Le théâtre représente la tour, à la porte de laquelle le Prince Sigismond paraît endormi et chargé de sa première chaîne.
SCÈNE II. Clotalde, Sigismond endormi. §
SIGISMOND endormi.
Meure, meure, Clotalde, et tous mes ennemis !
Tombe le Roi Basile au pouvoir de son fils !
CLOTALDE.
Jusqu’au sein du repos Sa fureur te tourmente.
940 Rien ne peut l’arracher de son noir souvenir.
Que son affreux réveil saura bien l’en punir !
Pour ses regards surpris qu’elle image effrayante !
Son sommeil se dissipe, et je frémis pour lui.
SIGISMOND, en s’éveillant.
Que vois-je, malheureux ! Et quelle horreur efface
945 Tout mon bonheur évanoui ?
Du Sceptre que j’ai cru posséder aujourd’hui,
Mes premiers fers ont pris la place !
Du trône je retombe au fond de ma prison !
Ô ! Réveil accablant qui confond ma raison !
950 Le Ciel m’a-t-il trompé par un songe agréable,
Pour rendre mon destin encore plus déplorable
Par la douleur de la comparaison ?
CLOTALDE, à Sigismond.
Dans un profond sommeil quel charme inconcevable
A retenu si longtemps vos esprits ?
955 Et quel songe funeste animait votre rage ?
Vous respiriez tout haut le sang et le carnage.
SIGISMOND.
Je ne sais que répondre à ce que tu me dis,
Le trouble de mes sens est si grand, que j’ignore
Si je veille en effet, ou si je dors encore.
CLOTALDE.
960 N’en doutez point, Sigismond, vous veillez,
Puisque c’est moi qui vous l’assure,
Que je suis devant vous, et que vous me parlez.
SIGISMOND.
Je ne suis point sorti de cette grotte obscure ?
Ah ! Toute ma grandeur n’est donc qu’un songe vain ?
965 Ma prison seule est vraie, et mon malheur certain.
Mais non, ce que j’ai vu m’a paru si sensible,
Et si fort éloigné de toute fausseté,
Que tout ce qui me frappe en ce moment terrible,
Ne paraît pas avoir plus de réalité.
970 Que dis-je ? Un feu nouveau qui circule en mes veines,
Qui charme en même temps et redouble mes peines.
De mon bonheur détruit prouve la vérité.
J’en ai pour sûr garant l’image qui me reste
De la Beauté qui m’a charmé.
975 J’en ai pour signe manifeste
L’amour que dans mon sein ses yeux ont allumé.
Je le sens cet amour dont je brûle pour elle ;
Et pour la démentir, ma flamme est trop réelle.
CLOTALDE.
Quel songe a sur vos sens fait tant d’impression
980 Qu’il ait jusqu’à ce point troublé votre raison ?
SIGISMOND.
Écoute, puisqu’il faut t’en faire confidence,
Non ce que mon esprit a vu confusément
Dans un rêve sans suite et plein d’extravagance,
Mais ce qui m’a frappé les yeux sensiblement,
985 Qui m’est présent encor comme un événement
Rempli de certitude, où règne l’évidence,
Et dont j’ai retenu la moindre circonstance.
À la Cour de Pologne, en un Palais brillant,
( Ô ! Souvenir amer d’une gloire trompeuse !)
990 J’ai cru me voir en m’éveillant :
J’étais alors vêtu superbement,
Environné d’une foule nombreuse
Qui me servait avec empressement.
Je me souviens, qu’au fort de mon étonnement
995 Je t’ai vu le premier me rendre ton hommage ;
Et fléchissant le genoux devant moi,
Me déclarer que j’étais fils du Roi,
Et que son trône était mon héritage.
CLOTALDE.
Sans doute vous avez, dans ces moments heureux,
1000 Reçu votre sujet en Prince généreux ?...
SIGISMOND.
À ton discours m’armant d’un front sévère,
Clotaldle, j’ai voulu te punir, au contraire,
D’avoir suivi du Roi les ordres rigoureux,
Et de m’avoir caché ce funeste mystère.
1005 Tu n’as pu qu’en fuyant te soustraire à mes coups,
Et mon Père s’est vu l’objet de mon courroux.
Mais ce qui s’est gravé dans le fond de mon âme,
Avec des traits de flamme
Que rien ne saurait effacer,
1010 Une Auguste Princesse à mes yeux s’est montrée ;
Sa beauté la rendait digne d’être adorée.
