Edme Boursault

1662

Trois petites comédies

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Charlotte Dias
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Le Jaloux endormy, Comédie. Representée sur le Theatre Royal du Marais. Par le Sieur BOURSAULT, Secretaire de Madame la Duchesse d'Angoulesme. A PARIS, Chez ESTIENNE LOYSON, au Palais, à l'entrée de la Gallerie des Prisonnieers, au Nom de Jésus. M. DC. LXII.Avec Privilege du Roy.
Source : Le Mort vivant, Comédie. DEDIEE A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE. Representée par les Comédies du Roy ;Et composée par le Sieur Boursault. A PARIS, Chez N. PEPINGUÉ, en la grande Salle du Palais, vis à vis les Consultations, au Soleil d'or. M. DC. LXII.
Source : Le Medecin volant, Comédie. Par Mr BOURSAULT A PARIS, Chez N. PEPINGUÉ, à l'entrée de la ruë de la Huchette. Et en sa boutique au premier Pilier de la grande Salle du Palais, vis à vis les Consultations, au Soleil d'or. M. DC. LXV.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI).

Introduction §

Boursault… Un nom qui sonne dans le vide dans nos esprits du XXIe siècle. Un nom qui n’a pas été retenu par les lumières de l’Histoire littéraire pour lesquelles il est passé inaperçu comme beaucoup d’autres. Faut-il cependant en déduire qu’ils ne méritent pas d’être lus et que notre regard ne doit pas s’y porter dessus. Loin du talent de Molière, loin des fastes de la cour du Roi Soleil, Boursault a tout de même fait son petit chemin. Homme que rien ne prédestinait à l’écriture mais pourtant à l’origine de nombreux écrits, homme prenant part à de nombreuses querelles littéraires de son temps mais en admiration pour tous ceux qui furent ces adversaires, toute la vie d’Edme Boursault est marquée par des oppositions et des paradoxes qui suivront les caprices de la fortune. Nous n’avons pas fait le choix de nous intéresser à ses œuvres les plus remarquables, celles qui ont été le plus appréciées par ses contemporains mais plutôt à ses œuvres de jeunesse, aussi maladroites soient-elles. Le Médecin volant, Le Mort vivant et Le Jaloux endormy, ses œuvres de jeunesse sont trois petites comédies burlesques caractéristiques de la tradition comique du XVIIe. Il y en a pour tous les goûts : déguisements plus osés les uns que les autres, barbons acariâtres, jaloux extravagants… Prenons donc le temps de nous replonger quelques instants dans le brouhaha des théâtres du XVIIe siècle à la lumière des bougies afin de découvrir cet auteur oublié.

Edme Boursault illustre inconnu du théâtre français §

Un écrivain fort médiocre, mais intéressant à consulter parce qu’il a recueilli la tradition des auteurs comiques immédiatement postérieurs à Molière […] si l’on suit de près l’histoire de la scène française dans cette période, on y rencontre un écrivain, très inégal sans doute, mais qui a ses heures d’inspiration, et qui, entre deux écoles dont nous venons de parler [les contemporains de Molière qui lui ont survécu et une nouvelle génération de poètes qui apparaît], eut le bonheur d’attirer l’attention et de mériter l’estime de l’Europe1.

Une vie chaotique §

Il y a deux époques bien marquées dans sa vie. La première nous le montre très-affairé, très-répandu, fort occupé de fêtes, de voyages, de petits vers et d’aventures galantes […] Dans la seconde époque, fixé à Montluçon, venant toujours plus rarement à Paris, plus recueilli, plus sédentaire, attentif à sa maison, préoccupé par l’avenir de ses enfants, plus que jamais attaché à la religion, tout son talent s’épure et ce qu’il écrit respire une sorte de gravité pieuse, qui va parfois jusqu’à la tristesse. Même il devient sermonneur, sans gronder pourtant, ni affecter des airs pédantesques, mais en homme convaincu, dont la sagesse est expansive et s’insinue doucement dans l’âme du voisin2 

Edme Boursault naquit au début d’octobre 1638 – nous n’avons pas la date précise – dans une grande famille de Mussy-l’Evêque, ville champenoise de laquelle les évêques de Langres étaient les seigneurs et où ils avaient restauré un château. Ludovic Jully dans son Étude sur Boursault rapporte les paroles de l’auteur : « Ma mère, dit-il, n’est jamais sortie de son pays. Mon père, qui, pour s’enrichir, fut longtemps guerrier, rôda partout et plus dans la Franche-Comté qu’ailleurs. ». Rien ne le prédestinait à l’écriture ; il ne reçut pas une éducation littéraire poussée, ne connaissait rien au latin et au grec et peinait à s’exprimer en français : « [son père] ne se mettoit gueres en peine que son fils fût mieux élevé, et devînt plus habile homme que lui : et quoiqu’il fût assez riche, il eût regretté un écu qu’il eût coûté à ses plaisirs, pour donner à ses enfans une éducation qui eût suppléé au tort qu’il leur faisoit d’ailleurs, et au peu de bien qu’ils avoient à esperer de son dérangement de conduite3 ». Il fut pourtant envoyé à Paris en 1651 par Sébastien Zamet, évêque de Langres et fut protégé par Des Barreaux4 auprès de qui il apprit à manier la langue française et qui s’occupa de lui comme un père. Sa petite-fille Hiacinthe Boursault ne tarit pas d’éloge quant à la grande capacité d’apprentissage de son aïeul : « Cependant en peu de mois ce jeune homme sçut de lui-même se tirer de cette barbarie ; et il parvint en moins de deux ans à pénétrer toutes les beautez et toutes les délicatesses d’une langue qu’il a possédée dans la plus exacte et la plus parfaite pureté5 ». Il se lia rapidement d’amitié avec les frères Corneille et entretint avec eux une correspondance, il resta lié avec eux toute sa vie et prit notamment la défense du « Grand Corneille » dès que l’occasion se présenta.

En 1660, il devint secrétaire des commandements de la duchesse d’Angoulême et commença sa vie littéraire : « dès cette époque, il se montra avant tout poète et homme de lettres, reçu dans les grands hôtels, bien accueilli de ce que la cour et la ville avaient de considérable ; tantôt à Chantilly, chez Condé, tantôt à Paris, chez le président Perrault6. ». Envoyé à Sens par la duchesse en 1661, il lui rapporta son voyage dans des lettres qu’elle jugea fines et amusantes au point de les faire lire à tous ceux qui l’entouraient. Tous les trouvèrent pleines d’esprit et voulurent entretenir une correspondance avec lui. À son retour, Boursault se lança donc dans l’écriture d’une gazette en vers burlesques qui ne parvint pas à s’imposer face à celle de Loret. Il se tourna alors vers le théâtre.

Ces débuts dans cet art remontaient à sa jeunesse, sa petite-fille en fait un fin rimeur dans son « Avertissement » du Théâtre de feu Monsieur Boursault. Là encore il se retrouva confronté à certaines disgrâces de ces contemporains à cause de ses actions irréfléchies envers Molière, Boileau, Racine ou encore Bossuet. En 1663, il participa à la querelle de L’École des femmes ; il choisit de se ranger du côté de l’Hôtel de Bourgogne, troupe rivale de celle de Molière, et probablement poussé par ses relations il rédigea Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’École de femmes ; Molière lui répondit par son Impromptu de Versailles. Si Boursault n’avait pas attaqué directement Molière dans sa comédie, celui-ci le fit ; à la scène 5 de L’Impromptu de Versailles, on avertit les dames que l’Hôtel de Bourgogne va jouer une nouvelle pièce et que « C’est un nommé Br … Brou … Brossaut qui l’a faite7 ». Du Croisy rectifie : « Monseigneur, elle est affichée sous le nom de Boursault […] et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation8. ». Cela n’empêcha pas Boursault d’admirer le travail de Molière et de reconnaître sa qualité de grand dramaturge. Après cet épisode, Boursault apparut dans les Satires de Boileau :

Que vous ont fait Perrin, Bardin, Mauroy, Boursault
Colletet, Pelletier, Titreville, Quinault
Dont les noms en cent lieux, placés comme en leurs niches
Vont de vos vers malins remplir les hémistiches ?
Ce qu’ils font vous ennuie ? O le plaisant détour !
Ils ont bien ennuyé le Roi, toute la cour9 !

Et aussi :

Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc : Quinault est un Virgile,
Boursault comme un soleil en nos ans a paru10.

Il se maria en 1666 avec Michèle Milley avec laquelle il fonda une grande famille ; Boursault accorda une place importante à l’éducation de ses enfants, leur accordant la chance qu’il n’avait pas eu lui-même. Il rédigea une critique dramatique des Satires de Boileau, La Satire des satires, publiée en 1669 sans avoir jamais été représentée puisque Boileau la fit interdire par le Parlement dès que les affiches annonçant la représentation furent mises en place. Cette querelle demeura sans suite ; Boileau retira le nom de Boursault de ses Satires, allant même jusqu’à confesser à son ami Brosette « Monsieur Boursault est, à mon sens, de tous les auteurs que j’ai critiqués, celui qui a le plus de mérite11 ». Hiacinthe rapporte en outre une anecdote selon laquelle Boileau se serait retrouvé à cours d’argent lors d’une cure « dans les eaux de Bourbon 12» qui aurait duré plus longtemps que prévu et aurait été aidé par Boursault. À partir de cet épisode, une amitié naquit entre eux et Boileau fut touché par la « générosité » de cet homme qu’il avait attaqué : « il se réconcilia sincerement, et lia avec M. Boursault une étroite et tendre amitié, qui a duré toute leur vie, avec autant de fidélité, que de justice de part et d’autre. Ils s’en sont donnez dans leurs Ouvrages, de mutuelles preuves13 ».

De même il ouvrit le prologue de son roman Artémise et Poliante (1670) par le récit satirique de la première de Britannicus de Racine.

Il écrivit La Véritable Étude des souverains en 1671 destinée à l’éducation du dauphin. Selon Hiacinthe Boursault, l’ouvrage aurait été commandé par le Roi, mais rien n’est assuré. Ceci entraîna le fait que « Montausier et Louis XIV aient songé un instant à le nommer sous-précepteur du dauphin14 ». Jully pense que Boursault a refusé la proposition à cause de ses lacunes en langues anciennes, outils essentiels de l’éducation d’un futur roi au XVIIe. La place de sous-précepteur fut donc occupée par Pierre-Daniel Huet15.

D’après Bénédicte Louvat-Molozay Le Mercure galant fut donné en 1683 comme une œuvre de Poisson pour éviter les foudres de Donneau de Visé16. En effet, la pièce a lieu « dans la maison de l’Auteur du Mercure Galant17 » et est une succession de portraits plus comiques les uns que les autres inspirés par le journal Le Mercure galant ; la petite-fille de l’auteur définit la pièce ainsi « sans attaquer directement le Mercure, ni son Auteur, on se contente de produire quantité de sots et de ridicules, qui viennent y demander place ou apportent leurs Ouvrages. C’est d’un bout à l’autre, un badinage si vif et si divertissant, qu’on ne pouvait se lasser de le voir, et qu’elle fut joüée de suite plus de quatre-vingt fois au double18. ». La même année, la pièce fut publiée avec un « Avis au lecteur » expliquant la situation. Suite à une requête de Donneau de Visé la pièce fut renommée La Comédie sans titre. Poisson annexa la pièce à ses propres pièces dans le recueil de 1687 ; par la suite, les éditeurs reprirent le recueil tel quel.

« Nous ne savons pas au juste quand19 ni comment Boursault devint receveur des fermes de Montluçon. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il fut un médiocre financier20» ; il éprouva de la pitié pour ceux qu’il devait taxer. Il fut révoqué en 1688 pour son manque d’obéissance envers son fermier général Lejariel.

Le XVIIe siècle fut tiraillé par les problèmes de morales que posait le théâtre à l’Église. Boursault en bon chrétien s’interrogea sur la portée de son écriture et s’en confessa auprès d’un prêtre qui lui conseilla de consulter un théologien sur la question. Il fit part de ces interrogations au père Caffaro, supérieur du couvent des Théatins dans lequel le fils de Boursault, Chrysostome était élève. L’homme n’était pas spécialiste de la question et connaissait peu les œuvres théâtrales de son temps. Boursault ouvre ainsi le premier volume de ses Pièces de théâtre en 1694 par la « Lettre d’un Theologien illustre par sa qualité et par son merite, consulté par l’auteur pour sçavoir si la Comédie peut estre permise, ou doit estre absolument deffendüe ». Cette lettre anonyme a été écrite par nul autre que le père Caffaro et est favorable au théâtre en s’appuyant sur les écrits de Saint-Thomas :

De ces paroles de Saint THOMAS, il vous est aisé de juger, Monsieur, que sous le nom de jeux il comprend aussi la Comédie, quand il dit : Que ce relâchement de l’esprit, qui est une vertu, se fait par des paroles et par des actions divertissantes. Qu’y a-t-il de plus propre et de plus particulier à la Comédie, qui ne consiste qu’en des paroles et dans des actions risibles et ingénieuses, qui font plaisir et qui délassent l’esprit21 ?

Cette lettre déclencha une nouvelle querelle sur la comédie et la moralité au théâtre. Bossuet, évêque de Meaux, répondit à cette lettre dans ses Maximes et réflexions sur la comédie qui montrent l’immoralité du théâtre et le danger des émotions qu’il suscite sans s’attaquer directement à Boursault. Le père Caffaro se rétracta et se soumit à la volonté de l’évêque de Meaux.

La même année, Boursault fit paraître La Comédie sans titre, revue et corrigée par son véritable auteur et affirma le but de son œuvre « Mon dessein, en faisant cette Piece de Theâtre, n’a pas esté de donner aucune atteinte à un Livre que son débit justifie assez ; mais seulement de satiriser un nombre de Gens de differens caracteres, qui prétendent estre en droit d’occuper dans le Mercure Galant la place qu’y pourroient legitimement tenir des personnes d’un veritable merite22 ».

Boursault connut encore quelques succès avec, entre autres, ses deux plus fameuses comédies : Les Fables d’Ésope et Ésope à la cour. Cette dernière ne fut représentée qu’après la mort de son auteur, en 1701.

Il tomba malade à 63 ans. Après avoir survécu une semaine à une opération il mourut le 15 septembre 1701 à Paris, probablement d’une colique. Il fut inhumé au cimetière des Théatins ; ordre auquel appartenait son fils Chrysostome.

Une œuvre tumultueuse §

Dans la littérature dramatique, il est allé de la farce burlesque à la comédie héroïque, de la pastorale précieuse et galante à la tragédie- Il a écrit des lettres en prose qui font parfois songer à Voiture avec plus de bonhomie ; d’autres mêlés de petits vers, qui rappellent le souvenir de Chapelle et de Bachaumont ou qui forment des véritables anas, des trésors de bons mots, des mines d’historiettes, de quatrains et de facéties-Il a été journaliste ; il a composé des nouvelles et des romans historiques ; des fables et des épigrammes ; il s’est posé en moraliste et a même affiché la prétention d’instruire les souverains ; il a fait des vers satiriques, burlesques et religieux23.

L’homme de théâtre §

Boursault a écrit seize pièces. Celles auxquelles nous allons nous intéresser sont des petites comédies en un acte, inspirées de sujets italiens et espagnols, souvent désignées comme des « œuvres de jeunesse » de l’auteur ; Le Médecin volant représenté en 1661 puis publié en 1664, Le Mort Vivant et Le Jaloux endormy publiés en 1662. Les trois pièces sont mises en relation et décrites ainsi par Taillandier : « des études de style, du style comique du temps. L’invention est confuse, la langue est un peu vulgaire ; çà et là cependant l’entrain, la bonne humeur, une certaine franchise de dialogue, annoncent des qualités aimables et un esprit bien doué24 ». Hiacinthe Boursault quant à elle y voit « les premieres saillies d’un esprit vif et enjoüé, et comme les coups-d’essai d’un génie heureux et facile, qui sans avoir eu dans son enfance aucune teinture de lettres produisoit de son propre fonds, et sembloit n’ignorer de rien, quoiqu’il n’eût jamais rien appris25 ». Le Portrait du peintre ou la contre-critique de l’École des femmes, rédigé lors de son implication dans la querelle de L’École des femmes en 1663 reproche à Molière son réalisme et son habitude au mélange des genres. La pièce se retournera contre son auteur en déclenchant l’écriture de L’impromptu de Versailles par Molière. Il écrivit sa première pièce en cinq actes en 1664 : Les Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point26. Il la réécrivit finalement en une pièce en trois actes, « ôt[ant] tout ce qui lui parut de moins intéressant et de superflu27 ».

À partir de 1665, il composa une pastorale, La Métamorphose des Yeux de Philis changez en astres, inspirée d’un poème de l’Abbé de Cérisy28 très en vogue à l’époque. Sa petite-fille affirme dans son Avertissement au tome I du Théâtre de feu Monsieur Boursault que « L’Auteur pria M de Boursault de donner à son Ouvrage la forme et le jeu d’une Pastorale ». Ce détail est impossible dans la mesure où l’Abbé de Cérisy décède en 1654 ; Boursault n’était alors à Paris que depuis trois ans environ.

La même année, une dame lui demanda d’écrire en secret les paroles d’un opéra destiné au Roi sur le thème de Méléagre. Ce projet n’aboutit pas parce que la surprise fut dévoilée au grand jour et que la commanditaire refusa qu’on la mette en musique. Elle devint tout de même la tragédie lyrique Méléagre qui fut représentée. Sur le même modèle, en 1690, Boursault écrivit La Fête de la Seine pour une soirée donnée par la duchesse de Brunswich.

Les Fables d’Ésope, en 1690, insufflèrent un nouvel air dans l’œuvre de Boursault : il décida de transposer les fables d’Ésope sur scène en comédie héroïque. La pièce a lieu en Orient, à la Cour de Crésus, roi de Lydie mais elle fait allusion aux mœurs contemporaines des spectateurs. Ce nouveau genre fut un succès : la pièce fut jouée de nombreuses fois, on en fit plusieurs éditions en France mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie. Par la suite, la pièce fut rebaptisée Ésope à la ville. Ésope à la cour n’a pas pu être corrigé par Boursault mort prématurément. Elle ne fut représentée qu’après la mort de l’auteur le 16 décembre 1701, telle qu’il l’avait laissée et avec des suppressions faites lors de la représentation.

En 1691, Phaëton, une autre comédie héroïque en vers libres n’eut pas le succès espéré : Boursault en attendait un succès plus important que celui remporté par Les Fables d’Ésope, mais la promotion faite par les comédiens, le succès qu’ils en espéraient (ils auraient refusé de jouer toute autre pièce que celle-ci) a développé, selon Hiacinthe Boursault, une cabale d’auteur qui ont détruit la pièce aux yeux du public qui en fut déçu, y compris ceux qui ne l’avaient pas vu représentée. Fort heureusement, Les Mots à la mode, une petite pièce qui comme son titre l’indique porte sur les tournures et les expressions à la mode au XVIIe siècle, furent plutôt bien reçus en 1694, « avec beaucoup d’applaudissement et de plaisir29. ».

Boursault, écrivain en tout genre §

Boursault écrivit des nouvelles historiques : Le Marquis de Chavigny, Artémise et Poliante en 1670 et Le Prince de Condé en 1675. Ne pas croire ce qu’on voit publié en 1670 « sans nom d’auteur » à en croire Hiacinthe Boursault. Il s’agit d’un roman à l’espagnole « si divertissant et d’un stile si enjoüé, qu’on l’a souvent attribué à Scarron : c’est en faire un grand éloge30. » qui s’inspire de Calderón.

Il écrivit un seul essai en 1671, La Véritable Étude des souverains destiné à l’éducation du Dauphin. Boursault y démontre l’importance de l’éducation morale pour un prince.

Boursault écrivit très peu de poésie. Il s’agit de poésie de louange Ode au Roi ou encore Les Litanies de la Sainte Vierge publiées pour la première fois en 1661 puis en 1667. En1672, il publia un Sonnet aux hollandois qui célèbre la gloire du Roi Soleil duquel les Hollandais devraient se méfier, le craindre et le respecter.

Boursault rédigea un nombre considérable de lettres. Elles constituent la majorité de son œuvre. Ses lettres privées fournissent un témoignage de l’époque classique en rapportant les actualités de la Cour. Ses lettres sont d’autant plus intéressantes qu’elles contiennent des vers, des fables, des contes. Elles furent rassemblées dans Lettres nouvelles de Monsieur Boursault publiées en 1697.

Il réalisa aussi des romans épistolaires publiés à partir de 1666 : Lettres de respect, d’obligation et d’amour ou Lettres de Babet et Treize Lettres amoureuses d’une dame à un cavalier. Elles furent éditées en 1738 dans un recueil de lettres.

Cependant, ses gazettes n’ont jamais été éditées.

Lieux et conditions de représentation des pièces §

Le théâtre du Marais §

Le Jaloux endormy a été représenté au théâtre du Marais. Il se situe dans la rue Vieille-du-temple et est aménagé en théâtre par la troupe de Montdory et Le Noir en 1634. Ils occupent la salle jusqu’en 1673, date à laquelle le roi les oblige à fusionner avec la troupe de Molière. Par opposition aux comédiens de la troupe du Roi de l’Hôtel de Bourgogne, ils sont appelés les Petits Comédiens. Le Marais restera souvent dans l’ombre de l’Hôtel de Bourgogne qui tente à plusieurs reprises de le déstabiliser.

Il nous est possible de connaître l’état de la salle après l’incendie du 15 janvier 1644 grâce au Mémoire de ce qu’il fault faire au jeu de paume des Marets en date du 3 juin 1644. La scène est agrandie, un ciel est ajouté, permettant ainsi l’usage de machines.

La salle du Marais est considérée comme exemplaire, elle servira de modèle pour la restauration de l’Hôtel de Bourgogne en 1647.

L’Hôtel de Bourgogne §

Le Mort vivant et Le Médecin volant ont été représentés à l’Hôtel de Bourgogne. Ce théâtre a été construit en 1548 par la Confrérie de la Passion, société caritative composée de bourgeois et d’artisans de Paris qui a le monopole des représentations théâtrale depuis 1402. À partir de 1578, le lieu est loué pendant des périodes variables, puis de manière permanente à la troupe du Roi à partir de 1629. Ceux qu’on appelle les Grands Comédiens vont y jouer jusqu’en 1680. Ils sont alors remplacés par les comédiens italiens qui y restent jusqu’à ce que le Roi les chasse, en 1697, alors qu’il décide de fermer la salle.

Il est important de noter que jusqu’en 1634, le théâtre des Confrères de la Passion est l’unique salle de théâtre public ayant été conçue et bâtie uniquement pour accueillir des représentations théâtrales. Ce théâtre est en quelque sorte considéré comme la salle officielle parisienne et « le temple du genre sérieux31 ». Il compte parmi ses acteurs des grands noms comme Montfleury et Floridor sous la direction de Bellerose.

Grâce au Devis et marché des divers travaux à exécuter au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne établi le 17 avril 1647, nous connaissons l’état de la salle à l’époque où Le Mort vivant et Le Médecin volant ont été joués. Les dimensions et les équipements du lieu sont semblables à ceux du Théâtre du Marais qui a servi de modèle pour la restauration. Le Médecin volant nécessite l’emploi d’une machine pour faire « voler » Crispin. En outre, la salle de l’Hôtel de Bourgogne peut accueillir entre 1000 et 1100 personnes.

Les conditions de représentation §

Au XVIIe siècle, les conditions de représentations sont loin de celles que nous connaissons aujourd’hui. Les comédiens jouent dans des conditions plus que défavorables. L’éclairage est assuré par de simples chandelles situées à l’avant de la scène au niveau de la rampe ; ce qui contraint les comédiens à jouer sur le devant de la scène. En outre, les scènes sont plutôt petites, comme nous avons pu le constater avec les dimensions des théâtres du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne et ne servent pas seulement à la représentation puisque le public le plus aisé peut assister à la représentation directement sur scène. Ces spectateurs sur scène perturbent les conditions de la représentation : l’illusion théâtrale ne peut être totale. À ce propos l’abbé de Pure rapporte une anecdote qui nous apporte différentes informations :

Combien de fois sur ces morceaux de vers : “mais le voici…mais je le vois…”, a-t-on pris pour un comédien et pour le personnage qu’on attendait des hommes bien faits et bien mis qui entraient alors sur le théâtre et qui cherchaient des places après même plusieurs scènes déjà exécutées32 ?

Ceci nous éclaire sur le réalisme des costumes ou plutôt la réalité qu’ils incarnent, au point de ne pas pouvoir distinguer le courtisan du personnage. Concernant nos trois pièces, nous disposons de peu d’informations. Les seuls costumes décrits sont ceux des déguisements. Ainsi, dans Le Médecin volant, Crispin-médecin est identifié grâce à sa soutane. Gusman, dans Le Mort vivant, porte une « roupille ». Malgré ces indications, la description des déguisements est assez sommaire. Les costumes des autres personnages n’étant pas décrits nous pouvons supposer qu’ils n’ont pas de particularité. Toutes ces contraintes réduisent considérablement l’espace de jeu des comédiens, sans compter qu’il faut prévoir sur scène un espace dédié aux coulisses : les mouvements des comédiens en sont donc réduits. Le parterre quant à lui est bruyant : comme il s’agit de la partie du théâtre où le prix de la place est le plus bas, le public y est populaire. À cette époque, on ne vient pas au théâtre uniquement pour voir la représentation : on vient aussi pour se faire voir dans le cas des plus grands ou tout simplement pour discuter comme on le ferait sur une place de village.

Quant au décor, les techniques évoluent de manière considérable au cours du XVIIe siècle. Tout comme pour les costumes, le spectateur du XVIIe siècle retrouve au théâtre les bâtiments qui lui sont familiers et ce, qu’importe le sujet de la pièce. Il s’agit d’un moyen de plaire au public en lui représentant sur scène des lieux qu’il connaît bien et qu’il aime revoir sur scène. Dans la seconde moitié du siècle, les décors multiples sont peu à peu abandonnés et laissent place à un décor unique, plus respectueux de l’unité de temps. Les trois pièces que nous étudions impliquent un décor unique sauf dans le cas particulier du Mort vivant. Il s’agit d’une pièce en trois actes ce qui autorise donc l’auteur à un changement de décors entre les différents actes. Nous pouvons supposer que les deux premiers actes nécessitent un décor avec un jardin à l’abri des regards et un lieu de passage comme une place par exemple. Pour le troisième acte, aucun doute possible dans la mesure où la scène de reconnaissance a lieu dans une auberge qui n’apparaissait pas précédemment. En outre, nous n’avons aucune indication précise qui nous permettrait de nous représenter précisément le décor des trois pièces.

Dramaturgie générale des trois pièces §

Particularité des personnages de comédie §

Les personnages comiques nous apparaissent souvent comme des fous ou des extravagants qu’on ne saurait inclure dans l’humanité33.

Les personnages de comédie impliquent une mise à distance qui n’est pas évidente concernant les personnages tragiques. La description que la pièce fait d’eux nous amène à établir une distance. La condamnation morale que nous faisons de leurs actes en est le plus souvent la cause. Ainsi, dans Le Jaloux endormy, la jalousie et la méchanceté hyperbolique de Spadarille nous invitent à le juger et à le condamner, aidé par le jugement des autres personnages à son égard. Un seul trait de caractère prend le pas sur tous les autres et nous fait oublier les bons côtés qu’il pourrait avoir ; ce n’est pas le but de la comédie. L’amplification du caractère fait faire au personnage des gestes répétitifs à l’image de Spadarille qui est obnubilé par ses cadenas, lui faisant même oublier les règles de politesse à l’égard des hôtes qui se présentent chez lui : à la scène 2 il coupe la parole de Cléandre venu se présenter devant lui pour partir à la recherche de verrous :

Mais Monsieur, mais Madame,
J’ai des soins à donner autre part que vers vous,
Avec mes cadenats j’ay besoin de verroux,
Près de mon Serrurier il est temps de me rendre ;
Pour pouvoir me parler il ne faut que m’attendre,
Si je trouve mon fait, je reviens sur mes pas,
Si je ne trouve rien, je ne reviendray pas.
Bon jour. (v. 120-127)

Cette attitude ne fait que renforcer l’éloignement entre le spectateur et le personnage. Ce phénomène d’amplification conduit à la construction de caractères voire d’emplois à partir d’un trait de caractère amplifié. Cette absence de caractère et de personnalité propre permet le réemploi d’un personnage d’une pièce à une autre, mais aussi d’une langue à une autre ou d’une civilisation à une autre sans effectuer de changement. Le Médecin volant en est un bon exemple, il est le fruit d’une longue et prolixe tradition littéraire. En outre, la rupture qui existe entre le personnage de comédie et le spectateur est renforcée par la supériorité de ce dernier sur le personnage de théâtre. Dans les trois pièces ce phénomène est plus qu’évident : le spectateur est le complice de tous les trompeurs, il en sait autant qu’eux et ne peut voir que d’un œil ironique les agissements des personnages dupés.

Obéir aux règles de son temps §

Nous avons pu le voir précédemment, Le Médecin volant, Le Jaloux endormy et Le Mort vivant respectent l’unité de lieu. Intéressons-nous donc désormais à l’unité de lieu qui lui est intimement liée. En effet, l’unité de lieu apparaît tout d’abord comme une simple dépendance de l’unité de temps : si l’auteur veut respecter l’unité de temps il faut donc nécessairement que sa pièce ait lieu en une seule et même place ou tout au plus dans des endroits où les personnages peuvent se rendre en vingt-quatre heures. À première vue, nous pouvons supposer que l’unité de temps est respectée dans les trois pièces. Dans Le Médecin volant et Le Jaloux endormy il n’y a pas d’indices temporels particuliers qui marquent une avancée dans le temps. En ce qui concerne Le Mort vivant, le dernier acte se déroule de nuit comme peuvent en témoigner les allusions faites à la « nuict » (v. 696) ou encore à l’aurore qui n’est pas prête de revenir :

La courriere
Qui du flambeau du jour commence la carriere,
N’est pas encore preste à faire son retour (v. 707-709).

Si nous nous intéressons à l’unité de lieu la conclusion est différente. Le Médecin volant donne une localisation précise, « devant la maison de Fernand », qui implique donc peu de changements de lieu possibles ; l’action est concentrée autour de la maison de Fernand. Le jaloux endormy et Le Mort vivant ont des localisations beaucoup plus vastes, le lieu donné pour référence est une ville entière, respectivement Toulon et Séville. Ceci implique des changements de lieu beaucoup plus souples. Pour la première des deux pièces, l’action semble concentrée autour d’un même lieu, la maison de Spadarille et d’Olimpie pour que le jeu d’enfermement puisse avoir lieu. Dans la seconde pièce, il n’est pas évident que l’action implique un seul lieu. Les deux premiers actes peuvent se dérouler dans un même lieu, un « jardin » comme le précise Gusman. Le dernier acte, quant à lui, a lieu dans une auberge.

