LES DEUX FRÈRES GÉMEAUX OU LES MENTEURS QUI NE MENTENT POINT.
COMÉDIE

Edme Boursault

A PARIS, Chez THOMAS JOLLY, au Palais, dans la petite Salle des Merciers, à la Palme & aux Armes d’Hollande.
M. DC. LXV.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Vanessa Viola sous la direction de Georges Forestier (2003-2004)

Introduction §

Edme Boursault occupe une place importante au sein de la période classique. À la fois dramaturge, romancier, épistolier, journaliste ou encore poète, il permet une vue d’ensemble sur le XVIIe siècle. Adversaire de Molière, de Boileau et de Racine, Boursault prend part dans les querelles littéraires importantes de son époque. Sa vie, comme nous le verrons, est sinueuse car chaque sourire de la fortune est suivi d’un revers.

La pièce qui nous intéresse clôt la première période des œuvres comiques de la vie du dramaturge. Les Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point s’inspirent du théâtre antique de Plaute et exploitent la ressemblance entre deux frères jumeaux et les confusions que cette situation entraîne. La comédie s’articule autour d’un jeu d’hésitation sur l’identité des différents personnages. Initialement conçue en cinq actes, Boursault réduit la pièce à trois actes en effectuant quelques modifications, elle s’intitule désormais Les Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point. Un véritable mystère entoure les circonstances du remaniement de cette pièce, on ne connaît pas la date précise de ces changements et les conditions de la représentation restent obscures.

Esquisse bio-bibliographique §

Sa vie §

Edme Boursault naît au début du mois d’octobre 1638 à Mussy-l’Evêque, dans une des premières familles de la région de Champagne. Son père, un ancien militaire1, néglige son instruction ; enfant, Boursault n’étudie pas le latin, ni le grec, ni même le français. Envoyé à Paris en 1651 par Sébastien Zamet, l’Evêque de Langres, il est désormais protégé par Pellisson et apprend rapidement la langue française, la poétique et la versification en devenant le disciple de Des Barreaux :

Il ne parloit que Franc-Champenois, & ne sçavoit que grossièrement la langue Françoise : Cependant en peu de mois ce jeune homme sçut de lui-même se tirer de cette barbarie ; & il parvint en moins de deux ans à pénétrer toutes les beautez & toutes les délicatesses d’une langue, qu’il a possedée dans la plus exacte & la plus parfaite pureté2.

Durant sa jeunesse, il écrit ses premières comédies et se lie d’amitié avec les frères Corneille dont il ne se séparera jamais : Thomas Corneille l’incite même à entrer à l’Académie malgré ses lacunes linguistiques : « Il n’est pas question d’une Académie Grecque, ou Latine ; mais d’une Académie Française. Et qui sait le Français mieux que vous3 ? » mais Boursault refusera. Cette première période de la vie de Boursault reste obscure pour les biographes qui l’ont étudiée, la grande naïveté et la bonne humeur du jeune dramaturge en rythment les différentes phases. On le décrit souvent ainsi :

Une grande vivacité d’esprit, une gaieté piquante dont l’étude n’avait pas altéré la saveur bourguignonne, une singulière facilité de parole et de phrases, et avec tout cela un fond sérieux d’honneur et de franchise multiplièrent promptement ses relations4.

Aux alentours de 1660, il devient secrétaire des commandements de la duchesse d’Angoulême5 qui était la veuve du fils naturel de Charles IX. Un an plus tard, elle lui demande de se rendre à Sens et de lui adresser un compte-rendu de son voyage, il est tant apprécié qu’on le sollicite désormais énormément pour écrire des gazettes de ce genre. C’est ainsi qu’il devient gazetier royal et perçoit une pension de deux mille livres avec « bouche à Cour ». Mais il perd rapidement ce privilège à cause d’une plaisanterie sur la barbe d’un capucin qui choque le confesseur de la Reine. Elle ordonne alors au Chancelier Séguier l’arrestation de Boursault, mais une fois en prison, le Chancelier autorise le dramaturge à écrire à ses protecteurs. Ce dernier envoie alors une lettre au Prince de Condé qui lui permet d’être libéré.

C’est à la même époque qu’il prend parti contre Molière dans la querelle de L’Ecole des femmes. Fréquentant le cercle Costar qui regroupe les ennemis de Boileau et de Molière, et influencé par Corneille et par les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, il croit se reconnaître dans le personnage de Lysidas, le poète dans la pièce de Molière. Il riposte alors avec Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’Ecole des femmes qui sera un échec. En 1666, il se marie avec Michelle Milley avec qui il aura onze enfants, le premier naît au mois de septembre 1669. Ses luttes ne sont pourtant pas terminées ; attaqué par Boileau dans Les Satires6, il répond par une nouvelle pièce intitulée La Critique des satires de M. Despréaux dont la représentation est interdite à cause de son titre, elle est imprimée en 1667 sous le nom de Satire des Satires. À partir de 1694, le nom de Boursault est remplacé par celui de Pradon et, près de dix-huit ans après le triste épisode des Satires, apprenant que Boileau prenait les eaux à Bourbon-l’Archambault et qu’il était à court d’argent, Boursault lui offrit une bourse de deux mille louis et le critique fût désormais plus indulgent avec le dramaturge. C’est ainsi qu’il déclara à Brossette le 1er avril 1700 : « Venons à M. Boursault qui est, à mon sens, de tous les auteurs que j’ai critiqués, celui qui a le plus de mérite7 ».

Boursault se penche ensuite sur l’instruction morale du fils de Louis XIV avec La Véritable étude des souverains, dédiée à Monseigneur le Dauphin qui plut beaucoup au Roi. Ce dernier décide de nommer le dramaturge sous précepteur du Dauphin mais ayant conscience de ses lacunes latines, Boursault décline cet honneur. En guise de dédommagement, il est nommé en 1672 receveur des tailles8 à Montluçon et s’établit ainsi quelque temps en Province. Son emploi consiste alors à récolter les impôts au nom du Roi. Mais son excès de bonté le fait révoquer de ses fonctions en 1688. Une fois à Paris, il a pour projet de faire revivre La Muze historique, interrompue depuis le mois de mars 1665, date de la mort de Jean Loret. Après quelques timides essais, il débute en 1691 un journal en vers, La Muse enjouée dans lequel théories littéraires et anecdotes se mêlent mais le Chancelier Boucherat lui retire subitement son privilège à cause d’une critique sur Guillaume III, Roi d’Angleterre, qui déplut à Louis XIV. Deux périodes distinctes apparaissent alors dans la vie de Boursault :

Il y a deux époques bien marquées dans sa vie. La première nous le montre très affairé, très répandu, fort occupé de fêtes, de voyages, de petits vers et d’aventures galantes. C’est le temps de ses premières pièces, du Médecin volant, des Nicandres, de ses premiers romans et des Lettres de Babet. C’est aussi le temps de ses fameux démêlés avec Molière et Boileau. Il a la verve, l’entrain, la bonne humeur, et aussi la naïve présomption de la jeunesse, et ne s’inquiète guère du lendemain. Dans la seconde époque, fixé à Montluçon, venant toujours plus rarement à Paris, plus recueilli, plus sédentaire, attentif à sa maison, préoccupé de l’avenir de ses enfants, plus que jamais attaché à la religion, tout son talent s’épure et ce qu’il écrit respire une sorte de gravité pieuse, qui va parfois jusqu’à la tristesse. Même il devient sermonneur, sans gronder pourtant, ni affecter des airs pédantesques, mais en homme convaincu, dont la sagesse est expansive et s’insinue doucement dans l’âme du voisin9.

Deux ans plus tard, il met en action des fables antiques dans sa nouvelle comédie, Esope à la ville, qui remporte un grand succès auprès du public parisien et qui sera traduite dans plusieurs langues étrangères. Ce triomphe l’incite à écrire la suite des aventures d’Esope, Esope à la Cour qui sera représenté après sa mort. On retrouve dans ses œuvres une progression à la fois poétique et morale car Boursault a débuté par un style d’écolier naïf pour aboutir aux leçons de sagesse qu’il délivre dans ses deux Esope. À la fin de sa vie, il reconnaît la grandeur de Molière en lui rendant hommage dans une épigramme posthume. Il meurt à Paris le 15 septembre 1701 d’une maladie subite et est enterré au cimetière des Théatins, ordre auquel son fils aîné, Chrysostome, appartenait.

Ses œuvres §

Boursault dramaturge §

Les œuvres théâtrales de Boursault ne sont pas particulièrement nombreuses par rapport aux dramaturges contemporains, seulement seize pièces, des farces, des comédies pastorales, héroïques, d’intrigues ou de mœurs mais aussi des tragédies. La grande diversité de son œuvre constitue un témoignage particulièrement intéressant sur les mœurs du XVIIe siècle. Les premières pièces de Boursault sont des comédies souvent oubliées par la postérité et considérées comme des essais. Ainsi, Le Médecin volant (1661), Le Mort vivant (1662) et Les Cadenas ou Le Jaloux prisonnier (1663) sont « des études de style, du style comique du temps. L’invention est confuse, la langue est un peu vulgaire ; çà et là cependant l’entrain, la bonne humeur, une certaine franchise de dialogue, annoncent des qualités aimables et un esprit bien doué10 ». Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’Ecole des femmes a été rédigé en réponse à Molière, cette satire met en scène des personnages qui discutent sur la représentation de L’Ecole des femmes. Boursault reproche principalement à Molière le réalisme de certaines scènes et le mélange du tragique et du bouffon. Cette pièce sera un véritable échec. En 1665, Les Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point représentent la dernière pièce de ses œuvres de jeunesse, nous en parlerons plus longuement par la suite.

Un an plus tard, Boursault s’inspire d’un poème de l’Abbé de Cérisy intitulé Les Yeux de Philis changez en astres pour écrire une pastorale. C’est en réponse aux attaques de Boileau que Boursault compose une autre comédie, La Satire des satires qui est imprimée en 1667 mais n’a jamais été représentée sur scène. Il écrit ensuite deux tragédies, la première Germanicus date de 1673, elle reçoit un grand succès auprès de ses contemporains mais dix ans plus tard, Marie Stuard n’est malheureusement pas aussi bien accueillie.

On découvre en 1683 dans La Comédie sans titre une réelle volonté d’enseigner la sagesse tout en divertissant. Comédie à tiroirs, la pièce se présente sous la forme d’une galerie de portraits ponctuée d’une série de tableaux comiques inspirée par le Mercure galant. Ironiquement, Boursault décide de ne pas lui donner de titre en réponse aux attaques faites par le fondateur du journal, Donneau de Visé. Ce dernier lui avait fait interdire de nommer sa pièce Le Mercure galant. Mais la comédie reçoit un très bon accueil de la part du public et reste encore appréciée de nos jours.

Phaéton est une comédie héroïque en vers libres qui date de 1691 mais qui n’a pas remporté le succès escompté. Trois ans plus tard, Les Mots à la mode en un acte, sont davantage appréciés par le public ; en fin observateur de son temps, Boursault exploite la manière de parler et de s’habiller de ses contemporains.

Il compose en 1694 les paroles d’un opéra commandé en secret par une dame qui voulait montrer cette pièce au Roi, mais la surprise échoue et Méléagre ne sera jamais mise en musique. Ce n’est pas la première fois que Boursault écrit une tragédie lyrique, en effet quatre ans plus tôt, La Fête de la scène (1690) était accompagnée de musique lors de sa représentation à Asnières.

En 1690, Esope à la ville est accueilli avec enthousiasme. Boursault s’inspire largement des Fables de La Fontaine, son succès l’encourage à écrire un second volet qui sera représenté seulement après sa mort. Esope à la Cour critique les travers et les ridicules des courtisans pendant le règne de Louis XIV.

Une seule édition de son théâtre est publiée du vivant de l’auteur mais elle a fait scandale car elle était précédée d’une lettre du Père Caffaro, supérieur du couvent des Théatins, qui approuve fortement le théâtre :

Faut-il aussi faire cesser la Comédie qui sert aux hommes d’un honnête divertissement, parce qu’on y représente des Fables avec bienséance & modestie, & qu’il se trouve quelqu’un qui ne peut pas les voir sans ressentir en soi les passions qu’on y représente11 ?

Cette préface a été beaucoup critiquée car elle remet en question la position de l’Église à cette période qui condamnait vigoureusement cette forme de divertissement.

Boursault journaliste et romancier §

Ses gazettes étaient très appréciées au XVIIe siècle mais à ce jour elles ne sont toujours pas publiées. Boursault touche à l’ensemble de l’actualité, fait exceptionnel pour l’époque. Dans les années 1665-1667, il tente de succéder à Loret et rédige quelques vers burlesques sans grand succès. Ce n’est qu’après son loyal service envers la Duchesse d’Angoulême et après sa courte nomination en tant que gazetier de la Cour qu’il tente d’écrire, en 1691, La Muse enjouée. Ses chroniques sont à la fois politiques et littéraires, elles relatent les évènements des salons, de la vie royale et du quotidien de Paris. On peut alors considérer Boursault comme un des premiers journalistes, ses gazettes étant antérieures au Mercure Galant. Elles sont complétées par ses lettres qui retracent également les nouvelles de Paris et de Versailles. Rédigées entièrement en prose ou mêlées de vers, elles constituent un véritable témoignage de son époque. Louis-Marie-Armand de Simiane de Gordes, Duc-Evêque de Langres, avait chargé Boursault de lui adresser les anecdotes parisiennes afin d’égayer son diocèse. À la même époque, Boursault entretenait un commerce épistolaire avec Anne de Bavière, le Maréchal de Noailles ou encore le Prince de Condé. Rassemblées en trois volumes, elles ont été réimprimées plusieurs fois.

En 1666, le dramaturge s’exerce à l’art du roman épistolaire avec les Treize lettres d’une dame à un cavalier et, en 1669, les Lettres à Babet reçoivent un très bon accueil de la part de ses contemporains. Elles sont encore appréciées de nos jours. Puis, durant les années 1667 et 1672, Boursault se tourne vers la poésie avec L’Ode au Roy, A la Reyne et le sonnet Aux Hollandois mais préfère privilégier les romans. Ainsi, La Véritable étude des souverains, dédiée à Msg le Dauphin est un essai sur l’éducation d’un futur Roi selon les modèles gréco-romains et moyenâgeux. Il rédige par la suite deux romans passionnés sur un fond de décor historique : Artémise et Poliante (1670) et Le Marquis de Chavigny. La préface du premier est un compte-rendu critique de la première représentation de Britannicus, il lui apporte un nouvel adversaire, Racine, qui ne donne pas suite à ces attaques. En 1675, son roman Le Prince de Condé lui procure une renommée européenne. En deux tomes et teinté de notes espagnoles, Ne pas croire ce qu’on voit est le dernier roman de Boursault que l’on a souvent attribué à tord à Scarron.

La pièce §

Création et représentation §

Souvent dénigrée, cette pièce constitue une réelle prouesse pour quelqu’un qui n’avait pas suivi d’études classiques durant sa jeunesse. Le lexique est très recherché et l’auteur tente de créer son propre style. La pièce est construite sur le principe du dédoublement de l’identité des personnages. S’inspirant de Plaute, Boursault articule son intrigue autour du thème de la ressemblance. Sa version est totalement différente des Ménechmes, mais le point de départ reste le même. Deux frères jumeaux séparés depuis longtemps se retrouvent dans la même ville et sont successivement pris l’un pour l’autre. On ne peut pas considérer la pièce de Plaute comme la véritable source des Menteurs qui ne mentent point car les ressemblances entre les deux pièces sont infimes.

Shakespeare conserve le même plan que Plaute dans La Comédie des erreurs, imprimée en 1623. Les deux frères, appelés Antipholus, ne profitent pas de la situation, mais l’auteur complique l’intrigue en leur ajoutant deux valets jumeaux, les Dromions. Les méprises sont par conséquent plus nombreuses et plus complexes que dans les autres pièces. En 1632, Jean de Rotrou adapte la pièce de Plaute en conservant le même titre, Les Ménechmes, la même intrigue et les mêmes actions des personnages. Il ajoute à la pièce une intrigue amoureuse, celle de Ménechme Sosicle avec Erotie, mais elle reste très proche de sa source latine. Boursault ne suit pas cet exemple, il modernise à la fois le lieu et l’époque, Les Menteurs qui ne mentent point se déroulent à Paris dans les années 1660 et non plus à Epidamnum durant l’Antiquité. L’intrigue est dédoublée grâce à l’utilisation du principe de gémellité. Le thème de la ressemblance était déjà présent dans ses comédies antérieures. Dès sa première pièce, Le Médecin volant en 1661, Boursault met en scène un valet, Crispin, qui se fait passer pour un médecin afin d’aider son maître Cléon à épouser Lucrèce. Crispin fait croire ensuite qu’il est le frère de ce médecin : « Il me semble / Que ce frère en colère à peu près te ressemble12 » et joue de ces équivoques jusqu’à la fin de la pièce. Un an plus tard, Le Mort vivant est construit autour de fausses confusions créées volontairement par Fabrice pour se marier avec Stéphanie. Il incite son valet Gusman à utiliser sa ressemblance avec l’Ambassadeur d’Afrique – « Vous avez chacun mesme traits », « Les plus fins confondraient vos portraits13 » – et tente ainsi d’éloigner son rival Lazarille de celle qu’il aime. Puis en 1663, dans Les Cadenas, la ressemblance est une fois de plus employée dans le but de tromper un personnage, il s’agit du barbon Spadarille qui, aveuglé par la jalousie, a enfermé sa femme Olympie dans sa chambre. Aidée par son amant Cléandre, Olympie parvient à sortir de sa chambre et décide de se faire passer pour son propre sosie, qui serait la maîtresse légitime de Cléandre. Le stratagème réussit et le barbon finit par être enfermé dans cette même chambre à la fin de la pièce. Dans Les Menteurs qui ne mentent point, pour la première fois les personnages n’essaient pas de tromper quelqu’un. Il n’y a pas de complot, ni de feinte et l’originalité de la pièce réside dans le fait que tous les personnages croient justement qu’il y en a un.

La pièce en cinq actes n’a sûrement jamais été représentée sur scène, aucun document ne concerne cette représentation, seulement la seconde version, Les Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point, est citée dans les textes. Elle est jouée à Paris par la troupe des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. Mais la date exacte de la première représentation est variable dans les ouvrages que nous avons consultés ; Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer manque de précision sur ce point :

Peut-être pourrions nous ajouter la comédie, Nicandres, de Boursault, dans laquelle Crispin, à savoir Raymond Poisson, interprète un rôle semblable à celui des pièces créées à l’Hôtel de Bourgogne en 1663. Il n’est cependant pas impossible que cette farce ait été jouée au début 1664 dans la salle de la rue Mauconseil14.

Maupoint place approximativement la représentation de la pièce dans le cours de l’année 166415. Mais Pierre Mélèse est plus précis (sans nous donner ses sources)16, selon lui, Les Nicandres sont joués en cinq actes, au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le dimanche 15 juin 1664. Or au XVIIe siècle, les premières représentations étaient toujours un vendredi mais Les Nicandres étant en trois actes, il est probable qu’ils accompagnaient une grande pièce en cinq actes un dimanche. Il est donc difficile de dater avec précision la première représentation de la pièce. Dans Le Mémoire de Mahelot, les décorateurs précisent que la pièce est jouée sur scène en trois actes mais rien ne confirme une représentation en cinq actes. Henry Carrington Lancaster fausse notre jugement dans sa note en datant la rédaction des Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point après celle des Nicandres :

Les Nicandres ou Les menteurs qui ne mentent point ou Les frères gémeaux, comédie de Boursault, représentée vers 1664, reprise le 25 septembre 1683. Il s’agit de l’édition de 1664 en trois actes. (…) Les éditions que j’ai pu trouver sont postérieures, en cinq actes. On y remarque, acte V, cour de prison ; V, 2, fenêtre grillée, III, 2, cartel ; V, 1, boîte à quêter ; V, 2, deux louis. Il n’y a pas de lettres. Le trousseau de clé appartient au sergent de la prison. Les premiers actes se passent dans la rue. On omet, III, 9, valise ; IV, 2, bouteille17.

Les éditions en cinq actes ne peuvent être postérieures à la version en trois actes mais obligatoirement antérieures. Lancaster commet la même erreur dans A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century18, en pensant que Boursault aurait augmenté la pièce pour qu’elle soit en cinq actes alors qu’elle a été réduite. On note sept représentations supplémentaires des Nicandres au théâtre du Palais-Royal entre le mois de septembre et le mois de décembre 1683. Elle est jouée deux fois l’année suivante dont une à Chambord où elle accompagne Iphigénie, et les deux dernières représentations qu’on peut relever se déroulent en 1685.

Résumé de l’action §

Acte I §

La pièce s’ouvre sur les hésitations d’une jeune fille, Hipolite qui n’ose pas avouer son amour à celui qu’elle aime. Troublée, alors qu’elle tente de révéler timidement ses sentiments à Nicandre, sa suivante Jacinte, plus courageuse, le fait à sa place. En retour Nicandre lui déclare sa flamme, mais il a un frère jumeau et ne peut se marier sans l’accord de celui-ci. Il part donc immédiatement à sa recherche. Une jeune femme déguisée en homme arrive alors sur scène et explique sa colère à Hipolite et à Jacinte ; elle aussi aime Nicandre, il a promis de l’épouser deux mois auparavant à Lyon. Hipolite, influencée par Jacinte, commence à douter de celui qu’elle aime sans se rendre compte que l’homme dont parle Ismène est en réalité le frère jumeau de Nicandre et porte le même prénom.

Le second Nicandre, amant d’Ismène, vient d’arriver à Paris et est à la recherche de son frère. Il rencontre Hipolite et Jacinte qui le questionnent sur son amour lyonnais en pensant s’adresser à son frère. Ne cherchant pas à dissimuler la vérité, il avoue ses sentiments pour Ismène et ne comprend pas les raisons de la colère des deux jeunes femmes.

L’acte se clôt sur une dernière confusion : le second Nicandre rencontre Ragotin, le valet de son frère qui le prend pour son maître. La première erreur a ainsi entraîné une série d’erreurs secondes et c’est la ressemblance entre les deux frères jumeaux qui permet cette suite de quiproquos comiques.

Acte II §

Ismène calomnie le premier Nicandre qui ne la reconnaît évidemment pas, furieuse, elle lui remémore les moments passés mais il lui affirme ne l’avoir jamais aimée. Il rencontre alors Jacinte et réussit à la convaincre d’organiser une entrevue avec Hipolite afin de lui redire qu’il l’aime, ils se donnent rendez-vous dans une heure. Mais ce sera le second Nicandre qui viendra avec son valet Robin. Les quatre personnages se disputent car chacun d’entre eux parle d’un passé différent :

  • – Jacinte pense que Nicandre est un menteur car il prétend aimer Ismène ;
  • – Hipolite en veut à Jacinte de la ridiculiser et ne comprend pas les réactions de Nicandre ;
  • – Robin, qui était avec le premier Nicandre et qui vient de recevoir un soufflet pour son impertinence, ne soutient pas son maître et le laisse se débrouiller sans l’aider ;
  • – et enfin, le second Nicandre ne comprend pas les réactions des autres personnages envers lui.

Jacinte achève la discussion en donnant un soufflet à Robin, et les personnages se séparent sur ce malentendu. Isidore, encouragé par sa fille Hipolite, décide de venger l’affront que Nicandre a commis.

Acte III §

Ismène veut emprisonner Nicandre pour se venger de l’inconstance et de la fourberie qu’il a eues envers elle. Pour cela, elle a demandé à Ragotin, qui est devenu son valet, de porter à Nicandre une lettre le provoquant en duel dans un endroit où des archers l’attendraient. Ragotin va donner la lettre au premier Nicandre au lieu du second qui attend patiemment Jacinte et Hipolite, ne sachant pas que l’entretien a déjà eu lieu.

Le père d’Ismène, Eutrope surgit tout à coup et, aidé d’Isidore, ils se saisissent tous les deux du premier Nicandre qui réussit à s’enfuir et se réfugie chez Hipolite. Sans le vouloir, Robin fait tomber les deux hommes et, le second Nicandre apercevant de loin la scène, va se cacher lui aussi chez Hipolite. Finalement seul Robin est emprisonné en tant que complice de Nicandre.

Acte IV §

Le premier Nicandre rassure Hipolite en lui certifiant son amour, puis se rend au rendez-vous fixé par la lettre d’Ismène. En chemin, il rencontre Robin qui s’est échappé de prison et lui affirme que tout est arrangé.

Pendant que Robin tente de séduire Jacinte, le second Nicandre ressort de la maison d’Hipolite où il s’était réfugié. Robin et Jacinte l’accusent de fourberie mais Hipolite, entendant la discussion de sa fenêtre, prend part au conflit en faveur de Nicandre. Celui-ci ne comprend pas pourquoi Hipolite le défend et continue à clamer son amour pour Ismène. Une fois parti, Hipolite demande à Jacinte de faire arrêter Nicandre.

L’acte s’achève sur la rivalité des deux jeunes femmes, Hipolite et Ismène, qui ont fait emprisonner les deux Nicandres. Cette rivalité fait écho à celle de leurs pères qui veulent chacun un mariage pour rétablir l’honneur de leurs filles.

Acte V §

Les confusions entre les deux jumeaux se poursuivent en prison où chacune des fiancées vient voir celui qu’elle aime et tombe sur son frère. La dernière scène fait apparaître les deux Nicandres face à face et résout tous les quiproquos, le premier Nicandre épousera Hipolite, le second, Ismène ; et Robin et Jacinte se marieront également.

L’intrigue §

La pièce qui nous intéresse est régulière dans son ensemble, elle suit le principe préétabli des comédies classiques, à savoir le schéma union, désunion et réunion des amants. Cette comédie est structurée par rapport à son dénouement qui se présente sous la forme de mariages. Elle débute sur le ton de la narration avec les confidences d’Hipolite, ce procédé qui nous donne l’impression de surprendre une conversation est fréquent à l’époque classique. Il permet d’exposer facilement les premiers éléments de l’intrigue et de mobiliser l’attention des spectateurs particulièrement turbulents à cette période. Conformément aux règles du XVIIe siècle, l’exposition est claire et ordonnée, elle s’étend sur le premier acte et contient toutes les informations nécessaires à la compréhension de la pièce.

L’intrigue repose sur une suite de quiproquos ; les obstacles sont extérieurs à la volonté des héros qui ne font que subir les confusions que leur ressemblance entraîne. Le premier malentendu (I, 4) entraîne une série d’autres équivoques qui rythment la pièce. Il y a deux sortes de méprises :

  • – soit on croit parler à l’un des deux Nicandres alors qu’on s’adresse en réalité à son frère ;
  • – soit on est en face de la bonne personne mais on lui reproche des actes qu’il n’a pas commis (ceux de son frère jumeaux).