Ah ! Sans douleur je ne puis y penser.
J’ai déclaré mon feu sincère,
Elle a paru ne pas s’en offenser.
1015 J’espérais par mes soins parvenir à lui plaire,
Quand un Prince odieux protégé par mon père,
Dans mon bonheur m’est venu traverser.
Ce coup a réveillé le feu de ma colère :
Et j’ai juré dans mon transport,
1020 Qu’avant que le Soleil redonnât la lumière,
Au sein de mes tyrans je porterais la mort.
CLOTALDE.
De l’auteur de votre naissance,
Eh quoi ! Les jours par vous ne sont pas respectés ?
Et sur moi qui pris soin d’élever votre enfance,
1025 Vous étendez vos cruautés ?
Ah ! Sigismond, à cet excès barbare
Pouvez-vous vous porter, même dans le repos ?
En goûtant ses douceurs notre coeur se déclare ;
De l’âme d’un tyran un noir songe s’empare ;
1030 Il voit toujours du sang dont il verse des flots.
Mais la vertu dont votre esprit s’égare,
Jusques dans le sommeil accompagne un héros.
N’accusez plus les Dieux si vous êtes en bute
À tous les traits de leur courroux.
1035 Avec juste raison leur bras vous persécute.
Les sentiments cruels qu’on voit paraître en vous
N’ont que trop à mes yeux justifié leurs coups.
Ce songe dont votre âme est encore si remplie,
Eh ! Pour vous éprouver, qui sait s’il n’est point fait ?
1040 Qui sait, si dans ce jour, leur sagesse infinie
N’en serait pas l’auteur secret ?
Pour vous je tremble dans ce doute.
Je sais qu’aux Immortels votre fureur déplaît ;
Je crains que leur rigueur n’ajoute
1045 À votre châtiment, tout horrible qu’il est.
Sigismond, voulez-vous épuiser leur vengeance ?
Ou croyez-vous que par la cruauté
Vous mériterez leur clémence ?
Ah ! Dépouillez plutôt votre férocité,
1050 Et votre orgueil qui les offense.
Portez-vous au bien constamment,
Et songez que leurs mains versent leur récompense
Jusques sur la Vertu qu’on exerce en dormant.
SIGISMOND.
Sigismond, de ton coeur dépouille l’arrogance.
1055 Réprime tes noires fureurs.
Que le bien soit ton exercice unique,
Et sache que les Dieux répandent leurs faveurs
Jusques sur la Vertu qu’en songe l’on pratique.
CLOTALDE.
Oui, c’est le seul moyen d’attirer leur bonté.
SIGISMOND.
1060 Il faut donc vaincre ma fierté.
Par ta voix comme un trait de flamme
La Vérité, Clotalde a pénétré mon âme.
Je ne serai plus rien, même dans le sommeil,
Dont je puisse jamais rougir à mon réveil.
1065 Mais tout l’éclat de ces richesses
Dont j’ai cru jouir cette nuit ?
CLOTALDE.
Est un ardent qui trompe et qui s’évanouit.
SIGISMOND.
Et ces grandeurs enchanteresses
Dont les attraits m’avaient séduit ?
CLOTALDE.
1070 Leur jouissance est un éclair qui fuit.
SIGISMOND.
Et la faveur avec la Renommée ?
CLOTALDE.
Un vent qui change, une vaine fumée.
SIGISMOND.
Et l’espérance ?
CLOTALDE.
Et l’espérance ? Un appas séducteur.
CLOTALDE.
Et la vie ? Et la vie est un songe trompeur.
1075 La Vertu seule est constante et réelle.
Le vrai bonheur est dans le bien ;
Tout le reste est compté pour rien.
SIGISMOND.
Ce discours me remplit d’une clarté nouvelle.
J’en sens toute la force et la sublimité ;
1080 Mon esprit qui n’est plus séduit par l’apparence,
Des humaines grandeurs connaît la vanité.
Pour elles il n’a plus que de l’indifférence,
L’amour, le seul amour dont il est agité,
Lui fait sentir sa véhémence,
1085 Il entraîne ma volonté.
Et quoique d’un vain songe il tienne la naissance,
J’éprouve que sa flamme est une vérité.
CLOTALDE.
