Par Monsieur BOURSAULT.
Chez JEAN GUIGNARD, à l’entrée de la
grand’ Salle du Palais, au petit S. Jean.
M. DC. XCI.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Chloé Le Vaguerès dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2002-2003)
Introduction §
Nous avons choisi, dans le vaste corpus des œuvres théâtrales du XVIIe siècle, de nous intéresser au genre tragique et, parmi les nombreuses tragédies composées à l’époque classique, notre choix s’est arrêté sur une pièce à sujet moderne (l’histoire se déroule moins d’un siècle plus tôt) et britannique (la condamnation à mort de la reine d’écosse par la reine d’Angleterre). Ces deux caractéristiques originales, qui semblent avoir desservi la pièce lors de ses quelques représentations, ont au contraire éveillé notre curiosité. Dépréciée dans un contexte daté, il nous a semblé qu’il était temps de s’interroger sur les causes de son échec, qui ne semble pas lié à sa valeur véritable.
Lorsqu’on s’attache à étudier les phénomènes d’intertextualité, c’est toujours vers les sources que constituent les influences espagnoles et italiennes ou vers les sujets antiques tirés de l’histoire grecque que l’on oriente ses recherches. En effet, on s’accorde à penser que les sujets de tragédie doivent être éloignés dans le temps (le plus souvent tirés de l’histoire antique ou de la mythologie) ou à la rigueur dans l’espace (civilisation turque), ce qui exclut les sujets récents et les lieux trop proches.
Il est vrai que l’on constate peu d’exceptions à cette règle. Mais faut-il pour autant négliger la place occupée par les sujets modernes dans la création dramatique du XVIIe siècle ? Faut-il oublier l’existence des tragédies « nationales », des sujets « orientaux », et des pièces « anglaises » ? La tragédie de Boursault prouve bien la légitimité de cette interrogation, dans la mesure où l’auteur rompt avec cette règle fondamentale de l’éloignement, et l’intérêt qu’elle comporte, car il choisit un moment particulier de l’histoire, où l’Angleterre et la France s’opposent à la fois politiquement et spirituellement.
Mais il serait trop simpliste d’en conclure que l’échec tient tout entier au choix du sujet. En effet, si la tragédie française à sujets britanniques constitue une veine marginale, elle n’est pas pour autant si dépréciée puisqu’elle possède un corpus fort riche, composé de neuf tragédies d’auteurs talentueux et plébiscités en leur temps (Montchrestien, La Calprenède, T. Corneille, C. Boyer).
L’intérêt de ces tragédies réside aussi dans leur complexité ; on ne peut prétendre les comprendre sans distinguer au préalable la part tirée de l’histoire britannique réelle, de la part de l’histoire légendaire. Cette « légende britannique » est elle-même à considérer en diachronie, dans l’évolution qu’elle subit avec le temps, depuis la mort de Marie Stuart (le 8 février 1587), jusqu’aux pièces de Montchrestien (1601), de Regnault (1634) et de Boursault (1683). Il faut encore faire le lien entre l’histoire anglaise (qu’elle soit passée et objective ou actuelle et mythique) et l’histoire française, toutes ces tragédies étant bien sûr destinées à un public français qui reçoit et analyse les événements dramatisés à travers sa propre grille de lecture, qu’il tient d’un contexte politique particulier, lui-même variable au cours du XVIIe siècle. Le fait que les célèbres figures de l’histoire anglaise ne soient donc pas perçues de la même manière au moment où chaque auteur décide de se confronter à ce type de sujet, a des répercussions dans leur façon de construire leurs intrigues. Enfin, il faut tenir compte, comme pour n’importe quelle étude de tragédie, de l’évolution du genre lui-même, certains préceptes théoriques ou règles devenant incontournables à mesure que s’affirme le classicisme.
L’objectif que nous nous sommes assigné est de mieux comprendre comment s’est élaborée Marie Stuard, Reine d’Écosse d’Edme Boursault, tragédie publiée en 1691 et d’analyser les raisons de son échec lors de sa représentation sept ans plus tôt, en dépit de ses qualités.
Présentation de l’auteur et de son œuvre §
La vie de Boursault n’a fait l’objet que de peu de recherches, jamais très approfondies. Les renseignements dont nous disposons proviennent de deux sources majeures : ses propres Lettres et les préfaces, notices et dédicaces publiées au XVIIIe siècle en tête de recueils de ses pièces de théâtre. Celles-ci se font toutes l’écho, sans jamais le remettre en question, du très subjectif « Avertissement » rédigé par le théatin1 Caffaro en 1694 c’est-à-dire du vivant de l’auteur, et tout à sa gloire. Les mêmes anecdotes reviennent, plus ou moins développées, d’une notice à l’autre, mais les dates précises manquent. Deux commentateurs, V. Fournel2 et S-R. Taillandier3, nous ont laissé des travaux plus fouillés mais ils renvoient régulièrement l’un à l’autre pour se contredire. La meilleure synthèse est peut-être celle de V. Fournel dans son édition du Théâtre choisi.
L’image globale de l’auteur reste cependant la même : un homme franc et entier dont la simplicité confine presque à la naïveté, dont la bonhomie et la gaieté suscitent invariablement la sympathie, et dont chacun s’accorde à reconnaître qu’il possède de rares dispositions. Victor Fournel résume ainsi sa personnalité :
Edme Boursault est un des plus notables exemples de ce que peuvent le travail, la persévérance et le talent naturel, dénués même du secours de ces études préliminaires qui semblent indispensables à tout écrivain4.
Ce jugement se trouve confirmé par Saint-René Taillandier qui souligne qu’« il se fait aimer et se fait des relations grâce à son enjouement et à sa gentillesse », mais que « des imprudences et des étourderies lui ravissent le fruit de son habileté » et qui le qualifie ailleurs de « poète aimable » ou encore de « naïf honnête homme »5. Il sait complimenter sans flatter excessivement et par opposition aux flatteurs à gages que l’on paie sans les aimer, il s’attire la sympathie et même l’estime de son entourage. Bonne grâce, bonne humeur, honnêteté, caractère indépendant et entier - qu’il doit à sa naïveté -, autant de traits récurrents dans les portraits que nous possédons de lui.
La vie de Boursault oscille entre bonheurs, liés à ses talents, et revers de fortune, liés à sa maladresse ; un succès vient toujours vite racheter un échec.
Edme Boursault §
Biographie §
Edme Boursault naît à Mussy-l’Évêque, aujourd’hui dénommée Mussy-sur-Seine, dans le département de l’Aube c’est-à-dire en Champagne, « au commencement d’octobre de l’année 1638 » comme le dit le Père Caffaro6. Celui-ci ajoute que son père appartient à « une des premières familles de ce lieu », ce qui fait de lui un bourgeois de province. C’est donc en connaisseur qu’il peint dans ses comédies les ridicules de sa caste.
Son père, Nicolas Boursault, né en 1614, n’avait d’autre éducation que celle des armes. L’image que les textes laissent de lui est peu flatteuse : tous relatent une jeunesse passée à servir dans les armées du roi qui constitua pour lui une école de « dissipation et de vices »7, lui enseignant davantage la débauche que la discipline et la règle. Toutes les préfaces stipulent qu’il fit fortune mais ajoutent immédiatement qu’il la consacra entièrement à divers plaisirs et excès personnels au détriment de l’éducation de ses enfants. Ce portrait type du mauvais père provient de l’« Avertissement » de l’édition de Hiacinthe Boursault et est relayé dans toutes les préfaces des éditions postérieures. Seul Victor Fournel pense à remettre en question sa véracité et précise que pour sa part il n’a trouvé aucune trace de document permettant de penser que cet homme ait été militaire comme le disent Boursault et ses fils, mais qu’il peut en revanche affirmer, archives de Mussy-l’Évêque à l’appui, qu’il fut « greffier de l’élection et notaire apostolique » puis « échevin et administrateur de l’hôpital ». Ces mêmes fonctions lui sont d’ailleurs attribuées par Pierre Brun dans son étude sur Boursault8. Le père de l’auteur aurait rempli des fonctions civiles dès 1933 c’est-à-dire dès l’âge de dix-neuf ans. On peut donc légitimement nuancer les reproches portés contre Nicolas Boursault, qui du moins n’a pu à la fois dilapider son bien par intempérance et n’en vouloir rien dépenser par avarice et qui peut difficilement être accusé à la fois d’être riche et débauché. Boursault a très bien pu forger une image déformée de son père car il avait de bonnes raisons de nourrir de la rancune contre lui pour avoir totalement négligé son éducation. Image spécieuse que Boursault a transmis à ses enfants en même temps que son ressentiment, ce qui fait dire à son fils le théatin de son grand-père qu’il n’avait « aucun goût pour les belles lettres » et surtout qu’
il ne se mettoit guère en peine que son fils fût mieux élevé, & devînt plus habile homme que lui : & quoiqu’il fût assez riche, il eût regretté un écu qu’il en eût coûté à ses plaisirs, pour donner une éducation qui eût suppléé au tort qu’il leur faisoit ailleurs, & au peu de bien qu’ils avoient à espérer de son dérangement de conduite.
Il ne fait aucun doute en effet que Nicolas Boursault n’offrit aucune éducation à son fils, qui ne fit aucune étude. Sa réussite n’en est que plus méritoire, qui tient à son talent, à ses aptitudes naturelles et à sa curiosité d’esprit, comme ne manquent pas de le souligner les critiques.
La mère de Boursault est peut-être décédée lorsqu’il était enfant, en tout cas, il n’en dit jamais rien, si ce n’est qu’elle n’a jamais quitté Mussy-l’Évêque, contrairement à son père, qui a « rôdé partout ». Cette situation laisse donc l’auteur, selon S.-R. Taillandier, « sans guide et sans lien dans son enfance. »
En 1651, à treize ans à peine, il est envoyé à Paris pour son éducation. On ignore qui a bien pu décider de ce départ puisqu’on ne peut envisager que ce fut son père. Taillandier présume qu’il s’agit peut-être du duc et évêque de Langres, pair de France, du temps où il n’était qu’un simple abbé. En effet, non seulement Mussy-l’Évêque dépendait du diocèse de Langres, mais encore de nombreuses lettres ont été laissées par Boursault, adressées à « Mgr l’Evêque & Duc de Langres ». Cependant V. Fournel semble détenir une hypothèse plus juste lorsqu’il avance que ce ne serait pas l’Evêque de Langres mais son prédécesseur Mgr Zamet, évêque de 1615 à 1655 qui habitait Mussy-l’Évêque une grande partie de l’année. Ce qui ne fait aucun doute c’est qu’à son arrivée le jeune Boursault ne connaît ni le latin ni le grec ni même un seul mot de français : il ne parle encore que le franc-champenois. Pourtant, grâce à ses facilités pour l’étude, il apprend le français en quelques mois et son fils théatin de renchérir qu’en l’espace de deux ans il en maîtrise même « toutes les beautés & toutes les délicatesses »9 de sorte, « qu’il se mit en état d’écrire de manière à ne rien laisser soupçonner de son défaut d’études » comme le précise une notice10 de 1786. Une notice de 1830 affirme également qu’il « apprend en moins de deux ans à parler et à écrire français avec correction et élégance »11.
En 1660 la Duchesse d’Angoulême, Françoise de Nargonne, veuve d’un fils naturel de Charles IX, le prend comme « secrétaire de ses commandements ». À cette époque, il cultive la poésie et donne ses premières comédies qui sont par ailleurs ses pièces les plus médiocres. Il correspondait déjà avec de grands seigneurs du temps, l’échange épistolaire étant une des grandes occupations de sa vie. C’est en 1661, lors d’une mission qu’elle l’envoie régler à Sens, qu’il a l’occasion de lui adresser un récit de son voyage. Cette gazette plut énormément et marqua le début de sa carrière de journaliste. Les gazettes étaient à la mode et les siennes obtinrent un vif succès -il semble d’ailleurs que, de tous les genres auxquels il s’est essayé, c’est celui dans lequel il réussit le mieux. Dans son « Avertissement », le théatin qualifie les vers de son père de « vers enjoués ». Il obtint en tous cas une pension du roi s’élevant à deux mille livres avec « bouche à cour ». Bien que cette feuille ne paraissait que manuscrite, elle recevait un franc succès.
En 1666, il a vingt-huit ans mais possède déjà une fortune bien établie. Il se marie avec Michelle Milley dont il aura beaucoup d’enfants sans que l’on sache exactement combien. C’est V. Fournel qui s’est intéressé à cette question avec le plus de diligence, et si nous l’en croyons, onze enfants seraient nés de cette union. Huit actes de baptêmes ont été retrouvés, tous des garçons. Le premier de ces actes date de septembre 1669. Mais on connaît aussi l’existence de deux filles (Marie, née le 25 septembre 1674 et Claude-Madeleine, née le 24 mars 1676) ainsi que celle d’un fils aîné, dont l’acte de naissance s’est perdu mais qui se prénommerait Chrysostome. La notice de l’édition de ses Œuvres de 1786 précise que ce fils était doué pour la chaire et qu’il est l’auteur de l’« Avertissement » au-devant des Œuvres de son père mais précise également – à tort – qu’il n’aurait que trois enfants. En tous cas, Boursault prit le contre-pied de l’attitude adoptée par son père et fût selon P. Brun, un « homme excellent, de mœurs très douces, bon époux et bon père ».12
Sa gazette va être suspendue à la suite d’une plaisanterie assez innocente. Une semaine où il se plaint à la table du Duc de Guise de manquer d’inspiration, celui-ci lui propose pour sujet une aventure13 arrivée il y a peu chez une brodeuse de son entourage. Boursault mit donc cette anecdote en vers pour sa gazette. Le roi s’en amusa beaucoup ainsi que toute la cour. Dans un premier temps, la très pieuse reine Marie-Thérèse rit avec eux. Mais le confesseur de celle-ci, un Cordelier espagnol, lui-même sous la pression des Capucins indignés par ce qu’ils estimaient être un outrage à l’ordre séraphique14, alarma sa conscience et la convainquit de réclamer au roi une punition pour Boursault. Le roi tenta de l’en dissuader mais elle demeura inflexible et il finit par la laisser libre de décider. Elle condamna Boursault à l’embastillement et lui retira son privilège. Le chancelier Séguier, qui était chargé de faire exécuter ses ordres mais qui appréciait Boursault, lui laissa le temps d’écrire au roi et à ses protecteurs. Condé alla immédiatement trouver Louis XIV et l’ordre d’embastillement fut révoqué. La gazette et la pension lui furent néanmoins retirées afin de contenter la reine.
En 1671, Boursault a trente-trois ans et son ambition grandit. L’idée lui vient de composer un traité d’éducation destiné au fils du roi, La Véritable Étude des Souverains. Cet ouvrage qualifié de médiocre par tous les critiques du XVIIIe siècle enchanta Louis XIV qui se le fit lire plusieurs fois parce qu’il « l’instruisoit en l’amusant » comme cela est rapporté dans la notice15 de 1786 selon laquelle ce serait le roi lui-même qui aurait engagé Boursault à « travailler à quelque chose de plus sérieux et de plus utile pour servir l’éducation du Dauphin ». Boursault fut en tout cas nommé « Sous-Précepteur de Monseigneur ». Sa connaissance du latin lui fit alors cruellement défaut puisqu’il se vit obligé de refuser la charge qui revint au grand érudit M. Huet, futur évêque d’Avranches.
C’est probablement en dédommagement de n’avoir pas pu accepter cette fonction qu’en 1672, il est nommé receveur des tailles (huissier) à Montluçon, en Auvergne.
Mais Boursault ne saura pas tirer profit de cette situation. En 1688 il est révoqué sur la plainte du fermier général M. Lejariel qui lui reproche de ne pas s’acquitter correctement de ses fonctions. Le débonnaire Boursault a en effet les scrupules les plus insurmontables à poursuivre des gens qui n’ont déjà rien. Il écrit lui-même qu’il n’est « pas assez méchant » dans une lettre16 du 24 juin 1688 à son fermier général Lejariel, lettre dans laquelle il lui expose la misère des pauvres taillables et lui demande de les épargner.
Il reprend sa gazette sous un nouveau titre : La Muse enjouée. Cette nouvelle feuille périodique en vers burlesques est une commande du roi en vue d’instruire et de divertir le Duc de Bourgogne c’est-à-dire le dauphin. Toujours manuscrite, c’est Boursault qui la distribue lui-même une fois par mois. Mais le privilège lui est de nouveau retiré par le chancelier Boucherat pour une affaire de type politique. Alors que la France commençait à préparer la paix avec l’Angleterre, Boursault lança des traits jugés trop vifs contre le Prince d’Orange. À une médaille frappée en Angleterre qui portait sur une face le portrait de Louis XIV accompagné de l’inscription « Ludovicus Magnus » et sur le revers, celui du roi Guillaume accompagné de l’inscription « Guillelmus Maximus » Boursault répondit :
Et quand Louis est Grand par de grandes vertus,Si Guillaume est grand, c’est par de très grands crimes.
Cette remarque inopportune ne fut pas du goût de Louis XIV qui entendait que l’on respectât les rois, ennemis ou non.
À la suite de sa disgrâce, il retourna à Paris où il vécut treize années. Toujours en raison de son ignorance de la langue latine et peut-être de sa modestie, Boursault n’a jamais tenté d’obtenir un siège à l’Académie française comme Thomas Corneille l’encourageait à le faire.
Il mourut à Paris le 15 septembre 1701, à l’âge de soixante-trois ans, après s’être confessé à son fils devenu supérieur de la maison des Théatins de Paris17. Il succomba à une opération tentée pour le soulager d’une « colique si violente, qu’elle lui noüa l’intestin ». Son fils ajoute dans son « Avertissement » à ses Œuvres que « pendant les huit jours qu’il a survécu à une opération si douloureuse, il donna à sa famille les marques les plus édifiantes de courage, de patience, de résignation & de pieté ». Boursault fut en effet très religieux et c’est en toute sincérité qu’il assigne à ses pièces une fin moralisatrice. « Il mourut très-regretté du public et de ses amis, et fut enterré dans l’Église des Théatins de Paris » nous apprend la notice de l’édition de 1786. À sa mort, il est propriétaire d’une honnête fortune et de sa maison de Verneuil.
Rapports entretenus avec ses pairs et influences subies §
Saisir les rapports qu’entretenait l’auteur avec les autres écrivains de son temps nous a paru intéressant pour comprendre quels sont ceux qui l’ont influencé et en quelle mesure. La question de l’influence de ses contemporains sur son œuvre parait plus pertinente dans le cas de Boursault qui, nous avons suffisamment insisté sur ce point, arrive à Paris sans posséder aucune connaissance ni du latin ni même du français. Il prend beaucoup de plaisir à se rendre au théâtre, c’est là qu’il apprend la langue française, là que lui naît l’envie de composer lui-même des pièces. Il se plait alors à imiter le style de celles qui l’ont particulièrement séduit. Il copie plus qu’il n’invente et c’est pourquoi il est essentiel de se pencher sur le milieu dans lequel se développe son esprit, c’est-à-dire sur la situation théâtrale de 1653 (il a quinze ans) à la fin du siècle.
On sait que divergences, dissentiments et polémiques étaient omniprésentes dans la vie littéraire du XVIIe siècle. Boursault, comme tous les auteurs de son temps, s’est compromis dans diverses querelles avec d’autres auteurs. Mais il est intéressant de remarquer qu’il a fort mal choisi ses adversaires en s’attaquant systématiquement à bien plus talentueux que lui. On peut même s’amuser de cette malchance qui lui inspira de critiquer ceux qui composeront, dans la postérité, le panthéon littéraire du XVIIe siècle : Racine, Molière, Boileau. Bon et généreux, il est aimé de la plupart des écrivains de son temps sauf de trois parmi les plus considérables. Il semble au contraire avoir entretenu toute sa vie une fidèle amitié avec les frères Corneille.
Boursault et Racine §
En 1669, Boursault transforma son ancienne comédie de 1666, La Critique des Satyres de M. Despréaux, dirigée contre Boileau, en Satyre des Satyres. Dans cette pièce, il opposa Boyer à Racine pour critiquer ce dernier. Il commit l’erreur de se permettre de blâmer Britannicus (1669) de Racine en émettant des réserves quant à la valeur des actes I, II et IV et en condamnant fermement les actes III et V. Il prétendait par exemple que Racine employait trop souvent les locutions « Que fais-je ? », « Que dis-je ? » ou « quoi qu’il en soit ».
En 1670, il rédigea la préface de sa nouvelle historique Atémise et Poliante, dans laquelle il loua ironiquement les vers et le jeu des acteurs et fit mine de reconnaître la valeur, voire la nette supériorité de Racine : « Quoique rien ne m’engage à vouloir du bien de M. Racine et qu’il m’ait désobligé sans lui en avoir donné aucun sujet, je vais rendre justice à ouvrage. » Il va même jusqu’à le désigner comme l’égal de son ami Corneille qu’il estime être le meilleur auteur dramatique du temps : « […] qui disputaient tous deux de mérite et qui ne trouvent personne qui dispute avec eux ».
Boursault et Pierre Corneille §
Taillandier18 nous apprend qu’en 1653 environ Boursault adressa ses hommages aux deux Corneille et se déclara ami et disciple de Pierre Corneille ; il avait à peine quinze ans. Hiacinthe Boursault affirme que le grand Corneille appelait Boursault son « fils » et qu’il l’honorait de son avis, de ses conseils et même « le plus souvent, de son approbation ». Corneille aurait même vanté Germanicus à l’Académie en disant « qu’il ne manqu[ait] à cette Pièce que le nom de Racine, à qui elle ne feroit point deshonneur ». Si cette anecdote, que l’on trouve retranscrite dans toutes les notices sur la vie de Boursault, possède une part de vérité, il est probable que Corneille n’a tenu de tels propos que pour offenser Racine. Ce qui relève sans doute de la pure invention, c’est que Germanicus soit à l’origine d’une dispute entre ces deux auteurs : Racine aurait relevé ce propos avec aigreur et Corneille l’aurait soutenu « avec feu »19.
Le fait que les œuvres de la période allant de 1653 à la fin du siècle soient celles qui « forment » Boursault et celles dont il s’inspire, permet de penser qu’il n’est pas resté indifférent au succès de Corneille dont le nom, en 1653, domine quasiment seul. Pour Marie Stuard, il semble qu’il ait tenté de se hausser jusqu’au niveau de Corneille, son maître le plus illustre. C’est en tout cas ce qu’affirme une notice de ses Œuvres20.
Boursault et Thomas Corneille §
Il semblerait que Thomas Corneille ait nourri une affection particulière pour Boursault, qu’il l’ait même poussé à postuler à l’Académie française. Selon la version de Hiacinthe Boursault, c’est par modestie que ce dernier s’y serait toujours refusé, parce qu’il avait conscience que son ignorance du latin et du grec ne faisait pas de lui un candidat digne d’une telle consécration. La même Hiacinthe Boursault cite des compliments adressés par T. Corneille à Boursault et un madrigal à la louange de sa pièce Phaëton. Taillandier et beaucoup d’autres affirment également que Thomas Corneille a témoigné « amitié et reconnaissance » à Boursault « jusqu’au dernier jour ».
Si Boursault a écrit surtout des comédies, c’est qu’il a été tout particulièrement séduit par la gaîté et la bonne humeur des pièces de Thomas Corneille et de Scarron, nous dit Taillandier. Nous pensons que Marie Stuard est en partie inspirée du Comte d’Essex de Thomas Corneille.
Boursault et Molière §
Boursault, avant d’appartenir au clan des ennemis de Racine, a commencé par figurer au nombre des ennemis de Molière. Revillout21 souligne que Boursault s’est mis en délicate posture en s’attaquant à un si grand auteur.
En novembre 1661, Le Médecin volant de Boursault est joué au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. La même année, Le Médecin volant de Molière est joué à la « comédie des italiens » c’est-à-dire au Palais Royal. Les notices22 soulignent une « concurrence » entre les deux pièces afin bien sûr que Boursault sorte grandi d’une telle comparaison.
En 1663, L’École des Femmes de Molière est a l’origine d’une immense polémique : le 1er juin 1663, Molière fait jouer La Critique de l’École des Femmes, « dissertation en forme de comédie » dans laquelle il prend part à la querelle autour de sa pièce23. Il ne s’agit évidemment pas – comme toutes les notices en tête des œuvres de Boursault se plaisent à l’indiquer – d’une attaque de Molière contre le seul Boursault mais d’une défense contre l’ensemble de ses détracteurs et concurrents. Taillandier étaye cependant de manière intéressante l’idée d’un rapport particulier de Molière à Boursault. Il rappelle un passage de la pièce dans lequel le nom de Boursault était tout particulièrement l’objet de mépris et de sarcasmes. Une des précieuses, jouée par Melle Béjard annonce « la plus agréable nouvelle du monde ». Un marquis ridicule et pédant, joué par Molière, renchérit : « Il est vrai, on me l’a voulu lire. C’est un nommé Br…Brou…Brossaut qui l’a faite. » Et le poète Lysidas, joué par du Croisy de corriger « Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursault ; mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l’on en doit concevoir une assez haute attente. » L’ouvrage tourné en dérision serait le Portrait du peintre, joué en 1663 et resté un des meilleurs succès de Boursault.
En août ou septembre24 1663, Boursault fait représenter le Portrait du Peintre ou la contre critique de l’École des Femmes, réponse critique à la pièce de Molière. On ne peut que tenter d’excuser cette critique tout à fait injuste et par ailleurs assez plate en rappelant qu’il s’agit d’une de ses premières comédies. De plus, Boursault, ami des Corneille et auteur de l’Hôtel de Bourgogne, s’inscrit sous deux aspects au moins dans le parti hétéroclite des opposants à Molière. Ce parti regroupe à la fois les concurrents de Molière (comédiens ou auteurs de l’Hôtel de Bourgogne que l’immense succès de la pièce avait lésés), le clan cornélien (à cause des vers 175-182 et 578 qui égratignaient les frères Corneille) et la société distinguée (notamment les femmes). Boursault avoue lui-même s’être senti obligé de faire cette critique de L’École des Femmes.
En octobre 1663, Molière fait représenter L’Impromptu de Versailles, une comédie écrite en huit jours par laquelle il répond sévèrement à Boursault en le ridiculisant : « Le beau sujet à divertir la cour que M. Boursault » (I, 3). La pièce est jouée à la cour du 16 au 21 octobre puis sur le théâtre du Palais-Royal le 4 novembre.
En novembre de la même année, l’Hôtel de Bourgogne monte tour à tour L’Impromptu de l’Hôtel de Condé de Montfleury fils et La Vengeance des marquis de Villiers afin de concurrencer la pièce de Molière. Dix ans plus tard (en 1673), Boursault pleure néanmoins la mort de Molière et lui rend un hommage éclatant25, témoignage ultime de sa grande admiration pour lui.
Boursault et Boileau §
Boileau prend part à la querelle qui oppose son ami Molière à Boursault. À la suite du Portrait du Peintre, il attaque lui aussi Boursault dans sa septième Satyre, en plaçant son nom de façon désobligeante :
Faut-il d’un froid rimeur dépeindre la manie ?Mes vers, comme un torrent, coulent sur le papier ;Je rencontre à la fois Perrin, & Pelletier,Bardon, Mauroy, Boursault, Colletet, Titreville,
Boursault répond à Boileau dans sa Critique des Satyres de M. Despréaux (pièce dans laquelle il fait par ailleurs l’éloge d’Andromaque de Racine). Boileau réussit à la faire interdire par le Parlement. Elle est néanmoins publiée en 1669 sous un nouveau titre : La satyre des Satyres.
Aux alentours de 1685, Boursault n’hésite cependant pas à venir en aide à son « ennemi » en se déplaçant depuis Montluçon (où il était receveur des tailles) jusqu’à Bourbon afin de lui prêter une somme d’argent qui lui faisait alors défaut. L’histoire veut que Boileau se trouva alors en soins aux bains de Bourbon l’Archambault pour une extinction de voix26 et qu’il n’avait pas de quoi régler les frais de son séjour, qui s’était prolongé plus que prévu. Boursault paya pour lui la somme due (deux cent louis) et, touché de cette générosité, Boileau le considéra ensuite comme un ami. Il remplaça dans les éditions de ses Satyres le nom de Boursault par ceux de Pradon et de Perrault ; Boursault, quant à lui, loua les mérites de Boileau dans ses Lettres.
Les attaques de Boursault ne furent jamais féroces et il ne garda aucune rancune de celles qu’on lui fit. Il reconnut au contraire rapidement la supériorité de ses adversaires lorsqu’elle existait de manière évidente. Il sut mettre un terme à des luttes dont il avait conscience qu’elles ne feraient que révéler son manque de goût et sa fatuité. Modeste, il mesura en toute lucidité la distance qui le séparait de ceux qu’il considérait au fond comme ses maîtres et qu’il essaya d’imiter consciencieusement en vertu de l’admiration qu’il leur vouait. Il faut par ailleurs reconnaître que Boursault doit en partie sa célébrité à ces guerres de plumes qui firent parler de lui, surtout lorsqu’il s’opposa à Molière et Boileau.
L’œuvre de Boursault dans son ensemble §
Liste de ses pièces par ordre chronologique de leur représentation §
Novembre 1661, Le Médecin volant, comédie en un acte et en vers, représentée à l’Hôtel de Bourgogne et imprimée à Paris quatre ans plus tard (1665) ainsi que dans ses Œuvres.