En ce qui concerne l’unité d’action seul Le Jaloux endormy pose problème pour une raison très simple. Nous sommes face à une exposition problématique comme nous le verrons par la suite : le texte de la première édition ne précise pas le plan monté par Alcidor et Cléandre pour tromper le jaloux Spadarille et délivrer Olimpie ; tous les fils de l’action ne sont donc pas noués lors de l’exposition et défaits au dénouement. En ce qui concerne le troisième point, Scherer explique : « le développement de l’intrigue principale aussi bien que des intrigues accessoires dépend exclusivement des données de l’exposition, sans introduction tardive d’événements dus au hasard pur34 ». Cela sous-entend que toutes les actions s’enchaînent de manière nécessaire sans que le hasard ne soit convoqué. Ce point est difficile à satisfaire pour de nombreux dramaturges du XVIIe. Ils doivent effectivement lutter contre un goût du public pour les événements inattendus qui viennent entrainer un dénouement différent de celui pressenti lors de l’exposition. Nous pouvons donc nous interroger sur le fondement du deuxième déguisement de Crispin dans Le Médecin volant. Le valet est contraint d’inventer un nouveau stratagème parce qu’il croise Fernand dans la rue, comme par hasard, alors qu’il est en habit de valet. Ce déguisement ne semble pouvoir être justifié que pour mettre à nouveau en scène les talents du comédien qui joue Crispin et en faire un médecin volant au sens propre du terme. Il n’est nullement motivé par une contrainte de l’intrigue. Dans Le Mort vivant, le mariage entre Fabrice et Stéphanie qui semble être une cause totalement perdue tout au long de la pièce est permis par le dévoilement soudain de l’identité du père de la jeune femme qui est aussi celui du jeune homme qu’elle aime. C’est un coup de théâtre : aucun élément n’annonce cet événement et cause un revirement de l’action. Le personnage d’Henriquez de Galas n’intervient que pour le dénouement de la pièce, pour dévoiler la véritable identité de Stéphanie et rendre le dénouement possible. Nous pouvons le comparer à une sorte de deus ex machina. Intéressons-nous désormais au dernier point et non des moindres : « chaque intrigue accessoire exerce une influence sur le déroulement de l’intrigue principale35 ». Ce point est assez complexe à étudier. Scherer fournit donc des éléments qui nous permettent d’y voir plus clair. Pour que l’intrigue principale et les intrigues accessoires soient liées, il faut tout d’abord que l’intrigue principale influence les intrigues accessoires. Mais il faut aussi nécessairement que l’intrigue principale n’ait lieu que grâce à l’existence de l’intrigue accessoire. Celle-ci doit influencer l’intrigue principale qui, en quelque sorte, en est le résultat. La subordination qui existe entre l’intrigue principale et les intrigues accessoires se fait de l’accessoire vers la principale. Dans les trois pièces, les déguisements de Crispin en médecin, de Gusman en ambassadeur et d’Olimpie en Aspasie servent l’intrigue principale et permettent sa réalisation.

Les unités d’action et de lieu impliquent une donnée de la structure externe de la pièce : la liaison des scènes. Chaque scène, dans les trois pièces, correspond à l’entrée ou à la sortie d’un personnage, ce qui représente déjà un premier niveau d’enchaînement. Cependant, la nécessité de la liaison des scènes est plutôt motivée avant tout par des contraintes matérielles. Nous l’avons dit, seul l’avant de la scène est éclairé, il faut donc que le comédien arrive depuis les coulisses jusqu’à l’avant-scène. Pendant ce temps-là, le temps doit être meublé. Les auteurs préfèrent donc un monologue, fut-il, maladroit à un silence. Ce phénomène est clairement visible dans la structure du Médecin volant. Sur les vingt-cinq scènes que compte la pièce, huit sont des monologues. En outre, pour que les scènes soient liées il est nécessaire qu’il y ait une évolution dans l’action sans que la scène ne soit cependant vide à aucun instant. L’abbé d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre, distingue quatre sortes de liaisons de scènes : de présence, de recherche, de bruit et de temps. La liaison de présence est la seule qui soit utilisée dans les trois pièces ; elle est la forme de liaison la plus couramment utilisée dans le théâtre du XVIIe. Elle a lieu lorsqu’un même personnage reste sur scène d’une scène à l’autre. Nous avons relevé le cas vingt-et-une fois dans Le Médecin volant (entre toutes les scènes de la scène 1 à la scène 20 puis de la scène 22 à la dernière scène), dix-sept fois dans Le Mort vivant (entre toutes les scènes de la scène 2 de l’acte I jusqu’à la fin de l’acte puis de la première scène de l’acte II à la scène 6 du même acte et enfin entre toutes les scènes de l’acte III) et quatorze fois dans Le Jaloux endormy (entre toutes les scènes de la pièce). La liaison entre les scènes 21 et 22 du Médecin volant se fait par le biais de la vision : Philipin est seul sur scène mais il dit voir Crispin sauter par la fenêtre au vers 427. Le lien entre ces scènes n’est pas très rigoureux ce qui est confirmé par les didascalies : à la scène 20 Fernand est « seul » sur scène puis à la scène 21 Crispin est « à la fenestre » et enfin à la scène 22 Philipin sort de scène alors que son maître était censé être seul deux scènes avant. Par cette analyse, nous avons pu remarquer que certaines scènes ne sont pas liées. Dans Le Médecin volant, c’est le cas entre les scènes 20 et 21 ; la scène 20 est un monologue de Fernand qui s’enchaîne avec un monologue de Crispin « à la fenestre ». Le cas du Mort vivant dépasse le simple souci de la liaison des scènes puisqu’il est aussi divisé en trois actes. Entre l’acte I et l’acte II, un même personnage, Fabrice, reparait. Cet usage n’est pas apprécié par les critiques et l’abbé d’Aubignac le précise clairement « le même acteur qui ferme un acte ne doit pas ouvrir celui qui suit36 ». Ceci s’explique aisément, il faut qu’il y ait une rupture entre les actes pour que le découpage en actes soit justifié, pour cela quoi de plus simple que de changer de personnages d’un acte à un autre. La rupture que marque l’entracte est l’occasion de s’occuper d’événements qui ne feraient pas progresser l’action ou qui seraient trop longs, trop ennuyeux à représenter sur scène. Cependant, dans le cas de Fabrice, il part à la fin de l’acte I en compagnie de Gusman pour préparer le déguisement de ce dernier comme il le dit aux vers 340 à 342 puis son ami Lazarille le rejoint au début de l’acte II pour lui montrer une lettre de son oncle. Une action a donc eu lieu hors-scène justifiant l’entracte : une action suffisamment courte pour que le passage d’un acte à l’autre ne soit pas invraisemblable. En outre, l’action du deuxième acte semble commencer dans un nouveau lieu puisque c’est Lazarille qui vient trouver son ami. Le passage de l’acte II à l’acte III est plus conventionnel, les personnages tout comme le lieu de l’action sont différents. Boursault respecte la tradition selon laquelle chaque acte doit développer une scène plus importante que les autres, un clou de l’intrigue. Dans l’acte I, le clou se trouve dans les scènes 5 et 6 qui mettent en place l’amour des deux jeunes hommes pour la même femme, pour l’acte II il s’agit naturellement de l’apparition de Gusman déguisé en Ambassadeur d’Afrique durant les scènes 2 et 3 et enfin concernant l’acte III, la scène finale qui modifie le dénouement attendu par le spectateur.

Nous ne nous intéresserons pas au couple vraisemblance et bienséance qui n’est pas important dans les petites comédies. Contrairement à la tragédie, le théâtre comique est indifférent à ces critères sauf dans la comédie sérieuse.

Relevons par exemple les principales invraisemblances de nos petites comédies qui ne sont cependant pas perçues comme telles puisqu’elles font partie de la construction de la pièce. Dans Le Médecin volant la scène de l’urine très développée peut certes choquer le public de l’époque mais ce surdéveloppement ne permet pas l’enrichissement comique de la scène ; cela n’apporte rien de plus pour l’évolution de la pièce. En outre, le fait qu’un vrai médecin ne reconnaisse pas l’imposture de Crispin le rend ridicule. Ceci s’inscrit dans la tradition comique contre la médecine très développée au XVIIe siècle. Dans Le Jaloux endormy, il est totalement invraisemblable que Spadarille ne cherche pas à mettre Olimpie et Aspasie en présence l’un de l’autre dès que naît son soupçon quant à l’identité de cette dernière. Sa première réaction en voyant arriver Olimpie déguisée est la bonne : il reconnaît la jeune femme de loin mais en la voyant de près il se laisse duper par les dires de Cléandre et d’Aspasie, ce qui est tout de même assez paradoxal. En ce qui concerne Le Mort vivant, l’arrivée d’Henriquez de Galas au troisième acte permet de dénouer toute l’intrigue. Il arrive comme un sauveur mettant fin au déguisement de Gusman en esprit mais aussi au conflit entre Fabrice et Lazarille pour la main de Stéphanie. Il est invraisemblable qu’un seul homme vienne permettre un tel dénouement d’autant plus qu’il n’apparaît qu’au dernier acte.

Une contrainte externe peut être relevée. Prenant en compte les conditions déplorables dans lesquelles nous avons vu que les comédiens jouaient, il est évident que l’entrée en scène et la tentative de capter l’attention des spectateurs n’est pas des plus aisées. Cette contrainte explique les longueurs que nous pouvons reprocher à nos trois expositions qui semblent nous placer dans une narration plutôt que dans un texte de théâtre.

L’héritage de la commedia dell’arte §

Les trois pièces que nous étudions sont des pièces courtes ; Le Médecin volant et Le Jaloux endormy sont des comédies en un acte et Le Mort vivant une comédie en trois actes. Elles relèvent donc de la tradition des petites comédies.

Claude Bourqui affirme concernant un spectacle de commedia dell’arte que :

L’intrigue d’un spectacle de commedia dell’arte sera donc négligée sur le plan de la construction, dans le sens où celle-ci ne résulte pas d’une savante architecture porteuse de sens et destinée à ménager des effets de suspens et de surprise ainsi qu’il en va dans le théâtre classique français37.

Il n’y a effectivement aucun suspens qui est ménagé dans nos trois pièces. Nous savons qu’inévitablement le dénouement conduira au mariage. Il n’est plus nécessaire que tous les personnages soient heureux à la fin de la pièce, le mariage est suffisant. La situation des barbons en est la preuve : dans Le Jaloux endormy Spadarille se retrouve sans femme et enfermé dans son propre piège par Alcidor, dans Le Mort vivant, Ferdinand qui espérait épouser Stéphanie en récompense de ses services se retrouve seul et gentiment remercié par Henriquez et dans Le Médecin volant, Fernand sera inconsciemment contraint par sa fille de faire ce qu’elle voulait ; sa maladie feinte et la découverte de la tromperie du jeune homme aboutit au mariage tant rêvé.

La fin vient simplement se greffer sur les péripéties accumulées. Elle n’est rien d’autre elle-même qu’une péripétie supplémentaire qui présente la particularité de fixer un état des rapports entre les personnages, état que le spectateur identifie comme un signal d’achèvement du spectacle. Son caractère artificiel ne pose pas de problème et se révèle, à un certain degré, souhaitable. En délivrant, pour mettre un terme à la pièce, une information qui avait été simplement retenue jusque-là, on confère une impression de dérisoire : toute cette agitation aurait été vaine si les personnages avaient su dès le début qu’ils étaient frère et sœur, père et fils38.

L’illustration la plus probante de ce phénomène est le dénouement du Mort vivant : Lazarille et Stéphanie apprennent qu’ils sont frère et sœur et qu’ils ne peuvent donc pas se marier. Le triangle amoureux qu’ils composaient avec Fabrice tombe et il n’y a plus de tensions entre les deux amis puisqu’un seul peut se marier avec la jeune femme. Toute la pièce reposait sur ce secret dévoilé uniquement au dénouement et détruit ainsi le couple incarné par Lazarille et Stéphanie que le spectateur s’attendait à voir unie à la fin de la pièce. Le dénouement n’est donc pas la suite naturelle des événements précédents.

Tout comme dans la tradition de la commedia dell’arte, les personnages n’évoluent pas au cours des trois pièces. Quoi qu’il advienne, leur comportement est constant, rien ne vient le perturber. Nous pouvons voir cela dans l’attitude de Lazarille à la scène 1 de l’acte II du Mort vivant : Fabrice a beau lui suggérer que la lettre est peut-être un faux, le jeune homme reste sur sa première pensée et permet ainsi à la ruse de Gusman d’être efficace.

L’amour des différents jeunes gens est un sentiment ressenti dès le début de la pièce, nous n’assistons pas à la naissance de celui-ci. Il est essentiel à la définition de leur personnage et ne changera pas comme le montre la réaction de Lazarille à la scène 7 de l’acte III lorsqu’il apprend que Stéphanie est sa sœur et qu’il ne peut donc pas l’épouser « Ô disgrace ! » (v. 919). Sans cet amour il n’a plus de raison d’exister, fort heureusement la pièce se termine.

Le style comique §

Le style comique s’appuie sur la rhétorique. Nous pouvons relever par exemple sa tendance à élargir une situation particulière à une tendance générale. Ceci se manifeste par l’emploi de l’article indéfini à la place d’un article possessif qui « gomme les aspects spécifiques de la scène pour en souligner la dimension archétypale39 ». Ainsi dans Le Jaloux endomy, dans la première scène Spadarille évoque « les femmes » (v. 19) avant de passer à « ma femme » (v. 24).

Pour renforcer ce phénomène, nous pouvons noter l’usage du présent gnomique qui contribue à élargir la portée de la situation jouée sur scène et de la rendre la plus objective possible. Dans Le Jaloux endormy, nous pouvons relever le discours prononcé par Spadarille lors de la première scène alors qu’il énonce à sa femme les raisons de son enfermement. Nous pouvons relever pour exemple les vers 41 et 42 qui se présentent comme des maximes : « Nous savons mieux que vous ce que ces autres font, / Et ne pretendons pas devenir ce qu’ils sont. ». L’emploi de la première personne du pluriel permet d’élargir la portée des paroles de Spadarille qui ne parle plus pour lui seul mais au nom de tous les hommes qui subissent les actions de leur femme infidèle. Il en va de même dans les vers 27 et 28 « Que si vostre Mary dans ce lieu vous enferme, / C’est qu’il croit votre honneur n’estre pas assez ferme, ». Spadarille parle de lui à la troisième personne du singulier se détachant de son discours en faisant donc une ligne de conduite à suivre, la parole d’un autre. Cette construction permet par exemple de pouvoir comparer les discours de Spadarille et d’Arnolphe sur la nécessité d’enfermer les femmes.

La comédie se fait donc le porte-parole d’une culture et d’un temps comme en témoignent les expressions conventionnelles que nous pouvons retrouver dans de nombreuses pièces du XVIIe siècle. À travers ces paroles « le personnage prend moins position à titre personnel que comme porte-parole d’une culture40. »

Depuis Corneille, le parler familier et les images du quotidien sont introduits dans le style de la comédie. Boursault ne se prive pas de cette nouveauté. Nous pouvons trouver dans ses pièces des allusions au jeu de cartes, dans Le Médecin volant « taupe à tout » (v. 426) dans Le Jaloux endormy l’allusion à la « prime » (v. 92 et 94) ou encore à la chasse au v. 171 de la même pièce « droit de chasse ». En outre, le grand dramaturge insuffle une autre caractéristique au langage comique, il introduit l’émotivité. Les personnages comiques ont ainsi accès à des sentiments qui leur donne un minimum de relief. Ceci peut apparaître dans le vocabulaire mais aussi dans les « diverses exclamations et appuis du discours, qui permettent aux comédiens de précieux effets d’intonation et d’inflexion41 ». Les trois pièces sont riches en ce genre d’expression, nous ne relèverons donc pas les nombreuses occurrences de « Ah » ou « Oh » qui les ponctuent.

Un dénouement caractéristique : le mariage §

Les trois pièces de notre corpus sont construites sur le même principe : union, obstacle puis réunion. Toute l’intrigue tend vers le dénouement qui est le mariage. Il constitue l’unité d’action des trois pièces malgré les ruptures qu’entraînent les différentes scènes de reconnaissances qui donnent à l’action une orientation nouvelle, comme c’est le cas par exemple dans Le Médecin volant lorsque Crispin est reconnu par Fernand en habit de valet, ce qui l’oblige à inventer un nouveau stratagème pour ne pas être reconnu comme le valet de son maître. Plus exactement la base de l’élaboration des comédies est le mariage, le reste de l’intrigue se construit autour de cela comme l’explique Georges Forestier dans un de ces articles :

Dans la comédie il existe un invariant structurel, le mariage final, qui constitue paradoxalement le point de départ de la composition de l’œuvre. Le nœud de l’intrigue repose donc inéluctablement sur l’inversion du dénouement ainsi posé, c’est-à-dire sur le développement d’obstacles au mariage – fourbe qui sépare les amants, autorité qui s’oppose à leurs vœux, etc42.

Dans Le Médecin volant, le déguisement du valet est motivé par l’union de Cléon et Lucresse à laquelle Fernand semble s’opposer pour une raison inconnue. Le dénouement conduit à la découverte du stratagème du jeune homme qui est « puni » par Fernand qui lui demande d’épouser sa fille pour réparer l’insulte qu’il lui a faite : le mariage était justement l’objectif des deux jeunes gens. La dernière réplique de Crispin annonce aussi son mariage avec la servante de Lucresse, Lise. Aucune intrigue amoureuse secondaire n’a cependant été développée au cours de la pièce, le spectateur se retrouve devant le fait accompli au dénouement, comme si le mariage du maître entraînait nécessairement le mariage du valet sans que celui-ci n’ait eu besoin de manifester un intérêt pour la servante.

Dans Le Mort vivant, Lazarille et Fabrice veulent tous les deux épouser Stéphanie, la fille de Ferdinand. Seulement, ce dernier n’étant que le père adoptif se révèle bientôt être un rival de plus pour Fabrice qui connaît la passion de son ami pour la jeune femme sans que celui-ci n’ait percé le sien au jour. Stéphanie a promis quant à elle sa main à Lazarille, son premier prétendant, il l’est déjà avant le début de la pièce, avant que Ferdinand puis Fabrice ne viennent lui déclarer à leur tour leur flamme. Fabrice déçu dans son amour fait tout pour que son ami parte de Séville et pouvoir ainsi être le seul prétendant : son valet Gusman rédige une fausse lettre indiquant la mort d’Henriquez de Galas et se déguise en ambassadeur d’Afrique soi-disant amoureux de Stéphanie et venu spécialement pour demander sa main. Le dénouement modifie l’attente du spectateur : le mariage a bien lieu, cependant, comme Henriquez de Galas le père de Lazarille se révèle être aussi celui de Stéphanie les deux jeunes gens ne peuvent donc se marier. Fabrice, pourtant auteur de deux stratagèmes contre Lazarille obtient la main de Stéphanie de la part d’Henriquez de Galas qui oublie les actions du jeune homme pour tenter de parvenir à ses fins. Comme dans toute comédie impliquant un barbon amoureux, les espoirs de Fernand sont déçus.

Dans Le Jaloux endormy, la seule femme qui apparaît sur scène est déjà mariée au début de la pièce : Olimpie est aux mains de Spadarille gouverneur de Toulon et jaloux qui la tient enfermée. L’intrigue consiste en la délivrance de la jeune femme par le premier prétendant de celle-ci, Cléandre à qui le père avait préféré Spadarille en raison de son rang social. Le père conscient de son erreur est le commanditaire des actions du jeune homme qui, s’il réussit, obtiendra la main d’Olimpie. Cependant, même si Cléandre et Olimpie parviennent à s’enfuir ensemble, l’annonce de leur mariage n’est pas directement formulée sur scène. La pièce se clôt sur les protestations de Spadarille qui s’est retrouvé pris à son propre piège et se retrouve sans femme.

L’écriture de Boursault §

Boursault est avant tout un auteur comique. Sa morale, il a réussi à la transmettre, non pas directement à travers les proverbes mais indirectement en ayant recours aux pointes, parfois féroces, des expressions proverbiales qui caractérisent un personnage et la situation dans laquelle il se trouve, et qui rendent son langage beaucoup plus vrai et naturel43.

Boursault, loin de pouvoir être comparé à Molière dans la virtuosité de l’écriture et l’ingéniosité du choix des mots, tente cependant d’avoir une originalité lexicale. L’étude de son lexique est importante dans l’œuvre d’un homme qui ne maitrisait pas le français en arrivant à Paris et qu’on dit être devenu un homme qui la manie adroitement et sait la dompter. D’après la thèse d’Hana Baalbaki, le lexique de Boursault est aussi riche que celui du grand dramaturge. Dans les trois comédies les mots les plus grossiers côtoient des mots poétiques. Certains usages témoignent de sa recherche lexicale. En effet, certains mots ne sont pas employés dans ses pièces dans leur usage ordinaire même s’ils restent compréhensibles grâce au sens impliqué par le contexte. Dans Le Jaloux endormy, le verbe « rechausser » (v. 259) est appliqué à un gant et non à une chausse ou « toute autre couverture de jambe » (Furetière) ; il en va de même pour l’expression « confondre sa rente » (v. 95) dont nous ne trouvons aucune allusion dans les dictionnaires de l’époque mais que nous pouvons aussi comprendre. Ces deux expressions sont prononcées par Spadarille. Nous pouvons faire le même constat dans Le Mort vivant. Boursault met l’expression « sirop de la vigne » (v. 438) dans la bouche du valet Gusman ; elle n’apparaît pas telle quelle dans les dictionnaires : chez Richelet, le mot « sirop » désigne à lui seul le vin dans un vocabulaire bas, chez Rabelais nous pouvons trouver l’expression « sirop vignolat44 ». L’expression « sirop de la vigne » semble être un condensé des deux expressions et être un témoignage de la condition sociale du personnage. En outre, Boursault utilise des mots hors d’usage comme « trépassant » (v. 6) dans Le Mort vivant ou dans Le Jaloux endormy « paraistre marry » (v. 293), expression au sujet de laquelle Callières remarque que :

Les mots de déplaisant et de marri […] n’ont plus gueres d’usage. Un homme du monde auroit dit ; j’ay bien du déplaisir de votre indisposition, au lieu de dire qu’il en est déplaisant ; et en la place du mot de marri, il se seroit servy de celuy de fâché, qui signifie precisément la même chose, et qui l’a presque entierement banny du commerce des gens qui parlent bien45.

ou encore des mots vieillis comme « huys » (v. 265) dans Le Jaloux endormy. Nous pouvons noter qu’il fait preuve de créativité en insérant dans ses pièces des mots non répertoriés dans les dictionnaires et construits par analogie. Le Mort vivant est la pièce qui contient le plus d’occurrences construites ainsi : « indupable » (v. 210), « des-Ambassade » (v. 506), « Ambassadant » (v. 504) ou encore « Ambassadrice » (v. 502), tous ces mots se retrouvent dans la bouche de Gusman qui se révèle être un valet très créatif mais ces originalités témoignent aussi de sa non-maîtrise du français correct. La langue poétique est aussi présente dans les trois comédies bien que cela se résume à quelques occurrences. Dans Le Mort vivant, nous pouvons relever le mot « couche » (v. 464) qui selon le dictionnaire de l’Académie de 1694 s’utilise rarement dans le vocabulaire ordinaire mais surtout en poésie et dans des formules consacrées telles que « la couche royale ». Il est employé paradoxalement par Gusman dans un contexte grivois qui détruit malheureusement toute la poésie du mot « Que l’honneur de ma couche est un bien sensitif. » (v. 464). Henriquez de Galas, étant l’honnête homme de la pièce, utilise le mot « courriere » (v. 707) à la scène 2 de l’acte II qui constitue une pause poétique dans l’avancée de l’action.

Les trois pièces qui nous intéressent ici sont trois comédies ; par conséquent, la visée du lexique employé par l’auteur est plus qu’évidente : il faut faire rire. Pour cela, Boursault est prêt à tout, y compris au mélange des registres qui lui sera notamment reproché par Fournel dans ses commentaires. Certains personnages des comédies et notamment les valets utilisent en effet un vocabulaire vulgaire mêlé de jurons, de mots familiers et de mots populaires et bas ; nous allons en relever quelques exemples. Peu importe le respect de la bienséance tant que les paroles de ses personnages amusent ceux qui ont payé pour venir le voir. Nous pouvons relever l’usage de jurons comme « vertu-bieu » (v. 254) dans Le Jaloux endormy, « malepeste » (v. 446) dans Le Médecin volant ou encore toutes une série impliquant le diable dans le Mort vivant « vas-t’en au Diable » (v. 636), « que le Diable te gratte » (v. 811) par exemple. Pour ce qui est des mots familiers nous pouvons citer « boire à regorge museau » (v. 676) dans Le Mort vivant ou encore « babillard maudit » (v. 31) dans Le Médecin volant. Concernant les mots populaires et bas, Gusman dans Le Mort vivant parle de « casse-poictrine » (v. 678) ou encore de « vin baptisé » (v. 679) ; mais l’exemple le plus significatif est le jeu de répétition, amplifié par rapport à la pièce de Molière, autour de l’urine et du champ lexical du verbe « pisser » aux scènes 9 et 10 du Le Médecin volant. Dans la même pièce, Philipin met en cause le « pucelage » (v. 80) d’Olympie comme explication de sa maladie. Ce mot considéré comme grossier n’apparaît plus à l’époque de l’écriture que dans les discours burlesques. Dans Le Mort vivant, la vulgarité dépasse les simples termes employés ; c’est plutôt le non respect des usages qui fait le discours vulgaire. Ainsi, à la scène 3 de l’acte II, Gusman-Ambassadeur d’Afrique décide de faire sa cour à Stéphanie lui-même, trouvant que Lazarille est trop soupirant. Seulement, il parle à la jeune femme de manière crue et pleine d’allusions grivoises « Et dès ce mesme jour l’un et l’autre conjoints, / A grossir nostre race appliquer tous nos soins. » (v. 539-540) tant et si bien que Stéphanie quitte la scène outrée :

Donc si vostre Excellence a pour moy quelque zele,
Souffrez qu’elle m’en donne une marque plus belle,
Et cachant ce qu’en vous je dois voir de suspect,
Faites naistre un amour qui succede au respect. (v. 573-576)

Boursault continue de jouer sur l’impact d’un tel vocabulaire à la scène suivante. Cette allusion à la sexualité est contraire aux bienséances mais participe à rendre le personnage de l’Ambassadeur ridicule. Lazarille informe Fabrice qu’il veut tuer l’Ambassadeur à cause du manque de respect exprimé par ses paroles « Quoy donc cét homme à qui rien n’est égal, / A si peu de vertus et paroist si brutal ? » (v. 583-584). Ce que les critiques lui reprochent d’avoir inséré dans ses textes comme la faisant verser dans le vulgaire, l’écrivain s’en sert pour faire naître le comique. Cette stratégie n’est certes pas digne d’un auteur de comédie et participe à mélanger la farce grossière et populaire des siècles précédents à la comédie du XVIIe siècle qui se réinvente avec Molière.

Le déguisement ou l’illusion portée à son paroxysme §

L’illusion est une caractéristique fondamentale du théâtre. Les pièces ont pour objectif d’instaurer une reconstruction du « réel » sur scène pour bâtir ce que nous nommons communément l’illusion théâtrale. Au XVIIe siècle, la question de la rupture de l’illusion se pose peu, il s’agit plutôt de s’interroger sur les ressorts mis en œuvre pour que les spectateurs croient en l’illusion ou participent de l’illusion comme nous le verrons avec l’usage du déguisement dans les pièces qui nous intéressent. Il s’agit effectivement d’une création qui n’est pas toujours aisée dans les salles du XVIe siècle. L’illusion doit être construite dans un lieu où règne un certain brouhaha constant, où des spectateurs sont assis sur le lieu même de l’illusion, la scène. Ceci explique notamment les grands moyens employés par les dramaturges pour construire l’illusion et le goût pour le déguisement spectaculaire. Avant d’aller vers de plus amples considérations, intéressons nous au sens que revêt le mot illusion pour les hommes du XVIIe siècle. Richelet parle d’une « Tromperie des sens. Fausse représentation. », Furetière, quant à lui, le définit plus précisément en ces termes « Fausse apparence, artifice pour faire paroistre ce qui n’est pas, ou autrement qu’il n’est en effet. » et relève des utilisations particulières dans les domaines judiciaires, moraux et religieux puisque les illusions représentent les interventions du « Démon » pour tenter l’homme. Les deux dictionnaires mettent l’accent sur la notion d’erreur de jugement qu’impliquent nos sens, seuls outils de notre perception ; thème courant dans la pensée du XVIIe siècle et qui n’est pas sans nous rappeler la première des Méditations métaphysiques de Descartes. Ceci est l’objectif de l’illusion au théâtre : tout est fait pour donner à voir au spectateur des éléments qui lui sont familiers pour faire fonctionner la machine théâtrale.

Dans le cas de la comédie, l’illusion passe aussi par son énonciation. Gilles Revaz décrit le phénomène en ces termes :

Dans son énonciation interne, la comédie invalide les différents actes illocutoires ; cette caractéristique est l’application, au niveau de la parole, de l’utilisation du langage comme jeu dans la comédie. Les personnages jouent avec le pouvoir des mots et jouent de l’illusion référentielle créée par les performatifs. Faire croire à l’existence d’un référent dont le locuteur n’assume pas la réalité, c’est la fonction du mensonge. Les menteurs sont des personnages types de la comédie46.

Ce procédé permet aux différents « menteurs » des pièces de notre corpus de construire leur illusion : le seul fait de dire des réalités les fait exister aux yeux de tous. Ainsi, dans Le Jaloux endormy, bien qu’il soit persuadé de voir arriver Olimpie, Spadarille se laisse convaincre par Cléandre qu’il s’agit d’Aspasie, la fameuse « copie » que le jeune homme chérit sans aucune véritable preuve, sans mettre en présence les deux jeunes femmes, uniquement charmé par les mots. Il en va de même dans Le Mort vivant ; par ses seules paroles, Gusman parvient à faire douter Lazarille de la réalité de son père vivant qui se trouve devant lui. Le Médecin volant ne déroge pas au principe ; alors que Crispin déguisé en médecin s’entretient devant la fenêtre avec son frère pour lui pardonner sa méprise la parole est plus forte que les actes. En effet, Fernand s’appuie sur les paroles de Crispin plus que sur ce qu’il voit : lorsqu’il demande au médecin d’embrasser son frère devant la fenêtre comme le lui a demandé Philipin, il s’enthousiasme d’avoir montré à son valet qu’ils sont deux alors que Philipin précise qu’il n’a rien vu. Il est donc possible de nous interroger sur le pouvoir du mensonge de Crispin sur Fernand qui lui ferait uniquement voir les faits qui ne l’invalident pas. Tout ceci est possible en raison de l’avantage que les personnages de comédie ont sur leurs homologues tragiques : étant des personnes d’un rang moindre, le mensonge est possible sans risquer d’enfreindre les règles de bienséances. Les entreprises de nos héros sont donc permises y compris pour ceux qui ont un rang supérieur aux autres : dans Le Mort vivant, Fabrice n’étant qu’un « petit maître » il peut se permettre de mentir à son ami Lazarille en utilisant les talents de faussaire de son valet Gusman et en le faisant jouer l’Ambassadeur d’Afrique.