Dans les deux cas les confusions deviennent comiques et constituent le véritable ressort de l’action. La tension est permanente mais cette cascade de quiproquos peut lasser le lecteur, d’ailleurs Victor Fournel n’hésite pas à qualifier la pièce de « perpétuel imbroglio, (d’)inextricable enchevêtrement de ressemblances et de confusions (qui) fatiguent l’esprit après l’avoir amusé19 ». En effet, l’utilisation intense des quiproquos peut perturber le spectateur et l’induire en erreur. Nous pouvons penser que ce sont en partie ces confusions qui poussèrent Boursault à réécrire sa pièce et à la simplifier. De plus, l’intrigue est dédoublée, il y a en effet deux intrigues principales articulées autour des deux Nicandres. Les domestiques imitent leurs maîtres et ce jeu de miroir produit des effets comiques tout au long de la pièce.

Le dénouement est rapide, en une scène les deux frères paraissent l’un à côté de l’autre et résolvent ainsi tous les quiproquos précédents. On peut se demander si lors de la représentation ce n’était pas un seul acteur qui jouait successivement les deux rôles tandis qu’au dénouement un figurant habillé et coiffé de la même façon venait déclamer les dernières répliques. Nous n’avons trouvé aucune information relatant les procédés précis de la représentation. La dernière scène s’inscrit comme le résultat logique de toutes les méprises dues au hasard. Cet achèvement est traditionnel car tous les personnages importants sont réunis sur scène et de plus, à l’instar de la majorité des comédies, la pièce se termine dans le bonheur avec un triple mariage.

Unités et conventions classiques §

Au niveau de la règle des trois unités, Boursault respecte l’unité de temps, on peut supposer que la pièce se déroule en moins de vingt-quatre heures car il n’est jamais question du lever ni du coucher du soleil et les rendez-vous que se fixent les personnages ne sont jamais espacés de plus d’une heure. En une seule journée les actions ne peuvent pas se multiplier mais on relève pourtant près d’une vingtaine de méprises. Boursault respecte l’exigence de vraisemblance requise à l’époque si l’on suit le système d’unification de l’action expliqué par Jacques Scherer dans son ouvrage20. Par contre il rompt avec ce même principe de vraisemblance en violant l’unité de lieu car les quatre premiers actes se déroulent sur une place parisienne, devant la maison d’Hipolite et le dernier se passe dans la cour d’une prison. Le public du XVIIe siècle aime reconnaître sur scène des endroits qu’il a l’habitude de voir tous les jours, ainsi l’action a lieu dans les rues de Paris. Le Cartel envoie Nicandre au Cours la Reine, promenade à la mode au XVIIe siècle, Ismène habite rue aux Ours, où il y a une enseigne représentant un dauphin, et Ragotin va chercher un nouveau maître devant les marches du Palais de Justice. Nous pouvons d’ailleurs relever une incohérence lorsque le dramaturge précise au bas de la liste des personnages que « la scène est en prison » alors que les quatre premiers actes ont lieu sur une place publique. Dans Le Mémoire des décorateurs de l’Hôtel de Bourgogne, une note précise qu’il faut « une prison où il y ait une fenestre ; un billet, une boitte, des jettons, des lestres, un trousseau de clefs21 » pour le dernier acte mais ne parle pas du carrefour où se rencontrent les personnages. Nous pouvons imaginer qu’il n’y avait qu’un seul décor tout au long de la pièce.

Selon les théoriciens de la période classique, le dramaturge doit respecter à la fois la vraisemblance et la bienséance, il doit adapter sa pièce en fonction de ces deux notions. Nous pouvons penser que le personnage d’Ismène rompt avec la première exigence car il paraît impossible à un spectateur de l’époque de ne pas reconnaître la voix ou le visage d’un personnage déguisé. Pourtant le public du XVIIe siècle accepte parfaitement ce type d’invraisemblance. Il tolèrera moins la suite de malentendus causée par la ressemblance exacte entre les deux Nicandres. Dans la seconde version de la pièce, Boursault supprime de nombreuses scènes d’équivoque qui devaient paraître invraisemblables à l’époque. Il considère important de respecter cette règle :

Je t’ai cent fois dit que ce qu’il y a de contraint dans une comédie fatigue ordinairement, et ne divertit jamais ; qu’une action, pour être belle, devait avoir beaucoup de vraisemblance ; et qu’un auditeur n’a pas la moitié du plaisir qu’il espérait, quand on représente des vérités qui ne devraient pas être véritables22.

Les corrections effectuées dans Les Nicandres ne participent pas totalement à cette exigence ; mais nous pouvons penser que le remaniement de la pièce est plutôt dû à la troupe des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne qui lors de la lecture ont sûrement trouvé Les Deux frères gémeaux trop confus pour les représenter devant le public. Boursault a donc transformé sa pièce pour que les comédiens puissent la jouer sur scène.

Il est également important de ne pas choquer les goûts et les idées morales du public. Les Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point respectent cette convention dans l’ensemble mais le vocabulaire qu’utilisent les domestiques reste un écart par rapport à la tradition. Dans ce passage, Robin s’adresse à Jacinte sur un ton burlesque et incongru qui pouvait choquer le public des années 1660 :

A ton peste de bras qui n’a pas la main morte
Je souhaite la galle, & qui mine ton corps ;
A ta jambe une ulcere ; à ta cuisse une goutte ;
Que de toy desormais tout chacun se dégouste ;
Je souhaite à ton ventre une canine faim,
Et que pas un mortel ne te donne du pain ;
Loin d’avoir des appas, et des charmes qui brillent,
Je souhaite à ton sein des tetons qui brandillent ;
A ton bas de visage un menton fort pointu ;
A tes dents une bresche à passer tout vestu23.

Ce passage a été supprimé dans Les Nicandres car Boursault a dû s’apercevoir qu’il n’était pas conforme aux exigences du classicisme. Il a essayé de réadapter sa pièce en prenant davantage en compte les demandes des spectateurs. On découvre déjà une réelle volonté de respecter la bienséance dans la première version avec le couple des vieillards. Eutrope et Isidore sont conscients du déshonneur et de l’outrage causés par les Nicandres et tentent de réhabiliter leurs filles :

Le mal-heur d’une fille émeut l’ame d’un pere ;
Peut-etre est-elle grosse, et je sçay le moyen24

Les aspects farcesques de la pièce peuvent également choquer le lecteur-spectateur du XVIIe siècle car les domestiques n’hésitent pas à rendre un mot équivoque en jouant sur son double sens et à faire ainsi des allusions obscènes.

Les personnages §

Nous étudierons les personnages suivant l’ordre dans lequel ils sont présentés dans la liste des acteurs, cet ordre reflète la société du XVIIe siècle. Dans la majorité des pièces de théâtre de l’époque, la classification des personnages est rigoureuse et est établie selon une pyramide sociale hiérarchisée : l’autorité en premier, puis les héros et leurs valets, et enfin les autres acteurs moins importants. Boursault respecte cette tradition et crée des personnages très différents les uns des autres. La diversité est réalisée à la fois dans la psychologie mais également dans la parlure de chacun d’entre eux. Il s’agit de « faire parler chacun (des) personnages non seulement en fonction d’une situation donnée, mais encore en fonction de sa condition, de sa classe sociale et de son caractère25 ». Il serait intéressant d’analyser ces personnages selon les mots qu’ils emploient et selon la façon dont ils les utilisent. Trois types distincts peuvent être remarqués dans la pièce, à savoir les vieillards instruits et réfléchis, les personnages nobles qui sont caractérisés par leur élégance et enfin les domestiques qu’on reconnaît immédiatement grâce aux tournures populaires qu’ils utilisent. Chacun de ces groupes possède un vocabulaire précis qui lui correspond, Boursault a mis en scène des couples qui représentent des types de personnes bien précis, on parlera de sociolecte car chaque groupe d’individus a des spécificités langagières qui lui sont propres.

Isidore et Eutrope §

Placés en tête de la liste des acteurs, les deux vieillards représentent l’autorité, mais une autorité tolérante qui ne cherche pas à empêcher les choix de leurs filles. Bien au contraire, ils les soutiennent et veulent rétablir l’honneur qu’elles ont perdu. Isidore est présenté dans la liste des personnages comme un homme savant, il se caractérise principalement par son idiolecte. Lui seul utilise la langue de cette façon et devient rapidement un ornement littéraire qui a pour seul but de faire rire. Stéréotype issu du théâtre antique de Plaute et des comédies érudites italiennes du XVIe siècle, il représente un type figé de personnage, celui du pédant comique. Il se présente lui-même comme un philosophe, usant de procédés rhétoriques, interpellant les « Dieux des Savants » et apostrophant les personnages de la mythologie romaine. De plus, son discours est ponctué de nombreux archaïsmes (v. 785 : vitupère, v. 897 : se mucer, v. 1239 : mes-huy…), et il n’hésite pas à utiliser le latin (v. 892 : in manibus vestris, v. 900 : in domum et v. 1580 : Ex abundantia cordis os loquitur). Il y a un grand écart entre Isidore et les autres acteurs de la pièce et c’est ce décalage qui crée des effets comiques et rend le pédant ridicule. Présent sur scène comme le père d’Hipolite, ses réflexions philosophiques sur les malheurs de sa fille s’opposent à la platitude d’Eutrope, le père d’Ismène. Le vocabulaire de ce dernier n’a rien d’exceptionnel mais reste tout de même plus recherché que celui des autres personnages de la pièce, il nous donne l’impression d’être présent en partie par opposition à Isidore dans le but de donner davantage de force à ce personnage.

Hipolite §

Hipolite et sa suivante occupent une place importante dans l’intrigue, ce sont elles qui débutent la pièce. On découvre rapidement qu’Hipolite est timide. Elle est troublée face à celui qu’elle aime et elle n’arrive même pas à lui avouer ses sentiments. Ce sera Jacinte, sa suivante, qui le fera à sa place et la sortira de l’embarras. Le caractère effacé d’Hipolite est destiné à donner plus d’importance à Jacinte qui obtient ainsi le premier rôle. De plus, Hipolite s’oppose à sa rivale Ismène par sa passivité, elle n’a qu’une seule peur, celle d’être outragée par celui qu’elle aime. L’aveu qu’elle a fait au premier Nicandre au début de la pièce lui a demandé beaucoup d’effort :

Je me sens interdite, et le charme qui brille…
Quand on est inquiette, et qu’on est une fille…
Le merite sublime a pour moy tant d’appas…
J’ose… le trouble… et quoy, ne mentendez-vous pas26 ?

Ce type de personnage correspond à l’idéal de la jeune femme du XVIIe siècle comme nous l’explique Jacques Scherer dans La Dramaturgie classique en France :

Les hommes ont le droit, dont ils usent largement, de déclarer leur amour aux femmes qui leur plaisent. Les femmes n’ont point ce droit. D’Aubignac affirme en termes catégoriques : « Il ne faut jamais qu’une femme fasse entendre de sa propre bouche à un homme qu’elle a de l’amour pour lui ». Pour tourner cette prohibition, mille subterfuges sont utilisés. Dans les cas les plus simples, l’aveu de l’amour d’une héroïne pour un héros peut se faire en trois étapes : l’héroïne avoue d’abord ses sentiments à une confidente, puis, en surmontant grand’peine sa pudeur, au héros lui-même, et enfin, ce qui est plus dur encore, à des tiers27.

Après s’être dévoilée timidement devant celui qu’elle aime, elle condamne elle-même son acte :

Je vous ayme ; ce mot est sans doute blasmable ;
Il m’échape à regret, mais il est véritable28.

Elle ne comprend pas pourquoi il l’expose « à ce honteux mépris29 » et, vexée, elle répète plusieurs fois qu’on la croit « abusée » au début de l’acte IV. Hipolite est blessée dans son amour-propre mais s’efforce de garder du courage durant toute la pièce.

Ismène §

Plus fougueuse que sa rivale, elle n’a pas de suivante et parvient à se débrouiller seule. Loin de chez elle, déguisée en homme, elle réussit à retrouver Nicandre. On peut imaginer qu’elle représente l’image future d’Hipolite si Nicandre l’abandonne. Abusée, elle tente de connaître par tous les moyens les raisons de l’attitude de son amant et cherche à se venger pour rétablir son honneur. Ce personnage acquiert une valeur guerrière en triomphant des obstacles et grâce à la reconquête finale de son amant. Son courage est récompensé au dénouement.

Les deux frères jumeaux §

Jeunes premiers de bonne naissance, ils portent le même nom et se ressemblent en tous points. Sincères, ils respectent le code de l’honneur et de l’amitié. Cette obéissance est compréhensible au XVIIe siècle car ces valeurs occupent une place importante dans la société. Les Nicandres ne cherchent pas à tromper quelqu’un mais sont pris malgré eux dans de fausses situations. Il s’agit de « dire le vrai en disant le vrai qui paraît faux30 ». Cette situation fait naître le désarroi dans le cœur des deux personnages qui mènent désormais un combat intérieur :

La charmante Hipolite a pour moy de l’estime,
Et je n’ose répondre au beau feu qui l’anime !
A mon cruel serment tous mes sens occupez31

Les héros sont placés devant un dilemme et luttent pour rester fidèles à leur parole. Il est très difficile de différencier les Nicandres l’un de l’autre, ils sont tous les deux amoureux et aveuglés par le serment qu’ils se sont fait. Mais le premier Nicandre s’inquiète de ne pas pouvoir épouser Hipolite et son frère se préoccupe davantage de la justice car il a peur d’être emprisonné à cause d’Ismène. Il se cache et cherche un refuge chez son ami Clidimace chaque fois qu’il n’est pas sur scène.

Jacinte §

Suivante d’Hipolite, sa première fonction est d’exposer le sujet, elle guide sa maîtresse et l’induit en erreur dès le début de la pièce. C’est elle qui avoue les sentiments d’Hipolite à sa place – « A quoy tant de façons ? Ma maitresse vous ayme32 » –, lui évitant ainsi d’enfreindre le principe de bienséance. Elle ne laisse pas le premier Nicandre se justifier auprès d’Hipolite sur son passé et sa promesse. Suspicieuse à l’égard de ce que ressent ce dernier, elle parvient à faire douter Hipolite. Son audace et sa hardiesse trompent le second Nicandre qui ne sait plus laquelle des deux jeunes femmes est au service de l’autre : « Dites-moy qui des deux est suivante ou maistresse33 ? » Ainsi, Jacinte est à la fois conseillère, intermédiaire et dame de compagnie, mais peut être aussi railleuse et effrontée. On lui découvre un penchant vers la grossièreté au fil du texte.

Robin §

Boursault a choisi de le placer avant Ragotin dans la liste des personnages alors que dans l’ordre logique il aurait dû être placé après. Ce choix ne peut être anodin. Robin est le valet du second Nicandre mais est davantage présent sur scène que le valet de son frère (181 répliques contre seulement 64 pour Ragotin). Il acquiert une importance croissante au fil des actes et finit par se marier avec Jacinte. Boursault accentue la différence entre les domestiques et les maîtres par le biais du lexique qu’il utilise. L’élégance dans les scènes entre les maîtres s’oppose à la familiarité et aux insultes des valets et de Jacinte. Cet écart apporte une véritable note comique au sein de la pièce. Robin emploie les mots « bigotte », « gaillarde », « donzelle », « peste de cagne », « cauteleuse pucelle », « tendron », « pauvre fille », « peste de Chienne », « friponne », « femelle insecourable », « sale beste », « fille mauvaise », ou encore « ma petite » pour parler des femmes et en particulier de Jacinte. Sur un ton burlesque, il n’hésite pas à proférer des imprécations envers celle qui lui plaît et à rompre plusieurs fois avec l’exigence de bienséance requise à l’époque. Ainsi il est « prest de (…) depuceler » Jacinte au dernier acte et conseille aux amoureux d’« aller dans une Chambre y conter (leur) vie ». Au début de la pièce, il parodie le discours amoureux de son maître et le discrédite totalement. Sa vision du mariage est particulièrement comique et s’oppose à celle de Nicandre :

Si je suis ton mary je reprendray ma bisque,
Et dessus ton visage appliquant tous mes doits
Pour un soufflet receu je t’en donneray trois34.

Son caractère malicieux lui permet de s’échapper de prison. Sa fidélité demeure le trait de caractère qui le différencie le plus de Ragotin.

Ragotin §

Type de personnage issu du Roman Comique de Scarron, il est récurrent dans les pièces classiques et a souvent des rôles de valet burlesque comme dans cette pièce. Son nom est le diminutif de « ragot » qui vient de « ragotter », synonyme de « quereller » à l’époque. Il garde cet aspect turbulent dans son caractère, à la fois effronté et familier avec son maître. D’ailleurs Ragotin n’hésite pas à trahir le premier Nicandre en devenant le valet d’Ismène. Il adopte une attitude plus sévère et plus fourbe que Robin, il décide immédiatement de se venger en changeant de maître : « Allons chercher fortune aux degrez du Palais35 ». Sa première réplique annonce le ton qu’il adoptera au cours de la pièce ; bas et populaire, son vocabulaire le place d’emblée dans la catégorie des domestiques. On découvre des effets de symétrie au fil du texte, la scène 10 du premier acte fait écho à la scène 6 du second. Dans les deux cas, des confusions sur l’identité de Nicandre ont lieu, les valets croient parler à leurs maîtres alors qu’ils s’adressent aux frères de ces derniers. Les deux scènes finissent de façon parallèle par l’exaspération des deux Nicandres et par les imprécations de leurs valets.

Les thèmes §

L’honneur et le mensonge §

La pièce s’articule paradoxalement autour de ces deux notions antithétiques. Elle est construite sur une série de faux mensonges, tous les personnages pensent que les Nicandres trompent les autres alors qu’ils restent fidèles à leurs principes. Les quiproquos sont tous involontaires et chaque personnage est mystifié à son tour. Il y a d’un côté les notions de respect, d’honneur et d’amitié, et de l’autre celles de tromperie, de mensonge et d’artifice. L’honneur est en effet une valeur importante dans la société du XVIIe siècle. Dans la pièce, aucun des deux Nicandres ne pense à rompre le serment fait avec son frère. Or, dans Les Ménechmes de Plaute, les jumeaux n’hésitent pas à profiter de la situation en s’amusant à corrompre l’honneur des femmes. Boursault s’écarte de cette conception antique et construit ses personnages autour de la sincérité pour se rapprocher de l’esthétique de son siècle.

Le courage occupe aussi une grande place au sein de la période classique, et Ismène ne l’oublie pas en envoyant son cartel :

Il a tant de courage et si peu de prudence,
Qu’à sa seule valeur osant trop se fier
Dans le Cours de la Reyne il sera le premier36.

Elle parvient à piéger Nicandre grâce à son sens de l’honneur et à son courage, mais pourtant elle pense qu’il lui ment. Cette situation est paradoxale car Ismène se venge du déshonneur qu’elle a subi en utilisant l’honneur de son amant ; elle sait donc que Nicandre correspond à l’idéal de l’honnête homme du XVIIe siècle et retourne cette qualité contre lui-même. L’isotopie de la fourbe est filée tout au long du texte par les adjectifs « artificieux, embaleur, forfaicteur, fourbe, inconstant, infidelle, insolent, lasche, matois, perfide, suborneur, traistre, volage » et les substantifs ainsi que les verbes qui incluent l’acception de mensonge et de tromperie dans leur sens. De plus, la thématique du refus s’étend à l’ensemble de la pièce.

Déguisements et fausses apparences §

L’art de se déguiser est courant dans les pièces classiques, le XVIIe siècle marque l’apogée de ce phénomène. Boursault fait appel à deux formes distinctes de déguisements, l’une consciente et l’autre inconsciente. Le travestissement d’Ismène est parfaitement voulu et est donc conscient. Son but est de reconquérir l’homme qu’elle aime et qui l’a trahi. Ce changement de sexe est très fréquent au XVIIe siècle et s’accompagne d’une modification de l’apparence physique du personnage (voix et maintien). La transformation d’une femme en homme par amour et pour récupérer un amant volage ne produit pas d’effets comiques mais demeure le déguisement le plus utilisé dans les comédies de cette période. De plus, il est nécessaire qu’Ismène soit déguisée en homme car elle a traversé la France à cheval, elle arrive de Lyon, et il serait invraisemblable qu’une femme voyage seule pour effectuer un aussi long trajet. C’est donc pour des raisons de sécurité que son travestissement devient évident. Elle se présente tout au long de la pièce sous une apparence masculine pour des raisons pratiques, elle peut ainsi se promener à sa guise dans Paris et même avoir un valet à son service, mais pourtant elle se dévoile dès le départ devant Hipolite et sa suivante :

JACINTE.
Ah ! Madame, voyez
Ce que c’est que nos yeux qui s’étoient fourvoyez ;
Elle est fille, elle mesme elle s’est éclaircie ;
Ah le joly garçon par la superficie !
Qu’il est drosle !
HIPOLITE.
Elle est fille !
ISMENE.
Il est vray, je la suis
Et ce que vous aymez est ce que je poursuis37.

Dans ce passage Ismène justifie son déguisement et avoue ainsi son désespoir face à sa nouvelle rivale. Elle dévoile son identité à cinq reprises durant la pièce, aux deux jeunes femmes en premier puis au mauvais Nicandre, à son père Eutrope, à Ragotin et enfin au Nicandre qu’elle aime. L’artifice ne peut pas être permanent ; au moment où le dernier acte se termine, la véritable situation doit être rétablie. Cette supercherie est enchâssée dans deux autres déguisements, ceux des Nicandres. Les deux frères jumeaux sont déguisés malgré leur propre volonté, leur ressemblance crée de véritables confusions mais ces déguisements restent inconscients. Toute l’intrigue se base sur cette contradiction de l’être et du paraître, la situation devient pathétique car l’union des deux couples est retardée par des obstacles factices. Les Nicandres sont pris dans une série de quiproquos et disent la vérité qui paraît pourtant fausse aux yeux de tous les personnages. Le titre oxymorique de la pièce annonce dès le début les confusions qui vont suivre.

Boursault a choisi de conserver une partie du titre de sa pièce quand il l’a réduite, on peut penser qu’il était ainsi plus facile de la reconnaître pour les lecteurs contemporains. Mais il n’est pas anodin que le dramaturge ait maintenu le titre oxymorique des Menteurs qui ne mentent point. Ce choix d’un titre paradoxal est courant au XVIIe siècle et sert à exciter la curiosité du public. Dans ces pièces, la leçon est toujours la même, les apparences sont trompeuses et il ne faut jamais croire ce qui paraît être vrai. Le jugement des personnages est obligatoirement faux et les héros mentent en apparence mais disent la vérité en réalité. Une dialectique sur le réel et l’illusion est filée tout au long des scènes pour aboutir au dénouement qui est la clé des contradictions.

Le rythme §

La pièce comprend davantage de scènes que la moyenne à l’époque classique, cinquante-sept au total. Un même personnage ne reste pas très longtemps sur scène, il laisse rapidement la place à un autre pour donner plus de vivacité. La pièce gagne en rapidité et en mouvements. De plus, les équivoques ponctuent le discours des personnages mais elles le rendent plus complexe, le lecteur-spectateur est rapidement perdu dans cet enchaînement de confusions. Boursault respecte consciencieusement les règles classiques en soignant les liaisons, l’enchaînement des scènes et les intervalles entre les actes.

Des récits sont alors nécessaires pour expliciter certaines situations qui ne se sont pas déroulées sur scène. Le premier est l’explication de Nicandre à propos de la parole qu’il a donnée à son frère. Les interruptions de Jacinte rendent le discours plus dynamique et plus naturel, Boursault refuse de lasser le public par de longues tirades inutiles. Ainsi, l’aveu de Nicandre est dédramatisé grâce à la discontinuité de son discours. En effet, Jacinte n’hésite pas à arrêter Nicandre à chaque réplique par des interjections (« Apres », « Pour cela », « Hé bien », « Qu’en est-il ? » « Est-ce tout ? », « A la fin ? », « Et qu’importe ? »38) qui finissent par exaspérer Hipolite. Nicandre parvient seulement à la fin de la scène à s’exprimer pendant douze vers à la suite grâce à l’intervention d’Hipolite. Le second récit se situe deux scènes après ce passage, Ismène expose avec fidélité les raisons de sa venue à Paris et établit les bases des futurs quiproquos. Le troisième et dernier récit est celui de Robin, il éclaircit la situation envers les spectateurs et fait monter la tension dramatique de la pièce en annonçant les problèmes qui vont suivre.

Une quinzaine de monologues de transition peuvent être relevés dans la pièce, ils participent à un désir constant de clarification de la part de l’auteur. Ils sont l’expression d’une émotion particulière (désespoir, haine, vengeance, etc.) et servent de liaison entre les scènes.

Le rythme est accéléré par plusieurs passages stichomythiques, c’est-à-dire de dialogues où chaque réplique est assez courte et de même longueur. Le discours devient rapide et coupé avec des phénomènes de répétitions :

ISMENE avec beaucoup de fierté.
Hé bien cher Ragotin ?
HIPOLITE avec beaucoup de fierté.
Hé bien chere Jacinte ?
RAGOTIN à Ismene parlant du premier Nicandre.
Il est ensevely dans le grand Chastelet.
JACINTE à Hipolite parlant du second Nicandre.
En ma propre presence on l’a pris au colet.
RAGOTIN.
Je l’ay veu dans la Morgue, où je croy qu’il enrage.
JACINTE.
Pour apprendre à chanter on l’a mis dans la cage39.

Cet extrait révèle la rivalité entre les deux femmes, Boursault accentue l’effet comique en exagérant le souci de symétrie entre chaque réplique grâce aux interventions respectives de Ragotin et de Jacinte.

Le lexique §

Cette pièce se révèle être particulièrement intéressante au point de vue de l’analyse lexicale. Les domestiques se distinguent aisément de leurs maîtres par leur vocabulaire, ils utilisent un niveau de langue peu élevé et emploient fréquemment les jurons. Le pédant Isidore peut être mis à l’écart par rapport aux autres personnages de la pièce car, comme nous l’avons vu dans l’analyse des acteurs, il utilise un langage élaboré. Trop savante pour les autres personnages, la langue qu’Isidore emploie est mêlée de mots techniques, de latinismes et parfois même de termes archaïques. Le public de l’époque, et en particulier le parterre, devait avoir des difficultés de compréhension et Robin illustre bien ce problème à la scène 10 de l’acte IV :

En son chien de patois qu’est-ce qu’il baragouïne ?
Ma mort est resolüe, il le dit en Hebreu.

L’ignorance du valet rend la situation comique mais prouve également le décalage entre le langage pédant d’Isidore et le lexique bas du domestique. Hana Baalbaki nous explique dans sa thèse que l’utilisation de la langue par Boursault est un procédé comique :

La prédominance des locutions proverbiales s’explique par le fait que Boursault est avant tout un auteur comique. Sa morale, il a réussi à la transmettre, non pas directement à travers les proverbes mais indirectement en ayant recours aux pointes, parfois féroces, des expressions proverbiales qui caractérisent un personnage et la situation dans laquelle il se trouve, et qui rendent son langage beaucoup plus vrai et naturel40.