Sortez d’erreur, ces feux remplis de violence,
À vos sens abusés doivent tout leur pouvoir ;
1090 Ils n’offrent à vos yeux qu’un objet chimérique ;
Comme tous ces honneurs, cette Cour magnifique
Et tous ces vains trésors que vous avez cru voir ;
Et pour en triompher vous n’avez qu’à vouloir.
SIGISMOND.
Pour l’éteindre jamais ma flamme m’est trop chère,
1095 Ma raison qui me fait sentir la fausseté ;
De ma grandeur imaginaire
Peut adoucir ma cruauté,
Réduire mon orgueil, enchaîner ma colère ;
Mais elle ne saurait étouffer mon ardeur,
1100 Je sens qu’elle est plutôt du, parti de mon coeur :
Pour ne pas l’approuver cette ardeur est trop belle,
La Vertu l’accompagne, elle est pure comme elle ;
Quoiqu’elle augmente ma douleur,
Que j’aime sans savoir si mon vainqueur existe ;
1105 Que tout m’ôte l’espoir de m’en voir possesseur,
À l’adorer toujours ma volonté persiste :
Je veux borner là mon bonheur.
J’entretiendrai du moins son image chérie.
Ses charmes de mes fers adouciront l’horreur,
1110 Et l’on m’arrachera la vie
Plutôt que de m’ôter une si douce erreur.
Il rentre dans la tour, qui se referme.
SCÈNE IV. Clotalde, Ulric. §
ULRIC.
1115 Clotalde, le Roi qui m’envoie,
Est en danger de perdre le trône et le jour.
Aux troubles les plus grands la Pologne est en proie.
Les peuples révoltés ont entraîné la Cour,
Et pour son fils hautement se déclarent.
1120 Tous veulent l’arracher du sein de cette tour,
Et de la guerre enfin tous les feux se préparent ;
Le nom de Federic est partout en horreur.
Sophronie elle-même abhorrant son ardeur
Aux volontés du Roi refuse de souscrire,
1125 Reconnaît Sigismond pour Maître de l’Empire,
Et du peuple pour lui redouble la chaleur.
ULRIC.
Qu’entens-je ? Elle est d’autant plus formidable
Qu’à la beauté suprême elle joint la valeur.
On sait que de son sexe aimable
1130 Elle suit la molesse, et méconnaît la peur ;
Qu’elle a dans les combats signalé son grand coeur,
Et qu’autant que ses yeux, son bras est redoutable.
Le Roi qui connaît trop dans ce temps orageux
Ce que peut sur les coeurs un chef si dangereux.
1135 Et qui craint la funeste fuite
D’une révolte si subite,
À rassemblé dans son palais
Ce qui lui reste encore de fidèles sujets.
Auprès de lui venez comme eux vous rendre,
1140 Et l’aider à résoudre en ce péril certain,
Quel parti son âme doit prendre
Pour détourner le cours d’un torrent si prochain.
Ses ordres pendant son absence
Doivent faire doubler la garde de ces lieux,
1145 Pour la mettre en état d’opposer sa défense
Aux efforts des séditieux.
CLOTALDE.
Ciel ! Protecteur des Rois, arme-toi pour Basile,
Et rend des factieux la fureur inutile.
Que je guide vos pas dans ces rochers affreux ;
1150 Évitons cette route, elle est trop difficile.
Ce sentier est plus court, et bien moins périlleux.
Il s’en va avec Ulric.
SCENE VIII. SIGISMOND, les Acteurs précédents. §
SIGISMOND.
1205 Qui remplit donc ces lieux d’une rumeur soudaine ?
SOPHRONIE.
Ah, Prince ! En quel état vous offrez-vous à moi ?
L’heureuse Sophronie aura du moins la gloire
De briser de sa main les chaînes de son Roi,
Et d’affranchir ses jours d’une prison si noire.
SIGISMOND.
1210 Que vois-je ? Ma Princesse au fond de ces déserts
Vient rompre elle-même nos fers ?
Elle s’arme pour nous dans ce jour favorable?
Qu’un trait si généreux me la rend adorable !
Et qui peut m’acquiter des biens, que j’en reçois ?
1215 Dieux Trompeurs ! Par un rêve aimable
Ne m’abusez vous pas une seconde fois i
Mon bonheur est trop grand pour être véritable.
Je dors encor sans doute, et tout ce que je vois
N’est rien qu’un fantôme agréable.
ARLEQUIN.
1220 Prince, n’en doutez point c’est un bonheur palpable.
SOPHRONIE.