Le déguisement est un thème commun aux trois pièces qui constituent notre corpus et marque l’apogée de l’illusion. Ainsi, Boursault s’inscrit dans une tradition caractéristique de son temps : au XVIIe siècle de nombreuses pièces ont une intrigue qui s’appuie sur le déguisement. Nous allons ici nous appuyer essentiellement sur Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars de Georges Forestier. Dans les années 1660, les pièces à déguisements sont en baisse en comparaison de l’apogée qu’elles ont connu dans les années 1650. Cependant les pièces de notre corpus s’inscrivent dans un autre phénomène ; les pièces courtes en un acte connaissent un essor dans ces années-là. Ainsi, dans la période 1660-1669 sur 168 pièces jouées, 63 impliquent un déguisement ce qui équivaut à 38 % des pièces. Toutefois, dans la même période pour 50 comédies en un acte jouées, 18 impliquent une dissimulation d’identité soit 36 des pièces en un acte.

Boursault, dans sa première période d’écriture, va s’appuyer sur le thème de la ressemblance jusqu’aux Nicandres ou les menteurs qui ne mentent point.

Tout d’abord, nous pouvons remarquer que le tour de force du déguisement réside dans le fait de faire passer un personnage pour ce qu’il n’est pas en ajoutant des éléments à son rôle premier. Nous sommes confrontés à différents types de déguisements. Ils sont tous « fondamentaux » compte tenu du fait que l’action ou une partie de l’action repose sur ces déguisements. Nous pouvons distinguer deux types de déguisements : les déguisements « conscients » qui constituent la majorité des déguisements présents dans nos pièces et un déguisement « inconscient » incarné par Stéphanie dans Le Mort vivant. Boursault exploite deux façons de déguiser un personnage : le changement d’identité, tel celui d’Olimpie dans Le Jaloux endormy ou encore le changement de condition, ce qui est le cas de Crispin dans Le Médecin volant et de Gusman dans Le Mort vivant. Il laisse de côté la possibilité de déguisement par changement de sexe. Tous les déguisements conscients impliquent un déguisement physique qui passe inévitablement par un changement de costume annoncé dans les didascalies comme dans Le Médecin volant où Crispin est décrit comme « en soutane » marque de l’habit du médecin au XVIIe ou tut dans les deux autres pièces mais inévitable dans la mesure où les rôles de déguisement n’ont rien à voir avec la condition initiale. Le déguisement introduit une nouvelle donne dans l’économie de la pièce : qu’il le veuille ou non, le personnage déguisé participe lui aussi de l’illusion. Son déguisement vient s’ajouter à son rôle de base. Georges Forestier analyse le déguisement comme un « signe » comparable à un signe linguistique, devenant donc « analysable en terme de signifiant et de signifié : on retrouve ainsi la description de l’ironie verbale, puisque un déguisement présente un signifiant unique et deux signifiés47 ». Etant déguisé, le personnage se met en scène devant un autre personnage qui devient le spectateur de ses faits et gestes et qui réagit devant ses talents de comédiens. S’instaure alors une différence entre les différents personnages de la pièce, entre ceux qui sont victimes de l’illusion et ceux qui en sont complices. Cette différence de savoir met en place l’ironie dramatique. Le personnage déguisé et ses adjuvants sont dans une position ironique vis-à-vis de celui qui est victime du déguisement. Cette ironie s’exerce pleinement dans les pièces de notre corpus d’autant que le public à connaissance de la supercherie et que le seul à ne pas être informé est la victime ; il jouit d’une supériorité permise par le fait qu’il voit toutes les scènes de la pièce. Georges Forestier reprend le modèle actantiel et l’applique au phénomène du déguisement :

L’on a trois actants, un destinateur qui émet son signe à l’intention d’un destinataire pour se moque d’un tiers, « la cible », c’est-à-dire, pour ce qui est du déguisement, l’auteur, le public, et le personnage qui ne peut déchiffrer le déguisement48.

En outre, le déguisement en tant qu’illusion permet de dévoiler la vérité de certain personnage. Nous pouvons reprendre pour les pièces qui nous intéressent la réflexion de John Lyons :

La fausse mort de Rodrigue, par exemple, et celle de Clindor ne préparent pas la découverte que ces personnages sont, en effet vivants ; l’illusion de leur mort permet à d’autres personnages de révéler leurs potentialités cachées. Que ce soit dans le sens d’un dénouement heureux, comme dans Le Cid, ou d’un dénouement funeste comme dans Phèdre, l’illusion aura facilité l’aveu de l’inavouable. C’est là un geste irrévocable49.

Le déguisement permet dans les trois pièces de révéler des sentiments qui n’apparaissaient pas au premier abord chez les personnages. Dans Le Médecin volant, Fernand, en colère, accorde la main de sa fille à Cléon suite au déguisement. Dans Le Mort vivant, le déguisement de Gusman en ambassadeur d’Afrique révèle la fureur qui peut s’emparer de Lazarille lorsqu’on ose manquer de respect à celle qu’il aime et dans Le Jaloux endormy, le déguisement permet d’abuser Spadarille qui semblait portant hors d’atteinte puisqu’il était si rusé et si prévoyant.  

Dans le Médecin volant, le valet Crispin se déguise en médecin pour permettre à son maître Cléon de rentrer en contact avec sa maîtresse Lucresse et pouvoir ainsi l’épouser. L’avancée de l’intrigue le contraint à un nouveau déguisement, il se retrouve obligé de prétendre être le frère du personnage qu’il a créé lors de son déguisement. Il est sa propre victime ; le valet est victime de l’illusion qu’il crée pour duper et se jouer d’un autre personnage. Nous sommes donc dans un cas de multiplication des déguisements ; un même personnage est contraint de revêtir des déguisements successifs, ceci « peut marquer la recherche d’un effet comique de répétition50 ».

Le Mort vivant s’appuie sur deux types de déguisements différents. L’intrigue repose sur des confusions introduites par Fabrice auprès de son ami Lazarille pour que celui-ci renonce à Stéphanie, femme que les deux hommes aiment. Le valet de Fabrice, Gusman, est poussé par son maître à prétendre être l’ambassadeur d’Afrique déplacé jusqu’à Séville pour la beauté de Stéphanie et lui demander sa main. Ce stratagème est possible, d’après Fabrice, grâce à une ressemblance physique entre les deux hommes. Gusman-Ambassadeur d’Afrique doit séduire Stéphanie et évincer Lazarille aux yeux de Fernand et une fois le jeune homme écarté laisser la place à Fabrice ; « Or, à aucun moment, Fabrice, le héros, n’est impliqué dans le jeu de son valet : déjà présent au moment de l’entrée fracassante de Gusman, il se contente d’assister à l’action comme les autres personnages51. ». La mise en présence des deux hommes qui ont échangé leur condition, Gusman-Ambassadeur d’Afrique est d’une condition supérieure à celle de Fabrice qui devient son simple serviteur, n’apporte aucun effet supplémentaire à l’action et ne renforce pas le côté comique du déguisement de Gusman. L’action n’étant pas enrichie, cet effet devient inutile. Le déguisement est abandonné suite à une menace de Lazarille qui compte tuer l’Ambassadeur d’Afrique qui a manqué de courtoisie envers Stéphanie. Gusman apeuré refuse de renouveler le déguisement. Par la suite, Gusman fait l’esprit dans l’auberge où dorment Lazarille et Henriquez de Gallas ne sachant pas qu’ils sont en présence l’un de l’autre. Le valet feint d’être l’esprit du père mort venu pour que le jeune homme parte pour Tolède rembourser un vol qu’il aurait fait et qui l’empêche de pouvoir reposer en paix. Gusman-esprit du père mort se retrouve confronté au père vivant ce qui fait tomber le déguisement : le valet, peureux, renonce au déguisement et fait appel à son maître lorsque Lazarille se fait de plus en plus soupçonneux.

Un deuxième personnage est aussi déguisé : Stéphanie n’est pas la jeune femme qu’elle croit être. Effectivement, elle découvre au début de la pièce qu’elle n’est pas la fille de Ferdinand et à la fin de la pièce qu’elle est la fille d’Henriquez de Gallas et donc la sœur de l’homme à qui elle avait promis sa main. Habituellement, dans les pièces où le déguisement est inconscient, la cause de celui-ci est une disparition ou un enlèvement qui est antérieur au début de la pièce. Le cas de Stéphanie est un peu différent : sa mère est venue accoucher chez Fernand et la lui a confiée en attendant qu’on vienne la reprendre en lui montrant un demi-anneau qui complèterait celui que la mère lui a confié. Cependant, comme le souligne Georges Forestier : « Toutefois le plus grand nombre d’entre eux [les déguisements inconscients] ne méritent pas d’être pris au pied de la lettre. Ils sont de simples explications destinées à justifier la situation sur laquelle a reposé tout ou partie de l’intrigue, et ils sont de pure convention52 ». Le déguisement inconscient de Stéphanie permet effectivement de justifier la fin de la pièce et de permettre le dénouement heureux caractéristique de la comédie : tous les jeunes gens trouvent ainsi leur bonheur alors que la pièce n’offrait qu’une seule jeune femme à marier pour deux jeunes hommes et les plans du barbon se trouvent contrecarrés.

Le Médecin volant et Le Mort vivant peuvent être rapprochés sur plusieurs points. Dans ces deux pièces, le personnage déguisé est celui du valet qui se déguise pour obéir à son maître et agit indépendamment de celui-ci. Il s’agit donc d’un déguisement imposé. Ce fait est courant au XVIIe, période de l’essor du rôle du valet par rapport à celui de la suivante en matière de déguisement : « Contrairement à la servante, le valet se déguise rarement pour la simple raison que son maître se déguise ou pour se livrer à une courte apparition. Dans la grande majorité des cas (déguisements secondaires ajoutés aux déguisements fondamentaux), le personnage du valet jouit d’une autonomie certaine dans son déguisement, ce qui achève de le distinguer du personnage de la servante53. ». Le déguisement des valets est la forme de déguisement comique la plus employée et héritée des auteurs comiques latins Plaute et Térence. La difficulté du déguisement du valet réside dans le fait qu’il doit masquer aux autres personnages non pas son identité mais sa condition. Ainsi, dans Le Mort vivant, nous pouvons relever les vers suivants : « GUSMAN bas Diable, que j’ay bien fait de quitter la Roupille » (v. 614) et « GUSMAN Monsieur : ah ! » (v. 621) ; cette peur d’être reconnu est absurde, Gusman n’est qu’un valet donc ce n’est pas son identité et son visage qui doivent être dissimulés. Cet enjeu n’est pas toujours une réussite ; ceci apparaît notamment par la parole. Le physique est facile à dissimuler mais quel élément peut trahir une condition de valet mieux que le langage qu’il utilise lorsqu’il n’est pas approprié à la condition du personnage qu’il prétend être ? Le déguisement verbal est la première étape de tout déguisement et même la clef de la réussite, il pourrait même se suffire à lui-même mais ce n’est pas le cas dans nos pièces ; le déguisement vient ensuite. Nous pouvons relever dans nos pièces certaines répliques qui laissent transparaître la condition des valets aux oreilles attentives et introduisent « une distorsion entre le personnage et son rôle54. », le discours ne correspond plus à l’apparence sans cependant faire que la véritable identité du personnage soit mise à jour ; dans les trois pièces les déguisés ne sont pas découverts à cause de leur vocabulaire. Dans Le Mort vivant, Gusman-Ambassadeur d’Afrique fait preuve d’une grande grossièreté pour séduire Stéphanie qui quitte la scène outrée par les propos d’un tel personnage : « GUSMAN Et dès ce mesme jour l’un et l’autre conjoints, / A grossir nostre race appliquer tous nos soins » (v. 539-540) et

GUSMAN Esprit cruche,

Nourrisson d’un vieillard qui semble une guenuche,
Apres que noblement j’ay dépeint mon ardeur,
N’a-t-elle encore pû penetrer vostre cœur ? (v. 553-556).

En outre, dans ces deux pièces, le but du déguisement est le même : la tromperie. Crispin, dans Le Médecin volant, se fait passer pour un faux médecin et pour le frère de celui-ci pour tromper Fernand et Gusman, dans Le Mort vivant, se déguise en Ambassadeur d’Afrique et fait l’esprit pour confondre Lazarille. Il est important de noter que le déguisement des deux valets s’il ne les valorise pas dans l’intrigue puisque les amours du maître restent le principal enjeu, leur fait prendre une toute autre place que celle qui leur est normalement réservé dans l’action de la pièce. Leur fonction dans la pièce consiste en favoriser les amours de leur maître comme tout valet à l’italienne du XVIIe siècle. Cependant leur statut d’adjuvant ajouté à leur déguisement « peut prendre des proportions si envahissantes, qu’elles finissent quelquefois par faire de lui (dans certaines comédies en un acte notamment) le premier rôle de la pièce55. ». Les deux pièces sont marquées par le succès partiel et l’échec complet du déguisement. Le succès partiel se manifeste comme suit :

toute séquence qui fait succéder à une période d’aveuglement total de la victime du jeu la reconnaissance ou la découverte de l’identité du personnage déguisé. C’est qu’il y a succès d’un déguisement non point nécessairement lorsqu’il se traduit par le succès de l’action engagée à travers le déguisement mais tout simplement lorsque le jeu lui-même parvient à sa fin sans que le personnage déguisé soit percé au jour56.

En effet, dans Le Médecin volant, le déguisement de Crispin fonctionne partiellement puisqu’il parvient à confondre Fernand jusqu’à l’instant où le valet Philipin le démasque. Cependant, ce même déguisement est aussi un échec total ; le dénouement de la pièce, le mariage des deux jeunes gens, n’est pas permis par la ruse imaginée par Cléon. Fernand lui accorde la main de sa fille pour le « punir » de sa tromperie, en guise de réparation. Il en va de même dans Le Mort vivant. Le déguisement de Gusman en Ambassadeur est une réussite ; il n’est pas percé à jour lorsqu’il joue ce rôle-là. Cependant, lorsqu’il prétend faire l’esprit dans l’auberge où séjournent Lazarille et son père, il dévoile lui-même sa condition en prenant peur face aux suspicions de Lazarille et des autres personnages présents sur scène. Fabrice arrive alors pour avouer la supercherie mise en place. Supercherie qui a été inutile pour l’arrivée du dénouement ; Henriquez de Gallas, étant à la fois le père de Lazarille et celui de Stéphanie le mariage entre les deux n’est plus possible. C’est donc tout naturellement que la main de Stéphanie revient à Fabrice : toutes ses manigances pour y arriver ayant été inutiles.

Dans le Jaloux endormy, le déguisement est impliqué par une méprise de Cléandre qui se présente devant le soupçonneux et jaloux Spadarille avec au doigt une bague que lui a confié Olympie en guise de son amour. Afin d’expliquer à qui appartient ce bijou, Cléandre invente l’existence d’une maîtresse qui serait le sosie d’Olympie, pour qui il n’a plus aucun sentiment, sa passion ayant été effacée par les charmes de sa « copie ». Olympie vient donc sur scène sous le nom d’Aspasie, maîtresse de Cléandre. Ce déguisement permet à Cléandre et Olympie de pouvoir partir à Marseille et de se défaire de l’emprise de Spadarille qu’Alcidor enferme dans la chambre où il avait lui-même enfermé Olympie. Le déguisement de celle-ci consiste uniquement en un changement d’identité, d’Olympie elle devient Aspasie. Aucune didascalie n’implique un changement d’apparence ou de condition. Ceci est confirmé par la confusion dans laquelle se trouve Spadarille à sa vue « ALCIDOR Il amene Olimpie. SPADARILLE En effet, je le croy. » (v. 310) et « SPADARILLE Si vous ne l’estes pas pour le moins sa jumelle, » (v. 327). Dans cette pièce le but du déguisement est totalement différent des autres ; Olympie aspire à fuir avec Cléandre en feignant d’être Aspasie, ce qu’elle réussit à faire. Nous pouvons donc affirmer que le déguisement d’Olimpie est un déguisement réussi car il permet d’apporter à la pièce une issue différente de la situation initiale : grâce au déguisement Olimpie s’est faite chasser de sa maison par son époux Spadarille, retrouvant ainsi sa liberté et s’est enfuie avec Cléandre qui devrait l’épouser par la suite.

Le Jaloux endormy §

Création et représentation §

Le privilège pour le Jaloux endormy a été obtenu le même jour que celui du Mort vivant, le 11 mai 1662 ; pour Lancaster, il est donc difficile de savoir laquelle des deux pièces a été jouée la première, « Mais nous pouvons supposer que, comme Montfleury, Poisson et Chappuzeau, il commença par représenter la pièce la plus courte [qui est donc Le Jaloux endormy]57 ». À partir de ces informations, Lancaster suppose que la pièce a été jouée pour la première fois en 1660 au « Theatre Royal du Marais » comme cela est précisé sur la première page de notre édition contrairement aux dires de Fournel dans Les contemporains de Molière qui voit la première représentation le 18 décembre 1663. Par la suite, la pièce fait partie du répertoire de la troupe de Villeroy à Dijon en 1668. C’est probablement à cette époque-là qu’elle est appelée Les Cadenats ou Six cadenas comme le note Lancaster ; cependant le texte reste le même et l’on appellera désormais la pièce indifféremment par son titre original et par son titre de province. Le Jaloux endormy est réédité en 1725 puis en 1746 dans les recueils des pièces de l’auteur.

La source du Jaloux endormy est inconnue. Lancaster relève des comparaisons possibles avec le Miles gloriosus (le Soldat fanfaron) de Plaute. Dans cette pièce, Pyrgopolinice est un soldat fanfaron qui a enlevé Philocomasie. Comble de l’ironie, l’esclave de l’amoureux de cette jeune femme, Palestrion, est capturé et donné comme esclave au soldat. Boursault ne reprend pas le rôle de soldat fanfaron pour Spadarille qui est un simple gouverneur de Toulon. Cependant, le trou dans le mur qui permet aux deux amoureux de se voir est un héritage de la pièce latine même si chez Plaute nous savons qui est à l’origine de ce stratagème : le valet Palestrion. Il en va de même pour l’idée de déguiser la jeune femme pour réussir à lui faire quitter la ville ; seule différence, chez Plaute, les deux amants sont vus l’un dans les bras de l’autre par un des esclaves du soldat fanfaron et Philocomasie se fait passer pour sa sœur jumelle. Lancaster voit aussi une comparaison possible mais plus incertaine avec La Cocue imaginaire de Donneau de Visé :

Comme Spadarille apparaît dans un rôle assez similaire dans Les Cadenats de Boursault il y avait probablement un lien entre les deux pièces de théâtre, mais, comme la date de composition des Cadenats n’est pas établie avec certitude, il ne peut être déterminé quel travail a influencé l’autre58.

En outre, Spadarille peut être comparé avec le Sganarelle de L’École des maris et l’Arnolphe de L’École des femmes de Molière. Le sujet de la pièce et son intérêt sont justement relevés par Lancaster : « Alors que le comique est plutôt bas, le dialogue est souvent amusant, comme on peut en juger par la scène de la défaite finale de Spadarille (scène 15)59 ».

Résumé de la pièce §

Scène 1 : Spadarille, Olimpie §

Discussion des deux époux au sujet de la fidélité d’Olympie. Spadarille juge bon d’enfermer la jeune femme sans quoi elle ne serait pas fidèle, cédant à sa nature féminine. Pour renforcer les six cadenas déjà en place il a l’intention d’aller chercher des verrous. Il aperçoit un homme qui approche et enferme sa femme pour la tenir loin des regards.

Scène 2 : Cléandre, Spadarille, Cascaret §

Arrivée de Cléandre qui rappelle à Spadarille qu’il lui a ravi son amour grâce à son mérite supérieur. Spadarille met fin à la conversation avant d’avoir laissé le temps au jeune homme d’expliquer le motif de sa venue. Il part chercher des verrous.

Scène 3 : Cléandre, Cascaret §

Cléandre fait part à son valet de ses intentions d’enlever Olimpie et de l’amener à Marseille avec lui. Cascaret s’inquiète que le vieillard ne découvre le trou que les amants ont fait entre leur chambre respective pour pouvoir se voir à l’abri des regards. Cléandre montre à Cascaret l’anneau qu’Olimpie lui a confié pour marquer leur attachement secret.

Scène 4 : Spadarille, Cléandre, Cascaret §

Spadarille revient avec ses verrous et explique à Cléandre l’usage qu’il compte en faire. Il soupçonne le jeune homme de vouloir séduire Olimpie comme tous les hommes qui voudraient s’approcher d’elle mais celui-ci lui assure qu’il aime sa copie. Le vieillard voit l’anneau d’Olimpie au doigt de Cléandre et est persuadé que les deux jeunes gens sont amants. Pour lever ses craintes, il exige de voir la copie aimée par Cléandre sans quoi il ne lui donnera pas la Patente nécessaire pour qu’il puisse quitter la ville pour Marseille.

Scène 5 : Spadarille §

Il s’agit d’un court monologue. Le vieillard est persuadé de tenir des griefs contre son épouse, justifiant ainsi l’enfermement qu’il lui inflige.

Scène 6 : Spadarille, Olimpie §

Spadarille fait sortir sa femme pour l’informer de la présence de Cléandre dans la ville et lui exposer ses soupçons. Il lui demande d’ôter son gant pour lui montrer son anneau qui se trouve être à sa place, au doigt de la jeune femme. Un vieillard approche ; Spadarille enferme donc Olimpie.

Scène 7 : Alcidor, Spadarille §

Alcidor vient prendre des nouvelles de sa fille et apprend son mauvais comportement à l’égard de son nouvel époux et le traitement que celui-ci lui inflige. Spadarille lui fait part de ses soupçons au sujet de Cléandre. Les deux hommes croient voir Olimpie et Cléandre arriver vers eux.

Scène 8 : Spadarille, Cléandre, Olimpie sous le nom d’Aspasie §

Spadarille appelle sa femme à travers la porte fermée pour qu’elle se manifeste mais son entreprise est sans succès. Il explique alors sa confusion aux deux amants : il demande à Aspasie de bien vouloir aller parler à Olimpie. Pour ne pas compromettre son déguisement, Aspasie propose à Spadarille de commencer par faire part à sa femme de leur conversation afin de ne pas la choquer, pendant ce temps-là, Aspasie ira faire des adieux en ville. Aspasie part accompagnée de Cascaret.

Scène 9 : Spadarille, Cléandre, Alcidor §

Alcidor, pour gagner du temps et permettre à sa fille de retourner dans sa chambre, feint de soupçonner Cléandre de tomber de nouveau amoureux d’Olimpie à sa vue. Le jeune homme nie cela en vantant la puissance de son amour pour Aspasie.

Scène 10 : Alcidor, Cléandre §

Alcidor promet sa fille à Cléandre s’il respecte son honneur et parvient à la délivrer de son mari jaloux.

Scène 11 : Spadarille, Olimpie, Cléandre, Alcidor §

Lorsque son époux ouvre la porte, Olimpie feint de se réveiller pour justifier son silence à ses appels. Cléandre, en voyant Olimpie, imite l’attitude du vieillard jaloux. Spadarille s’en amuse mais Olimpie, outragée, demande à être de nouveau enfermée et refuse de voir Cléandre et Olimpie.

Scène 12 : Spadarille, Cléandre, Alcidor §

Spadarille fait remarquer à Cléandre qu’Olimpie ne l’aime plus mais le jeune homme n’est pas blessé puisqu’il est aimé d’Aspasie.

Scène 13 : Olimpie sous le nom d’Aspasie, Spadarille, Cléandre, Alcidor, Cascaret §

Aspasie est de retour, Spadarille lui fait part du refus d’Olimpie et congédie les deux amants en leur donnant la Patente permettant leur départ.

Scène 14 : Spadarille, Alcidor §

Spadarille se réjouit de la situation et veut annoncer le départ de Cléandre à Olimpie pour voir son bonheur. Celle-ci ne répond pas à ses appels. Spadarille, la croyant rendormie, ouvre la porte et demande à Alcidor de rentrer avant lui. Par respect pour son Gouverneur, celui-ci refuse. Spadarille entre et Alcidor l’enferme et lui explique qu’Olimpie est partie avec Cléandre. Il abandonne alors le gouverneur à ses malédictions.

Scène 15 : Spadarille §

Spadarille se morfond sur son sort et termine son discours par une mise en garde contre les femmes desquelles il vaut mieux se passer.

Analyse de la pièce §

Le Jaloux endormy est une pièce en 15 scènes. Contrairement aux deux autres pièces qui nous intéressent elle semble incomplète. Après comparaison avec l’édition de 1721, nous avons constaté l’ajout d’une première scène et de quelques vers à la scène suivante60. Dans l’édition originale, l’exposition n’est pas donnée dans son ensemble ; le spectateur ne sait pas qu’Alcidor et Cléandre ont décidé de s’allier pour délivrer Olimpie de la jalousie de Spadarille. Nous nous retrouvons devant le fait accompli lorsque les deux hommes se retrouvent seuls à la scène 10 et semblent avoir établi un stratagème en hors scène. Cette annonce retardée de la relation entre les deux hommes empêche le spectateur de comprendre qu’Alcidor sait qu’il a sa fille en face de lui à la scène 8 et qu’il infléchit Spadarille pour qu’il pense qu’il s’agit d’une autre femme et qu’il cherche à gagner du temps pour laisser sa fille revenir dans sa chambre à la scène 9. En bref, le spectateur ne sait pas qu’il est le complice de Cléandre en plus d’être son commanditaire comme nous pouvons le lire à la scène III des vers 151 à 154. Jusqu’à la scène 10, le spectateur est dans la même situation que Spadarille quant aux réelles intentions d’Alcidor, il est lui aussi dupé ce qui est inhabituel au théâtre. L’ajout de l’édition de 1721 palie ce manque.

La jalousie est un vilain défaut… §

Commençons par rechercher la définition la plus objective que nous puissions trouver du terme jalousie au XVIIe siècle. Quels ouvrages ont pour mot d’ordre de présenter la vision la plus nette et la moins subjective possible que les dictionnaires ? Nous avons donc choisi de relever et de comparer les définitions que le Richelet et le Furetière proposent. Richelet la définit de manière synthétique comme « Déplaisir causé par la crainte qu’on a de perdre ce qu’on aime. » et Furetière comme une « Passion de l’ame qui naist de l’envie qu’on a de la gloire du bonheur d’autruy, ou de l’amour propre, qui nous fait craindre de perdre ce que nous possedons, ou ce que nous desirons de posseder. Il se dit sur tout de l’amitié, et encore plus de l’amour. Un sujet qui devient trop puissant donne de la jalousie à son Prince. Une grande amour est d’ordinaire accompagnée de jalousie. La jalousie fait hair fortement les rivaux. ». Les deux définitions mettent l’accent sur le fait que la jalousie est liée à l’amour, puisqu’on ne peut être jaloux que si l’on aime. Paradoxalement, cela ne semble pas être le cas du jaloux de notre pièce. Spadarille ne manifeste au cours de la pièce aucun amour pour Olimpie que ce soit dans ses paroles ou dans ses actes. Il va même jusqu’à considérer la jeune femme comme un simple trophée qu’il expose aux yeux de Cléandre contre qui il l’a « gagnée ». Ceci s’illustre dans le vocabulaire de la chasse qu’utilise l’époux pour parler d’Olimpie « Oüy l’on ose, et ce sont des Madrez, / Qui voudroient sur ma terre usurper droit de chasse » (v. 170-171). En outre, au regard des définitions, nous pouvons constater l’évolution du mot, du simple « déplaisir » chez Richelet, la jalousie devient une « passion de l’ame » pour Furetière, introduisant ainsi une toute autre dimension. La passion est une « agitation de l’ame », un sentiment qui emporte et aveugle celui qui en est la victime. Ceci est renforcé par le sentiment de haine que développe le jaloux à l’égard de ses rivaux. La jalousie entraîne des réactions extrêmes. Ce sont ces réactions qui sont reprises dans Le Jaloux endormy et qui forgent le caractère comique de Spadarille. La paranoïa qui s’empare de lui quant à la fidélité de sa femme, n’ayant aucune certitude de sa faute est d’autant plus ridicule qu’elle est disproportionnée au vu de la situation. Olimpie est effectivement infidèle et voit Cléandre en secret grâce au trou qu’ils ont fait entre le mur de leur chambre. C’est donc les mœurs de ce personnage qui devraient être dénoncés dans la pièce. Seulement, Spadarille est un barbon et représente le conflit intergénérationnel traditionnel de la comédie. L’infidélité d’Olimpie est justifiée par le fait que Spadarille a profité de son avantage financier et son statut de gouverneur de Toulon pour séduire la bourse d’Alcidor qui a donc choisi le meilleur parti pour sa fille oubliant son amour pour Cléandre. La faute de la jeune fille se transforme en fidélité à son premier amant et à celui qui est un honnête homme, respectueux de la femme qu’il aime comme en témoigne ce vers : « L’interest d’Olimpie est plus fort que mes feux. » (v. 374). L’attitude d’Olimpie est justifiée par la méchanceté de Spadarille.