En effet, Boursault attache une véritable importance à l’utilisation de la langue française et chaque discours d’un personnage est différent. Le travail du texte est largement influencé par Scarron et par le genre burlesque. Boursault décide de rompre l’unité de ton afin de surprendre le lecteur-spectateur et de le faire rire. Le comique naît le plus souvent de l’apparition dans le dialogue d’un langage particulier, mots étrangers ou jargons. Il utilise des mots familiers issus de la vie quotidienne du XVIIe siècle, par exemple « driller », « battre la semelle », « balotter », mais également des hypocoristiques c’est-à-dire des termes empruntés au langage enfantin comme « mon fanfan » ou « ma pouponne ». Quelques mots forgés apparaissent au fil du texte comme par exemple « démaistreser », « nicandré », ou « maîtricide ». Ces néologismes sont présents dans le but de renforcer le comique de la pièce. Ce dernier est crée à la fois par un décalage permanent entre les mots et la situation dans laquelle ils sont utilisés, mais également par un continuel effet de rupture. Les termes bas et les expressions proverbiales constituent la part la plus importante du langage des domestiques et détonnent par rapport au reste du discours. Robin adopte une attitude originale pour déclarer sa flamme à Jacinte. Il est à la limite de la vulgarité et parodie la déclaration que le premier Nicandre avait fait à Hipolite en employant les mêmes mots mais associés au langage familier :

ROBIN.
Voy traistresse un Robin qui t’adore,
Et qui pour t’avoir veuë un peu plus qu’il ne faut,
N’est vestu que de toille, & s’il brusle de chaud.
JACINTE.
Je viens dire…
ROBIN.
Dy-moy, femelle insecourable
Si l’on peut long-temps vivre, & brusler comme un Diable ;
Et si tu n’agis pas d’une ingrate façon
De me voir estre braise, & que tu sois glaçon41.

Le comique de situation §

Les jeux de scènes participent au comique de la pièce et la rapprochent de la farce. Les personnages utilisent leurs corps pour faire rire le public, ainsi l’arrestation de Ragotin par les deux vieillards qu’il fait tomber constitue un motif d’hilarité42. De même, les deux soufflets que Robin reçoit sont amusants par leur effet de surprise43. Les didascalies renforcent cet effet comique, elles ajoutent des informations sur les comportements des personnages, par exemple Robin chante et montre sa joue à Nicandre aux vers 498 et 533 pour lui rappeler le soufflet qu’il a reçu. Mais elles apportent également des précisions sur les différents quiproquos qui se succèdent dans le texte, elles sont le seul moyen de différencier les deux Nicandres. Placée en tête d’une réplique, la didascalie nous précise s’il s’agit du premier ou du second Nicandre qui va parler, et permet ainsi de clarifier le texte. Le comique de situation s’associe au comique verbal, les jeux de mots sont fréquents et les domestiques emploient souvent les répétitions, ils interrompent les autres personnages et parodient leurs maîtres. En prison, Robin demande quelques louis à Ismène qui en profite pour le questionner sur les sentiments de Nicandre, mais Robin, intéressé par les pièces qui ne parviennent pas à tomber dans sa boîte, n’écoute pas les questions d’Ismène et pense qu’elle aussi parle des deux louis44. La confusion s’étend sur environ vingt vers et quand Robin réagit enfin, il ne pense pas à répondre aux interrogations de la jeune femme mais appelle immédiatement Nicandre pour qu’il s’explique lui-même. Ces différents procédés utilisés par les valets sont directement issus de la farce. Boursault s’est inspiré une fois de plus de l’esthétique déjà présente chez Paul Scarron, dramaturge qui fait pénétrer la farce dans la comédie et qui joue sur le contraste des tons et des styles au sein d’une même œuvre. Les jeux sur les différentes significations possibles d’une même expression rendent une scène comique et la dédramatise. Boursault joue sur le double sens des mots lors de l’arrestation de Robin45, le substantif « membre » employé au départ par le Sergent est mélioratif, il désigne la fonction honorable d’appartenir à la Justice mais Robin emploie ce même mot au sens propre et le rend alors péjoratif. Ce jeu de mot est repris à plusieurs reprises par le valet, une gradation est visible dans les différentes désignations et l’acte s’achève par le discours comique de Robin qui dénigre la fonction du Sergent, l’appelant « gigot de Justice » (v. 911).

D’une pièce à l’autre §

Boursault a simplifié la pièce très rapidement, les deux achevés d’imprimer sont identiques et aucun document ne prouve de date précise. De nombreux changements ont été effectués mais l’intrigue reste la même, la pièce s’intitule désormais Les Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point. Dans l’unique réédition faite par ses enfants en 1725, son fils aîné, Chrysostome, précise :

Cette dernière Pièce fût d’abord représentée en cinq Actes (…) mais l’Auteur la trouvant trop longue, la réduisit à trois Actes, & en ôta tout ce qui lui parut de moins interressant ou de superflu. Elle en étoit plus vive, plus comique, & plus du goût du Public46.

Nous n’avons trouvé aucune trace de la représentation en cinq actes ; seule la seconde version est jouée à l’Hôtel de Bourgogne. Dans Les Nicandres, une épître est ajoutée en l’honneur de Barthélémi Hervart, intendant et contrôleur des finances sous Louis XIV. D’origine allemande, il a obtenu cet emploi en remerciement du service qu’il a rendu au jeune Roi en 1649. Il est parvenu à persuader l’armée allemande de ne pas suivre Turenne et les frondeurs et a ainsi obtenu une totale confiance de la part de Mazarin et de Louis XIV.

Boursault fait précéder le texte d’un « argument nécessaire » qui explique davantage l’enfance et la vie des deux frères jumeaux, l’exposition est par conséquence développée. L’auteur se justifie sur plusieurs points différents, il insiste tout d’abord sur « la qualité des personnes dont (il) parle », distinguant ainsi sa pièce de la farce. En effet, Boursault a choisi de supprimer de nombreuses allusions farcesques dans la seconde version. Il explique davantage les actions des personnages tout en soulignant les notions d’honneur et de bienséance. Enfin, il prévient le lecteur des futures confusions possibles entre les deux frères jumeaux et demande de l’indulgence face à cette nouvelle pièce ; on peut penser qu’il a toujours en tête les critiques des comédiens sur sa première version.

Tableau comparatif de l’action des deux pièces §


Les Deux frères gémeaux Les Nicandres
Acte I
Sc. 1 Hipolite se confie à Jacinte sur les sentiments qu’elle éprouve envers Nicandre. Même scène
Sc. 2 Quand il arrive, elle lui demande de faire partir son valet, Ragotin. Même scène
Sc. 3 Jacinte dévoile ce que ressent Hipolite à Nicandre qui lui explique le serment qu’il a passé avec son frère. Même scène
Sc. 4 Jacinte pense que Nicandre est un menteur et le dit à Hipolite. Même scène
Sc. 5 Arrivée d’Ismène déguisée en homme qui raconte son passé à Lyon. Même scène
Sc. 6 Désillusions d’Hipolite. Conseils de Jacinte.
Sc. 7 Elle rencontre le 2nd Nicandre qui affirme n’aimer qu’Ismène. Même scène
Sc. 8 Jacinte menace le 2nd Nicandre. Même scène
Sc. 9 Il envoie Robin dans leur logis pour dire qu’ils ne rentreront pas ce soir et va voir Clidimace. Même scène
Sc. 10 Il rencontre Ragotin qui le confond avec son véritable maître. Même scène
Sc. 11 Ragotin décide de trouver un autre maître. Même scène
Acte II
Sc. 1 Inquiétudes du 1er Nicandre. Philippin est désormais le valet d’Ismène.
Sc. 2 Dispute d’Ismène et du 1er Nicandre. Ismène élabore son plan.
Sc. 3 Incompréhensions du 1er Nicandre. Elle rencontre le 1er Nicandre qui ne la reconnaît pas.
Sc. 4 Le 1er Nicandre parvient à convaincre Jacinte d’organiser un rendez-vous avec Hipolite. Équivalent à l’acte II, sc. 3 des Deux frères, avec en plus les sentiments du 1er Nicandre envers Hipolite.
Sc. 5 Il regrette le serment qu’il a passé avec son frère. Il rencontre Jacinte qui l’insulte.
Sc. 6 Il rencontre Robin qui affirme être son valet, exaspéré, le 1er Nicandre lui donne un soufflet. Équivalent de l’acte III, sc. 4 des Deux frères. Le cartel est donné au 1er Nicandre.
Sc. 7 Incompréhensions de Robin. II, 6 des Deux frères : Nicandre rencontre Crispin et lui donne un soufflet.
Sc. 8 Robin rencontre le second Nicandre. II, 7 des Deux frères.
Sc. 9 Ils se disputent avec Hipolite et Jacinte, celle-ci finit par gifler Robin. Même scène
Sc. 10 Discussion entre Hipolite et Jacinte. Équivalent III, 11 des Deux frères : arrestation de Crispin.
Sc. 11 Hipolite demande à son père d’obliger Nicandre à l’épouser. III, 12 des Deux frères. Il tente de convaincre le Sergent.
Acte III
Sc. 1 Ismène explique son plan au commissaire. Le 2nd Nicandre est arrêté par l’ordre d’Hipolite.
Sc. 2 Elle demande à Ragotin de porter le cartel à Nicandre. Colère et incompréhensions du 2nd Nicandre.
Sc. 3 Joie de Ragotin car il croit se venger. V, 1 des Deux frères. Crispin et le 2nd Nicandre en prison.
Sc. 4 Ragotin donne le cartel au 1er Nicandre. Philippin apporte une lettre au 2nd Nicandre de la part d’Ismène.
Sc. 5 Joie de Nicandre en pensant à sa future entrevue avec Hipolite. Le 2nd Nicandre demande au geôlier s’il connaît Horace et part lui écrire une lettre pour qu’il les fasse sortir de prison.
Sc. 6 Reproches et colère de Jacinte envers le 1er Nicandre. V, 2 des deux frères. Crispin pense que Nicandre est jaloux.
Sc. 7 Eutrope capture le 1er Nicandre. V, 3 des Deux frères. Ismène interroge Crispin.
Sc. 8 Isidore vient l’aider et reconnaît son ancien ami, le 1er Nicandre s’échappe et se réfugie chez Hipolite. V, 4 des Deux frères. Le 1er Nicandre réaffirme aimer Hipolite.
Sc. 9 Robin fait tomber Eutrope et Isidore, le 2nd Nicandre se cache chez Hipolite. Arrivée d’Hipolite, le 1er Nicandre lui dit qu’il l’aime.
Sc. 10 Eutrope et Isidore décident de faire arrêter Robin. V, 12 des Deux frères. Dénouement.
Sc. 11 Arrestation de Robin.
Sc. 12 Il tente de convaincre le Sergent de le laisser partir.
Acte IV
Sc. 1 Déclaration du 1er Nicandre à Hipolite.
Sc. 2 Robin s’est échappé de prison, il rencontre le 1er Nicandre qui lui dit que tout est réglé.
Sc. 3 Interrogations de Robin.
Sc. 4 Il rencontre Jacinte.
Sc. 5 Puis le 2nd Nicandre.
Sc. 6 Hipolite défend le 2nd Nicandre qui lui redit qu’il aime Ismène.
Sc. 7 Elle demande à Jacinte de faire emprisonner Nicandre.
Sc. 8 Ismène et Hipolite s’interrogent sur les sentiments de Nicandre.
Sc. 9 Ragotin annonce l’arrestation de Nicandre aux jeunes femmes et Jacinte fait de même.
Sc. 10 Ismène dévoile sa véritable identité à son père.
Sc. 11 Eutrope et Isidore veulent rétablir l’honneur de leurs filles.
Acte V
Sc. 1 Robin et le 2nd Nicandre sont en prison.
Sc. 2 Robin croit que Nicandre est jaloux du gain qu’il va récolter en mendiant.
Sc. 3 Ismène le questionne sur les sentiments de son maître.
Sc. 4 Le 1er Nicandre réaffirme aimer Hipolite.
Sc. 5 Colère de Robin envers le 1er Nicandre.
Sc. 6 Incompréhensions de Robin.
Sc. 7 Il déclare son amour à Jacinte et lui certifie que Nicandre est amoureux d’Hipolite.
Sc. 8 Robin et Jacinte rassurent Hipolite.
Sc. 9 Le 2nd Nicandre déclare aimer Ismène devant Hipolite.
Sc. 10 Arrivée d’Isidore.
Sc. 11 Arrivée d’Ismène, d’Eutrope et de Ragotin.
Sc. 12 Entrée du 1er Nicandre, tous les problèmes sont résolus. Retrouvailles et réconciliations.

Les modifications §

La pièce débute exactement de la même façon que la précédente mais on s’aperçoit rapidement des changements de vocabulaire, les expressions recherchées comme « faire la sainte sucrée », « tenir son bon bout », « ficher la colle » ou encore « enfiler la venelle » sont simplifiées, voire le plus souvent effacées. La suppression du personnage d’Isidore confirme cette volonté d’épuration de la langue dramatique. Son rôle ne fait pas avancer l’action et se révèle par conséquent inutile, il entraîne la suppression de son double, Eutrope.

Boursault nous précise dans son argument nécessaire qu’il a négligé les derniers détails lors de l’impression de la pièce. Ainsi, la liaison entre les actes n’est pas soignée, durant les entr’actes la tradition veut qu’il se passe quelque chose et un personnage qui termine un acte ne doit pas ouvrir celui qui suit. Or Philippin ferme l’acte I par ses vociférations et débute l’acte II en expliquant les évènements qui se sont déroulés durant l’entr’acte. Désormais, il est au service d’Ismène, Boursault n’a pas respecté la tradition car il aurait dû placer devant le public un autre acteur.

Au niveau de l’appellation des personnages, les noms des valets sont modifiés. Robin devient Crispin, et Ragotin est remplacé par Philipin. Cette transformation est peut-être due aux changements exigés par la troupe des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne qui a réadaptée la pièce pour la représentation. Lors de ses modifications, Boursault a alors rétabli les noms des personnages en fonction des rôles attribués habituellement aux comédiens. Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer nous précise dans son analyse que le rôle de Crispin était interprété par Raymond Poisson, dit Belleroche. En effet, c’est Belleroche qui a créé le personnage de Crispin au théâtre en associant la bouffonnerie et l’habileté. Philipin possède une fonction burlesque davantage prononcée, ce personnage se caractérise le plus souvent par sa couardise grotesque et était habituellement joué par Claude Deschamps, dit de Villiers. Les deux rôles ont des connotations farcesques évidentes.

La psychologie des personnages est également modifiée, on relève une atténuation de la rivalité entre les deux jeunes femmes. Hipolite subit moins d’outrages que dans Les Deux frères gémeaux. Boursault choisit d’accentuer le désespoir d’Ismène en augmentant le temps de la séparation entre les deux amants. Six mois se sont écoulés depuis que Nicandre est parti alors que dans la première version, seulement deux mois sont passés. De plus, Nicandre n’a pas donné d’explication à Ismène sur son départ :

L’inconstant me quitta, je m’en vis méprisée,
Et six mois sont passez sans que rien de sa part
M’ait appris le sujet qui causa son départ.
Je le cherche par tout, j’ay sur moy sa promesse,
Et je veux l’arracher à toute autre Maitresse47.

Boursault accentue ainsi le désespoir de la jeune femme, il lui fait également écrire une lettre à Nicandre à la scène 4 du dernier acte48 qui prouve sa douleur. De plus, cette seconde version insiste davantage sur la restitution de l’honneur, Jacinte est agacée par cette valeur qui diminue les actions de sa maîtresse : « Hé mon Dieu, vostre honneur, ce n’est pas si grand chose49. »

Au point de vue du respect des unités, cette pièce enfreint la loi des vingt-quatre heures. À son arrivée en prison, Crispin rejoint son maître arrêté depuis peu, il confond alors l’emprisonnement du second Nicandre avec celle de son frère, qui s’est déroulée « hyer » :

On m’a dit comme chose certaine,
Qu’on vous a prit finement dans le Cours de la Reyne
Dés hier50.

Selon Crispin, l’action se déroule alors en l’espace de deux jours.

De nombreuses informations sont ajoutées au fil du texte, Boursault a voulu éclairer son lecteur sur les points restés obscurs de la première version. Mais paradoxalement il ne s’est pas préoccupé du travail de l’imprimeur qui a glissé dans le texte des coquilles pourtant évidentes. Certaines répliques sont collées à gauche alors qu’elles devraient respecter la tradition de prosodie des alexandrins (voir aux vers 2, 234, 429 et 594) et s’aligner avec un décalage pour montrer qu’il s’agit bien du même vers. Nous avons relevé les autres coquilles dans la liste des rectifications du texte.

Édition des Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point §

Établissement du texte §

Nous avons suivi le texte de l’édition originale, disponible à la Bibliothèque nationale de France sous la cote Yf 3758, appartenant à un recueil factice.

Nicolas Pépingué, Thomas Jolly, Guillaume de Luynes et Gabriel Quinet se sont partagés le privilège mais a priori un seul tirage a été fait. Il existe quatre autres exemplaires de la même édition en format in 12 :

  • – édité par Gabriel Quinet, cet exemplaire (Yf 4868) est disponible en ligne (http://gallica.bnf.fr) mais la numérotation des pages et l’organisation des feuillets sont aberrantes, il fait parti lui aussi d’un recueil factice ;
  • – à la bibliothèque de l’Arsenal, on trouve un autre exemplaire sous la cote Rf 5578 mais qui est incomplet (116 p., éd. Gabriel Quinet) ;
  • – disponible à la bibliothèque Mazarine (éd. Thomas Jolly), celui-ci fait parti d’un recueil factice de comédies dont la cote est 42 123. Les pages 113 à 116 sont remplacées par les pages 101 à 105 ;
  • – le dernier exemplaire est conservé en Suisse, au Château d’Oron, (LFB 87 - éd. Thomas Jolly) mais nous ne l’avons pas consulté.

Description du volume §

Le volume que nous avons pris pour base se présente sous la forme suivante :

1 vol [VI] 120 p. - in 12° (avec erreur pour la page 70 écrite 60).

[I]    LES / DEUX FRERES / GEMEAUX, / OU / LES MENTEURS / QUI NE MENTENT POINT. / COMEDIE / [fleuron du libraire] /A PARIS, / chez THOMAS JOLLY, au Palais, dans la petite / Salle des Merciers, à la Palme & aux / Armes d’Hollande. / [Trait de séparation] / M. DC. LXV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[II]        Verso blanc

[III]        Extraict du Privilège du Roy

[IV]        Verso blanc

[V]        Personnages

[VI]        Verso blanc

1-120        Texte de la pièce

Principes d’annotations communs aux deux versions §

En raison de l’intérêt historique de la graphie, nous avons conservé celle de l’imprimeur de 1665, mais une modernisation nous est parue nécessaire dans le cas du ƒ qui a été remplacé par –s. Dans le but de faciliter la lecture, v et u, ainsi que i et j, initialement confondus, ont été distingués. Dans cette même optique, le tilde (~) a été remplacé par la consonne correspondante, -n ou –m selon les cas. Les majuscules ont été rétablies quand cela était nécessaire.

Lorsque un mot difficile apparaît à plusieurs reprises dans le texte, il est alors noté par un astérisque qui renvoie au lexique situé à la fin de l’ouvrage. Les notes en bas de page expliquent un point précis qui pourrait poser problème et servent à éclaircir le texte pour une meilleure compréhension grammaticale, lexicale et linguistique.

Chaque définition est suivie des initiales entre parenthèses du dictionnaire ou du précis de grammaire utilisé, elles correspondent aux différents ouvrages qui nous ont servi d’instruments de travail cités dans la bibliographie.

Nous avons uniformisé les points de suspensions conformément à la graphie traditionnelle du XXIe siècle et ajouté une virgule aux vers 84 et 1386 dans le but de faciliter la lecture du texte. Nous avons toutefois conservé la ligature -&- et gardé la graphie ainsi que la ponctuation originales.

Rectifications §

Nous avons rétabli l’accent diacritique pour distinguer « à » et « a », l’accent a été rajouté aux vers 1322 (a sa flâme) et supprimé au vers 1592 (on vous à cru). Nous avons également distingué « où » conjonction de subordination et « ou » adverbe, l’accent est ajouté au vers 448, et supprimé aux vers 482, 483 et 1230.

Nous avons corrigé les éventuelles coquilles et les oublis de l’auteur :

Liste des personnages : durans

v. 7 : qui l’a comble d’ennuy

v. 22 : appperçois

v. 225 : cataplame

v. 256 : me remets

v. 309 : vien

v. 479 : aura-t’elle tout prest

II, 9 : ISMENE.

v. 563 : vo9

v. 615 : le coups

v. 696 : artendu

v. 702 : tu ne doute

v. 734 : pevatre

v. 738 : vo9

v. 759 : Appetez-vous

v.762 : qu’il le rende

v. 819 : ose-tu nous choquer

v. 849 : toutes choses réponde

v. 973 : l’orgne

v. 979 : Cy

v. 981 : faudra-t’il point

v. 1030 : telles

v. 1034 : ta carongne

IV, 5 : Le 2 NICANDRE

IV, 6 : NICANDRE . à Hipolite

v. 1102 : grace,

v. 1112 : à voç expliquer

v. 1278 : ou ferre la mule

v. 1281 : l’on y

v. 1304 : cy

v. 1313 : N’a-t’il point de regret

v. 1433 : en a-t’il l’ame atteinte

v. 1440 : Ayme-t’il Hipolite

v. 1582 : besongne

v. 896, 1519, 1577 : Nicander

LES DEUX FRERES GEMEAUX, OU LES MENTEURS QUI NE MENTENT POINT.

COMEDIE. §

PERSONNAGES. §

  • ISIDORE, homme Sçavant, Pere d’Hipolite.
  • EUTROPE, Pere d’Ismene.
  • HIPOLITE, Parisienne, Amoureuse du premier Nicandre.
  • JACINTE, Suivante d’Hipolite.
  • ISMENE, Lyonnoise, vestuë en homme, Amante du second Nicandre.
  • Le premier NICANDRE, Amant d’Hipolite.
  • Le second NICANDRE, Amant d’Ismène.
    Freres Gemeaux*, qui se ressemblent si fort, qu’on les prend à tous moments l’un pour l’autre, & qui se rencontrent fortuitement à Paris, sans que l’un ny l’autre le sçache ; où ils s’habillent par hazard tous deux d’une mesme façon.
  • ROBIN, Valet du second Nicandre.
  • RAGOTIN, Valet du premier Nicandre durant le premier Acte, puis Valet d’Ismene.
  • UN COMMISSSAIRE.
  • UN SERGENT du Chastelet.
  • DES ARCHERS muëts.
La Scene est en Prison51.
[A, 1]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Me trompois-je, Jacinte, est-ce là sa demeure ?

JACINTE.

C’est là mesme.

HIPOLITE.

Et tu dis qu’il viendra tout à l’heure* ?

JACINTE.

Il me suit.

HIPOLITE.

Ah, Jacinte !

JACINTE

[p. 2]
Et quoy donc…

HIPOLITE

Je me plains,
Ce que je souhaitois, à present je le crains :
5 D’une fille en aymant le mal-heur est extrême
Alors qu’elle est reduite à le dire elle méme,
Et que l’Objet* charmant qui la comble d’ennuy*
A donné de l’amour sans en prendre pour luy.
Je m’estois resoluë à parler de ma flâme,
10 Mais Jacinte au moment…

JACINTE

Au moment, quoy Madame ?
A qui cherche à vous plaire expliquez vostre mais ;
Mais ?

HIPOLITE

Mais je ne croy pas que j’en parle jamais.

JACINTE

Courage ; quand la chose est si bien preparée,
Faire la scrupuleuse, & la sainte sucrée52 ?
15 Et que luy direz-vous, car il vient sur mes pas ?

HIPOLITE

En ne luy disant rien, que ne diray-je pas ?
Quand on void ce qui plaist quoy qu’une ame projette
Les yeux ont une voix si la langue est muëtte,
Et pour bien decouvrir son aymable tourment
20 Affecter le silence est parler clairement.

JACINTE

Et de cette façon vous croyez faire entendre…
Je vous le disois bien j’apperçois ce Nicandre, [p. 3]
Il avance.

SCENE II. §

Le premier NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Madame, il doit m’estre bien doux
De jouïr du bon-heur qui m’approche de vous ;
25 Mais achevez, de grace, et pour comble de joye
De vous mieux obeïr découvrez une voye,
Parlez.

RAGOTIN.

Comme elle parle, écoutez, Diablezot*.

JACINTE.

Ma Maistresse, Monsieur, parle sans dire mot.

Le premier NICANDRE.

Dites-moi, sans frayeur ce que c’est qui vous touche,
30 Je suis homme…

JACINTE.

Et là là, parlez luy de la bouche,
Madame.

Le premier NICANDRE.

Vous croyez que me dire un secret
C’est peut-estre…

HIPOLITE.

[p. 4]
Nicandre, éloignez ce valet.

Le premier NICANDRE, à Ragotin.

Dans une heure au plus tard tu viendras me reprendre.

RAGOTIN.

Mais…

Le premier NICANDRE.

Sors.

RAGOTIN.

Mais…

Le premier NICANDRE.

Sors te dis-je, & te va faire pendre.

RAGOTIN.

35 Et vostre honneur, Monsieur, il est fort en danger,
Quand on n’en a plus guere il le faut menager.

Le premier NICANDRE.

Qu’elle est belle ! Vois-tu ? J’en ay l’ame surprise*.

RAGOTIN.

Déja de son honneur tout le reste agonise.
Qu’il est aspre* !

Le premier NICANDRE.

Sors donc.

RAGOTIN.

Mais.

Le premier NICANDRE.

Encor53 une fois ?

RAGOTIN s’en allant.

40 Adieu l’honneur.
[p. 5]

SCENE III. §

HIPOLITE, Le premier NICANDRE, JACINTE.

HIPOLITE

Nicandre, & mes yeux, & ma voix…
Je me sens interdite*, & le charme qui brille…
Quand on est inquiette, & qu’on est une fille…
Le merite sublime a pour moy tant d’appas*
J’ose…le trouble…Et quoy, ne m’entendez-vous pas ?

Le premier NICANDRE.

45 Moy, Madame !

HIPOLITE.

Jacinte, il ne veut pas m’entendre.

JACINTE.

Parlez sans façonner54, & vous faites comprendre55
Aussi ; car le moyen jusqu’icy qu’il ait pû ?
Si vous dites deux mots c’est en baston rompu ;
Laissez moy luy parler je suis bien plus hardie.
50 Permettez, ô Monsieur qu’à present je vous die.
Ma Maitresse Hipolite a depuis peu de jours…
Quand on est en son âge, & qu’on resve toûjours…
Je ne puis deviner, mais enfin je suis seure…
A tous ses mouvemens j’aperçois qu’elle est meure…
55 Je ne sçay quoy pour elle a des charmes si dous…
Dites-moy, s’il vous plaist, Monsieur, m’entendez-vous ?

Le premier NICANDRE.

[p. 6]
Me jouër c’est vous plaire, & je m’offre moi méme…

JACINTE.