1662, Le Mort vivant, comédie en trois actes et en vers dédiée au Duc de Guise, représentée à l’Hôtel de Bourgogne et imprimée à Paris en 1662 chez Nicolas Pépingué In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Août ou septembre 1663, Le Portrait du Peintre ou La contre critique de l’École des Femmes, comédie en un acte et en vers dédiée à S.A.S Monseigneur le Duc, représentée à l’Hôtel de Bourgogne et imprimée à Paris en 1663 chez Jean Guignard In-12.
1663, Les Cadenats ou Le Jaloux endormi, comédie en un acte et en vers dédiée au Comte de Saulx, représentée au Théâtre de Guénégaud et imprimée à Paris en 1663 chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
1664, publication des Nicandres ou les Menteurs qui ne mentent pas ou Les Frères Gémeaux.
1665, il publie La Métamorphose des yeux de Philis changez en astres, pastorale dramatique, à Paris, chez T. Jolly.
Satyre des Satyres, comédie en un acte et en vers dédiée au Prince de Soubise, non représentée mais néanmoins imprimée à Paris en 1669 chez G. Quinet In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
167027,La Princesse de Clèves, tragédie en cinq actes et en vers, représentée sans succès au Théâtre Guénégaud (deux représentations seulement : mardi 20 décembre et vendredi 23 décembre 1670) et non imprimée.
1673, Germanicus, tragédie en cinq actes et en vers dédiée au Cardinal de Bonzi représentée au Théâtre Guénégaud et imprimée à Paris quatorze ans plus tard (en 1694) chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Germanicus aurait également été joué le 25 mai 1673 au théâtre du Marais28, la mort de Molière ayant désorganisé sa troupe et l’Hôtel de Bourgogne jouant alors Mithridate de Racine.
1679 : Le Mercure Galant, ou La Comédie sans titre, comédie en cinq actes et en vers dédiée au Duc de Saint Aignan, représentée au Théâtre Guénégaud et imprimée à Paris quatre ans plus tard (le 5 mars 1683) chez Thomas Guillain In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Dans certaines notices on peut lire que dans cette pièce, Boursault s’attaque à Donneau de Visé, ce qui lui réussit mieux que lorsqu’il s’en prend à de plus grands auteurs, notamment à Molière, car elle obtient un certain succès. Mais on lit ailleurs29 que c’est de Visé qui, étant l’auteur du périodique Le Mercure galant, a demandé la suppression de la pièce qui était sur le point d’être jouée, parce qu’il pensait, à tort, qu’il s’agissait d’une satire de son ouvrage. C’est ce qui amène Boursault à changer le titre et, faute d’idée, à rebaptiser sa pièce La Comédie sans titre. Elle ne fut pas jouée sous le nom de Boursault mais sous celui de Poisson, un comédien de la troupe.
5 mars 1683, Le Mercure galant ou La Comédie sans titre.
25 septembre 1683, reprise des Nicandres ou les Menteurs qui ne mentent pas ou Les Frères Gémeaux, comédie publiée en 1664.
17 décembre 1683, Marie Stuard, Reine d’Écosse, tragédie en cinq actes et en vers, représentée au théâtre Guénégaud et imprimée huit ans plus tard (1691) à Paris chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
1690, La Feste de la Seine, divertissement en musique en un acte, représenté chez a Duchesse de Brunswick, à Asnière et imprimée à Paris en 1690 In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
18 janvier 1690, Les Fables d’Esope ou Esope à la Ville, comédie en cinq actes et en vers dédiée au Duc d’Aumont, représentée au Théâtre François et imprimée à Paris en 1690 chez Théodore Girard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
28 décembre 1691, Phaëton, comédie héroïque en cinq actes et en vers libres dédiée aux Comédiens François, représentée au Théâtre François et imprimée à Paris deux ans plus tard (en 1693) chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
19 août 1694, Les Mots à la mode, comédie en un acte et en vers dédiée à M. de Lomellini (envoyé de Genes), représentée au Théâtre François et imprimée à Paris en 1694 chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Méléagre, tragédie lyrique en cinq actes et en vers, non représentée mais néanmoins imprimée à Paris en 1694 chez Jean Guignard In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Représentations et ouvrages posthumes : 16 décembre 1701, Esope à la Cour, comédie héroïque en cinq actes et en vers dédiée à la Duchesse de Villequier par la veuve de l’auteur, représentée au Théâtre François et imprimée à Paris en 1702 chez François le Breton In-12 ainsi que dans ses Œuvres.
Genres pratiques et genre de prédilection §
L’œuvre de Boursault est multiple. À la fois dramaturge, épistolier, satiriste, gazetier, poète et romancier, il s’est essayé aux genres les plus divers. Il commence à écrire assez jeune et débute par des comédies, de qualité médiocre, ainsi que par des fables et des lettres mêlées de vers et de proses. Dans ses Lettres à Des Barreaux il affirme que c’est à ce poète, qui le premier l’avait remarqué, qu’il doit ses progrès en littérature, c’est pourquoi P. Brun le présente comme « le disciple de Des Barreaux ». Sa carrière journalistique présente, aux yeux de critiques comme P. Brun, le plus grand intérêt dans son œuvre. C’est en tous cas sa correspondance qui occupe la plus large part de ses écrits. Si elle a retenue l’attention, c’est qu’elle fournit un témoignage très détaillé de l’époque, sur les milieux mondains qu’il fréquente, l’actualité politique qu’il suit avec intérêt ou sur les activités de la cour, dont il informe ses amis.
Ce ne sont pas ses pièces de théâtre (seize seulement) qui occupent la part la plus conséquente de son œuvre. Mais son genre de prédilection et celui auquel son nom demeure associé pour la postérité reste la comédie. Ceux de ses ouvrages qui ont connu un succès durable et ont été réédités aux XVIIIe et XIXe siècles sont les Comédies satiriques, les Fables d’Esope, l’Esope à la cour et le Mercure galant, quatre comédies.
Il est sans cesse présenté comme « l’ami des frères Corneille »30. C’est peut-être en vertu de cette amitié qu’on a voulu ranger Boursault parmi les ennemis de Racine, qu’il admirait malgré la querelle autour de Britannicus.
Réception et postérité de ses œuvres §
En 1651, toujours d’après P. Brun, Boursault aurait été le protégé de Pelisson qui le présentera à Fouquet uniquement sur « sa bonne mine, son jeune âge et ses qualités naturelles ».
Dans ses Lettres à Babet, on voit qu’il est en faveur auprès de Condé mais aussi d’autres grands seigneurs comme Montausier, Créqui, Noailles.
Victor Fournel précise qu’
il a des amis partout : à Pelisson, à Chapelain, à Charpentier, à Desbarreaux, à Furetiere, à Corneille, au scuplteur Le Hongre, à Fléchier, à Melle Poisson, à Raisin, à Mme de la Suze, au P. Caffaro, au Raisin, au commissaire Bizoton, à M. Baudrand, docteur en Sorbonne [... et que] Boursault cherche dans ses lettres à des grands personnages la satisfaction de son amour-propre, l’étalage de ses belles relations, l’épanchement de son esprit et de sa bonne humeur plus encore qu’il ne songe à ses intérêts31.
Il fréquente la société des gens de lettres et des gens d’argent, deux milieux qu’il aime peindre, en fin connaisseur, dans ses comédies.
Lancaster citant32 les auteurs ayant représenté des sources d’inspiration pour les jeunes générations, place le nom de Boursault parmi ceux de Thomas Corneille, Desmaretz, Molière, Pradon, et Campistron. Eustache Lenoble s’est inspiré des Fables d’Esope (1690) de Boursault pour son Esope33 joué le 24 février 1691 et de la comédie Phaëton (1691) pour son Arlequin Phéton34. Ces informations nous laissent penser que Boursault devait remporter un succès tel que d’autres auteurs aient envie de l’imiter.
Certaines de ses œuvres font parfois preuve d’une nouveauté et d’une originalité qu’il serait juste de réévaluer pour mieux les apprécier. Lancaster35 juge par exemple que Boursault écrivit les comédies les plus importantes de la période allant de septembre 1680 à avril 1689. Les Lettres à Babet, publiées en 1669, forment une sorte de roman épistolaire qui marque une évolution dans l’écriture romanesque et une étape dans l’histoire des genres.
Enfin, on peut voir dans le fait que Marie Stuard n’ait pas été rééditée depuis 1746 jusqu’au XIXe siècle, un reflet de l’opinion des critiques sur Boursault, dont on a surtout apprécié les comédies.
Marie Stuard, Reine d’Écosse, tragédie en 5 actes et en vers, 1683/91. §
Création, représentations et réception de Marie Stuard §
Marie Stuard fut créée pour la première fois le 17 décembre 1683 sur la scène de la Comédie française, au théâtre Guénégaud. La pièce tomba après sept représentations seulement. Nous n’avons pas réussi à trouver de témoignage permettant de savoir à quoi pouvaient ressembler les décors et la mise en scène. Les recettes furent très modestes d’après les frères Parfait, qui ne donnent pas leur montant36. Le registre de La Grange37 stipule qu’elles s’élevèrent à 393,50 francs le mardi 17 décembre 1683. Mais, après cinq représentations38, elles avaient déjà chuté de plus de moitié (172,25 francs) le 15 janvier 1684, jour de la dernière représentation.
Boursault ne reste cependant pas sur sa faim puisque, comme il le confie dans ses Lettres àBabet39, le Duc de Saint-Aignan lui offre cent louis – une somme considérable – en remerciement de sa dédicace. Il ne peut pourtant pas masquer l’échec évident de sa tragédie. La dédicace nous laisse mesurer son ampleur en même temps qu’elle nous donne une idée des réactions suscitées par la pièce : Boursault parle de « la Médisance & [de] l’Envie qui se sont déchaînées avec tant d’impétuosité » contre elle. En fait, seul Saint-Aignan semble l’avoir appréciée. Boursault se plait à répéter qu’il a versé des larmes dès la première lecture et y voit le garant le plus sûr de la qualité de son oeuvre.
Une fois l’échec admis, il semble plus intéressant d’en rechercher les causes. Pour Boursault, la pièce a été victime d’une cabale et aurait besoin, à l’image de l’héroïne de son sujet, d’être défendue contre « l’Oppression & la Calomnie […], l’Erreur & […] l’Ignorance ». Cette hypothèse n’est pas à rejeter puisque, au même moment, Claude Boyer se plaint lui aussi d’une cabale contre son Artaxerce40.
Ne pouvant cependant pas nous satisfaire de cette hypothèse, il nous faut chercher en quoi la tragédie n’a pas convenu, en quoi elle était en quelque sorte inappropriée. Pour cela, il nous a paru essentiel de la replacer dans « ses contextes » : d’abord celui de la pièce dans l’œuvre de Boursault – qui n’était pas familier du genre –, ensuite celui de l’histoire des sujets, des attentes du public – car la mode du temps ne disposait le public à recevoir ce type de pièce dans les meilleures conditions.
Un échec annoncé ? §
Question du choix du genre tragique : une exception dans l’ensemble de l’œuvre §
Sur les quinze pièces de théâtre composées par Boursault, deux seulement sont des tragédies : Germanicus, représenté vers 1671 ou 1673, qui remporta un succès considérable et Marie Stuard, Reine d’Écosse qui ne connut pas plus de sept représentations.
Question du choix d’un sujet moderne et anglais dans le contexte de l’histoire de la dramaturgie du XVIIe siècle §
Marie Stuard est une pièce tout à fait plaisante à lire et de valeur au moins égale à beaucoup d’autres qui reçurent un meilleur accueil. Le problème vient plutôt de ce qu’elle n’a pas touché la sensibilité de l’époque. En effet, le sujet présente la double originalité d’être à la fois moderne et anglais, qualités que l’on pourrait considérer comme à l’origine de cet échec.
Cette hypothèse avait déjà été avancée par le théatin qui pense que si la pièce déplu, c’est que le public « respecte plus les sujets que l’Antiquité a consacrez, que les faits qui sont plus récens, et que l’Histoire Moderne familiarise trop avec nous, en les rapprochant de notre âge »41. Lancaster affirme même que les sujets sur l’histoire moderne n’ont satisfait le public que lorsque les noms véritables eurent été changés.
Quant aux sujets anglais, ils ne sont pas des mieux venus étant donné le contexte diplomatique. Le genre de la tragédie, en soi, soulève des débats politiques, notamment sur la question de la légitimité des souverains. Or la légitimité des gouvernants britanniques est une question réellement débattue dans le milieu politique, une question beaucoup trop actuelle pour ne pas être délicate. Jane Conroy revient cependant sur l’idée répandue selon laquelle les Français, dans ce contexte, n’aimaient pas les Anglais. Elle explique que dès l’époque de Regnault, « l’Angleterre et l’Écosse apparaissaient comme des terres potentiellement tragiques, plutôt que des terres ennemies. »42 Après un développement très intéressant sur la perception des Anglais par les Français et sur les relations entre les deux pays, elle conclut qu’« il n’est pas plus raisonnable de parler de militante anglophobie à propos de ces pièces que de parler de militante romanophobie à propos de Britannicus ». Elle défend au contraire la thèse selon laquelle, vers 1636-1641, un certain nombre de facteurs contingents se sont combinés de telle sorte que l’Angleterre apparaisse comme « un pays d’élection du tragique »43.
Il faut également considérer la personnalité de Boursault, qui devait s’intéresser à la politique44 et ses objectifs dans la rédaction de cette tragédie. S’il se tourne vers ce genre pour la seconde et dernière fois, c’est sans doute que le message qu’il veut faire passer ne peut être transmis que par un genre aussi noble et sérieux. On ne peut ignorer le caractère éminemment politique de toute tragédie et de celle-ci en particulier45.
Dès lors, il parait légitime de se demander d’où vient à Boursault cette idée insolite de traiter un sujet à la fois récent et anglais.
Peut-être la gageure ne lui a-t-elle pas semblé impossible dès lors que ce même sujet avait valu au Comte d’Essex (1678) de Thomas Corneille un triomphe, seulement cinq ans plus tôt. Ce succès constitue peut-être même l’émulation principale de Boursault, admirateur des frères Corneille.
Mais Boursault s’était déjà risqué à choisir un sujet moderne en 1678 avec La Princesse de Clèves, ce qui lui avait déjà valu un échec complet. Le fait que Germanicus soit comme miraculeusement bien reçu alors que, d’après Boursault lui-même, il ne s’agit que d’une adaptation de La Princesse de Clèves, aurait dû finir de le convaincre que tout se jouait dans la situation temporelle du sujet. Et c’est d’ailleurs parce qu’il attribuait déjà l’échec de sa Princesse de Clèves au fait que l’action prenne place dans l’époque moderne, que Boursault avait entrepris de la modifier en en déplaçant le sujet dans l’Antiquité romaine. Le triomphe de Germanicus tend donc à accréditer l’idée selon laquelle le succès tient à l’époque où se situe la pièce. Dès lors, comment expliquer que Boursault choisisse à nouveau de traiter un sujet tiré de l’histoire moderne sans lui supposer une attirance particulière pour ce type de sujets ?
Pour conclure, nous pensons que, dans ce contexte, aborder le sujet de Marie Stuart n’est pas un geste neutre et que peut-être Boursault n’a pas réalisé combien il serait difficile pour un novice en matière de tragédie, de s’attaquer à ce genre avec un sujet moderne et anglais. Mais Jane Conroy ouvre une perspective plus intéressante en signalant « la coexistence de deux esthétiques divergentes en matière de tragédie, liées peut-être à un clivage social. » Ainsi, elle nous apprend qu’« une même pièce pouvait être applaudie à l’hôtel de Saint-Aignan par des modernistes imbus de l’esprit des Corneille ou de Fontenelle, et être huée au théâtre Guénégaud –sans que l’on doive nécessairement taxer l’un ou l’autre public d’insincérité ou de parti pris ».
L’élaboration de la tragédie §
Histoire du sujet §
Place des sujets britanniques dans la création dramatique des XVIe et XVIIe siècles §
Historique du sujet permettrant de mieux apprécier avec quelle fréquence il fut mis en acte aux XVIe et XVIIe siècles §
Au XVIe siècle, nous avons pu recenser quatre pièces consacrées à Marie Stuart :
– Jean de Bordes, Maria Stuarta Tragodeia, représentée en 1589.
– Federico Della Valle, La Reina di Scozia, composée en 1591.
– Adrien de Roulers, Mariae Stuartae Tragoedia, publiée en 1593.
– Tommaso Campanella, Tragedia della Regina de Scozia o per Spagna contra Inghilterra, composée en 1598.
Le XVIIe siècle compte neuf pièces à sujets britanniques, « dont une inédite »46. Voici la liste de ces tragédies, que nous avons classées par sujet, comme le préconise Jane Conroy, et non par ordre chronologique, choisissant ainsi de faire prévaloir l’organisation du travail du dramaturge.
Sur la mort de Marie Stuart :
– Montchrestien, L’Escossoise, 1601 / 1603 / 1604 / 1606 / 1627. Les deux éditions principales sont celles de 1601 et 1604. La pièce fut jouée au début de 1601.
– Charles Regnault, Marie Stuard, Reyne d’Ecosse, 1638 / 1639.
– J.F. Boursault-Malherbe, Marie Stuard, 1644.
– Edme Boursault, Marie Stuard, Reine d’Ecosse, 1683 / 1691.47
Sur la condamnation du comte d’Essex, favori d’Elisabeth :
– La Calprenède, Le Comte d’Essex, 1637 / 1638.
– Thomas Corneille, Le Comte d’Essex, 1678.
– Abbé Claude Boyer, Le Comte d’Essex, 1678.
Sur l’histoire britannique de cette même période :
– La Calprenède, Jeanne, Reyne d’Angleterre, jouée début 1637, publiée en 1638.
– Puget de La Serre, Thomas Morus, ou le Triomphe de la Foy, et de la Constance, 1640 / 1641, tragédie en prose.
– E. Aigrot, Charles Stüardt, 1660, pièce inédite.
Ces pièces sont difficiles à comparer, d’abord parce que le talent de leurs auteurs respectifs est très divers, ensuite parce qu’ils ne partagent pas tous la même conception de la tragédie historique et enfin parce que la distance temporelle qui sépare ces auteurs nous interdit d’attendre qu’ils respectent les mêmes règles dramaturgiques (qui évoluent avec le siècle) ou qu’ils perçoivent de la même manière des figures anglaises et écossaises (dont l’image évolue également avec le temps). Ce qui les réunit reste bien sûr le fait que le sujet soit puisé dans l’histoire de la Grande-Bretagne du XVIe siècle.
Dates des événements clés qui reviennent de pièces en pièces §
1569 : Le bruit court d’un projet de mariage entre Marie Stuart et Norfolk.
1570 : Assassinat de Moray.
Septembre 1571 : deuxième arrestation de Norfolk.
Janvier 1572 : Procès de Norfolk.
Juin 1572 : Exécution de Norfolk.
Décembre et janvier 1586 : Pomponne de Bellièvre harangue Elisabeth.
Février 1587 : Exécution de Marie Stuart.
Périodes historiques aux sources des différentes pièces sur le sujet de Marie Stuart §
Montchrestien, L’Escossoise, 1601 : représente des événements qui eurent lieu entre octobre ou novembre 1586 et janvier 158748.
Charles Regnault, Marie Stuard, Reyne d’Ecosse, (1637) : condense en 24 heures des événements qui, en réalité, s’échelonnèrent sur 17 ans (depuis le projet de mariage entre Marie et Norfolk, 1669, jusqu’à la venue de l’ambassadeur Pomponne de Bellièvre). À côté des événements de la pièce, Regnault fait allusion, dans des récits, aux luttes dynastiques séculaires, voire millénaires qui se déroulèrent avant 1569, pour expliquer le présent tragique.
Edme Boursault, Marie Stuard, Reine d’Écosse, (17 décembre 1683) : comme Regnault, il prend pour période les 17 ou 18 ans qui séparent la conspiration de Norfolk de l’exécution de Marie Stuart.
Périodes historiques aux sources des pièces sur d’autres sujets modernes et britanniques et sujets de ses pièces §
La Calprenède, Jeanne, Reyne d’Angleterre, (début 1637) : traite d’événements qui s’échelonnent sur huit mois, de juillet 1553, dernière phase du règne éphémère de Jeanne Grey, à février 1554, date de son exécution49. La tragédie prend pour sujet la mort de Jeanne, montée sur le trône à la place de sa cousine Marie Ire. Après avoir repris le trône à Jeanne, en vertu de l’invalidité du testament d’Édouard (dont Northbeland s’était servi pour usurper le trône), Marie Ire doit décider du sort de sa prisonnière. Elle souhaiterait un régime de paix et de douceur mais Élisabeth et lui conseille de prendre des mesures sanglantes. Nolfolc est le président du procès et prône lui aussi la rigueur. Marie hésite beaucoup ; Jeanne finit par être exécutée ; Marie blâme ses conseillers et leur prédit que cette violence se retournera contre eux sous le règne de terreur qu’amènera élisabeth.
La Calprenède, Le Comte d’Essex, (1637 / 1638) : Cette pièce vient tout de suite après la Jeanne. Boursault semble s’en être inspiré, bien que le sujet diffère de celui de sa Marie Stuard ; nous y reviendrons en détail un peu plus loin.
Puget de La Serre, Thomas Morus, ou le Triomphe de la Foy, et de la Constance, (1640 /1641)50 : On ignore les dates et le lieu des premières représentations de cette pièce, qui fut un succès et fut reprise à l’Hôtel de Bourgogne entre 1642 et 1647. La Serre prend l’histoire au moment où Henri VIII songe à divorcer de Catherine d’Aragon mais ne s’est pas encore engagé à épouser Anne de Boleyn. Il prévoit de changer de religion si son désir de répudier sa femme, qui l’aime toujours, est contrecarré par Rome. Le sujet n’a rien de commun avec celui de Boursault : il s’agit des hésitations, des scrupules du roi, héros de la pièce, à commettre une action aussi énorme. Morus est le chancelier chargé par la reine de la défendre ; il s’oppose donc à la volonté du roi et se voit promptement condamné à mort.
E. Aigrot, Charles Stüardt, (1660, pièce inédite) : Cette pièce « n’est pas un chef-d’œuvre »51. Aigrot prend pour sujet la chute de la République de Cromwell et la restauration de la monarchie, afin de montrer que l’administration du royaume était entre des mains indignes et qu’il est heureux que Charles II ait réussi à reprendre les commandes de l’état. Cette restauration fut accueillie avec enthousiasme en France et la pièce permet de mieux se représenter l’interprétation que les contemporains ont pu donner de la Révolution anglaise, qui avait renversé le pouvoir royal peu de temps avant que la Fronde (1648-1653) vienne le remettre en question dans leur propre pays52.
Thomas Corneille, Le Comte d’Essex, (1678) : La première représentation eut lieu le 7 janvier 1678, à l’Hôtel de Bourgogne. C’est un immense succès, qui se maintient pendant tout le XVIIIe siècle. Il s’inspire de La Calprenède. Il nous semble que Boursault, même s’il reste plus proche de La Calprenède, a peut-être été influencé par cette réussite de son ami T. Corneille, c’est pourquoi nous y avons consacré quelques pages dans notre partie sur les sources.
Abbé Claude Boyer, Le Comte d’Essex, (1678) : La pièce, jouée du 25 février au 13 mars 1678 et imprimée en avril de la même année, est un échec. Boyer dit53 avoir commencé à composer sa pièce six semaines seulement avant la création de l’Essex de Thomas Corneille. Il est déçu de l’accueil que le public lui réserve. En 1683, dans le préambule d’Artaxerce, il attribue cet échec à une cabale qui aurait visé les acteurs et la mise en scène sans trouver rien à redire de la tragédie. Ce serait les plaisanteries proférées à voix haute qui auraient ôté « au reste des spectateurs l’attention et l’estime qu’on lui devait ». Il explique que cette expérience lui a fait annoncer et afficher son Agamemnon sous le nom de Pader d’Assezan, pièce « ayant suivy le Comte d’Essex, et voulant [la] dérober à une persécution si déclarée, je cache mon nom ». Boyer ne voulait peut-être pas entrer en rivalité avec Thomas Corneille : « Mon dessein n’a jamais été de suivre l’exemple de ceux qui par chagrin ou par émulation ont doublé des pieces de Theatre ». Il s’est pourtant laissé entraîner à le faire et il a perdu.
Nous avons pris le parti de ne pas étudier cette pièce, dont la première source alléguée par Boyer est la tragédie de La Calprenède, qui avait été reprise à l’Hôtel de Bourgogne entre 1642 et 1647 (au moment où il débutait au théâtre), mais dont l’action est en fait plus proche de celle de Bajazet de Racine. Boyer lui fait également de nombreux emprunts au Comte d’Essex de Thomas Corneille, qui est une source évidente. Il faut dire que si les deux pièces se rapprochent, c’est qu’elles s’inspirent toutes deux de Bajazet (l’amante du héros est toujours la confidente d’Élisabeth, comme Atalide est celle de Roxane). L’Élisabeth de Boyer, plus vindicative et plus emportée que celle de T. Corneille, reste cependant plus proche de son modèle racinien.
Après Boursault : postérité du sujet de Marie Stuart §
Avant la fin du siècle, deux autres pièces françaises sur le même sujet voient le jour.
En 1689, une Marie Stuart Reine d’Écosse rédigée par les élèves du Collège d’Harcourt et inspirée de Montchrestien et de Regnault, est représentée à deux reprises, la première fois en français, la seconde en latin. Pour la version française, jouée à Paris le 3 août 1689 au Collège d’Harcourt, le personnage du Comte de Mourray est interprété par l’aîné des fils de Jean Racine, Jean-Baptiste54.
En 1690, un auteur anonyme écrit une Marie Stuart Tragédie avec des interprètes en musique. Cette pièce s’oriente vers l’opéra. Chacun des trois actes se termine par un intermède en musique d’un peu moins de trente vers.
Au XVIIIe siècle, le sujet n’inspire que deux pièces mais il sera redécouvert au XIXe siècle durant lequel pas moins de dix-huit pièces seront créées en France.
Les sources historiques §
L’Histoire moderne de l’Angleterre : éclaircissements nécessaires §
Vie politique de l’Écosse : la dynastie des Stuart dans ses rapports avec la France et l’Angleterre §
La seconde moitié du XVIe siècle est doublement marquée par des conflits de caractère politique d’une part (entre l’Angleterre et l’Écosse et entre la France et l’Angleterre) et par les guerres de religion liées à la Réforme d’autre part.
Le pays entre alors dans une longue période de convulsions où l’anarchie féodale (très forte en raison du système des clans) met à mal l’autorité royale que représentent les Stuart.
Jacques Ier fut roi d’Écosse 1406 à 1437. Peu de temps avant la mort de son père Robert III (en 1406), il fut envoyé en France pour échapper à la menace des nobles écossais révoltés. Le bateau sur lequel il s’était embarqué fut pris par les Anglais et il resta prisonnier jusqu’en 1423, date à laquelle il put retourner en Écosse et fut intronisé. Il épousa Jeanne de Beaufort, nièce du roi d’Angleterre Richard II. En 1429, Jacques contraignit les nobles écossais à se soumettre à l’autorité royale. Durant la guerre des Deux Roses, il prit parti pour la maison de Lancastre. Il essaya d’améliorer l’administration de la justice. Il renforça les liens avec la France par le mariage de sa fille aînée Marguerite avec le futur roi Louis XI. Jacques Ier fut assassiné en 1437 par des nobles écossais dont il avait provoqué l’hostilité en leur confisquant leurs terres.
Son fils Jacques II lui succéda de 1437 à 1460. Sa minorité offrit à la noblesse l’occasion de tenter de se réapproprier le pouvoir. Son règne personnel, qui débute en 1449, fut marqué par des conflits avec l’aristocratie, notamment avec Guillaume, 8e comte de Douglas. Le roi finit par triompher de la famille Douglas en 1452. Il espéra profiter de la guerre des Deux Roses pour anéantir les dernières positions anglaises en Écosse. Mais il fut tué, en 1460, au cours du siège de Roxburgh Castle.
Jacques III fut couronné roi en 1460, mais son règne ne débuta qu’en 1469, après une période de régence. La même année, il épousa Marguerite de Danemark, ce qui lui assura le contrôle des îles Orcades et Shetland. Il se heurta lui aussi à l’hostilité de la noblesse écossaise, regroupée derrière son frère, Alexandre Stuart, duc d’Albany. Capturé par ses ennemis, il fut emprisonné au château d’Édimbourg. En 1487, il négocia la cessation des hostilités avec les Anglais, provoquant une nouvelle révolte des nobles, unis derrière son propre fils. Une bataille s’ensuivit en 1488 à Sanchieburn. Elle opposait les nobles aux forces restées fidèles au roi. Jacques III, vaincu, y laissa la vie.
Son fils Jacques IV prit donc le pouvoir (1488) et le garda jusqu’à sa mort en 1513. Il mit facilement fin à la révolte nobiliaire à laquelle il avait lui-même participé contre son père.
En 1502, il signa une trêve de sept ans avec l’Angleterre. L’année suivante, il épousa Marguerite Tudor, fille aînée d’Henri VII d’Angleterre. C’est grâce à ce mariage que purent être réunies, un siècle plus tard, les Couronnes d’Angleterre et d’Écosse. Cependant, l’avènement du roi anglais Henri VIII, en 1509, détériora les relations entre les deux pays. En 1513, Jacques IV s’allia à la France contre l’Angleterre. L’armée écossaise, minée par les désertions, fut battue le 9 septembre 1513 à Flodden Field, où Jacques IV fut tué.