Plus qu’un simple mot, le thème de la jalousie est présent dans la littérature depuis ses débuts. Il est possible de le retrouver chez Plutarque par exemple dans certains chapitres de sa Morale61. À la Renaissance, c’est tout naturellement que nous pouvons la retrouver dans les Essais de Montaigne où elle apparaît comme « la plus vaine et la plus tempétueuse maladie qui affecte les âmes humaines62 ». Cependant, Le Jaloux endormy trouve plutôt ses sources dans la tradition née en Espagne durant le Siècle d’Or. Nous pouvons trouver des exemples d’œuvres ayant pour thème la jalousie chez Cervantès. Dans le Don Quijote de la Mancha, le héros trouve une valise contenant le manuscrit d’une nouvelle : El curioso impertinente. Elle met en scène deux amis, bien faits, à qui tout réussi. L’un d’eux, Anselmo, tombe amoureux de Camila avec qui il se marie. Très vite, il doute de la fidélité de sa femme et décide de la mettre à l’épreuve pour vérifier qu’elle ne faute pas. Il demande alors à son ami de mettre la fidélité de sa femme à l’épreuve en la séduisant. La femme et l’ami tombent amoureux, causant le désespoir d’Anselmo ; sa curiosité pathologique et sa jalousie non justifiée conduisent à son malheur. Un autre exemple dans les Novelas ejemplares qui comportent une nouvelle intitulée el celoso extremeño. Dans cette nouvelle, le jaloux a conscience de sa jalousie et a donc pris pour résolution de ne pas se marier pour ne pas avoir à éprouver ce sentiment. Cependant, il rencontre une belle jeune femme et tombe sous son charme. Ils se marient et le mari décide d’enfermer sa femme pour éviter de l’exposer aux convoitises. Il fait construire une tour dans laquelle il l’enferme avec des servantes et un eunuque. Seulement, un jeune homme parvient à s’introduire dans la maison en séduisant les valets et s’introduit auprès de la jeune fille. Le mari de retour les trouve ensemble et pardonne sa femme de son erreur ayant conscience qu’elle ne savait pas qu’elle lui portait préjudice en étant avec cet homme puisqu’elle avait toujours été enfermée. Boursault reprend le thème de l’enfermement de la femme qui ne permet pas d’éviter que la faute n’arrive, thème que nous retrouvons aussi chez Molière dans L’Ecole des femmes. Dans la tradition espagnole, puis par la suite chez Molière, le jeune amant cherche à tisser un lien avec le mari jaloux. Nous retrouvons cela dans la pièce de Boursault. À la scène 2, Cléandre se présente devant Spadarille pour venir lui parler : il commence par lui rappeler qu’il était l’amoureux d’Olimpie et que le gouverneur lui a pris son amour. Seulement, Spadarille ne laisse pas le temps au jeune homme de dévoiler le véritable sujet de sa venue, il le congédie de manière brutale, Mais Monsieur, mais Madame, / J’ai des soins à donner autre part que vers vous, » (v. 120-121). Il anéantit toute chance pour Cléandre de pouvoir se lier avec lui puisqu’il voit un danger dans tous les gens qui l’entourent allant jusqu’à refuser d’avoir des valets dans sa maison.

Au-delà d’être un simple thème littéraire, la jalousie est présente dans la vie de tous les jours et les Historiettes63 témoignent de nombreux cas de jalousie recensés. En voici un exemple :

Bien que la vicomtesse d’Auchy ne fût pas belle et qu’elle eût à la cour moins de « mourants » que de moqueurs, son mari craignit quelqu’infortune et retira la dame à la campagne où elle resta dix ans comme prisonnière64.

Le Jaloux endormy s’inscrit dans un héritage littéraire mais peut aussi être lu comme un témoignage de la réalité du XVIIe siècle.

Des personnages proches du caractère §

Spadarille, jaloux obsessionnel et hyperbolique §

Spadarille est présenté dans la liste des personnages comme le gouverneur de Toulon mais il n’est cependant pas vu dans ses fonctions au cours de la pièce. Seuls quelques détails rappellent sa fonction : il a réussi à avoir la main d’Olimpie grâce à cela et Cléandre a besoin de sa Patente pour pouvoir quitter la ville et partir pour Marseille. Nous avons remarqué qu’avant toute autre chose, le personnage de Spadarille correspond à l’image du personnage jaloux par excellence, caractéristique qui n’apparaît pourtant qu’à la fin de la description qui est faite de lui dans la liste des personnages. Il s’agit d’un personnage caricatural. Il est méchant et insultant avec Olimpie (v. 30 à 33) et ne veut pas être cocu (v. 41 à 46). Spadarille est un homme tellement jaloux qu’il est incapable de se faire aimer de celle qu’il a épousée. La jeune femme ne l’aime pas et ne lui cache pas ses sentiments, elle lui préfère son premier prétendant Cléandre comme nous pouvons le relever des vers 79 à 84. La jalousie de Spadarille n’est justifiée par aucune action de la jeune femme mais elle est pourtant cruelle. Elle crée un obstacle entre les deux époux sans aucune justification. Le discours qu’il tient à son épouse lors de la première scène rappelle celui d’Arnolphe à Chrysalde à la première scène de l’acte I de L’école des femmes. Il a tellement observé le monde qui l’entoure et les vices des femmes qu’il devient un jaloux extravagant. Jalousie qui l’empêche de voir autre chose que l’infidélité chez les femmes. Elle le fait même l’acteur de la duperie qui se fomente contre lui : il s’évertue à enfermer Olimpie mais il ne va pas vérifier qu’il n’y ait pas une issue qui ait été créée dans la chambre de la jeune femme. Il s’agit donc d’un personnage qui surestime ses capacités, qui a une opinion faussée de lui-même. Tout ceci participe à le rendre ridicule et hilarant. Face à un tel personnage le seul désir du spectateur est sa perte et sa chute ; fort heureusement, le caractère du jaloux ne peut faire partie des personnages heureux à la fin de la comédie sans compromettre le bonheur des autres parties.

La scène 10 représente un tournant dans la perception que nous avons de Spadarille. Dès cette scène comme nous l’avons vu, le spectateur en sait plus que le personnage concernant le complot qui s’organise contre lui et retrouve sa supériorité habituelle, ce qui contribue au renforcement de l’ironie dramatique. Jean-Claude Ranger perçoit cette révélation comme une humanisation du personnage qui permet de nous faire rire à ses dépens :

Mais ce souci de l’humanité des personnages de comédie est constamment présent, comme le montre bien le fait que nous sommes ravis de découvrir que le meneur de jeu n’a pas toutes les cartes en main et que nous pouvons rire à ses dépens à lui aussi, le rendent à son humanité, qui ne va pas sans impuissance65.

Spadarille se trouve confronté à l’action d’Alcidor qui est un père très actif contrairement à ce que nous avons l’habitude de voir dans les comédies du XVIIe siècle. Le père a en effet pris conscience de son erreur et cherche à la réparer en faisant appel à Cléandre pour délivrer sa fille, tout l’enjeu de la pièce est là. Nous pouvons retrouver cet affrontement dans l’organisation de la liste des personnages : Spadarille qui représente une autorité ouvre la liste tandis qu’Alcidor – et son valet Cascaret – qui est une autre autorité la referme, les deux amants héros de l’intrigue se retrouvant enlacés entre eux.

Cléandre et Olimpie, amoureux de comédie §

Dans Le Jaloux endormy, le personnage principal n’est pas le valet contrairement aux deux autres pièces auxquelles nous nous intéressons. Le valet de Cléandre, Cascaret, ne prononce que sept répliques dans toute la pièce soit 20 vers sur les 554 que compte la pièce. Il n’est qu’un personnage accessoire qui évite un monologue de Cléandre à la scène 3 pour décrire le caractère de Spadarille et exposer le stratagème mis en place par les deux amants pour pouvoir se voir. Les héros de la comédie sont les deux amoureux qui parviennent à faire évader Olimpie de chez Spadarille. Sur ce point là, les deux jeunes gens se rapprochent des amoureux de la commedia dell’arte. Ils prennent eux-mêmes leur destin en main en organisant le déguisement d’Olimpie en Aspasie. Le dénouement de l’histoire ne peut avoir lieu que grâce à leur seule intervention ; leur union est possible au moment où Spadarille leur demande de quitter la ville. Olimpie semble être un personnage fort lorsqu’elle tient tête à son époux dans la scène 1 mais elle est apeurée à l’idée qu’il puisse la reconnaître sous son déguisement à la scène 8. Cléandre est celui qui est le plus actif et le plus déterminé des deux jeunes gens, à aucun moment il ne renonce au projet qu’il a décidé même si son valet tente de l’en dissuader à la scène 3. Il est prêt à tout pour retrouver la jeune femme qu’il aime.

Molière, encore et toujours Molière… §

L’intertexte moliéresque est présent dans Le Jaloux endormy. Par certains aspects la pièce de Boursault peut se rapprocher de celle de La Jalousie du Barbouillé ou encore de celle de George Dandin notamment en ce qui concerne le sujet du mari jaloux. Cependant, dans le cas de notre pièce, la jalousie du mari s’exerce sans qu’aucun ne soit venu lui rapporter sur scène les infidélités de sa femme comme c’est le cas dans les deux pièces de Molière. Il s’appuie sur ses seules suspicions, ce qui contribue à le rendre d’autant plus ridicule aux yeux du public.

Boursault emprunte à Molière l’expression « de Gemini en Capricorne » qu’il détourne. Chez Molière l’image du Gemini représente l’accord et l’union par opposition avec l’image du Capricorne qui représente le mari cornu suite à l’infidélité commise par sa femme. Chez Boursault, cette compréhension de l’image du Gemini est difficile il s’agirait plutôt de désigner ainsi l’homme qui séduirait la femme infidèle.


Le Jaloux endormy, Boursault La Jalousie du Barbouillé, Molière
Ah friande !
Que si je m’empeschois de vous estre cruel,
L’honneur dont vous parlez deviendroit casuel;
Et que sachant les tours dont les femmes sont dignes,
On nous prendroit bien-tost dans le Ciel pour des Signes,
Puisque de vos plaisirs un bon Frere garny
Produiroit Capricorne, et feroit Gemini!
(scène 1, v. 16-22)
ha! Madame la carogne, je vous trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne ! (scène 4)

Comme nous l’avons vu avec Lancaster, Spadarille peut être comparé à Arnolphe dans L’École des femmes. Prenons par exemple, cette plaisanterie au sujet d’un mari jaloux qui cherche à conserver impérativement l’exclusivité auprès de sa femme :


Le Jaloux endormy, Boursault L’Ecole des femmes, Molière
Sachez que de tout temps j’appréhende le blasme,
Qu’au gré de mon désir je gouverne ma femme,
Que sans en murmurer il faut suivre ma loy,
Et que quand je vous pris ce ne fut que pour moy.
(scène 1, v. 23-26)
Celle qu’un lien honnête,
Fait entrer au lit d’autrui:
Doit se mettre dans la tête,
Malgré le train d’aujourd’hui,
Que l’homme qui la prend, ne la prend que pour lui.
(Acte III, scène 2, v. 747-751)

Un enjeu contemporain : l’éducation ou le rejet de l’enfermement des femmes §

La pièce peut se lire au delà d’une simple adaptation de la tradition du mari jaloux en comédie comme la représentation d’une réalité délicate du XVIIe siècle. Boursault s’attaque dans Le Jaloux endormy à un sujet brûlant qui court dans tous les salons mais aussi dans de nombreux romans : le problème de l’enfermement des femmes et la nécessité de leur éducation. Depuis la publication de l’ « Histoire de Sapho » dans Le Grand Cyrus de Scudéry en 1653, les milieux mondains s’intéressent effectivement à la question du mariage et à l’émancipation féminine face au pouvoir des hommes, qu’il s’agisse du père ou de l’époux. Ceci s’oppose à la conception patriarcale de la femme encore très courante au XVIIe qui s’appuie sur les écrits de Saint Paul66. Dans la littérature le premier à parler de l’inutilité de l’enfermement des femmes est Ovide dans ses Amours67. Au XVIIe siècle, Molière en est le grand héritier, le thème se retrouve dans un grand nombre de ses comédies.

Boursault exploite le modèle de la querelle conjugale qu’il détourne de manière comique pour ridiculiser le mari jaloux et brutal. Il rejoint ainsi le modèle traditionnel de la satire des cocus. Cependant, il ne pousse pas le thème jusqu’à son paroxysme. Contrairement à Molière, qui met en scène une Agnès sotte et enfermée dans L’École des femmes, Olimpie est loin de manquer d’imagination et son enfermement serait dû à ses charmes auprès des hommes. Ainsi, l’enfermement de la jeune femme est uniquement condamné dans le sens où il s’avère inutile puisqu’il n’empêche pas la tromperie d’avoir lieu. Spadarille enferme Olimpie pour éviter qu’elle ne soit tentée de le tromper, seulement quoi de mieux qu’essayer de prévenir un fait et de l’interdire pour que justement il se produise.

Le Mort vivant §

Création et représentation §

Le Mort vivant a été joué pour la première fois, selon Lancaster, en 1661à l’Hôtel de Bourgogne. En cela, il s’oppose à Fournel qui, dans Les contemporains de Molière, place la première représentation en avril 1662 à l’Hôtel de Bourgogne.

Les sources de la pièce sont incertaines. Fournel pense que le sujet pourrait venir de la pièce Morti vivi de Sforza Oddi ; théorie que Lancaster rejette puisqu’il s’agirait d’un titre courant pour les pièces de l’époque comme le montre l’existence des Muertos vivos de Lope (composée vers 1599-1602 et publiée en 1621) et du Muerto Vivo de Juan de Paredes. Lancaster relève de nombreuses ressemblances avec d’autres pièces de l’époque.

Une pièce qui inspire à son tour… §

L’acteur Du Perche réalise une copie en octosyllabes du Mort vivant publiée en 1666 et intitulée L’Ambassadeur d’Affrique. Pour Lancaster, cela témoigne d’une certaine popularité acquise par la pièce. Du Perche réutilise les première et dernière scènes de l’acte I, les deuxième et troisième de l’acte II et aucune de l’acte III selon Lancaster. Les noms des personnages sont changés, mais il conserve le héros, son valet, l’héroïne et son père qu’il ne fait pas apparaître sur scène tout comme les personnages en rapport avec l’auberge. Certains personnages sont ajoutés : la jeune femme a une servante, Béatris, son père un valet nommé l’Allemand et le faux Ambassadeur a un valet et une suite. Chez Du Perche, l’héroïne n’a pas été adoptée et son père n’a donc pas l’intention de l’épouser. Il a promis sa main à un Docteur. Les deux amoureux de la jeune femme ne sont pas des amis proches ; par conséquent, tous les moyens mis en œuvres par Fabrice pour que son ami quitte la ville ne sont pas réexploités, le valet complice ne rédige pas une fausse lettre, il se déguise seulement en ambassadeur d’Afrique. N’ayant plus lieu d’être, la scène de reconnaissance dans l’auberge est effacée. Du Perche invente une langue africaine qui renforce le côté comique du déguisement du valet en ambassadeur. Il effectue des modifications sur l’action notamment en imitant d’autres pièces que celle de Boursault :

Le changement dans la première scène entre le valet du héros et la servante de l’héroïne en tant que conseiller du jeune homme peut avoir été suggéré par le Mariage de Rien de Montfleury, l’utilisation d’un langage supposément africain, par Mary sans femme du même auteur, l’introduction d’un français germanisé par l’Etourdi de Molière ou l’Après Soupé de Poisson68.

Dans L’Ambassadeur d’Affrique, le dénouement n’est pas le même que celui de la pièce de Boursault. Ceci s’explique aisément par le fait que Du Perche a modifié l’action et n’a pas introduit de père adoptif. La pièce se termine par l’annonce de la mort du père par son valet l’allemand : la jeune femme est donc libérée de l’engagement que celui-ci avait pris auprès du Docteur et peut épouser son amoureux. Tout comme dans la pièce de Boursault, le déguisement du valet n’aura pas directement permis le mariage.

Résumé de la pièce §

Acte I §

Scène 1 : Fabrice, Gusman §

Gusman annonce à son maître Fabrice que Lazarille aime Stéphanie. Le jeune homme ne croit pas son valet ; son ami ne lui a rien confessé. Gusman donne rendez-vous à Fabrice dans le jardin où les amoureux doivent se retrouver pour lui permettre de vérifier la véracité de ses propos.

Scène 2 : Ferdinand, Stéphanie §

Ferdinand appelle Stéphanie et lui demande de le rejoindre pour pouvoir lui parler. Il lui annonce qu’il n’est pas son père et qu’il a l’intention de l’épouser. Stéphanie ne sait quoi lui répondre ; elle se laisse tomber à ses genoux, signe que Ferdinand interprète comme un élan d’émotion. Entendant quelqu’un arriver il renvoie Stéphanie à l’intérieur de la maison.

Scène 3 : Lazarille, Ferdinand §

Lazarille vient auprès de Ferdinand pour lui demander la main de sa fille. Le vieil homme lui annonce qu’il a lui-même l’intention de l’épouser. Pour calmer l’indignation de Lazarille, Ferdinand lui raconte l’histoire de Stéphanie : elle est la fille d’une femme venue accoucher chez Ferdinand. La mère lui a confié l’enfant et des bijoux pour subvenir à ses besoins. Ferdinand a reçu pour devoir de ne rendre la jeune fille qu’à celui qui viendrait rapporter la seconde moitié de l’anneau que la mère de Stéphanie lui a confié.

Scène 4 : Lazarille §

Il s’agit d’un court monologue. Lazarille exprime sa souffrance de savoir son amour déçu. Il voit Stéphanie arriver au loin.

Scène 5 : Stéphanie, Lazarille, (Fabrice et Gusman cachés) §

Lazarille annonce à Stéphanie que Ferdinand lui a tout expliqué. Fabrice et Gusman commentent l’échange des deux jeune gens. Stéphanie demande à Lazarille de ne pas dévoiler son amour à son père qui ne l’est plus et devient son futur mari. Le jeune homme ayant déjà révélé ses sentiments auprès de Ferdinand, Stéphanie lui conseille d’éviter sa présence pour ne pas éveiller la jalousie du vieil homme. Lazarille quitte donc la scène.

Scène 6 : Fabrice, Stéphanie, Gusman §

Fabrice profite du départ de son ami pour venir dévoiler à Stéphanie l’amour qu’il éprouve pour elle. Mais celle-ci refuse de répondre à ses avances étant déjà engagée auprès de Lazarille.

Scène 7 : Fabrice, Gusman §

Fabrice indigné décide de tuer Lazarille pour gagner le cœur de Stéphanie et demande à son valet de l’assister dans cette tâche. Celui-ci refuse. Fabrice entre dans des réflexions tragiques, il hésite à se tuer s’il ne peut avoir l’amour de Stéphanie. Pour remédier au désespoir de son maître sans nécessairement tuer Lazarille, Gusman propose de faire usage de ses talents de faussaire pour que Lazarille parte de Séville. Fabrice a une autre idée : il propose à Gusman de se déguiser en Ambassadeur d’Afrique et de faire croire qu’il est amoureux de Stéphanie et qu’il est spécialement venu pour l’épouser.

Acte II §

Scène 1 : Lazarille, Fabrice §

Lazarille vient montrer à son ami une lettre qu’il vient de recevoir de son oncle lui annonçant la mort de son père. Fabrice lui conseille de vérifier s’il ne s’agit pas d’un faux mais le jeune homme est formel, il s’agit bien de l’écriture de son oncle ; qu’il va devoir quitter Séville pour Tolède alors qu’il vient de trouver l’amour. Fabrice lui propose d’aller auprès de la belle pour lui vanter les mérites de son ami s’il veut bien lui dire de qui il s’agit. Lazarille dévoile le nom de Stéphanie et son compère lui annonce qu’il a l’Ambassadeur d’Afrique pour rival.

Scène 2 : Gusman, Fabrice, Lazarille, Suite §

Gusman en Ambassadeur arrive et déclare son amour pour Stéphanie à Lazarille. Le jeune homme aimerait se soumettre à l’Ambassadeur ; celui-ci lui demande d’aller faire la cour pour lui auprès de Stéphanie.

Scène 3 : Ferdinand, Gusman, Lazarille, Stéphanie, Fabrice, Suite §

Ferdinand tente de parler à Gusman-Ambassadeur de son amour pour Stéphanie mais celui-ci refuse de l’entendre et lui demande de se taire. Gusman-Ambassadeur demande à Lazarille de faire la cour à Stéphanie devant lui. Insatisfait des manières du jeune homme, il décide de s’en charger lui-même. Il s’adresse à Stéphanie de manière très grossière, choquant tous les autres personnages et provoquant le départ de la jeune femme.

Scène 4 : Lazarille, Fabrice §

Lazarille est outré qu’un homme ayant tant de pouvoir soit aussi grossier et que Fabrice accepte d’être le serviteur d’un tel personnage, lui qui aime tant la justice. Fabrice le met en garde contre sa crédulité ; l’Ambassadeur agit ainsi sous la pulsion de l’amour il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de la « chose publique ».

Scène 5 : Gusman, Lazarille, Fabrice §

Gusman en habit de valet rejoint les deux amis. Lazarille fait part à Fabrice de son désir de tuer l’Ambassadeur. Gusman prend peur et s’allarme que Lazarille puisse le reconnaître. Fabrice tente de raisonner en vain son ami qui part résigné en lui conseillant de plutôt faire changer d’avis l’Ambassadeur.

Scène 6 : Fabrice, Gusman §

Gusman ne veut plus jouer l’Ambassadeur. Fabrice décide donc de trouver un autre stratagème mais Gusman refuse d’être de nouveau impliqué. Le maître décide de se servir de la servante de Lazarille pour le faire partir pour Tolède. Il propose à Gusman de venir boire du bon vin avec lui.

Acte III §

Scène 1 : Henriquez, la servante §

Henriquez de Gallas arrive dans un hôtel où il ne reste plus qu’un lit de libre ; il partage la chambre d’un autre homme endormi. Il envoie la servante chez Ferdinand.

Scène 2 : Henriquez §

Il s’agit d’un court monologue. Henriquez va se coucher en faisant attention de ne pas réveiller l’homme qui dort près de lui.

Scène 3 : Lazarille, Henriquez, Gusman §

Gusman « fait l’esprit » pour tenter de faire partir Lazarille pour Tolède ; feignant d’être l’esprit de son père mort il lui explique qu’il faut que Lazarille parte pour rembourser 1000 écus volés avant sa mort pour que son âme puisse reposer en paix. Lazarille confus pense rêver et se rendort. Gusman se lamente alors sur la difficulté de son entreprise et reprend son discours auprès de Lazarille. Leur discussion réveille Henriquez qui reconnaît son fils. Gusman cherche à s’enfuir tout en jouant l’esprit. Henriquez croit que son fils a été gagné par la démence.

Scène 4 : L’hoste, Lazarille, Henriquez, Gusman §

L’hoste arrive et prend peur à la vue de l’esprit, il en laisse tomber sa chandelle. Il appelle d’autres hommes pour qu’ils viennent avec des chandelles.

Scène 5 : des garçons, l’hoste, Henriquez, Lazarille, Gusman §

Lazarille est confus et ne sait pas qui est son père, entre le fantôme joué par Gusman et Henriquez. Les deux hommes tentent de le convaincre que l’autre est un avatar. Lazarille a conscience que l’un des deux est un imposteur. Gusman fait appel à son maître.

Scène 6 : Fabrice, Gusman, Lazarille, Henriquez, l’hoste, ses garçons §

Fabrice arrive et dévoile le déguisement de Gusman et son amour pour Stéphanie. Lazarille déçu de l’attitude de son ami veut faire un serment que son père interrompt. Henriquez assure à Fabrice qu’il peut garder espoir quant à la satisfaction de son amour pour Stéphanie. Lazarille est désespéré : il est délaissé par son ami et par son père.

Scène 7 : Ferdinand, Stéphanie, Lazarille, Henriquez, Gusman, Fabrice §

Ferdinand arrive et croit reconnaître Henriquez qui lui montre la moitié d’anneau. Henriquez se dévoile comme père de Stéphanie. La scène devient une scène de reconnaissance ; Lazarille trouve un sœur en celle qui était sa maîtresse et Fabrice peut prétendre épouser Stéphanie. Ferdinand est mécontent puisqu’il espérer pouvoir épouser Stéphanie en remerciement de ses services. Il n’y aura donc pas de mariage pour lui.

Analyse de la pièce §

Le Mort vivant est une pièce en trois actes. Victor Fournel la qualifie de « pièce amusante et gaie, mais qui tombe souvent dans le burlesque le plus bas et dans la grossièreté même ; quant à la vraisemblance, c’est le moindre des soucis de l’auteur69 ».

Gusman et Fabrice, duo atypique de maître/valet §

Fabrice et son valet entretiennent une relation particulière, qui dépasse celle que nous avons l’habitude de rencontrer dans une comédie. La pièce s’ouvre sur un dialogue entre les deux hommes dans un jardin à l’abri des regards. Là, ils font état de l’action et construisent l’exposition de la pièce. Cette situation n’est pas sans rappeler le début de nombreuses tragédies et notamment toutes celles de Racine entre Andromaque et Phèdre. Au-delà d’être un simple valet, Gusman endosse aussi le rôle de confident du jeune homme d’autant plus qu’il est de précieux conseil pour son maître et son projet amoureux. En outre, un rapport de force existe entre les deux personnages70 : celui qui domine, Gusman, n’est pas celui qui a le rang social le plus élevé, celui qui habituellement est subordonné à son maître. La parole de Gusman lui permet d’acquérir une importance en dehors de la parole de son maître. Il est le confident de Fabrice et se permet même de le railler et de répondre à ses injures : au « Maraut insuportable » (v. 255) lancé par Fabrice il répond par « Et vous teste étourdie » (v. 255).

Le valet est le plus entreprenant des deux hommes ; il occupe le devant de la scène. Par cet aspect, la pièce de Boursault se rapproche de la tradition de la commedia dell’arte où le valet peut avoir une importance scénique supérieure à celle de son maître. Tandis que son maître désespère et s’apitoie sur son triste sort, Gusman lui propose ses talents de faussaire au vers 308 (Acte I scène 7). Le valet est donc plus ingénieux que son maître et l’a dépassé.

Fabrice, quant à lui, ne se définit que par l’obstacle qui se dresse entre lui et son amour : d’une part son ami Lazarille aime la même femme que lui mais celle-ci ne semble pas être prête à offrir son amour à un autre. Il aime donc sans être aimé ; ce ressort dramatique est le plus courant dans le théâtre classique.

Gusman, ambassadeur d’Afrique §

L’idée de déguiser un personnage en homme de pouvoir étranger pour pouvoir se jouer d’un père de famille et ainsi obtenir le mariage est commune à quelques pièces du XVIIe siècle. Dans la pièce de Boursault, Gusman est déguisé en ambassadeur d’Afrique. Cette idée est de Fabrice ; il la propose à Gusman au vers 315. Cependant, contrairement à la fausse lettre de Gusman ce stratagème ne fonctionnera pas au mieux. Lazarille est en effet outré de découvrir l’attitude grossière du pseudo-ambassadeur qui n’est rien d’autre qu’une distorsion du rôle premier de Gusman ; sa condition de valet et son vocabulaire ne sont pas adaptés pour faire la cour à une demoiselle. Ces écarts entraînent le désir de Lazarille de le tuer pour venger l’outrage verbal qu’il a porté à Stéphanie. Concernant la ruse imaginée par Gusman, Lazarille considère la lettre comme étant vraiment de la main de son oncle malgré les tentatives hypocrites de Fabrice de le faire douter de la véracité de l’information qu’il a reçue v. 361-362.

Nous pouvons comparer le déguisement de Gusman dans Le Mort vivant à celui de Filipin en Dom Pedro de Buffalos dans L’héritier ridicule de Scarron. En effet, le procédé mis en œuvre est le même : le valet se déguise en un homme étranger fortuné pour séduire une femme en présence de son maître. Dans le cas de L’héritier ridicule, le but de la supercherie n’est pas le même que chez Boursault : le déguisement a pour objectif de révéler que l’intérêt d’Hélène pour Dom Diègue est purement intéressé et que dès qu’un homme plus fortuné, en l’occurrence Dom Pedro de Buffalos, entre en scène elle n’a plus d’yeux que pour lui et oublie ses engagements.

Le déguisement de Gusman en ambassadeur d’Afrique nous montre une imitation de l’Afrique telle qu’elle est perçue au XVIIe siècle. D’après les informations qui nous sont données dans le texte nous pouvons dire que l’Africain inspire de la crainte mais aussi du respect (v. 395 à 401). Gusman prétend être un haut dignitaire et pourtant son franc parler de valet ressort, cela crée un décalage comique au sujet duquel Russell Goulbourne fait cette supposition : « il se peut aussi que Gusman fasse vivre l’image stéréotypique d’Africains féroces et cruels, d’où l’aparté de Lazarille : “Quel brutal !” (II, 3)71 ». À propos de la représentation physique d’un ambassadeur africain nous avons peu d’éléments : Gusman fait allusion dans une tournure familière et peu flatteuse à sa couleur de peau au vers 524 et à sa « roupille » au vers 614 : le reste du déguisement est laissé à la créativité de chaque troupe.

Le monologue de Gusman : parodie comique des stances du Cid §

Les vers 557 et 558 « Je vous ayme, vous dis-je, et mon ame abatuë, / Cede au cruel effort de l’amour qui me tuë » prononcés par Gusman déguisé en ambassadeur à la scène 3 de l’acte II sont une reprise comique des paroles de Rodrigue à la scène 6 de l’acte I du Cid vers 295 et 296 : « Je demeure immobile et mon ame abatuë / Cède au coup qui me tue ». Ces vers font partie de ce qu’on appelle les stances du Cid. Le public du XVIIe siècle remarque cette reprise que la bouche de Gusman rend comique. Nous pouvons définir ainsi ce procédé rhétorique :

Les stances correspondent au moment où le discours, au lieu d’être destiné à exercer une action sur le partenaire, est tout entier centré sur les pensées et les sentiments de l’émetteur même du discours : expression d’un moi souffrant, irrésolu, inquiet ou rêveur, les stances correspondent à ce que nous entendons au jour d’hui par « lyrisme »72.

Dans Le Mort vivant l’objectif des stances est détourné. Contrairement à Rodrigue qui est seul sur scène lorsqu’il réfléchi sur son amour, Gusman prononce les mêmes vers en présence d’Olympie pour la faire changer d’avis. Il n’est plus donc question d’une quelconque introspection. La visée d’un tel discours n’est plus la souffrance et l’inquiétude du personnage mais participe plutôt à le rendre ridicule et comique. En outre, les stances expriment dans le Cid, la douleur du personnage mais aussi son incapacité à agir ; ce n’est pas le cas de Gusman qui est très entreprenant avec Olimpie comme en témoignent les vers de la scène 3 de l’acte II. Mettre de tels vers dans la bouche d’un valet déguisé en ambassadeur amoureux permet à Boursault d’amplifier le caractère ridicule de son personnage mais aussi de faire un clin d’œil à son public familier du théâtre de son temps.

Lazarille, jeune premier désespéré §

À première vue, le suffixe « ille » qu’on retrouve dans de nombreux noms de personnages du XVIIe siècle73, rappelle les noms de personnages hispaniques et implique donc une référence au personnage du gracioso. Cependant, le personnage de Boursault n’est pas un valet, c’est un jeune premier. Il n’est donc pas question ici d’une allusion au personnage du gracioso et à son héritage. Nous pouvons supposer que l’auteur à utilisé ce suffixe simplement pour donner une touche hispanique à son personnage comme il l’a probablement fait aussi en nommant Gusman, même si ce nom est largement donné aux valets du XVIIe siècle français. Dans sa thèse Francesca Borello affirme que

Fabrice et Lazarille (Le Mort vivant) sont si semblables, ont un caractère si prononcé et possèdent une telle utilité pour l’action dramatique qu’il est presque impossible de déterminer réellement quel est celui qui occupe une fonction centrale74.