Ce n’est point un songe, Seigneur,
Je vous parle en effet, et je fuis Sophronie,
Qui pour vous couronner veux prodiguer ma vie,
Vous êtes de Basile unique successeur ;
1225 En vain ce Roi, frappé d’une aveugle terreur,
Veut transporter vos droits au Duc de Moscovie.
Tout l’État avec moi s’arme en votre faveur
Venez, volez au Trône où je vais vous conduire.
SIGISMOND.
Non, je suis détrompé d’une vaine grandeur
1230 Qui n’a qu’un faux éclat qu’un instant peut détruire,
Et j’ai trop fait l’essai de son faste imposteur ;
Si quelque illusion a sur moi de l’empire,
C’est l’amour qui m’enflamme, il est l’unique erreur
Dont j’aime encore à me laisser séduire,
1235 Et votre coeur, Madame, est le trône où j’aspire,
C’est de lui seul que dépend mon bonheur.
Ce bonheur ne fut-il que l’ouvrage d’un songe,
Pour ne pas m’y livrer, il est trop enchanteur ;
La vérité ne vaut pas ce mensonge :
1240 Et je le trouve si flatteur,
Qu’il me serait cent fois plus agréable
De croire posséder votre coeur dans les fers,
Sans espoir de sortir de cet antre effroyable,
Que de me voir sans lui maître de l’Univers.
SOPHRONIE.
1245 Votre félicité n’est pas un vain fantôme ;
S’il est vrai que mon coeur vous soit si précieux ;
Et les effets bientôt vont prouver à vos yeux,
Qu’il est votre sujet avec tout ce Royaume.
SIGISMOND.
Quoi, je serais aimé ! Je me verrais heureux !
SOPHRONIE.
1250 Oui, Prince, il n’est plus temps de taire
Un feu que le péril a contraint d’éclater.
Ce que pour vous mon bras vient de tenter
Vous dit trop qu’en ce jour vous avez su me plaire.
SIGISMOND.
Grands Dieux ? En cet instant flatteur,
1255 Si le charmant aveu qui frappe mon oreille
N’est que l’effet d’un songe séducteur,
Faîtes que Sigismond jamais ne se réveille !
Mais s’il veille au contraire, au gré de ses souhaits,
Éloignez de ses yeux le sommeil pour jamais.
SOPHRONIE.
1260 Vous veillez croyez-en ma flamme.
Et comme sur l’État vous régnez sur mon âme,
L’un et l’autre vous offre un Empire réel.
Si tout ce que je dis vous semble une chimère,
Si votre esprit persiste en son doute cruel,
1265 Et n’en croit pas une amante sincère
Qui franchit pour vous seul la bienséance austère ;
Refuse Federic, et le trône avec lui,
Qui pour vous élever à ce Trône aujourd’hui
S’arme contre ce Prince, et combat votre père ;
1270 Jetez les yeux, Seigneur, sur tout le peuple armé
Pour votre cause légitime.
Voyez-le de ces monts couvrir toute la cime,
Venez et montrez-vous à ce peuple charmé,
Votre destin par lui vous sera confirmé.
1275 Marchons, il n’attend plus que vos ordres pour vaincre,
Et mieux que mes discours mon bras va vous convaincre.
SIGISMOND.
C’en est trop, Sigismond est déjà convaincu,
Le moyen de ne pas en croire tant de charmes ?
À vous suivre en tous lieux me voilà résolu.
1280 Rien n’arrête mes pas, qu’on me donne des armes
Pour vous l’offrir, je cours au Trône qui m’est dû.
Combattant avec vous la victoire m’est sûre ;
D’avoir tant balancé je rougis maintenant,
D’un regard de vos yeux animé seulement,
1285 Mon bras peut triompher de toute la nature ;
Et mes cruels tyrans vont sentir dans ce jour
Ce que peut la valeur conduite par l’amour.
SOPHRONIE.
Ah ! La Vertu doit guider l’un et l’autre
Votre Père est, Seigneur, parmi vos ennemis.
1290 Même en le combattant soyez toujours son fils.
Ma gloire désormais est uni à la vôtre ;
Elle m’engage à vous représenter,
Qu’un Roi ne doit jamais se laisser emporter
Aux indignes transports d’une aveugle vengeance,
1295 Qu’il doit vaincre, non pas pour la faire éclater,
Mais pour signaler sa démence.