Jacques V (1513-1542), n’avait que dix-sept mois lorsque son père fut tué, et ce fut d’abord sa mère qui assura la régence jusqu’à son remariage, en 1514, avec Archibald, 8e comte d’Angus, chef du parti pro anglais. En 1515, la régence fut assurée par Jean Stuart, duc d’Albanie, favorable au parti pro français et catholique. Durant toute la minorité de Jacques V, ces deux factions (anglaise-protestante et française-catholique) luttèrent pour le contrôle du pays. Le roi parvint finalement à éliminer le parti pro anglais et put alors régner sur l’Écosse (1528). Il introduisit des réformes judiciaires et prit des mesures en faveur des paysans. Son oncle, le roi Henri VIII, tenta de le persuader de répudier l’autorité de l’Église catholique romaine, ce qu’il refusa et les relations entre les deux pays s’envenimèrent (alors que les liens entre l’Écosse et la France sont resserrés grâce au mariage du roi écossais avec Marie de Guise). La guerre éclata en 1542. En novembre, les forces écossaises furent mises en déroute à Solway Moss, au nord de l’Angleterre. Jacques V mourut quelques mois plus tard, laissant une enfant légitime, Marie Stuart, qui n’avait alors que six jours.
Après sa mort, Marie de Guise assura la régence jusqu’à la majorité de sa fille ; cette période fut marquée par le développement d’un fort sentiment anti-français et par l’amplification de l’agitation politique. En 1548 la régente obtint du parlement écossais que Marie se fiance avec le futur François II et elle l’envoya en France le 7 août 1548.
Vie de Marie Stuart §
Elle naît le 8 décembre 1542 à Linlithgow et succède à son père Jacques V, roi d’Écosse, seulement cinq jours plus tard. Envoyée en France pour son éducation dès l’âge de cinq ans, elle y reçoit des Guise une éducation très soignée mais aussi très catholique. Belle, intelligente, séduisante et utile politiquement (elle représentait le moyen d’annexer l’écosse voire l’Angleterre), elle fait l’unanimité à la Cour de France. Le 24 avril 1558, à quinze ans, elle épouse le dauphin, François, qui devient roi de France en 1559 et qui meurt l’année suivante. À la mort de sa mère Marie de Guise en juin 1560, Marie Stuart, veuve depuis quelques mois, regagne l’Écosse (15 août 1561) et monte réellement sur le trône. La mort de sa mère avait laissé le vrai pouvoir aux mains des seigneurs protestants dont le chef était James Stewart, comte de Moray et demi-frère de Marie. Elle n’est donc pas la bienvenue et doit associer ce dernier à son règne. En juillet 1565, elle se marie secrètement avec son cousin, le catholique lord Henry Darnley, ce qui mécontenta la noblesse protestante, accrut la méfiance d’Élisabeth (Darnley pouvait prétendre à la succession d’Angleterre en tant qu’arrière-petit-fils d’Henri VII) et fut à l’origine d’une révolte fomentée par Moray. Celui-ci s’était allié à une famille noble écossaise et espérait être rejoint par tout le parti protestant, mais l’insurrection fut réprimée. Marie Stuart avait alors déjà fait de son secrétaire, le catholique David Rizzio, son nouvel amant. Henry Darnley qui voyait en lui un obstacle majeur à ses ambitions55, le fit assassiner en mars 1566. En juin de la même année naquit Jacques VI, fils légitime de Marie et de Darnley. En février 1567, elle commandite l’assassinat spectaculaire (à l’aide d’une bombe) de lord Darnley. Trois mois plus tard, elle épousa un des assassins, le comte de Bothwell, qui la tenait prisonnière. Le mariage est célébré selon le rite protestant, ce qui irrita à nouveau la noblesse écossaise. Elle manœuvra avec maladresse et ne sut pas s’opposer aux protestants. Le 15 juin 1567, les troupes royales qui luttaient contre l’aristocratie écossaise furent défaites à Carberry Hill. Marie fut emprisonnée à Lochleven en juin 1567. Le 24 juillet, elle fut donc contrainte d’abdiquer en faveur de son fils et le comte de Moray fut proclamé Régent. Elle parvint à s’évader le 2 mai 1568, rétracta son abdication, réunit en quelques jours une armée de 6000 hommes, mais ses partisans furent écrasés à Langside le 12 mai. Elle dut alors s’enfuir en Angleterre et alla trouver refuge à la cour d’Elisabeth Ire, sa cousine, qui la séquestra à la tour de Londres durant dix-huit ans (1568-1586), afin de mettre fin à l’agitation catholique en Angleterre. En septembre 1569, le duc de Norfolk, l’un des premiers pairs d’Angleterre, fut arrêté pour avoir projeté d’épouser Marie Stuart sans en avoir informé élisabeth. Libéré en août 1570, il récidiva. Deux confidents particulièrement mal choisis, Moray et Leicester, le trahirent. Il fut condamné en janvier 1572 et exécuté en juin. Élisabeth donna quatre fois l’ordre de le juger et le révoqua trois fois. Cet échec de Norfolk compromit définitivement Marie Stuart aux yeux des Anglais. À partir de 1571/72 l’aspect religieux prit plus d’importance : Marie fut accusée d’être d’intelligence avec les puissances catholiques (comme la France) en vue d’une invasion et donc de menacer la stabilité de l’Angleterre protestante. Jusqu’en 1586, Marie Stuart continua de correspondre avec tous les princes dont elle espèrait du secours. En 1586, un complot de son page Anthony Babington, sous la direction de Francis Walsingham (membre du parti catholique regroupé derrière elle) fut mis au jour. Marie comparut donc en octobre devant le tribunal de Fotheringay et fut condamnée à mort quelques semaines plus tard. Le Parlement s’empressa de demander la mise à exécution de la sentence. On prépara soigneusement l’opinion publique aussi bien en Angleterre qu’à l’étranger. Henri III envoya Pomponne de Bellièvre défendre Marie devant Elisabeth. La reine hésita, puis finit par signer l’ordre d’exécution le 1er février 1587 ; Marie fut décapitée le 8 février.
Vie d’Elisabeth §
Née à Greenwich en 1533, du roi Henri VIII et de sa deuxième épouse Anne Boleyn, elle fut déclarée illégitime après l’annulation du mariage de ses parents. Henri VIII fit exécuter sa femme en 1536 sous prétexte d’une relation adultérine qu’elle n’avait pas eu, afin d’épouser Jeanne Seymour. Élisabeth fut alors éloignée mais, bien qu’élevée loin de la cour, elle reçut une éducation soignée, dispensée par des humanistes réputés. Elle parlait six langues (anglais, français, italien, allemand, grec et latin) avec aisance. Elle revint à la cour à l’instigation de la sixième épouse d’Henri VIII, Catherine Parr, et recouvrit ses droits au trône, au troisième rang dans l’ordre de succession (après Édouard et Marie). Le règne de son demi-frère Édouard VI (1547-1553) fut agité par des intrigues politiques auxquelles Élisabeth ne prit aucune part. En 1554, bien qu’elle ait apporté un soutient inconditionnel à la nouvelle reine, sa demi-sœur Marie Ire Tudor, elle fut emprisonnée à la tour de Londres pour avoir hypothétiquement soutenu la conspiration protestante de Thomas Wyatt. En 1558, à la mort de Marie Ire, elle accéda, en tant qu’héritière désignée, au trône d’Angleterre, sous condition de maintenir la foi catholique dans le royaume. Les lords, membres de l’épiscopat catholique hérité de Marie Tudor, contestèrent son accession au trône en vertu de l’acte d’annulation du mariage de ses parents. Afin de légitimer son titre, elle se fit immédiatement reconnaître par les Communes (qui étaient plutôt protestantes). En dépit des conditions d’accession à la couronne, elle rétablit la suprématie de l’Église anglicane aux dépens de la foi catholique en imposant par exemple le Book of Common Prayer – rédigé en 1549 – pour toute liturgie. En 1566, l’engagement d’Elisabeth en faveur du protestantisme la conduisit à soutenir les Pays-Bas en révolte contre le roi Philippe d’Espagne, acte à l’origine d’une guerre avec l’Espagne en 1585. Le 8 août 1588, la défaite de l’Invincible Armada consacra la supériorité maritime de l’Angleterre. En 1570, le pape Pie V libèra les catholiques anglais de l’obligation d’allégeance à la reine en l’excommuniant. Sur le plan purement politique, Elisabeth gouverna en monarque absolu, s’entourant de quelques rares conseillers dont William Cecil. Elle refusa de se marier, ce qui posa le problème de sa succession et lui valut le surnom de « reine vierge », bien qu’elle entretînt de nombreuses liaisons, notamment avec les comtes de Leicester et d’Essex.
Après la mort d’Elisabeth en 1603, c’est au fils de Marie Stuart (qui lui avait succédé en 1587), Jacques VI d’Écosse, que revint la couronne d’Angleterre. L’Écosse et l’Angleterre se trouvérent alors pour la première fois réunies.
Présentation du comte d’Essex §
Au début du XVIIe siècle, c’est à l’échelle européenne qu’il faut envisager la notoriété de ce personnage controversé, qui suscita l’admiration et l’envie aussi bien que la désapprobation. Il commença sa carrière, comme tout jeune ambitieux, par des faits d’armes et diverses charges assez lucratives (dont une dans la conduite des affaires de l’État). Bel homme, séducteur, la reine Élisabeth lui marquait une faveur toute particulière, ce qui lui présageait un avenir glorieux. Sa révolte, sa disgrâce, son procès (récupéré au profit de la propagande élisabéthaine) et son exécution, qui prit des allures de crime passionnel, ne firent qu’accroître sa très grande popularité au sein de la noblesse comme de toutes les couches de la société.
Robert Devereux, 2e comte d’Essex, naquit en 1567. Après des études à Cambridge, il se présenta, en 1584, à la cour d’Élisabeth où il éveilla d’emblée un sentiment favorable. Il bénéficia de l’avantage d’être le gendre de Robert Dudley, comte de Leicester, qui fut incontestablement le plus grand favori d’élisabeth. En 1586, il commença sa formation militaire aux Pays-Bas. L’année suivante, il offensa la reine en se mariant secrètement avec la veuve de Philip Sidney. Sa vie se partagea entre campagnes militaires et vie de cour. En 1591 on l’envoya au secours du roi de France. Il parcourut la Normandie de long en large et se fit admirer, davantage pour son style56 que pour ses exploits.
La magnificence des fêtes qu’il organisait était notoire et sa libéralité, très appréciée du peuple. Il passait pour érudit ; écrivant lui-même57, il fut un des plus grands mécènes de son temps avec son ami Henry Southampton, protecteur de Shakespeare. Il entretint l’adulation populaire dont il était l’objet depuis ses premiers engagements militaires – surtout l’expédition de Cadix – sa popularité était telle qu’il semblait avoir acquis des droits inaliénables sur le cœur du peuple. Mais sa générosité fut mal récompensée.
La Calprenède parle de ses « crédulitez » et Boyer lui attribue le désir de mener une vie conjugale paisible, retirée du monde. Ces caractéristiques lui étaient reconnues par ses contemporains ; lui-même exprimait sa nostalgie de son pays de Galles natal et s’évadait régulièrement de la cour pour goûter la vie champêtre.
En 1599, il fut nommé maréchal et vice-roi et partit à la tête de l’armée qu’Élisabeth envoyait en Irlande. Mais il ne parvint pas à écraser les rebelles qui l’attirèrent dans les tourbières où il s’embourba et il dut engager des pourparlers avec le comte de Tyrone, Hugh O’Neill. Cette débâcle lui valut un procès (le 5 juin 1600) qu’il supporta mal, bien qu’il soit mené discrètement de peur d’un soulèvement du peuple. Ne parvenant pas à rentrer en faveur, il reprit sa correspondance avec les partisans de Jacques VI d’Écosse. Les plus prudents de ses amis lui conseillèrent de s’exiler mais il choisit de faire appel « pour sa protection » aux gens de Londres. Le 18 février 1601, il retint prisonniers chez lui les commissaires venus le sommer de se présenter à la reine ou de leur faire connaître ses griefs. Il se promène alors dans les rues de Londres mais n’obtint pas l’appui du peuple et dut se retirer dans sa maison. Bientôt assiégé, il fut forcé de se rendre. Parmi les lettres saisies chez Essex en février 1601, certaines compromettaient le roi Jacques VI dans ses intrigues. Elisabeth décida de ne pas les publier car elle tenait le fils de Marie Stuart pour son seul successeur possible. Il fut jugé le 4 mars. Elisabeth hésita – selon la légende, qui cependant semble exacte – à donner suite au jugement et à le remettre au garde des Sceaux, Cecil. Le lendemain, celui-ci communiqua ses ordres au lieutenant de la Tour et l’exécution se déroula sans incident le jour suivant, 7 mars, à six heures du matin.
Nécessité d’adapter la pièce au public : ce qu’il reste de l’histoire réelle §
Histoire britannique ou mythe anglais ? §
Le sujet des pièces est fourni par ce substrat d’événements historiques sur lesquels nous venons de donner les quelques éclaircissements nécessaires. Mais la distance temporelle qui sépare ces événements de l’écriture ou de la représentation de la tragédie influence considérablement les choix dramaturgiques de l’auteur quant à la construction de la pièce ou au choix de sa problématique.
L’histoire britannique n’est en effet pas perçue de la même manière du temps de Montchrestien (contemporain d’Elisabeth, son Escossoise fut jouée dès le début de 1601) du temps de Regnault (vivant sous le règne de Charles Ier, sa Marie Stuard fut jouée pendant la saison 1637-1638) ou encore à l’époque de Boursault (dont la tragédie fut jouée au théâtre Guénégaud en 1683). L’image de Marie Stuart, l’interprétation que l’on fait des causes de son tragique destin évoluent avec le temps. Nous ne traitons pas d’œuvres d’historiens mais d’œuvres d’auteurs de fiction français qui cherchent avant tout à plaire à leur public. Leur souci de fidélité à l’histoire, plus ou moins grand selon les époques, ne doit pas nous faire perdre de vue, d’une part, que l’histoire reste un prétexte, d’autre part, qu’elle est analysée à travers une grille de lecture à la fois politique et française. Ainsi, les conspirations de Norfolc ou d’Essex contre Elisabeth ne prennent pas la même signification si on les perçoit du temps de Richelieu ou à l’époque de la Fronde. Les choix du dramaturge s’en trouvent forcément infléchis.
De plus, les tragédies classiques possèdent toujours une dimension allégorique qui demande que l’on lise, derrière la représentation du passé, des réalités plus actuelles. Les personnages sont donc la projection de l’idée que l’auteur se fait des Anglais et Ecossais élisabéthains.
Bien plus que d’histoire, c’est de légende qu’il faudrait parler, « les grandes figures de l’histoire anglaises ét[ant] vite devenues des mythes » comme l’explique très bien Jacques Truchet58 qui ajoute qu’« on ne pouvait les convoquer sans mettre en cause le droit divin et la raison d’État, et sans soulever les questions brûlantes du machiavélisme et du régicide ».
Mythe de Marie Stuart §
La légende de Marie Stuart permet presque à elle seule de résumer les oppositions européennes nées de la Réforme59, dans la mesure où, comme l’explique Jane Conroy :
L’affaire de la reine d’Écosse (…) cristallisa autour d’elle la réflexion morale, les théories politique et juridique, les antagonismes religieux, et les passions de deux générations au moins, avant de laisser à celles qui suivirent une image ambiguë60.
Dans les années 1560, les ennemis de Marie visèrent son caractère et ses mœurs (les meurtres de Rizzio, de Darnley et son mariage avec Bothwell leur fournissaient des arguments) mais jamais sa religion. Les protestants luttaient alors avec les catholiques pour la domination politique de l’Écosse et éventuellement de l’Angleterre (dans le cas où Elisabeth resterait sans enfant). En 1567, le chansonnier Robert Semphill la comparait dans ses romances à Clytemnestre, Dalila, Jésabel ou Médée. Darnley, détesté de son vivant, devenait le nouvel Agamemnon. À cette période, en France, les réactions furent quasi inexistantes.
À peine fut-elle enfermée à Lochleven que débuta la campagne pour son exécution. À la fin de 1568, l’Horestes de John Pikeryng, joué à la Cour d’Angleterre, ouvre la série des pièces qui lui seront consacrées. Marie est à nouveau allégorisée sous les traits de Clytemnestre61.
À partir de 1571-1572, les défenseurs de Marie (des apologies paraissaient, essentiellement en France) ne se contentèrent plus de défendre sa vertu en l’innocentant des crimes d’adultère et de meurtre, mais soulignèrent sa fidélité au catholicisme et ses souffrances pour la foi. Avant sa mort déjà, Marie Stuart figurait dans les martyrologes62 que les catholiques anglais réfugiés en Europe publiaient à l’intention des princes catholiques, afin de les intéresser à sa cause. Ils espéraient ainsi monter une croisade contre les Anglais hérétiques.
Entre 1572 et 1576, les figures des deux reines évoluent dans le sens d’une opposition plus forte encore. Les images qui en résultent sont de plus en plus éloignées de la réalité et même totalement fantasmagoriques. En effet la personne de Marie Stuart fut également récupérée à des fins politiques, sa déposition et son emprisonnement ayant soulevé des questions fondamentales qui furent l’objet d’un débat animé dans lequel s’affrontèrent différentes théories politiques, notamment autour du principe de l’inviolabilité des rois et de l’aptitude des femmes à gouverner63. En 1579 par exemple, Georges Buchanan marque une étape vers une nouvelle théorie du républicanisme, en affirmant64 que les Ecossais ont le droit d’élire et de déposer leurs rois. Blackwood, en réponse, réaffirme65 la théorie du droit divin des rois. Ce débat avait des répercussions en France où le pouvoir royal se trouvait désacralisé à la suite de la Saint-Barthélemy. Quant à la question des femmes au pouvoir, la misogynie inspirait de multiples diatribes contre Marie Stuart qui fut par ailleurs défendue par ceux qui pensaient66 avant tout à la succession d’Angleterre.
L’exécution de Marie le 8 février 1587 raviva les débats et engendra une multitude d’écrits. Jane Conroy précise que « A. F. Allison et D. M. Rogers, dans leur index chronologique des publications catholiques dans les langues autres que l’anglais, relèvent en tout 12 titres pour l’année 1586, alors que l’année 1587 – celle de la mort de Marie Stuart – en produit 52, et que l’année 1588 maintient presque le même rythme avec 46 ». Les auteurs de la Contre-Réforme font de Marie Stuart une martyre, ce qui se ressent dans la littérature hagiographique. Jane Conroy, précise en effet que Marie « aurait presque pu figurer parmi les vingt-sept nouveaux saints français canonisés entre 1560 et 1660 ». Elle souligne l’opposition entre l’image de Marie dans les milieux dévots, « une vertu sans tâche », et celle que donnent d’elle les tracts anglais publiés en 1587 qui mettent l’accent « sur l’image de la femme fatale, l’antonomase préférée [étant] celle de Circé séduisant les malheureux conspirateurs par ses charmes diaboliques. » La propagande officielle de son côté « insiste sur le caractère sanglant de ses intrigues - de connivence avec les puissances étrangères (…) elle s’apprêtait à assassiner Elisabeth et à verser le sang d’innombrables Anglais fidèles à leur religion. »67
Vers la fin du siècle ce manichéisme s’atténue du fait du problème de la succession : le fils de Marie Stuart, Jacques VI, est le candidat le plus probable à la couronne. Or il est protestant et on ne croit plus en sa conversion au catholicisme. Les adversaires catholiques d’Élisabeth Ire jugèrent à propos de se radoucir.
Images de Marie Stuart de Montchrestien (1601) à Regnault (1637) §
Trente-cinq années séparent L’Escossoise de Marie Stuard Reyne d’Ecosse. La tendance durant cette période est à l’hagiographie et à la martyrologie, Marie Stuart servant la cause de ceux qui luttent contre les hérétiques et s’évertuent à édifier le peuple. De nombreux écrits ont porté sur ce sujet : pièces de théâtre (Carlo Ruggieri, La Reina di Scotia, 1604 ; Van Zevecote, Stuarta, 1623 – date de représentation, la pièce ne fut pas publiée), longs poèmes (Georges Conn, Vita Mariae Stuartae, 1624 ; Lope de Vega, Corona tragica, vida y muerte de la serenissima Reyna de Escocia Maria Estuarda, Madrid, 1637), histoires (très partisanes), histoires ecclésiastiques, biographies et recueils de « Vies » à forte tendance religieuse.
Fortune de Marie Stuart de Regnault (1637) à Boursault (1683) §
En France, le sujet n’inspire personne depuis Regnault jusqu’à Boursault. Mais qu’en est-il de la production dramatique des autres pays d’Europe durant cette période ?
Marie Stuart continue à intéresser la Société de Jésus. Après la pièce de Regnault, la première sur ce sujet est celle d’un père jésuite anonyme. Jouée en 1644 à Prague, elle a été perdue. Dans le domaine profane, plusieurs ouvrages voient le jour. En Hollande, en 1646, Joost Van den Vondel publie Maria Stuart, of Gemartelde Majesteit, tragédie qui inspira le protestant allemand Andreas Gryphius pour son Carolus Stuardus, composé en 1649 et publié en 1658 ainsi que l’Allemand Christophorus Kormart pour une tragédie parue en 1673. D’autres pièces allemandes furent crées (celle de Johannes Riemer en 1679 ou d’August Adolf von Haugwitz en 1683), mais ce sont avant tout des traités de morale et de politique empruntant la forme dramatique (les auteurs vont parfois jusqu’à s’en excuser). Elles n’eurent pas la moindre influence sur Boursault.
Il n’en va pas de même pour les pièces d’auteurs de l’Europe du sud. Au Portugal, Manuel de Gallegos compose vers 1660 une tragédie disparue aujourd’hui, La Reyna Maria Estuarda. En Espagne, en 1660, fut jouée au Palais Royal de Madrid La Reina Maria Estuarda de Juan Bavtista Diamante (publiée en 1674). Toujours aux alentours de 1660, un anonyme espagnol composa La Estuarda. En Italie, quatre pièces furent composées entre 1663 et 1672. La Maria Estuarda, « opera scenica » de Giovan Francesco Savaro, publiée en 1663, La Barbarie del caso, « tragedia » de Domenico Gisberti, publiée en 1664, Maria Stuarta, Regina de Scotia e Inghilterra, tragi-comédie d’Horatio Celli publiée en 1665 et Maria Stuarda, dramma tragico d’Anselmo Sansone Di Mazzara publiée à Palerme en 1672.
Les dates de parution des pièces espagnoles et italiennes laissent imaginer l’émulation qui règne dans l’activité dramatique de ces pays. On remarque que la vogue du sujet commence en 1660, ce qui nous autorise à penser que cette émulation tient à la joie des catholiques face à la Restauration de la dynastie Stuart en Angleterre, qui a lieu précisément en 1660.
En Angleterre, John Banks publie, trois ans après Boursault (1694), la première pièce anglaise consacrée au sujet de la reine d’Écosse, The Island Queen : or, the Death of Mary Queen of Scotland, a tragedy.
D’autres genres témoignent également de la fortune de Marie Stuart durant la période 1639-1694 : biographies, mémoires, histoires ecclésiastiques ou neutres. Les œuvres romanesques (romans et nouvelles – secrètes, historiques ou galantes) exercent, à partir de 1660, une influence croissante sur les esprits.
Une autre légende : l’incident de la bague §
C’est La Calprenède qui le premier introduit dans l’action de sa tragédie l’histoire de la bague « gage d’amour », qui a toujours suscité un grand intérêt. Jane Conroy fait l’étude de cet incident récurrent et affirme qu’il permet, « à travers ses diverses variantes » de « saisir, dans toute sa complexité, l’enchevêtrement de l’histoire et du mythe »68. La version de départ, celle des historiographes, fut transformée par l’imagination populaire qui y intégra des passions humaines et cette nouvelle version fut véhiculée depuis la tradition orale jusqu’à gagner le domaine littéraire et, plus précisément, de la fiction dramatique. Jane Conroy décompose cet épisode en quatre :
– Essex aurait obtenu son pardon s’il avait pu se résoudre à le demander
– Des documents ou un message (sous quelque forme que ce soit) n’ont été reçus que trop tard (pour quelque raison que ce soit).
– De cette mésaventure Elisabeth éprouve un chagrin qui lui coûte la vie
– La forme symbolique que prenait le message d’Essex était celle d’une bague, gage de l’amour d’Elisabeth.
En France, de 1636 à 1678, aucun ouvrage n’est entièrement consacré à Essex et ses relations avec la reine mais il est évoqué dans toutes les histoires et mémoires du règne d’Elisabeth. Il peut être intéressant de savoir que l’image de celle-ci se modifia avec le temps et que les Français, sans oublier sa persécution des catholiques, s’intéressèrent davantage à ses qualités, (comme son intelligence ou son art de régner) et commencèrent à faire d’elle l’héroïne d’histoires galantes.
Les sources littéraires §
Regnault, Marie Stuard, Reyne d’Écosse, 1637-1639 §
Présentation de l’auteur et de sa tragédie §
Sur Charles Regnault §
On ignore tout de sa vie, jusqu’à sa date de naissance ; son identité elle-même fut sujette à caution. Jane Conroy, recoupant plusieurs hypothèses, arrive à la conclusion qu’il était encore jeune en 1639 et qu’il ne peut donc s’agir, comme l’affirmait M. Paulson69, de l’acteur Pierre Regnault, né en 1595. Le précieux ouvrage de Jane Conroy permet de faire le tri entre ce qu’on lui a attribué et ce qu’il écrivit réellement. Son œuvre se limite en fait aux Métamorphoses Françoises, 1641, rédigées en collaboration avec « diverses plumes » et à une autre pièce, Blanche de Bourbon, Reyne d’Espagne, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1642. Regnault disparut après 1643.
Composition, représentations et éditions §
C’est en 1637 que la pièce fut probablement composée. Elle fut jouée durant la saison 1637-38. Il y eut, au XVIIe siècle, trois éditions qui fixent trois états extrêmement différents du texte :
– La première date de 1639, chez Toussainct Quinet, in-4°, achevé d’imprimer « pour la première fois » le 29 déc. 1638.
– La seconde date de 1639, chez Toussainct Quinet, in-12, achevé d’imprimer « pour la première fois » le 29 déc. 163870.
– La dernière date de 1641, chez Toussainct Quinet, in-4°, achevé d’imprimer « pour la première fois » le 30 sept. 1640.
Nous avons travaillé à partir de l’édition de 1641 qui apporte de nouvelles modifications71 par rapport à l’in-12 de 1639.
Réception : succès et postérité §
Les pièces de Regnault dans leur ensemble ont été couronnées de succès. La dédicace de Marie Stuart, adressée à Richelieu, stipule que celui-ci n’a pas « refusé des larmes à la repesentation d’un sujet si tragique ». Dans la seconde édition de cette tragédie se trouve un rondeau de La Mailleraye qui confirme que la pièce a plu à tout le monde et notamment à Richelieu,
[…] ce divin espritDont l’absolu pouvoir prescritDes loix a tous ceux de nostre aage.
Le fait que la tragédie ait connu trois éditions successives, en trois ans seulement, prouve qu’elle a dû attirer l’attention. C’est sûrement pourquoi Boursault s’en souviendra encore quarante-cinq ans plus tard en écrivant sa propre Marie Stuart. Et au siècle suivant, Tronchin y fait encore allusion dans la préface de sa Marie Stuart de 1735.
Respect des règles ? §
Les transformations opérées par l’auteur entre les différentes éditions (comme par exemple la suppression des visions d’Elisabeth) témoignent de sa volonté d’aboutir à une pièce d’esthétique plus classique. L’unité de temps est respectée puisque tout se déroule en vingt-quatre heures. L’unité de lieu est également respectée puisque tout a lieu dans le palais d’Elisabeth (dans différents appartements). Les modifications apportées à l’histoire réelle de l’Angleterre visent à unifier l’action.
En revanche, l’unité d’action est transgressée dans deux cas : au moment de la mort de Mourray, qui intervient sans qu’aucune allusion aux luttes armées entre Angleterre et Écosse n’ait jamais été faite et alors que l’on ignorait qu’il était parti guerroyer ; à la venue trop tardive (au cinquième acte seulement) de l’Ambassadeur de France, qui joue un rôle important dans le revirement d’Elisabeth bien qu’il ne nous ait pas été présenté et n’ait pas participé à l’action. Le caractère de ce personnage peut aussi être taxé d’invraisemblance à cause de sa réaction sans retenue, sans « diplomatie » et même sans dignité.
Résumé de la pièce §
Acte I : Scène 1 : Se déroule dans la prison de la Tour de Londres où Marie Stuard est séquestrée par élisabeth. Marie raconte la longue suite de ses malheurs depuis sa naissance et espère que son mariage avec Nolfoc, prévu pour le jour même, y mettra un terme. Mais elle redoute la réaction d’élisabeth qu’elle sait amoureuse de son amant. Scène 2 : Se passe dans le palais de son frère illégitime, Mourray. Lui et son complice, Kemt, s’emploient à discréditer Nolfoc auprès d’Elisabeth en l’accusant, lettre à l’appui, de conspirer avec Marie pour l’empoisonner et lui ravir le trône. Scène 3 : La lettre est une contrefaçon de leur main et ils se félicitent de leur stratagème.