Nous pensons effectivement que les deux jeunes hommes ont la même importance du point de vue de l’intrigue seulement la manière qu’ils ont d’agir dans la pièce est différente. Fabrice, comme nous l’avons vu, n’agit vraiment que par l’intermédiaire de son valet ; Lazarille quant à lui n’a même pas de valet. Il est seul dans toutes ses entreprises. Après avoir appris la mort de son père il est désemparé, tout comme Fabrice lorsqu’il apprend que son ami est amoureux de la même femme que lui et qu’elle s’est promise à lui ; cependant, Lazarille fait le choix d’aller se confier à son ami et lui demande de l’aider plutôt que de passer par un autre intermédiaire. En outre, contrairement à Fabrice qui obtient ce qu’il désirait à la fin de la pièce, nous ne pouvons pas affirmer que le bonheur de Lazarille soit total après le dénouement : certes, Stéphanie se révèle être sa sœur ce qui l’autorise à lui porter un amour mais ceci signifie aussi qu’elle ne peut pas honorer sa promesse de mariage et que Lazarille se retrouve à la fin de la pièce sans promise alors qu’il était le seul a en avoir une à l’issue du premier acte. Il est le seul personnage à aller de mal en pis d’une scène à l’autre : on lui annonce la mort de son père, mais il apprend que ceci n’est qu’un coup monté pour l’éloigner de la bouche même de son ami qui n’est autre que l’instigateur et finalement son père se révèle être aussi le père de celle qui s’était promise à lui. Nous ne pouvons pas dire que le sort profite à ce personnage de comédie.

Ferdinand et Henriquez de Galas, pères de Stéphanie §

Ferdinand est le père de Stéphanie lorsque la pièce commence. À la scène 2, il s’entretient avec Stéphanie pour lui annoncer qu’il n’est que son père adoptif et qu’il compte donc l’épouser. De plus amples explications sur cette mystérieuse naissance sont données à Lazarille venu demander en vain la main de la jeune femme à la scène 3. Nous sommes là dans le schéma classique de la comédie selon lequel un barbon élève une jeune fille comme si c’était la sienne dans l’optique de pouvoir l’épouser le moment venu pour la plus grande déception d’un jeune prétendant. Ceci correspond au conflit qui motive toute comédie : l’opposition intergénérationnelle. Cette situation est la même que dans L’École des femmes de Molière : le barbon Arnolphe a élevé Agnès dans le but de l’épouser et refuse donc qu’Horace puisse l’épouser jusqu’à l’arrivée du vrai père de la jeune fille, Enrique à la scène 7 de l’acte V. Ce nom rappelle curieusement celui d’Henriquez de Galas ; cette ressemblance entre deux œuvres de la même année peut s’expliquer par le vivier représenté par le théâtre espagnol à cette période. Henriquez de Galas arrive au début du troisième acte comme un deus ex machina pour sauver son fils du stratagème inventé par Fabrice et pour amener un dénouement heureux. C’est lui qui a le mot de la fin en refusant la main de sa fille au vieux barbon qui se l’était attribuée. Il est un homme respectable et de bonne naissance ; dans la liste des personnages il est le seul dont le nom de famille soit précisé, même son fils est simplement désigné sous le nom de « Lazarille », cela lui donne donc un certain pouvoir sur les autres personnages, de la supériorité. Nous pouvons le comparer à un honnête homme : il sait bien parler comme en témoigne son monologue poétique à la scène 2 de l’acte III et permet d’amener le dénouement le plus juste qu’il soit. Seulement, un détail manque à son sujet : nous ne savons pas pourquoi il a mis tout ce temps pour venir récupérer sa fille et révéler son identité au grand jour. Ferdinand et Henriquez de Galas sont deux hommes que tout oppose : le premier est un vieux barbon aigri intéressé par le mariage avec une jeune femme magnifique et le second un honnête homme qui vient rétablir l’ordre.

Le Médecin volant §

Création et représentation §

Le privilège du Médecin volant date du 31 octobre 1664. Le texte est republié à Lyon en 1665 chez Charles Mathevet. Lancaster établit donc la première représentation la même année rejetant l’idée des frères Parfaict dans leur Dictionnaire des théâtres de Paris, idée selon laquelle la première représentation aurait eu lieu en 1661 à l’Hôtel de Bourgogne, information qu’on retrouve aussi chez Fournel dans Les Contemporains de Molière qui affirme que Le Médecin volant aurait été joué pour la première fois en novembre 1661 :

Ce dernier [Hoffmann], suivant les frères Parfaict, la Bibliothèque du théâtre français et Fournel, donne la date de la première représentation est 1661, mais il n’apporte aucune preuve. La date de l’impression fait qu’il est plus probable qu’elle ait été jouée pour la première fois en 1664, année au cours de laquelle la pièce du même titre attribué à Molière a été jouée quatre fois75.

Cependant, Lancaster laisse de côté les représentations de la pièce de Molière qui ont eu lieu avant 1664, selon le Registre de La Grange, le 14 juin 1661, le 25 octobre 1661, le 24 mars 1662, les 28 et 30 avril 1662, le 15 mai 1663 et effectivement quatre fois en 1664, le 29 juin, les 4, 6 et 8 juillet. Nous retrouvons la pièce de Boursault dans le répertoire d’une troupe de province en 1668.

La pièce est inspirée d’un sujet italien très en vogue à l’époque, celui du Medico volante. De nombreuses comparaisons peuvent être effectuées avec la pièce de Molière comme nous le verrons par la suite. Lancaster affirme que la déclaration de Boursault dans l’Avis au lecteur selon laquelle sa pièce est une adaptation d’un sujet italien et qui plus est le meilleur qui soit, est vraie :

ils ne sont pas suffisamment étayées par des preuves pour justifier le rejet de la déclaration de Boursault, toutes les ressemblances entre les deux pièces de théâtre français peuvent être expliquées par leur source commune […] comme l’autre Médecin volant n’avait pas encore été publié, Boursault a sans doute eu quelques difficultés à l’imiter76.

L’argument de la non publication de la pièce de Molière qui justifierait le fait que Boursault n’ait pas copié la pièce du grand dramaturge ne nous semble pas suffisante. Nous savons effectivement que les textes des éditions dites « pirates » sont réalisés par des personnes qui copient la pièce lors d’une représentation. Molière a été victime de ce phénomène. Une édition « pirate » des Précieuses ridicules l’a contraint d’imprimer lui-même sa petite comédie qu’il ne comptait pourtant pas publier. Cela se reproduit avec Sganarelle ou le Cocu imaginaire que le libraire Jean Ribou parvient à publier à son nom. En outre, Lancaster pense que pour son Médecin malgré lui, Molière a pu chercher son inspiration dans son propre Médecin volant mais aussi dans celui de Boursault. Seulement, l’analyse de Georges Forestier et de Claude Bourqui à ce sujet-là, dans la Notice du Médecin volant de l’édition des Œuvres complètes de Molière (2010) dans la collection de la Pléiade, nous semble plus pertinente.

Dans les faits, les nombreux points communs que présente son Médecin volant [celui de Boursault] avec le manuscrit que nous éditons, la reprise des mêmes séquences, organisées autour du même nombre de personnages, amènent à conclure nécessairement que l’un des deux textes a été composé à partir de l’autre. Or la version de Boursault se caractérise par un traitement malhabile de la matière, indice évident d’une intervention de seconde main77.

Autre lien obscur avec la pièce de Molière soulevé par Lancaster ; le fait que ce soit la pièce de Boursault et non celle de Molière qui ait été jouée quinze fois à la Comédie Française entre le 13 mai 1685 et 1687 à l’Hôtel Guénégaud et que ce soit aussi cette même pièce qui ait été traduite en néerlandais en 1666. Après vérification, c’est bien la pièce de Boursault qui a été représentée à la Comédie Française dans la mesure où la pièce de Molière entre au répertoire de la Comédie en 1833. Il en va de même pour la traduction en néerlandais : Claude Bourqui démontre dans Les Sources de Molière que le texte de base de la traduction est celui de Boursault publié en 1665, ce qu’il nous est possible de vérifier en allant consulter la traduction néerlandaise.

Résumé de la pièce §

Scène 1 : Lise, Cléon §

Lucresse, amoureuse de Cléon, feint d’être malade ayant peur de la réaction de son père quant à son amour. Sa servante Lise rencontre Cléon et l’incite à user d’une ruse pour voir celle qu’il aime.

Scène 2 : Cléon §

Il s’agit d’un court monologue. Le jeune homme s’interroge sur les moyens qu’il peut mettre en œuvre pour pouvoir voir Lucresse. Cette réflexion est interrompue par l’arrivée de son valet Crispin.

Scène 3 : Crispin, Cléon §

Le valet arrive pour annoncer une nouvelle que Cléon avait du lui demander d’aller chercher mais le jeune homme l’interrompt pour lui parler de sa belle. Nous ne saurons pas ce que Crispin avait été envoyé faire. Cléon exprime ses sentiments pour Lucresse qui est enfermée dans sa chambre. Il dévoile à Crispin ses intentions d’abuser le père de Lucresse. Pour cela il souhaite que Crispin se déguise en médecin ; le valet tente de raisonner son maître sur l’impossibilité de la feinte, il ne sait rien de ce que sait un médecin. L’arrivée de Fernand au loin interrompt la conversation des deux hommes qui se donnent rendez-vous chez le maître.

Scène 4 : Cléon, Fernand, Philipin, Cléon §

Cléon discute avec Fernand et lui montre son affection pour Lucresse et sa douleur de la savoir malade. Il affirme qu’il veut le bonheur de la jeune femme et qu’il est heureux si d’autres hommes que lui plaisent à Lucresse. Ceci est naturellement une feinte pour mieux préparer l’intervention de Crispin.

Scène 5 : Fernand, Philipin §

Fernand se lamente auprès de son valet Philipin que sa fille Lucresse soit mourante. Pour Philipin la cause de la maladie qui l’afflige et la fait mourir à petit feux est évidente : la jeune femme est vierge depuis trop longtemps, sa virginité la ronge. Le père inquiet envoie son valet chercher un Médecin qui mette fin à ses inquiétudes.

Scène 6 : Fernand §

Il s’agit d’un court monologue. Le vieil homme se lamente sur sa condition. Il se dit incapable de supporter tant de peine d’autant qu’il est âgé.

Scène 7 : Crispin, Fernand §

Fernand rencontre Crispin déguisé en médecin débitant un pseudo-discours médical ; ceci impressionne le vieillard qui l’invite à venir soigner sa fille. Le valet lui pose alors toute une série de questions plus extravagantes les unes que les autres.

Scène 8 : Lise, Fernand, Crispin §

Lise vient annoncer à Fernand l’aggravement de l’état de santé de Lucresse. Elle confond Crispin avec un gueux ce que Fernand lui reproche ardemment. Le valet désire établir un premier diagnostic et demande à avoir de l’urine de la malade.

Scène 9 : Crispin, Fernand, Lise §

Lise revient avec l’urine de la malade. Crispin analyse son aspect puis, contre toute attente, il boit l’urine et en fait quérir d’autre pour pouvoir réaliser son diagnostic.

Scène 10 : Lise, Crispin, Fernand §

Lise revient avec un peu d’urine que Crispin boit immédiatement mais il demande à nouveau et la renvoie auprès de la malade. Lise revient sans rien mais assure que sa maîtresse vient de boire de l’eau pour pouvoir répondre à sa demande. Lise annonce que pour ne pas rester seule à se morfondre sur son triste sort, Lucresse a décidé de venir rejoindre son père et le médecin.

Scène 11 : Lucresse, Fernand, Crispin, Lise §

Lucresse arrive sur scène. Crispin trouve qu’elle a fort mauvaise mine. Afin de continuer sa visite médicale il décide de prendre le poul de la jeune femme en lui tâtant le bras. Un jeu comique s’instaure puisqu’il ne tâte pas le bras de Lucresse mais celui de son père et annonce que sa patiente souffre d’un grand mal. Fernand panique se croyant lui aussi malade ; Crispin lui explique alors que les liens qui unissent père et fille sont tels que la maladie de l’un peut se lire dans le corps de l’autre. Pour illustrer ses dires, Crispin prend alors le bras de Lucresse et établit le même diagnostic que précédemment. Pour guérir la jeune femme, il donne alors une ordonnance préparée à l’avance permettant de soigner tous les maux et donc celui de Lucresse se trouve nécessairement parmi eux.

Scène 12 : Philipin, Fernand, Cantéas, Crispin §

Philipin revient avec Cantéas, un savant médecin. Cantéas s’excuse de son retard auprès de Fernand et expose sa science aux yeux de tous cherchant à éprouver celle de son homologue. Crispin mal à l’aise ne sait que répondre à ce savant homme et se trouve désemparé devant lui.

Scène 13 : Fernand, Crispin §

Fernand est surpris que Crispin n’ait pas parlé pendant leur échange avec Cantéas. Crispin lui répond que Cantéas est mauvais et qu’il ne l’a pas laissé parler. Il se définit comme faisant partie des médecins qui guérissent par la parole. Fernand veut payer Crispin qui refuse l’argent et qui promet à Fernand de toujours être son « serviteur ». Le faux médecin s’en va annonçant qu’il reviendra le soir même pour voir Lucresse.

Scène 14 : Fernand §

Il s’agit d’un court monologue. Fernand vante les qualités de Crispin ; il s’agit d’un grand médecin qui ne détrousse pas ses patients contrairement à d’autres qui ne recherchent que le gain.

Scène 15 : Fernand, Crispin §

Crispin en habit de valet est à la recherche de Cléon mais il rencontre Fernand qui le reconnaît. Pour expliquer son habit il prétend être le frère du médecin. Celui-ci l’a chassé à cause d’une mauvaise manipulation. Fernand décide alors d’être le médiateur entre les deux frères pour les réunir et les réconcilier. Il part donc en quête du médecin.

Scène 16 : Fernand §

Il s’agit d’un court monologue. Fernand pense au malheur de Crispin qu’il vient de croiser mais il ne sait pas où loge le médecin. Il décide d’attendre qu’il vienne le soir pour voir Lucresse.

Scène 17 : Crispin, Fernand §

Crispin médecin revient chez Fernand. Celui-ci lui demande une grâce : il veut qu’il fasse la paix avec son frère. Crispin ayant donné sa parole à Fernand lors de leur dernière entrevue, accepte de voir son frère et s’en va prétendant avoir un malade à voir.

Scène 18 : Fernand §

Il s’agit d’un court monologue. Fernand décide de faire accorder le pardon au frère du médecin devant ses yeux.

Scène 19 : Crispin, Fernand §

Crispin en valet se lamente et Fernand lui annonce que son frère accepte de faire la paix avec lui et de lui pardonner. Le valet est étonné de ce choix sachant que son frère était furieux contre lui mais Fernand lui assure qu’il ne craint rien qu’il a décidé d’être présent lors des retrouvailles. Paniqué, Crispin lui assure que la parole de son frère est sûre que la présence de Fernand lors de leur réconciliation n’est pas nécessaire. Mais celui-ci insiste et fait entrer Crispin chez lui, fermant à clef derrière lui.

Scène 20 : Fernand §

Il s’agit d’un court monologue. Fernand cherche à retrouver le médecin.

Scène 21 : Crispin §

Il s’agit d’un court monologue. Crispin se demande comment faire pour sortir de la maison et décide de sauter par la fenêtre.

Scène 22 : Philipin §

Il s’agit d’un court monologue. Philipin voit Crispin sauter de la fenêtre sans n’avoir rien volé et décide de l’épier.

Scène 23 : Crispin, Fernand, Philipin §

Crispin médecin est de retour. Il dit à Fernand qu’il prend trop de soins pour son frère. Fernand l’envoie à l’étage le retrouver. Crispin lui demande de le suivre pour voir l’échange entre son frère et lui puis se ravise et lui demande de les écouter en dessous de la fenêtre. Fernand sort et referme la porte à clef derrière lui.

Scène 24 : Philipin, Fernand, Crispin §

Philipin dehors avec Fernand lui révèle que Crispin est un traître mais son maître refuse de le croire et se moque de lui. Crispin feint une conversation avec son frère. Philipin demande à Fernand de demander à Crispin que son frère réponde. Crispin déguise alors sa voix pour faire croire à la présence d’un autre homme. Fernand soutenant à Philipin qu’ils sont deux, celui-ci demande à ce que Crispin embrasse son frère devant la fenêtre. Crispin met alors son chapeau sur son coude et l’embrasse. Fernand croit à la feinte mais Philipin estime qu’il n’a rien vu. Fernand fait sortir Crispin médecin qui après avoir abandonné sa soutane remonte par la fenêtre et sort habillé en valet. Seulement, Philipin trouve la soutane et vient le dévoiler à son maître. Crispin est démasqué et fait appel à Cléon qui arrive pour expliquer la situation.

Scène 25 : Fernand, Cléon, Lucresse, Crispin, Philipin, Lise §

Fernand reconnaît Cléon et Lucresse qui arrivent ensemble et jure que Cléon devra épouser la jeune femme puisqu’il l’a séduite. Par la même occasion, Crispin va épouser Lise.

Analyse de la pièce §

Le Médecin volant est une pièce en un acte qui se divise en vingt-deux scènes. Ce nombre est particulièrement important si nous le comparons avec celui du Médecin volant de Molière qui n’en compte que treize.

Cette différence qui n’est pas négligeable s’explique par le grand nombre de petites scènes que contient la pièce de Boursault. Nous pouvons en dénombrer huit : la scène 2, la scène 6, la scène 14, la scène 16, la scène 18 et les scènes 20 à 22. Ces scènes se révèlent finalement être de courts monologues qui ne font pas évoluer l’action et qui représentent des « pauses » dans l’intrigue : le personnage en scène se plonge par exemple dans ses pensées, réalise le bilan de la scène passée ou annonce la scène qui suit. Seulement, si elles ne jouent pas un rôle dans l’avancée de l’intrigue, l’existence de ces scènes peut s’expliquer si nous nous intéressons à la structure externe de la pièce. La nécessité de lier les différentes scènes entre elles peut justifier la présence de ces scènes courtes. Elles servent de lien entre les autres scènes. À partir de la scène 13, nous pouvons remarquer que Boursault alterne une scène de longueur moyenne et une scène courte ; plus précisément une scène réunissant Fernand et Crispin et une autre impliquant Fernand uniquement. Les scènes courtes permettent de mettre en scène la réussite du déguisement sur le personnage de Fernand. Les différents commentaires qu’il fait montrent que l’illusion créée par Crispin fonctionne et rend le personnage d’autant plus ridicule aux yeux du spectateur qui est lui aussi complice de la supercherie. Ceci est renforcé par le fait que le personnage se retrouve seul en scène ; il devient le sujet de tous les regards.

Les personnages §

Crispin et Fernand : dupeur et dupé §

Ces deux personnages sont les personnages principaux de la pièce : ils se partagent la parole. Sur les 507 vers que compte la pièce, Crispin en prononce plus de 200, monopolisant ainsi la parole et Fernand en prononce deux fois moins que lui mais dépasse largement le nombre moyen de vers prononcés par les autres personnages qui représente une quarantaine de vers pour chacun. Crispin incarne le valet dévoué à son maître et devient le véritable héros du Médecin volant, même si au début de la pièce il a été séduit par l’appas du gain plutôt que par son obéissance envers Cléon. Tout comme le valet de la commedia dell’arte il est rusé et inventif comme en témoigne le jeu du frère jumeau qu’il s’invente alors qu’il rencontre Fernand à visage découvert, en habit de valet à la scène 15. Il s’avère donc plus à l’aise qu’il ne l’avait pensé dans ce rôle de menteur.

Fernand est un simple barbon de comédie. Il se laisse berner par le discours de faux médecin de Crispin, allant même jusqu’à s’émerveiller devant son savoir si important et impressionnant. Il est incapable de faire la différence entre Crispin déguisé en médecin et Cantéas qui est pourtant décrit comme un vrai médecin. Tout ce qu’il espère c’est sauver sa fille du mal qui la ronge sans douter un seul instant de ce mal. Il est totalement crédule et donc ridicule.

Le valet de Fernand, Philipin n’a qu’un rôle d’adjuvant auprès de son maître jusqu’ à la scène 22 où il voit Crispin sauter par la fenêtre. À la scène 24, il fait part à son maître de ses doutes concernant la véritable identité de Crispin. Philipin est alors un personnage essentiel. C’est grâce au fait que Philipin découvre la soutane abandonné par le faux médecin à la fin de la scène 24 que Crispin peut être confondu et Fernand désabusé.

Cléon et Lucresse ou les principaux intéressés absents §

Les deux jeunes gens apparaissent peu sur scène : Cléon est présent dans les quatre premières scènes pour mettre en place le stratagème du déguisement avant de disparaître totalement et de revenir pour la scène finale, la scène 25, Lucresse quant à elle fait une apparition à la scène 11 et ne réapparaît qu’à la dernière scène. La comédie tend vers la réalisation du projet du couple mais ils ne sont pas acteurs de la réussite de leur entreprise. Le spectateur est amené à s’intéresser pour leur avenir sans toutefois les voir sur scène et agir. Ceci est laissé à la charge du valet rusé qui prend le dessus sur son maître en devenant plus important que lui. En cela, ils rappellent le couple d’amoureux de la commedia dell’arte :

Dans la comédie italienne le désir du héros étant relayé par les ruses de son valet destinées à permettre la réalisation de ce désir, ce sont les tentatives du valet qui constituent le moteur permanent de l’action78.

Le Médecin volant, une pièce héritière de la commedia dell’arte §

Le sujet du Médecin volant est un sujet caractéristique du théâtre du XVIIe siècle. Cette tradition a été apportée en France par les italiens chez qui nous pouvons trouver des pièces ayant pour sujet un Medico volante à partir du XVIe siècle. Ce phénomène peut s’expliquer par la présence des comédiens italiens qui sont très tôt sur les routes de France et qui s’implantent à Paris à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle ; ils partagent notamment le Palais du Petit Bourbon puis le Palais Royal avec Molière. Le public parisien est très friand de leurs petites pièces et admirent les prouesses de leur chef de file, Scaramouche.

Le Medico volante est la synthèse de deux éléments. Le premier est celui de la « fausse malade » qui implique une jeune fille qui feint la maladie pour pouvoir échapper à un mariage et son amant qui déguise son valet en médecin. Ceci est le résultat d’une longe tradition italo-espagnole dont l’origine est peu claire compte tenu des différences qu’a eu le théâtre espagnol sur l’italien et vice-versa. Le second élément nécessaire est une scène d’ubiquité fondée sur un jeu de scène avec des déplacements rapides et furtifs et des déguisements de la part du faux médecin qui a une double identité. Cette séquence se trouve dans le théâtre italien mais n’est pas aussi répandue que nous pourrions le croire. Nous retrouvons ces deux éléments chez Boursault : Lucresse feint d’être malade bien que nous ne sachions pas si elle tente d’échapper ou non à un mariage forcé, aucun développement n’est réalisé dans la pièce à ce sujet, Cléon prie son valet Crispin de se déguiser en médecin pour abuser le père de la jeune femme et Crispin est contraint d’assumer simultanément le rôle du faux-médecin et du frère de celui-ci.

  Il nous reste deux manuscrits présentant des canevas de Medico volante, un florentin et un napolitain, ainsi qu’un Truffaldino medico volante anonyme et datant du troisième quart du XVIIe siècle. Le rôle du medico volante permet de mettre en valeur les performances de l’acteur : en effet, l’expression « medico volante » est à comprendre au sens propre, le personnage était amené à voler sur scène grâce à la machinerie, probablement attaché à un arceau relié à une poutre du théâtre. Il est laissé aux zanni, personnages propres à réaliser des prouesses sur scène. Ceci est une des caractéristiques qui fondent la commedia dell’arte :

Il [un spectacle de commedia] fournit de la matière à rire et à s’émouvoir. Il offre un spectacle. Il ne cherche pas à donner l’illusion d’un monde réel représenté au travers du prisme de la fiction. L’univers dépeint n’est emblème ni symbole de quoi que ce soit. Il est prétexte à jeu79.

Grâce aux Italiens le public français est un habitué des représentations impliquant un Medico volante. Au milieu des années 1640, Scaramouche joue un Medico volante repris de nombreuses fois comme le montre la réaction de Somaize qui accuse Molière en 1660 de l’avoir copié. Seulement, le grand dramaturge a adapté le sujet italien pour créer un Medecin volant français au comique renforcé. Ce nouveau scénario original est remarqué par ses contemporains et d’autres auteurs tentent à leur tour d’écrire un Médecin volant.

Sur les traces d’un plagiat non avoué §

Dans son Avis au lecteur, Boursault assume ne pas être le véritable auteur de sa pièce puisqu’il s’inscrit dans une tradition littéraire « ce n’est pas moy qui en suis l’Auteur ». Cependant, il déclare aussi que le sujet de sa pièce est traité de manière originale, « je crois qu’il est plus beau de ma façon que d’aucune autre, à cause qu’outre la Traduction qui en est fidele, il a encore la grace de la Poësie ». Il mentionne l’existence d’un autre Médecin volant au théâtre du Marais sans toutefois faire une quelconque allusion au Médecin volant de Molière avec lequel son texte présente de nombreuses ressemblances ce qui paraît assez étrange. À sa décharge, il existe une différence formelle entre les deux textes : Le Médecin volant de Molière est rédigé en prose alors que celui de Boursault est en vers.

Nous allons ici nous intéresser aux comparaisons qu’il est possible d’établir entre les deux Médecin volant mais aussi les références qui existent dans celui de Boursault à d’autres pièces de Molière. Pour établir cela, nous nous appuyons sur la Notice et les notes sur le Médecin volant faites par Georges Forestier et Claude Bourqui dans le tome II de l’édition des œuvres complètes de Molière chez la Pléiade, mais aussi sur les tableaux comparatifs qu’il est possible d’établir en comparant deux textes sur le site theatre-classique.fr réalisé par Paul Fièvre et les ressources proposées par le site moliere21.

Pour plus de lisibilité et une compréhension plus aisée, nous présenterons notre analyse sous la forme de tableaux comparatifs.

Comparaison entre Le Médecin volant de Molière et celui de Boursault §

Les deux pièces sont des pièces en un acte qui mettent en scène sept personnages. Chez Boursault, le médecin Cantéas remplace l’avocat de Molière. Georges Forestier remarque dans sa Notice du Médecin volant qu’il s’agit là d’une méprise de Boursault qui pensait sans doute offrir à son public un personnage plus vraisemblable que celui de Molière et qui témoigne de son manque de connaissance au sujet de la tradition esthétique de son temps :

C’était sans savoir que la présence d’un avocat y est inspirée d’un jeu de scène de la tradition italienne, où c’est le Dottore qui tient le rôle de l’importun : docteur ès lois (et non pas en médecine), mais néanmoins amateur éclairé de médecine, il effraie ou rassure tout à tour le faux médecin, selon ses compétences révélées par paliers80.

Dans son Médecin volant, Boursault semble laisser une grande partie des lazzi qui font de celui de Molière une pièce héritière de la commedia dell’arte remaniée à la française. Il abandonne le « Galimatias » de Gros-René à la scène 3 du Médecin volant de Molière et le remplace par une remarque de Philipin à la scène 5 quant au pucelage trop longtemps gardé de Lucresse. De même, tout un développement est fait à la fin de la scène 13 au sujet de l’argent que Fernand veut donner à Crispin et que celui-ci refuse tout simplement. Le lazzo de l’argent accepté en feignant le refus expérimenté par Molière à la scène 8 n’est pas repris81. Il en va de même pour celui du « Je ne prendrai pas la droite avec vous » à la scène 8 où Sganarelle affirme qu’il ne compte pas faire une joute verbale avec l’avocat ; cet épisode est remplacé par un jeu de déplacement entre Cantéas et Crispin à la scène 12 au cours duquel Crispin se retrouve toujours, sans le vouloir, au centre de la pièce, comme s’il avait l’intention de voler la vedette à Cantéas. L’héroïne de Boursault est aidée par une servante tandis que celle de Molière est aidée par une cousine. Celle-ci est envoyée chercher un médecin, ce dont elle fait part à l’amant en lui suggérant d’« envoyer quelqu’un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre Intelligence82» prétendant être médecin. Le frère jumeau du faux-médecin se nomme Narcisse chez Molière tandis qu’il n’a pas de prénom chez Boursault. La scène perd ainsi une partie de son comique qui réside dans le nom choisi : Narcisse étant dans la mythologie un personnage qui s’est noyé en tombant sous le charme de son propre reflet. L’idée de dualité et de gémellité impliquant pourtant une seule personne, révélant ainsi la tromperie du valet est contenue dans le seul nom choisi par Molière. Chez Boursault l’idée du déguisement du valet vient de l’amant lui-même. En outre, la scène de l’urine est beaucoup plus développée dans la pièce de Boursault bien qu’elle n’apporte rien de plus à l’action tout comme la dernière scène lorsque Fernand demande à Cléon d’épouser Lucresse.