A quoy tant de façons ? Ma Maitresse vous ayme.

Le premier NICANDRE.

Ciel !

HIPOLITE.

O Dieux !

JACINTE.

Dame, ô Dieux, je ne puis niaiser*.

Le premier NICANDRE.

60 Madame…

HIPOLITE.

Il n’est plus temps de vous rien déguiser.
Je vous ayme ; ce mot est sans doute blasmable ;
Il m’échape à regret, mais il est veritable,
Je vous ayme.

Le premier NICANDRE.

Est-il vray, m’aymez-vous ?

HIPOLITE.

Je l’ay dit.

Le premier NICANDRE.

De vos rares bontez je me sens interdit*,
65 Mais, Madame…

JACINTE.

Ce mais pourra bien la confondre56.

HIPOLITE.

Mais enfin…

Le premier NICANDRE.

Mais enfin, je ne puis y respondre.

JACINTE.

[p. 7]
Justement.

HIPOLITE.

M’exposer à ce honteux mépris,
O Ciel !

Le premier NICANDRE.

De vos appas* je connois tout le prix,
A me favoriser vostre cœur se dispose,
70 Mais un serment horrible à mon bon heur s’oppose :
Pour ne pas en douter écoutez seulement.

JACINTE.

Ecoutons.

Le premier NICANDRE.

D’où je sors on vivoit noblement.

JACINTE.

Apres.

Le premier NICANDRE.

Ma mere est morte, aussi bien que mon pere.

JACINTE.

Pour cela.

Le premier NICANDRE.

De parens je n’ay plus qu’un seul frere.

JACINTE.

75 Hé bien.

Le premier NICANDRE.

Ce frere & moy sommes freres jumeaux.

JACINTE.

Qu’en est-il ?

Le premier NICANDRE.

Tous ses traits à mes traits sont égaux.

JACINTE.

[p. 8]
Est-ce tout ?

Le premier NICANDRE.

Pour nos mœurs il en est tout de mesme.

JACINTE.

A la fin ?

Le premier NICANDRE.

Ce qu’il ayme est aussi ce que j’ayme.

JACINTE.

Et qu’importe ?

Le premier NICANDRE.

Entre nous tout paroit si commun
80 Que pour voir tous les deux il ne faut en voir qu’un.

JACINTE.

Quoy…

HIPOLITE à Jacinte.

Ne l’interromps plus qu’au plus viste il acheve.
D’avoir dit mon secret je deteste.

JACINTE.

Et je créve,
Il se pasme de joye à present qu’il sçait tout,
Voyez vous du depuis57 comme il tient son bon bout58,
85 Le manœuvre59 ?

HIPOLITE.

Jacinte, est-ce là ta conduite ?

Le premier NICANDRE.

De mon aspre* mal-heur pour apprendre la suite,
De ce frere si cher dont j’ignore le sort,
De qui j’ay le visage, & la voix, & le port ;
De ce frere, en un mot qui si fort me ressemble
90 Qu’on nous prend l’un pour l’autre à nous voir estre ensemble ; [p. 9]
D’un frere…

JACINTE.

Et foin du frere, & du frere eternel60,
Concluez.

Le premier NICANDRE.

De mon frere un serment solemnel
Madame…

HIPOLITE.

De ce frere un serment vous engage…

Le premier NICANDRE.

Depuis plus de six ans je voyage, il voyage,
95 Mais en nous separant nous jurasmes tous deux
De jamais à l’Hymen* ne contraindre nos vœux
Que de l’un, ou de l’autre une bouche fidelle
De la mort ou la vie eut appris la nouvelle.
Voyez donc à mon sort quelle peine se joint,
100 Je le cherche, il me cherche, & ne nous trouvons point61 ;    
Je ne puis deviner quel endroit le recelle :
Et pour comble de maux je vous trouve si belle,
Qu’il faloit que mon cœur qu’Hipolite asservit
Ou jamais ne jurât, ou jamais ne vous vid62.
105 Adieu Madame.
[p. 10]

SCENE IV. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Hé bien, que dis-tu ?

JACINTE.

Moy, j’enrage.

HIPOLITE.

Le serment qu’il a fait de jamais…

JACINTE.

Badinage.
Il se raille*, Madame.

HIPOLITE.

Est-il vray ?

JACINTE.

Tout de bon.

HIPOLITE.

Mais il m’ayme, tu vois.

JACINTE.

Lui ? Tarrare63 pompon.
Je m’en suis apperceuë, il biaise*, il bricole*,
110 Quand il parle de frere il vous fiche la cole64 ;
Je vous le garentis franc donneur de canards65.

HIPOLITE.

Tu crois donc que quelqu’autre ait surpris* ses regards ?

JACINTE.

Si je le crois ? Vrayment ; ce matois*, ce Nicandre…
[p. 11]

SCENE V. §

ISMENE vestuë en homme, HIPOLITE, JACINTE.

ISMENE vestuë en homme.

Nicandre ! Le seroit-ce ? Essayons de l’apprendre.
115 Ce Nicandre, Madame, à mon cœur est bien cher,
Je le cherche.

HIPOLITE.

Hé Monsieur, vous pouvez le chercher
Peu m’importe.

ISMENE.

Peut-estre, il vous plaist, il vous touche,
Avoüez.

JACINTE.

Dépeschez, que Monsieur se recouche,
Il déplaist, c’est tant pis, & s’il plaist, c’est tant mieux.

ISMENE.

120 Ce n’est pas sans raison que je suis curieux ;
Il vous ayme ?

HIPOLITE.

Peut-estre.

ISMENE, bas.

Il l’adore, le traistre.
Vous, l’aymez-vous, Madame, à vostre tour ?

HIPOLITE.    [12]

Peut-estre.

ISMENE à Jacinte.

L’ayme-t elle ?

JACINTE.

Selon*.

ISMENE.

Sera-t-il son époux ?

JACINTE.

C’est selon*.

ISMENE.

Justes Dieux !

HIPOLITE.

Vous en estes jaloux ?

ISMENE.

125 De celuy que je dis si vous estes l’Epouse
Je puis estre allarmée, & paroistre jalouse ;
L’infidelle !

HIPOLITE.

Jalouse !

JACINTE.

Ah ! Madame, voyez
Ce que c’est que nos yeux qui s’étoient fourvoyez ;
Elle est fille, elle mesme elle s’est éclaircie ;
130 Ah le joly garçon par la superficie*66 !
Qu’il est drosle !

HIPOLITE.

Elle est fille !

ISMENE.

Il est vray, je la suis
Et ce que vous aymez est ce que je poursuis. [B, 13]
L’infidelle Nicandre….

HIPOLITE.

Achevez, l’infidelle…

ISMENE.

Dans Lyon à ses yeux je parus assez belle,
135 Je luy plûs, il me plût, & dans un mesme jour
Je donné67 tout ensemble & receus de l’amour.
Il me void, me demande, & m’obtient de mon pere,
On nous veut épouser, & le traistre differe,
Et pour toutes raisons parle confusément
140 Et de frere semblable, & d’horrible serment :
Me soustient qu’il m’adore, ardamment me conjure
De ne pas endurer qu’il devienne parjure,
Et d’une ame charmée, & qui l’ayme toùjours
Pour rejoindre ce frere il exige huit jours ;
145 Il me quitte, le traistre, & j’en sens mille peines,
Cependant du depuis68 j’ay compté huit semaines,
Et tel est de mon sort le cruel traitement
Que je trouve Nicandre, & je perds mon amant.

JACINTE à Hipolite.

D’où naissoit le refus qui si fort vous afflige ?
150 Voyez-vous ?

HIPOLITE.

Apprends…

JACINTE.

Pay*,

HIPOLITE.

Mon courroux…

JACINTE.    [14]

Pay*, vous dis-je,
Et ne luy dites rien qui nourrisse ses feux.

ISMENE.

Il vous peut à son aise adresser tous ses vœux ;
Demander son logis seroit perdre ma peine,
Redoutez seulement la presence d’Ismene ;
155 De Rivale à Rivale on ne s’accorde rien,
Mais je puis le trouver par un autre moyen.
Je vous laisse.

SCENE VI. §

HIPOLITE, JACINTE.

JACINTE.

Il vous ayme ?

HIPOLITE.

Il me hait, l’infidelle.

JACINTE.

Vous devez au Seigneur une belle chandelle,
Madame, il a pour vous une grande amitié ;
160 Je ne me deffends pas d’en payer la moitié,
Car enfin la nature est aysée à surprendre ;
Et si pour vostre espous vous aviez eu Nicandre
Avecque69 son valet qui n’a point mauvais air
Mon honneur eut pû faire un méchant pas de Cler70.
165 Haïssez desormais, aussi bien cette fille…

HIPOLITE.    [15]

Elle est belle, bien faite, & paroist de famille,
Elle cherche Nicandre, & j’en ay du soucy* ;
Mais l’amour est aveugle, & je la suis aussi.
Que Nicandre l’adore, ou Nicandre l’abuse,
170 Qui n’a point de merite a du moins de la ruse,
Et peut-estre…

JACINTE.

Madame, il revient dans ce lieu.

SCENE VII. §

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

HIPOLITE en raillant*.

A la fin vostre frere est trouvé.

Le second NICANDRE.

Plût à Dieu !

HIPOLITE.

Je l’ay veu.

Le second NICANDRE.

Quoy Madame…

HIPOLITE.

Il vous est tout semblable.

ROBIN.

Madame, estes-vous Ange ? Ou bien estes-vous Diable ?
175 Quoy, sans vous dire mot vous sçavez nos secrets ?

Le second NICANDRE.

[p. 16]
Il est vray que tous deux nous avons mesmes traits,
J’ay la voix, le visage, & la taille de mesme,
J’ay l’humeur…

JACINTE.

Comme il fait l’innocent quatriesme71 !
De vous poussez à bout le perfide a fait vœu.

Le second NICANDRE.

180 Vous le connoissez donc, ce frere ?

HIPOLITE.

Quelque peu.

Le second NICANDRE.

Il vous void ?

HIPOLITE.

Quelquefois.

ROBIN.

Ah, la bonne bigotte* !
Diroit-on qu’elle y touche72 ?

JACINTE.

Un valet vous balotte*,
Et je pense… Madame admirez ce bastier73
Ce n’est pas son valet que ce galefretier74 :
185 Avec cette finesse il pretend qu’on s’embourbe75.

Le second NICANDRE.

Ainsi…

HIPOLITE.

Levez le masque, on connoit vostre fourbe,
Et vous vous y prenez de mauvaise façon.

ROBIN.

Parbleu, pas tant bigotte*, elle change de ton.

Le second NICANDRE.

[p. 17]
Et quoy…

HIPOLITE.

Qui vous aymoit a pour vous de la haine.

Le second NICANDRE.

190 On me hait ! Mais Madame…

HIPOLITE.

On connoit vostre Ismene.

Le second NICANDRE.

Mon Ismene !

ROBIN.

Bon, bon ; mordez vous-en les doigts ;
Il demande huit jours, & demeure deux mois.

Le second NICANDRE.

Mon Ismene, bons Dieux ! Ô parole cruelle !

ROBIN appelle son Maistre au coin du Theatre.

St, st, une autrefois battez moins la semelle76
195 Monsieur.

Le second NICANDRE.

Tes sots discours…

ROBIN.

Je parle à cœur ouvert.

JACINTE.

Il enrage tout vif de se voir découvert,
Il ne se doutoit pas qu’on eut pû tout apprendre.

Le second NICANDRE.

Et comment croyez-vous qu’on me nomme ?

HIPOLITE.

Nicandre.
Fourbe, artificieux*, diseur de faussetez.

ROBIN.

[p. 18]
200 Puis qu’il ne respond rien, d’accord des qualitez.

Le second NICANDRE.

Il est vray qu’à l’amour je n’ay pû satisfaire,
Mais par vostre moyen si je trouve mon frere
Pour rendre un juste hommage à de rares appas*
Ismene…

HIPOLITE.

Dites donc que vous ne l’aymez pas
205 Imposteur ?

Le second NICANDRE.

Je l’adore, ou le Ciel me foudroye,
La servir est ma gloire, & l’aymer est ma joye :
Pour quelque autre beauté qui respire le jour
J’ay des civilités & non pas de l’amour.
Son interest vous touche, & je vous en rends grace,
210 Embrassez…

HIPOLITE.

Vous sçaurez l’interest que j’embrasse,
Et je vous feray voir dés ce jour, si je puis
Comme Ismene me touche, & ce que je luy suis.
Vous verrez qu’à l’outrage une fille est sensible,
Qu’à ses vœux méprisez il n’est rien d’impossible ;
215 Et quoy que depuis peu vous soyez à Paris
Ainsi que vostre nom je sçay vostre logis,
Pensez-y bien.
(Elle sort.)
[p. 19]

SCENE VIII. §

Le second NICANDRE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE arreste Jacinte, & luy dit.

De grace, ayés plus de tendresse,
Dites-moy qui des deux est Suivante ou Maistresse ;
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

JACINTE.

220 Oüy.

Le second NICANDRE.

Madame…

JACINTE.

Courage.

ROBIN.

Elles sont de concert*

Le second NICANDRE.

Madame, écoutez, en revanche…

JACINTE.

Voyez-vous cette main au fin bout de ma manche ?
Elle pourroit tomber dessus vostre museau ;
Allez vous-en chercher vostre frere jumeau ;
225 Ou dessus cette jouë un puissant cataplasme77
Adieu.
[p. 20]

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, ROBIN.

ROBIN.

Connoissez-vous cette bonne Madame ?

Le second NICANDRE.

Nullement.

ROBIN.

Nullement ?

Le second NICANDRE.

Je ne la vis jamais.

ROBIN.

Songez bien.

Le second NICANDRE.

Plus j’y songe, et moins je la remets,
Je ne la vis jamais en aucune maniere.

ROBIN.

230 A la premiere veuë elle est bien familiere.
Des soufflets tout d’abord !

Le second NICANDRE.

Tu m’en vois tout surpris.
D’hier au soir seulement j’arrivay dans Paris.

ROBIN.

De la nuict noire en Diable il estoit plus d’une heure.

Le second NICANDRE.

Et déja toutes deux ont appris ma demeure
235 Robin.

ROBIN.

[p. 21]
Les Poussecus* sont de vilaines gens,
Garre apres vostre queuë78 un troupeau de Sergens,
Et si vostre personne est par eux attrapée,
Vous aurez une femme, ou la teste coupée.
Ce n’est pas qu’entre nous je ne sçache fort bien
240 Qu’avec une Maistresse on ne fait souvent rien ;
Mais à vostre prison pour donner une cause
Vous serez accusé d’avoir fait quelque chose ;
Et vous en sortirez si le Ciel vous y met
Pour aller à la Nopce, ou du moins au Gibet*.

Le second NICANDRE.

245 Quoy, tu penses qu’Ismene ait si peu de constance…

ROBIN.

Je ne sçay par ma foy ce qu’il faut que je pense ;
Il faut bien vous aimer pour attrendre toûjours,
Et je trouve deux mois bien plus longs que huit jours.
En laissant à Lyon cette belle Lionne,
250 Tu me créves le cœur, disiez-vous, ma Pouponne,
Mais enfin mon départ ne doit pas t’irriter,
Je te quitte un moment pour ne plus te quitter ;
Laisse agir mon amour, je te tire de peine,
Ou je me donne au Diable, & dans une semaine
255 Mon Fanfan79 ; De mon frere, ou la vie ou la mort
Me remet le pouvoir de conclure mon sort ;
De quelqu’un que je croy j’en auray la nouvelle,
Depuis à vous attendre elle fait sentinelle80,
Tandis qu’en galopant & par vaux & par monts
260 Nous passons vous & moy pour de francs vagabonds.
Voyez si la Donzelle* a sujet de bien rire.

Le second NICANDRE.

[p. 22]
Ah Robin ! De ce frere on n’a pû me rien dire,
Je m’en meurs. Cependant va dedans mon logis,
On me veut faire piece81, & j’ay peur d’estre pris :
265 Dy qu’il n’est pas besoin qu’aujourd’huy l’on m’attende.

ROBIN.

Si je suis pris pour vous, & qu’apres on me pende
Aussi ?

Le second NICANDRE.

Te pendre ! À tort on l’auroit pretendu.

ROBIN.

Et qu’importe comment on puisse estre pendu ?
Soit à tort, soit à droit, n’est-ce pas toûjours l’estre ?

Le second NICANDRE.

270 Tu te moques, te dis-je, obeïs à ton Maistre.
Je t’attends en ce lieu.

ROBIN.

Mais, Monsieur…

Le second NICANDRE.

Haste-toy.

ROBIN revient sur ses pas.

Daignez donc pour le moins me répondre de moy,
Car enfin…

Le second NICANDRE.

Va te dis-je, & retient cette place.
(Robin sort.)
Attendant qu’il revienne allons voir Clidimace,
275 Comme dans cette ville il a bien du credit
Cét Amy…
[p. 23]

SCENE X. §

RAGOTIN, le second NICANDRE.

RAGOTIN.

Je reviens comme vous m’avez dit,
Est-ce fait ?

Le second NICANDRE.

Que veux tu ?

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

Que je meure…

RAGOTIN.

Dites en conscience82, ay-je mis plus d’une heure ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu, mon amy ? Dy le moy.

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

280 Accordons un peu mieux tes discours & les miens,
A tout ce que tu dis je ne puis rien comprendre.

RAGOTIN.

Il ne vous souvient pas que je viens vous reprendre ?
Le secret de la Dame à la fin est-il sçeu ?
Dites-moy.

Le second NICANDRE.

Mon enfant, je ne t’ay jamais veu,
285 Quel es-tu ?

RAGOTIN.

[p. 24]
Qui je suis ? Qu’ay-je accoustumé d’estre ?
Ragotin.

Le second NICANDRE.

Ragotin, je ne puis te connoistre,
Passe ton chemin, passe.

RAGOTIN.

Il le fait tout exprés ;
Moy je vous connoy.

Le second NICANDRE.

Toy me connoistre ?

RAGOTIN.

A peu prés.

Le second NICANDRE.

Tu t’abuses, mon cher, ton erreur est extréme
290 Passe.

RAGOTIN.

Il n’est donc pas vray que vous estes vous-mesme
Est-ce pas ?

Le second NICANDRE.

Je commence à beaucoup m’ennuyer*.

RAGOTIN.

En gambades* je pense il pretend me payer.
Je vous sers.

Le second NICANDRE.

Tu me sers !

RAGOTIN.

nenny*.

Le second NICANDRE.

Je m’irrite,

RAGOTIN.

[p. C, 25]
Payez-moy donc, & sortons quitte à quitte.

Le second NICANDRE

295 Je te dois quelque chose ! Insolent, je voy bien…

RAGOTIN.

Si vous me devez ! Non, vous ne me devez rien.
Et qui peut me devoir quinze mois de mes gages ?

Le second NICANDRE.

Laisse là ta sottise, en un mot tu m’outrages,
Je me fais violence, et je dois de ce pas…

RAGOTIN.

300 Vous devez, il est vray, mais vous ne payez pas.

Le second NICANDRE.

Sçais-tu bien, guoguenard* qu’à bons coups de nazardes83
Si tu railles* encore, & que tu guoguenardes*,
Que de tes mots bouffons tu me fasses l’objet*

RAGOTIN.

Je bouffonne ! Vrayment j’en ay bien du sujet !
305 Mis dehors, pas le sou, ne sçavoir chez qui vivre…
Quoy, vous vous en allez ?

Le second NICANDRE.

Et tu penses me suivre ?

RAGOTIN.

Je le pense, & repense.

Le second NICANDRE.

Et tu ne penses pas
Que si tu l’entreprends je te casse les bras.
Suy-moy donc si tu veux, vien[s], tu n’as rien à craindre.
(Il sort.)
[p. 26]

SCENE XI. §

RAGOTIN seul.

310 Il ne faut que cela pour m’achever de peindre84.
Peu courtois Courtisan en chassant ton valet
Que la peste t’étouffe, & te saute au colet*.
Qu’au fin fond des Enfers le grand diable te plonge.
Mais j’enrage de faim, à propos, quand j’y songe,
315 Pour branler la machoire85, & nous faire laquais
Allons chercher fortune aux degrez* du Palais86.

Fin du premier Acte.

[p. 27]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

Le premier NICANDRE seul.

La charmante Hipolite a pour moy de l’estime,
Et je n’ose répondre au beau feu qui l’anime !
A mon cruel serment tous mes sens occupez…

SCENE II. §

ISMENE, le premier NICANDRE.

ISMENE en habit d’homme.

320 Ou je vois l’infidelle ou mes yeux sont trompez.
C’est luy-mesme, le traistre. A quoy réve Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Et par quelle raison souhaitter de l’apprendre ?

ISMENE.

Vous m’aymiez autrefois, & j’ay dû presumer…

Le premier NICANDRE.

Si je vous ay connu, j’ay bien pû vous aymer ;
325 Où vous ay-je pû voir ? Tirez moy d’une peine.

ISMENE.

[p. 28]
A Lyon.

Le premier NICANDRE.

A Lyon ! Vostre nom c’est…

ISMENE.

Ismene.

Le premier NICANDRE.

J’ay beau pour vous connoistre employer mes efforts…

ISMENE.

Je ne vous parois pas ce que j’estois alors,
Vous sçavez que l’on change.

Le premier NICANDRE.

Il est indubitable,
330 Mais c’est beaucoup changer qu’estre méconnoissable ;
A Lyon j’ay pû faire un passable séjour,
Mais…

ISMENE.

Mais quoy qu’il en soit vous resviez à l’amour ?

Le premier NICANDRE.

J’y resvois, je l’avouë, une Dame si belle…

ISMENE.

Vous l’aymez ?

Le premier NICANDRE.

Si je l’ayme ?

ISMENE.

Et vous estes fidelle ?

Le premier NICANDRE.

335 Vouloir toute ma vie adorer ses appas*

ISMENE.

[p. 29]
Ingrat, c’est le paraistre, et c’est ne l’estre pas ;
Ouvre les yeux.

Le premier NICANDRE.

Monsieur…

ISMENE.

Dy mon nom, si tu l’oses,
De ton frere, perfide, as-tu sceu quelques choses ?

Le premier NICANDRE.

Un langage si haut me rend tout interdit*

ISMENE.

340 Ta Maitresse, infidelle, est dessous cét habit ;
Vois Ismene, vois traistre, & que l’œil te dessille87.

Le premier NICANDRE.

Quoy dessous cét habit j’apperçois une fille !
Ah Madame…

ISMENE.

Volage, à quoy m’obliges-tu ?
Ta honteuse inconstance a trahy ma vertu :
345 Sont-ce là ces huit jours ? Est-ce là cette flame…

Le premier NICANDRE.

Expliquez cette énigme, & de grace Madame…

ISMENE.

Cét énigme, volage, ah cruel, plût aux Dieux !
Mais ton crime visible a-t-il rien de douteux
Infidelle ?

Le premier NICANDRE.

Mon crime !

ISMENE.

Ame double, & traitresse,
350 Est-ce donc ta vertu que trahir ta Maistresse ? [p. 30]

Le premier NICANDRE.

Moy, trahir ma Maistresse ?

ISMENE.

Ouy, toy lasche.

Le premier NICANDRE.

Moy ?

ISMENE.

Toy.

Le premier NICANDRE.

Je ne vous connois pas, & j’ignore pourquoy…

ISMENE.

Tu ne me connois pas ? Toy perfide ? Toy traistre ?
Hé bien, je veux t’apprendre à pouvoir me connoistre,
355 Et te faire toy mesme à toy mesme avoüer
Que tu m’as oubliée, & n’ay pû t’oublier.
Prens-y garde.

SCENE III. §

Le premier NICANDRE seul.

J’ignore à quoy tend sa querelle
A l’entendre, autrefois je soupiray pour elle :
Moy bon Dieux ! Moy pour elle avoir pû soupirer !
360 Je ne la vis jamais, & ne puis penetrer…
Mais à quoy je m’amuse ? À quoy songe mon ame ?
Si j’ay quelques momens je les dois à ma flâme ; [p. 31]
Hipolite… Jacinte en ce lieu se fait voir ;
Jacinte…

SCENE IV. §

JACINTE, le premier NICANDRE.

JACINTE.

Il dit mon nom ! Qui vous l’a fait sçavoir ?
365 Vous me démaistressez88 maistre fourbe.

Le premier NICANDRE.

Où s’adresse…

JACINTE.

Dites-moy qui des deux est Suivante ou Maistresse ?
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?89

Le premier NICANDRE.

Parlez plus clairement, avez-vous decouvert…

JACINTE.

Rien du tout.

Le premier NICANDRE.

D’où vient donc que je comprends à peine…

JACINTE.

370 On connoit…

Le premier NICANDRE.

Quoy ? Parlez, qui connoit-on ?

JACINTE.

Ismene.

Le premier NICANDRE.

[p. 32]
Je vous entends Jacinte, Hipolite sçait bien…

JACINTE.

Que gens faits comme vous ne vaudront jamais rien,
Adieu, passe-volant90.

Le premier NICANDRE l’arrestant.

Demeurez, & pour cause,
Au mal-heureux Nicandre apprenez une chose,
375 J’allois voir Hipolite…

JACINTE.

Hipolite ! Vous ?

Le premier NICANDRE.

Moy.

JACINTE.

C’est bien fait.

Le premier NICANDRE.

Croyez-vous…

JACINTE.

Ouy, sans doute, je croy.
Je croy si vous osez dans sa chambre paraistre
Que vous n’en sortirez que par une fenestre.
Hipolite picquée*

Le premier NICANDRE.

Elle ?

JACINTE.

Non, qui donc ? Moy ?

Le premier NICANDRE.

380 Et qui l’a pû picquer* ?

JACINTE.

Vostre… je ne sçay quoy,
Vos discours outrageants, vostre langue qui jouë… [p. 33]

Le premier NICANDRE.

Ma langue est imprudente, et je la desavouë ;
Non, je ne pretends pas qu’elle parle jamais
S’il ne faut d’Hipolite applaudir les attrais.
385 Me hait-elle, Jacinte, avoüez ?

JACINTE.

L’idiote
Pour vous aymer encore est peutestre assez sotte,
Mais si j’en estois cruë…

Le premier NICANDRE.

Elle ne me hait pas !
Pour me bien obliger retournez sur vos pas,
Dites-luy tout l’excés de ma flâme amoureuse,
390 Dites…

JACINTE.

Allez ailleurs chercher une menteuse,
Monsieur.

Le premier NICANDRE.

Mettez ma flâme au degré le plus haut,
Et ce sera…

JACINTE.

Mentir justement comme il faut.

Le premier NICANDRE.

Puisque vous refusez d’aller dire que j’ayme
Offrez-moy le moyen de le dire moy mesme,
395 Que je voye Hipolite, & luy puisse parler,
Qu’un moment…

JACINTE.

J’ay bien peur de me laisser aller.
Vous l’aymez ? [p. 34]

Le premier NICANDRE.

Je l’adore, & j’adore elle seule
Ou…

JACINTE.

