peu de temps.
LE BARON.
La parure est aisée avec tant d’agréments.
MONSIEUR DU BERCEAU.
II est temps de montrer si ma main est habile
200 À bien construire un temple.
LE BARON.
À bien construire un temple. Ah ! Morceau difficile !
LA COMTESSE.
À qui le dressez-vous ?
MONSIEUR DU BERCEAU.
À qui le dressez-vous ? C’est au Dieu du secret.
Le Silence y conduit le seul amant discret.
LUCILE.
Ah ! Ce choix est heureux, on ne peut davantage,
Et le Dieu du secret mérite notre hommage.
LA COMTESSE.
205 II a surtout le vôtre, et c’est, au fond du coeur,
Celui que vous servez avec le plus d’ardeur.
LUCILE.
Pouvez-vous m’en blâmer ? Ne doit-il pas nous plaire ?
Le monde nous en fait un devoir nécessaire ;
Et si, par lui, souvent notre sexe est frondé,
210 C’est pour l’avoir trahi, non pour l’avoir gardé.
LE BARON.
Il n’est pas cependant, dans le siècle où nous sommes,
L’idole du beau sexe ?
LUCILE.
L’idole du beau sexe ? Encore moins des hommes.
LE MARQUIS.
Plus d’un le sert encore, et même sans espoir.
LA COMTESSE, à Monsieur du Berceau.
Décrivez-nous son temple, avant que de le voir.
MONSIEUR DU BERCEAU.
215 Madame, il est fondé sur la délicatesse;
Servi par les amours, et fait pour la tendresse;
Décoré par le goût, embelli par les jeux ;
Et quiconque y parvient, est certain d’être heureux.
LE MARQUIS.
Ah ! Je voudrais déjà qu’on m’en ouvre la porte.
MONSIEUR DU BERCEAU.
220 Les amants délicats s’y rendent sans escorte,
Dès que le soleil luit, dès qu’on voit les coquettes,
Et des marquis du jour les troupes indiscrètes :
Mais, dès qu’avec fracas on entre dans ce lieu,
Le temple disparaît aussi bien que le Dieu.
LE BARON.
225 Je trouve cette idée assez ingénieuse.
Si l’exécution, Madame, en est heureuse,
Je crois qu’elle plaira.
LA COMTESSE.
Je crois qu’elle plaira. Voyons donc promptement.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Votre désir sera rempli dans le moment,
Madame, et vous, Monsieur,
Au Baron.
Madame, et vous, Monsieur, Avancez-vous, de grâce,
230 Pour bien voir le coup d’oil, voici la bonne place.
SCÈNE VIII. Lucile, Le Marquis. §
Le théâtre change, et représente le Parvis d’un Temple dont la porte est fermée. La Comtesse et le Baron sont en dedans. Lucile et le Marquis sont en dehors.
LUCILE.
Nous sommes en dehors, et le temple est fermé ;
Je suis seule avec vous, j’ai l’esprit alarmé.
LE MARQUIS.
Je ne vois point d’issue. Il n’est que cette porte :
Il fait ses efforts pour l’ouvrir, mais inutilement.
Et je ne puis l’ouvrir.
LUCILE.
Et je ne puis l’ouvrir. Je veux sortir, n’importe.
LE MARQUIS.
235 Vous ne le pouvez pas. C’est un hasard heureux,
Dont je dois profiter, pour savoir si mes feux..
LUCILE.
Non, non ; n’attendez pas qu’ici je vous écoute ;
Vous avez préparé cet incident, sans doute...
C’est un tour...
LE MARQUIS.
C’est un tour... Du soupçon, mon amour est choqué.
LE MARQUIS.
Monsieur ! Quelque machine, à coup sûr, a manqué,
Ou le Décorateur a mal pris ses mesures.
Attendant que son art en prenne de plus sûres,
Et fasse disparaître à nos yeux ce parvis,
Lucile, expliquez-vous. Dans le doute où je suis,
245 Je ne saurais rester ; le supplice est trop rude.
Je meurs vingt fois par jour de mon incertitude.
LUCILE.
Pour me faire parler, l’instant est bien choisi.
LE MARQUIS.
Grâce à votre rigueur, je n’ai que celui-ci.