Médecin volant de Molière Médecin volant de Boursault
Proposition de paiement de la part du maître pour convaincre son valet de se déguiser en médecin.
Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles (scène 2) Sans perdre icy d’inutiles paroles,
Ce service rendu te vaudra six pistoles (scène 3)
Tautologie dite par le faux-médecin présente dans toutes les versions du Médecin volant françaises ou italiennes.
Hippocrate dit et Galien par vives raisons persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade (scène 4) Je say par le moyen du plus noble des Arts,
Que qui meurt en Fevrier n’est plus malade en Mars
Que de quatre saisons une année est pourveuë,
Et que le mal des yeux est contraire à la veuë. (scène 7)
Série de galimatias servant à montrer que le valet-médecin est un véritable médecin.
Salamalec, Salamalec, Rodrigue as-tu du cœur ? Signor, si Signor, non per omnia saecula saeculorum (scène 4) Pythagore, Platon,
Masche-à-vuide, Pancrace, Hesiode, Caton (scène 7)
Scène de confusion entre le bras du père et de la fille ; le valet-médecin tâte le bras du père pour diagnostiquer la maladie de sa fille.
Mais encore voyons un peu. - Hé! ce n’est pas lui qui est malade, c’est sa fille. - Il n’importe: le sang du père et de la fille ne sont qu’une même chose; et par l’altération de celui du père, je puis connaître la maladie de la fille. (scène 4)83 CRISPIN
Votre bras, que je tâte
Si pour vous il est vrai que la mort ait si hâte,
Donnez, dis-je.
Au lieu de prendre le bras de Lucresse, il prend celui de son père et dit :
Tu Dieu ! comme il bat, votre pouls,
J’aurais bien de la peine à répondre de vous,
Et votre maladie est sans doute mortelle,
Prenez-y garde.
FERNAND
O Dieux ! quelle triste nouvelle;
Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?
CRISPIN
Vous, pourquoi ?
FERNAND
Vous n’avez pris le bras à personne qu’à moi.
CRISPIN
Et cela vous étonne ! Une tendresse extrême
Rend la fille le père, et le père elle-même. (scène 11)
Importance de l’ordonnance d’un médecin pour pouvoir mourir.
Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure. - Ah! qu’elle s’en garde bien! Il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance du médecin. (scène 4)84 Elle a donc quelque mauvais dessein,
Puisqu’elle veut mourir sans aucune ordonnance ;
De ces sortes de morts notre école s’offense :
Quand un homme se trouve en état de périr
Toujours un médecin doit l’aider à mourir. (scène 6)85
Cet épisode se retrouve dans toutes les versions italiennes et françaises de la pièce mais aussi dans des entremés 86 espagnols où il est précisé qu’il ne s’agit pas d’urine mais de vin blanc que la servante, complice, apporte au médecin.
Monsieur Gorgibus, y aurait-il moyen de voir de l’urine de l’égrotante ? - Oui-da; Sabine, vite allez quérir de l’urine de ma fille. Monsieur le médecin, j’ai grand’peur qu’elle ne meure. - Ah! qu’elle s’en garde bien! Il ne faut pas qu’elle s’amuse à se laisser mourir sans l’ordonnance du médecin. Voilà de l’urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins: elle n’est pas tant mauvaise pourtant. - Hé quoi? Monsieur, vous l’avalez ? (scène 4) De la fille égrotante apportez de l’urine » (scène 8)
LISE, avec de l’urine.
En voilà.
CRISPIN
Voyez-vous, comme elle est enflammée ?
Mauvais signe.
FERNAND
O bons Dieux, il en boit.
CRISPIN, après avoir tout bu.
Je crois bien;
Mais qui boit pour si peu ne comprend jamais rien,
Allez en quérir d’autre. […]
CRISPIN
Mon Prince,
Assez d’autres Docteurs d’une estoffe plus mince
Se seraient contentés du rapport de leurs yeux;
Mais à croire sa langue on en juge bien mieux :
BoisRobert nous enseigne en sa Belle Plaideuse
Que le goût est solide, et la vue est trompeuse,
Et qu’un grand Médecin quand il fait ce qu’il doit,
Il sent mieux une chose à la langue qu’au doigt. (scène 11) 
Insistance sur le verbe « pisser » qui crée un effet comique.
Quoi? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes? voilà une pauvre pisseuse que votre fille; je vois bien qu’il faudra que je lui ordonne une potion pissative. (scène 4) LISE, avec encore un peu d’urine.
A pisser comme il faut ma Maistresse s’aplique,
Monsieur, et cependant je n’en ay qu’un filet,
Voyez.
CRISPIN
Pauvre pisseuse !
Apres avoir encore beu, il dit :
Allez au Robinet
En tirer.
LISE
Mais Monsieur…
CRISPIN
Mais que cette pisseuse
Fasse une ample pissée, et qui soit copieuse,
Copieuse.
LISE
Ma foy, ma Maistresse ne peut,
On n’a pas le pouvoir de pisser quand on veut.
(scène 10)
Effet comique produit par des réponses brèves telles que « tant pis » ou « tant mieux » chez Boursault.
Mademoiselle, vous êtes malade?- Oui, Monsieur.- Tant pis! c’est une marque que vous ne vous portez pas bien. (scène 5)87 CRISPIN
Elle n’est donc pas morte ?
FERNAND
Elle ? Nenni.
CRISPIN
Tant mieux,
Je m’en réjouis fort.
FERNAND
Et de quoi ? Cette vie
Avant la fin du jour lui peut être ravie.
CRISPIN
Tant pis, l’a-t-on fait voir à quelque médecin ?
(scène 6)
Citation du premier aphorisme d’Hippocrate par le savant présent sur scène : l’avocat chez Molière et le véritable médecin chez Boursault.
c’est fort à propos qu’Hippocrate dit dans son premier Aphorisme, Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praeceps, expérimentum periculosum, Judicium difficile. (scène 888) Medecine est, dit-il, une longue science,
Tout à fait dangereuse en son experience,
Car touchant nostre vie elle passe si tost
Qu’on n’a pas le loisir d’en juger comme il faut.
Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praceps,
Experimentum periculosum, Judicium difficile (scène 12)
Molière reprend un « adage fréquemment invoqué dans les débats scientifiques de la seconde moitié du XVI e siècle 89  » qui oppose la médecine rationnelle et la médecine expérimentale 90 . Boursault crée quant à lui une citation latine.
Vous n’êtes pas de ces Médecins qui ne vous appliquez qu’à la Médecine qu’on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l’exercez tous les jours avec beaucoup de succès, Experientia Rerum. (scène 8) Mortem medicamentis removet medicus expers.
Je ne puis approuver l’importune metode… (scène 12)
Jugement péjoratif de la part du valet-médecin quant au savoir du « savant » qui tend à le discréditer.
Que vous semble de cet homme-là? - Il sait quelque petite chose. (scène 8) FERNAND
He bien, ce Médecin, vous voyez comme il cause,
Qu’en dites-vous ?
CRISPIN
Il sait quelque petite chose. (scène 13)
Série de présentatifs pour désigner le frère du valet-médecin.
Monsieur, je viens de rencontrer Monsieur votre frère, qui est tout à fait fâché de…- C’est un coquin, Monsieur Gorgibus. - Je vous réponds qu’il est tellement contrit de vous avoir mis en colère… - C’est un ivrogne, Monsieur Gorgibus.  (scène 12) FERNAND
Votre frère, il a tant de douleur,
Que j’ai droit d’espérer…
CRISPIN
C’est un Coquin, Monsieur.
FERNAND
Il a tort, il l’avoue, il se nomme coupable;
Mais, Monsieur, une faute est toujours pardonnable :
Désormais, il en jure, il veut être meilleur,
Vous aimer, vous servir.
CRISPIN
C’est un fripon, Monsieur.
FERNAND
Ne vous puis-je résoudre à la miséricorde ?
CRISPIN
C’est un Pendard, Monsieur, qui mérite la corde.
(scène 17)
Jeu de scène du dédoublement du valet qui joue à la fois le médecin et le frère de celui-ci.
Mais faites-moi la grâce de le faire paraître avec vous, et de l’embrasser devant moi à la fenêtre. […] - Hé bien! ne les voilà pas tous deux? (scène 15) FERNAND à haute voix.
Seras-tu trop honteux si ton frère t’embrasse,
L’enfermé ?
CRISPIN
- C’est à lui … - Paix, Monsieur le Badaud,
Paix fripon, paix belître, et venez ici haut :
Crispin met son chapeau sur son coude, et puis l’embrasse si adroitement, qu’il semble que ce soit une autre personne.
C’est moins par amitié que ce n’est par contrainte;
Venez, dis-je.
FERNAND à Philipin.
Tu vois, ce n’est pas une feinte. (scène 15)
Découverte de l’habit de médecin par le valet du père.
Je le tiens sous mon bras, voilà le Coquin qui faisait le Médecin, et qui vous trompe. » (scène 15) PHILIPIN ramassant la soutane de Crispin
Ah, je tiens votre guesne,
Doctissime. […]
PHILIPIN montrant Crispin et sa soutane.
Voila l’un, voila l’autre.
Comparaison avec d’autres pièces de Molière §

Boursault s’appuie aussi sur une intertextualité présente dans les œuvres de Molière. Ainsi, certains passages du Médecin volant rappellent un certain nombre des œuvres de Molière qui se font elles-mêmes écho et devenant un thème récurrent de l’œuvre de ce grand dramaturge. Ces éléments participent donc de la découverte de la source de Boursault malgré toutes les indications fournies par celui-ci dans son Avis au lecteur.

Sachant l’intertextualité qui existe dans l’œuvre même de Molière, nous avons fait le choix de faire en priorité la comparaison avec des pièces ayant pour sujet la médecine telles que L’Amour médecin, pièce ayant un rapport étroit avec Le Médecin volant de Molière. Pour les autres pièces, nos procèderons par ordre chronologique en prenant pour base la première œuvre écrite par Molière et en renvoyant aux références dans les autres œuvres en notes de bas de pages.

L’Amour médecin (1665) §

L’Amour médecin, Molière Le Médecin volant, Boursault
Importance de mourir dans les « formes » ; ces passages peuvent être mis en relation avec ceux que nous avons vu dans les deux Médecin volant qui vantent la présence nécessaire d’un médecin pour pouvoir mourir.
Vous aurez la consolation qu’elle sera morte dans les formes. - Il vaut mieux mourir selon les règles, que de réchapper contre les règles.91 
(Acte II, scène 5)
Quand un homme se trouve en estat de perir
Tousjours un Medecin doit l’ayder à mourir,
Et c’est faire éclater des malices enormes
Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
(scène 7, v. 143-146)
Épisode montrant que le pucelage trop longtemps gardé peut être une source de maladie chez une jeune femme.
C’est un mari qu’elle veut. - Je l’abandonne. - Un mari. - Je la déteste. - Un mari. - Et la renonce pour ma fille. - Un mari. - Non, ne m’en parlez point. - Un mari.- Ne m’en parlez point. - Un mari. - Ne m’en parlez point. - Un mari, un mari, un mari. 
(Acte I, scène 3)
PHILIPIN
C’est à vous que j’en donne le blasme,
A la pourvoir d’un homme on a trop retardé,
Un pucelage nuit quand il est trop gardé,
C’est cela qui l’étouffe, et ces sortes de choses…
(scène 5, v. 78-81)
Épisode mettant en valeur l’agitation des deux jeunes filles
Votre fille toute saisie des paroles que vous lui avez dites, et de la colère effroyable où elle vous a vu contre elle, est montée vite dans sa chambre 
(Acte I, scène 6)
LISE
Ah, Monsieur, vostre fille est fort mal !
FERNAND
Que fait-elle ? Je tremble.
LISE
Elle se plaint du ventre,
Elle sort de son lict, puis apres elle y rentre,
Se promene, se sied, veut dormir, veut veiller,
Malgré-moy de ce pas je la viens d’habiller…
FERNAND
D’habiller !
LISE
D’habiller ; sa boutade m’estonne,
(scène 8, v. 152-157)
Épisode marquant l’évanescence de la vie de la patiente.
Je l’ai fait revenir: mais cela lui reprend de moment en moment, et je crois qu’elle ne passera pas la journée
(Acte I, scène 6)
FERNAND
Et dequoy ? Cette vie
Avant la fin du jour luy peut être ravie.
CRISPIN
Tant pis, l’a-t-on fait voir à quelque Medecin ?
(scène 7, v. 137-139)
Amalgame médecine et astrologie courant au XVII e siècle.
Nous ne sommes pas les seuls, comme vous savez, qui tâchons à nous prévaloir de la faiblesse humaine. C’est là que va l’étude de la plupart du monde, et chacun s’efforce de prendre les hommes par leur faible, pour en tirer quelque profit. […] les diseurs d’horoscopes, par leurs prédictions trompeuses profitent de la vanité et de l’ambition des crédules esprits.
(Acte III, scène 1)
Or le mal dominant par d’occultes ressorts,
Il corrompt la matiere, il ravage le corps,
L’individu qui souffre au moment qu’il s’épure
D’un peu d’Apoteose entretient sa nature,
La vapeur de la terre opposée à ce mal,
Dans l’humaine vessie establit un canal.
Le Cancer froidureux, rend l’humeur taciturne,
Le vaillant Zodiaque envisage Saturne92,
(scène 7, v. 123-130)
Sganarelle ou le Cocu imaginaire (1660) §

À la scène 1 de la pièce, Molière fait allusion aux quatrains de Pibrac pour condamner les mauvaises lectures qu’il faut éviter d’avoir :

Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits,
Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits.
Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes
Du conseiller Matthieu, ouvrage de valeur. (scène 1, v. 31-35)

Boursault reprend l’allusion aux quatrains de Pibrac dans le discours que Crispin fait en réponse à Fernand qui lui reproche de s’être tu devant le médecin Cantéas93. La référence n’est pas plus avantageuse ; pour Crispin les quatrains permettent aux médecins de feindre l’érudition et de soigner les malades en se contentant de les réciter :

Allez, vous m’auriez veu diablement caquetter.
A dessein d’empescher qu’un malade ne meure,
J’allois debagouler du Latin tout à l’heure,
Voir quel temps il fera dans un vieil Almanac,
Reciter tout par cœur les Quatrains de Pybrac, (scène 13, v. 315-319)
Monsieur de Pourceaugnac (1669) §

Boursault reprend l’idée de l’ignorance du mal par le malade lui-même, ce qui est un très mauvais signe.


Médecin volant, Boursault Monsieur de Pourceaugnac, Molière
CRISPIN
Avez-vous de la fievre ?
LUCRESSE
Je ne say.
CRISPIN
Non ?
LUCRESSE
Non.
CRISPIN
Fy.
FERNAND
Dequoy ?
CRISPIN
Mauvais régal,
Par fois sans qu’on le sache on se porte fort mal,
(scène 11)
Parbleu ! je ne suis pas malade. - Mauvais signe, lorsqu’un malade ne sent pas son mal 
(Acte I, scène 8)
Le Malade imaginaire (1673) §

Dans le troisième intermède de la comédie-ballet qui consiste en une « Cérémonie burlesque94 » qui parodie l’entrée en médecine d’un docteur, le président de l’assemblée d’intronisation prononce ces paroles en confiant son bonnet au nouveau venu :

Dono tibi et concedo
Virtutem et puissanciam, Medicandi, […]
Occidendi
impune per totam terram95 .

L’expression « tuer impunément », ici formulée en latin, apparaît de manière récurrente dans la littérature anti-médicale. Boursault n’est pas en reste. Il emploie la formule dans l’épître dédicatoire « à un Medecin de mon Païs » qui introduit son Médecin volant :

Je vous proteste que si l’on m’appelloit à la Police j’y donnerois si bon ordre, qu’il ne seroit plus possible d’assassiner impunément un homme ; et ces Messieurs qui ne sont Medecins que par la Soûtane, seroient obligez durant quelques années que je limiterois, de faire l’espreuve de leur Science sur les Animaux qui ne sont plus propres au travail.

Établissement des textes §

Nous avons apporté quelques modifications d’usage. Conformément à l’usage moderne, nous avons distingué les j et les v consonnes qui s’utilisaient au XVIIe siècle comme des i et des u. Nous avons rétabli les s lorsqu’ils étaient notés ƒ et ss lorsqu’ils étaient notés β (par exemple, « une forte paβion » dans l’épître dédicatoire au Comte de Saux du Jaloux endormy). Nous avons supprimé le tilde marquant la nasalisation d’une voyelle en rétablissant le groupe voyelle et consonne qu’il représente. Nous n’avons pas conservé l’esperluette (&) que nous avons systématiquement remplacé par et. En revanche, l’orthographe classique a été conservée : il peut donc exister des différences orthographiques d’une occurrence à l’autre, l’orthographe n’étant pas encore fixée au XVIIe siècle. En ce qui concerne l’accentuation, nous avons respecté celle du texte original sauf dans les cas où elle amenait à une compréhension fautive de l’occurrence ; nous avons donc rétabli l’accent diacritique permettant la distinction entre la conjonction de coordination ou et l’adverbe ou le pronom relatif .

Le nombre de point de suspension a été ramené à trois conformément à l’usage moderne. Le tiret présent dans les formes inversées dans la graphie moderne n’a pas été ajouté.

Nous avons corrigé les coquilles orthographiques et grammaticales qui suivent. Nous nous sommes aussi permis de corriger certaines ponctuations qui nous paraissaient erronées.

Pour chacun des textes, nous avons reporté la pagination originale entre crochets à droite, ainsi que les signatures indiquant le début de chaque cahier. Nous n’en avons cependant pas fait de même pour la réclame : les imprimeurs avaient en effet pour habitude de reproduire à la fin de la page de chaque cahier, le premier mot du cahier qui devait suivre.

Dans Le Jaloux endormy §

Amande ([VI])

Laissee (v. 8)

Vôtre (v. 28)

Vous voudriez que je crois estre à luy ? (v. 81)

Piquè (v. 87)

?……. (v. 170)

Mitouche (v. 220)

Cleande (v. 255)

L’a (v. 306)

Plaine (v. 463)

Nous avons rétabli l’alinéa qu’il manquait au vers 127. Nous avons uniformisé l’orthographe du prénom « Aspasie » ; en effet à partir du carnet C, « Aspasie » devenait « Aspazie ». Nous avons remplacé l’abréviation « vo9 » au vers 455 par « vous ». Nous avons ajouté la rubrique de personnage « SPADARILLE » au vers 476.

Dans Le Mort vivant §

Ou ([III]) nous avons rétabli l’accent à demi effacé.

Nous avons ajouté la rubrique de personnage « FERDINAND » au vers 156. Nous avons ajouté la mention [SCENE V] au début de la p. 10 qui n’était pas mentionnée. À partir de là, nous avons modifié les mentions de scène qui étaient donc fautives.

Où (v. 405)

? (v. 450)

? (v. 466)

Qu’elle (v. 466)

? …. (v. 579, v. 581)

Encor (v. 565)

Chosepublique (v. 602)

Estephanie (v. 671)

Quelqués (v. 746)

Où (v. 789)

Où (v. 790)

Tâche (v. 835)

Peu (v. 824)

De la la clarté (v. 855)

Amande ([LII])

Nous avons relevé des différences entre les deux exemplaires que nous avons consultés ; dans l’exemplaire conservé à la Bibliothèque Nationale de France (site François Mitterrand) sous la cote YF-7482 la dernière phrase de la page 42 est à demi coupée ce qui n’est pas le cas pour l’exemplaire conservé à la Bibliothèque de Besançon sous la cote 282429. De même, dans le volume conservé à la Bibliothèque nationale de France, l’« extraict du privilege du Roy » n’est pas complet contrairement à celui du volume conservé à la Bibliothèque de Besançon.

Dans Le Médecin volant §

Sa voir (v. 16)

Enduroit. (v. 90)

Elle à raison. (v. 195)

Pardônés (v. 261)

En (v. 282)

Réculer (v. 294)

: (v. 299)

Vôtre mine (v. 344)

Qne (v. 353)

…. ? (v. 355)

Corde, (v. 381)

Vôtre bonté (v. 408)

? …. (v. 424)

Description des volumes §

Le Jaloux endormy §

Le Jaloux endormy. Par M. Edme Boursault, Comédie, in-12 de [X]-35 pages. Volume conservé à la Bibliothèque nationale de France (site de l’Arsenal), sous la cote GD-23433.

Le volume se présente comme suit :

[I] page de titre

[II] verso blanc

[III-VII] épitre dédicatoire à Monseigneur le Comte de Saux

[VIII-IX] extrait du privilège

[X] liste des personnages

Présentation de la page de titre §

LE JALOUX / ENDORMY / COMEDIE / Representée sur le Theatre Royal / du Marais. / Par le Sieur BOURSAULT, Secretaire de / Madame la Duchesse d’Angoulesme./ [fleuron de l’éditeur] / A PARIS, / Chez ESTIENNE LOYSON, au Palais / à l’entrée de la Gallerie des Prisonniers, / au Nom de Jesus. / [filet] / M. DC. LXII. / Avec Privilege du Roy.

Exemplaires §

Bibliothèque nationale de France site de l’Arsenal : GD-23433 [Loyson]

Versailles : F.A. in-12 E 511d [Pépingué]

Dublin : OLS B-6-478 (1) [Pépingué]

Le Mort vivant §

Le Mort vivant. Par M. Edme Boursault, Comédie, in-12 de [VIII]-51-[LII] pages. Nous avons utilisé le volume conservé à la Bibliothèque nationale de France (site François Mitterrand) sous la cote YF-7482 ainsi que celui conservé à la Bibliothèque municipale de Besançon sous la cote 282429.

Le volume se présente comme suit :

[I] page de titre

[II] verso blanc

[III-VII] épitre dédicatoire à Monseigneur le Duc de Guise

[VIII] liste des personnages

[LII] extrait du privilège

Présentation de la page de titre §

LE MORT / VIVANT, / COMEDIE. / DEDIEE A MONSEIGNEUR / LE DUC DE GUISE. / Representée par les Comediens / du Roy ; / Et composée par le Sieur BOURSAULT. / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez NICOLAS PEPINGUE’, en la / grande Salle du Palais, vis à vis les / Consultations, au Soleil d’or. / [filet] / M. DC. LXII. / Avec privilege du Roy.

Exemplaires §

BNF, Site de l’Arsenal : GD-14643 [Pépingué]

BNF, Site Richelieu : 8-RF-5571 [Pépingué]

BNF, Site François Mitterrand : YF-7482 [Pépingué]

Bibliothèque municipale de Besançon : 282429 [Guignard]

Montpellier : V1837 [Pépingué]

Reims : Rés. Diancourt PP78 [Guignard]

Versailles : Bibliothèque de la Reine 932 [Pépingué]

Le Médecin volant §

Le Medecin volant. Par M. Edme Boursault, Comédie, in-12 de [X]-45 pages. Nous avons utilisé le volume conservé à la Bibliothèque nationale de France (site de l’Arsenal), sous la cote GD-13904 ainsi que celui conservé à la Bibliothèque municipale de Besançon sous la cote 282429.

Le volume se présente comme suit :

[I] page de titre

[II] verso blanc

[III-VI] épître dédicatoire à Monsieur C******** Medecin de mon Païs

[VII-VIII] avis au lecteur

[IX] extrait du privilège du Roy

[X] liste des personnages

1-45 texte de la pièce

Présentation de la page de titre §

LE / MEDECIN / VOLANT, / COMEDIE. / Par Mr BOURSAULT. / [fleuron du libraire] / A PARIS, / Chez N. PEPINGUE, à l’entrée de la ruë de la / Huchette. Et en la Boutique au premier Pilier / de la grande Salle du Palais, vis à vis les / Consultations, au Soleil d’or. / [filet] / M. DC. LXV. / AVEC PRIVILEGE DU ROY

Exemplaires §

BNF, site de l’Arsenal : GD-13904

BNF, site Richelieu : 8-RF-5574 et 8-RF-5575 [complet du premier feuillet blanc]

BNF, site François Mitterrand : YF-7417

Bibliothèque municipale de Besançon : 282429

Modène, Université : E 049 A 004 003

Boursault, Trois petites comédies §

Le Jaloux endormy
Comédie
Representée sur le Theatre Royal du Marais.

Par le Sieur BOURSAULT, Secretaire de
Madame la Duchesse d’Angoulesme.

A PARIS
Chez ESTIENNE LOYSON, au Palais
à l’entrée de la Gallerie des Prisonniers,
au Nom de Jésus.
M.DC.LXII
Avec Privilege du Roy.

Édition critique établie par Charlotte Dias dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2014-2015)

A MONSEIGNEUR LE COMTE DE SAUX96. §

[p. I]

MONSEIGNEUR,

Il y a si long-temps que j’ay une forte passion97 de vous rendre l’hommage que vostre Merite exige de tous ceux qui ont l’honneur, ou de vous voir, ou de avoir veu, [p. II] que je ne puis attendre que l’expérience m’ait rendu capable de vous offrir quelque chose de proportionné à une des plus illustres Naissances de l’Univers, et aux qualitez les plus sublimes qui se puissent rencontrer dans ce qu’il y a de plus achevé sur la Terre. Ne jugez pas, MONSEIGNEUR, de la grandeur de mon Zele par la mediocrité de mon Présent ; Vous n’avez pas besoin d’un Ouvrage pompeux pour immortaliser votre Nom, et j’ai besoin d’un Nom fameux pour éterniser mon Ouvrage. Mais, MONSEIGNEUR, quand* je n’aurais pas ces considerations : [p. III] quand*, dis-je, ma Plume auroit autant de délicatesse que vostre Esprit : Et quand* mes Œuvres seroient assez considerables pour égaler vostre Generosité, tous ces avantages n’auroient pas assez de force pour authoriser ma temerité, et je n’aurois pas plus de droict pour justifier la liberté que j’ose prendre, puis que vous seriez tousjours au dessus de tout ce que je pourrois vous presenter. Aussi, MONSEIGNEUR, loin de me reprocher la moindre foiblesse dans l’élection que j’ai faite d’un Protecteur pour un Poëme98 qui n’est recommandable que parce qu’il vous est offert ; On [p. IV] remarque tant d’inégalité entre ce que vous estes, et ce que je vous consacre, que pour me rendre justice, on ne peut condamner ma hardiesse, sans estre obligé d’approuver mon industrie, puis que je ne me prevaux que de la gloire de mon choix, et non pas de la beauté de mon offrande. Quel bon-heur pour moy, MONSEIGNEUR, de pouvoir apprendre à la Posterité, que le mesme Heros qui vient si fraischement de recevoir le Prix de son Courage de la Main La plus Auguste du Monde, n’a pas dedaigné un sacrifice de la mienne ! Si ce que je vous dédie égaloit ce que vous avez, si glorieusement [p. V] emporté, je n’attendrois pas que vous le disputassiez à la plus celebre de toutes les Cours ; Je vous l’immolerois avec d’autant plus d’ardeur, que je croirois vous donner de plus esclatantes marques des profonds respects que je veux avoir pour vous, et du desir inviolable que j’ai d’estre eternellement,

MONSEIGNEUR,

DE VOSTRE GRANDEUR,

Tres-humble, tres-obeissant,

et tres-passionné Serviteur99,

BOURSAULT.

Extraict du Privilege du Roy. §

[p. VI]

Par grace et Privilege du Roy donne à Paris le unziesme jour de May 1662. Signé par le Roy en son Conseil, DUMOLEY ; Il est permis à Jean Guignard fils, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une Piece de Theatre, intitulée Le Jaloux Endormi, par le Sieur Boursault et ce durant le temps de cinq années à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer pour la premiere fois. Et deffenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires, et autres, de l’imprimer, ou faire imprimer, vendre, debiter ny contrefaire ledit Livre sans le consentement dudit Jean Guignard fils, à peine aux contrevenants de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, et de tout [p. VII] despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté parle dit Privilege.

Et ledit Jean Guignard a associé au present privilege Nicolas Pepingué et Estienne Loison Marchands Libraires à paris, pour en jouir, signant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois

le treize Juin 1662.

Les exemplaires ont esté fournis.

PERSONNAGES §

[p. VIII]
  • SPADARILLE, Gouverneur* de Toulon, mari d’Olimpie, qui en est si jaloux qu’il l’enferme à six cadenats.
  • CLEANDRE, Amoureux* d’Olimpie, à qui Alcidor l’osta pour la donner en mariage à Sparadille.
  • OLIMPIE, femme de Spadarille, et fille d’Alcidor, autrefois promise à Cléandre.
  • ALCIDOR, Père d’Olimpie.
  • CASCARET, Valet de Cléandre.
La scène est à Toulon.

SCENE PREMIERE §

SPADARILLE, OLIMPIE

SPADARILLE

Je vous l’avois bien dit pour calmer vostre effroy, [p. 1 ; A]
Que vous seriez tousjours à vostre aise avec moy.
Et qu’assez de tresors vous auriez en partage,
Si de me posseder vous aviez l’avantage ;
5 Mentois-je ? Et le repos vous est-il asseuré,
Ayant eu le bon-heur de m’avoir rencontré !
De semblables profits auriez-vous à pretendre,
Si l’on vous eut laissée au pouvoir de Cleandre,
Et si, par un destin à vos vœux pas trop doux,
10 J’eusse jeté les yeux sur une autre que vous ?

OLIMPIE

Quand je songe au mal-heur où je suis condamnée, [p. 2]
J’ay regret d’estre à vous par les nœuds d’Hymenée,
Et j’éprouve du sort les plus sensibles coups,
Puis qu’il m’a fait tomber dans les mains d’un jaloux,
15 Qu’est-ce que de ma part vostre cœur apprehende ?
Mon honneur m’est trop cher pour vouloir…

SPADARILLE

Ah friande100 !
Que si je m’empeschois de vous estre cruel101,
L’honneur dont vous parlez deviendroit casuel102;
Et que sachant les tours dont les femmes sont dignes,
20 On nous103 prendroit bien-tost dans le Ciel pour des Signes104,
Puisque de vos plaisirs un bon Frere garny105
Produiroit Capricorne, et feroit Gemini106 !
Sachez que de tout temps j’appréhende le blasme,
Qu’au gré de mon désir je gouverne ma femme,
25 Que sans en murmurer* il faut suivre ma loy,
Et que quand je vous pris ce ne fut que pour moy.
Que si vostre Mary dans ce lieu vous enferme,
C’est qu’il croit votre honneur n’estre pas assez ferme,
Et que ne pas souffrir* qu’on vous puisse approcher,
30 C’est oster à vos sens les moyens de pecher.

OLIMPIE

Vous, Monsieur, apprenez qu’un discours incommode,
D’un crime qu’on ignore enseigne la méthode,
Et que pour confirmer vos injustes soupçons,
D’un prétexte inutile on se fait des leçons :
35 Pour épargner du trouble à vostre ame allarmée,
Peut-estre avec raison m’avez-vous enfermée,
Car de la liberté si j’usois plainement,
Qui doute de ma foy douteroit justement.
Voyez-vous qu’en effet d’autres fassent paraitre…

SPADARILLE

40 Les autres sont des sots et je ne veux pas l’estre ; [p. 3]
Nous savons mieux que vous ce que ces autres font,
Et ne pretendons pas devenir ce qu’ils sont.
Faut-il point pour vous plaire à l’exemple d’un autre,
Souffrir* en mon absence un Galand qui soit vostre,
45 Et qu’apres qu’en honneur cinquante ans j’ai vescu.
Je sois d’intelligence107 à me faire Cocu ?
Faut-il point, dis-je encor, que moy-mesme je brigue108 ?
Que je pousse à la rouë109, et conduise l’intrigue ?
Et sur vos passions110 conformant mes desirs,
50 Que l’Espoux ait la peine, et l’Amant* les plaisirs ?
Quand on vient pour vous voir, faut-il point que je sorte ?
Sur vous, et vos Muguets111 que je ferme la porte ?
Et que sous mon aveu vous ayiez le moyen
D’acheter du Brocard112 d’autre argent que du mien ?
55 Voilà ce qu’aujourd’huy tous ces autres observent,
Ils se font des Amis dont leurs femmes se servent,
Et ne murmurent* pas quand pour faire l’amour113,
Elles courent la nuict, et reposent le jour.
Ah ! qu’il vaudroit bien mieux que du nombre assez ample,
60 De ces Martyrisez je devinsse l’exemple !
Que si l’on enfermoit chaque femme qui court
Avec six cadenats, elle auroit le nez court114 !
Qu’on verroit de Marys marcher teste levée115,
Si ma regle par eux estoit bien observée !
65 Et que de quantité le destin seroit doux,
Si leur plus grand mal-heur estoit d’estre Jaloux !

OLIMPIE

Et de tous les mal-heurs en est-il un plus rude
Monsieur !

SPADARILLE

Il me le semble, ô Madame la prude ! [p. 4]
Et qui de la sagesse a le moindre rayon,
70 Prefere un sort d’Argus116 au destin d’Acteon117.

OLIMPIE

Quiconque peut avoir un rayon de sagesse,
Dans les maux d’une femme à jamais s’interesse,
Et loin qu’à l’outrager il puisse estre contraint,
Il s’en veut faire aymer, et n’en pas estre craint.
75 Qui d’avoir des soupçons ne pouvoit se deffendre,
Devoit m’abandonner à l’amour de Cleandre,
Et par l’éclat d’un bien dont je ne puis jouïr118,
N’abuser pas mon Pere, et ne pas l’éblouïr.