Qui dit Courtisan dit toujours fort en gueule91 ;
De vous croire moy mesme en secret je rougis ;
400 Cependant sans façon je retourne au logis :
J’allois faire un message, & pour vous je differe ;
A propos, Hipolite accompagne son pere,
Mais il peut la quitter, il ne faut qu’un instant…

Le premier NICANDRE.

A la prochaine ruë un inthime m’attend ;
405 Je m’en vais le trouver, où vous dois-je reprendre ?

JACINTE.

Dans une petite heure ayez soin de vous rendre…
Où diray-je ? Icy mesme, en ce coin à l’écart.

Le premier NICANDRE.

C’est assez, & de plus…

JACINTE.

Et de plus, Dieu vous gard92.

SCENE V. §

Le premier NICANDRE seul.

Temeraire serment sors de cette memoire,
410 Ne fais pas un obstacle à l’excés de ma gloire,
Depuis plus de six ans je me suis deffendu…
[p. 35]

SCENE VI. §

ROBIN, le premier NICANDRE.

ROBIN.

Monsieur, vous ne serez ny roüé, ny pendu,
Je n’ay veu ny records*, ny bourreau, ny charrette,
Tout va bien.

Le premier NICANDRE.

De quel air ce belistre* me traitte !
415 A qui parle…

ROBIN.

Pour moy, quoy que simple valet,
Dans la peur que j’avois d’estre pris au colet*
J’ay joüé de finesse, & l’ay mis dans ma poche93
Voyez vous ? Pour l’Hostesse elle tourne la broche94,
Elle dit qu’en tout cas vostre lit sera prest,
420 Que peut-estre…

Le premier NICANDRE.

A cela, je n’ay point d’interest.
Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Dy le moy toute à l’heure*
Et je croy…

ROBIN.

Je ne vais, ny ne viens, je demeure.
Comme il fait le gausseur*, d’où je viens, me dit-il,
Il a crû tout d’abord que j’estois Algoüazil95,
425 Et qu’en vrais pas de loup je venois le surprendre.

Le premier NICANDRE.

[p. 36]
Sçais-tu, mon amy, qu’on me nomme Nicandre,
Et que l’on me deplaist quand on fait le badin ?

ROBIN.

Sçavez-vous bien, Monsieur, qu’on m’appelle Robin ?

Le premier NICANDRE.

Moy, je sçaurois ton nom ?

ROBIN.

Comme je sçay le vostre,
430 Et nous nous connoissons aussi bien l’un que l’autre.

Le premier NICANDRE.

Camarade96

ROBIN.

Païs*.

Le premier NICANDRE.

Dy moy, traistre, és-tu saou ?

ROBIN.

Mon cher maistre, avoüez que vous estes bien fou.

Le premier NICANDRE.

Moy ton Maistre ?

ROBIN.

Et qui donc ?

Le premier NICANDRE.

Il a pû se méprendre.
Je t’ay dit, mon amy, qu’on m’appelle Nicandre
435 Qu’un sot conte me choque, & qu’enfin…

ROBIN.

Et qu’enfin…
Je vous ay respondu qu’on me nomme Robin. [p. D, 37]

Le premier NICANDRE.

Et ce nom de Robin suffira pour m’apprendre…

ROBIN.

Tout comme il me suffit de celuy de Nicandre.

Le premier NICANDRE.

Mais de bien te connoistre offre moy le moyen,
440 Que veux-tu ? Quel és-tu ?

ROBIN.

Mon Dieu, je ne suis rien ;
Je suis ce que je suis, qui que je sois je m’ayme,
Et je ne voudrois pas ne pas estre moy-mesme,
Je me garentis tel.

Le premier NICANDRE.

Mais pourquoy…

ROBIN.

Mais pourquoy…
Puisque vous estes vous, je puis bien estre moy.

Le premier NICANDRE.

445 Mon valet…

ROBIN.

Je le suis.

Le premier NICANDRE.

Ta folie est extrême.

ROBIN.

A tout autre que vous je dirois fou toy-mesme,
Et je pense…

Le premier NICANDRE, en s’en allant.

Maraut*, tu veux estre battu,
Et si je n’avois haste insolent… Où vas-tu ?

ROBIN.

[p. 38]
Où vous mesme allez-vous ? J’accompagne mon Maistre.

Le premier NICANDRE.

450 Je dois si je le suis te le faire paroistre
Il t’en faut une preuve impudent*, la voila.
(Il luy donne un soufflet.)

SCENE VII. §

ROBIN seul.

Il a parbleu raison, il le prouve par là.
Le secret est joly pour se bien faire croire !
De sa chienne de patte enfoncer ma machoire
455 Et souffrir sans souffler qu’il me donne un soufflet,
C’est bien estre le Maistre, & Robin le valet.
Quelle peste de preuve il me force de prendre !
Ce bon frere frappart97 est sans doute Nicandre
Ce sont là de ses coups je les sens à leur poids,
460 J’en reçois reglement prés de cent tous les mois
Et de tous ses soufflets ce n’est pas là le moindre ;
Mais où Diable à present le pourray-je rejoindre ?
Sa valize restée au logis d’où je viens
Où parmy ses habits sont aussi tous les miens
465 En tout cas… Le voicy la gueule enfarinée
Le bon traistre !
[p. 39]

SCENE VIII. §

Le second NICANDRE, ROBIN.

[Le second NICANDRE]

Qu’heureuse est pour moy la journée !
Ah Robin ! Un amy genereux, bien faisant,
Et non pas un amy comme ceux d’à present,
Dont la langue est dorée98, & dont l’ame est de bouë ;
470 Mais un ami sincere, obligeant…

ROBIN.

Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

De me voir Clidimace a les sens tous ravis,
Dans sa propre maison il me donne un logis,
A tous mes interests tout entier il se vouë,
Et je veux ce qu’il veut, pour luy plaire.

ROBIN.

Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

475 Quel sujet te fait plaindre, & pourquoy le cacher ?
C’est peut estre une dent qu’il te faut arracher,
Une dent peut suffire à gaster une bouche,
Songes-y. Mais répond sur le fait qui me touche,
As-tu veu mon hostesse, aura-t-elle tout prest…

ROBIN.

480 A cela, mon amy, je n’ay point d’interest ;
Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Dy-le moy tout à l’heure*. [p. 40]

Le second NICANDRE.

Que me dit ce Coquin ? Je t’assomme ou je meure,
Parle ; dois-je tout craindre, ou ne redouter rien ?

ROBIN.

Mais de bien te connoistre offre moy le moyen,
485 Que veux-tu ? Quel es-tu ?

Le second NICANDRE.

Qui je suis, double traistre ?
Je puis facilement te le faire connoistre,
Et sans avoir besoin d’estre si retenu…

ROBIN.

Ah Démentibuleur99 je l’ay trop reconnu.
De ne pas l’ignorer à present je me pique*,
490 Et ma jouë en peut estre un témoin autentique.
Faire pleine recepte* à deux doigts de mon nez100
D’un soufflet plantureux, & des mieux assenez101,
D’un soufflet qu’une main bien plus noire que blanche
Depuis plus de six mois mitonnoit dans sa manche,
495 D’un soufflet qui par terre quasi a repandu…
Si vous ne le payez je veux estre pendu.

Le second NICANDRE.

Est-ce pure gageure* ? Ou bien si tu déterres102

ROBIN.

C’est gageure*.

Le second NICANDRE.

Gageure* ?

ROBIN monstrant sa jouë.

On m’en donne des erres103
(Il chante de rage.)
[p. 41]
Voyez-vous ? Mon cadet… Là, là, là, là, là, là.

SCENE IX. §

JACINTE, HIPOLITE, le second NICANDRE, ROBIN.

JACINTE, sortant avec Hipolite.

500 Il vous attend Madame, & c’est luy que voila,
Avancez.
(à Nicandre.)
A vous voir je l’ay fait condescendre,
Prés d’une heure Hipolite a voulu s’en deffendre,
Mais j’ay tant de vos feux appuyé le party,
J’ay tant dit que mes soins vous avoient pressenty,
505 Tant de fois repeté que toûjours pour Ismene
Loin d’avoir de l’amour vous auriez de la haine…

Le second NICANDRE.

De la hayne pour elle, ah ! Je brûle d’amour,
Non, non…

HIPOLITE à Nicandre.

De vos mépris vous voila de retour,
Je l’ay sçeu de Jacinte, Ismene est pourtant belle.

Le second NICANDRE.

510 Elle est toute charmante, & je n’adore qu’elle,
Son aymable visage a des charmes si doux…

JACINTE.

Il se mocque, Madame, il n’adore que vous
Il me l’a dit. [p. 42]

Le second NICANDRE.

Moy ?

JACINTE.

Vous.

Le second NICANDRE.

En parlant de ma flâme
Loin de vous avoir dit que j’adore Madame…

JACINTE.

515 Quoy, vous n’avez pas dit à moy mesme, en ce lieu…

Le second NICANDRE.

Rien du tout.

JACINTE.

Rien ! Madame il offence bien Dieu
Le mechant homme !

Le second NICANDRE.

Quoy…

[JACINTE.]

Quoy, vous-mesme hypocrite
Quand vous estes venu pour luy rendre visite…

Le second NICANDRE.

Moy visite ! Robin pourra dire au besoin*

ROBIN.

520 Je vous sers de valet, & non pas de tesmoin.

Le second NICANDRE.

Mais tu sçais…

ROBIN.

Je ne sçay si je sçais quelque chose,
Mais je me tais.

HIPOLITE à Jacinte.

[p. 43]
Tu vois où ton zele m’expose
A ton rapport sans doute il n’a pas consenty.

JACINTE.

J’ay dit vray, je vous jure, & Nicandre a menty,
525 Je n’ay pas grace à Dieu, la memoire debile,
Il faloit que pour lors104 son valet fut en ville
Lui seul en cette place il faisoit l’idiot.

Le second NICANDRE.

Quand vous m’avez parlé j’estois seul ! Responds.

ROBIN.

Mot.

Le second NICANDRE.

Où donc, lors que Jacinte a commencé sa guerre
530 Estois-tu ?

ROBIN.

Dans le Monde.

Le second NICANDRE.

En quel lieu ?

ROBIN.

Sur la terre.

Le second NICANDRE.

L’endroit, c’est…

ROBIN.

Dans la France, à Paris, que je croy.

Le second NICANDRE.

En presence…

ROBIN.

En presence ? En presence de moy.

Le second NICANDRE.

Mais perfide Robin le desssein où tu buttes…

ROBIN monstrant sa jouë.

[p. 44]
Il ressouvient* tousjours à Robin de ses flutes105.

Le second NICANDRE.

535 Ils s’entendent, Madame, un indice trop grand…        535

JACINTE.

Si je luy dechargeois un bon moule de gand106,
Madame, laissez-moy luy bailler* sur la creste*.

ROBIN à Jacinte.

Ne prends point de conseil que celuy de ta teste ;
J’en suis de moitié rosse107.

HIPOLITE.

Enfin, il m’est honteux
540 D’avoir pû vous apprendre où j’adresse mes vœux ;        540
Ne vous souvenez pas qu’Hipolite vous aime,
Oubliez…

Le second NICANDRE.

Vous m’aymez !

HIPOLITE.

Je l’ay dit à vous mesme,
Ingrat, & ma foiblesse est allée à ce point…

Le second NICANDRE.

En vérité, Madame, il ne m’en souvient point.
545 Vous m’avez, dites-vous, adorable Hipolite…

HIPOLITE.

Une feinte si basse, & m’outrage, & m’irrite,
Je ne suis pas Jacinte, & vous vous méprenez…

JACINTE.

Paumez-luy108 moy la gueule, & luy cassez le nez,
Faut-il tant de façons ? J’en enrage d’envie,
550 Son valet qui me pousse à cela me convie.

Le second NICANDRE.

[p. 45]
Tu la pousses, perfide, & ton cœur est si bas…

ROBIN.

Moy loin de la pousser je luy retiens le bras,
Elle a menty.

JACINTE.

Madame, admirez l’autre traistre,
Le valet se gauberge* aussi bien que le maistre ;
555 Oses-tu ?... Voyez-vous, il fait signe des yeux…

ROBIN.

Vous mentez comme un Diable impudente*.

JACINTE luy donne un soufflet.

Moy ?

ROBIN.

Deux ;
C’est le compte tout rond, & ma jouë applattie…
Ah Maistresse coureuse, ou du moins apprentie…

JACINTE.

Quoy belistre*

Le second NICANDRE.

La belle, il faut moins s’émouvoir
560 Votre sexe109, & Madame ont icy tout pouvoir,
Essayez ma petite à vous rendre plus sage :
Pour vous, c’est à regret que ma voix vous outrage,
D’avoir pû vous choquer j’ay beaucoup de douleur,
Et de peur qu’il n’arrive un semblable mal-heur
565 Je sors.

ROBIN à Jacinte.

Je sors aussi, mais avant que je sorte
A ton peste de bras qui n’a pas la main morte
Je souhaite la galle, & qui mine ton corps ; [p. 46]
A tes pieds tout crochus je souhaite des cors ;
A ta jambe une ulcere ; à ta cuisse une goutte ;
570 Que de toy desormais tout chacun se dégouste ;
Je souhaite à ton ventre une canine faim,    
Et que pas un mortel ne te donne du pain ;
Loin d’avoir des appas*, & des charmes qui brillent,
Je souhaite à ton sein des tetons qui brandillent ;
575 A ton bas de visage un menton fort pointu ;
A tes dents une bresche à passer tout vestu ;
A ton nez la roupie ; aux yeux cire110, au front crasse ;
Et que de tes cheveux dont tu tires ta grace
On fasse des licous* au Bourreau de Paris
580 Pour pendre les lacquais qui sont au Paradis.
Peste de Cagne*.

SCENE X. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Hé bien ?

JACINTE.

Sans perdre une parole
Depeschez vistement de joüer vostre rolle.
Au secours, à la force, embrassez l’interest…
Tout va le mieux du monde, Isidore paraist,
585 Isidore !
[p. 47]

SCENE XI. §

ISIDORE, HIPOLITE, JACINTE.

ISIDORE.

Il s’exhibe111 où le cry prend son estre
Qu’est-ce ?

HIPOLITE.

Comme un éclair il vient de disparaistre ;
Il faut qu’asseurément il vous ait entendu.

ISIDORE.

Eclaircis ta matiere à mon individu ;
A ma memoire active à comprendre la chose
590 De sa voix attractive incorpore112 la cause,
Articule tes mots, & divulgue le fait ;
Puis apres de la cause on descend à l’effet.
Deduits ta malencontre* en maniere succinte.

HIPOLITE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Jacinte.

ISIDORE à Jacinte.

595 Oculaire témoin du mal-heur qu’elle tait,
Toy, qui peut à son pere inculquer son secret,
De le développer j’interpelle113 ton ame.

JACINTE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Madame.

HIPOLITE.

J’apprehende si fort de vous voir indigné
600 Qu’en fin…

ISIDORE.

Ma geniture, aurois-tu forligné114 ? [p. 48]

HIPOLITE.

Ah !

JACINTE.

Ah !

ISIDORE.

Dieux des sçavans, l’une & l’autre soûpire !
D’où dérive…

HIPOLITE.

Autre part je sçauray vous tout dire,
Et puisqu’un prompt remede est icy de saison*
Vous forcerez le traistre à m’en faire raison115.

Fin du second Acte.

[E, 49]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

ISMENE, LE COMMISSAIRE.

ISMENE.

605 Enfin de mon mal-heur vous avez connoissance,
Je vous ay de ma honte assez fait confidence,
Je vous ay découvert de quel sexe je suis,
Et le nom & l’ingrat qu’à present je poursuis :
Mais tout ingrat qu’il est, comme il a du courage
610 Il peut vous outrager, & je crains qu’on l’outrage ;
Car enfin, à la haine il a beau m’animer,
Mon naturel usage est l’usage d’aymer :
En m’ostant son amour, il retient ma tendresse ;
Ainsi pour s’en saisir il faut user d’adresse,
615 Puis que de tous costez je redoute le[s] coups,
Soit qu’ils viennent de luy, soit qu’ils viennent de vous.

LE COMMISAIRE.

Vous craignez vainement qu’il se puisse deffendre,
Jusques dans son logis on le peut aller prendre,
Et quinze ou seize Archers aux captures forts prompts…

ISMENE.

[p. 50]
620 Ah ! De grace, à Nicandre espargnons ces affronts,
L’ingrat m’est tousjours cher, tout cruel qu’il puisse estre ;
Et quoy qu’il soit éteint, son amour peut renaistre :
Escoutez le biais que je croy le plus doux,
Je luy fais un appel, & je prends rendez-vous ;
625 Je m’en dis offencé, sans luy dire autre chose ;
Je luy mande qu’au Cours116 il en sçaura la cause ;
Que je suis Gentil-homme aussi noble que luy ;
Et qu’au lieu que je marque il peut mesme aujourd’huy…

LE COMMISSAIRE.

Et sur vostre parole il aura l’asseurance…

ISMENE.

630 Il a tant de courage & si peu de prudence,
Qu’à sa seule valeur osant trop se fier
Dans le Cours de la Reyne il sera le premier.
Là, vous & vos Archers ayez soin de vous rendre,
Et sous un faux-semblant de vouloir nous deffendre,
635 Nous ayant desarmez par vostre autorité,
Vous pourrez le saisir avec facilité.
Cette voye est plus douce, & me semble plus seure.

LE COMMISSAIRE.

Mais enfin d’une femme il verra l’écriture,
Et d’un cœur amoureux prevenant le dessein…

ISMENE.

640 Vous croyez mon cartel* fabriqué de ma main ?
Une main empruntée a pris soin de l’écrire ;
Et pour en peu de mots achever de tout dire, [p. 51]
Un valet que j’ay pris aux degrez* du Palais
Mieux vestu mille fois que mille autres valets
645 Servira ma colere, & fera mon message ;
Vous de vostre costé commencez vostre ouvrage,
Amassez tous vos gens, & selon mon espoir
Faites-les rendre au Cours à six heures du soir :
Voila ce que de vous j’ay voulu me promettre,
650 Et tandis qu’au Courrier mon valet va remettre…
Il revient, il me cherche, allez tout dépescher,
Adieu.
(Le Commissaire sort.)

SCENE II. §

RAGOTIN, ISMENE.

RAGOTIN.

N’est-ce pas vous que je viens rechercher
Dites-moy ?

ISMENE.

C’est moy-mesme ; As-tu beaucoup de zele ?
Car je ne doute point que tu ne sois fidele,
655 Et de ta part enfin je crains peu d’accidens.

RAGOTIN.

N’ay-je pas dans Paris cinq ou six Respondans
Pour me cautionner s’ils me sont necessaires ?
J’ay trois Lacquais, un Page, & deux Clercs de Nottaires,
Diable je suis connu par d’honnestes Messieurs ! [p. 52]
660 J’ay l’honneur, qui plus est, d’estre aimé de plusieurs,
Et je conte117 cela mon plus bel avantage.

ISMENE.

Il est grand, mais escoute, as-tu bien du courage ?

RAGOTIN.

Du courage ! J’en créve… En mon juste courroux…
Produisez* quelques-uns qui me tastent le poux,
665 Est-ce Brave118 ? Soldat ? Mousquetaire ?

ISMENE.

Moy-mesme.

RAGOTIN.

Vous, Monsieur ?

ISMENE.

Moy ?

RAGOTIN.

Pour vous mon respect est extreme,
Je suis vostre valet.

ISMENE.

Mais enfin…

RAGOTIN.

Mon Dieu, Mais
C’est un poinct chatoüilleux que l’honneur d’un Lacquais,
Je suis plein de courage, & n’en fus jamais vuide,
670 Mais j’aurois du regret de faire un Maitricide119 :
Vous ne l’ignorez pas les honnestes Chrestiens…

ISMENE.

Tu conçois à rebours le discours que je tiens,
J’ay querelle.

RAGOTIN.    [53]

Querelle ! Est-il vray ?

ISMENE.

J’ay querelle
Et je veux éprouver à quel poinct va ton zele :
675 Pour porter un Cartel* de toy seul j’ay fait choix.

RAGOTIN.

Donnez-vous bien souvent de semblables emplois ?

ISMENE.

RAGOTIN.

Dites-moy donc sans donner de bricole*
Si c’est que je me louë, ou bien si je m’enrolle120 ?

ISMENE.

As-tu peur ?

RAGOTIN.

Moy ? Non, mais…

ISMENE.

Mais point tant de façon,
680 Si tu sens de la peur tu peux le dire.

RAGOTIN.

Et… non,
Mais…

ISMENE.

Voila le Cartel*, prends le soin de le rendre,
Tu liras le dessus, il s’addresse à Nicandre.

RAGOTIN.

A Nicandre ?

ISMENE.

A Nicandre, il demeure icy prés ;
A ce nom tu fremis que je crois ? [p. 54]

RAGOTIN.

Moy ? Non, mais…

ISMENE.

685 S’il demande le nom de celuy qui t’envoye,
Il pourra le sçavoir, puis qu’il faut qu’il me voye ;
Je vais dans mon logis, ruë aux Ours, au Dauphin,
De ce jour ennuyeux* attendre le declin,
Cela fait dans ce lieu tu viendras me reprendre,
690 Adieu.

SCENE III. §

RAGOTIN seul.

Je vais porter un Cartel* à Nicandre !
A luy qui me veut battre, et qui fait le mâdré121,
Ah Nicandre, ma foy tu seras Nicandré122 !
Tu t’en vas étrenner mon épée. Il avance,
Mais il ne songe pas à cecy que je pense ;
695 Dieu sçait si le Cartel* le va rendre esperdu !
[p. 55]

SCENE IV. §

Le premier NICANDRE, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Jacinte asseurément m’aura trop astendu ;
Il m’a trop retenu cét Amy, j’en deteste123.
Où pourray-je à present la trouver ? Ah, ah.

RAGOTIN luy allongeant une botte*.

Zeste*.

Le premier NICANDRE.

Tu reviens à belle heure, & tu penses qu’au cas…

RAGOTIN.

700 Ouy, je pense, pourquoy ne penserois-je pas ?
Je veux penser.

Le premier NICANDRE.

Coquin, je puis t’estre funeste,
Et si tu fais le fou tu ne doute[s] pas…

RAGOTIN allongeant encore une autre botte*.

Zeste*.

Le premier NICANDRE.

Où crois-tu que tu sois, dy marouffle*.

RAGOTIN.

Pourquoy ?
J’ay mon droict comme vous sur le pavé du Roy,
705 Dequoy vous meslez-vous ? Qu’est-ce donc ? J’y veux estre.

Le premier NICANDRE.

[p. 56]
Mais à qui donc és-tu ?

RAGOTIN.

Moy je suis à mon Maistre,
Avec autre que vous on se trouve un peu mieux ;
Tenez quasi defunt, jettez icy les yeux,
Puis apres au Seigneur recommandez vostre ame.

Le premier NICANDRE.

710 Cét Infame…

RAGOTIN.

Tantost vous aurez de l’infame ;
Vous m’avez querellé, vous avez fait le fat*,
Vous en mourrez, beau Sire, & mourrez intestat124,
Lisez.

Le premier NICANDRE lit.

Sans que je me nomme,
Nicandre vous sçaurez que je suis Gentil-homme,
715 Qui l’espée à la main ay dessein de vous voir,
Du sujet que j’en ay j’ose tout me promettre :
C’est au Cours de la Reyne à six heures du soir ;
Et j’auray le Second qui vous rend cette Lettre.
(Nicandre continuë.)
Tu ne me sers donc plus, Ragotin ?

RAGOTIN.

Non ma foy.

Le premier NICANDRE.

720 Je n’en murmure point, cela dépend de toy,
Tu te rends le Second de celuy qui m’appelle ?
Tu le dois, c’est ton Maistre, & j’admire ton zele ;
Voyons si ta valeur à ton zele respond.
(Il tire l’épée, et Ragotin remet la sienne.)

RAGOTIN.

[p. 57]
Que ne suis-je Premier aussi bien que Second !
725 Voyez-vous de courroux comme le nez me fronce ?

Le premier NICANDRE.

Quoy tu crains…

RAGOTIN.

Escoutez je vais vous rendre response ;
Si vous vouliez m’attendre un moment dans ce lieu ?

Le premier NICANDRE.

Je le veux…

RAGOTIN.

Mettez là vostre main. Sans Adieu,
C’est assez, si j’y viens que le Diable m’emporte.
(bas.)

SCENE V. §

Le premier NICANDRE seul.

730 Ciel vous m’estes propice, & l’on ouvre la porte ;
Le bon-heur de vous voir va donc m’estre accordé
Hipolite, Jacinte, ay-je point trop tardé ?
Si vous pouviez sçavoir quel plaisir vous me faites,
Je jure…
[p. 58]

SCENE VI. §

JACINTE, Le premier NICANDRE.

JACINTE.

Allez vous-en au peautre*, à qui vous estes.

Le premier NICANDRE.

735 Quoy Jacinte me laisse, & dans cét embarras…

JACINTE.

Allez vous-en au Diable, & ne me touchez pas
Vous dis-je.

Le premier NICANDRE.

Mais Jacinte, il me semble…

JACINTE.

Il me semble
Qu’on ne vaut pas la peste alors qu’on vous ressemble,
Qu’estre lasche, perfide, hipocrite, emballeur*,
740 Meschant comme la gresle, insolent suborneur*,
Qu’avoir l’ame du Diable à tous coups possedée,
C’est de vostre peinture une legere idée125 ;
Il me semble cela.

Le premier NICANDRE.

Mais au moins…

JACINTE.

Au moins mais…

Le premier NICANDRE.

Mais vous m’avez promis…

JACINTE.

[p. 59]
Mais je vous dépromets126.
745 Et de plus laissez-moy, j’ay des mains, je devore127.

SCENE VII. §

EUTROPE, JACINTE, le premier NICANDRE.

EUTROPE.

Est-ce pas prés d’icy que demeure Isidore ?

JACINTE.

Ouy, le voulez-vous voir ?

EUTROPE.

Ah ! Je le voudrois bien.

JACINTE.

Attendez.

Le premier NICANDRE à Jacinte.

Vous pouvez par le mesme moyen…
A tout ce procedé, je ne puis rien comprendre,
750 Jacinte…

EUTROPE.

Ou je m’abuse, ou je vois le Nicandre,
Je le vois, c’est luy mesme. A la fin je te tiens,
C’est en vain que tes bras sont plus forts que les miens.
Qu’as-tu fait de ma fille ?

JACINTE appelle à une fenestre.

Isidore ! Allons viste.
(A Eutrope.)
[p. 60]
Tenez ferme, tenez ; car il faut qu’on le gifle.
755 Isidore !

Le premier NICANDRE.

Monsieur laschez-moy de ce pas,
Ou du moins…

JACINTE.

Tenez ferme, & ne le laschez pas ;
Son filou* de cacquet m’a sceu rendre ébloüye.

SCENE VIII. §

ISIDORE, JACINTE, EUTROPE, Le premier NICANDRE.