Un tyran met sa gloire à tout exterminer :
Mais celle d’un vrai Roi consiste à pardonner.
C’est lui qu’il faut choisir pour modèle suprême ;
1300 Et songez, quelque ardeur qui vous puisse entraîner,
Que le plus beau triomphe est celui de vous même.
SIGISMOND.
Qu’il est heureux, et qu’il est doux
D’apprendre la Vertu de la bouche qu’on aime !
Qu’elle a pour lors de puissance sur nous !
1305 Guidé, belle Princesse, à la gloire par vous,
De mes sens égarés je ne crains plus l’ivresse ;
En marchant sur vos pas je suivrai la sagesse.
SCÈNE X. Les Acteurs précedents, le Roi, Soldats. §
LE ROI.
Fils coupable, assouvis toute ta cruauté.
Le sort te livre ta victime.
1315 Achève d’accomplir sur ton père et ton Roi
Ce que les Cieux trop vrais lui prédirent de toi.
SIGISMOND.
Je vais en dépit d’eux me montrer magnanime,
Et convaincre mon père, en un jour si fameux ;
Que les Astres malins n’ont sur nous de puissance
1320 Qu’autant que notre coeur est d’accord avec eux :
Que notre volonté règle leur influence ;
Et qu’on est à son gré cruel ou généreux.
Il se jette aux pieds du Roi.
Seigneur, loin de souiller ma gloire,
Et de faire éclater un barbare courroux,
1325 Regardez-moi rougir de a victoire,
Et suivre désormais des sentiments plus doux :
Voyez-moi réparer le sort qui vous opprime;
Et forçant mon étoile, attendre à vos genoux,
Le juste châtiment que mérite le crime
1330 De s’être avec l’État révolté contre vous.
Prononcez mon arrêt, l’exemple est nécessaire ;
Faites-vous justice aujourd’hui.
Un fils qui s’arme contre un père,
Quelques durs traitements qu’il ait souffert de lui,
1335 Doit subir un trépas sévère.
Frappez, je recevrai le coup sans murmurer
De votre main encore trop heureux d’expirer.
LE ROI.
Mon fils, un trait si grand et si digne d’estime
Me fais rougir d’avoir trop cru
1340 Les Astres que dément votre Vertu sublime.
Au lieu de châtiment mon sceptre vous est dû.
Qui sait se vaincre ainsi, mérite la Couronne.
Après ce changement qui m’enchante et m’étonne
Régnez sur mes États que vous avez conquis
1345 Par la force bien moins que par votre clémence ;
Et que le bien public soit votre récompense.
De l’Empire à vos yeux pour relever le prix,
Possédez avec lui cette aimable Princesse.
Vous rendant tous heureux, mes voeux seront remplis.
1350 Je ne veux me livrer dans ma douce vieillesse
Qu’au bonheur d’être père et d’avoir un tel fils.
SIGISMOND.
Seigneur, à vos bontés votre fils trop sensible
Ne prend en main les rennes de l’État
Que pour en soutenir tout le fardeau pénible,
1355 Et pour vous en laisser la gloire et tout l’éclat
Et vous, illustre Sophronie,
Vous, qui m’avez appris à triompher de moi,
Vous, l’auteur généreux du repos de ma vie,
C’est pour vous couronner que je veux être Roi :
1360 Je ne fais que vous rendre un bien que je vous dois.
Votre main précieuse est le seul que j’envie.
De Souverain le titre ne m’est doux
Que pour mieux mériter celui de votre époux.
SOPHRONIE.
Mon bonheur est parfait, si je comble le vôtre,
1365 Je haïrais le Sceptre, en le tenant d’un autre.
SIGISMOND, à Clotalde.
Approches, noble défenseur,
Du Roi mon Père et de ton Maître.
Le zèle que pour lui ton âme a fait paraître
Ne peut être payé de toute ma faveur.
LE ROI.
1370 Mon fils, cette conduite aussi sage qu’Auguste,
Annonce à vos sujets le règne d’un roi juste.
SIGISMOND.
C’est l’heureux fruit de vos rigueurs.
Elles m’ont convaincu que toutes les grandeurs
Ne font qu’une chimère ou le sommeil nous plonge ;
1375 Qu’excepté la Vertu, tout n’est rien que mensonge ;
Que notre prévoyance est un tissu d’erreurs,
Notre espoir un fantôme, et notre vie un songe.