SPADARILLE

Il vous plaisoit beaucoup ce Cleandre ?

OLIMPIE

Sans doute*.

SPADARILLE

80 Il avoit vostre estime ?

OLIMPIE

Encor mesme, il l’a toute.

SPADARILLE

Vous voudriez, que je crois, estre à luy119 ?

OLIMPIE

Pleust aux Dieux,
Mon sort…

SPADARILLE

On dit bien vray que l’amour n’a point d’yeux120 !
Vous aurez donc regret de vous voir ma conqueste
Madame la Mignonne* ?

OLIMPIE

En effet,

SPADARILLE

Bonne beste121 !
85 De vos mauvais desseins c’est assez m’avertir, [p. 5]
Vous voudriez estre gueuse, et vous bien divertir.
Je vois ce qui vous choque, et le ver qui vous pique,
Il vous faut un Mary de nouvelle fabrique,
Qui redoute une femme, et de crainte du choc,
90 Laisse chanter la Poule, et plus haut que le Cocq.
Il vous faut un Mary qui crût faire un grand crime,
S’il ne donnoit dequoy pour joüer à la Prime*,
Et qui ne laisse pas de paraistre gaillard,
Si l’on quitte la Prime*, et qu’on joüe au Billard.
95 Il vous faut un Mary qui confonde sa rente122,
Qui soit brave quatre ans, et gredin plus de trente,
Et sur qui l’on saisisse au profit des Marchands,
Et maisons de la ville, et revenus des champs.
Oüy, je vous charmerois, ô Coureuse123 recluse,
100 Si vos debordements ne trouvoient une écluse,
Et du moins dans mes biens vous verriez des appas,
Sans les doubles ressorts de mes six cadenats ;
Mais quoy que contre moy vostre cœur se propose,
Sachez qu’avant la nuict j’en veux croistre la dose,
105 Et d’eussiez-vous cent fois vous en mettre en courroux,
A vos six cadenats joindre autant de verroux,
Rentrez ; car aussi bien je vois un Gentillastre124,
De vos yeux bien fendus125 il seroit idolastre,
Rentrez donc.

OLIMPIE

Mais…

SPADARILLE

Rentrez, sans vous embarrasser.
110 Diable ! que j’ay bien fait de la cadenasser.

SCENE II §

CLEANDRE, SPADARILLE, CASCARET

CLEANDRE

Monsieur, vous savez bien qu’on me nomme Cleandre ? [p. 6]

SPADARILLE

Oüy.

CLEANDRE

Vous ne savez pas ce que j’ose pretendre ?

SPADARILLE

Non.

CLEANDRE

Mais il vous souvient que je fus Amoureux* ?

SPADARILLE

Oüy.

CLEANDRE

Que je ne fus pas un Amant* fort heureux ?

SPADARILLE

115 Non.

CLEANDRE

Que votre merite emporta la balance ?

SPADARILLE

Oüy.

CLEANDRE

Qu’enfin mon ardeur n’eut point de recompense ?

SPADARILLE

Non.

CLEANDRE

Ainsi donc, Monsieur, ne trouvez pas mauvais [p. 7]
Si je viens…

SPADARILLE

Vous, Monsieur, trouvez bon si je vais…
Un si grand preambule est suspect à mon Ame,
120 Parlez bref.

CLEANDRE

Mais Monsieur…

SPADARILLE

Mais Monsieur, mais Madame,
J’ai des soins à donner autre part que vers vous,
Avec mes cadenats j’ay besoin de verroux,
Près de mon Serrurier il est temps de me rendre ;
Pour pouvoir me parler il ne faut que m’attendre,
125 Si je trouve mon fait, je reviens sur mes pas,
Si je ne trouve rien, je ne reviendray pas.
Bon jour126.

SCENE III §

CLEANDRE, CASCARET

CLEANDRE

De ce qu’il fait j’aurois tort de me plaindre,
Avec moins de foiblesse il seroit plus à craindre,
Si de quelque lumiere il estoit éclairé,
130 En vain à le tromper je serois preparé.
Je veux à Spadarille arracher Olimpie,
Mais je sais que son ame est sans cesse assoupie, [p. 8]
Et quand secretement j’ose agir contre luy,
De sa brutalité je me fais un appuy.

CASCARET

135 Mais comme Spadarille est sujet à l’ombrage127
Quoy que des cadenats il observe l’usage,
Si pour vostre mal-heur il avient que ce fou,
De sa femme Olimpie aperçoive le trou ?
Si d’un sensible affront se sentant l’ame outrée,
140 De ce trou favorable il occupe l’entrée,
Et que de son pouvoir se servant à propos,
De coups drus comme gresle il nous brise les os ?
Plaist-il ?128

CLEANDRE

Non, Spadarille a la teste trop seiche129,
Je n’apprehende pas qu’il découvre ma bresche,
145 Si pour voir Olimpie en un coin fort obscur,
On a fait de ma chambre une entrée à son mur,
Tu sais qu’un lict superbe à ma flâme propice,
Pour me favoriser cache mon artifice.
D’ailleurs nostre vaisseau sur la fin de ce jour,
150 Doit partir pour Marseille et quitter ce sejour,
Cet anneau d’Olimpie est la marque secrette,
Qui doit malgré l’Argus130 asseurer sa retraite,
Et que pour accomplir d’équitables desseins,
Par l’avis de son Pere elle a mis dans mes mains.
155 Ainsi de mon Rival le deffaut effroyable…

CASCARET

Je say que Spadarille est puant comme un Diable,
Et que de son halaine il infecte tous ceux
Qui de parler à luy sont assez mal-heureux ;
Mais il est Gouverneur*, et c’est dont je frissonne131,
160 Car son train…

CLEANDRE

A sa suite il n’a nulle personne,
De peur que de sa femme on pût voir les attraits, [p. 9]
Ce Jaloux hypocondre a chassé ses valets :
Son Ame scrupuleuse, et tousjours deffiante132
Ne peut près d’Olimpie endurer de servante,
165 Dans la crainte qu’il a que l’on eut supposé,
Sous l’habit d’une fille un garçon déguisé.
Si bien…mais il écoute, évitons ses reproches…

SCENE IV §

SPADARILLE, CLEANDRE, CASCARET

SPADARILLE avec trois verroux en chaque main

Voicy pour des Polis133 empescher les approches ;
Qu’ils s’y viennent frotter, ces Mignons*, ces Poudrez134.

CLEANDRE

170 Quoy l’on ose ?

SPADARILLE

Oüy l’on ose, et ce sont des Madrez135,
Qui voudroient sur ma terre usurper droit de chasse136,
Vous qui d’un Chien couchant137 affectez la grimace138,
Estes-vous point aussi quelque Amant* aux yeux doux,
Qui pour plaire à l’Espouse entretienne l’Espoux ?
175 Et lors…

CLEANDRE

Ne craignez rien de la part d’Olimpie,
Tous mes voeux sont bornez à chérir sa copie.

SPADARILLE

Sa copie ? [p. 10]

CLEANDRE

Oüy, Monsieur.

SPADARILLE

Bon, il semble à ce fat139,
Qu’on copie une femme aussi bien qu’un contrat.
Et vous vous en allez ?

CLEANDRE

Avec une Patente*
180 Je suis prest…

SPADARILLE

Je vous puis rendre l’ame contente.
Mais dans ce petit doigt vous avez un anneau
Qui vous sied assez bien, et me semble fort beau ;
Que je voye.

CLEANDRE bas

O mal-heur ! c’est…

SPADARILLE

Vous estes estrange,
Pour le voir un moment croyez-vous qu’on le mange ?

CLEANDRE

185 Non, Monsieur, mais…

SPADARILLE

Quoy mais ? A-t-il peur de mes yeux ?
Appercevant que c’est l’Anneau d’Olimpie.
Où Diable avez-vous pris ce bijou précieux140 ?

CASCARET bas à Cleandre

Respondez hardiment, et mentez comme un Diable141.

CLEANDRE

Je l’ay pris…

SPADARILLE

Parlez viste, ô l’Amant* trop aimable,
Où donc l’avez-vous pris ?

CLEANDRE

Où prend-on les bijoux ? [p. 11]

SPADARILLE

190 Et j’ay tort, mon Cadet, de paraistre Jaloux,
Est-ce pas ?

CLEANDRE

Je ne say s’il se peut qu’Olimpie…

SPADARILLE

Et moy je say fort bien qu’Olimpie est impie,
Et sans les cadenats à sa porte attachez,
Qu’elle feroit souvent d’agreables pechez.
195 Quelque doux traitement qu’à ce sexe on prepare,
Une femme fidelle en ce temps est bien rare,
Et qui peut s’en servir doit s’attendre à ce coup,
D’acquerir peu d’honneur, et d’en perdre beaucoup !
N’esperez, cependant, passe-port ny Patente*,
200 Ou soyez resolu de remplir mon attente ;
Et d’un Original que je dois soupçonner,
Donnez-moy la Copie à collationner142,
Sinon…

CLEANDRE

Quoy vous voulez…

SPADARILLE

Oüy, je le veux, vous dis-je.

CASCARET bas à Cleandre

Par ce commandement ce Jaloux vous oblige*,
205 Avant qu’il ait ouvert cinq ou six cadenats,
L’anneau…

CLEANDRE

C’est ma pensée, et j’y vais de ce pas.
Puis qu’il vous plaist, Monsieur, d’admirer ma Maistresse*,
J’obéïs.

SCENE V §

SPADARILLE seul, ouvrant la porte de la chambre d’Olimpie

Je vous tiens, ô la double Traistresse, [p. 12]
Qui dans l’aspre dessein d’acquerir du renom,
210 Avez l’air d’une Sainte, et l’esprit d’un Démon.
J’apperçois tous les tours que vostre esprit enfante.
Vous donnez librement des faveurs par la fente ;
Mais malgré vos desseins contre moy conjurez,
Les aiz143 de vostre porte en seront resserrez.
215 Voyons un peu sa mine.

SCENE VI §

SPADARILLE, OLIMPIE

SPADARILLE

Approchez, la Matoise144,
Dont la vertu s’altere, et l’honneur s’apprivoise,
Approchez.

OLIMPIE

De ma part, désirez-vous…

SPADARILLE

Moy ? Rien ;
Je viens voir seulement si vous vous portez bien. [p. 13 ; B]

OLIMPIE

Quoy, se peut-il, Monsieur, que mon mal-heur vous touche ?

SPADARILLE

220 Vous n’en savez donc rien, ô la sainte Nitouche145 !

OLIMPIE

Non, daignez m’expliquer vos bizarres desseins.

SPADARILLE

Je viens de voir Cleandre, il vous baise les mains.

OLIMPIE

Quoy Cléandre est icy ?

SPADARILLE

Point du tout, je me moque,
Je l’ay pris pour un autre, et c’est une equivoque.

OLIMPIE

225 Pourquoy donc voulez-vous…

SPADARILLE

Belzebut incarné,
Demon acariastre à me nuire obstiné,
C’est à tort à présent que ton146 ame biaise147 ;
Je say pour me trahir que tu fais la niaise,
Et que de ton honneur prevoyant l’abandon…

OLIMPIE

230 Cet outrage…

SPADARILLE

A vos yeux je demande pardon !
Quel que soit le forfait dont mon cœur vous soupçonne,
C’est vous faire une injure, équitable friponne ;
Et parmy vostre sexe outrageux à chacun,
Faire un mary Cocu c’est le vice commun.

OLIMPIE

235 Enfin, expliquez-vous, qu’avez-vous à m’apprendre ?

SPADARILLE

Rien ; sinon que j’ay veu l’un des doigts de Cleandre. [p. 14]

OLIMPIE, faisant la surprise

Un des doigts de Cleandre ?

SPADARILLE

Un des doigts.

OLIMPIE

Un des doigts !
Si vous m’en assurez, aisément je le crois,
Mais qu’en concluez-vous ?

SPADARILLE

Et qu’en peut-on conclure ?
240 Fin contre fin n’est pas bon à faire doublure148
La belle, et dans mon aage, il vous sied assez mal
De vouloir me charger d’un brevet d’animal149.

OLIMPIE

Ce langage confus…

SPADARILLE

Vous rend l’ame éperduë150,
Et je suis confondu de vous voir confonduë151.

OLIMPIE

245 Je ne puis rien comprendre à tout vostre discours.

SPADARILLE luy montrant les verroux

Voicy pour mettre obstacle à tous vos petits tours,
Les anneaux desormais n’iront plus en campagne,
Et vous estes sevrée152, amoureuse Compagne.

OLIMPIE

Finissez ces discours, ils sont extravagants.

SPADARILLE

250 Je suis donc fou ?

OLIMPIE

Du moins on le croit.

SPADARILLE

Bas les gands.

OLIMPIE

Quoy, Monsieur… [p. 15]

SPADARILLE

Bas les gands.

OLIMPIE

Mais au moins…

SPADARILLE

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE

Si…

SPADARILLE

Bas, vous dis-je.

OLIMPIE

Encor, quel dessein vous oblige…

SPADARILLE

Bas, vous dis-je, et tantost votre esprit esclaircy…
appercevant le mesme anneau qu’avait Cleandre
Mais vertu-bieu153 que vois-je ? Et que Diable est-ce cy ?
255 Que cét anneau ressemble à celuy de Cleandre !

OLIMPIE

Ils sont bas.

SPADARILLE

Sur ma foy je n’y puis rien comprendre,
Et ces anneaux tous deux ont un rapport si grand,
Que plus on les regarde, et plus on s’y méprend.
Vous pouvez cependant, rechausser la mitaine154,
260 Puis apres de rentrer il faut prendre la peine,
Aussi bien un vieillard adresse icy ses pas.

OLIMPIE

Amour…

SPADARILLE

Entrez, entrez, et ne raisonnez pas.

SCENE VII §

ALCIDOR, SPADARILLE

ALCIDOR

Monsieur le Gouverneur* dont je suis le beau-pere, [p. 16]
Je viens…

SPADARILLE enfermant sa femme

Beau-pere, ou non, laissez nous155 un peu faire,
265 Quand nostre huys156 une fois sera clos à plaisir157,
De vous voir pleinement nous aurons le loisir ;
Taisez-vous donc.

ALCIDOR

Monsieur, mais…

SPADARILLE

Mais Monsieur vous mesme,
Dont le morne visage est passablement blesme.

ALCIDOR

Je pretendois de vous qu’en faveur de mes soins…

SPADARILLE

270 Un peu trop pretendant, pretendez un peu moins,
Et souffrez*, s’il vous plaist, qu’à mon tour je prétende…

ALCIDOR

Mais Monsieur…

SPADARILLE, ayant achevé de fermer ses cadenats

Hé bien donc, ô Diseur de Legende158,
Dont je suis obligé d’enfermer le present159,
Si le cœur vous en dit, raisonnez à present.

ALCIDOR

275 L’heur* dont vostre alliance a comblé ma famille, [p. 17]
Fait que je viens icy m’informer de ma fille,
Dites-moy donc comment elle se porte.

SPADARILLE

Bien.

ALCIDOR

Et de ses mœurs, Monsieur, ne m’apprendrez-vous rien ?
Dites-moy, si par fois son humeur vous contente,
280 Si par fois cette humeur est pour vous complaisante ;
Tirez-moy de soucy, comment vit-elle ?

SPADARILLE

Mal.

ALCIDOR

Mal, bons Dieux ! ce mal-heur est pour moy sans égal.
Où peut-elle avoir pris de mauvaise teinture160,
Elle, que de ses dons a comblé la nature161 ?
285 Pour me faire un outrage elle a donc le sang…

SPADARILLE

Chaud162.

ALCIDOR

C’est l’amour chaud163 sans doute*, et plus chaud qu’il ne faut :
Mais n’est-ce point à tort qu’envers vous je la blâme ?
Ne luy faites vous rien qui chagrine son ame ?
Lors que vous la voyez, quel est son accueil ?

SPADARILLE

Froid.

ALCIDOR

290 D’en user de la sorte elle a bien peu de droit.

SPADARILLE

D’accord ; mais de vous deux, moy l’Epoux et le Gendre,
Qui pour faire l’Amant* pris le droit de Cleandre, [p. 18]
Sachez que j’aurois lieu de paraistre marry,
Si par droit reciproque il faisoit le mary.

ALCIDOR

295 Cleandre, oseroit-il suborner164

SPADARILLE

D’Olimpie,
Il ayme, à ce qu’il dit, seulement la copie ;
Cependant d’un anneau je le trouve pourveu ;
Autre part qu’en ses doigts je le crois avoir veu ;
Aussi-tost par ma bouche Olimpie appellée,
300 A mes aigres propos contrefait la troublée ;
Veut voir par mes discours son esprit esclaircy ;
Fait semblant d’ignorer que Cleandre est icy ;
Me soustient à mon nez que souvent j’extravague ;
Puis soudain se degante, et me montre sa bague ;
305 Et je croy là dessus, consultant mon cerveau,
Que qui la copia copia son Anneau.
De Cleandre pourtant je crains peu la finesse*,
Il doit en ce lieu mesme amener sa Maistresse*,
Je l’attends, nous verrons ; mais tenez je les voy.

ALCIDOR

310 Il amene Olimpie.

SPADARILLE

En effet, je le croy.
La seroit-ce ?

ALCIDOR

Ce l’est ; quelle erreur vous domine ?

SPADARILLE

Ma foy, si ce ne l’est, elle en a bien la mine.

SCENE VIII §

SPADARILLE, CLEANDRE, OLIMPIE, sous le nom d’Aspasie, ALCIDOR, CASCARET

SPADARILLE appelle sa femme à travers de la porte

Olimpie ! [p. 19]

OLIMPIE bas à Cleandre

Ah Cleandre !

CLEANDRE

Ah daignez tenir bon,
Madame.

CASCARET

Ou je me trompe, ou j’auray du baston.

SPADARILLE continuë

315 Olimpie ! ah j’enrage.

ALCIDOR

Il s’eschauffe la bile.

CASCARET

Vous me parliez tantost de m’envoyer en Ville
Monsieur.

CLEANDRE

Poltron fieffé165.

SPADARILLE continuë

Tout cecy me confond166.
Olimpie ! écoutez comme elle me répond !
De ce tracas, Beau-pere, en un mot que vous semble.

ALCIDOR

320 J’ay peur que ce ne soit Olimpie. [p. 20]

SPADARILLE

Et j’en tremble :
Mais on pourroit sortir aussi-tost167 de l’Enfer,
Sa cheminée est close, et de grilles de fer,
J’ay de mesme matiere estoffé sa fenestre,
Beau-pere !

ALCIDOR

S’il est vray, ce ne peut donc pas l’estre.

SPADARILLE

325 Assez adroitement je la vais pressentir168 ;
Je vous crois Olimpie, et ne crois pas mentir,
Si vous ne l’estes pas pour le moins sa jumelle169,
Daignez quelque moment discourir avec elle ;
Entrez jusqu’en sa chambre, et trouvez à propos…

OLIMPIE

330 Monsieur…

SPADARILLE

Vous luy direz seulement quatre mots,
Je vous en prie.

OLIMPIE

Il faut…

SPADARILLE

Il ne faut autre chose.

CLEANDRE

Des plaintes d’Olimpie elle ignore la case,
Ainsi…

SPADARILLE

Mon Dieu, Monsieur, parlez à vostre écot170.

ALCIDOR

Ce n’est pas…

SPADARILLE

Vous aussi, taisez-vous, idiot.

OLIMPIE

335 Pour moy, Monsieur, le Ciel me deviendroit propice, [p. 21]
S’il m’offroit un moyen de vous rendre service ;
Mais enfin sur le point de partir…

SPADARILLE

Par ma foy
Vous entrerez, Madame, ou vous direz pourquoy.

OLIMPIE

Je puis…

SPADARILLE

Entrez, vous dis-je, ou bien point de Patente*.

OLIMPIE

340 Vous pouvoir obliger* c’est me rendre contente ;
Mais envers Olimpie agréez mon respect,
Un visage inconnu luy peut estre suspect,
Durant donc un adieu qu’à l’instant je vais faire,
Sachez si ma visite aura droit de luy plaire,
345 Et tandis que Cleandre attendra mon retour…

SPADARILLE

C’est fort bien dit, allez.

OLIMPIE à Cleandre en s’en allant

Je prépare un detour,
Et quoy que de ma part ce perfide pretende…

SPADARILLE

Que luy dites-vous là ?

OLIMPIE

Je luy dis qu’il m’attende.

SPADARILLE

Bon cela171.

CLEANDRE

J’obéïs, et n’y contredis pas.
350 Cascaret, d’Aspasie accompagne les pas.

SCENE IX §

SPADARILLE, CLEANDRE, ALCIDOR

SPADARILLE

Or ça, notre Beau-pere, et vous Sire Cleandre, [p. 22]
Qui jadis malgré luy vouliez estre son gendre,
Je vais vous faire voir Olimpie à l’instant.

ALCIDOR qui craint qu’Olimpie ne soit pas encores rentrée

Si j’en suis crû, Monsieur, ne vous hastez pas tant.

SPADARILLE

355 Et pourquoy ?

ALCIDOR

Tout l’amour que Cleandre eut pour elle
Pourra se rallumer à l’aspect…

SPADARILLE

Bagatelle172.

CLEANDRE

En effect la beauté que je vous ay fait voir,
De tout autre visage affoiblit le pouvoir :
Et s’il faut que mon ame à vos yeux se découvre,
360 Rien ne m’est échapé que mon cœur ne recouvre,
Puisqu’à l’object que j’ayme avec tant de raison
Pour paraistre Olimpie il ne faut que le nom.
C’est pour ce seul object qu’en secret je soupire,
Pour sa seule pensée je languis.

SPADARILLE

C’est tout dire,
365 Et pour l’amour de vous je m’en vais de ce pas [p. 23]
Réveiller les ressorts173 de mes six Cadenats.

SCENE X §

ALCIDOR, CLEANDRE, et Spadarille au bout du Theatre174 qui ouvre ses Cadenats

ALCIDOR

Parlons bas. Enfin brave Cleandre
Ma fille en peu de temps en vos bras se va rendre :
Si d’avec ce brutal son hymen se détruit,
370 De vos soins genereux vous aurez tout le fruit.
Mais surtout que l’honneur.

CLEANDRE

Je vois peu d’apparence
A pouvoir affranchir d’une injuste puissance ;
Mais enfin quelque effet qui succede à mes yeux,
L’interest d’Olimpie est plus fort que mes feux.
375 Nul espoir ne me flatte, et mon cœur avec joye,
La derobe aux tourmens dont le sien est la proye ;
Et c’est le moindre effort qu’en semblable danger
La vertu mal-heureuse ait le droict d’exiger.
Ainsi…

SCENE XI §

SPADARILLE, OLIMPIE, CLEANDRE, ALCIDOR

SPADARILLE

Mes cadenats sont ouverts. Hola175 la Belle, [p. 24]
380 Venez-ça. Pourquoy donc se frotter la prunelle ?
Qu’avez-vous ?

OLIMPIE faisant exprés l’endormie

Du sommeil, les pavots176 gracieux
Assoupissent mon ame, et me sillent les yeux177 ;
Depuis une heure ou deux, leur douceur pour confondre178

SPADARILLE

Elle avoit bien raison de ne pas me répondre
385 Vraiment ! ça la dormeuse au sommeil un peu dur,
Qui n’avez pû m’entendre à travers de ce mur,
Ouvrez les yeux.

OLIMPIE faisant l’estonnée

Mon Pere ! ô destin quelle grace !

ALCIDOR

Ma fille !

SPADARILLE lui montrant Cléandre

Et celuy-cy, Bel enfant, qui sera-ce ?

OLIMPIE

O Dieux !

CLEANDRE à Sparadille

Souffrez* qu’icy je me regle sur vous,
390 Et que de cét Objet je devienne jaloux ; [p. 25 ; C]
Je crois voir Aspasie, et mon Ame confuse
Voudroit…

SPADARILLE

Le tour est bon ; Peste soit de la Buze179.

CLEANDRE

C’est un peu vainement que vous estes surpris,
C’est elle.

SPADARILLE

Il veut sans doute* égayer nos esprits,
395 Pauvre Butor180 !

OLIMPIE

Et quoy, de la part de Cleandre,
Est-ce là tout l’accueil que j’ay droit de pretendre ?

CLEANDRE

Aspasie est-ce vous dont les yeux éclatants…

SPADARILLE

Quand les gens sont si sots, ils le sont pour longtemps,
Je le trouve bouffon avec sa jalousie.

CLEANDRE

400 Daignez donc me répondre, est-ce vous Aspasie ?
Dissipez le chagrin qui me rend assoupy,
Et pour le moins.

SPADARILLE

Beau-pere, et pecora campi181.
Quoy, vous n’en riez point ?

CLEANDRE à Spadarille

Esclaircissez mon ame,
Monsieur, ne l’est-ce pas ?

SPADARILLE en riant

Non ma foy, c’est ma femme.

CLEANDRE à Olimpie

405 Veuillez donc m’excuser si pour m’estre mépris…

OLIMPIE

A vostre indifference ajouster le mépris, [p. 26]
Cleandre, et feindre icy de ne pas me connaistre ?

CLEANDRE

J’ay toûjours tout l’amour que vos yeux firent naistre ;
Mais si mon cœur soupire, apprenez qu’il m’est doux
410 De le voir soupirer pour une autre que vous :
De ce cœur enflammé la langueur est extrême,
Mais cette autre que vous est une autre vous-mesme ;
Et mon amour éteint seroit tout consumé,
Si vos mesmes appas182 ne l’avoient rallumé.

SPADARILLE à Alcidor

415 Quel niais compliment ce badin luy va faire !

ALCIDOR

Il est fou.

OLIMPIE à Cleandre

Quelque Objet a donc l’heur* de vous plaire ?

CLEANDRE

Ouy, Madame, et de plus cét Objet plein d’appas
En merite, en vertu ne vous cederoit183 pas :
Quelque chose de plus est dans celle que j’ayme,
420 Et…

SPADARILLE

Ne disons point plus ; mais disons tout de mesme.

OLIMPIE

Et quoy, pour vous vanger du refus qu’on vous fist,
Vous osez…

CLEANDRE

J’ay raison d’oser dire…

OLIMPIE dans une feinte colere

Il suffit,
Je connois vos desseins, et vous estes un lasche,
Dont l’indigne mépris, et me choque, et me fasche :
425 Ne croyez pas pourtant que l’outrage soit grand,
Vostre amour, vostre choix, tout m’est indifferend :
Et ne presumez184 pas… [p. 27]

CLEANDRE

Quoy, Madame…

OLIMPIE

Quoy, Traistre,
Vous avez pu m’aymer, et m’osez méconnaistre ?
Et pretendez me faire un outrage odieux,
430 Qu’estaller par mépris vostre choix à mes yeux ?
Je dédaigne à mon tour vos indignes approches,
Allez.

SPADARILLE

Il est penaut comme un fondeur de cloches185.
C’est qu’il ayme…

OLIMPIE

Et qu’importe ?

SPADARILLE

Il importe fort peu ;
Mais je veux vous monstrer à l’Objet de son feu :
435 Bien-tost dans cet endroit nous aurons sa presence.

OLIMPIE

Moy, Monsieur, me resoudre à cette complaisance ?
Que je puisse…

SPADARILLE

Mon Dieu, forcez-vous de la voir,
Et taschez…

OLIMPIE

Sur mes sens j’ay trop peu de pouvoir,
A m’expliquer ainsi son dédain m’authorise,
440 J’ay peu de complaisance envers qui me méprise ;
Et quoy que mon Espoux, c’est avoir le cœur bas
Qu’exiger de mon ame un respect qu’il n’a pas.

SPADARILLE

Mais enfin Aspasie…

OLIMPIE

Aspasie ou Cleandre,
Je ne veux ny les voir, ny jamais les entendre, [p. 28]
445 Et prefere aux dédains de ce couple outrageux
L’inflexible rigueur d’un Espoux soupçonneux.
Renfermez-moy.

ALCIDOR

Ma fille, est-il juste…

OLIMPIE

Mon Pere,
Je ne fais rien icy qui ne soit nécessaire.
De Cleandre en un mot je connois le desir,
450 Dans ce lieu de me voir il a peu de plaisir :
De ses vœux mes souhaits186 precipitent le terme,
C’est assez l’obliger* que vouloir qu’on m’enferme ;
Mais ce qui plus me charme, et que j’ayme le mieux,
C’est priver mes regards d’un Objet odieux.
455 Je vous le dis encor, Aspasie ou Cleandre,
à Spadarille
Je ne veux ny les voir, ny jamais les entendre,
Souscrivez187 sans murmure188 aux plus doux de mes vœux,
Adieu.

SPADARILLE

Pauvre Galand te voilà bien chanceux !

SCENE XII §

SPADARILLE, CLEANDRE, ALCIDOR

SPADARILLE

Vous voyez.

CLEANDRE

Oüy, Monsieur, je voy ce qui se passe :
460 Si je m’en repentois j’aurois l’ame trop basse. [p. 29]
J’apperçois qu’Olimpie a pour moy de l’horreur :
Mais l’amour d’Aspasie adoucit cette aigreur.
J’ay sujet de gouster une joye assez pleine,
Si l’une a de l’amour quand l’autre a de la haine ;
465 Ou plustost j’aurois tort de me plaindre à mon tour,
Quand des preuves de haine ont des marques d’amour.
Mais je vois Aspasie.

SCENE XIII §

OLIMPIE sous le nom d’Aspasie, SPADARILLE, CLEANDRE,
ALCIDOR, CASCARET

OLIMPIE sous le nom d’Aspasie

A Present pour vous plaire
Sur ce que j’ay promis je vous viens satisfaire.
Je puis voir Olimpie, et je suis sur le point
470 De luy rendre…

SPADARILLE

A present, vous ne la verrez point,
Vous voila ce me semble assez bien attrapée*.

OLIMPIE sous le nom d’Apasie

Vous rendez en effect mon attente trompée,
Me manquer de parole, et depuis un instant…

SPADARILLE

Olimpie en un mot, ne vous ayme pas tant,
475 Si vous ne m’en croyez pas, demandez à Cleandre.

OLIMPIE sous le nom d’Aspasie

Quel sujet auroit-elle…

[SPADARILLE]

Il pourra vous l’apprendre. [p. 30]

CLEANDRE

Lors…

SPADARILLE

De vous écouter je n’ay pas le loisir,
Partez, ou demeurez, vous n’avez qu’à choisir.

OLIMPIE sous le nom d’Aspasie

Et quoy…

SPADARILLE

Tant de discours me font mal à la teste,
480 Voulez-vous partir ?

CLEANDRE

Mais…

SPADARILLE

Mais la Patente* est preste,
Et qui plus est pour vous je la donne gratis,
Tenez.

CLEANDRE

Puisqu’il vous plaist, nous voila donc partis,
Mais si pour m’acquitter de l’excez de vos graces
Je puis…

SPADARILLE

N’affectons point d’importunes grimaces189,
485 Si vous voulez partir, partez.