ISIDORE à la fenestre.

Une voix transcendante128 a percé mon oüye.
Apprettez-vous129

JACINTE.

Monsieur, venez viste au secours,
(A Eutrope.)
760 Venerable vieillard, tenez ferme toûjours,
D’une fille de bien, de famille assez grande
Ayant pris tout l’honneur, il faut qu’il [me] le rende130
Ou qu’il créve.

EUTROPE.

De rage, il m’en void tout en feu
Le déloyal, le traistre !

Le premier NICANDRE.    [F, 61]

Est-ce conte ? Est-ce jeu ?
765 Quoy Jacinte elle mesme aura donc de la joye…

JACINTE.

Venez viste, Monsieur, vous saisir de la proye,
C’est Nicandre.

EUTROPE.

Luy-mesme.

Le premier NICANDRE.

Il est vray, mais confus…

ISIDORE en bas.

Rendons-en grace, & los à Jupin de la sus131.
O malin Tereus132 de qui l’ame trop noire
770 D’une Philomella133 contamines la gloire ;
Toy qui dans le vray centre où l’on prend les plaisirs,
Veux immatriculer134 tes coupables desirs ;
Un saut patibulaire135 est le prix que j’annexe
Aux torrides136 souhaits dont l’outrage me vexe ;
775 Et par un sort tragique asprement* avancé
Du terrestre climat tu seras expulsé.

JACINTE.

Prenez l’occasion qu’un bon Ange vous offre,
Tandis qu’il est icy permettez qu’on le coffre,
Je m’en vais au plus viste amener le Coffreur137.
(Elle sort)

Le premier NICANDRE tenu par les deux bras.

780 Quoy, de l’un & de l’autre éprouver la fureur !
D’un couroux si bizarre apprenez-moy la cause ;
Soit à vous, soit à vous, ay-je fait quelque chose ?
De qui m’ose arrester que je sçache le nom,
Est-ce vous ? Est-ce vous ? [p. 62]

EUTROPE.

C’est moy-mesme.

ISIDORE.

Ego sum138.
785 Une fille effleurée139 est un grand vitupere140.

EUTROPE.

Et cela de bien prés touche un mal-heureux pere
Isidore.

ISIDORE.

Isidore ! Hé vous me cognoissez ?

EUTROPE.

Je ne vous ay point veu depuis dix ans passez,
Un tel temps a rendu ma memoire affoiblie,
790 Cependant de vos traits elle est toute remplie ;
Eutrope ayme Isidore, & le Ciel a permis…

ISIDORE.

Eutrope ! Ah parangon141 des fidelles amis !
Charissime142 Collegue incapable de noises*,
Relegué par le sort aux rives Lyonnoises,
795 Si vous estes fertille en tendresses pour moy,
Etreignez Isidore, & pleignez son esmoy :
C’est Eutrope !

EUTROPE.

Vous voir est ce que je souhaite,
Mais ma joye Isidore est pourtant imparfaite,
Une fille abusée…

ISIDORE.

Ah !

EUTROPE.

Ah !

ISIDORE.

[p. 63]
Ah !

EUTROPE.

Ah !
(Isidore et Eutrope laschent Nicandre, & s’embrassent en pleurant, tandis que Nicandre s’echape.)

Le premier NICANDRE.

Destin
800 Je suis débarassé de leurs mains à la fin ;
Mais le foible mal-heur que celuy que j’évite
Si le triste Nicandre est haï d’Hipolite ;
Elle est seule chez elle, allons-y de ce pas.
(Il entre chez Hipolite.)

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, ROBIN, EUTROPE, ISIDORE.

ROBIN chargé d’une Valise.

Ah ! Que démenager est un rude tracas !
805 Peste soit la valise, elle est diablement lourde,
Haye ! Au meurtre ! Ah l’échine143 !
Les deux vieillards estans embrassez, Robin passe auprés d’eux, trébuche, se laisse tomber, & les fait tomber tous deux.

EUTROPE.

Ah maudite balourde144 !

ISIDORE.

[p. 64]
J’ay les muscles froissez, & le corps mutilé.

Le second NICANDRE.

Ce coquin… Dieux Eutrope ! Il paroist désolé :
Quoy le pere d’Ismene est dedans cette ville !
810 A la premiere porte attrapons un azile,
Fuyons.
(Il entre aussi chez Hipolite.)

SCENE X. §

EUTROPE, ISIDORE, ROBIN.

EUTROPE.

Est-ce pour rire, ou du moins es-tu fou ?

ROBIN.

Ouy vrayment c’est pour rire ; on se casse le cou
Pour rire. C’est Eutrope, il faudra qu’on acheve…
Monsieur ! Je crois ma foy que le Diable l’enleve,
815 Ho, Nicandre ! Il fait gille145, & je suis retenu ;
Dites-moy, s’il vous plaist ce qu’il est devenu
Messieurs ?

EUTROPE.

Le voyez-vous le malicieux traistre ?
Il nous a fait tomber pour faire fuir son Maistre :
Quoy perfide Robin, ose[s]-tu nous choquer ?

ISIDORE.

820 Dans la prison prochaine il le faut colloquer*,
Et que touchant son Maistre une reminiscence*

ROBIN.

Moy, Messieurs, en prison ? Vous raillez* que je pense.

EUTROPE.

[p. 65]
Dy l’endroit qui le cache, ou du moins nous le rend.

ROBIN.

Si le Diable l’emporte, en puis-je estre garand
825 Messieurs ?

EUTROPE.

Laisse la feinte & paroist plus sincere,
Le mal-heur d’une fille émeut l’ame d’un pere ;
Peut-etre est-elle grosse, & je sçay le moyen…

ROBIN.

Ma foy grosse ou menuë il n’y va rien du mien.
De ce qu’à cette fille on peut dire les causes,
830 Et ne pas se méprendre en faisant choix des choses :
Si dedans un cachot je me voyois caché
Je ferois penitence, & je n’ay pas peché ;
De quoy que mon Estoille aujourd’huy me menace
Ou souffrez que je peche, ou qu’un autre le fasse ;
835 Je ferois à regret penitence gratis.

ISIDORE.

Empéchons que nos vœux ne soient pas mi-partis,
Themis146 veut qu’on le tolle147, & s’il raciocine148

ROBIN.

En son chien de patois qu’est-ce qu’il baragouïne* ?
Ma mort est resolüe, il le dit en Hebreu.
840 A condamner Robin differez tant soit peu
Et qu’un jour à venir le bon Dieu vous le rende
Charitables Messieurs qui voulez qu’on me pende,
Et qui tous acharnez sur un pauvre garçon…
Mais que voicy des gens de méchante façon ;
845 Ah ! Combien les Bourreaux ont de Valets de Chambre !
[p. 66]

SCENE XI. §

EUTROPE, ISIDORE, JACINTE, UN SERGENT, [ROBIN], des Archers.

LE SERGENT.

Messieurs, de la Justice ayant l’heur* d’estre Membre149

ROBIN.

Membre, vous ?

LE SERGENT.

Ouyda, Membre ; & je diray de plus…

ROBIN.

Diable, que la justice a les Membres dodus !

JACINTE.

On diroit qu’à vos vœux toutes choses réponde[nt],
850 Ces Messieurs tous ensemble attendoient d’autre monde,
Et Nicandre… Le traistre où s’est-il retiré ?

ISIDORE.

Imperceptiblement il s’est évaporé ;
Mais voila qui le pleige150, il faut qu’on l’apprehende ;
Que dedans une Chartre* apres on le descende ;
855 Et son procez en suite estant fait, & parfait
Qu’il serve d’holocauste* à mon sang putrefect151.

EUTROPE.

Vôtre sang, dites-vous ? C’est le mien qu’on outrage.

ISIDORE.

[p. 67]
C’est le mien.

EUTROPE.

C’est le mien.

ROBIN.

J’ay le dos bon, courage.
(A Eutrope.)
Vostre fille à ce compte a perdu son honneur ?

EUTROPE.

860 Ouy perfide.

ROBIN à Isidore.

La vostre a le mesme mal-heur ?

ISIDORE.

Ouy, pecore*.

ROBIN à Jacinte.

Et le tien ?

JACINTE.

Moy ? Je l’ay.

ROBIN.

Chose vraye ?
Car si tu ne l’as plus il faut bien que je l’aye ;
Croy-moy tastes-y, taste, et ne déguise rien,
Tu peux parmy le leur faire passer le tien ;
865 Cependant que d’honneur tout le monde me charge,
Signe au bas de la feuille, & te mets à la marge.
Ton honneur, si tu l’as…

JACINTE.

Si ? Comment si fripon ?
Moy, si j’ay mon honneur ? Si je l’ay ?

ROBIN.

Que sçait-on ?
On te void du grand monde imiter la metode, [p. 68]
870 Tu veux comme ce monde encherir sur la mode,
Ce qu’il fait tu le fais, & pour cette raison
Le Si, dont je te parle est assez de saison*.
Si donc…

JACINTE.

Quoy, vous souffrez que ce perfide cause ?

LE SERGENT.

Si de mon ministere il vous plaist quelque chose,
875 Messieurs…

EUTROPE.

C’est ce pendart152 qu’il faut prendre.

ROBIN.

Qui ?

JACINTE.

Toy.

ISIDORE.

Accipez153.

EUTROPE.

Saisissez.

JACINTE.

Prenez.

LE SERGENT saisissant Robin.

De par le Roy…

ROBIN.

Vrais Suppots de Satan, effroyable couvée154
Peste comme le Membre155 a la teste levée !
Il me va mener pendre, il n’est rien si constant156 ;
880 Membre qui démembrez ne me tirez pas tant.
(Aux Archers.)
Vous petits Membrillons dont je crains la presence,
Vous, qui du Maistre-Membre accroissez la puissance,
Hapes-Chairs de mon ame, ah ne permettez point [p. 69]
Que de pierre de taille on me fasse un pourpoint157.
885 Je suis valet de bien, & c’est pure malice.        885

EUTROPE.

D’un méchant ravisseur c’est l’infame complice,
Et l’honneur d’une fille a rendu desolé…

ROBIN.

Eh Monsieur qu’on me fouille on verra si je l’ay.
L’honneur est necessaire en de bonnes familles,
890 Et j’en voudrois avoir pour donner à vos filles.
Si pour prendre le mien dans ce lieu l’on m’a pris
Messieurs…

ISIDORE au Sergent.

Vous le tenez in manibus vestris158,
Suffecit159 ; Domine160 vous sçaurez m’en respondre,
Dans un sombre manoir* vous devez le profondre161,
895 Puis quand dans la prison vous l’aurez integré,
L’hostel de Nicandre vous sera démonstré.
Sur tout vers sa demeure ayez soin qu’on se muce162,
Employez à sa prise & la fourbe, & l’astuce,
L’amiable Hyacinte ira guider vos pas.
900 Vous Eutrope in domum163 venez prendre un repas,
Et lors qu’à vos douleurs vous aurez donné trêve
Vous me clariffirez le sujet qui vous gréve164.
Venez.

EUTROPE.

Vous le voulez, j’accomplis vos souhaits,
(Au Sergent.)
Debonnaires Messieurs vous serez satisfaits ;
905 Mais au traistre Robin daignez joindre Nicandre.
[p. 70]

SCENE XII. §

ROBIN, LE SERGENT, JACINTE, Les Archers.

ROBIN au Sergent.

Membre, nous sommes seuls, on ne peut nous entendre,
Dites-moy, puis-je pas un moment vous parler ?

LE SERGENT.

Tu le peux un moment, que veux-tu ?

ROBIN.

M’en aller,
O cher Membre.

LE SERGENT.

Il raisonne, on diroit qu’il méprise…

ROBIN.

910 Menez donc à ma suite en prison la valise
O Gigot de Justice165, & traisnez avec moy
Mon mal-heureux pacquet dans la Maison du Roy166.

Fin du troiziesme Acte.

[p. 71]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

HIPOLITE, le premier NICANDRE.

HIPOLITE.

D’une indigne foiblesse à ma gloire mortelle
Tu viens de recevoir une preuve nouvelle ;
915 Je cherchois à te perdre, & tu m’as sceu toucher,
Je voulois qu’on te prit, & j’ay sceu te cacher :
Je sçay qu’il est honteux que mon sexe soupire,
Mais tel est de l’amour l’inévitable empire ;
Et le feu qu’en son ame une fille ressent
920 Pour estre plus contraint n’en est pas moins puissant.
C’est en vain que d’un cœur où l’amour a pris place
La pudeur en tumulte autorise l’audace ;
N’aymer rien que d’aymable est un foible si doux…

Le premier NICANDRE.

Ah que ce foible est beau quand on brusle pour vous !
925 Ma flâme impetueuse est pour vous trop fidelle
Pour convaincre d’erreur une bouche si belle :
Pourtant quelques respects dont je sois combattu
Ce que vous nommez foible est toute ma vertu. [p. 72]
Il est doux d’estre aymé, c’est avoir de la gloire ;
930 Mais s’il est doux de l’estre, il est doux de le croire ;
Vous avez tant d’appas*, je merite si peu,
Qu’un équitable doute accompagne mon feu :
Je dois à l’apparence un amour qui m’honore,
En voyant mes deffauts m’aymerez-vous encore ?
935 Consultez-vous, Madame, & sans precipiter…

HIPOLITE.

Toy-meme, ingrat, toy-meme ose te consulter.
Avouë ingenument que tu ne peux sans peine
Pour aymer Hipolite abandonner Ismene ;
Et que de mes bontez l’injurieux excez
940 De ta premiere flâme empesche le succez*.
Afin que ton destin à mon destin s’attache
J’ay sçeu faire moy-meme à moy-meme une tâche ;
On me croit abusée, on te croit suborneur*,
Et l’on doit te contraindre à me rendre l’honneur.
945 Je te l’ay déjà dit, & ton ame est instruite…

Le premier NICANDRE.

Je l’avois oublié genereuse Hipolite,
Mais il m’en ressouvient*, & d’un cœur amoureux
L’obligeante imposture a remply tous mes vœux.
De mon amour aussi daignez estre certaine,
950 Je soûpire pour vous, & non pas pour Ismene,
De vos seules beautez je connois le pouvoir,
Vos yeux seuls…

HIPOLITE.

S’il est vray, tu le peux faire voir,
On me croit abusee, & l’honneur te convie… [G, 73]

Le premier NICANDRE.

Je vous entends, Madame, & j’en brusle d’envie,
955 Je dois à vostre feinte accorder mon aveu ;
Mais l’endroit est mal propre à parler de mon feu.
Vous m’aimez, je vous aime, il me suffit, Madame,
Appaisez vostre pere en faveur de ma flâme,
Dés demain je m’appreste au bon-heur de le voir
960 Pourrez-vous l’appaisez ?

HIPOLITE.

J’y feray mon pouvoir,
Adieu.

Le premier NICANDRE.

Donc à ma flâme il n’est rien de contraire…

HIPOLITE retourne sur ses pas.

Si je fais mon pouvoir je pourray beaucoup faire,
J’oubliois de le dire, Adieu,

Le premier NICANDRE.

Mais… Elle sort.
Ne sois plus un obstacle aux douceurs de mon sort
965 Mon frere, & souffre au moins qu’une flâme si belle…
Mais au Cours de la Reyne enfin l’heure m’apelle :
Je n’ay point de Second, mais du moins j’ay du cœur,
Et de plus mon espée est de bonne longueur.
Il est vray qu’assez foible est le bras qui seconde…
[p. 74]

SCENE II. §

ROBIN, le premier NICANDRE.

ROBIN avec une Bouteille à la main.

970 Ah mon bon Dieu ! Pourtant je ne vois point de monde.
Ces maudits Houspilleurs167 comme ils m’ont fait driller*.
(appercevant Nicandre.)
Autre Chasse-Coquin qui m’entend babiller168 ;
Il me lorgne*. Ah c’est vous, ô Messire Nicandre,
Bon jour.

Le premier NICANDRE.

Dy promptement ce que tu veux m’aprendre,
975 Je ne puis faire icy qu’un moment de sejour,
Si tu veux me parler parle viste.

ROBIN.

Bon jour.
Des mains de la Justice est-ce ainsi qu’on s’arrache ?
Eh que si169 le bon homme eût trouvé vostre cache !

Le premier NICANDRE.

Si je me cache ou non que t’importe ?

ROBIN.

Si fait170
980 Il m’importe.

Le premier NICANDRE.

Il t’importe ! As-tu quelque sujet

ROBIN.    [75]

Faudra-t-il point que je vous rende grace
De ce qu’au lieu de vous en prison on m’enchasse171 ?

Le premier NICANDRE.

On t’a mis en prison !

ROBIN.

Et bien mis, qui plus est,
Les bourreaux.

Le premier NICANDRE.

C’est, dis-tu, pour mon seul interest ?

ROBIN.

985 Nenny*, c’est pour le mien ; je suborne* des filles ;
Et je suis en amour grand abateur de quilles172.

Le premier NICANDRE.

Ne veux-tu me donner que de sottes raisons ?

ROBIN.

Ne vous souvient-il pas des deux chiens de grisons*
Vôtre futur beau-pere, & son cher meigre-échine173 ?

Le premier NICANDRE.

990 Hé bien.

ROBIN.

Tu Dieu174, Monsieur, la méchante vermine !
A peine de leur veuë estiez-vous échapé
Qu’un gros peste de Membre aussi-tost m’a gripé175 ;
L’un & l’autre grison* ne sçavoit où se prendre ;
Moi n’ayant point d’honneur que je pusse leur rendre
995 Au redoutable son d’un seul, De par le Roy
Cinq ou six Poussecus* se sont jettez sur moy,
Et par tant de costez m’ont fait coure176 si viste
Qu’à la fin, grace aux Dieux ils m’ont mis dans le giste.
On nous croit de concert*, & l’on s’est fourvoyé. [p. 76]

Le premier NICANDRE.

1000 Voyant ton innocence on t’a donc renvoyé ?
On s’est donc apperçeu de cette erreur extréme ?

ROBIN.

Je m’en suis, par ma foy, revenu de moy-mesme.
Considerez le tour que je viens de jouër ;
Mes Archers occupez à me faire écrouër
1005 Avoient mis à la porte un niais à merveille ;
Moy trouvant sur un banc cette chere bouteille
D’une joye effrontée étouffant mon chagrin
Je luy suis allé dire, Où vend-on de bon vin ?
J’ay ceans* des Amis que je veux faire boire.
1010 A la belle Espousée, ou bien à la Croix noire177,
Me répond bonnement mon niais d’apprenty ;
Aussi-tost porte ouverte, aussi-tost moy sorty,
Puis plus viste qu’un Basque enfilant la venelle178
Passant d’une ruelle en une autre ruelle,
1015 J’ay tant fait qu’à la fin j’ay trouvé le moyen…
Mais, ô Monsieur, Monsieur… Ne bougez, ce n’est rien.
Vostre bourreau d’amour à cent craintes m’expose.

Le premier NICANDRE.

De ton dernier mal-heur je suis la seule cause,
Mais n’apprehende plus de t’y voir exposé,
1020 Ma Maistresse est contente, & son pere appaisé.
On m’attend de ce pas dans le Cours de la Reyne,
Je veux à mon retour reconnoistre ta peine ;
Je reviens dans une heure, attend-moy dans ce lieu.

ROBIN.

[p. 77]
Mais tout est appaisé ?

Le premier NICANDRE.

Je te le jure, Adieu,
1025 Desormais de Sergens ne crains nulle surprise.

SCENE III. §

ROBIN seul.

Il n’a pas dit le mot concernant sa valise,
Elle est pourtant restée, & puissay-je mourir
Si jamais j’ay dessein de l’aller requerir.
Quelque fou179.

SCENE IV. §

ROBIN, JACINTE.

ROBIN.

Te voicy cauteleuse180 pucelle,
1030 (Ou du moins s’il n’est vray, fille soy-disant telle ;
Car d’oser en jurer j’aurois peu de raison.)
Te voicy.

JACINTE.

Le perfide, il est hors de prison !

ROBIN.

[p. 78]
Te voicy donc, te dis-je & te voicy toy seule ;
Ta carogne181 de main m’a baillé* sur la gueule,
1035 Tu le sçais, la pucelle ?

JACINTE.

Et bien ouy, je le sçay.

ROBIN.

Et sçais-tu bien aussi que j’en suis offencé
La pucelle ?

JACINTE.

Moy ? Non.

ROBIN.

Mais dy-moy, la pucelle…

JACINTE.

Mais toy-mesme, dy-moy si tu cherches querelle ?
Tu me nommes pucelle, & pretends te moquer
1040 Je le voy ; mais apprend si tu m’oses choquer
Que je suis de colere à toute heure pourveuë,
Et que si je m’y mets je te saute à la veuë ;
Sçache qu’en ma furie acharnée à ta peau
J’en sçauray de chaque ongle arracher un lambeau :
1045 Et si plus en raillant* tu me nommes pucelle
Pour te mieux faire voir qu’en effet je suis telle,
Sçache que mon courroux qu’on ne peut égaler…

ROBIN.

Ah tout beau ! Je suis prest de te depuceler !
Si ce n’est que cela n’ayons point de querelle,
1050 Qui peut empuceler aisément dépucelle ;
Et si tu sens de l’estre une demangeaison…
[p. 79]

SCENE V. §

Le second NICANDRE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE sortant de la maison d’Isidore.

A la fin je te quitte, ô propice maison.
Eutrope en me voyant m’auroit fait de la peine,
Mais enfin…

JACINTE appercevant tout à coup Nicandre.

Je vous cherche, ô l’esclave d’Ismene.

Le second NICANDRE.

1055 Dieux ! Jacinte me cherche ! Auroit-on prevenu…

ROBIN.

Que du Cours de la Reyne il est tost revenu !
Diable !

Le second NICANDRE à Jacinte.

Que voulez-vous, la belle ?

ROBIN.

Pour la belle
Baste182 ; mais gardez bien de l’appeller pucelle,
Vous luy feriez tort.

Le second NICANDRE.

Traistre… Enfin dites-moy donc…

JACINTE arrestant Nicandre par le bras.

1060 Vous me paîrez ma peine, & paîrez tout du long ;
Celle qui vous aymoit est si fort en colere
Que de vous faire prendre elle a prié son pere.

Le second NICANDRE.

[p. 80]
Me croit-elle volage ? Elle dont le pouvoir…

JACINTE.

Mon Dieu, ce qu’on vous croit vous pourrez le sçavoir,
1065 Et si tantost son pere avoit eu la puissance…

Le second NICANDRE.

J’ay pris soin, il est vray, d’éviter sa presence ;
Mais il n’estoit pas seul, & je n’ay pas osé…

ROBIN à Nicandre.

La Maitresse est contente, & le pere appaisé.
Ah ! Le menteur.

Le second NICANDRE.

Ta langue un peu trop s’émancipe.

ROBIN.

1070 Si le Membre repasse, & que l’on me regripe183 ?

Le second NICANDRE.

L’insolence d’un traistre ira donc jusqu’au point…

ROBIN.

C’est de l’honneur qu’on cherche, & vous n’en avez point.

Le second NICANDRE.

Tu ments traistre, j’en ay, mais si tu n’appréhendes…

ROBIN.

En aurez-vous assez pour deux filles friandes ?
1075 Si de les contenter vous n’avez le moyen
Ayant pris vostre honneur elles prendront le mien.
(Montrant Jacinte.)
Elle mesme est d’honneur tellement amoureuse
Que vous n’en aurez pas pour sa seule dent creuse ; [p. 81]
Ainsi quoy que l’on fasse en un tel embarras
1080 Deux honneurs si petits ne leur suffiront pas.
Pensez-y bien.

Le second NICANDRE.

Perfide, ainsi donc ton audace…
Mais laissez moy, Jacinte, & daignez…

JACINTE.

Point de grace.
Celle qui vous aymoit a le seul interest…
Mais pour vostre mal-heur la voila qui parait.

SCENE VI. §

HIPOLITE, JACINTE, le second NICANDRE, ROBIN.

JACINTE.

1085 Venez viste, Madame, autrement il m’échape,
Il faut faire si bien que Mendoce l’attrape ;
Je le viens de quitter184 qu’il attend le retour…

HIPOLITE.

Ce qu’il avoit dans l’ame il l’a sceu mettre au jour.
Je ne suis plus, Jacinte, Hipolite irritée,
1090 Je donne ma tendresse à qui l’a meritée,
Et de peur que mon pere entendit vos discours
Je suis venuë en haste embrasser son secours.
Qui l’outrage m’outrage, & mon ame & la sienne…

ROBIN à Jacinte.

[p. 82]
Je veux t’aymer aussi bonne peste de Chienne.

JACINTE.

1095 Toy m’aymer ? Tu veux donc oublier le soufflet…

ROBIN.

Je mets tout sous les pieds, & je suis ton valet.

JACINTE.

Quoy, tu pourrois…

ROBIN.

Mon Dieu, je ne cours pas grand risque,
Si je suis ton mary je reprendray ma bisque185,
Et dessus ton visage appliquant tous mes doits
1100 Pour un soufflet receu je t’en donneray trois.

Le second NICANDRE.

Quelles grace[s], Madame, ay-je droit de vous rendre ?
Hipolite elle mesme a voulu me deffendre !
Que feray-je pour vous qui réponde jamais…

HIPOLITE.

Vous sçavez le moyen de remplir mes souhaits.
1105 C’est cela qu’il faut faire, & j’attends de Nicandre…

Le second NICANDRE.

Robin, que me dit-elle ? & que viens-je d’entendre ?
Moy, je sçais le moyen de remplir ses souhaits !

ROBIN.

Si vous le sçavez ?

Le second NICANDRE.

Moy, je le sçais ?

ROBIN.

A peu prés.

Le second NICANDRE.

Que feray-je ? Pour faire une chose qui plaise…

ROBIN.

[p. 83]
1110 Et que fait-on ? Pour faire une fille bien aise,
Idiot ?

Le second NICANDRE à Hipolite.

Vous servir m’est un bien precieux,
Mais daignez vous resoudre à vous expliquer mieux ;
Je vous veux obéïr, j’y mets toute ma gloire,
Mais…

HIPOLITE.

Vous avez, Nicandre, une foible memoire,
1115 N’attendez plus pourtant de si libres propos,
J’ay trop…

ROBIN à Nicandre.

Concevez-vous ce que disent ces mots :
Pauvre fille !

JACINTE à Hipolite.

Expliquez aussi vostre pensée.

ROBIN.

Son honneur la suffoque, elle en est si pressée
Qu’elle étouffe. Ma foy je vous sçais mauvais gré
1120 Car si vous le vouliez vous seriez honoré.

Le second NICANDRE.

Mais je ne comprends pas quel sera le service…

ROBIN.

Vous ne comprenez pas, mais c’est pure malice,
Car il ne tient qu’à vous de comprendre.

Le second NICANDRE.

Elle veut…

ROBIN à Hipolite.

Madame, comprenons, si comprendre se peut…

Le second NICANDRE.

[p. 84]
1125 Impertinent… De grace, excusez si ce traistre…

HIPOLITE.