Acte II : Scène1 : Killegre, le chef des gardes, vient annoncer à Nolfoc qu’Elisabeth veut le voir dans son cabinet. Cette convocation l’inquiète. Scène 2 : Confrontation entre Elisabeth et son ancien favori. Au début, le ton est mielleux. Très résolue à éliminer Marie, elle la présente comme leur ennemie commune. Mais Nolfoc lui reproche cette haine, indigne de la part d’une reine à l’égard d’une princesse car, malgré l’opposition dynastique (Stuart/Henri-Edouard), elles restent de même sang. Innocente à ses yeux, Nolfoc rappelle à élisabeth que, même si elle était coupable des crimes dont on l’accuse, seul Dieu pourrait la juger, sa qualité de reine la plaçant au-dessus des lois humaines. Elisabeth persiste à vouloir la soumettre, Nolfoc de prendre sa défense et la reine comprend qu’il est épris d’elle. Il en convient et avoue même qu’elle lui rend son amour. Furieuse, Elisabeth lui tend la fausse lettre qui l’incrimine de complot. Il se défend de l’avoir rédigée et réclame que la vérité soit faite ; mais Elisabeth sort, exaspérée. Scène 3 : Monologue de Nolfoc. Révolté à l’idée d’être condamné pour une trahison qu’il s’est toujours retenu de commettre bien qu’il en ait eu envie, il songe à justifier sa punition en prenant pour de bon les armes contre sa reine. Scène 4 : Elisabeth est déchirée entre l’amour qu’il lui reste pour Nolfoc et le désir de se venger de lui. À ce dilemme vient s’ajouter la question de l’intérêt de l’Etat. Dans cette position délicate, elle se laisse convaincre par Mourray et Kemt, ses - mauvais - conseillers de faire juger Nolfoc par un tribunal, auquel elle intime l’ordre de le condamner. Scène 5 : à nouveau dans la Tour. Nolfoc fait part de sa honte à Marie qui lui conseille de ne rien faire et d’attendre que le temps épuise la haine d’Elisabeth qui, selon elle, ne peut rien faire contre eux. Scène 6 : Kenede les interrompt et annonce que Mourray et ses gardes viennent pour arrêter Nolfoc. Elle lui propose de se cacher. Il refuse d’abord (ce serait agir comme un lâche ou comme un coupable) mais cède ensuite aux supplications de Marie qui le lui demande comme un gage d’amour et un témoignage de soumission. Scène 7 : Mourray, Killegre et les gardes arrivent trop tôt. Mourray commence par demander à Nolfoc ce qu’il fait avec sa soeur mais ne pouvant les attaquer sur ce point - ils vont se marier et en ils ont reçu la permission de Mourray lui-même - il évoque la lettre. Marie, choquée d’un soupçon si indigne, renie son frère. Arrestation de Nolfoc et adieux des deux amants qui espèrent être à jamais unis dans la mort.
Acte III : Scène 1 : Nolfoc est amené devant ses juges par Killegre qui s’excuse du rôle qu’il assume à contrecœur et tente d’être aimable mais obtient pour réponse « Fay seulement ta charge & ne me parle pas ». Scène 2 : Parodie de procès. Mourray préside, Kemt, Herrin et Sherobery « jugent ». Seul Herrin proteste car il aime l’innocence et croit en la justice. Cinq accusations sont formulées devant Nolfoc qui refuse de se défendre et sort en menaçant les juges iniques du jugement et du châtiment de Dieu. Scène 3 : Les pairs restent seuls pour délibérer mais Mourray décide seul de la mort de Nolfoc, contre l’avis de Herrin qui prédit que cette « exécution tyrannique » aura des conséquences car elle révoltera le peuple. Scène 4 : Monologue de Nolfoc qui, une fois seul, réagit à cette injuste sentence en évoquant ses services rendus à l’Etat, ses exploits réalisés pour le protéger et sa haute naissance qui rendent cette mort honteuse et indigne de lui. Il demande à ses domestiques de le tuer eux-mêmes pour lui éviter l’infamie de l’échafaud. Mais ils ne peuvent s’y résoudre et Killegre vient déjà le chercher. Il se résigne donc et s’en remet à la volonté de Dieu. Adieu pathétique à Marie. Scène 5 : Melvin se plaint (18 vers) de l’injustice qui se prépare et fait l’éloge du héros. La colère monte parmi le peuple. Herrin demande à son ami de rassembler son courage, ils partent assister à l’exécution. Scène 6 : Remords de Mourray : il reconnaît être le seul criminel. Kemt au contraire l’encourage à poursuivre et à achever son œuvre en tuant sa sœur après le duc. Mourray change de couleur et gémit. Les paroles rassurantes de Kemt ne lui ôtent pas le pressentiment de sa mort prochaine. Scène 7 : Marie évoque sur 26 vers l’inconstance de la fortune, la brièveté des moments de joie, les désastreuses retombées de l’ambition des hommes et ses souffrances personnelles qui l’assaillent depuis sa naissance de sorte qu’elle n’a jamais connu un bonheur qui ne soit suivi d’un malheur. Scène 8 : Marie apprend la mort héroïque de Nolfoc et s’évanouit. Soutenue par sa confidente, Kenede, elle prie son amant de l’aider à venir le rejoindre dans l’au-delà et lui assure qu’elle viendra à lui, avec ou sans guide.
Acte IV : Scène 1 : Coup de théâtre : Mourray a été assassiné. Élisabeth demande à Kemt, qui a tout vu, de lui faire le récit de sa mort. Ce récit (34,5 vers) provoque sa fureur. Mais elle discerne en cet événement un avertissement du ciel et décide qu’il leur faut épargner Marie car « elle est Reyne aussi bien comme nous » alors « n’écoutons plus la haine qui nous porte ». Cependant Sherobery et Kemt dressent d’elle un portrait si effrayant (elle est, entre autres, comparée à une hydre) et déploient un argumentaire si adroit (en lui faisant craindre à la fois pour l’Angleterre et pour sa vie), qu’elle se laisse convaincre par leurs discours de la faire tuer. Scène 2 : Marie observe le corps inerte du duc et songe à sa propre mort, quand Melvin vient lui annoncer la mort de son frère. Kenede reprend espoir : « Nos douleurs finissent aujourd’hui » (…) « Ne pleurez point Madame, ou bien pleurez de joie ». Marie a pitié de son frère. Scène 3 : Le concierge Amias Paulet vient chercher Marie pour l’amener au tribunal. Elle attend sa mort comme une libération et Kenede, en pleurs, loue sa constance. Scène 4 : Son arrêt de mort a déjà été signé par la reine. Marie est soulagée de savoir sa mort proche et ses malheurs terminés. Elle rappelle néanmoins à ses juges que, s’ils peuvent lui ôter son sceptre, sa majesté est un don de Dieu qu’ils ne peuvent altérer. Scène 5 : Marie, restée seule avec sa suivante, lui demande d’assembler ses gens pour qu’elle leur fasse ses adieux. Scène 6 : Monologue de Marie (60 vers). Elle se promet d’être un modèle de constance dans l’épreuve de la mort afin d’émouvoir ses ennemis. Tenant le portrait de son fils, elle lui dit adieu et fait part de ses craintes quant au sort qui pourrait désormais s’acharner sur lui, comme il s’est acharné sur elle. Elle demande à Dieu de lui donner une vie plus clémente et de le faire un jour accéder au trône d’Écosse et à la gloire.
Acte V : Scène 1 : Monologue d’Elisabeth en qui s’affrontent deux passions indignes d’un ethos de reine : la crainte et l’ambition. Consciente qu’elle outrepasserait ses droits en faisant tuer Marie, elle s’inquiète de laisser à la postérité un souvenir avili ; mais elle désire ardemment posséder deux empires. L’ambition l’emporte finalement : elle maintient son arrêt tout en gardant une appréhension. Scène 2 : L’Ambassadeur de France demande une entrevue avec Élisabeth, qui opte alors pour la clémence et prend la ferme résolution de révoquer l’arrêt contre Marie. Scène 3 : L’Ambassadeur lui demande de se montrer clémente et d’épargner Marie, ce qu’elle accepte immédiatement. Joie et louanges de l’Ambassadeur. Scène 4 : Melvin, Kenede, Sherobery viennent leur apprendre la mort de Marie que tous regrettent. L’ambassadeur laisse libre cours à sa violente colère, il profère des menaces (26 vers) tandis qu’Élisabeth mesure toute l’ampleur de son crime et la légitimité de ces reproches. Accablée de douleur, elle reproche à Melvin ses conseils puis sombre dans la démence : elle veut aller embrasser la bouche de Marie, elle a des visions de la morte, apparitions qu’elle décrit dans un vocabulaire amoureux. Elle se dédouble, désirant se séparer d’elle-même afin de fuir son ombre, elle appelle la mort. Assaillie par les fantômes de Marie et de Nolfoc, elle promet de commémorer leur mort chaque année à Londres et de les placer en un même tombeau.
Les sources de C. Regnault §
Dans l’Apologie qui sert d’introduction à Marie Stuard, Regnault dit suivre les meilleurs auteurs du temps et cite une dizaine d’auteurs parmi lesquels Ronsard, Buchanan (qui adopte pourtant un point de vue très différent du sien), Belliene, de La Guesle, Lamotte-Aignon, de l’Aubespine, Du Perron. Il cherche par ce biais à la valoriser en lui donnant les meilleures références mais ce ne sont pas ses sources, peut-être même ne les a-t-il pas toutes lues. Selon Jane Conroy72, Regnault aurait consulté le Martyre de la Reine d’Écosse, texte britannique dont il ignorait le nom de l’auteur mais qui a depuis été attribué à Blackwood. Elle pense que Regnault tient l’essentiel de ses renseignements de Rémond, La Naissance de l’Hérésie (Arras, 1611) et Caussin, La Cour Sainte ou l’Institution chrestienne des grands (1644). À l’évidence, Regnault s’inspire de trois pièces antérieures73 :
– MONTCHRESTIEN, L’Escossoise, 1601. Il s’agit du même sujet. Regnault a emprunté de nombreuses expressions (une vingtaine, dont certains in extenso) ainsi que des détails comme l’arrivée en Angleterre de Marie Stuart un jour d’orage.
– TRISTAN L’HERMITE, La Marianne, créée peu avant (en 1636) et qui fut l’un de grands succès du siècle. Regnault reprend le thème de la folie d’Élisabeth au dernier acte (ses visions du fantôme de Marie et son décret d’une fête nationale annuelle en l’honneur de celle-ci). La marche générale des événements est similaire et les rôles, les relations entretenues par les différents protagonistes trouvent leurs équivalents.
– THEOPHILE DE VIAU, Pyrame et Thisbé. Il emprunte des vers et parfois tout un passage74.
Traitement de l’histoire par Regnault §
Regnault, selon les besoins de sa pièce, choisit de conserver certains détails historiques inchangés et d’en modifier ou d’en omettre d’autres. Il va sélectionner certains incidents et les traiter en action ou en récit, s’écartant en général de Montchrestien notamment lorsqu’il inclut dans l’action la mort de Marie, de Nolfoc et de Mourray.
Où Regnault observe les faits historiques §
Regnault a considérablement élargi son sujet au profit des aspects historiques et dramatiques. Jane Conroy a étudié « la couleur locale » dans la pièce75. Pour elle, « l’onomastique est un indice […] de cette recherche d’un pittoresque « anglais », qui laisse entrevoir aussi une plus grande connaissance76 de la vie anglaise, chez les spectateurs comme chez l’auteur »77. Il est remarquable en effet que Regnault donne un nom aux personnages qui restaient, chez Montchrestien, des étrangers anonymes, ce qui augmente considérablement le nombre des noms de personnes. La distribution compte treize Anglais ou Ecossais nommés et neuf noms figurent dont les détenteurs n’apparaissent pas : Le comte de Lenox, Domglas, « l’illusre Celon », Lincestre, Henri VIII, Edouard, les Stuart, le comte d’Arondel, le comte de Clocestre. Seuls « les Estats », « les Officiers de Marie », « les Domestiques du Duc » et « le Page » ne portent pas de nom. La contemporanéité des événements et leur lien avec la France sont rappelés par l’emploi des noms de personnalités françaises : « Henry second du nom », « François […] digne sang des Valois », « le Prince des François », Pomponne de Bellièvre.
Il y a donc une volonté de « faire anglais », de chercher le pittoresque et de rappeler le contexte où les personnages évoluent. En pratique, cela présentait pour Regnault l’avantage de pouvoir compter sur une plus grande tolérance du public.
Où il se détache de l’Histoire §
La présence de noms britanniques permet de fixer un cadre mais ne garantit en rien son authenticité. Si tous les personnages anglais ou écossais cités ont réellement joué un rôle dans l’histoire de Marie Stuart, Regnault ne les connaît que de nom et est amené à inventer leur vie selon les besoins de sa tragédie. Il serait vain de vouloir voir derrière ces noms autre chose que des types sans visages et sans histoire personnelle. Dans la création des personnages de second plan (Melvin, Herrin, Sherobery, A. Paulet, Killegre), au mépris des faits historiques s’ajoute une très grande conformité avec les stéréotypes de la tragédie.
Les faits aussi sont arrangés pour les besoins de l’intrigue comme ces quelques détails : dans la réalité, Élisabeth n’a jamais aimé Norfolk ; celui-ci meurt plusieurs années avant Marie et non la veille de son exécution ; Marie n’est pas arrivée en Angleterre un jour d’orage ; historiquement, c’est Marie qui présenta à Élisabeth un bijou en forme de coeur et composé de diamants (Regnault inverse ici les rôles pour faire de ce présent d’Élisabeth un symbole de son cynisme et de sa dureté de cœur). En fait, Regnault étoffe l’inventaire des malheurs de Marie en y adjoignant des détails romanesques -où l’on sent l’influence de la tragi-comédie- comme le récit de son évasion de Lochleven ou le don du cœur de diamants.
L’idéalisation de la mort, consubstantielle au genre tragique, oblige Regnault à modifier la réalité des faits. L’exécution de Nolfoc d’abord, qui est rapportée brièvement (12 vers) à la fin de l’acte III ne ressemble pas à celle qui eut lieu. Le récit, sobre, dépourvu de détails sanglants, est à l’image du héros, mort avec humilité, résignation et dignité, « en Prince » (v. 953). Or, le Norfolk de l’histoire « mourut plutôt en Ministre qu’en Capitaine, preschant le peuple et s’accusant d’avoir traicté de mariage avec la reine d’Écosse, sans en advertir la Reine »78. Il en va de même pour la mort de Mourray qui ouvre l’acte IV sur un coup de théâtre : il a été assassiné à Londres dans un combat entre « une trouppe écossoise » et ses gens, alors que Moray fut tué à Edinburgh, capitale de l’Écosse.
Onomastique et degré d’historicité §
Procéder à l’inventaire des personnages doit permettre d’évaluer le degré d’historicité de la pièce et son ancrage dans le réel. Voici la liste des personnages tels qu’ils sont présentés ; pour chacun d’eux, nous avons cherché la personne historique dont ils sont inspirés.
Onze Anglais ou Ecossais nommés :
– « Marie Stuard, Serenissime Reyne d’Ecosse & d’Irlande, Doüainiere de France & legitime heritiere d’Angleterre » : Marie Stuart, 1542-1587.
– « Duc de Nolfoc, son Amant, & autrefois favory d’Elisabeth.» : Thomas Howard, 4e duc de Norfolk.
– « Kenede, Une des Filles d’honneur de Marie » : Jane Kennedy. Confidente et favorite de Marie Stuart, elle partageait même son lit. Elle se jeta réellement à l’eau pour suivre sa maîtresse lors de l’évasion de Lochleven comme Regnault le raconte à l’acte I, scène 1. Elle assista à l’exécution. Plus tard, elle reçut de Philippe II une pension et épousa Andrew Melville. Elle périt en mer en 1589.
– « Melvin, Grand Maistre de la maison d’Ecosse, & celuy qui raconte la mort de sa Reyne » : Andrew Melville, intendant de Marie Stuart et témoin de son exécution.
– « Elisabeth, fille naturelle de Henry huictièsme Roy d’Angleterre » : élisabeth Ire, 1558-1603.
– « Comte de Mourray, Frere naturel de Marie, & bastard de Jacques cinquiesme Roy d’Ecosse » : James Stewart, comte de Moray (ou Murray). Demi-frère de Marie Stuart et régent d’Écosse.
– « Comte de Kemt, conseiller d’Élisabeth » : comte de Kent, seigneur anglais protestant et fanatique qui nargua Marie juste avant son exécution.
– « Maréchal de Sherobery, conseiller d’Élisabeth » : Georges Talbot, 6e comte de Shrewsbury. Il eut longtemps la garde de Marie Stuart mais s’est toujours bien comporté envers elle, l’a toujours louée. Sa mansuétude finit par éveiller la méfiance des conseillers d’Elisabeth.
– « Amias Paulet, Concierge de la Tour où est Marie » : Sir Amias Paulet, diplomate anglais.
– « Vicomte de Herrin, Seigneur Ecossois » : Sir John Maxwell, baron Herries. Il défendit sa reine Marie Stuart militairement (à la bataille de Langside) et juridiquement (au procès de 1568). Ses Mémoires constituent une source importante pour la biographie de Marie Stuart.
– « Killegre, Capitaine des Gardes » : Sir Henry (ou William ?) Killigrew, plusieurs fois ambassadeur en Écosse auprès de Marie Stuart et aussi en France. Emprisonné à Calais et rançonné, il épousa en secondes noces une Française. Adversaire implacable de Marie Stuart, il était parmi ceux qui conseillaient à Elisabeth de se défaire de celle-ci. Une de ses missions en France consista à tenter de convaincre Charles IX et sa mère d’abandonner la cause de la reine d’Écosse. En 1572, il assura à la cour de France la diffusion d’une attaque contre Marie, la Detectio de Buchanan. Il envoya aussi à Cecil un pamphlet en français dirigé contre elle.
Neuf noms de personnages mentionnés mais qui restent invisibles :
– « Le comte de Lenox » : Henry Stuart, comte de Lennox, c’est-à-dire, lord Darnley.
– « Domglas » : William Douglas, parent du laird de Lochleven.
– « Celon » : Georges Ceton.
– « Lincestre » : ROBERT DUDLEY, comte de Leicester.
– « Henri VIII » : le roi d’Angleterre de 1509 à 1553.
– « Edouard » : Edouard I ou III.
– « les Stuart. »
– « le comte d’Arondel » : Philip Howard, comte d’Arundel.
– « le comte de Clocestre » : Henry Stuart, duc de Gloucester. Nom qui semble être emprunté à Jeanne, Reyne d’Angleterre.
Ceux qui ne portent pas de nom :
– « les Estats d’Angleterre ».
– « Troupe d’Officiers de Marie & du Duc ».
– « Page de la chambre d’Elisabeth ».
– Les Domestiques du Duc.
Quatre personnalités françaises :
– « Henry second du nom » : Henry II, roi de France de 1547 à 1559.
– « François (…) digne sang des Valois » : François II de France, premier époux de Marie Stuart.
– « le Prince des François » : Henri III, roi de France de 1574 à 1589.
– « Pomponne de Bellièvre, Ambassadeur de France, & depuis Chancelier » : POMPONNE I DE BELLIèVRE, chancelier de France.
Tableau de la présence scénique des personnages §
Les personnages ont été classés par ordre d’importance ;
Les O représentent les monologues.
I | II | III | IV | V | ||||||||||||||||||||||
1 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 1 | 2 | 3 | 4 | |
Marie Stuard | 166 | 10 | 8 | 16 | 27 | 20 | 28 | 12 | 57 | 4 | 59,5 | |||||||||||||||
Nolfoc | 25 | 6 | 101 | 36 | 8 | 9 | 12,5 | 2 | 63,5 | 58,5 | ||||||||||||||||
Kenede | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||
Elisabeth | X | X | X | O | X | X | X | |||||||||||||||||||
Kemt | 8 | 1,5 | (X) | 17,5 | 81,5 | 4 | 4 | |||||||||||||||||||
Sherobery | X | X | X | X | ||||||||||||||||||||||
Mourray | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||||||
Vicomte de Herrin | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||||||
Killegre | X | X | X | X | ||||||||||||||||||||||
Melvin | X | X | X | |||||||||||||||||||||||
Les Estats | X | X | ||||||||||||||||||||||||
Pomponne de Bellievre | X | X | ||||||||||||||||||||||||
Amias Paulet | X | |||||||||||||||||||||||||
Page d’Elisabeth | X | |||||||||||||||||||||||||
Troupe d’officiers | X |
À propos des personnages §
Inventio des rôles §
Regnault met d’abord en place le personnage de Mourray, le méchant par excellence. Il doit ensuite lui donner un complice et il va chercher dans l’histoire le protestant fanatique Kent ; le reste du personnage de Kemt est inventé en vue de créer le type même du perfide. Il a ensuite besoin de deux personnages vertueux pour leur faire contrepoids et pour occuper la scène durant le procès et la réunion du conseil. Shrewsbury, qui s’était bien comporté avec Marie Stuart, et Herries, qui avait toujours défendu sa reine, lui inspirent Sherobery et Herrin. Amias Paulet est emprunté à Montchrestien mais son importance est réduite. Melvin est lui aussi emprunté à Montchrestien mais son rôle historique de témoin de l’exécution lui est restitué. Pomponne de Bellièvre, bien qu’il soit le seul personnage à porter exactement le même nom que la personne historique, n’en possède pas pour autant plus d’authenticité. La façon dont il exerce ses fonctions d’ambassadeur (la violence de son emportement l’amène presque à insulter la reine) brise la vraisemblance.
Les caractères §
Marie est présentée comme douce, bonne, indulgente et généreuse. Elle incarne la victime par excellence : victime de l’hérésie sur le plan religieux, elle est, sur le plan politique, victime de la tyrannie d’un rival qui la prive de la vie en même temps que d’une couronne qu’elle mérite. Exemplaire dans ses préparatifs d’ordre pratique et spirituel à la mort, elle est assez proche des sources historiques qui décrivaient en détail ces dernières heures, mais pas forcément proche de ce que fut la réalité de sa vie. Regnault fait de discrètes allusions au passé conjugal de l’héroïne, ce qui ne manque pas d’humour lorsqu’on sait que Marie s’est mariée trois fois. Pensons à ce vers de lamentation à l’acte III, scène 6 : « Je perds le nom d’épouse avant que de l’avoir » ou à cet adieu qu’elle adresse à ses maris avant de mourir (Acte IV, sc. 6) :
Enfin mes chers Epous, la Parque va venir,Et qui nous separa nous sçaura reünirJe vous consacre à tous mes immortelles flammes,Et malgré vos trespas je vais joindre vos ames,
Élisabeth a tant de vices que le lecteur est surpris de la voir devenir folle de douleur et de remords à la fin de la pièce. Mourray est un ambitieux et un hypocrite, un traître qui cherche à régner sur l’Écosse aux dépens de sa sœur. Nolfoc est le héros, la noble figure. Sa grandeur et ses faits d’armes l’ont rendu digne de l’amour de la reine d’écosse, contrairement au héros de la pièce de Boursault. Il aurait été prêt à se rebeller contre la cruauté d’Élisabeth si Marie ne l’en avait pas empêché, au nom du respect absolu que l’on doit au statut intouchable de souveraine. Il relève plus de la tradition théâtrale que de la littérature historique, comme en témoignent les sentiments qu’on lui prête à la fin de sa vie : honte, désespoir, tentation du suicide, puis repentir et confiance en Dieu. Les Essex seront calqués sur ce modèle. Killegre est semblable à tous les capitaines des gardes de tragédie, auxiliaires impuissants d’un pouvoir tyrannique, ils ne peuvent qu’exécuter les ordres, même à contrecœur. Kenede est le seul personnage mineur qui soit individualisé.
Dramaturgie : thèmes, intrigue §
L’introduction des deux perfides, Mourray et Kemt et celle du personnage de l’amant est devenue indispensable depuis Montchrestien. Elle permet de développer les thèmes du sentiment et de la politique. Amour et perfidie servent en effet à créer des situations dramatiques elles-mêmes devenues, en 1639, des scènes-thèmes de la tragédie. Les scènes de fausse accusation, de confrontation entre le souverain et le héros soupçonné de sédition, de jalousie, d’arrestation du héros, de procès, d’adieu des amants… sont toutes devenues des topoï bien qu’elles constituent des innovations par rapport à Montchrestien.
L’intrigue est constituée par la relation amoureuse triangulaire entre Marie, Nolfoc et Elizabeth. Ce n’est pas le même type d’action que dans la pièce de Boursault, puisque ici les passions sont encore à l’origine de l’action.
La Calprenède, Le Comte d’Essex, 1639 §
Gautier de Coste de La Calprenède naquit aux alentours de 1610 et mourut en 1663. Dramaturge et romancier, sa production théâtrale compte neuf tragédies et tragi-comédies parmi lesquelles Le Comte d’Essex (1638) fut son plus gros succès et est demeurée la plus connue.
Présentation du Comte d’Essex §
La tragédie fut imprimée en 1639. Nous ne sommes pas en mesure de donner la date de sa représentation de façon tout à fait précise. Lancaster affirme qu’elle fut créée pour la première fois en 1637, ses éditeurs modernes situent les premières représentations à la fin de la saison 1636-1637 ou au début de la suivante. Dans cette pièce, l’unité de lieu n’est pas transgressée mais, toujours à l’intérieur du Palais, on passe d’un endroit à un autre sans que cela soit toujours notifié. C’est pourquoi, nous avons reprécisé le lieu exact de chaque scène entre crochets.
Résumé de la pièce §
Acte I : Scène 1 : [Cabinet d’Élisabeth]. Élisabeth accuse Essex de sédition et d’ingratitude. Mal satisfaite de ses réponses un peu vagues et de son attitude altière, elle décide de le faire juger. Scène 2 : [Cabinet d’Élisabeth]. Élisabeth restée seule avec Alix se sent défaillir. Scène 3 : [Cabinet d’Elisabeth]. Se faisant violence, elle ordonne l’arrestation du favori et de son ami Soubtantonne. Scène 4 : [Cabinet d’Élisabeth]. Monologue dans lequel elle s’apitoie sur son propre sort, soulignant la disparité entre sa grandeur apparente et sa misère sentimentale. Elle paraît néanmoins capable de donner suite à ses menaces – on comprend que le danger qui guette le comte n’est pas négligeable. Scène 5 : [un endroit du Palais]. Rencontre des deux amis, dont l’un, Soubtantonne, est pleinement conscient de la gravité de la situation, tandis que l’autre est persuadé de son invulnérabilité. Scène 6 : [un endroit du Palais]. Arrestation des deux comtes. Colère d’Essex.
Acte II : Scène 1 : [un endroit du Palais]. Scène de Conseil. Cécile et le comte de Salisbury donnent leurs conseils à la Reine. Le premier la pousse à condamner Essex sans hésiter plus longtemps, le second, de ne pas précipiter sa décision et de réfléchir aux conséquences. Scène 2 : [Cabinet d’Élisabeth]. Élisabeth fait part à Mme Cécile de ses états d’âme contradictoires. Elle la charge d’obtenir d’Essex qu’il demande sa grâce. Scène 3 : [un endroit du Palais]. Coup de théâtre. Mme Cécile, jusqu’ici confidente banale, se révèle être une amante délaissée du comte. Elle ne s’est jamais remise de cette humiliation. Scène 4 : [prison d’Essex]. Avec orgueil, Essex renvoie Raleig qui est venu le voir dans sa prison. Scène 5 : [prison d’Essex]. Il fait un accueil très chaleureux à Mme Cécile mais refuse de s’abaisser à demander pardon à la reine.
Acte III : Tout cet acte (composé d’une scène unique) est consacré au procès, qui se déroule donc au tribunal. Popham, Cécile, Raleig occupent les fonctions de juges. Des barons sont présents mais restent muets.
Essex ne se défend pas, il énumère simplement les services militaires qu’il a rendus à l’Angleterre. Il attaque ses juges. Soubtantonne tente de réfuter point par point les chefs d’accusation et accuse lui aussi leurs ennemis d’avoir tout inventé. Tout cela est entrecoupé par des altercations entre Essex, Cécile et Raleig. Popham prononce la sentence de mort et les deux amis se disent adieu.
Acte IV : Scène 1 : [un endroit du Palais]. Élisabeth demande au capitaine des gardes que l’on diffère son Arrêt car elle veut qu’il vive ; Alix essaie de lui rappeler la gravité de sa faute et combien il serait dégradant pour elle tolérer une telle irrévérence. Mais elle maintient sa grâce, expliquant elle-même qu’elle préfère faire céder sa raison devant sa passion. Scène 2 : [un endroit du Palais]. Soubtantonne, à qui elle a pardonné, vient plaider la cause d’Essex. Scène 3 : [un endroit du Palais]. Raleig ranime adroitement la colère de la reine. Scène 4 : [un endroit du Palais]. échange de menaces entre Raleig et Soubtantonne. Scène 5 : [prison d’Essex]. Pour lui prouver qu’elle possède son cœur et son entière confiance, Essex donne la bague sauf-conduit à Mme Cécile, qui lui promet de la remettre à élisabeth. Scène 6 : [prison d’Essex]. Monologue d’Essex qui explique son geste ; il répond à un désir de sauver son honneur et non sa vie. Scène 7 : [« hors de la prison »]. Hésitations de Mme Cécile. Scène 8 : [« hors de la prison »]. Elle rencontre son mari en chemin. L’acte se termine ainsi, laissant le public en suspense.