Votre réserve outrée, et votre injuste crainte
250 Tiennent toujours ma bouche et mes yeux en contrainte.
Je n’ai, depuis six mois, que je vous aime enfin,
Je n’ai pu parvenir à vous baiser la main.
Il lui baise la main.
LUCILE.
Oui ; mais vous la baisez, en parlant de la sorte.
Partez.
LE MARQUIS.
Partez. Tout est fermé ; le moyen que je sorte ?
255 Daignez donc m’éclaircir. Suis-je aimé ? Parlez, moi ?
LUCILE.
Je ne saurais, Monsieur, dans mon cruel effroi ;
Ma tante est là-dedans, je crois qu’elle m’appelle.
LE MARQUIS.
Elle a des soins plus doux, le Baron est près d’elle.
Et je sais que ses vers l’emportent sur mon chant.
LUCILE.
260 Depuis deux ou trois jours,j’y vois du changement.
Vous fixez ses regards, Marquis ; c’est vous qu’elle aime :
Elle doit faire choix d’un époux, ce soir même,
II tombera sur vous, ou je me trompe fort.
LE MARQUIS.
Vous me faites trembler ; mais je m’alarme à tort.
265 Et le Baron lui seul...
LUCILE.
Et le Baron lui seul... Non ; sur son cour volage
Vos fêtes, aujourd’hui, vous donnent l’avantage.
LE MARQUIS.
Je les donne pour vous ; la peur de l’épouser,
M’oblige, en ce moment, à la désabuser.
LUCILE.
Vous allez me livrer à sa jalouse rage ;
270 Un couvent éternel deviendra mon partage.
LE MARQUIS.
Ne me cachez donc plus le sonde votre coeur ;
Que je puisse un instant y lire mon bonheur:
Et si je suis aimé, donnez-m’en quelque preuve.
LUCILE.
Faut-il me voir réduite à cette dure épreuve?
LE MARQUIS.
275 À votre caractère il en coûte un effort ;
Mais, les moments sont chers, décidez de mon sort.
LUCILE.
Pouvez-vous jusques-là me faire violence ?
Mon coeur, pour vous punir, veut garder le silence.
LE MARQUIS.
À la Comtesse, moi, j’irai tout découvrir.
280 J’entends du bruit, le Temple est tout prêt de s’ouvrir.
Je vais lui déclarer que pour vous je soupire.
LE MARQUIS.
Arrêtez. Parlez donc.
LUCILE.
Arrêtez. Parlez donc. J’aime mieux vous écrire.
LE MARQUIS.
M’écrire un billet tendre ?
LUCILE.
M’écrire un billet tendre ? Oui ; vous serez content.
Trahissez mon secret, si ma bouche vous ment;
285 Mais vous continuerez à tromper la Comtesse.
LE MARQUIS.
Oui, j’en fais le serment après votre promesse.
LUCILE.
Le Parvis disparaît, et, dans l’éloignement,
Je vois ma tante ; allez près d’elle promptement.
SCÈNE IX. Le Marquis, Monsieur Du Berceau, Le Baron, Lucile, La Comtesse. §
Le Parvis disparaît, et l’on voit l’intérieur du temple.
LE MARQUIS, à la Comtesse.
Ah ! Je bénis l’instant qui vous rend à ma vue :
290 J’ai maudit...
MONSIEUR DU BERCEAU.
J’ai maudit... Pardonnez une saute imprévue.
LA COMTESSE.
Les plus grands Maîtres sont sujets à se tromper ;
Mes regards ont d’ailleurs eu de quoi s’occuper.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Vos yeux sont-ils contents ?
LE BARON.
Vos yeux sont-ils contents ? Mais assez.
LA COMTESSE.
Vos yeux sont-ils contents ? Mais assez. À merveille.
MONSIEUR DU BERCEAU.
Je vais présentement régaler votre oreille.
295 Écoutez l’ouverture. Elle peint le secret.
On joue l’ouverture.
LE MARQUIS.
À la flûte, tout bas, joignons mon chant discret.
Air noté. N° 2.
Tendres amants, voilà la nuit ;
Le jaloux dort, le critique sommeille ;
Et pour vous l’Amour veille.
300 Paix, chut ; marchez à petit bruit.
Dans le Temple du Mystère,
C’est l’instant d’être introduit.
Venez, d’une ardeur sincère,
Venez recueillir le fruit.