Le valet ne fait rien qu’à l’exemple du Maistre.
Vid-on jamais Jacinte un si volage amant ?

JACINTE.

Pourquoy vous fiez vous à ce chien de Normand186
Aussi ?

Le second NICANDRE.

Si je sçavois qui vous met en colere
1130 Peut-estre…

HIPOLITE.

En ta faveur j’eusse appaisé mon pere,
(Car tu viens de sortir de ce mesme logis.)

Le second NICANDRE.

Il est vray que j’en sors, mais au moins…

HIPOLITE.

Je rougis
De ce qu’un infidelle en a fait son azile.

Le second NICANDRE.

Il m’a donné, Madame, une retraite utile ;
1135 Mais insensiblement je m’y suis égaré.
Une cour derobée où j’estois retiré…

HIPOLITE.

L’imposteur !

ROBIN à Nicandre.

Cum licence187, ostez-moy d’une peine
Monsieur, en quelle ruë est le Cours de la Reyne ?

Le second NICANDRE.

ROBIN.

Vous en venez, vous devez le sçavoir. [H, 85]

HIPOLITE.

1140 Dans ce mesme logis tu n’as donc pû me voir ?

Le second NICANDRE.

Moy vous voir !

HIPOLITE.

Toy qui ments avec tant d’asseurance ?
Toy qui d’un galant homme as la seule apparence.
Toy qu’un sang assez bon semble avoir eslevé,
Et qui n’est cependant qu’un perfide achevé.
1145 Je t’ay de ce logis applany la sortie.

Le second NICANDRE.

Vous Madame ?

HIPOLITE.

Moy traistre, & ton ame l’oublie.

Le second NICANDRE.

Vous ?

HIPOLITE.

Moy.

Le second NICANDRE.

Quoy qu’il en soit j’en prends peu de soucy*,
Puis que vous le croyez je le veux croire aussi,
Je me retire. Adieu trop charmante Hipolite,
1150 Ce n’est pas sans regret que Nicandre vous quitte :
Mais Ismene elle seule a droit de me charmer,
Et pour peu que je reste il faudra vous aimer,
Adieu.

ROBIN à Jacinte.

Je me retire, & pourtant, ô friponne,
Ce n’est pas sans regret que Robin t’abandonne ; [p. 86]
1155 Car quand dés ce matin je t’ay veuë en ce lieu…
C’est ma foy plustost fait de ne dire qu’Adieu188.

SCENE VII. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Si jamais tu m’aimas, cours apres ce Nicandre,
Fais si bien par tes soins qu’on le puisse surprendre,
Il s’en va du costé que Mendoce l’attend.

JACINTE.

1160 Mais Madame…

HIPOLITE.

Cours viste, & ne parle point tant ;
Vole s’il est possible, & fay qu’on le saisisse.
Mais que vois-je ?
(Jacinte sort.)

SCENE VIII. §

ISMENE, HIPOLITE.

ISMENE revenant du Cours, où elle a fait saisir le premier Nicandre.

A vos vœux tout semble estre propice,
Il vous aime Nicandre, & me fait un affront
L’ingrat.

HIPOLITE.

[p. 87]
S’il m’aime, il fait ce que bien d’autres font.

ISMENE.

1165 A donner cœur pour cœur vous avés esté prompte.

HIPOLITE.

Je n’ay pas entrepris de vous en rendre conte189.

ISMENE.

De ses premiers liens vous l’avez arraché.

HIPOLITE.

Donc assez foiblement il estoit attaché.

ISMENE.

D’accord. Mais vos appas* ont de telles amorces…

HIPOLITE.

1170 S’ils vous ont fait trembler ils ont assez de forces.
Non sans vostre soupçon que je creusse en avoir ;
Mais qui les apprehende en connoist le pouvoir.

ISMENE.

Jugez-en mieux, Madame, un honteux artifice*
De vos foibles appas* a sçeu faire l’office ;
1175 C’est cela qui me choque, & cela qui m’aigrit.

HIPOLITE.

Qui charme sans appas* n’a pas manque d’esprit.

ISMENE.

Je le croy. Sçavez-vous le destin de Nicandre ?

HIPOLITE.

Non je ne le sçay pas : mais on va me l’apprendre.
Escoutez ma Suivante, elle vient droit icy.
(Ragotin vient d’un costé, & Jacinte de l’autre.)

ISMENE.

1180 Point Madame, vous-mesme escoutez celuy-cy ;
Mais tremblez de frayeur. [p. 88]

HIPOLITE.

Ayez-en l’ame atteinte.

SCENE IX. §

ISMENE, HIPOLITE, RAGOTIN, JACINTE.

ISMENE avec beaucoup de fierté.

Hé bien cher Ragotin ?

HIPOLITE avec beaucoup de fierté.

Hé bien chere Jacinte ?

RAGOTIN à Ismene parlant du premier Nicandre.

Il est ensevely dans le grand Chastelet.

JACINTE à Hipolite parlant du second Nicandre.

En ma propre presence on l’a pris au colet*.

RAGOTIN.

1185 Je l’ay veu dans la Morgue190, où je croy qu’il enrage.

JACINTE.

Pour apprendre à chanter on l’a mis dans la cage.

RAGOTIN.

Il ne presumoit pas qu’on luy fit cét affront.

JACINTE.

Il ne se doutoit pas d’un orage si prompt.

RAGOTIN.

Il vous nomme perfide.

JACINTE.

Il vous nomme cruelle.

ISMENE à Hipolite.

[p. 89]
1190 Escoutez.

HIPOLITE à Ismene.

Escoutez.

ISMENE.

Que dit-il ?

HIPOLITE.

Que dit-elle ?

ISMENE.

Vous le voyez, Madame, on l’a mis en lieu seur.

HIPOLITE.

A qui vient de si loin cela semble assez dur :
Mais plaignés son malheur, soûpirez sans rien craindre.

ISMENE.

Je ne l’ay pas fait prendre à dessein de le plaindre,
1195 On l’a pris par mon ordre,

HIPOLITE.

On l’a pris par le mien.

ISMENE.

Le sçavez-vous, Madame ?

HIPOLITE.

Ouy, je le sçay.

ISMENE.

Mal.

HIPOLITE.

Bien.

RAGOTIN.

C’est par l’ordre à Monsieur.

JACINTE.

C’est par l’ordre à Madame.

RAGOTIN.

[p. 90]
Effrontée.

JACINTE.

Arrogant.

RAGOTIN.

Impertinente.

JACINTE.

Infame.

RAGOTIN.

Ne raisonne pas tant, je t’en prie.

JACINTE.

Et pourquoy
1200 Hé ?

RAGOTIN.

Si dans ma fureur je me jette sur toy
Tu verras beau jeu.

JACINTE.

Ladre*.

RAGOTIN.

Aiguillon de vipere191.

JACINTE.

Croyez-m’en Hipolite, appellons vostre pere,
Isidore !
[p. 91]

SCENE X. §

ISIDORE, EUTROPE, ISMENE, JACINTE, RAGOTIN.

ISIDORE.

Audio, cela veut dire l’oy,
C’est le present du verbe Audire.

ISMENE.

Je le voy.

RAGOTIN.

1205 Qui, Monsieur ?

ISMENE.

Ragotin ma surprise est extrême.

RAGOTIN.

Qui voyez-vous ?

ISMENE.

Ce l’est, c’est mon pere luy-mesme.

ISIDORE à Jacinte.

Definis-moy la cause, & dis-moy la raison…

JACINTE.

La cause est que Nicandre est dans une prison :
Mais ce demy Monsieur qui dessous sa jaquette…

ISMENE.

1210 Ne passe plus outre impudente* Soubrette,
Découvrant qui je suis tu pretends me punir,
Pour te punir toy-mesme il te faut prevenir.
Un adveu legitime autorise ma flame,    [92]
Je suis demy Monsieur ; mais entiere Madame,
1215 Ce vieillard est mon pere, & c’est tout mon bon heur,
J’ose…

RAGOTIN à Ismene.

Vous estes donc une fille, Monsieur ?

EUTROPE.

Quoy ! Ma fille…

ISMENE.

Mon pere !

EUTROPE.

As-tu pû me connaistre.

RAGOTIN à Ismene.

Je couchois d’ordinaire aux costés de mon Maistre,
Il estoit si peureux que j’estois son appuy ;
1220 N’estes-vous point peureuse aussi bien comme luy ?

ISMENE à Eutrope.

Je partis de Lyon sans vous en rien apprendre,
Pour venger mon injure, & pour perdre Nicandre ;
J’ay trouvé que Madame en a fait son Amant ;
Mais sa lasche inconstance aura son chastiment,
1225 Il est pris.

HIPOLITE à Isidore.

Vous sçavez ce que m’a fait Nicandre.

ISIDORE.

HIPOLITE.

A la fin je l’ay sçeu faire prendre ;
Mais Madame qui l’aime, & qui vit sous sa loy…

ISMENE.

[p. 93]
Il est vray que je l’ayme, & c’est à faire à moy192 ;
Mais il faut que mon pere en secret m’interroge,
1230 Allons où vous logez, ou venez où je loge,
Si jamais la tendresse esbranla vostre cœur,
Si jamais…

EUTROPE.

Tu sçais bien que j’ay peu de rigueur.
(A Isidore.)
Et vous quoy que pour moy vostre bonté paroisse,
N’attendez nullement que je la reconnoisse,
1235 Puis que quoy que Nicandre ait commis contre vous,
Je veux que de ma fille il devienne l’Espoux :
C’est estre ingrat Amy, mais c’est estre bon Pere.

ISIDORE.

J’ay trop eu pour Eutrope indulgence pleniere193,
J’eusse recidivé ; mais je veux que mes-huy194
1240 Mon esprit se gendarme allencontre de195 luy,
Vale196.
(Isidore s’en va d’un costé, & Eutrope de l’autre.)

HIPOLITE à Ismène.

Consolez-vous, vous pouvez tout pretendre,
Demain dans la prison vous reverrez Nicandre.

ISMENE.

Vous dites vray, Madame, & ce qui m’est bien doux,
Vous le verrez aussi sans qu’il puisse estre à vous.

JACINTE à Ismene.

1245 Adieu donc voyageuse.

ISMENE.

[p. 94]
Adieu bonne rusée
Intrigueuse.

JACINTE.

Adieu donc fille garçonnisée*.

RAGOTIN à Jacinte.

Elle garçonnisée*, instruits-moy de son sens ?

JACINTE.

Elle l’est par dehors.

RAGOTIN.

Et tu l’es par dedans.
(Hipolite & Jacinte s’en vont du costé d’Isidore, & Ismene & Ragotin du costé d’Eutrope.)

Fin du quatriesme Acte.

[p. 95]

ACTE V. §

(La Scene paroist une Court de Prison.)

SCENE PREMIERE. §

Le second NICANDRE, ROBIN en calçon & une boëtte à quester en main.

Le second NICANDRE.

A voir de mon amour l’aventure bizarre,
1250 On diroit que le sort contre moy se declare ;
Moy coucher en Prison ! Moy qui sçais le moyen…

ROBIN.

Moy qui crois vous valoir, Monsieur, j’y couche bien.
Dites-moy, vostre giste est-ce un giste passable ?

Le second NICANDRE.

On n’a dans la Prison point de chambre agreable ;
1255 Mais l’endroit où je couche est pourtant assez beau.
C’est dans la Chambre-neusve.

ROBIN.

Et moy dans le Berceau :
Le bon peste de giste ! On diroit d’une Cave ;
D’une vieille muraille on ramasse la bave197,
Et de foin tout pourry les petits brins épars
1260 Sont sans cesse traisnez par Messieurs les Piquars198.

Le second NICANDRE.

[p. 96]
Mais d’où vient que si tard ta personne est si nuë ?

ROBIN.

On m’a pris mes habits pour ma bonne venuë,
Et tous mes Compagnons, les Filoux* de ceans*,
(Qu’au filoutage199 prés je trouve braves gens ;
1265 Car ils sont si benins que de peur de rancune
Ils ont pris mon bagage au deffaut de pécune.)

Le premier NICANDRE.

Tes habits sont mangez ?

ROBIN.

Ouy, Monsieur.

Le second NICANDRE.

Est-ce ainsi…

ROBIN.

S’ils m’avoient pû manger ils l’auroient fait aussi :
Peste, ces affamez sont de vrais fripe-sausses200.

Le second NICANDRE.

1270 Quoy, tu n’as ni pourpoint ? Ni casaque ? Ni chausses ?
Ils ont tout avalé sans rien mettre à l’écart ?

ROBIN.

Nenny* pas tout à fait, j’en ay mangé ma part.
Mais ce qui me contente ils ont l’ame assez franche,
Outre qu’ils m’ont promis que j’aurois ma revanche,
1275 Ils souffrent bonnement que je rie avec eux,
Et j’ay desja la boëtte à quester pour les gueux.
J’y feray bien mon compte.

Le second NICANDRE.

Et comment, Ridicule ?

ROBIN.

[p. I, 97]
Et par le petit trou quand on ferre la mule201.
Ah que j’auray bien-tost regagné mon habit.

Le second NICANDRE.

1280 On n’y met rien.

ROBIN.

Ma foy, l’on me l’a déjà dit.
Mais si l’on [m’]y mettoit c’estoit bien mon affaire.

Le second NICANDRE.

Ce n’est certes qu’à moy que le sort est contraire
Mais sortons de ce lieu, je vais faire un écrit…

ROBIN.

N’en sortons point, Monsieur, que je n’aye un habit,
1285 Je vous en prie.

Le second NICANDRE.

Ecoute, en cas qu’on me demande
Tu viendras me querir, & diras qu’on m’attende,
Ou du moins si tu veux tu pourras m’appeller.
(Il sort.)

SCENE II. §

ROBIN seul.

Il a le Diable au corps de vouloir s’en aller.
Du Fidele Robin le bon-heur l’importune,
1290 Il mourroit de regret si je faisois fortune,
Et de sortir d’icy le bourreau n’a dessein
Qu’à cause qu’à present il me void dans le gain. [p. 98]
Mais l’on ouvre ; l’on entre ; allons faire la queste.

SCENE III. §

ROBIN, ISMENE.

ROBIN.

Mettez-viste, Monsieur, de l’argent dans la boëste.

ISMENE.

1295 Une autre fois.

ROBIN.

Mettez ; on n’a point de credit.

ISMENE.

Mais l’amy…

ROBIN.

Mais l’amy… J’ay besoin d’un habit
Monsieur.

ISMENE.

Ou je me trompe, ou je croy te connaistre.
Quel es-tu ?

ROBIN.

Moy ? Je suis tout ce que je puis estre,
Receveur* (Il est vray qu’à ne vous celer* rien
1300 La recepte* est petite, & ne va pas trop bien ;
Mais faut-il de regret que je m’en aille pendre ?)

ISMENE.

Je t’ay veu dans Lyon souvent suivre Nicandre.

ROBIN.

[p. 99]
Si vous m’avez veu là, vous me voyez icy.

ISMENE.

Tu ne me connois pas ?

ROBIN.

Il me semble que si.
1305 A remettre vos traits j’ay pourtant de la peine ;
Ne vous nommez-vous pas Monsieur, Madame Ismene ?

ISMENE.

Ouy, Robin, c’est Ismene. Et ton Maistre, l’ingrat ?
Le perfide ?

ROBIN.

Mon Maistre ? Il est fort delicat.
J’ay peur dans la prison qu’il n’amasse du rhume202.
(Ismene met deux Louys dans la boëste de Robin, & Robin qui fait ses efforts pour en faire tomber quelqu’un, voyant qu’il ne le peut, parle en luy-mesme si justement au sens d’Ismene, qu’elle croit qu’il réponde à ses demandes.)

ISMENE.

1310 Va, sa flame l’échauffe, & l’amour le consume ;
Mais voila deux Louïs, recois-les de ma main,
Et du traistre Nicandre apprends-moy le dessein.
N’a-t-il point de regret de ce qu’il m’a perdue ?
Ne veut-il pas me rendre une foy qui m’est duë ?
1315 Agy. Par ton moyen si l’ingrat se resoud…

ROBIN parlant des Louys qu’il ne peut avoir.

Je suis trop mal-heureux pour en venir à bout.

ISMENE.

[p. 100]
Toy qui sers cét ingrat, ne peux-tu faire en sorte,
Robin…

ROBIN parlant des Louys.

Si je le puis, que le Diable m’emporte.

ISMENE.

Tu ne le peux ? Le traistre a donc bien du mépris
1320 D’un amour reciproque il dédaigne le prix ;
Croyant à son depart qu’il m’adoroit dans l’ame
J’ay mis tous mes plaisirs à respondre à sa flâme ;
J’ay mis tous mes plaisirs au bon-heur d’estre unis ;
J’ay mis…

ROBIN parlant de Louys.

Où Diable aussi les avez-vous là mis ?

ISMENE.

1325 Que veux-tu ? Je l’aymois ; il me sembloit sincere,
A son volage cœur je croyois estre chere ;
J’avois en sa faveur des sentiments si doux,
Robin…

ROBIN songeant à ce qu’Ismene dit.

Plais-il ? Quoy ? Qu’est-ce ? & que me dites-vous ?
Vous voulez voir mon Maistre, ayez soin de m’attendre.
1330 Non, ne m’attendez pas, je l’appelle. Nicandre !

Le premier NICANDRE, à une fenestre grillée.

Qui m’appelle ?

ROBIN.

C’est moy.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

ROBIN.

[p. 101]
C’est moy.

Le premier NICANDRE.

Quy toy ?

ROBIN

Moy.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc est-ce là que je vois avec toy ?

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc ? Dy.

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE

Qui que ce soit n’importe, il suffit qu’on m’appelle.
1335 Je descends.

ISMENE à Robin.

Que dis-tu, de la peine qu’il a ?
N’as-tu pas apperceu… Mais l’ingrat le voila.
[p. 102]

SCENE IV. §

ISMENE, Le premier NICANDRE, ROBIN.

ISMENE.

Hé bien, Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Hé bien, Madame, estes-vous lasse
De me joüer des tours de si mauvaise grace ?
Quels appas* avez-vous qui puissent me charmer ?
1340 Et par quel privilege ay-je dû vous aymer203 ?
Y suis-je obligé, moy ? Voulez-vous m’y contraindre ?

ISMENE.

Si tu n’as pû m’aymer volage, as-tu dû feindre ?
Et ne faloit-il pas pour le bien de mes jours
Ou ne m’aimer jamais, ou bien m’aimer toûjours ?
1345 Mais écoute, il est temps que tu m’ouvres ton ame,
Je t’ay fait mettre icy, tu le sçais ?

Le premier NICANDRE.

Ouy, Madame,
Et sans perdre un moment en propos superflus,
Scachez…

ROBIN à Nicandre.

Depuis quand donc ne l’adorez-vous plus
Nostre cher ?

Le premier NICANDRE.

Dis-tu moy ? J’ay plutost de la hayne…

ROBIN.

[p. 103]
1350 Que diable dites vous étourdy ? C’est Ismene
Que vous aymez tant.

Le premier NICANDRE.

Moy ? Je n’ay jamais pensé…

ROBIN.

C’est Ismene, vous dis-je, estes vous insensé ?
Elle qui dans Lyon arresta votre course…

ISMENE.

Moy qui de son bon-heur voulois estre la source.
1355 De publier sa honte on m’épargne le soin,
Dans son propre valet je rencontre un témoin,
Et par un procédé qui sent l’ame de bouë
Il fait un desaveu qu’un valet desavouë.
Poursuis, Robin, poursuis, & d’un Maistre pareil…

Le premier NICANDRE.

1360 Il a suivy, Madame un si rare conseil.
Vous l’aviez bien payé pour m’appeller son Maistre,
Mais par mal-heur pour vous je n’ay pû le connaître.
L’artifice* estoit foible, & je suis delicat,
Madame.

ROBIN.

Ah justes Dieux, le maudit renegat* !
1365 C’est donc quand il vous plaist que vous estes mon Maistre ?

Le premier NICANDRE.

Jamais je ne le fus, & ne veux jamais l’estre.
J’aurois trop de regret si la moindre union…

ISMENE.

[p. 104]
Et qui donc te servoit quand tu vins à Lyon ?
Mais tu n’y fus jamais, tu le vas faire accroire204.

Le premier NICANDRE.

1370 J’ay trop peu de foiblesse, & trop bonne memoire.
On m’a veu dans Lyon faire assez de sejour,
Mais ce n’est qu’à Paris que j’ay pris de l’amour.

ISMENE.

Ah méchant !

Le premier NICANDRE.

Moy mechant ! C’est me faire injustice.

ROBIN.

Renier un valet c’est un beau petit vice.
1375 Il appelle cela des chansons

ISMENE.

Resous-toy ;
Voy qui tu veux aymer d’Hipolite ou de moy ;
Epargne à mon amour le regret de te nuire,
J’oubliray ton forfait si tu veux t’en dédire,
Et pour mieux te contraindre à paraistre surpris
1380 J’auray plus de bonté que tu n’as de mépris.

Le premier NICANDRE.

Et moy qui suis sensible, & qui vois qu’on m’abuse
J’auray plus de mépris que vous n’aurez de ruse ;
De ce lasche coquin je fuiray l’entretien ;
Il me dira son maistre, & je n’en croiray rien ;
1385 Dédaignant les deffauts, honorant le merite,
Je sçauray vous haïr comme j’ayme Hipolite ;
Et n’estoit vostre sexe, eût-on dû m’en blasmer,
Vous seriez en estat de jamais ne m’aymer.
Sortez. [p. 105]

ISMENE.

Pardonne ingrat ma visite obligeante.
1390 Au reste agonisant d’un amitié mourante,
Qui pour ton interest augmentant de moitié
Arrachoit un avis à ma lasche pitié ;
Tu ne m’écoutes pas, mais redoute mon pere,
Adieu, je vais moy-mesme irriter sa colere,
1395 Dans assez peu de temps nous serons en ce lieu.
(Ismene sort.)

SCENE V. §

Le premier NICANDRE, ROBIN.

ROBIN.

Vous voila justement, comme il plaist au bon Dieu.
Vous venez là de faire un bon chien de ménage205.
Continuez, l’amy.

Le premier NICANDRE.

Tay-toy, traistre, ou…

ROBIN.

J’enrage,
Et je souhaiterois que chacun souhaitât
1400 Qu’au milieu de la gréve on vous decapitât.
Un tendron* l’idolatre, & Monsieur le neglige ;
Une Ismene l’adore, & Monsieur…

Le premier NICANDRE.

Pay*, te dis-je,
Ou bien si de ta voix rien n’arreste le cours [p. 106]
Dy-le nom d’Hipolite, & m’en parle toujours :
1405 Su tu veux que pour toy mon courroux se désarme
Détruis un nom haï, par un nom qui me charme,
Et pour l’un & pour l’autre agissant tour à tour
En approuvant ma hayne applaudy mon amour.
Là-dessus, cher amy le Seigneur te console,
1410 Jusqu’au revoir.
(Nicandre s’en va.)

SCENE VI. §

ROBIN seul.

Et toy, le Bourreau te décole206
Fou des plus achevez, dont les sens abestis
Pensent… Mais des verroux j’entends le cliquetis,
Quelqu’un entre.

SCENE VII. §

ROBIN, JACINTE.

ROBIN appercevant Jacinte.

Bon jour.

JACINTE.

Ah c’est toy !

ROBIN.

Belle beste
A voir ce que je porte on connoit que je queste ; [p. 107]
1415 Tout questeur que je sois si tu fais un souhait
Tu peux tendre ta boëste, & je donne mon fait
J’ay deux Louis, je t’ayme.

JACINTE.

Il n’est pas temps encore
Je viens voir…

ROBIN.

Voy traistresse un Robin qui t’adore,
Et qui pour t’avoir veuë un peu plus qu’il ne faut,
1420 N’est vestu que de toille, & s’il brusle de chaud207.

JACINTE.

Je viens dire…

ROBIN.

Dy-moy, femelle insecourable
Si l’on peut long-temps vivre, & brusler comme un Diable ;
Et si tu n’agis pas d’une ingrate façon
De me voir estre braise, & que tu sois glaçon.

JACINTE.

1425 Je viens faire…

ROBIN.

Toy faire ? Hé bien fille mauvaise,
Il ne tiendra qu’à toy de me faire bien aise ;
Ou du moins connoissant que tu m’aymes si peu
Souffre glace pour glace, ou me rend feu pour feu.

JACINTE.

Je viens pour…

ROBIN.

Tu viens pour ? Ce n’est pas assez dire ;
1430 Viens-tu pour m’obliger, ou viens-tu pour me nuire ? [p. 108]
Et puisqu’asseurement dans ce lieu tu viens pour,
Dy-moi si c’est pour haine, ou si c’est pour amour.

JACINTE.

C’est pour amour. Ton Maistre en a-t-il l’ame atteinte ;

ROBIN.

Le Maistre ayme Hipolite, & le valet Jacinte.

JACINTE.

1435 Tu te railles*, peut-estre, & te mocques de nous,
Car Ismene…

ROBIN.

La Dône208 a ma foy du dessous209.
Elle vient de sortir qui deteste Nicandre,
De lui-mesme à lui-mesme elle a dit pis que pendre
Il avoit le dessein de luy rompre le cou.

JACINTE.

1440 Ayme-t-il Hipolite ?

ROBIN.

Il en est parbleu fou.
Quand on parle d’Ismene on le choque, on l’irrite,
On le touche on le charme en parlant d’Hipolite,
Et ce nom par luy-mesme est si fort répeté…

JACINTE.

Attend, mon cher Robin, tu seras contenté.
1445 Voyons dans la geole*, Hipolite y doit estre,210
Elle m’a fait entrer pour pressentir ton Maistre,
Et puisqu’enfin Nicandre à l’aymer se resout
Disons-luy qu’elle vienne, & l’informe de tout.
Hipolite ! Hipolite !
[K, 109]

SCENE VIII. §

HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

JACINTE.

Allons-donc, paresseuse,
1450 Nicandre est amoureux, comme vous amoureuse ;
Et Robin que voila qui soupire pour moy
M’en répond corps pour corps, & m’en jure sa foy.
C’est vous seule qu’il ayme, & qu’il trouve d’aymable.

HIPOLITE.

En est-il bien certain ?

ROBIN.

Ouy, je me donne au Diable.

HIPOLITE.

1455 Mais Ismene l’adore, elle veut recouvrer211

ROBIN.

En ma propre presence il la vient de sevrer*.
Mais voyez, on diroit que le Ciel nous l’envoye.

JACINTE.

Si tu penses…

ROBIN.

Jacinte, il va mourir de joye ;
Je le sçay de science, & je t’en donne avis ;
1460 Jamais nul amoureux n’eut les sens si ravis ;
Et tu vas voir.
[p. 110]

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE.

Ma lettre à la fin est escrite,
Mais que vois-je, ô bons Dieux ! N’est-ce pas Hipolite ?

ROBIN.