Acte V : Scène 1 : [« hors de la prison »]. On mène Essex à l’échafaud. Il rabroue Raleig et envoie un dernier message à Mme Cécile. Scène 2 : [Cabinet d’Élisabeth]. Alix remontre encore une fois à la reine, hésitante, la nécessité de cacher sa faiblesse et lui rappelle les derniers rapports de Mme Cécile, selon lesquels le Comte reste impénitent. Scène 3 : [Cabinet d’Élisabeth]. Annonce de la mort du Comte. Chagrin d’élisabeth. Scène 4 : [Cabinet d’Élisabeth]. Mme Cécile demande à voir Elisabeth. Scène 5 : [dans une chambre]. Elle avoue tout. On l’emporte chez elle pour y mourir. Scène 6 : [Cabinet d’Élisabeth]. Stupéfaction et douleur mortelle de la reine, qui demande à être menée à son lit « pour la dernière fois ».
Liste des personnages tels qu’ils sont annoncés au début §
Elisabeth, [reine d’Angleterre].
Le Comte d’Essex.
Le Comte de Soubtantonne.
Le Comte de Salisbury.
Cécile, secrétaire d’Etat.
Raleig, seigneur anglais.
Popham, chancelier d’Angleterre.
Mme Cécile, femme de Cécile.
Alix
demoiselles d’Elisabeth
Léonore
Un Capitaine des Gardes.
Un huissier du Cabinet.
Tableau de leur présence en scène §
Le tableau ci-dessous est une reproduction de celui qui figure dans l’ouvrage de Jane Conroy79.
Présence des personnages, importance des rôles, nombre et longueur des scènes
I | II | III | IV | V | ||||||||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | ||
1 Elizabeth | 90- | 5+ | 10 | 68 | 32 | 81- | 47- | 5+ | 28+ | 20 | 39+ | 3 | 10- | 97- | 534- | |||||||||||||
2 Essex | 59- | 16+ | 11 | 31+ | 82 | 120 | 63 | 7 | 74- | 463- | ||||||||||||||||||
6 Alix | O | 0+ | 4 | 23- | 24 | 7+ | 2+ | 2- | 62- | |||||||||||||||||||
11 Cap. des Gardes | 1- | 8 | 3- | 11+ | ||||||||||||||||||||||||
4 Soubtantonne | 40- | 1 | 72 | 58+ | 24- | 195- | ||||||||||||||||||||||
5 Cécile | 28 | 69- | 3 | 2 | 102- | |||||||||||||||||||||||
10 Salisbery | 24 | 24 | ||||||||||||||||||||||||||
3 Mme Cécile | 1 | 35- | 47 | 22 | 28- | 6- | 23 | 59- | 219+ | |||||||||||||||||||
8 Raleig | 4- | 11 | 9- | 4+ | 4 | 32- | ||||||||||||||||||||||
7 Popham | 53- | 53- | ||||||||||||||||||||||||||
12 l’huissier | 3- | 3- | ||||||||||||||||||||||||||
9 Leonore | 6- | 19 | ? | 25- | ||||||||||||||||||||||||
148 | 6- | 13- | 68 | 56 | 20 | 84 | 82- | 35- | 35 | 129 | 324 | 69 | 8 | 95+ | 28- | 85 | 7 | 28- | 9- | 80 | 44 | 52 | 22 | 25 | 71 | 98 | 1720 |
Les personnages sont présentés par ordre d’entrée en scène ; le chiffre à gauche de leur nom indique la place dans la hiérarchie des rôles.
O Selon les indications de scène le personnage est présent mais muet.
? Le personnage est probablement présent, sans que La Calprenède le précise.
+ Un ou plusieurs vers interrompus : total arrondi au chiffre inférieur (moins de six syllabes en plus).
- Un ou plusieurs vers interrompus : total arrondi au chiffre supérieur (moins de six syllabes en moins).
Rapport à l’histoire §
La plupart des événements sont effectivement historiques, sauf la référence à l’anneau qu’Élisabeth donne à Essex, légende qui avait cours en Angleterre. Les faits principaux sont tirés de Camden et de Bacon80.
Les caractères, en comparaison à ceux que Boursault met en scène §
Élisabeth est « le personnage le plus tragique de la pièce » selon Lancaster81. Mme Cécile rappelle à Essex les traits de caractère de cette reine constamment déchirée entre sa passion pour Essex et sa volonté de conserver aussi bien sa dignité que son pouvoir :
Dans cette passion que la Reine a pour vous,Bien que ce grand courroux si hautement éclate,Que son ressentiment menace une âme ingrate,Vous connaissez la sienne, et ce que vous pouvez,Rendant à son amour ce que vous lui devez,Ne le différez pas et si vous êtes sagePar vos soubmissions, calmez ce grand courage :Ou vous éprouverez qu’il est très dangereuxD’aigrir par des mépris un esprit amoureux,D’en effacer l’amour pour y mettre la haine,Et de désespérer une Amante, une Reine. (II, 5, v. 588-598)
Entièrement dominée par son pathos, soumise à sa passion, elle va jusqu’à user de stratagèmes comme lorsqu’elle envoie sa confidente quémander pour elle un petit signe de repentir de la part d’Essex, qui lui offrirait le prétexte qu’elle recherche afin de le gracier. Essex l’a pourtant doublement outragée, par son indifférence et par sa conspiration. Comme dans toutes les pièces sur le sujet, l’amour qu’Élisabeth porte à Essex lui fait mépriser le souci d’équité ; mais à la différence des autres pièces, cet amour prend également le pas sur son amour propre, sur sa dignité, c’est pourquoi l’Élisabeth de La Calprenède apparaît plus indulgente envers son ancien favori. Elle ne demande qu’à le pardonner et a conscience des remords qui la tortureront si elle devaitt se résoudre à le condamner, ce qu’elle se resout cependant à faire, par devoir. Elle est avant tout définie comme une femme, un être sensible, humain, capable de bonté pour celui qu’elle aime. C’est sa souffrance qui la rend cruelle, tandis que l’Élisabeth de Boursault, elle, ne se laisse jamais émouvoir.
Le sujet, l’intrigue §
La pièce est bâtie à partir de la condamnation et de l’exécution d’Essex, qui en constitue le sujet. Comme chez Boursault, la question des intérêts de l’État n’est soulevée que pour se conformer à la tradition, pour mettre en scène un enjeu incontournable. Mais le risque de perdre ou non la couronne n’est pas envisagé sérieusement par la reine, il sert seulement de prétexte à justifier qu’elle puisse supprimer Essex en fournissant une cause plus juste que celle qui la motive réellement : la vengeance amoureuse sans considération pour la loi et la vérité. Comme dans les autres pièces sur ce sujet, tout repose sur la décision d’Élisabeth, elle-même sous influence de ses conseillers.
Thomas Corneille, Le Comte d’Essex §
Un ami à l’influence certaine §
Thomas Corneille, (1625-1709) a sensiblement le même âge que Boursault. Ayant débuté sa carrière de dramaturge (entre 1647 et 1658) en donnant des comédies inspirées d’auteurs espagnols82, il abandonne ce genre pour celui, plus noble, de la tragédie. Son Timocrate, tragédie romanesque créée en 1656 au théâtre du Marais (et dont le sujet est emprunté à un roman de La Calprenède : Cléopâtre, 1654), est représenté quatre-vingt fois et connaît un des plus grands succès théâtraux du XVIIe siècle. Son Comte d’Essex, joué en 1679, soit quatre ans seulement avant Marie Stuard de Boursault, remporte également un vif succès. Or Boursault imitait les auteurs dont il enviait le succès -ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’il a choisi de traiter ce sujet pour cette unique raison, mais il est probable que cela ait pesé dans son choix.
Présentation de la pièce §
Le Comte d’Essex de Thomas Corneille fut représenté pour la première fois en janvier 1678 et connu un énorme succès.
L’unité de lieu n’est pas respectée puisque le quatrième acte donne à voir la prison dans laquelle Essex est détenu. Nous précisons les changements de lieux dans notre résumé.
Résumé §
Acte I : Scène 1 : Élisabeth aime Essex qui aime et est aimé d’Henriete. Essex investit le palais d’Élisabeth pour empêcher le mariage entre sa bien aimée et le Duc d’Irton. Ses ennemis l’accusent d’avoir, par cet acte, tenté de s’emparer du trône. Son ami Salsbury le met en garde, mais Essex ne semble pas réaliser la portée de son geste. Les deux amants font tout pour dissimuler à la reine leur attachement réciproque de peur d’éveiller sa jalousie : Essex a dû feindre d’éprouver de l’amour pour une autre, « la belle Suffolc », afin de détourner ses soupçons ; Henriete, de son côté, a décidé, sans en avertir son amant, d’épouser le Duc car sa position de confidente rendait la situation inextricable. Désespérée de pouvoir un jour épouser Essex, elle a pris le parti de se marier, espérant qu’il acceptera d’épouser Élisabeth et s’assurera ainsi un avenir brillant. Scène 2 : Entretien pathétique entre les deux amants. Scène 3 : Face à face entre Essex, franc et emporté, et Cécile, hypocrite et mesquin.
Acte II : Scène 1 : Élisabeth explique à sa deuxième confidente, Tilney, ses sentiments partagés : amour pour Essex, jalousie envers Mme Suffolc, désespoir et honte d’être dédaignée, colère devant cette offense. Scène 2 : La nouvelle Duchesse d’Irton fait un faux compte-rendu de son entretien avec Essex et fait tout pour le faire rentrer en grâce. Scène 3 : Cécile essaie de convaincre la reine de la culpabilité du comte, qui serait d’intelligence avec les rebelles irlandais pour tenter de renverser l’état. Il dit être en possession de témoignages et de lettres portant son sceaux. Scène 4 : Élisabeth convoque Essex. Scène 5 : Affrontement entre la reine et son ancien favori. Il se défend mal et au lieu d’accepter le pardon que lui offre la reine, il réclame d’être jugé par le conseil. Scène 6 : On l’arrête.
Acte III : Scène 1 : Cécile apprend à Élisabeth le jugement du conseil : Essex est condamné à mort pour lèse-majesté. Scène 2 : Élisabeth est plus que jamais déchirée entre sa passion et sa colère. Elle envoie Tilney auprès du comte pour le faire fléchir, prête à le pardonner au moindre signe de remords de sa part. Scène 3 : Salisbury vient plaider la cause de son ami et dénoncer les intrigues de Cécile. Scène 4 : La Duchesse avoue tout à Élisabeth qui pardonne à Essex et se décide à le gracier.
Acte IV : Scène 1 : Tilney se rend à la prison comme on le lui a demandé mais n’obtient pas d’Essex qu’il se soumette. Scène 2 : Monologue dans lequel il renonce au monde. Scène 3 : C’est au tour de Salsbury d’essayer de le convaincre mais il n’y parvient pas davantage que Tilney. En réalité, Essex désire mourir à cause du mariage de la Duchesse. Scène 4 : Mais celle-ci veut le convaincre de vivre. Il lui fait néanmoins ses adieux et les gardes l’emmènent, laissant la Duchesse désespérée.
Acte V : Scène 1 : Tilney rend compte à Élisabeth du refus d’Essex de se repentir. Scène 2 : La Duchesse met toute son énergie à presser la reine d’intervenir pour empêcher l’exécution, imminente bien que l’ordre n’ait pas encore été signé. Élisabeth charge alors Tilney de faire ramener le comte. Scène 3 : Inquiétude des deux femmes que leur amour pour le même homme rapproche. Scène 4 : Cécile parait, triomphant. Élisabeth, détrompée, le chasse. Scène 5 : Tilney revient : le Comte est mort. La Duchesse se retire. Scène 6 : Salsbury fait le récit de l’exécution. Élisabeth promet de punir les coupables avant de mourir elle-même.
Les personnages : liste initiale et tableau de leur présence scénique §
Elisabeth, Reyne d’Angleterre.
La Duchesse d’Irton, aimée du Comte d’Essex.
Le Comte d’Essex.
Cécile, Ennemy du Comte d’Essex.
Le Comte de Salsbury, Amy du Comte d’Essex.
Tilney, Confidente d’Elisabeth.
Crommer, Capitaine des Gardes de la Reyne.
Suite.
Le tableau ci-dessous est une reproduction de celui qui figure dans le livre de Jane Conroy83.
Présence des personnages, importance des rôles, nombre et longueur des scènes.
I | II | III | IV | V | ||||||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | ||
2 Essex | 97- | 45 | 43 | 50- | 20+ | 7+ | 77+ | 11 | 60- | 71+ | 481- | |||||||||||||||
4 Salsbury | 43+ | 49 | 29- | 9 | 35- | 165- | ||||||||||||||||||||
3 D’Irton | 97 | 20 | 9+ | 2- | O | 27- | 61- | 37- | 3- | 15- | O | O | 6 | 275+ | ||||||||||||
5 Cécile | 35 | 15- | 28+ | 9 | 88- | |||||||||||||||||||||
1 Élisabeth | 45- | 47- | 3+ | 9+ | 82+ | 24- | 82- | 33 | 73+ | 38 | 2- | 13+ | 22- | 14 | 14- | 33+ | 533 | |||||||||
6 Tilney | 10 | O | O | 1- | O | O | 14+ | 19- | 3 | O | 7- | O | 53+ | |||||||||||||
7 Crommer | 6- | 6- | ||||||||||||||||||||||||
8 suite | O | 0 | ||||||||||||||||||||||||
140 | 142 | 78 | 55- | 67- | 28- | 12- | 132 | 47 | 13 | 52 | 96 | 82 | 135 | 96 | 11 | 89 | 117 | 41 | 5- | 28- | 31- | 14 | 26 | 68 | 1600 |
Les personnages sont présentés par ordre d’entrée en scène ; le chiffre à gauche de leur nom indique la place dans la hiérarchie des rôles.
O Selon les indications de scène le personnage est présent mais muet.
? Le personnage est probablement présent, sans que La Calprenède le précise.
+ Un ou plusieurs vers interrompus : total arrondi au chiffre inférieur (moins de six syllabes en plus).
- Un ou plusieurs vers interrompus : total arrondi au chiffre supérieur (moins de six syllabes en moins).
Nous n’avons pas jugé utile l’étude, même superficielle, des caractères et du sujet, dans la mesure où la pièce de Thomas Corneille est une réécriture de celle de La Calprenède, qui ne relève déjà plus notre sujet d’étude. Les mêmes rôles se retrouvent et les caractères restent très proches, même si les personnages changent parfois de nom d’une pièce à l’autre (Mme Cécile devient duchesse d’Irton, Alix devient Tilney).
Autres influences possibles §
Boursault montre son goût pour Corneille en reprenant un vers du Cid devenu célèbre, « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles » (v. 1273), qu’il transforme en : « A la sombre clarté qui tombe des etoilles » (I, 2, v. 195)
À titre informatif, signalons que Lancaster84 stipule l’existence d’une Marie Stuard, tragédie en trois actes avec un intermède en musique, dont il estime que l’on en retrouve la trace « dans la Marie Stuard de 1690 », c’est-à-dire dans celle de Boursault. Nous n’avons pas pu vérifier cette information mais le fait que cette pièce n’ait jamais été jouée à Paris, qu’elle soit d’auteur anonyme et qu’elle ait été perdue, ne suffit peut-être pas à la démentir car Lancaster précise quels seraient les points communs : le point de vue adopté par l’auteur est fortement catholique ; la place de l’amour est réduite au minimum ; Marie est également très pieuse, héroïque, généreuse ; Comme la Marie de Boursault, elle ne fait rien pour se sauver elle-même ; Davidson85 tient exactement le même rôle que Norfolc dans les pièces de Regnault et de Boursault et, tout en aimant Marie, il garde du respect et de l’affection pour élisabeth. Celle-ci est également une politicienne sans scrupule qui a usurpé le trône et qui emprisonne Marie sans raison valable ; Elle aime Davidson tout comme l’Élisabeth de Boursault aime Norfolc.
Autant de rapprochements qui restent malgré tout assez vagues, d’autant qu’il relève aussi de sensibles différences : Marie n’est pas passive comme chez Boursault, mais refuse courageusement l’offre de Davidson de tuer Élisabeth et le menace même de le faire exécuter s’il commet un tel acte ; Élisabeth n’agit pas sous le coup de la jalousie puisqu’elle n’apprend l’amour de Davidson pour Marie qu’après qu’elle avoir fait exécuter cette dernière ; La politique représente le fondement unique de tous ses débats intérieurs et de ses hésitations.
Étude dramaturgique §
Remaniement et exploitation des sources par Boursault §
L’Histoire revisitée §
Boursault n’a pas hésité à alléger la toile de fond historique héritée de Regnault et à prendre ses distances vis-à-vis de l’histoire réelle. En fait, cela paraît logique car, en 1683, il avait moins besoin de faire appel à Camden86 pour trouver des références exactes aux événements. Avec le temps, le souvenir des événements historiques s’estompe et une plus grande liberté est permise aux auteurs. Ainsi, Montchrestien était plus proche de l’histoire que Regnault, qui l’est plus que Boursault87, chez qui l’histoire d’Angleterre et d’Écosse est presque escamotée, le peu qui en transparaît étant souvent transformé dans le détail. Certains événements marquants, comme la rébellion des écossais, sont à peine effleurés et, parmi les renseignements historiques, beaucoup sont contestables ou inventés. Certains traits appartiennent à la tradition, comme le caractère exagérément corrompu d’Élisabeth, dont on met toujours en exergue les tares de naissance qui font d’elle l’usurpatrice du trône. D’autres sont des inventions de Boursault : le fait que les ancêtres de Norfolc (son père et son grand-père) aient été exécutés parce qu’ils refusaient d’abjurer et qu’ils soient morts en martyrs ; les doutes concernant l’identité du père de Morray ; le fait que Marie l’ait malgré tout légitimé, par mansuétude ; l’association de Norfolc avec Ridolf, un envoyé du Prince de Parme ; l’ambition de Morray d’épouser Élisabeth, ou encore le fait qu’il soit le meurtrier du roi d’écosse. Boursault prend soin d’omettre de préciser que Marie se maria à trois reprises, car sa problématique exige qu’elle soit pure et innocente. La Cour d’Élisabeth est avant tout une projection de l’imagination, un univers quasi mythique, le lieu de rencontre des forces délétères qui guettent les systèmes politiques et sociaux. C’est un lieu où les hommes se calomnient, s’achètent, s’épient, se trahissent, niant par là toutes les valeurs sur lesquelles se fonde la bonne société : le sang, la fidélité et la reconnaissance.
Nous avons affirmé plus haut que procéder à l’inventaire des personnages et étudier leurs noms devait permettre d’évaluer le degré d’historicité de la pièce et son ancrage dans le réel. Ce n’est pourtant pas vrai chez Boursault, car il a une vision plus globale, plus distanciée des faits, une vue d’ensemble et, s’il s’autorise un certain flou autour des références onomastiques, c’est qu’il les sait connues de tous. Le public est en effet beaucoup plus familier avec cette période de l’histoire que du temps de Regnault. La preuve en est que Boursault fait parfois s’exprimer Norfolc par simple allusion88. De même, il ne lui paraît pas nécessaire de fournir un récit circonstancié des souffrances de Marie, d’abord parce que ce thème est usé, ensuite parce que, comme nous le verrons, il ne s’agit plus d’une tragédie de la lamentation. Reste que, sur ce sujet, il s’agit d’un passage obligé, inévitable ; pour le traiter, Boursault choisit de recourir à la litote qui lui permet, par la concision, de gagner tout à la fois en pudeur et en puissance évocatrice.
Réécriture de la pièce de Regnault §
Il existe une filiation nette de Regnault à Boursault §
On le constate grâce à la reprise de certains détails : dans les deux pièces, Marie fait référence à son fils et s’adresse à lui avant de mourir.
Selon Lancaster, les constructions des deux pièces présentent les mêmes défauts : dans celle de Regnault les actes IV et V ne font que répéter les actes I et II avec un changement de victime (Norfolc dans les deux premiers, Marie dans les deux autres).
Boursault emprunte aussi plusieurs des personnages secondaires de Regnault : Melvin, Kenede, Killegre, le capitaine des gardes, Euric, le lieutenant des gardes et les gardes (qui restent toujours muets). Tous gardent sensiblement les mêmes fonctions.
Enfin, Boursault suit, dans les grandes lignes, l’intrigue de son prédécesseur.
Cependant, Boursault modifie des points essentiels et aboutit à une toute autre intrigue §
Marie Stuard montre de la sollicitude à l’égard de Norfolc mais, contrairement à celle de Regnault, elle ne l’aime pas. Elle se sent même offensée de l’amour qu’il lui voue car leur différence de rang ne l’autorise pas sans qu’elle s’en trouve rabaissée. Le personnage de Marie est beaucoup plus effacé que dans la pièce de Regnault : son temps de parole est très réduit, elle n’agit pas, n’exprime aucune révolte face à l’injustice qui lui est faite mais se soumet à son destin dans un mouvement d’acceptation passive, docile, dans une sorte d’abnégation totale, comme s’il devait en être ainsi.
Le personnage de Morray reçoit un sort plus favorable alors qu’il a gagné en méchanceté d’une pièce à l’autre. Élisabeth cherche à prendre sa revanche sur lui mais, par son suicide, il parvient en quelque sorte à échapper à sa condamnation et, surtout, à sauver sa dignité. Marie Stuard le précède dans la mort, tandis qu’il mourrait avant elle chez Regnault. Cette différence porte en elle un enjeu dramaturgique important. L’Élisabeth de Regnault, lorsqu’elle condamnait à mort le héros, semblait en apparence répondre à une provocation écossaise, ce qui rendait sa colère sinon légitime, du moins compréhensible. En choisissant de faire mourir Marie avant son demi-frère, Boursault ôte à Élisabeth cette excuse et montre que la dimension politique n’a aucun poids dans sa décision mais constitue un pur prétexte pour cacher qu’elle agit uniquement sous l’emprise de la jalousie.
Dans la pièce de Regnault, le procès de Norfolc commence par une protestation de la part du président du tribunal qui s’excuse du rôle qu’il affirme être obligé d’assumer en vertu de son devoir d’obéissance à la reine et ceci bien qu’il ne nourrisse aucune hostilité envers l’accusé. Dans celle de Boursault, en revanche, le jugement est déjà rendu avant le procès et personne89 ne défend Norfolc.
Le traitement de la conspiration de Norfolc est différent. Chez Regnault, les deux complices du Duc étaient des lords anglais (Clocestre et Arondel) tandis que Boursault choisit deux étrangers (Ridolf et le prince de Parme). Il peut ainsi se détacher du procédé galvaudé de la lettre contrefaite et habilement opter pour un procédé à la fois plus vraisemblable et plus proche de la réalité historique. Il fait intervenir une lettre compromettante mais authentique (Norfolc la reconnaît) envoyée de l’extérieur par le prince de Parme, qui propose l’invasion de l’Angleterre. Boursault peut néanmoins préserver l’innocence relative de son héros puisqu’il n’est dit nulle part que celui-ci adhère à ce projet ni ne le soutient90.
Boursault réduit la part de récit, notamment celui consacré à la mort de Marie Stuard et celui consacré à son passé. Il ne raconte pas la vie de Marie comme le faisait Regnault, mais se contente de quelques allusions éparses à son fils, à l’assassinat de son mari, à sa fuite en Angleterre, à son procès.
Une réécriture de La Calprenède §
Ce que Boursault conserve du Comte d’Essex de 1639 §
Le schéma est en fait sensiblement identique même si les noms des héros diffèrent. Comme la Marie Stuard de Boursault, la pièce est construite sur les sentiments conflictuels d’élisabeth, déchirée entre son amour, qui lui dicte la clémence d’une part, et sa haine, qui la pousse à la vengeance d’autre part. Comme chez Boursault, les passions ne sont pas à l’origine de l’action mais viennent la soutenir : les deux pièces sont des tragédies de la conspiration. Norfolc est un double du comte d’Essex ; ils partagent le caractère du jeune héros fier de ses exploits militaires, glorieux et audacieux, qui brave avec témérité l’autorité de sa reine au nom de la justice et de sa flamme. Le duc est en fait autant victime de sa générosité enthousiaste et naïve que de la cabale des grands seigneurs qui s’allient contre lui. Dans les deux tragédies, ceux-ci cherchent à détruire le crédit et la faveur dont il jouit parce qu’à lui seul, il ruine tous leurs espoirs de se rapprocher du pouvoir. Ils cherchent donc à l’en tenir éloigné pour prendre sa place au second rang de l’Etat, juste après la reine. De même que Norfolc chez Boursault, Essex compte sur sa notoriété et sur les sentiments de celle-ci pour le sauver.
Boursault réécrit certains vers de manière évidente. Les exemples sont multiples ; le premier acte suffit à en fournir quelques-uns :
La Calprenède, Le Comte d’Essex. | Boursault, Marie Stuard. |
Tu pâlis, déloyal, et le remords imprime Sur ton coupable front […] (I, 1, 13-14). |
Tu pâlis, malheureux, & ton crime t’allarm Cette coupable Lettre […] (III, 3, 846-847). |
Vois cette lettre écrite au Comte de Tirron ; Désavoueras-tu point ces armes ou ce nom ? (I, 1, 107-108). |
Voy cette Lettre, voy. Peux-tu la meconnoistre ? (III, 3, 837). |
Doncque cette importante et fameuse victoire Qui d’un Sceptre penchant a relevé la gloire,(I, 1, 121-122). |
Vostre Etat chancelloit, & ne chancelle plus. La mort qu’on me prepare est le digne salaire… (III, 3, 682-683). |
Qu’on leur donne surtout des gardes assurées. Là gît votre fortune, ou bien votre malheur, Et votre tête enfin me répond de la leur. (I, 4, 166-168). |
Gardes, laissez-les seuls ; & maistres de la porte, Empêchez seulement qu’aucun n’entre ou ne sorte. Il y va de vos jours à répondre des leurs. (III, 3, 880-883). |
Écarts vis-à-vis du Comte d’Essex de La Calprenède §
L’action est déclenchée par la trahison d’Essex, qui constitue un crime contre l’État. La problématique de la pièce est la classique opposition entre pathos et ethos : la reine est partagée entre sa passion amoureuse pour Essex, en vertu de laquelle elle voudrait l’acquitter, et son devoir, qui exige qu’elle punisse sa trahison à l’État. Chez Boursault, Élisabeth ne se préoccupe pas des intérêts de l’État ; seule son inquiétude de l’image qu’elle laissera à la postérité freine son envie de condamner les héros.
À aucun moment il n’est question de religion, tout roule autour du personnage de la reine et de sa décision. Les passions viennent ensuite, pour « soutenir l’action »91. Boursault garde la passion amoureuse du héros pour une autre femme (d’une certaine manière, Essex aime Mme Cécile, comme Norfolc aime Marie Stuard). En revanche, l’orgueil de Norfolc est sans commune mesure avec celui d’Essex. Ce caractère modifie l’intrigue car, chez La Calprenède, Élisabeth ne demande qu’à le pardonner, à condition qu’il avoue sa faute et s’en excuse ; seul son orgueil l’en empêche et, refusant de s’humilier, il se condamne lui-même. Essex est d’un caractère beaucoup plus fier et exerce un pouvoir beaucoup plus important que celui de Norfolc sur le cœur d’élisabeth. Mesurant ce pouvoir, il compte sur ses charmes pour le sauver et, s’il refuse de se soumettre, c’est en partie pour vérifier qu’elle souffre de le voir emprisonné. Essex garde davantage de maîtrise sur son destin, il a le pouvoir de se sauver, puisque la reine ne demande qu’à le pardonner et qu’il lui suffirait pour cela qu’il lui présente un anneau dont elle lui a fait présent en gage de son amour. Mais Essex pense qu’il n’aura pas besoin d’y recourir, persuadé que la reine tient trop à lui pour le faire mourir. Norfolc, lui, ne possède aucune monnaie d’échange de ce type, susceptible de lui sauver la vie ou même de lui en laisser l’espoir. De toute façon, il ne croit pas à la clémence de sa reine :
Et de quelle pitié vous croiray-je capableEn faveur d’un Sujet que vous trouvez coupable,Si d’une Reine auguste, à qui le sang vous joint,L'innocence est connuë, & ne vous touche point ?
Norfolc est seul, il n’a pas de double, d’ami fidèle, contrairement à Essex, qui pouvait compter sur Soubtantonne.
Norfolc est un nouvel Essex, en plus noble. Moins arrogant, il ne s’abaisserait pas à insulter ses juges comme le faisait son modèle ; il préfère se taire et décide de son destin tragique sans hésitation, d’un ton laconique et résolu :
Gardes, qu’on me rameine.C’est ma réponse. (IV, 4, 1298-1299).
Le personnage d’Élisabeth est très différent chez La Calprenède et chez Boursault. Dans Le Comte d’Essex, Élisabeth est avant tout une femme, en proie à sa passion amoureuse pour le comte. Loin d’être un monstre froid à l’esprit machiavélique et ambitieux, elle est dominée par une souffrance qui parait bien plus sincère, bien plus réelle que celle de l’Élisabeth de Boursault. Inhumaine et insensible chez Boursault, c’est par faiblesse qu’Élisabeth faute chez La Calprenède : son ethos de reine et sa dignité cèdent à son amour.