Hipolite elle-mesme, avancez, mal émû.
(à Jacinte.)
Que disois-je ? De joye il est si prevenu
1465 Qu’il a changé de notte212 au moment qu’il a veuë

Le second NICANDRE.

Madame, à vostre aspect je me sens l’ame émeuë…

ROBIN à Jacinte.

L’ame émeuë ! Entends-tu ? Sans amour l’auroit-on ?
Que t’en semble ?

JACINTE.

Il le dit d’un assez vilain ton.

HIPOLITE.

Si d’un cœur qui vous aime on vous fait une offrande…

Le second NICANDRE.

1470 Je veux dans une fille une vertu plus grande ;
Et quand d’autres que vous ne me charmeroient pas
Vostre extreme foiblesse avilit vos appas*.
A ne pas vous connaistre & voir vostre visage
J’aurois pû vous aymer si j’eusse esté volage ; [p. 111]
1475 Mais fussay-je volage, à vous connoistre mieux
Vous seriez la derniere à surprendre* mes yeux.
Je vous fais par pitié d’equitables reproches.

JACINTE.

Robin !

ROBIN.

Je suis penaud* comme un fondeur de cloches213.

JACINTE.

Tu disois…

ROBIN.

Je disois ; mais je ne dis plus rien.

JACINTE.

1480 Quoy le traistre…

ROBIN.

Il est fou, ne le vois-tu pas bien,
Il fait bon se fier à de semblables drilles214 ?

JACINTE.

Est-ce comme cela que l’on traite des filles ?
Le perfide…

ROBIN.

Il est fou, je te l’ay déjà dit.

HIPOLITE.

Ton brutal procedé rend mon cœur interdit*

Le second NICANDRE.

1485 Et le vostre me choque, & le vostre m’estonne,
Je suis honteux pour vous de ce qu’on m’emprisonne
Je ne suis dans ce lieu que par vostre moyen,
Mais aussi…

HIPOLITE.

Quoy, mais ?

Le second NICANDRE.

[p. 112]
Mais…

ROBIN.

Mais vous ne valez rien.

Le second NICANDRE.

J’ay de la quereller un sujet raisonnable,
1490 Tu sçais…

ROBIN.

Que les menteurs sont les enfans du Diable,
Et pour cette raison je vous fais à sçavoir215
Que Monsieur vostre pere est un pere fort noir,
C’est Ismene en ce lieu qui vous a fait conduire
Menteur.

HIPOLITE.

Point, c’est moi-même & je cherche à lui nuire ;
1495 Loin de le déguiser j’en demeure d’accord.

JACINTE.

Un habile fauteur pour le craindre si fort
Ma foy !

HIPOLITE.

Je t’ay fait prendre, & non pas ton Ismene
Perfide.

Le second NICANDRE.

Elle est trop bonne, & vous estes trop vaine ;
Mon sort est déplorable, & mon sort seroit doux
1500 Si c’estoit mon Ismene aussi bien que c’est vous
Méchante.

JACINTE à Robin.

Qu’il est traistre ! & qu’il a de malice !

ROBIN.

Feu Judas prés de luy n’eut esté qu’un novice ;
S’ils se fussent connus celuy-cy l’eut forcé [p. 113]
A venir de sa bouche écouter l’A, B, C.
1505 Il a fait tout son cours à l’Ecole traitresse,
D’autres nomment trahir ce qu’il appelle adresse ;
Et si de ce qu’il sçait je sçavois les trois quarts
Au plus tard dans trois jours je serois Maistre és Arts.
Il est sçavant.

HIPOLITE.

Dy-moy ce que tu veux resoudre,
1510 Apprend-moy…

Le second NICANDRE.

Dans vos mains je pourrois voir la foudre
En redouter la cheute, en sentir les éclats,
Et la peur de perir ne m’ébranleroit pas.
J’ayme Ismene, je l’ayme, & non pas Hipolite,
J’ayme Ismene…

HIPOLITE.

C’est trop, ton audace m’irrite,
1515 Traistre. Tu sçais Jacinte où mon pere m’attend ?

JACINTE.

Ouy je le sçais Madame, & je vais à l’instant…
Il previent mon voyage, & le voila qu’il entre.
Voyez.
[p. 114]

SCENE X. §

ISIDORE, HIPOLITE, ROBIN, Le second NICANDRE, JACINTE.

ISIDORE entrant.

Des forfaicteurs216 c’est donc icy le centre ?
Nicandre…

HIPOLITE.

De l’ingrat le mépris est trop grand,
1520 A toute ma tendresse il est indifferend,
De son perfide cœur la fierté me ravale,
Et vous devez… Mais Dieux j’apperçois ma Rivale,
Elle vient.

SCENE XI. §

ISMENE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, le second NICANDRE, ROBIN, JACINTE, RAGOTIN.

ISMENE.

Infidelle, il est temps de parler.

HIPOLITE.

Volage, il n’est plus temps de rien dissimuler.

ROBIN.

[p. 115]
1525 S’il s’en peut demesler il n’est pas mal-habile.

Le second NICANDRE à Eutrope.

Monsieur…

ISMENE.

Tu cherches, traistre, une ruse inutile ;
Tu n’abuseras plus ny mon pere, ny moy.

Le second NICANDRE.

Vostre pere ! Madame, est-ce vous que je voy !
Est-ce Ismene !

ROBIN.

Nenny*, c’est une autre. Ah le traistre !

Le second NICANDRE.

1530 Est-ce Ismene !

ISMENE.

Tu feins de ne pas me connaistre
Lasche.

ROBIN.

C’est un fin Merle217, il sçait bien d’autres tours.

HIPOLITE à Isidore.

Parlez ; souffrirez-vous qu’il luy parle toujours ?

ISIDORE.

Sois mon Gener218, Immond219, ou descends au sepulcre*,
Tu vois bien que ma fille est passablement pulcre220 ;
1535 Sois mon Gener, sinon…

EUTROPE.

Mais ma fille a sa foy.

ISMENE.

L’ay-je pas, volage ?

Le second NICANDRE.

[p. 116]
Ouy.

HIPOLITE.

L’ay-je pas aussi, moy ?

Le second NICANDRE.

Non.

HIPOLITE.

Non traistre ! Oses-tu…

ISMENE.

Je sçay qu’elle te touche,
Je le sçay.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMENE.

Moy.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMENE.

Je le scay de ta bouche
Effronté.

Le second NICANDRE.

Vous, Madame ? Ô grands Dieux qu’est-ce cy221 !

JACINTE.

1540 Je le scais aussi, moy.

RAGOTIN.

Moy je le scais aussi.

ROBIN.

Si pas un de ceux là ne vous semble croyable,
Je le scais aussi, moy, témoin irreprochable,
Je le scais.

Le second NICANDRE.

[p. 117]
Quoy Robin, quoy j’aurois consenty…

ROBIN.

C’est dire en mots couverts tout le monde a menty.

Le second NICANDRE.

1545 Tu n’as point de raison, car tu dois faire entendre…

ROBIN.

J’auray tort si ce lieu loge plus d’un Nicandre.
Voyons.

Le second NICANDRE.

Mais…

ROBIN.

Mais voyons. Ho Nicandre ! J’ay tort
Comme il répond. Nicandre ! Est-ce pas assez fort ?
Ho Nicandre ! Écoutez caterreuse222 cervelle,
1550 J’ay tort.

SCENE DERNIERE. §

Le premier NICANDRE, Le 2. NICANDRE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, ISMENE, JACINTE, ROBIN, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Qui donc encor223 est-ce là qui m’appelle ?

ROBIN.

Qui Diable est celuy-cy qui s’en vient droit à nous ?

Le second NICANDRE.

Que vois-je ?

Le premier NICANDRE.

[p. 118]
Qu’apperçois-je ?

Le second NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le premier NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le second NICANDRE.

Quoy mon frere est icy !

Le premier NICANDRE.

Quoy, je vous voy paroistre !

ROBIN.

Dites-moy s’il vous plaist qui des deux est mon Maistre.

ISMENE.

1555 Dites-moy qui des deux m’a fait don de sa foy.

HIPOLITE.

Dites-moy qui des deux s’est pû donner à moy.
Est-ce vous ? Est-ce vous ? Rendez m’en plus instruite,
Qui des deux…

Le premier NICANDRE.

C’est-moy-mesme, ô ma chere Hipolite,
C’est moi qui dans l’espoir de me voir vôtre Epoux…

Le second NICANDRE à Ismene.

1560 Hé bien, suis-je Madame infidelle pour vous ?
Rendez-moy vôtre amour, reprenez vostre haine.

ISMENE.

Mais lors qu’on vous a pris dans le Cours de la Reyne…

Le premier NICANDRE.

Luy Madame ? C’est moy qu’on a pris dans ce lieu.

JACINTE.

[p. 119]
Tout va le mieux du monde, ou je me donne à Dieu ;
1565 Car aucun contre aucun n’aura sujet de plainte.

ROBIN.

Puisqu’Ismene est aymée, Hipolite, & Jacinte,
Sans nous embarrasser d’aucune autre raison
Prenons chacun la nostre, & sortons de prison.
Que dis-tu de l’avis, dy-moy donc ma petite ?

Le second NICANDRE.

1570 Pour moy, j’adore Ismene.

Le premier NICANDRE.

Et j’adore Hipolite.

Le second NICANDRE.

Pourrons nous estre à vous, & souffrirez vous bien.

ISMENE.

Demandez à mon pere.

HIPOLITE.

Et demandez au mien.

EUTROPE.

Puis qu’il est si sincere, il a droit de pretendre
Et le nom de mon fils, & le nom de mon gendre ;
1575 Et si touchant sa fille Isidore m’en croit
Envers l’autre Nicandre il fera ce qu’il doit.

ISIDORE.

Que Nicandre la Sponde224, & foy de Philosophe,
Je seray Benevole envers sa catastrophe225 ;
C’est le cœur qui le dit, & s’il est trop obscur
1580 Ex abundantia cordis os loquitur226.

Le premier NICANDRE.

Quelles graces vous rendre ! Une gloire parfaite…

ROBIN.

[p. 120]
Tournez-moy les talons, vostre besogne est faite
Monsieur. Toy que dis-tu ?

JACINTE.

Moy ? Ce que tu voudras.

ROBIN.

Je t’ayme bien, & toy ?

JACINTE.

Moy ? Je ne te hay pas.

ROBIN.

1585 Je me veux marier aussi bien que mon Maistre,
Et toy, dy ?

JACINTE.

Dis-tu moy ? Je voudrois déjà l’estre.

ROBIN.

Je te veux, me veux-tu ? Concluons tout icy.

JACINTE.

Ma foy, si tu me veux, je te veux bien aussi.

ROBIN.

Tocque-là227.

JACINTE.

Tien.

ROBIN aux deux Nicandres.

Et vous avant vostre sortie
1590 Allez dans une Chambre y conter vostre vie,
Et faites qu’en tous lieux on vous louë en ce point
Qu’on vous a crû MENTEURS, & vous ne MENTIEZ POINT.

FIN.

Extraict du privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le dernier Octobre 1664. Signé, Par le Roy en son Conseil, GUITONNEAU. Il est permis à Nicolas Pepingué, Imprimeur et Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, faire imprimer, vendre et debiter une Piece de Theatre, intitulée, Les Deux Freres Gemeaux, ou les Menteurs qui ne mentent point, pendant le temps & espace de sept années, à commencer du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois ; Et deffenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer, ny faire imprimer, vendre & debiter ladite Piece sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté audit Privilege.

Et ledit N. Pepingué a associé audit present Privilege Thomas Jolly, Guillaume de Luynes, & Gabriel Quinet, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour. Signé E. MARTIN, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois
Le 5. Decembre 1664.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Lexique §

Appas
« Se dit figurément en choses morales de ce qui sert à attraper les hommes, à les inviter à faire quelque chose. » (F)
V. 43, 68, 203, 335, 573, 931, 1169, 1174, 1176, 1339, 1472.
Artifice
« Adresse, industrie de faire les choses avec beaucoup de subtilité, de précaution. » (F)
V. 199, 1173 et 1363.
Aspre
« Se dit figurément de certaines choses, pour en marquer la violence, la force, la rudesse. » (A)
V. 39, 86 et 775.
Bailler
« Dire à quelqu’un des mensonges pour des vérités. » (A) « En bailler d’une à quelqu’un. Lui jouer un tour, le tromper. » (H).
Aux vers 537 et 1034, le verbe est synonyme de gifler et est donc employé au sens figuré.
Balotter
« Agiter en gros une question, discuter une affaire, avant que d’opiner définitivement, ou de la juger. » (F)
V. 182.
Baragouiner
« Parler une langue étrangère et inconnue, ou parler si mal, qu’on ne peut se faire entendre à ceux d’un pays. » (F)
V. 838.
Belistre
« Gros gueux qui mendie par fainéantise, et qui pourrait bien gagner sa vie. Il se dit quelques fois par extension, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur. » (F)
Il est employé au sens large aux vers 414, 559.
Biaiser
« Se dit figurément de ceux qui cherchent des biais, des détours, de mauvaises finesses, des échappatoires pour sortir d’une méchante affaire ou pour surprendre quelqu’un. » (F)
V. 109.
Bigot
« Hypocrite. » (F)
V. 181, 188.
Besoin (au)
« Dans une circonstance critique, une situation difficile, une occasion grave ; dans le péril. » (C)
V. 519.
Botte (allonger une)
« En terme d’escrime, (…) coup qu’on porte avec un fleuret. » (F)
Didascalie III, 4.
Bricoler
« On dit (…) au figuré de ceux qui ne vont point droit dans les affaires, qu’ils ne font que fuir et bricoler, c’est-à-dire, amuser et tromper. » Le substantif signifie « une tromperie qu’on fait à quelqu’un. » (F)
V. 109 et 677.
Cartel
« Ecrit qu’on envoie à quelqu’un pour le défier à un combat singulier, soit pour des tournois, soit pour un duel formé. » (F)
V. 640, 675, 681, 690, 695.
Céans
« Ici, dedans, où je suis (…) il est assez fréquent au XVIIe siècle. » A. Haase, Syntaxe française, p. 234.
V. 1009, 1263.
Celer
« Tenir quelque chose cachée, secrète ; dissimuler. » (F)
V. 1299.
Chartre
« En termes du Palais, est un vieux mot qui signifiait autrefois une prison. » (F)
V. 854.
Colet
« Haut d’un pourpoint qui entoure le cou (…) se prend quelques fois improprement pour le cou même. » (F)
V. 312.
« On dit proverbialement prendre, saisir quelqu’un au collet, pour dire, l’arrêter et le faire prisonnier. » (A)
V. 416 et 1184.
Colloquer
« Placer. » (F)
V. 820.
Concert (de)
« Signifie figurément, l’accord de plusieurs personnes en l’exécution de quelque dessein. Agir de concert. »
V. 220, 999.
Creste
« Mot burlesque pour dire tête. » (R)
V. 537.
Degré
« Escalier, montée d’un bâtiment (…) marche. » (A)
V. 316, 643.
Diablezot
« On dit […] ironiquement à des hâbleurs, pour montrer qu’on ne croit rien de ce qu’ils disent, Au Diable zot. Il y a apparence que cela vient d’une imprécation tronquée, et qu’on a voulu dire, Allez au Diable, au Diable, on a retranché le dernier et le premier mot, et on a mis un z pour éviter la cacophonie, car le mot de zot n’est point de la langue, de sorte qu’il faut que ce soit une orthographe corrompue. » (F)
V. 27.
Donzelle
« Terme burlesque qui se dit pour Demoiselle, mais il est odieux, et se prend ordinairement en mauvaise part. » (F)
V. 261.
Driller
« Courir vite. C’est un terme bas et populaire, qui se dit des laquais, des soldats, des gueux qui s’enfuient, ou qu’on fait courir. » (F)
V. 971.
Emballeur
« Se dit figurément des hâbleurs, qui disent plusieurs choses contre la vérité, qui inventent plusieurs histoires à plaisir, et qu’ils débitent aux crédules. » (F)
V. 739.
Ennuy
« Chagrin, fâcherie que donne quelque discours, ou quelque accident déplaisant, ou trop long. » (F)
V. 7, 291, 688.
Fat
« Sot, sans esprit, qui ne dit que des fadaises. » (F)
V. 711.
Filou
C’était le nom d’un jeu auquel il était facile de gagner. « Se dit par extension de tous ceux qui se servent de mauvaises voies pour s’emparer du bien d’autrui : comme de ceux qui sous prétexte de belles espérances trompent les gens imprudents et de bonne foi, en les engageant dans des affaires dont ils tirent tout le profit par devers eux. » (F)
V. 757, 1263.
Gageure
« L’argent ou les gages qu’on a parié sur quelque contestation » (F)
V. 497, 498.
Gaillarde
« Gai, joyeux. (…) Il se prend quelques fois en mauvaise part pour dire, un peu fou. » (A)
V. 221.
Gambade
« Il signifie au figuré moquerie, raillerie. » (A)
V. 292.
Garçonnisé
« Participe présent du verbe garçonniser, forgé à partir de garçon. » Baalbaki
V. 1246, 1247.
Gauberger
« Se moquer de. » (H)
V. 554.
Gausseur
« Moqueur, rieur. » (R)
V. 423.
Gémeaux
« Qui est né avec un autre d’une même ventrée. On prononce maintenant Jumeau. » (F)
Liste des personnages.
Geole
« Prison. » (F)
V. 1445.
Gibet
« Lieu destiné pour exécuter les criminels. » (F)
V. 244.
Grison
« Celui dont les cheveux commencent à blanchir. » (F) Il désigne Eutrope ou Isidore.
V. 988 et 993.
Guoguenarder
« Qui est plaisant, qui a coutume de dire des mots pour rire. » (F)
V. 301, 302.
Heur
« Chance, hasard favorable. » (D)
V. 846.
Sur l’Heure, toute à l’Heure
« Tout de suite, dès à présent. » (R)
V. 2, 421, 481.
Holocauste
« Sacrifice où on consomme entièrement l’hostie par le feu. (…) Se dit figurément pour victime. » (F)
V. 856.
Hymen
« Mariage. » (F)
V. 96.
Impudent
« Qui est insolent, effronté et sans honte. » (F)
V. 451, 556 et 1210.
Interdit, ite
« Ceux qui se troublent, qui s’étonnent et qui ne sauraient parler raisonnablement. » (F)
V. 41, 64, 339, 1484.
Ladre
« Signifie figurément en morale, avare, vilain et malpropre. » (F)
V. 1201.
Licou
« Une têtière montée d’une longe de cuir pour attacher les chevaux, mulets, ou autres bêtes de râtelier, quand on les a débridées. » (F)
V. 579.
Lorgner
« Regarder quelqu’un de travers et du coin de l’œil ; ce qui se fait quelques fois par mépris, par haine, par orgueil. » (F)
V. 973.
Maculé
« Terme d’imprimeur (…) il signifie être trop noir. Barbouiller ». (R)
Isidore l’emploi au v. 1226 au sens figuré.
Malencontre
« Ce qui arrive fortuitement, soit en bien, soit en mal. Un cas avantageux s’appelle bonne encontre ; un désavantageux malencontre. » (F)
V. 593.
Maraut
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. » (F)
V. 294, 447, 981, 1139.
Marouffle
« Terme injurieux qu’on donne aux gens gros de corps, et grossiers d’esprit. » (F)
V. 703.
Matois
« Rusé, difficile à être trompé, adroit à tromper les autres. » (F)
V. 113.
Niaiser
« Faire l’innocent. » (F)
V. 59.
Nenny
« Adverbe négatif (…) il est bas. » (F)
V. 293, 985, 1272, 1529.
Noise
« Querelle qui s’émeut entre gens du peuple, ou dans les familles. » (F)
V. 793.
Objet
« Se dit aussi poétiquement des belles personnes qui donnent de l’amour » (F)
V. 7 ; sens moderne : v. 303.
Pay
« Silence. » (F)
V. 150, 431, 1402.
Peautre
« On dit proverbialement à des importuns qu’on veut chasser loin de soi. Aller au peautre. » (F)
V. 734.
Pecore
« Bête, stupide qui a du mal à concevoir quelque chose. » (F)
V. 861.
Penaud
« Qui est confus, honteux, étonné pour quelque accident qui lui est arrivé, qui lui porte du désavantage. » (F)
V. 1478.
Picquer
« Choses (…) qui nous choquent » (F)
V. 379, 380, 489.
Produire
« Exposer à la vue, à la connaissance, à l’examen. » (A)
V. 664.
Poussecus
« Terme odieux dont on qualifie les Records* des Sergents, et autres qui servent à mettre et à pousser les gens en prison. » (F)
V. 235 et 996.
Railler
« Faire des reproches plaisants et agréables à quelqu’un sans avoir dessein de l’offenser. » (F)
V. 107, 302, 822, 1045, 1435, didascalie I, 7.
Recepte
« Action par laquelle on reçoit ce qui est dû (…) charge du Receveur*. » (F)
V. 491, 1300.
Receveur
« Qui reçoit pour autrui. » (F)
V. 1299.
Record
« Aide de Sergent, celui qui l’assiste, lorsqu’il va faire quelque exploit, ou exécution, qui lui sert de témoin, et qui lui prête main forte. » (F)
V. 413.
Réminiscence
« Ressouvenir*. Renouvellement d’une idée presque effacée. » (A)
V. 821.
Renégat
Celui « qui a renoncé à la foi de JESUS-CHRIST pour embrasser une autre Religion » (F), un traître.
V. 1364.
Ressouvenir
« Ce qui demeure en la mémoire. » (F)
V. 534 et 947.
Saison (de)
« Temps convenable pour faire quelque chose. » (F)
V. 603 et 872.
Selon
« Quand on est questionné sur l’avenir, il faut répondre, C’est selon, pour dire, selon qu’il plaira à Dieu. » (F)
Jacinte utilise cette expression pour éviter de donner une réponse claire à Ismène, la rivale de sa maîtresse aux vers 123-124 et Ismène l’emploie au vers 677. La préposition est employée au sens moderne au vers 647.
Sépulcre
« Tombeau, monument, lieu destiné à enterrer les corps des défunts. » (F)
V. 1533.
Sevrer
« Priver, frustrer quelqu’un de quelque chose » (A)
V. 1456.
Soucy
« Chagrin, inquiétude d’esprit. » (F)
V. 167, 1147.
Suborner
« Corrompre, porter quelqu’un au mal. » (F)
V. 740, 943, 985.
Succez
« Réussite, issue d’une affaire. Il se dit en bonne et mauvaise part. » (F)
V. 940.
Superficie
« Ce qui se présente à nos yeux » (F), l’apparence.
V. 130.
Surprendre
« Attraper (…) obtenir frauduleusement par artifice*. » (A)
V. 37, 112, 1476 ; il est utilisé au sens moderne aux vers 161, 231, 425, 1025, 1158, 1205, 1379.
Tendron
« Mot burlesque pour dire une jeune fille. Fille jeune et jolie. » (R)
V. 1401.
Zeste
« On dit populairement, quand on veut rejeter ce qu’un homme dit, qu’on s’en veut moquer Zest. » (A)
V. 698, 702.

Bibliographie §

Les sources §

Œuvres de l’auteur §

Les Cadenas ou le Jaloux endormi, Paris, 1663.
Le Mort vivant, Paris, 1663.
Le Portrait du peintre, Paris, Jean Guignard, 1663.
Le Médecin volant, Lyon, Charles Mathevet, 1666.
Lettres à Babet, Edme Boursault, notice de M. Emile Colombey, Quantin, Paris, 1886.
Pièces de théâtre de M. Boursault, Paris, Jean Guignard, 1694.

Œuvres antérieures et contemporaines à Boursault §

BOILEAU, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1966.
BOURSAULT Edme, Avertissement du Théâtre, nouvelle édition, Genève, 1970.
MAUPOINT, Biblioteque des theatres, Paris, 1733.
PLAUTE, Comédies, Les Ménechmes, t. IV, Paris, Les Belles Lettres, 1992.
REGNARD Jean François, Les Ménechmes ou les jumeaux, Paris, 1705.
ROTROU Jean de, Les Ménechmes, Paris, 1636.
SHAKESPEARE William, Œuvres complètes, Les Farces, La Comédie des erreurs, traduit par François-Victor Hugo, Librairie Pagnerre, Paris, 1873.

Instruments de travail et études critiques §

Instruments de travail §

Dictionnaires §
ACADEMIE FRANCAISE, Dictionnaire, Paris, 1694 (2 vol.). (A)
CAYROU Gaston, Le Français classique, Lexique de la langue du dix-septième siècle, Paris, Didier, 1923. (C)
CORVIN Michel, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas, 1990.
DUBOIS Jean, LAGANE René, LEROND Alain, Dictionnaire du français classique, Le XVIIe siècle, Paris, Larousse, 1989. (D)
FURETIERE Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reiner Leers ; rééd. Paris, SNL-Le Robert, 1978. (F)
GAFFIOT Félix, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 2000.
HILLAIRET Jacques, Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Minuit, 1960, 2 vol.
HUGUET Edmond, Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, 1926, 7 vol. (H)
LE ROUX Philibert-Joseph, Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial, Lyon, 1735. (L)
LITTRE Emile, Dictionnaire de la langue française, Fernier, Genève, 1969, 3 vol.
MONGREDIEN Georges, Les Comédiens français du XVIIe siècle, Dictionnaire biographique, Paris, 1981.
MORERI Louis, Le Grand dictionnaire historique, ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane qui contient la vie et les actions remarquables (…), Paris, 1702. (M)
OUDIN Antoine, Curiositez françoises, Slatkine, Genève, 1993.
PARFAICT, Histoire du théâtre françois depuis son origine jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres Poëtes Dramatiques, un Catalogue exact de leurs Pièces, & des Notes Historiques & critiques, Genève, 1967.
RICHELET Pierre, Dictionnaire françois contenant les mots et les choses plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise (…) avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, 1680, 2 vol. (R)
Grammaires §
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FOURNIER Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 2002.
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SPILLEBOUT Gabriel, Grammaire de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Picard, 1985.
VAUGELAS, Remarque sur la langue française (1647), Fac similé de l’édition originale, Genève, Slatkine, 2000.
Bibliographies §
CIORANESCU Alexandre, Bibliographie de la littérature française du dix-septième siècle, Genève, Slatkine, 1994, 3 vol.
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Études §

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À propos de la comédie §
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DEIERKAUF-HOLSBOER Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Paris, Nizet, 1968-1970, 2 vol.
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LARTHOMAS Pierre, Le Langage dramatique, Paris, Armand Colin, 1972.
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UBERSFELD Anne, Lire le théâtre II, L’Ecole du spectateur, Paris, Belin, 1996.
À propos de l’auteur §
BAALBAKI Hana, Recherches sur le lexique d’Edme Boursault, thèse sous la direction de Pierre Larthomas, Paris, 1978.
BORELLO Francesca, La Dramaturgie d’Edme Boursault, thèse sous la direction de Robert Garapon, Paris, 1991.
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TAILLANDIER Saint-René, Un poète comique du temps de Molière, Boursault, sa vie et ses œuvres, Paris, Plon, 1881.