Structure de la tragédie de Boursault §
Résumé §
Acte I : Scène 1 : Le Duc de Norfolc doit venir faire des confidences à son prétendu ami Neucastel. Mais celui-ci est de connivence avec Euric, le lieutenant des gardes, et Morray, le demi-frère indigne de Marie Stuard, pour le perdre. Morray sera caché et pourra écouter les révélations de son ennemi. Scène 2 : Norfolc dévoile à Neucastel son projet de s’enfuir avec la reine d’Écosse dont il est amoureux. L’autre lui réaffirme sa fidélité et lui promet de l’aider quels que soient les risques. Scène 3 : Morray se réjouit, ces révélations garantissent le succès de ses projets qu’il expose : son illégitimité ne l’empêchera pas de régner bientôt sur l’écosse à la place de sa sœur, dont il va organiser l’exécution, puis celle de son fils héritier. Débarrassé de Norfolc, il prévoit d’épouser Élisabeth pour régner aussi sur l’Angleterre. Neucastel, hésitant au début, est gagné par la fièvre enthousiaste de son complice. Scène 4 : Lancastre vient chercher Morray afin qu’il apaise la colère de la reine, qui n’écoute que lui.
Acte II : Scène 1 : Morray attise au contraire la colère d’Élisabeth contre Norfolc, dont elle a appris les projets, en lui révélant que, s’il en veut à sa vie, c’est qu’il aime Marie. Scène 2 : Seule avec Lancastre, la reine se laisse subjuguer par la jalousie et décide de perdre le duc. Scène 3 : Cependant, pour éprouver son favori, depuis quelques temps écarté du pouvoir, elle lui témoigne un retour de faveur en lui redonnant la première place au Conseil. Scène 4 : Le duc est troublé un instant mais ne renonce pas à son engagement envers Marie. Scène 5 : Euric vient le prévenir que l’escorte de Marie maîtrise les portes du palais. Norfolc l’envoie chercher Marie. Scène 6 : Monologue de Norfolc qui prie Dieu de la protéger. Scène 7 : Frayeur : Euric revient seul. Mais elle est saine et sauve, elle arrive juste derrière lui. Scène 8 : Norfolc s’apprête à quitter le palais avec Marie. Scène 9 : Quand les gardes d’élisabeth surgissent, avertis par Euric. Killegre, leur capitaine, exécute les ordres de sa reine et arrête Norfolc, malgré ce qu’il lui doit. Scène 10 : Élisabeth arrive sur les lieux pour constater la trahison et ordonne qu’on les emprisonne séparément, persuadée qu’ils sont amants.
Acte III : Scène 1 : Élisabeth, au réveil d’une nuit agitée, demande à voir les comtes de Morray et de Neucastel. Scène 2 : Elle leur confie l’orchestration du procès afin de s’assurer de la condamnation de Norfolc. Scène 3 : Face à face d’Élisabeth et de Norfolc. Pour se justifier, il énumère ses services rendus à l’état. Mais lorsqu’elle lui lit la lettre envoyée par le prince de Parme, il reconnaît qu’il entretient une correspondance avec celui-ci. Scène 4 : Sûr de mourir, laissé seul avec Marie, il ne peut s’empêcher de lui avouer son amour, désintéressé et sans espoir ; mais elle se sent insultée et lui reproche ce sentiment avec indignation. Scène 5 : Killegre emmène le duc à son procès. Marie souhaite de mourir rapidement après lui.
Acte IV : Scène 1 : Explication Norfolc-Neucastel. Le duc reproche à son obligé l’ingratitude de sa trahison et le laisse à ses remords et à sa honte. Scène 2 : La volonté de Neucastel chancelle, Morray sait néanmoins l’affermir. Scène 3 : Élisabeth fait part de sa décision de revoir Norfolc ; Morray essaie en vain de l’en dissuader. Scène 4 : Second affrontement de Norfolc et d’élisabeth. Elle lui offre la vie sauve s’il consent à signer l’arrêt contre Marie. Pour toute réponse, il demande aux gardes de le ramener en prison. Scène 5 : Élisabeth donne l’ordre de l’exécuter. Scène 6 : Neucastel vacille à nouveau et, à nouveau, Morray lève ses doutes : pour réussir, il faut aller jusqu’au bout, ce n’est pas le moment de renoncer.
Acte V : Scène 1 : Marie, condamnée à mort, réconforte ses gens. Scène 2 : Elle s’explique avec son frère, qui feint le zèle religieux. Elle lui reproche son inhumanité, mais, faisant preuve de charité, elle lui pardonne. Scène 3 : ému malgré lui, Morray réussit à étouffer la voix de la nature. Scène 4 : Élisabeth, prévoyant des remords et soucieuse de son image, décide d’épargner Marie. Morray parvient à la faire se rétracter en lui rappelant le danger qu’elle représente pour l’état, pour la religion et pour sa propre vie. Il choisit ce moment pour lui proposer de devenir son amant. Choquée, elle s’emporte contre lui et ordonne la grâce de Norfolc. Mais Morray lui apprend qu’il est déjà mort. Elle ordonne alors qu’on le perde et qu’on sauve Marie. Scène 5 : Trop tard. Neucastel vient dénoncer Morray, s’accuser lui-même et faire le récit de la mort de la reine d’écosse et de son bourreau, lynché par la foule en colère. Scène 6 : Élisabeth, enfin désabusée, maudit Morray qui passe fièrement en revue tous ses crimes passés, présents et à venir et qui se poignarde sous ses yeux. Scène 7 : Élisabeth reste seule, en proie à ses remords.
Thèmes présentant une originalité ou un intérêt particuliers §
La religion dans Marie Stuard §
Selon le témoignage de sa petite-fille, Hiacinthe, Boursault est né « fort vertueux » et a « même toujours eu un grand fonds de religion comme il paroît par la morale aussi pure qu’édifiante qu’il a répandu dans tous ses ouvrages »92. Le point de vue de Boursault en matière de religion apparaît effectivement dans d’autres écrits que Marie Stuard : dans Les Litanies de la Sainte Vierge et dans Le prince de Condé.
Il est significatif que Morray cherche à justifier ses actions inhumaines et son mépris des « liens les plus doux »93, ceux de la famille, en alléguant son « zèle épuré »94 pour la religion protestante, même si ce n’est qu’une feinte. Comme dans Le Prince de Condé95, Boursault présente le puritanisme fanatique. À l’image de beaucoup de ses contemporains, Boursault conçoit la religion réformée comme un mal, voire une maladie, dont il trouve normal que Louis XIV s’emploie à l’éradiquer. D’après Jane Conroy, Marie Stuard pourrait se lire comme une entreprise de justification de cette politique de purification. Il oppose à l’inhumanité des principes protestants, la douceur du catholicisme (représenté par Marie) qui « apprend à pardonner »96. Il n’entre cependant jamais dans le détail des querelles théologiques.
Notons que, même si Boursault est très catholique et très respectueux de la religion, son activité de dramaturge ne lui a pas permis d’éviter les reproches classiquement adressés à ses pairs par les théologiens. Boursault fait préfacer son Théâtre par une Lettre du Père Caffaro qui prend la défense de la comédie. C’est à cette Lettre que répond Bossuet dans ses Maximes sur la Comédie.
La place des femmes dans cette tragédie §
Marie Stuard, une héroïne « plus que rare » §
Malgré son titre, qui semble indiquer ostensiblement le sujet, Marie Stuard ne domine pas la pièce. Avec 1073 vers contre 609, les rôles masculins l’emportent largement sur les rôles féminins, ce qui soulève la fascinante question des comportements masculins dans un monde gouverné par des femmes. Pour Jane Conroy, ce problème est examiné sous plusieurs angles, notamment dans les deux premiers actes, qui communiquent « un sens d’urgence et de crise, d’affaires capitales réglées au pied levé, d’obscurité et de vulnérabilité »97.
Marie Stuard : une image de la vierge au service de la lutte contre le culte réformé §
L’analyse du rapport entretenu par les vivants avec les héros ou les héroïnes de l’au-delà (comme Marie Stuart après son exécution) illustre bien la différence qui existe entre la foi catholique et la foi protestante. En effet ce rapport pose problème aux deux églises : les catholiques le maintiennent et même, s’ouvrent de plus en plus au spectacle céleste des saints ascendants et des anges descendants, tandis que les protestants abolissent ce lien en faisant disparaître les statues et tous les signes d’une présence tangible des saints (reliques, vêtements, sang, larmes).
Les réformateurs catholiques cherchent assidûment à établir des distinctions entre l’orthodoxie et l’erreur, entre le christianisme authentique et le christianisme dénaturé. Dans cette recherche, l’église d’antan redevient source d’inspiration. Les catholiques s’emploient à donner à l’image des premières virgines98 chrétiennes un nouvel éclat, car « aucune catégorie féminine n’est parvenue à un tel degré dans l’estime collective que celle des premières vierges chrétiennes. Elles sont devenues l’exemple par excellence de la parfaite chrétienne ».99 Les papes savent que rien ne produit plus d’effet sur l’imagination qu’une Vierge martyre100. Les détenteurs du pouvoir veulent mettre en place une politique ecclésiastique centralisée et le culte des martyrs chrétiens semblait le culte par excellence exprimant une foi communautaire universelle. C’est grâce au nombre toujours croissant des martyrs que le triomphe de l’église romaine unique et authentique devint une réalité.
Au XVIIe siècle, la tension monte du côté catholique, entre tendances spiritualistes et rationalistes. Il s’agit de conjurer adoration de la raison et vénération de Marie, qui est à la fois Vierge et Mère. Ce rôle paradoxal de Marie dans le mystère de la naissance divine était d’une importance primordiale pour la conception de l’église romaine, notamment pour la fonction médiatrice supprimée par le protestantisme. La Vierge Mère est donc un élément essentiel de la spiritualité des prêtres de la Contre Réforme, les réformateurs catholiques prônant une intensification de la relation paradoxale entre piété et fécondité, entre sacerdoce et Incarnation. Il fallait s’en prendre aux puissances schismatiques (comme les quiétistes) dans une offensive de « civilisation », tendant vers une conception du monde où il n’y avait pas de place pour le mystère.
Élisabeth : une reine au pouvoir effectif §
Sous l’Ancien Régime, beaucoup de femmes sont écartées de la vie publique pour des raisons de rang et de fortune. Le monde politique est essentiellement masculin, les exceptions se révélant très perturbantes dans ces sociétés très hiérarchisées. En 1558, John Knox, calviniste écossais qui vécut sous les règnes Mary Tudor, Marie Stuart et Catherine de Médicis, qualifie leur gouvernement de régimes « monstrueux », c’est-à-dire contre nature. En 1586, Jean Bodin conclue son étude des différents ordres et conditions des citoyens d’une république comme suit :
Quant à l’ordre et à la condition des femmes, je ne veux pas m’en mêler. Je pense simplement qu’elles doivent être tenues à l’écart de toute magistrature, poste de commandement, tribunal, assemblées publiques et conseils, de sorte qu’elles puissent accorder toute leur attention à leurs tâches féminines et domestiques101.
Cependant, certaines femmes jouissent, par leur naissance, d’une autorité politique, officielle ou officieuse. En effet, si les elles restent toujours tenues à l’écart des armées, des tribunaux et de l’administration publique, le gouvernement, en revanche, leur est parfois confié. Il n’en va pas de même dans tous les royaumes et, là encore, les conceptions française et anglaise s’opposent. En France, où le pouvoir s’acquiert par succession dynastique, naissance et mariage sont affaire de haute politique, car, si la femme peut être sacrée reine, elle occupe toujours une moindre place. La loi salique, loi fondamentale du royaume français – et français seulement –, l’exclut de la succession au trône depuis Philippe le Bel, en raison de son « instabilité ». La reine est sacrée à Saint Denis et non à Reims, elle est ointe de l’huile bénite (devant lui assurer la fertilité) et non du Saint Chrême, son sceptre et son trône sont moins imposants que ceux du roi. Elle reçoit en outre un anneau représentant la Trinité, qui symbolise son devoir de combattre l’hérésie. On pourrait s’étonner qu’il y ait eu, en France, des régentes, désignées comme telles, des femmes qui aient exercé un pouvoir réel et non un pouvoir occulte en tant que mère ou épouse de roi. Au contraire, en Angleterre, en l’absence d’un héritier mâle en ligne directe, les reines gouvernent de plein droit.
Quand Élisabeth Ire monte sur le trône en 1558, elle est doublement remise en question. Elle se heurte d’une part aux suspicions habituelles face au pouvoir féminin (les femmes sont sous la dépendance de leurs favoris, elles sont changeantes et irrationnelles…) et se trouve confrontée d’autre part à l’héritage de sa demi-sœur Mary Tudor, qui avait régné sous la domination de son mari Philippe II d’Espagne et n’avait pas pu lui donner d’enfant. Élisabeth usa de nombreux stratagèmes (comme l’annonce d’un éventuel mariage) mais elle demeura toujours pour son peuple « la reine vierge ». À ce titre, elle pouvait se proclamer maîtresse, épouse et mère aux yeux de ses courtisans, de tout le peuple d’Angleterre et leur parler d’amour. Elle avait aussi valeur d’icône, sorte d’image de substitution à celle, catholique, de la Vierge Marie. L’anniversaire d’Élisabeth tombait, par un heureux hasard, le jour de la nativité de Marie. Son règne ne se déroula pas sans mécontentements et sans oppositions mais, dans l’ensemble, elle créa un style de maîtrise de soi tout à fait féminin, qui renforça son autorité royale au sein des conceptions hiérarchiques du XVIe siècle.
Boursault insiste plus que Regnault sur cette (autre) entorse qu’Élisabeth fait subir aux principes monarchiques français, qui consiste à permettre à une femme de régner. Il est symptomatique que Norfolc avance comme première raison de sa désobéissance : « Je suis las d’obéir aux ordres d’une femme » (I, 2, v. 76). Aux yeux du public, cette remarque apparaissait comme une excuse de sa trahison. De son coté, Morray justifie son projet de ravir la couronne à sa sœur car :
L’Angleterre exceptée en tous les autres lieuxLe regne d’une femme est un regne odieux : (…)Un Sceptre ne sied bien que dans la main des Rois ;Et le Trône chancelle à moins qu’il n’ait son poids. (I, 3, 253-258).
Morray ou la critique de l’instrumentalisation de la femme ? §
À l’intrigue passionnelle imaginée par Regnault, Boursault ajoute le faux amour que Morray affiche pour élisabeth. Cet élément procède de l’imagination de l’auteur et vise à illustrer jusqu’où peut aller l’ambition de Morray, pour qui l’amour est un simple moyen de parvenir au trône et le véritable amour, une faiblesse. Ce cynisme, cet amour dégradé en passion du trône et non plus de la femme, exprime le renversement de l’ordre moral, la déshumanisation de la société et la perversion de la religion. Il répond aussi point par point, à l’amour oblatif et chevaleresque de Norfolc, dont il esquisse le reflet inversé.
La portée politique de l’œuvre §
Sans exagérer l’interprétation idéologique, force est de constater la relation directe de la pièce à l’actualité française. Nous avons tenté de situer les rapports entre l’Angleterre l’écosse et la France.102 Au moment où Boursault écrit Marie Stuard, l’Angleterre est aussi, dans l’esprit des Français, particulièrement liée à la question religieuse.
L’Angleterre est l’État protestant le plus uni et le plus puissant, mais elle est régulièrement agitée par un vent de révolution, ce que les catholiques ne manquaient pas d’interpréter comme une conséquence de leur hérésie. Sur le plan politique, l’Angleterre posait une énigme résistant à la théorie providentialiste de la monarchie louis-quatorzienne. La France, après avoir traversé une période de révoltes et de frondes, pensait devoir le retour de l’ordre, de la sécurité et même du bien-être, à l’instauration de l’absolutisme. On prouvait ainsi qu’il constituait l’unique régime possible. Alors, comment expliquer qu’en dépit des révoltes intermittentes, la force économique et militaire du pays ne faiblisse pas ? L’Angleterre apportait un démenti à la propagande française pour la monarchie absolue.
Boursault vise à conforter la théorie politique en vigueur ainsi que l’orthodoxie religieuse103 de son époque. Pour cela, il présente l’Angleterre comme un pays écartelé entre des différents religieux qui le rendent ingouvernable -sa tragédie vise à le prouver- est effectivement mal gouverné.
Toute l’Angleterre se réduit à la cour, lieu néfaste, sorte d’anti-Versailles gouverné par une reine qui est présentée comme la parfaite antithèse de Louis XIV, afin de mettre en valeur les qualités de celui-ci. Cette cour montre ce qui pourrait être le risque de celle de Louis XIV, elle sert de repoussoir, et en cela, elle rassure : après avoir assisté à son mode de fonctionnement, on se sent soulagé d’être un sujet français, heureux de vivre dans un pays où règnent la légitimité et la justice.
Mais la cour d’Élisabeth n’est pas uniquement le miroir inversé de celle de Louis XIV, elle évoque la cour de France, telle que la critiquent certains contemporains de Boursault (Madame de La Fayette, La Bruyère…). Dans les années 1680, il est devenu presque traditionnel de réunir les images les plus noires de la cour. L’Angleterre sert bien sûr de prétexte – comme dans toutes les tragédies – à dénoncer, en échappant à la censure, la disparition des valeurs aristocratiques, la dégradation des rapports humains, l’inauthenticité des comportements et l’abus de pouvoir, qui marquent la société de l’époque. Tout n’est qu’hypocrisie et marchandage, les hommes s’achètent et se vendent, et chacun, du plus humble au plus puissant, a son prix. Bourreaux, gardes et ministres d’État (III, 4, 910), juges – à l’exception de « quatre austeres Vieillards » (IV, 2, v. 1065) –, tous acceptent les dons et les « legers bienfaits » (IV, 2, 1070) ; Neucastel est prêt à tout pour « un appas de grandeur » (IV, 2, 1077), Morray, lui, trahit pour le trône. Seul Norfolc ne met pas de prix à sa fidélité, même lorsqu’on lui offre sa grâce. Dans la tragédie de Boursault, une apparence trompeuse de relations apparemment stables se désagrège sous la pression des passions. C’est un enchaînement de trahisons et de feintes : Neucastel trahit son protecteur ; Norfolc, bien que jadis le bras droit d’Élisabeth, la trahit à son tour ; Euric trahit Norfolc, qui croyait avoir acheté son silence ; Morray trahit Marie malgré les liens du sang. Ce sont toutes les relations fondatrices de la société qui se trouvent remises en question. Les rapports entre maître et serviteur, entre sujet et suzerain, entre reine et favori, juge et accusé, frère et sœur, et même reine et reine.
Il n’y a pas de contradiction fondamentale à se faire, comme Boursault, tantôt chantre du roi (Méléagre, La Feste de la Seine), tantôt satiriste de la Cour (Esope à la Cour). Boursault exploite des thèmes récurrents de la littérature du « siècle de Louis XIV » comme l’hypocrisie, l’ambition, la vénalité, la trahison, et l’ingratitude. On peut être surpris par l’extrême fréquence du mot « traistre », qui revient pas moins de 25 fois, tandis que le mot « trahison » et le verbe trahir sont employés respectivement 8 et 13 fois. D’autres termes appartenant au même réseau thématique sont également surreprésentés : « foy » est employé 21 fois, « perfide », 10 fois, « perfidie », 2 fois, « infidèle », 5 fois, « fidèle », 18 fois, « fidélité », 1 fois, « ingrat », 19 fois, « ingratitude », 2 fois, et « reconnaissance », 5 fois. La reconnaissance est en effet une valeur fondamentale, car si elle vient à faire défaut, c’est tout le système du service récompensé par les « emplois », eux-mêmes exercés avec dévouement, qui s’écroule. La reconnaissance forme le ciment social qui donne sa cohésion à la vie sociopolitique. Or les personnages de la pièce en manquent cruellement, ce qui lui confère sa valeur subversive. Neucastel est le personnage qui participe de façon la plus révélatrice à cette déstabilisation de l’organisation sociopolitique. Personnage de pure fiction, il incarne la subversion de la relation maître-fidèle.
La tragédie dépeint aussi l’histoire sociale et cette tragédie trahit l’inquiétude de Boursault devant la désagrégation d’une relation devenue plus importante que ne l’étaient les fidélités féodales104. La place déterminante accordée à la trahison cynique de Neucastel – elle engendre tout le reste –, ajoutée au fait qu’il s’agit d’un personnage inventé et non imposé par le sujet, laissent entrevoir l’importance que prend pour l’auteur cette altération des relations sociales, non pas dans le monde élisabéthain, mais bien sous le régime de Louis XIV.
La nature de la relation Neucastel-Norfolc est explicitée dès la toute première scène. Norfolc a été « l’appuy » (v. 33) de Neucastel, il lui témoigne de l’affection (« Qu’il m’est doux / D’avoir dans mon malheur un ami tel que vous », I, 2, v. 177-178), lui prodigue ses bienfaits (« Tu ne peux en un jour oublier tant de graces : / De mes bienfaits passez le souvenir present / Est un bourreau secret dont tu n’es pas exemt », IV, 1, v. 1046-48), lui offre des fonctions et l’élève bien au-dessus de sa naissance en le nommant Gouverneur des Cinq-Ports (v. 145). Neucastel, « né dans la boüe » (IV, 1, v. 1041), trahit néanmoins son bienfaiteur.
Une des fins morales que poursuit Boursault est sûrement de montrer l’affaiblissement de la relation fondamentale « maître-fidèle » dans un État absolutiste incarné par le roi, qui se substitue à tous les maîtres et reçoit toutes les faveurs.
Un autre facteur de bouleversement des hiérarchies sociales, est la promotion rapide des gens maniables qui constitue à la fois une profonde hantise de l’aristocratie louis-quatorzienne et un aspect de la politique tudorienne. En Angleterre, on puisait les grands administrateurs dans la gentry. Les pièces sur Essex tendent à montrer que c’est un pays où l’on ne respecte pas la naissance, où les hiérarchies sont bouleversées et dans lequel on a l’impression que tout le système politique se disloque, le mérite étant méconnu et le faux zèle récompensé.
Structure externe §
La longueur moyenne d’une pièce étant de 1500 vers d’après l’abbé d’Aubignac105, celle de Boursault, qui en compte 1682, est dans la norme. Elle est composée de cinq actes, comme la majorité des pièces et la totalité des tragédies à cette époque, divisés en trente-deux scènes, ce qui là encore entre dans la moyenne106.
Puisque les cinq actes occupent environ la même place, la même durée, le nombre de scènes par acte renseigne sur sa structure et sur sa rapidité. Or, la répartition des scènes à l’intérieur des actes est plus inattendue. Boursault a presque respecté la prescription des théoriciens de créer un crescendo, une tension qui s’accroît à mesure que le dénouement approche. Il donne quatre scènes à l’acte I, cinq à l’acte III, six à l’acte IV et sept à l’acte V. Mais cette belle progression est rompue à cause de l’acte II, qui occupe une place démesurée avec ses dix scènes. Le rythme de l’action s’y accélère considérablement mais il ne se passe rien de plus grave que dans les actes précédents.
On peut quand même affirmer que Boursault a cherché à donner à sa tragédie un mouvement croissant, puisque le nombre de scènes par acte, comme l’intérêt, vont croissants.
On constate que Boursault supprime l’élément de décor pathétique par excellence107 qu’est la prison, bien qu’elle fasse partie intégrante du sujet puisque Marie essaie de s’en évader et que Norfolc y est jeté. Thomas Corneille l’utilisait encore en 1678, mais Boursault lui préfère une salle du palais, dit palais à volonté. Norfolc n’est pas réellement en prison mais dans un lieu signalé comme tel par la présence des gardes, comme c’était déjà le cas en 1641 dans Polyeucte de P. Corneille.
Étude de l’action de Marie Stuard §
Le sujet §
Le schème tragique emprunté par Boursault est celui de l’oppression d’une victime innocente : Marie Stuart. Toute la pièce repose sur l’attente de son exécution, que l’on sait inéluctable. Le sujet est donc le même que celui de Britannicus de Racine : « l’écrasement d’une innocente victime par un tyran pourvu de tous les pouvoirs »108. Il s’agit de comprendre comment une reine en vient à faire exécuter une autre reine.
Le schème fondamental du « surgissement des violences au coeur des alliances »109, du conflit intrafamilial est également représenté, puisque qu’Élisabeth et Marie sont cousines. Le spectateur assiste donc à la condamnation à mort d’une jeune femme par sa propre cousine.
Comme dans la tragédie de Racine, au schème de l’oppression de l’innocence vient se combiner celui des frères ennemis, schème illustré ici par la relation de haine contre-nature entre Morray et sa demi-sœur, Marie. Le sujet est donc aussi : comment un frère en vient à préméditer la mort de sa sœur.
Cantonnée à jouer la victime passive, à subir avec grandeur d’âme, celle-ci parait pourtant un peu fade. C’est un problème inhérent au sujet, auquel s’est heurté l’ensemble des dramaturges qui ont tenté de le mettre en scène.
L’épisode §
Boursault se devait d’imbriquer un enjeu amoureux dans le conflit politique. Il répond à ce qui est devenu, en 1683, une nécessité, grâce à l’amour d’Élisabeth pour Norfolc qui va engendrer la jalousie à l’origine de sa décision de le perdre, lui et celle qu’il aime. Boursault a bien compris le problème qui se pose à faire de Marie l’héroïne de la pièce ; il recentre donc sa tragédie autour de la relation élisabeth-Norfolc. La mort de Marie devient une simple conséquence de la mort du héros qui constitue le véritable sujet de cette tragédie de la conspiration.
Boursault crée par ailleurs deux couples impossibles : Marie – Norfolc et, accessoirement, Élisabeth – Morray. Les interdits sont nombreux et puissants qui empêchent tout espoir de voir ces relations se nouer. Marie ne peut décemment pas aimer Norfolc qui est d’une condition inférieure (ni prince ni roi, son héroïsme ambigu ne lui permet pas de se hisser jusqu’à elle), Norfolc en est conscient et n’avoue son amour que parce qu’il sait qu’il va mourir et qu’il pense que cet aveu tardif ne peut que prouver qu’il ne nourrissait aucun espoir présomptueux de sa part et dégradant pour elle. Élisabeth ne peut aimer Morray puisque son cœur est déjà occupé par Norfolc ; Morray, lui ne peut tout simplement pas aimer, et ne peut vraisemblablement pas espérer épouser la reine que sa condition place infiniment au-dessus de lui. L’idée même est insultante et c’est ainsi que le reçoit élisabeth.
L’intrigue §
Boursault accentue la tendance amorcée par Regnault en escamotant le problème politique réel auquel Élisabeth est confrontée. Abandonnant le dilemme politique et les délibérations sur ce que doit être le gouvernement d’un État, il s’oriente davantage vers une intrigue de Cour mettant en jeu des passions contrariées. Les rares allusions aux intérêts de l’État sont toujours faites dans un contexte d’hypocrisie ou d’ironie ; elles ne sont invoquées que comme un prétexte servant à justifier des comportements tyranniques ou ambitieux. Cependant, personne dans cette pièce ne s’occupe de servir l’État.
Il s’agit de présenter la mort de Marie Stuard comme la conséquence d’un abandon aux passions et de mettre en intrigue les différents états passionnels d’Élisabeth. Dès le début, elle est posée en reine tyrannique – caractérisée, dès la liste des personnages, comme illégitime – et toute la pièce illustre ce statut qui la conduit à faire mourir celui qu’elle aime, parce qu’il en aime une autre et ce, bien qu’elle lui doive la puissance du royaume. Cette passion frustrée est à l’origine d’une jalousie telle qu’elle l’amène à se venger non seulement de son ancien favori mais aussi de Marie Stuard dont elle se débarrasse comme de la première rivale venue, sans considération ni pour son sang ni pour son rang. Elle se rend coupable de régicide, acte par lequel elle se place au-dessus des lois divines, car seul Dieu peut juger un roi dans une monarchie de droit divin. Ce qui permet à Boursault de rejoindre le débat religieux et de démontrer le machiavélisme des protestants qui se soucient aussi peu des moyens dont ils usent que des lois divines110.
Les passions ne sont pas le moteur de l’action mais viennent la soutenir par leur violence. Il ne s’agit donc plus une tragédie de la déploration mais d’une tragédie de l’action dans la mesure où Élisabeth est sur le point de revenir sur sa décision à plusieurs reprises. Tout reste possible, même si les personnages de Norfolc et de Marie ne voient pas d’autre issue que la mort et se montrent résignés.
C’est donc les conflits entre amour persistant et désir de vengeance, entre velléité de clémence et crainte pour sa vie ou pour l’État qui fondent le pathétique, c’est-à-dire la façon chaotique dont on s’achemine vers le malheur et non plus ce malheur en lui-même. La logique tragique est celle du « dénouement rabattu »111, les événements s’enchaînant depuis la fin vers le début.
L’action principale s’enchaîne ainsi :
– Élisabeth apprend le projet de son favori de faire évader sa prisonnière.
– Colère de la reine d’Angleterre contre Norfolc ; Morray complote pour le pouvoir et veut la perte de sa sœur (obstacle à la couronne d’écosse) et celle du favori d’Élisabeth (obstacle à la couronne d’Angleterre) ; Il lui apprend que Norfolc aime sa sœur et il prétend qu’il en veut à sa vie ; Fureur d’Élisabeth non plus seulement contre Norfolc, mais, par jalousie, conte celle qu’il aime.
– Condamnation de son favori et de Marie Stuard, sa cousine, sous l’influence de son demi-frère, Morray.
Elle est en fait construite à rebours comme ceci :
Fin : Élisabeth, reine d’Angleterre, condamne à mort sa cousine, Marie Stuard, reine d’écosse.
Milieu : => Pourquoi ?
– Elle est jalouse de Marie qui a la préférence de son favori, Norfolc.
– C’est une rivale politique et religieuse qui lui fait craindre pour l’intégrité de l’État et pour sa vie car Norfolc est décidé à servir sa cause, au besoin par les armes.
– Qui lui fait ces révélations mensongères concernant la conspiration de Norfolc ?
– Invention de Morray, le méchant.
– Pourquoi agit-il ainsi ?
– Il est le demi-frère de Marie et, à ce titre, pense que le pouvoir lui revient. Il pense qu’un homme déterminé tel que lui, a plus la « carrure » nécessaire pour régner, même si sa naissance a « quelques défauts », qu’une femme, fût-elle légitime.
– Il veut se débarrasser de Norfolc pour pouvoir se marier avec Élisabeth, afin d’obtenir la couronne d’Angleterre.
Début :
– Qui lui donne les armes pour discréditer Norfolc ?
– Invention de Neucastel, le traître. Il trahit son protecteur.
– Pourquoi ?
– Par ambition : Morray lui a promis de l’associer au pouvoir si ses plans réussissent.
– Il est faible et influençable.
La matrice tragique dégagée des sources historiques est déjà importante, puisque l’exécution de Marie Stuart, restée célèbre cinq siècles plus tard, constitue le sujet. Les causes et les effets qui conduisent à cette mort sont en revanche transformés.
La tragédie de Boursault est bâtie, comme celles de ces prédécesseurs (Regnault, La Calprenède et Thomas Corneille) sur le déchirement de la reine Élisabeth, partagée entre l’amour et la haine. Mais ni l’une ni l’autre de ces deux passions ne sont présentées comme à l’origine de l’action. La cause directe de la mort du héros -et, par conséquent, de Marie Stuart- est bien la passion jalouse. Mais sa cause profonde réside dans les odieuses machinations du frère de l’héroïne qui s’accompagnent de l’indigne trahison de l’ami du héros qui lui accordait toute sa confiance. D’ailleurs, la jalousie d’Élisabeth n’aurait jamais été portée à un tel degré, sa colère n’aurait pas été si violente si Morray ne les avait pas habilement exacerbées pour en tirer profit. Il arrange la vérité de façon à accentuer sa rage. Il aggrave la faute de Norfolc qui, en réalité, n’espère rien de son amour pour Marie -dont il a honte et qu’il tient secret- si bien qu’il l’avouera à Élisabeth avant même d’en avoir fait part à Marie ; celle-ci le rejettera d’ailleurs avec force quand il le reconnaîtra devant elle ; Et sa trahison n’est pas aussi grave que la reine le pense puisqu’il n’en a ni après sa vie, ni après son trône. Mais une fois la Élisabeth rendue furieuse, il est facile à Morray de la convaincre de les condamner, décision qu’elle assume mal quand elle se retrouve seule et sur laquelle elle revient à deux reprises. Contrairement à la pièce de La Calprenède, ce n’est pas la trahison du héros qui est à l’origine de tout, mais la trahison de Neucastel, qui met au jour cette trahison. L’orgueil du héros n’a aucune part dans l’intrigue puisque Norfolc avoue tout sur le champ.
Typologie et étude des personnages §
Importance des personnages d’après leur temps de parole §
I | II | III | IV | V | ||||||||||||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | |
Elisabeth | 61 | 46 | 18 | 24 | 3 | 9 | 27 | 29 | 82 | 9 | 47 | 6 | 7 | 8 | ||||||||||||||||||
Norfolc | 95 | 26 | 12 | 1 | 6 | 1 | 4 | 3 | (x) | 115 | 69 | 16 | 26 | 84 | ||||||||||||||||||
Morray | 79 | 9 | 42 | (x) | 27 | 3 | 1 | (x) | 21 | 7 | 8 | 55 | (x) | 28 | ||||||||||||||||||
Neucastel | 33 | 71 | 52 | (x) | (x) | 7 | 17 | (x) | (x) | (x) | 7 | 119 | ||||||||||||||||||||
Marie Stuard | 5 | (x) | 2 | 53 | 4 | 22 | 33 | |||||||||||||||||||||||||
Lancastre | 16 | (x) | 23 | (x) | 6 | (x) | (x) | (x) | ||||||||||||||||||||||||
Euric | 7 | 1 mot | (x) | 6 | 5 | x | x | x | 1 mot | |||||||||||||||||||||||
Killegre | 2 | (x) | 3 | (x) | ||||||||||||||||||||||||||||
Melvin | 5 | (x) | ||||||||||||||||||||||||||||||
[Kenede] | (x) | (x) | ||||||||||||||||||||||||||||||
[Albione] | (x) | (x) | ||||||||||||||||||||||||||||||
[gardes] | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | (x) | ||||||||||||||||||||
[suite] | (x) | |||||||||||||||||||||||||||||||
40 | 166 | 131 | 25 | 103 | 69 | 44 | 12 | 7 | 6 | 6 | 9 | 5 | 26 | 9 | 9 | 212 | 122 | 23 | 33 | 44 | 32 | 167 | 9 | 28 | 27 | 40 | 8 | 102 | 125 | 35 | 8 |
Les chiffres en gras représentent les monologues.
La pièce compte 1682 vers et le temps de parole de chaque personnage est réparti ainsi : Norfolc : 458 vers ; élisabeth : 446 ; Neucastel : 306 ; Morray : 280 ; Marie Stuard : 119 ; Lancastre : 45 ; Euric : 18 ; Killegre : 5 ; Melvin : 5 ; Kenede, Albione, Gardes et Suite : muets.
L’inventio des personnages §
Onomastique dans la tragédie de Boursault §
Leur nombre passe de 15 à 9 – nous considérons seulement ceux qui parlent et laissons de côté les figurants. La diminution du nombre de personnages entraîne la disparition de plusieurs patronymes que l’on trouvait chez Regnault. Quelques autres sont ajoutés mais ils sont soit purement fantaisistes, soit dénués de rapport avec les événements. Ceci confirme le fait que Boursault a eu moins besoin de rechercher le pittoresque, de « faire » anglais et qu’il lui a été plus facile de s’affranchir de l’histoire véritable. à côté des cinq personnages actifs de nom anglais ou écossais (Marie Stuard, Élisabeth, Morray, Norfolc, Melvin), on peut relever :
– 4 personnages ajoutés, dont le nom est sans rapport avec les événements. « Albione » : dont le nom évoque l’île d’Albion. « Lancastre » : souvenir de la guerre des Deux Roses entre les York et les Lancaster, qui ressurgit peut-être à cause de nouvelles composées au sujet d’Edouard III. La vie romanesque, les aventures galantes de celui-ci inspiraient beaucoup les nouvellistes112. « Neucastel » : probablement emprunté au duc de Newcastle, célèbre exilé qui fu contraint de rester en France pendant l’Interrègne. Lui et son frère Charles Cavendish, respectés pour leurs connaissances scientifiques, recevaient souvent des savants français, notamment Descartes, Mersenne et Gassendi. « Euric » : homonyme du roi des Wisigoths, personnage historique. On peut aussi penser à l’Astrée, qui irrigua tout l’imaginaire littéraire de son siècle, dans laquelle Euric était l’amant de Daphnide.
– 5 noms mentionnés sans que le personnage ne joue. « Le Prince de Parme » : complice de Norfolc. Parme fut sous l’autorité des Farnèse jusqu’en 1731. Cédé à l’Autriche en 1735, le duché revint, après la paix d’Aix-la-Chapelle en 1748, à don Philippe, fils d’Élisabeth Farnèse. « Ridolf » : Roberto Ridolphi, marchand italien installé à Londres. Il participa activement au complot de 1571 à la suite duquel Norfolc trouva la mort. « Pembroc » : la légende veut qu’il ait mis Elisabeth sur le trône pour être ensuite exécuté sur ordre de celle-ci. Son nom est peut-être emprunté à un personnage de Jeanne, Reyne d’Angleterre, de La Calprenède, dont la liste des acteurs comprend un « Comte de Pembroc »113 ou inspiré par le succès de l’Arcadie de la Comtesse de Pembrock de Sidney114. Darnley et Jacques Ier sont signalés par « mon Epoux » (v. 1380) et « Leur Fils » (v. 1545)
– Boursault supprime toutes les personnalités françaises.
– La géographie est aussi brumeuse que dans les pièces précédentes : Les Cinq-Ports (v. 144) ; Le Palais et la Tour de Londres (v. 506) ; La Flandre (v. 456). Ce lieu symbolise le lieu de danger, où l’ennemi se tient prêt. Ostende (v. 458). Ville de Flandre occidentale située sur la mer du Nord ; lieu de refuge inaccessible vers lequel Norfolc espère pouvoir s’évader avec Marie.
Changements vis-à-vis des personnages de Regnault §
Si des personnages peuvent sembler tout droit venus de Regnault parce que, dans l’ensemble, ils portent le même nom, le rapprochement reste assez superficiel au regard de leurs caractères et des rapports qu’ils entretiennent, qui ont été considérablement altérés d’une pièce à l’autre.
Les rôles principaux ont été distribués différemment. Si nous les classons par ordre d’importance quantitative, voilà ce que l’on obtient :
[Boursault], sur 1682 vers : | [Regnault], sur 1512 vers : |
1. Norfolc : 459 vers. (27,3%). 2. Élisabeth : 445 vers. (26,5%). 3. Neucastel : 305 vers. (18,1%). 4. Morray : 279 vers. (16,6%). 5. Marie : 119 vers. (7%). |
1. Marie : 379,5 vers. (25,1%). 2. Nolfoc : 322 vers. (21,3%). 3. Élisabeth : 319 vers. (21,1%). 4. Melvin : 139 vers. (9,2%). 5. Kemt : 116,5 vers. (7,7%). |
Le centre d’intérêt s’est déplacé de Marie vers les couples Norfolc–Elisabeth et Neucastel-Morray. L’influence des Comte d’Essex en est sûrement responsable115.
Deux nouvelles confidentes sont introduites : Lancastre, auprès d’Elisabeth, et Albione, dans la suite de Marie. Albione reste muette et vient en quelque sorte doubler Kenede, l’autre suivante de Marie, également muette.
Boursault supprime en revanche les nombreux seigneurs qui participaient au faste de la tragédie-source ainsi que Pomponne de Bellièvre, Amias Paulet et les États. Toujours dans le sens d’une simplification, il supprime les scènes spectaculaires mettant en scène une foule pour lesquelles ces personnages avaient été créés : la réunion du conseil (II, 2), le procès (III, 3) et l’annonce solennelle de la mort de Marie (V, 4).
Élisabeth passe du second au premier rôle féminin et maîtrise mieux la situation. En effet, sa présence en scène est plus forte (43,75 % des scènes, au lieu de 30,77%) et elle parle davantage (26,5 % des vers contre 21,1 %). Elle est moins emportée que la « furieuse » de Regnault mais elle est plus coupable car elle n’est jamais complètement dupe des manœuvres de Morray dont elle connaît l’inimitié envers Norfolc comme le prouvent ces vers :
Pour immoler le Duc je veux m’assurer d’eux.Ils ont pour ce perfide une haine mortelle. (III, 1, v. 656-657).
Boursault donne à Morray un rôle plus long et un caractère plus complexe. À travers lui, c’est la méchanceté pure qu’il peint, comme s’il cherchait à en montrer le substrat. On peut voir cependant s’ouvrir un débat sur le statut de ceux dont la naissance manque de « quelque cérémonie » (I, 3, v. 264) ou encore est le fruit d’un « criminel amour » (I, 2, v. 203). Boursault insiste davantage que Regnault sur le rapport direct qui existe entre illégitimité et corruption. Depuis Louis XIII, les attitudes ont évolué vers un plus grand rigorisme et la bâtardise est de plus en plus mal perçue. C’est ce caractère de bâtard – que Saint-Simon exécrait et associait à la sodomie116 – qui fait que Boursault présente Morray comme un monstre : « Monstre, que dans ces lieux les Enfers ont vomy » (V, 6, v. 1642) ; monstruosité corruptrice qui semble contagieuse : « Ce monstre dont la veuë infecte vos regards » (V, 5, v. 1541).
Norfolc, en passant de Regnault à Boursault, voit sa situation s’aggraver. Il n’a plus la consolation d’être aimé de Marie, sa mort s’accomplit dans le désespoir (« Pour tout fruit de mes soins je meurs hay de vous », IV, 5, v. 1014) et ne semble pas mériter qu’on en fasse aucun récit. Il ressemble beaucoup au héros de Regnault. Son passé baigne dans une vague gloire. Ses exploits militaires, maintes fois affirmés, restent imprécis. Jadis détenteur de la « principale place » au Conseil (II, 3, v. 576), il possède encore l’« Ordre Sacré » (IV, 1, v. 1029). Mais ni son action politique ni ses exploits militaires ne sont précisés bien qu’il réaffirme sans cesse leur gloire immense et incontestable.
Même imprécision autour de la nature du règne d’Élisabeth dont il est admis qu’il est tyrannique et sanglant, tout en restant glorieux, sans qu’aucun exemple ne vienne jamais conforter cette image. Comme Regnault, Boursault représente Élisabeth comme la fille adultérine d’Henri VIII. C’est ce « sang impur » qui fait qu’elle n’a pas un ethos de reine et lui fait commettre des erreurs. C’est parce que son pouvoir est usurpé qu’elle ne peut pas être autre chose qu’un tyran. Elle manque de clairvoyance et change d’avis trop tardivement quant à la condamnation de Marie.
Celle-ci représente une figure de l’innocence et de la pureté par excellence, c’est pourquoi Boursault évite, à la différence de son prédécesseur, toute mention maladroite à son passé amoureux et conjugal mouvementé.
Étude des caractères §
Les caractères s’opposent de façon très tranchée voire manichéenne. Norfolc et Marie font figures de héros parfaits face à Élisabeth et Morray, le tyran et le monstre. Le spectateur est habitué à voir évoluer des types sans vraisemblance psychologique, mais il y a peut-être chez Boursault une exagération qui nuit à la vraisemblance de l’action au sens où les sentiments, les passions que l’auteur leur prête paraissent parfois peu crédibles.
Bien qu’elle donne son nom à la pièce, Marie Stuard est sans conteste le moins important des personnages principaux. Elle n’apparaît que dans sept scènes sur trente-deux et ne prononce que 119 vers sur 1679. Elle est le centre des attentions des autres personnages, tous parlent d’elle ou se soucient d’elle, tandis qu’elle reste absente et silencieuse. Ceci est en accord avec son caractère de femme éthérée, figure abstraite de l’innocence pure, esprit du bien planant au-dessus de la mêlée des conflits humains sans y prendre part. Boursault tend à en faire une vierge sacrifiée qui accepte sans se rebeller son châtiment comme venu de Dieu, ou permis par lui, donc possédant un sens supérieur. À aucun moment sa foi ne vacille, le doute ou la peur ne prend aucune part dans son esprit. Si, à la différence de ce qui se passe toutes les sources, Marie reste absolument insensible à l’amour de Norfolc, qu’elle reçoit comme une insulte à son rang et à son illustre naissance, c’est qu’elle est loin au-dessus des faiblesses et des sentiments humains. Alors que la réciproque à l’amour de Norfolc était totalement licite, ses exploits le rendant digne de l’amour d’une reine, Boursault s’écarte ici volontairement de Regnault et juge que cela représenterait une dégradation du caractère d’absolue pureté qu’il veut mettre en scène. Elle a la fierté des reines dignes de ce nom, se souciant de sa réputation avant de consulter ses sentiments, par opposition bien sûr à Elisabeth. Le fait d’avoir fait d’elle une abstraction, une figure de l’innocence, a pour corollaire le fait qu’elle reste passive et effacée. Marie ne prend aucune initiative dans la pièce. Elle est à l’apogée de sa gloire au dernier acte, c’est-à-dire quand elle est immolée et fait preuve de renoncement, de constance, d’endurance à la douleur. Son courage, sa force morale évoquent celles des saints qui bénissent leur sacrifice et leurs douleurs, en ce qu’ils constituent un moyen d’accès au paradis. Figure sainte, elle ne murmure pas une plainte mais, entièrement dirigée vers autrui, l’unique regret qu’elle exprime est de ne pouvoir remercier ceux qui ont été bons envers elle. Bien qu’elle fasse des reproches à Morray, elle lui pardonne, témoignant ainsi à la fois de la plus grande vertu des rois -la clémence-, et d’une valeur catholique fondamentale -le pardon à celui qui l’a offensée. Elle se rend ainsi digne de sa couronne et de son accession au paradis après son injuste exécution.
Ce caractère un peu vide, indéterminé pose problème. Elle n’est pas en proie à des débats intérieurs, pas déchirée entre deux volontés incompatibles comme les héros de tragédies habituels. Elle est idéalisée à trois égards au moins : présentée comme une martyre, elle rassemble aussi toutes les vertus féminines, royales et chrétiennes.
Élisabeth est un personnage beaucoup plus traditionnel de la tragédie que Marie Stuard : le tyran. L’amour et toutes les affectations corollaires de ce sentiment – jalousie, rage, fureur – se retrouvent en elle. Elle est certainement mal conseillée, mais sa jalousie fait naître en elle une cruauté qui lui appartient et qui est indigne d’une reine. D’ailleurs, sa condamnation de Marie tient davantage à sa jalousie qu’aux mauvais conseils qu’elle reçoit de Morray : c’est pour punir Norfolc qu’elle tue celle qu’il aime. Sans être capable de désirer la mort de son favori, elle revient sur sa décision de le perdre et garde toujours l’espoir de le récupérer. Elle est reine mais n’en a pas l’ethos. Elle concentre en elle toutes les mauvaises tendances de la cour, qui est faite à son image. Machiavélique, elle se sert de tout, même de la fourberie de Morray et de Neucastel (III, 1, v. 658-659). Elle fait bon marché de la naissance, du sang, pour la bonne raison qu’elle est elle-même une « Princesse illégitime » qui a cimenté son trône du « sang le plus illustre » (I, 3, v. 308). Elle ne connaît ni la justice, ni les scrupules, ni les remords, ni ses droits, qu’elle outrepasse en condamnant une reine et en prévenant les juges contre Norfolc. L’offre qu’elle fait à ce dernier de sauver sa vie en échange d’une signature au bas de l’arrêt de mort de celle qu’il aime montre sa bassesse, puisqu’elle lui demande ouvertement de trahir son amour, sa parole et de bafouer la justice et l’innocence.
Élisabeth est aussi un personnage beaucoup plus tragique que Marie Stuard, dans la mesure où elle engendre elle-même son malheur par ses erreurs et ses crimes (alors que Marie est une simple victime).
La douleur qu’elle exprime à la fin de la pièce paraît si artificielle qu’elle laisse penser que Boursault s’est acquitté sans conviction d’un passage obligé. Toutes les autres pièces, de Regnault, de La Calprenède ou de Thomas Corneille, montrent une reine si douloureusement affectée qu’elle sombre dans la folie ou annonce sa mort prochaine. L’Élisabeth de Boursault reste au contraire bien vivante et se plaint simplement de ne pas goûter la paix dont jouissent désormais ceux qu’elle a envoyé dans l’au-delà.
Norfolc est évidemment le parfait type du héros. À ce titre, il est doté d’un courage et d’une habileté militaire qu’il n’a pas possédés dans l’histoire réelle. Bien que son amour pour Marie soit très violent, il reste loyal envers élisabeth. Il faut pourtant qu’il commette une faute : celle d’avoir élaboré un plan pour permettre l’évasion de celle qu’il aime. Cet unique écart vis-à-vis de sa ligne de conduite, par ailleurs extrêmement droite, fournit le prétexte à son jugement et à sa condamnation. Nous avons déjà montré plus haut qu’il était supérieur aux autres héros (Norfolc ou Essex) des sources : il n’a pas leur emportement, sa faute est moins grave, son orgueil moins arrogant. Tous ses actes sont nobles et dignes, à l’image de sa réponse devant l’offre d’Élisabeth :
Gardes, qu’on me rameine.C’est ma réponse. (IV, 4, 1301-02).
Un peu naïf, comme pour montrer qu’il est tellement éloigné de la bassesse de Neucastel, qu’il est incapable de la concevoir, il est très facile à celui-ci d’abuser de sa confiance. Sa grande vertu est destinée à contrebalancer l’immense perversion de Morray.
Morray est le véritable pôle négatif de la pièce, bien plus qu’élisabeth, dont il est le mauvais conseiller, celui qui la pousse à commettre l’irréparable. Boursault a cherché à en faire un personnage impressionnant par sa démesure, mais il en devient outré, caricatural à l’excès. Non content de commettre les crimes les plus odieux, il s’en vante, fanfaronne, se plaît à étaler sa propre perversité. Il justifie ses actions par l’idée qu’aux grands hommes convient une morale particulière. Hypocrite, mégalomane, il est aussi complètement inconscient des réalités ; ses projets, notamment celui de se marier avec élisabeth alors qu’il ne l’aime pas et qu’il est son sujet, sont tout simplement invraisemblables. Il est l’incarnation du mal, de la morale renversée. Il pense pouvoir atteindre la grandeur et même l’immortalité en excellant dans le mal, comme il le dit au moment de se tuer :
A qui veut que le crime éternise ses ansLes forfaits les plus noirs sont les plus eclatans (V, 6, 1645-46).
Le problème, c’est que malgré son infamie, Boursault lui permet de mourir noblement et même plus noblement que le héros, au regard des principes du XVIIe siècle. L’échafaud, la mort en public, sont humiliants et le suicide permet d’éviter cette honte. Mais tout doit être grand dans la tragédie et même un méchant doit mourir courageusement. Il faut donc comprendre que si Morray meurt « grandi », c’est parce qu’il partait de trop bas et qu’il était nécessaire de l’élever jusqu’au rang de personnage tragique. Il en avait bien besoin et son suicide ne suffit peut-être pas à le rendre digne du genre, tant il s’est montré bas et mauvais. Même si Norfolc meurt publiquement, après avoir demandé en vain à ses gens de le tuer pour lui éviter cette infamie, sa mort est plus belle car plus pathétique. Elle suscite une grande pitié car il meurt avec constance, en martyr, et que la mort chrétienne apparaissait comme la plus belle des morts, celle qui permet l’évasion de la prison terrestre et l’apothéose de l’innocent.
Boursault accorde au caractère illégitime du personnage de Morray une importance toute particulière. De sang noble mais de naissance vile, c’est la figure de la grandeur dévoyée : sang royal corrompu par la transgression du sacré. C’est ce qui lui confère sa supériorité, supériorité dans le mal. Cependant, à notre avis, la démesure de ce personnage choque le principe de vraisemblance. Il est peint dans l’outrance, dans l’excès. Son ambition est si grande, qu’elle perd tout sens. Le nombre des crimes qu’il commet pour accéder à la couronne d’Écosse semblait déjà amplement suffisant, sans qu’il soit utile d’attribuer à ce personnage le projet insensé d’épouser élisabeth. En effet, comment pourrait-il réellement espérer réunir deux couronnes sur sa tête ? La vraisemblance ne peut tolérer qu’un personnage présenté d’autre part comme sain d’esprit croie sincèrement à la possibilité de mener à bien une telle entreprise et même, tente de la justifier. Ce type s’approcherait davantage d’un personnage de comédie : perçu à travers la convention de ce genre, il serait reconnu du spectateur en tant que matamore fanfaron, et pourrait faire rire. Mais son exubérance sied mal à la tragédie, notamment quand il en vient à vanter ses crimes comme s’ils témoignaient de sa grandeur, consacraient sa supériorité, ou encore à revendiquer son illégitimité comme s’il en tirait sa plus grande fierté. Sa naissance ne lui parait pas constituer un obstacle à son accession au trône bien qu’
Il y manque, il est vray, quelque ceremonie ;Mais un Roy m’a fait naistre ; & pour l’estre aujourd’huyIl suffit que je sois, & que je sois de luy. (I, 3, vers 264 sq).
Il fait figure de nouveau Tartuffe, dissimulant ses véritables mobiles derrière le masque de la religion :
Un Trône prest à choir n’offre rien qui me tente.Du Ciel qui le foudroye appuyant le courrouxC’est son interest seul que je prends contre vous.Pour détruire une Erreur dont j’abhorre le CulteLes liens les plus doux n’ont rien que je consulte :Et ce que vostre haine appelle ambitionEst un zele épuré pour la Religion. (V, 2, v. 1388-1394).
Cette hypocrisie est aussi un moyen de faire pression sur Élisabeth :
Pour peu qu’à mon devoir je demeure fideleQuels sacrileges vœux puis-je faire pour elle ?C’est ma Sœur, il est vray ; mais perisse ma SœurSi sa vie en ces lieux fait revivre l’Erreur.Si de vos jours sacrez le Ciel bornoit la courseD’un deluge de maux elle ouvriroit la source :Vos Sujets qu’elle hait, devenus ses Sujets,Seroient de sa fureur les funestes objets. (V, 4, v. 1435-1442).
Son infamie est constante et sans l’ombre d’une vertu. La seule chose qu’il aime chez Élisabeth, ce sont ses défauts : son art de la feinte, son hypocrisie :
Pour vous, qui tant de foisParûtes consommée en l’étude des Rois ;Qui dés vos jeunes ans réduite à vous contraindre,Avec tant de succez apprîtes l’art de feindre ; (II, I, v. 437-440).
Le mariage qu’il projette n’est bien sûr qu’un moyen d’accéder au trône d’Angleterre, le sentiment n’y prend aucune part.
Boursault fait de Neucastel un simple adjuvent de Morray, un instrument servant les ambitions de celui-ci. La faiblesse le détermine entièrement, faiblesse qui fait de lui une pâte malléable à souhait selon la cause que l’on veut lui faire servir. Il constitue surtout une possibilité de l’auteur, une porte ouverte, un outil commode pour le cas où il aurait besoin de justifier un éventuel revirement de l’action. De ce personnage faible, sans volonté propre, on peut en effet tout attendre. L’ambition que l’auteur lui prête pour justifier qu’il trahisse son protecteur apparaît comme un prétexte tant il semble évident qu’il a beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans une telle mésalliance. Il faut donc ou qu’il manque absolument de clairvoyance, ou qu’il se soit laissé convaincre par faiblesse. De fait, Morray n’a aucun mal à le gagner à ses intérêts et à en faire un traître. Néanmoins, son attachement à Norfolc ne lui permet pas non plus d’aller jusqu’au bout de cette trahison. Il doute souvent et les aveux, les remords sincères qu’il montre après les deux exécutions, le récit pathétique qu’il fait de celle de Marie, son désir de mourir promptement, tendent à prouver qu’il s’est laissé entraîner par Morray, sur qui il rejette d’ailleurs la responsabilité.
Lâche « se dit de Celui que le manque d’énergie rend capable d’actions viles et méprisables. C’est être bien lâche que de trahir son ami. »117 Neucastel n’a pas le noble courage de se faire justice lui-même comme l’avait prédit Norfolc au début de l’acte quatre :
Encor un coup, croy-moy, fais haster mon supplice.Je t’en cause un trop grand si tu te rends justice : (IV, 1, v. 1051-1052).
Nous avons déjà abordé le thème de la reconnaissance et souligné son importance dans la structure même de la société de l’époque, comme ciment social. Or Neucastel est le type même de l’ingrat. C’est un intéressé qui trahit son maître précisément au moment où il a le plus besoin de lui pour favoriser ses propres intérêts et il fait ce choix dès la première scène de la pièce :
Quoy que de ma fortune il ait esté l’appuyJ’aime mieux l’y pousser qu’y tomber avec luy. (I, 1, v. 33-34).
L’ingratitude n’est peut-être pas une passion, un emportement mais plutôt un vice, une bassesse, une faiblesse. Neucastel est un faible dont le comportement infâme vise à inspirer la plus violente répulsion. L’ingratitude était en effet perçue comme le crime suprême, celui qui engendre tous les autres ; ces vers le prouvent :
Et lors qu’on est ingrat, ne sçavez-vous pas bienQue les autres forfaits ne coûtent presque rien ? (I, 1, 37-38)
Non seulement Neucastel est coupable d’ingratitude et d’infidélité (puisqu’il est l’« ouvrage » de Norfolc et qu’il lui doit tout), mais il dissout, par sa trahison, un des liens essentiels qui garantissaient la stabilité sociale et politique. Il serait moins blâmable s’il épousait la cause de son maître contre sa reine au lieu de le sacrifier soit disant par « zèle pour l’Etat » (IV, 1, 1037).
On peut aussi voir dans ce personnage, un confident « revitalisé »118 dans la mesure où il est chargé du récit de la mort de l’héroïne et où il est, par sa trahison, à l’origine de toute l’action.
Établissement du texte §
Sept éditions de Marie Stuard du vivant de l’auteur119 §
1) Dans Pièces de théâtre de Monsieur Boursault, Paris, J. Guignard, 1694120.
Ce recueil contient la Lettre d’un théologien illustre consulté par l’auteur pour sçavoir si la comédie peut estre permise, on doit estre absoluement deffenduë, Germanicus (1694), Marie Stuard (1691, version conformément à laquelle nous avons établi notre édition), la Comédie sans titre (1691), Phaéton (1694), Méléagre (1694) et La Feste de la Seine, (s.d).
2) Dans Pièces de théâtre de Mr. Boursault, « suivant la copie à Paris chez Jean Guignard », 1694, 6 parties en 1 vol.
Ce recueil contient : la Lettre d’un théologien illustre consulté par l’auteur pour sçavoir si la comédie peut estre permise, on doit estre absoluement deffenduë ; Germanicus, tragédie ; Marie Stuard, tragédie (1694 : présente quelques différences avec celle de 1691. Nous les avons relevées plus bas, dans la partie consacrée aux corrections opérées sur le texte. Il est probable que les modifications apportées répondent à une volonté de l’auteur puisque la ponctuation et quelques majuscules ont été transformées, ce qui appartient au domaine de la stylistique. Un certain nombre de coquilles ont par ailleurs été rectifiées, un vers oublié rajouté (v. 146), l’orthographe partiellement modernisée ce qui est peut-être un soin du libraire, bien que la qualité de l’édition ne soit pourtant pas meilleure que celle de la première puisque de nouvelles coquilles se glissent où le texte de 1691 était exact) ; La Comédie sans titre ; Phaëton, comédie en vers libres ; Méléagre, opéra ; La Feste de la Seine, petit divertissement en musique.
3) La tragédie fait l’objet d’une réédition l’année même de la mort de Boursault, en 1701, une fois encore chez le libraire Jean Guignard : Pièces de théâtre de Mr. Boursault, Paris, Jean et Michel Guignard, 1701, 6 parties en 1 vol.
Ce recueil contient : la Lettre d’un théologien illustre consulté par l’auteur pour sçavoir si la comédie peut estre permise, on doit estre absoluement deffenduë, Germanicus, 1694, Marie Stuard, 1691, (fac-similé de l’édition de 1691 : elle lui est en tous point semblable, feuillet de titre, coquilles et mise en page compris, et ne tient absolument pas compte des modifications apportées en 1694), la Comédie sans titre, 1691, Phaéton, 1694.
4) Dans Œuvres de Mr Boursault contenant les pièces de théâtre, Nouvelle édition augmentée, Amsterdam, Duvillard & Changuion, 2 vol., 1721.
Voici le contenu de ces deux tomes : TOME I : Lettre d’un théologien illustre... ; Germanicus (tragédie représentée par les Comédies du roi) suivant la copie de Paris, J. Guignard, 1720 [M.DCC.XX] ; Marie Stuard, ibid., 1720 (l’orthographe a été modernisée, les blasons et frises diffèrent de ceux de 1691) ; La Comédie sans titre, ibid., 1720 ; Phaéton, ibid., 1720. TOME II : Méléagre, tragédie mise en musique, suivant la copie de Paris, à Amsterdam chez Duvillard et Changuion, 1721 ; Feste de Seine, ibid., 1721 ; Esope à la cour, comédie héroïque par feu M.Boursault, ibid., 1721 ; Les Fables d’Esope ou Esope en Ville, comédie, ibid., 1721 ; Le Jaloux Prisonnier, comédie (représentée par les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne), ibid.,1721 ; La Satyre des Satyres, comédie, ibid., 1721 ; Catalogue des livres françois & latins qui se trouvent à Amsterdam chez Duvillard & Changuion, libraires dans le Kalversstraat.
5) Dans Théâtre de feu Monsieur Boursault, Nouvelle édition revuë, corrigée & augmentée de plusieurs pièces, qui n’ont point paru dans les précédentes, Paris, Nicolas-François Le Breton, 3 vol., 1725.
Édités par Hiacinhe Boursault, ces trois recueils sont ainsi composés : tome I : Avertissement (du père Caffaro) ; Lettre d’un homme d’érudition sur la comédie ; Le Mort vivant ; Les Cadenats ou Le Jaloux endormi ; Le Médecin volant ; Les Nicandres ou Les Menteurs qui ne mentent point ; Le Portrait du peintre ; Les Métamorphoses de Philis changez en Astres.tome II : Satire des satires ; Germanicus ; Marie Stuard (la pagination, les blasons et les frises diffèrent de ceux de l’édition de 1691 mais le texte lui est en tous point identique : mêmes coquilles, même vers manquant…) ; La Comédie sans titre ; Méléagre ; La Feste de la Seine. tome III : Phaeton ; Les Mots à la mode ; Esope à la cour ; Les Fables d’Esope.
6) BOURSAULT, Edme, Théâtre de feu Monsieur Boursault, Nouvelle édition revuë, corrigée & augmentée de plusieurs pièces, qui n’ont point paru dans les précédentes, éd. Hiacinthe Boursault, Paris, Veuve Ribou, 3 vol., 1725.
Marie Stuard figure dans le second tome de cette édition, consultable uniquement à la BU Lettres de Tours et composé de la Lettre d’un homme d’érudition…, de la Satire des satires, de Germanicus, de Marie Stuard, de La Comédie sans titre, de Méléagre et de La Feste de la Seine.
7) BOURSAULT, Edme, Théâtre de Boursault, Nouvelle édition revuë, corrigée & augmentée de plusieurs pièces, qui n’ont point paru dans les précédentes, éd. Hiacinthe Boursault, Paris, La Compagnie des Libraires, 3 vol., 1746.
tome I : Avertissement du père Caffaro ; Lettre d’un homme d’érudition sur la comédie ; Le Mort vivant ; Les Cadenats ou Le Jaloux endormi ; Le Médecin volant ; Les Nicandres ou Les Menteurs qui ne mentent point ; Le Portrait du peintre ; Les Métamorphoses de Philis changez en Astres.tome II : Satyre des satyres ; Germanicus ; Marie Stuard (pagination, blasons et frises diffèrent de ceux de 1691 et de 1694 ou 1725, le texte est plus aéré grâce à une interligne plus importante, l’orthographe est modernisé. Mais le vers manquant n’est pas rétabli et les coquilles ne sont pas corrigées, le texte restant fidèle à celui de 1691) ; La Comédie sans titre ; Méléagre ; La Feste de la Seine. tome III : Phaeton ; Les Mots à la mode ; Les Fables d’Esope ; Esope à la cour.
Le texte de la présente édition §
Nous avons retenu le texte de la première édition afin d’établir le texte de la nôtre, et nous avons travaillé sur l’exemplaire unique que possède la bibliothèque de l’Arsenal. Pour cette édition qui comporte « plusieurs pièces de théâtre de sa composition » et qui parait à ses frais, Boursault obtient le privilège le 2 décembre 1690. Il cède ce privilège, le 27 mars 1691, à Jean Guignard, qui publie une édition se présentant comme ceci :
MARIE STUARD / REINE D’ECOSSE / TRAGEDIE / Par Monsieur BOURSAULT / [fleuron] / A PARIS / Chez JEAN GUIGNARD à l’entrée de la / grand’ Salle du Palais / au petit S.Jean. / M. DC. XCI. / AVEC PRIVILEGE DU ROY
70p. in-12.
L’achevé d’imprimer porte la date du 20 novembre 1691.
Le privilège est accordé à Boursault pour huit ans, à compter de la date de l’achevé d’imprimer qui lui fait suite.
Nous n’avons trouvé aucun autre exemplaire de cette première édition.
Boursault la publia huit ans après que la tragédie ait été joué et ait échoué, ce qui représente un intervalle très long et ne correspond pas aux habitudes de l’auteur, qui publie généralement ses pièces l’année qui suit leur représentation. Cela prouve son attachement à cette pièce, qu’il n’a jamais reniée bien que sa mauvaise réception l’ait sans doute dissuadé de la faire paraître immédiatement.
En revanche, peu de temps s’écoule entre le moment où le privilège lui fut accordé (2 décembre 1690) et celui où la tragédie fut achevée d’imprimer (20 novembre 1691), les autres pièces étant souvent imprimées trois ans après l’accord du privilège.
Corrections apportées au texte de la pièce §
Corrections présentes dans l’édition de 1694 §
Ajout du vers I, 2, 146.
Corrections des coquilles. §
pose (84) ; fortifie (230) ; eu seureté (290) ; J jure (428) ;
ternime (550) ; fair (804) ; allarm (847) ; un secrette (988) ; remeine (1301) ; fruir (1523) ;
Sept éditions posthumes §
Jusqu’en 1746 – c’est-à-dire pendant plus de 50 ans – Marie Stuard fut reprise systématiquement dans tous les recueils de son Théâtre. Elle cesse ensuite d’y figurer jusqu’au XIXe siècle.
1) Marie Stuard, Reine d’Écosse, « suivant la copie à Paris chez Jean Guignard », 1720, in-12.
2) Œuvres de Mr Boursault, Paris, Amsterdam, Duvillard et Changuion, 1721, 10 parties en 2 vol., in-12.
3) Théâtre de feu Mr Boursault, Paris, Veuve de P. Ribou, 1725, in-12.
4) Théâtre de feu Mr Boursault, Paris, Nicolas Le Breton, 1725, 3 vol., in-12.
5) Théâtre de feu Mr Boursault, Paris, François Le Breton, 1725, 3 vol., in-12.
6) Théâtre de feu Mr Boursault, Paris, La Compagnie des Libraires, 1746, 3 vol., in-12.
7) Théâtre de feu Mr Boursault, Genève, Slatkine, 1970. (Fac-similé de l’édition de 1725 chez F. Le Breton).
Lancaster nous apprend que la pièce de Boursault a été traduite après sa mort en italien en 1724 et en allemand en 1747. Jane Conroy confirme121 l’existence de la traduction italienne parut à Bologne chez Lelio della Volpe sous le titre de Maria Stuarda. Tragedia tradotta del francese di M. Bourseault [sic] dans un recueil en 5 volumes.
Nous n’avons pas été en mesure de vérifier la seconde information.
MARIE STUARD, REINE D’ÉCOSSE. TRAGÉDIE. §
A MONSEIGNEUR LE DUC DE ST AIGNAN122, PAIR DE FRANCE, Chevalier des Ordres du Roy, Premier Gentilhomme de la Chambre, Gouverneur et Lieutenant General pour sa Majesté de la Ville, Citadelle et Province du Havre. §
MONSEIGNEUR,
Je ne sçay point imiter ces Ecrivains qui par d’ingenieux mensonges accablent de loüanges
des Personnes qui ne les meritent pas. Je ne diray rien icy à vostre Gloire que /[I] [a ij]/ ce que la Verité a pris soin de m’en apprendre : mais les Vertus qu’on ne peut vous contester vaudront bien aux yeux de la Postérité celles qu’on invente pour les autres. Se fasse qui voudra des Heros de ces Favoris de la Fortune, qui élevez par son caprice ne manquent jamais de tomber par ses revolutions. Je sçay, MONSEIGNEUR, ce que Vous estes par le Sang dont Vous sortez : Comme il en est peu de plus illustre, il en est peu aussi qui soit dans une plus grande élevation ; mais dans quelque rang que Vous soyez, Vous n’en estes point redevable à la Fortune ; et s’il n’estoit attaché à vostre Naissance, l’Equité en auroit fait le prix de vostre Merite. La distinction dont Vous honore un Monarque, qui par ses Vertus se fait distinguer de tous les autres Rois de la Terre, dit bien mieux que je ne le pourrois faire quelles Qualitez Vous devez avoir pour la meriter : Il y a peu de personnes à sa Cour pour qui son Estime se soit plus hautement déclarée ; Et si elle peut s’acquérir par le Zele le plus pur qui ait jamais esté, & par la Fidélité la plus incorruptible qui sera jamais, il n’y en a point dans tous ses Estats à qui elle soit mieux deüe qu’à Vous. Toûjours infatigable pour le service de sa Majesté, vostre Vigilance Vous fait trouver par tout, & ne /[II]/ rencontre aucun obstacle qu’elle n’applanisse. Faut-il faire succeder les vertueux Plaisirs à ses Occupations héroiques, vostre Esprit, dont les lumières sont si étendües, ajoûte des beautez à ce que font de plus achevé les plus sçavans Maistres : Faut-il travailler pour sa Gloire, vostre Valeur ne peut souffrir que Vous Vous reposiez sur les Lauriers que Vous avez cueillis tant que Vous trouvez à en cueillir de nouveaux ; Et jamais homme n’a mieux justifié que Vous que le grand Génie & le grand Courage ne sont pas incompatibles. Que la Medisance & l’Envie examinent avec tant de severité qu’il leur plaira ce que je prens la liberté de dire de Vous, & qu’elles m’accusent de flaterie si elles l’osent. A quelque insolence que leur inclination les porte, il est des Veritez qu’elles sont contraintes de respecter ; & vostre Nom prononcé doit suffire pour leur imposer silence. C’est en vain, MONSEIGNEUR, qu’elles se sont déchainées avec tant d’impetuosité contre la Tragédie que je Vous presente : Les témoignages que Vous avez eu la bonté de rendre en sa faveur luy ont acquis une reputation à l’épreuve de leur traits les plus empoisonnez ; Et s’il m’est permis de rappeller le plaisir le plus sensible que j’aye eu de ma vie, les Larmes que Vous ne pûtes Vous /[III] [a iij]/ empêcher de répandre à la premiere lecture que j’en fis m’estoient d’illustres garens du succez qu’elle devoit avoir à la seconde. J'aurois assez de modestie pour ne pas Vous faire ressouvenir que Vous fustes témoin des applaudissemens que je receus, si le respect & la reconnoissance ne m’obligeoient à deffendre les suffrages de tant de Personnes de la plus haute Qualité, & du plus sublime Merite, qui ayant écouté mon Ouvrage sans prévention en dirent leur sentiment sans injustice. Il est vray,
MONSEIGNEUR, que ce n’est pas d’aujourd’huy que les plus honnestes gens de l’Europe se sont declarez pour Marie Stuard contre l’Oppression & la Calomnie: ce n’est pas d’aujourd’huy qu’elle a esté persecutée par l’Erreur & par l’Ignorance : son sort est d’estre éternellement condamnée par des Juges corrompus, & de conserver éternellement sa gloire malgré les efforts qu’on a toûjours faits pour la détruire. Aprés tous les avantages que Vous luy avez procurez, la Générosité qui vous est si naturelle Vous sollicite à luy donner un Azile, plus sacré & plus inviolable que celuy qu’elle receut autrefois d’une Teste couronnée. L'Histoire remarque que la Reine Elizabeth en luy envoyant offrir une retraite dans ses Etats, luy fit presenter un Coeur de Diamant, qui fut moins une mar-/[IV]/-que de son amitié qu’un présage de la dureté du sien. Ce n’est point, MONSEIGNEUR, un Coeur de Diamant que Marie Stuard Vous demande : c’est ce Coeur sensible ; ce Coeur bienfaisant ; ce Coeur qui en captive tant d’autres par sa bonté, qu’elle veut s’efforcer de meriter par un respect aussi profond que celuy avec lequel je suis,
MONSEIGNEUR,
Vostre tres-humble, tres-obeïssant, & tres-obligé Serviteur,
BOURSAULT.
Extrait du Privilege du Roy §
Par Lettres Patentes du Roy, données à Paris le deuxiéme jour de Decembre 1690. Signé BOUCHER, Il est permis au Sieur BOURSAULT, de faire imprimer par tel Libraire ou Imprimeur qu’il voudra choisir, une Piece de sa composition intitulée Marie Stuard Reine d’Ecosse,Tragedie, pendant le temps & espace de huit années, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer : Avec deffences à tous Libraires, Imprimeurs & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre ny debiter ladite Tragedie sous quelque pretexte que se soit, même d’impression étrangere sans le consentement dudit Exposant ou de ses ayant cause, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d’amende, & de tous dépens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites Lettres.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires
& Imprimeurs de Paris, le 27. Mars 1691.
Signé, AUBOUYN.
Et ledit sieur Boursault a cedé au sieur J. Guignard le droit qu’il a au present Privilege, suivant l’accord fait entr’eux.
Achevé d’imprimer le 20. Novembre 1691.
ACTEURS. §
- MARIE STUARD, Reine d’Ecosse.
- ELISABETH, Reine d’Angleterre, Fille d’Henry Huit, & d’Anne de Boulen.
- LE DUC DE NORFOLC, autrefois Favory d’Elisabeth.
- LE COMTE DE MORRAY, Frere naturel de Marie Stuard.
- LE COMTE DE NEUCASTEL, Amy du Comte de Morray.
- LANCASTRE, Confidente d’Elisabeth.
- MELVIN, Ecuyer de Marie Stuard.
- KENEDE Suivante de Marie Stuard.
- ALBIONE Suivante de Marie Stuard.
- KILLEGRE, Capitaine des Gardes d’Elisabeth.
- EURIC, Lieutenant des Gardes d’Elisabeth.
- GARDES.
ACTE PREMIER. §
SCENE PREMIERE. §
LE COMTE DE NEUCASTEL
EURIC
LE COMTE DE NEUCASTEL
SCENE II §
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL.
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
SCENE III §
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
Moy des remors ! moy, Comte !LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
[p. 13]LE COMTE DE NEUCASTEL
SCENE IV §
LANCASTRE
LE COMTE DE MORRAY
LANCASTRE
LE COMTE DE MORRAY
Fin du premier Acte.
ACTE II §
SCENE PREMIERE §
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
EURIC
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH le rappellant.
LE COMTE DE MORRAY
SCENE II §
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
SCENE III §
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
SCENE IV §
LE DUC DE NORFOLC, seul.
SCENE V §
EURIC
SCENE VI §
LE DUC DE NORFOLC, seul.
SCENE VII §
LE DUC DE NORFOLC
EURIC
SCENE VIII §
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
SCENE IX §
KILLEGRE
LE DUC DE NORFOLC
SCENE X §
ELISABETH
ELISABETH
MARIE STUARD
ELISABETH
Fin du second Acte.
ACTE III §
SCENE PREMIERE §
LANCASTRE
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
LANCASTRE
ELISABETH
SCENE II §
ELISABETH
SCENE III §
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
[p. C ij 34]ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
SCENE IV §
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
SCENE V §
KILLEGRE
LE DUC DE NORFOLC
MARIE STUARD
Fin du troisième Acte.
ACTE IV §
SCENE PREMIERE §
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
La Reine attend l’Ordre sacréLE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
SCENE II §
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
SCENE III §
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH aux Gardes.
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
SCENE IV §
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
ELISABETH
[p. 54]LE DUC DE NORFOLC
SCENE V §
ELISABETH
SCENE VI §
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
LE COMTE DE MORRAY
Fin du quatrieme Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE §
MARIE STUARD à Killegre.
MELVIN
MARIE STUARD
MELVIN
MARIE STUARD
SCENE II §
MARIE STUARD
LE COMTE DE MORRAY
MARIE STUARD
SCENE III §
LE COMTE DE MORRAY seul.
SCENE IV §
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
SCENE V §
LE COMTE DE NEUCASTEL
ELISABETH
LE COMTE DE NEUCASTEL
ELISABETH
LE COMTE DE NEUCASTEL
ELISABETH
EURIC
ELISABETH en montrant le Comte de Morray.
LE COMTE DE NEUCASTEL
ELISABETH
SCENE VI §
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
SCENE DERNIERE §
ELISABETH
FIN
Glossaire §
Les nombres entre parenthèses qui font suite aux définitions réfèrent aux occurrences du terme défini.
Les dictionnaires et ouvrages utilisés ont été signalés dans la bibliographie.
Annexe 1 : quelques rappels sur l’Histoire de France du XVIe siècle à 1683 §
François 1er (1515-1547) fait triompher une conception absolutiste de la monarchie. Il étend le domaine royal, centralise et renforce le pouvoir. Il mène aussi une politique d’expansion en Europe, notamment en Italie où il remporte de vifs succès (victoire de Marignan, conquête du Milanais) avant de se trouver en butte à l’ambition de Charles 1er, futur Charles Quint. évincé du trône du Saint-Empire au profit de celui-ci, François 1er se retrouve dans une position difficile : les possessions de son adversaire encerclent la France, et il revendique la Bourgogne. Au cours des conflits qui s’ensuivent, François 1er cherche du soutien à l’extérieur. En juin 1520, après la somptueuse entrevue du camp du Drap d’Or, Henri VIII d’Angleterre lui refuse néanmoins son appui. Roi catholique, François 1er avait obtenu de nommer lui-même les évêques dès le début de son règne. Cependant il n’hésite pas à faire alliance avec la ligue luthérienne de Smalkalde en 1531 et en 1535 avec l’empereur turc Soliman. Cette alliance avec les infidèles doit être rompue sous peine de voir son royaume envahi, son prestige atteint. Le roi meurt en 1547 ; l’autorité de ses successeurs sera constamment affaiblie par les querelles religieuses.
Henri II (1547-1559) épouse Catherine de Médicis en 1533. Il continue la lutte contre Charles Quint. Il s’allie dans ce but aux protestants d’Allemagne, s’empare des Trois-évêchés en 1552 et reprend Calais aux Anglais en 1558. Souhaitant mettre fin à une guerre ruineuse et se sentant menacé de l’intérieur, il signe en 1559 le traité de Cateau-Cambrésis avec l’Espagne et l’Angleterre par lequel la France acquiert Calais et les Trois-évêchés. Cependant entre 1540 et 1550, le calvinisme se développe rapidement en France. Henri II y voit une menace et, dès 1551, interdit le culte protestant sous peine de mort. Il meurt au cours d’un tournoi huit ans plus tard.
Son fils François II (1559-1560) lui succède. En 1558, il épouse Marie Stuart. Les guerres extérieures, et les querelles religieuses favorisent les ducs de Guise qui s’imposent comme champions du catholicisme. À la mort de François II en 1560, son frère Charles IX (1560-1574) n’a que treize ans. Depuis 1559 jusqu’en 1589, c’est Catherine de Médicis qui tient les rênes du pouvoir. Ses principales préoccupations sont la défense du pouvoir royal et la modération des tensions religieuses. Entre 1563 et 1567 elle obtient quelque succès dans ces tâches mais une tentative d’assassinat du protestant Coligny, maréchal de France, débouche sur la nuit de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Le roi est emporté par la tuberculose en 1574.
Son frère Henri III (1574-1589) accède au trône. Dans un premier temps, il écoute sa mère et le partis des modérés. En 1576, l’édit de Beaulieu satisfaisant les revendications des huguenots révolte les ultra-catholiques menés par Henri de Guise. En 1584, le plus jeune fils d’Henry II meurt : le roi, qui n’a pas de successeur, se trouve pris en tenaille entre la Ligue catholique du duc de Guise et les protestants menés par Henri de Navarre, tous deux réclamant le trône. Henri III fait assassiner le premier avant d’être la victime d’un moine fanatique.
Henri IV (1589-1610) peut prétendre au trône en vertu de son mariage avec la sœur d’Henri III, Marguerite de Valois. Les Guise s’allient à Philippe II d’Espagne dont fille, descendante d’Henri II, peut prétendre au trône de France. Les victoires d’Henri de Navarre et l’exaspération des Français face à l’invasion des Espagnols lui permettent, à condition d’adhérer au catholicisme, d’être sacré en 1594. Le 13 avril 1598, il promulgue l’édit de Nantes qui garantit la liberté de culte : c’est la fin des guerres de religion. Tout au long de son règne, il réorganise les finances et favorise le développement économique de la France. Il mène une politique extérieure pacifique et renforce considérablement l’autorité royale : lorsqu’il tombe sous les coups de Ravaillac, un catholique fanatique, en 1610, il laisse à ses successeurs un royaume prospère et une monarchie absolue.
Louis XIV succède à son père, Louis XIII, en 1643. Son enfance est d’abord marquée par la Fronde : les Grands et le Parlement contestent la monarchie absolue. A la majorité du roi en 1651, les révoltes s’apaisent car elles s’apparentent désormais au crime de lèse-majesté. Dès la mort de Mazarin en 1661, Louis XIV décrète une monarchie absolue, de droit divin. La fronde n’aura servi que de justification à la mise en place d’une autorité royale plus forte et plus centralisée que jamais. Sur le plan de la politique extérieure, Louis XIV vise à conserver les frontières et les avantages économiques de la France. La guerre de Hollande (1672-1679) a pour but premier de contrer la puissance maritime et commerciale de ce pays, mais le conflit se durcit lorsque l’Espagne, le Saint Empire et l’Angleterre rejoignent la coalition anti-française. La France l’emporte, notamment grâce à Turenne et Condé. Enfin, les traités de Nimègue, en 1678 et 1679 reconnaissent à la France la possession de la Franche-Comté et l’occupation de la Lorraine.
Les questions religieuses constituent sans doute l’aspect le plus négatif du règne de Louis XIV : dans un souci d’unification de la foi du royaume, le roi Très Chrétien mène une lutte acharnée contre les jansénistes (entre 1679 et 1709 éviction des religieuses et destruction de l’abbaye de Port-Royal) et les protestants (en 1685, révocation de l’édit de Nantes)
Annexe 2 : la Réforme en Europe §
Origines de la Réforme §
Depuis l’établissement du Saint Empire romain germanique par Otton 1er en 962, papes et empereurs se disputent la suprématie en Allemagne : un fort ressentiment contre l’autorité papale s’y installe dès cette époque, renforcée par la levée de l’impôt pontifical.
Dès le XIIIe siècle, l’autorité du pape se voit contestée ailleurs en Europe à cause de la vente d’indulgences, de l’immoralité et de l’ignorance de nombreux ecclésiastiques, et du pouvoir temporel de l’église qui possède de vastes domaines, exemptés d’impôts. En France, l’installation d’une seconde papauté en Avignon durant le XIVe siècle (Grand Schisme d’Occident) ébranle encore davantage cette autorité.
Mais c’est surtout l’essor de l’Humanisme à partir du XVe siècle en Italie, qui sera à l’origine de la Réforme. L’intérêt croissant pour l’Antiquité donne lieu à des traductions de la Bible dans toutes les langues européennes. Leur diffusion grâce à l’invention de l’imprimerie enlève à l’église son monopole du savoir, permet à de nombreux intellectuels de réfléchir aux écritures et d’en donner leur interprétation propre. Les écrits d’érasme aux Pays-Bas, ou de Thomas More en Angleterre contribuèrent à répandre l’idée de Luther et de Calvin selon laquelle l’autorité religieuse est à chercher dans la Bible et non dans l’église.
Histoire de la Réforme en France §
La Réforme fut introduite en France au début du XVIe siècle par un groupe d’humanistes dirigés par Lefèvre d’étaples, qui affirmait sa croyance en une foi individuelle. Il traduisit en français le Nouveau Testament, suscitant d’abord la sympathie de l’église et du pouvoir, avant l’arrivée des idées de Luther. Jugés dangereusement proches de celui-ci, Lefèvre d’étaples et ses disciples furent contraints de s’exiler en Suisse. Là, ils inspirèrent fortement la naissance du calvinisme. A partir de 1559, les membres de l’église protestante en France sont appelés huguenots. Leur nombre s’accrut considérablement en dépit de la répression exercée par les monarques successifs, au point de diviser la France en deux camps qui se déchirèrent durant les guerres de religion de 1552 à 1598. Cependant, malgré l’édit de Nantes promulgué en 1598 qui garantissait la liberté de culte, les protestants ne représentaient plus à cette époque que dix pour cent de la population française.
Histoire de la Réforme en écosse. §
La population écossaise était déjà hostile à l’Église catholique depuis le XIVe siècle : à cette époque, un prêtre, John Wycliffe, avait traduit la Bible en Anglais et prêchait dans cette langue une critique virulente de la papauté. Il eut de nombreux adeptes appelés lollards. Une monarchie écossaise catholique et pro romaine réprima durement le mouvement, mais en 1560, John Knox, disciple de Calvin, persuada le parlement écossais de créer l’Église presbytérienne écossaise, de dogme calviniste. C’est en vain que Marie Stuart, reine catholique, s’opposa à une religion qui avait le soutien du peuple et de la noblesse : elle se vit forcée de quitter le pays au bout de sept ans, en 1567.
Histoire de la Réforme en Angleterre §
Contrairement à se qui s’était passé ailleurs en Europe, la Réforme ne vint pas du peuple mais du gouvernement. En 1553, le roi d’Angleterre Henri VIII épousa Anne Boleyn et fit annuler son premier mariage avec Catherine d’Aragon par l’archevêque de Canterbury. Excommunié par le pape, il fit voter par le parlement une loi faisant désormais du roi d’Angleterre le chef suprême de l’église anglicane (1534). Puis entre 1535 et 1539, les biens du clergé furent saisis. Cependant ce changement était avant tout politique puisque la doctrine restait celle de l’église catholique et que le statut des Six Articles, promulgués en 1539, condamnait toujours à mort les luthériens. édouard VI introduisit, de concert avec le parlement, les doctrines et pratiques protestantes dans l’église anglicane et abrogea, en 1547, le statut des Six Articles. En 1549, un livre de prière officiel et obligatoire fut publié afin d’uniformiser les rituels. La demi-sœur d’édouard VI, Marie Tudor, essaya en vain de rétablir le catholicisme. En 1563, Elisabeth 1re fixa la religion anglicane : si le credo était proche du luthéranisme, le rituel et l’organisation épiscopale différaient peu de ceux de l’église catholique.