CLEANDRE

Adieu Messieurs.

SPADARILLE

Nostre Beau-pere et moy sommes vos serviteurs,
Adieu

CLEANDRE, bas à Olimpie

L’occasion ne peut estre plus belle,
Allons.

CASCARET

Le pauvre Diable190 ! il n’a plus de femelle191,
Je le donne en dix coups192 à qui fourbera mieux. [p. 31]

ALCIDOR bas

490 Hastez-vous.

OLIMPIE à Cleandre

Mais mon Pere, il fait signe des yeux,
S’il n’est hors de ses mains, mon soucy n’est pas moindre.

CLEANDRE

N’en soyez point en peine, il saura nous rejoindre,
Nous avons rendez-vous, et j’en suis avoüé193,
Allons.
Ils s’en vont.

SCENE XIV §

SPADARILLE, ALCIDOR

SPADARILLE fort joyeux

De tout cecy le bon Dieu soit loüé !
495 J’ay hors du pied, Beau-pere, une vilaine épine ;
De me tromper Cleandre avoit toute la mine,
Il faisoit tout exprés le petit complaisant ;
Dieu say si vostre fille est joyeuse à present.
Et si, loin de l’object, qui lui porte bissestre194,
500 Ses transports d’allegresse auront lieu de pareistre !
Du depart de Cleandre allons la resjoüyr,
Allons.

ALCIDOR bas

De son erreur je le laisse joüyr,
Mais… [p. 32]

SPADARILLE à haute voix

Il n’est plus icy ce Cleandre, Mamie,
Venez, venez.
Voyant qu’elle ne répond pas
Beau-pere ; elle s’est rendormie.
505 Je ne la vis jamais si souvent sommeiller ;
Mais entrons l’un et l’autre, et l’allons réveiller,
Loin d’en estre marrie, elle aura de la joye,
Entrons.

ALCIDOR bas

De me vanger je découvre une voye ;
Je tiens.

SPADARILLE

Sus195, Beau-pere, entrez donc.

ALCIDOR

Ah ! Monsieur,
510 Je say trop…

SPADARILLE

Je say trop qu’on me doit de l’honneur,
Mais entrez.

ALCIDOR

Moy commettre une faute si grande !

SPADARILLE

Entrez, vous dis-je.

ALCIDOR

Mais…

SPADARILLE

Mais je vous le commande.

ALCIDOR

De grace…

SPADARILLE

Obéissez, Courtisan mal éclos196.

ALCIDOR

Monsieur… [p. 33]

SPADARILLE

S’il en fait rien qu’on me brise les os.

ALCIDOR

515 Ce que je suis, Monsieur, me permet de vous rendre.

SPADARILLE

Vous estes mon Beau-pere, et je suis vostre Gendre,
Avec vos pieds de veau197, passez donc.

ALCIDOR

Si jamais…

SPADARILLE

Sans tant dire de si, ny de car, ny de mais,
Courtois souple-jaret198 qui semblez par bravade
520 Pour me faire enrager vouloir faire gambade199,
Entrez.

ALCIDOR

Mais quand je songe aux respects que je doy…

SPADARILLE

Respectueux Beau-pere, entrez donc apres moy,
Puis qu’en vos sentiments vous demeurez si ferme.

ALCIDOR

Un cadenat sans clef aisément se refferme,
525 Il est pris.

SPADARILLE dedans la chambre

Suivez donc.

ALCIDOR

Je n’ay pas le loisir.

SPADARILLE

Vous m’enfermez !

ALCIDOR

D’accord.

SPADARILLE

Pourquoy ?

ALCIDOR

Pour mon plaisir. [p. 34]

SPADARILLE

Ah trigaut200 malfaisant, si je sors je te jure…

ALCIDOR

Tu201 ne sortiras pas, c’est moy qui t’en assure ;
Mais sans tenir icy d’inutiles propos,
530 Tu peux par ta fenestre écouter quatre mots.

SPADARILLE à sa fenestre

Execrable Barbon202 que ne puis-je descendre,
Tu verrois.

ALCIDOR

Olimpie est aux mains de Cleandre,
Mais de quelques desirs dont il soit combattu,
Il est trop genereux pour soüiller sa vertu.

SPADARILLE

535 Gueux par moy revestu203, que Dieu puisse confondre204,
En ses mains !

ALCIDOR

En ses mains, et je puis t’en répondre205,
Mais206 l’horrible deffaut que chacun connoit bien,
Pour rompre un mariage est un trop seur moyen.
La cruelle fureur dont tu l’as poursuivie,
540 De vous l’oster des mains m’a fait naistre l’envie207 ;
Et si j’ay des regrets le plus rude de tous,
Est de voir qu’un Barbare ait le titre d’Epoux.
En entrant le premier tu m’as mis hors de peine,
Adieu.

SPADARILLE

Tu t’en vas donc, Marchand de Chair humaine,
545 Au voleur, au voleur.

SCENE XV, ET DERNIERE §

SPADARILLE à sa fenestre

Le traistre est échapé, [p. 35]
Il court comme un beau Diable, et je suis attrapé*.
Jamais fusté Renard dans sa propre tasniere,
Se vit-il enfermé de semblable maniere ?
Et peut-on en finesse* égaler ce Grison208,
550 Qui m’enleve sa fille, et me met en prison ?
Si la meilleure femme en malice est feconde209,
Peuples qui m’écoutez, laissez perir le Monde ;
Et disant à ce sexe un éternel adieu,
Songez que qui s’en passe est bien-aymé de Dieu.

FIN

Lexique du Jaloux endormi §

Amant
« Celuy qui aime d’une passion violente et amoureuse. » (Furetière).
V. 50, v. 114, v. 173, v. 188, v. 292
Amoureux
« Qui a de la passion pour quelque chose, ou quelque personne. » (Furetière).
Attraper
« Se dit aussi de toutes les choses où on est trompé innocemment. » (Furetière).
V. 471
Prendre au piège.
V. 546
Finesse
« Ruse, astuce. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 307, v. 549
Gouverneur
« Officier du Roy qui commande dans une Province, dans une place. […] Un Gouverneur represente le Roy dans une place, et commande non seulement à la garnison, mais aussi aux bourgeois, et à toutes les trouppes qui entrent dans sa place. » (Furetière).
Acteurs, v. 159, v. 263
Heur
Bonne fortune.
V. 275, v. 416
Quand
« Encore que » (Furetière).
Maistresse
« On le dit particulierement d’une fille qu’on recherche en mariage. » (Furetière).
V. 207, v. 308
Mignon
« Favory, soit en matiere d’amitié, soit d’amour. La plupart des Princes ont des mignons, des favoris qui les gouvernent. Beaucoup des Dames ont des mignons, de couchette. » (Furetière).
V. 84, v. 169
Murmurer
« Se plaindre tout bas et avec timidité » (Furetière).
V. 25, v. 57
Obliger
« Faire plaisir, rendre de bons offices à quelqu’un. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 204, v. 340, v. 452
Patente
Les patentes ou lettres patentes « sont des Lettres du Roy scellées du grand sceau, qui servent de titre pour la concession de quelque octroy, grace, privilege, de quelque établissement. Elles doivent estre signées en commandement d’un Secretaire d’Estat, et verifiées dans les Parlements. Ce que sont les Edits pour le public, les Patentes le sont à l’égard des particuliers. » (Furetière).
Ce mot est une allusion au métier de Gouverneur de Spadarille.
V. 179, v. 199, v. 339, v. 480
Prime
« Signifie aux cartes une espece de jeu qui a eu grande vogue. Joüez à prime à grande prime, à petite prime. » (Furetière).
V. 92, v. 94
Sans doute
Assurément.
V. 79, v. 286, v. 394
Souffrir
Permettre.
V. 29, v. 44, v. 271, v. 389
LE MORT VIVANT
COMÉDIE
DEDIEE A MONSEIGNEUR
LE DUC DE GUISE.
Representée par les Comédiens
du Roy ;

Et composée par le Sieur Boursault.

A PARIS,
Chez N. PEPINGUE’, en la
grande Salle du Palais, vis à vis les
Consultations, au Soleil d’or.
M.DC.LXII.
Avec privilege du Roy

Édition critique établie par Charlotte Dias dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2014-2015)

A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE210 §

[p. I]

MONSEIGNEUR,

Permettez que je me serve icy de l’un des termes du Heros Ridicule que je vous presente, et que [p. II] je die que je tremble de peur de causer de la peur à VOSTRE ALTESSE, en luy consacrant une Piece qui n’est recommandable que par la gloire qu’elle a euë de ne pas déplaire à l’Esprit le plus sublime de nostre Siecle ; et qui mesmes ne mériteroit de porter que la moitié de son Titre, si vos genereux suffrages ne l’eussent developée de l’eternelle obscurité où elle estoit ensevelie. Aussi, MONSEIGNEUR, quelque dessein que j’aye de me rendre considerable par les profonds respects que je veux avoir pour VOSTRE ALTESSE, je n’eusse pû me resoudre à vous faire une offrande si peu digne de vous, si [p. III] dans l’indispensable obligation où je me trouve de conserver la reputation que je dois à vos applaudissemens, je ne me fusse imaginé que la temerité a quelque chose de moins honteux que l’ingratitude. C’est donc, MONSEIGNEUR, avec un zele respectueux que je fais éclatter une reconnoissance qui n’est pas moins juste que la liberté que j’ose prendre est condamnable ; et si VOSTRE ALTESSE ne s’offençait pas de la vaste estenduë d’une audace si judicieuse, je ne pourrois m’empescher de luy dire que je ne prens l’occasion de la remercier de ses graces passées que pour avoir sujet de m’en attirer de [p. IV] nouvelles. Oüy, Monseigneur, puis que ce MORT n’est VIVANT que par vostre moyen Et qu’il a besoin de vostre Protection pour se conserver la vie que vous luy avez redonnée ; je viens vous supplier d’employer vostre Generosité à la perfection de vostre Ouvrage : Mais quoy que je puisse esperer de VOSTRE ALTESSE, comme ce seroit me rendre indigne de ses faveurs, qu’aspirer à les meriter par la honte inévitable que je recevrois si je voulois essayer de faire vostre Eloge, daignez m’espargner cette confusion ; Et ne souffrez* pas, MONSEIGNEUR, que je dérobe cette illustre matiere à une Plume [p. V] plus delicate que la mienne, ny que je prive l’Histoire de l’Ornement le plus auguste qu’elle puisse procurer à la Posterité ; chez qui sans doute je ne seray pas à mépriser, si elle apprend que j’aye eu la gloire d’estre,

MONSEIGNEUR,

DE VOSTRE ALTESSE,

Tres-humble, tres-obeïssant,

Et tres-passionné Serviteur211,

BOURSAULT

PERSONNAGES §

[p. VI]
  • FERDINAND, creu Pere de Stephanie212
  • STEPHANIE, Fille d’Henriquez
  • LAZARILLE, Frere de Stephanie, et Amoureux d’elle
  • FABRICE, aussi Amoureux de Stephanie
  • HENRIQUEZ DE GALAS, Pere de Stephanie
  • GUSMAN, Valet de Fabrice
  • UNE SERVANTE de l’Hoste à213 Lazarille
  • L’HÔTE de Lazarille
La Scene est à Seville

ACTE PREMIER §

SCENE PREMIERE §
FABRICE, GUSMAN

GUSMAN

OUY, la peste m’estouffe, il luy fait les doux yeux. [p. 1 ; A]

FABRICE

Railleur.

GUSMAN

Je raille donc ?

FABRICE

Je le croy.

GUSMAN

Pleut aux Dieux !
Mais de la verité c’est la voix que j’emprunte,
Quand je dis que pour vous la Donzelle est deffunte214,
5 Et que par un destin plus funeste que doux, [p. 2]
Elle vit pour un autre, en trépassant pour vous.

FABRICE

Quoy, Gusman, Lazarille aimeroit Stephanie ?
Tu feins.

GUSMAN

De mon discours toute feinte est bannie,
Dés hyer, les écoutant, sans qu’aucun m’apperçeut,
10 L’un s’offrit pour Espoux, et l’autre le reçeut :
Vous, Monsieur, qui poussez la harangue muëtte215,
De l’objet qui vous charme, il faut faire diète216 ;
Et sans de vostre part qu’on entende du bruit,
Souffrir* que de vos feux Lazarille ait le fruit.

FABRICE

15 Point, Lazarille m’aime, il me l’a fait paraistre,
Il n’a point de secret qui pour moy le doive estre ;
Si quelque amour pour elle il avoit ressenty,
Gusman, il est sincere.

GUSMAN

Et mes yeux ont menty ?
Mais si je puis surprendre et Monsieur et Madame,
20 Et que tous deux ensemble ils parlent de leur flâme :
Si je puis vous monstrer qu’ils s’entraiment tous deux,
Qu’elle est de luy charmée, et luy d’elle Amoureux,
Que direz-vous alors ?

FABRICE

Je loüeray ta conduite.

GUSMAN

Allons nous en disner, et revenons en suite :
25 Dans une heure au plus tard dans ce mesme jardin,
Nous verrons qui des deux doit passer pour Badin217 :
Mais de l’objet aymé* le Pere icy se monstre.

FABRICE

De ce fascheux Vieillard évitons la rencontre.
SCENE II §
FERDINAND, STEPHANIE

FERDINAND

Es-tu là Stephanie ? Ostes-moy de soucy : [p. 3]
30 Répons. Ah ! te voila.

STEPHANIE à une fenestre.

Sans doute218.

FERDINAND

Et me voicy ;
Mais de là jusqu’icy l’espace estant si grande219,
Il faut que dans ce lieu ta personne descende,
Pour d’une Ame tranquile écouter mon discours.
Descends-donc.

STEPHANIE

J’obeïs.

FERDINAND

Mais haste-toy.

STEPHANIE

Je cours.

FERDINAND

35 En t’appellant, sçais-tu quel succèz j’en espere ?

STEPHANIE

Non, Monsieur.

FERDINAND

Tu sçais bien qu’on me nomme ton Pere ?

STEPHANIE

Oüy, Monsieur.

FERDINAND

Sçache encor qu’il n’est rien de cela,
Que ce n’est que de nom que je fus ton Papa, [p. 4]
Et malgré ta vertu dont tousjours l’éclat brille,
40 Que je ne voudrois pas que tu fusses ma fille.
Ce n’est pas qu’en effet, durant prés de vingt ans,
Je t’aymay* comme un Pere aymeroit* ses enfans,
Et voyant les beautez dont le Ciel te partage,
Mon cœur depuis un mois t’ayme* encor davantage.
45 Aussi quoy que sur toy j’eusse assez de pouvoir
Pour te casser la teste en faisant ton devoir,
Bien loin de te causer une douleur amere,
Je t’ay tousjours traitée en enfant de ta mere.
Mais pour venir au poinct qui m’a fait t’appeller,
50 Je crois que tu sçais bien que c’est pour te parler ;
Et puis qu’en ce jardin c’est ma voix qui t’attire,
Qu’il faut que j’aye aussi quelque chose à te dire.
C’est donc pour te parler que je t’ay fait venir ;
Et pour te dire aussi qu’il est temps de t’unir,
55 Avec quelque Gaillard220 dont la mine te plaise,
Et qui soit en estat de te mettre à ton aise.
Sers-toy donc à present du pouvoir de tes yeux,
Qui dans trois ou quatre ans deviendront chassieux221 :
Que veux-tu me répondre à ce que je propose ?

STEPHANIE

60 Que pour vous obeïr je feray toute chose,
Je suis preste, ordonnez.

FERDINAND

Ta haute humilité,
Ne me charme pas moins que feroit ta beauté :
Mais au bon-heur offert devenir si sensible,
De ton pressentiment c’est l’effect infaillible,
65 Et je ne doute pas que tu vois aisément
Que qui n’est plus ton Pere, est enfin ton Amant*.

STEPHANIE

Vous Monsieur, mon Amant* ?

FERDINAND

Oüy, moy-mesme à toy-mesme,
Je découvre mon Ame, et te dis que je t’ayme*, [p. 5]
Et qu’il est necessaire à l’ardeur de mes feux,
70 Que par un Mariage222 on nous joigne tous deux.
Si dans mes jeunes ans je n’aymay* que les Armes,
Et si dans ce moment tu fourmilles de charmes,
Nostre premier enfant, estant fille ou garçon,
Sera plus beau qu’un Ange, ou plus fort qu’un Sanson223.

STEPHANIE

75 Quoy, Monsieur …

FERDINAND

A ton tour tu veux m’ouvrir ton Ame,
Et répondre au plaisir que te cause ma flâme,
Mais pour toy ma bonté qui te sert de secours,
Veut à ta modestie épargner ce discours.

STEPHANIE

Ah daignez m’écouter : et souffrez* que j’embrasse…

FERDINAND

80 Quoy, te mettre à genoux pour mieux me rendre grace ?
Crains-tu que je t’eschappe ? Ah ! Ne t’allarme pas,
Quoy qu’il puisse arriver apprends que tu m’auras :
Mais rentre promptement, car je vois Lazarille,
Il s’avance.

STEPHANIE

Oh mal-heur ! Que ne suis-je sa fille.
SCENE III §
LAZARILLE, FERDINAND

LAZARILLE

85 De tous vos serviteurs estant le plus soûmis,
Un libre accez chez vous me fust toûjours permis,
Monsieur, et vous m’avez à toutes mes visites [p. 6]
Fait des civilitez par delà mes merites.

FERDINAND

Couvrez-vous.

LAZARILLE

Mais enfin, apres tant de bontez,
90 Mes yeux de Stephanie ayant vu les beautez,
D’adorer ses attraits je ne pûs me deffendre ;
Si bien que dans l’espoir de me voir vostre gendre,
Je viens d’un zele ardent embrasser vos genoux,
Afin que vous souffriez*224 que je sois son Espoux.

FERDINAND

95 Fort bien.

LAZARILLE

Je ne dis rien d’une ardeur infinie,
Suffit que chaque jour vous voyiez Stephanie,
Peut-on ne pas l’aymer* sans manquer de raison ?

FERDINAND

Vous ne pouviez venir en meilleure saison.

LAZARILLE

Donc à ma passion225 vous estes favorable ?
100 Donc je puis esperer cét objet adorable ?
De vostre affection je suis trop éclaircy ;
Quoy vous me preparez…

FERDINAND

Un refus, Dieu-mercy.

LAZARILLE

Un refus ?

FERDINAND

Un refus.

LAZARILLE

Ah ! Du moins que je sçache
Si parmy mon ardeur vous trouvez quelque tache.

FERDINAND

105 Nenny226, mais par un sort qui pour vous est fatal,
Vous avez le mal-heur de m’avoir pour Rival. [p. 7]

LAZARILLE

Vous aymez* vostre fille ? Ah ! Si par quelque ruse…

FERDINAND

Tout chacun m’en croit Pere et tout chacun s’abuse,
Je vous crûs de tout temps un Amy si discret,
110 Que je puis à vos yeux exposer un secret :
Mais il faut toutesfois m’asseurer de se taire.

LAZARILLE

De ce triste secret quel que soit le mystere,
Parlez, de vos Amis je suis l’un des plus grands.

FERDINAND

Il y peut bien avoir prés de cinq fois quatre ans,
115 Qu’une Dame à cheval, qu’avoit un homme en croupe,
Passa par cette ville, allant à Gadaloupe,
Et pour ne pas vous faire un trop long entretien227,
Du logis que j’occupe en vint faire le sien.
Après que de cheval elle fut descendüe,
120 Je vis qu’elle étoit pasle, et toute morfondüe228,
De son maigre visage on eût compté les os,
Ses bras étoient petits, mais son ventre étoit gros,
Et s’il faut devant vous que sans fard je m’explique ;
Durant une heure ou deux je la crûs hydropique229 :
125 Mais peu de temps apres mon esprit fut certain,
Que ce n’estoit pas d’eau que son ventre estoit plein.
Quoy que dans mon logis elle n’eut rien à craindre,
J’entendis sur le soir cette Dame se plaindre ;
D’abord prestant l’oreille à sa voix, j’en oüis230 :
130 Voy de quels tristes biens à present tu jouïs,
Puis que tu t’es fiée à des promesses vaines,
Qu’un moment de plaisir te coûtera de peines !
Que le Ciel en courroux te prepare de maux !
Void-on quelques mal-heurs à tes mal-heurs égaux ?
135 Ton fruict qui void le jour rend-il ta douleur moindre ?
Là j’oüis une voix à la sienne se joindre,
Dont l’extreme foiblesse, et le ton delicat, [p. 8]
Avoit bien du rapport aux cris d’un petit Chat.
Lors pour voir ce mystere ayant ouvert la porte,
140 Je trouvay cette femme en langueur231 ; demy-morte.
Un enfant à ses pieds qui venoit d’estre fait,
Et qui quoy que petit estoit beau tout à fait.
En un rude courroux j’eus dessein de me mettre,
Mais la mere à l’enfant ne pût me le permettre,
145 Et d’un gros Diamant le brillant gracieux,
Sçeut me fermer la bouche, et m’éblouïr les yeux :
Si bien que l’Accouchée ayant par son adresse
Apaisé ma colere et surpris ma tendresse,
Sans rien apprehender des médisans propos,
150 A son enfant tout nû je donnay des drapeaux232,
Qui la mesme nuitée ayant eu la migraine,
Fit chercher au plus viste, et Parain et Maraine.
Car dans sa maladie on craignoit qu’il mourut ;
Et Dôna Stephanie est le nom qu’il reçeut.

LAZARILLE

155 O Ciel ! Après ce coup que faut-il que j’espere ?
Helas !

[FERDINAND]

Vous voyez bien si j’en fus jamais Pere.

LAZARILLE

Je ne le vois que trop.

FERDINAND

Pour vous donc abreger,
Stephanie en huict jours ne fut plus en danger,
Et la mere pour lors pleinement satisfaite,
160 La commit233 à ma charge, et sonna sa retraite,
Et m’ayant ses joyaux deposez dans les mains,
Avant que de partir m’expliqua ses desseins.
Monsieur, dit-elle alors, connoissant vostre zele,
Je vous laisse ma fille, et vous laisse avec elle
165 Dequoy l’entretenir, et payer ses dépens
Tant que pourra durer la longueur de sept ans.
Environ ce temps-là j’envoiray la reprendre ; [p. 9]
Sur tout je vous enjoints de jamais ne la rendre,
Qu’à celuy qui pour elle ayant quelque amitié,
170 A cét anneau rompu joindra l’autre moitié.
Cela dit, elle part, et sa fille demeure,
Qui durant son enfance amandoit234 d’heure en heure,
Et qui vécut si bien, qu’encor mesme elle vit,
Qui des charmes qu’elle a tout le monde ravit.
175 Comme elle est à present dans un aage à produire,
Ma violente ardeur je luy-viens de deduire235,
Et trouvant dans ma flâme un plaisir assez doux,
Pour mieux m’en rendre grace elle estoit à genoux :
Mais comme à mon esprit sa pudeur est connüe,
180 Je l’ay fait retirer voyant vostre venüe ;
Et pour conclusion je vous faits assavoir236,
Qu’elle borne sa gloire au bon-heur de m’avoir.
Adieu237.
SCENE IV §

LAZARILLE seul

Peut-on souffrir* une douleur plus dure !
Voir de mes propres yeux son indigne posture,
185 Et lors que par son ordre on peut tout esperer,
Embrasser les genoux, de qui doit l’adorer !
L’ingratte ! Elle paroist.
[SCENE V] §
STEPHANIE, LAZARILLE
Fabrice et Gusman sont au même jardin

STEPHANIE

Quelque espoir qui vous flatte, [p. 10]
Empeschez que pour moy votre flamme n’éclatte,
Et quoy que vostre amour ait pour vous des appas,
190 Faites que pour me plaire il ne paroisse pas.
Car enfin …

LAZARILLE

C’est assez, de la loy qu’on m’impose,
Mon esprit tout confus vient d’apprendre la cause,
Ferdinand…

STEPHANIE

Ferdinand vous a donc tout appris ?

LAZARILLE

N’en doutez pas.

GUSMAN à Fabrice

Hé bien, les avez-vous surpris ?
195 S’ayment*-ils ?

FABRICE

Stephanie estre avec Lazarille !
Ecoutons.

LAZARILLE

Du vieillard, vous n’estes plus la fille.

FABRICE

O Dieux !

STEPHANIE

C’est ce qui doit vous causer du tourment
Cessant d’estre mon Pere il devient mon Amant*.

FABRICE

Ferdinand l’ayme* aussi, Gusman !

GUSMAN

Belle demande ; [p. 11]
200 Manque-t-on d’appetit prés de si belle viande238 ?

LAZARILLE

Ferdinand doit donc faire un obstacle à mes vœux ?

STEPHANIE

Pouvez-vous en douter, et connaistre ses feux ?

FABRICE

Elle ne l’ayme* pas.

GUSMAN

Mon Dieu, quoy qu’elle die,
Elle a l’esprit mâdré239, croyez-moy, fou s’y fie240.

LAZARILLE

205 Lors qu’il a declaré l’amour qu’il a pour vous,
Pour y répondre mieux vous estiez à genoux ;
Ainsi…

STEPHANIE

Cette posture où j’ay sçeu me contraindre,
Monstre ce que de luy vous avez lieu de craindre.

FABRICE

Entends-tu ?

GUSMAN

Qui pis est, suivant ce que je vois,
210 Mon esprit indupable est dupé par sa voix.

LAZARILLE

Cependant, animé* d’une ardeur assez grande,
De vous à mon Rival j’ai tenté la demande ;
Et suivant les conseils que de vous j’ay receus,
Je me suis attiré la rigueur d’un refus.

FABRICE

215 J’en suis ravy, Gusman.

GUSMAN

Vous voyez, l’ayme*-t-elle ?

FABRICE

Je n’en puis que juger.

STEPHANIE

O fortune cruelle241 !
Vous m’avez demandée ?

LAZARILLE

Et suivy vos avis*. [p. 12]

STEPHANIE

Trop tost à mon mal-heur vous les avez suivis :
Quand je crûs vous donner un conseil necessaire,
220 Ferdinand de ma part estoit veu comme Pere ;
Mais n’estant pas sa fille, et sçachant son amour,
Je n’apprends qu’à regret que le vostre est au jour.

FABRICE

L’ayme*-t-elle ? Tu vois.

GUSMAN

Comment Diable la croire ?
Ses discours sont pour moy des feüillets du Grimoire242.

STEPHANIE

225 J’entends du bruit, fuyez, et de peur que de vous
Le Rival qui vous nuit ne devienne jaloux,
Le plus que vous pourrez évitez ma presence.

LAZARILLE

Adieu, je laisse au Ciel à punir cette offence.

STEPHANIE

Moy, je suy vostre exemple, et j’invoque les Dieux,
230 Pour me voir delivrer d’un Amant* odieux.
Lazarille sort
SCENE V[I] §
FABRICE, STEPHANIE, GUSMAN

GUSMAN

Tout va bien.

FABRICE

Profitons ; il sort tout en colere.

GUSMAN

Poussez243 donc.

FABRICE

Lazarille aura pû vous déplaire, [p. 13 ; B]
Je l’ay veu qui d’icy sort assez brusquement ;
Mais vous pouvez en moy recouvrer un amant*,
235 Puis que depuis long-temps mon cœur pour vous soupire,
Sans que dans mes respects, j’aye osé vous le dire.

STEPHANIE

Quoy, vous m’aymez*, Fabrice ?

GUSMAN, la tirant à l’écart

Oüy, foy d’homme d’honneur,
Il dit que c’est de vous que dépend son bon-heur ;
Et vous pouvez penser que sa flâme est bien forte,
240 Puis que j’ose vous faire un serment de la sorte.

STEPHANIE

Vous m’aymez* !

FABRICE

Le moyen de ne vous aymer* pas,
Et de pouvoir sans cesse admirer vos appas.

STEPHANIE

S’il est vray que pour moy vostre ardeur soit sincere,
Pourquoy vous obstiner si long-temps à la taire ?
245 Loin que par vostre aveu vous puissiez m’allarmer,
Qui se fust veuë aimée auroit pû vous aymer*.
Au reste, Lazarille eût tousjours tant d’adresse,
Qu’au lieu de me déplaire, il auroit ma tendresse ;
C’est à luy seulement que l’Hymen doit m’unir,
250 J’en ay fait la promesse, et je la veux tenir.
Adieu, ce sentiment est selon qu’il doit estre244.
SCENE VI[I] §
FABRICE, GUSMAN

FABRICE

Ah, Gusman mon Valet ! [p. 14]

GUSMAN

Ah, Fabrice mon Maistre !

FABRICE

Que je suis mal-heureux !

GUSMAN

Point, point, rayez ce mot,
Vous seriez plus heureux si vous estiez moins sot.

FABRICE

255 Maraut insuportable…

GUSMAN

Et vous teste étourdie245,
Dont le cœur est de flâme et la langue engourdie,
Ce qui vient d’arriver ne vous sied que trop bien ;
Avoir chaud comme un Diable, et ne parler de rien,
Brusler dans sa chemise à l’exemple d’Hercule246,
260 Et puis apres cela devenir ridicule,
Jusqu’au poinct de souscrire au plaisir d’un Rival,
Si ce n’est estre sot, c’est paraistre Cheval247.

FABRICE

Au plaisir d’un Rival que jamais je souscrive !
Qu’il possede un objet qui mon ame captive !
265 Et que sans écouter un amour violent …

GUSMAN

Et que pretendez-vous, ô Maistre un peu trop lent ?

FABRICE

Puis que si mon Rival n’eut usurpé ma place, [p. 15]
Mon aymable Maistresse approuvoit mon audace,
Apprends que je m’appreste à le priver du jour,
270 Pour la contraindre encor à souffrir* mon amour.
Je ne luy déplais pas, je le viens de connaistre,
Elle sçaura m’aymer* quand il cessera d’estre,
Je puis donc, supportant que je vange un affront,
Le forcer à se battre, et t’avoir pour Second.

GUSMAN

275 Moy Second ?

FABRICE

Quoy, Gusman, tu veux estre pagnotte248 ?

GUSMAN

Quoy tueur de Rivaux, vous voulez qu’on me frotte249 ?
Et moy qui de la Parque apprehende la faux,
J’ose vous soûtenir que cela sera faux.

FABRICE

Ah ! Gusman, souviens-toy que j’ayme* Stephanie,
280 Qu’elle doit, à mon sort, par l’Hymen estre unie,
Et que dans le mal-heur qui talonne mes pas,
N’en pas estre l’Espoux, c’est souffrir* le trépas.

GUSMAN

Trépassez.

FABRICE

Mais mourir, apres tant de souffrances,
C’est donner à ma peine une foible allegeance250.

GUSMAN

285 Ne trépassez donc pas.

FABRICE

Donne m’en le moyen ;
Crois-tu qu’on puisse vivre, et ne pretendre rien ?
Et que quand la fortune est pour nous rigoureuse,
Un trépas soit moins doux qu’une vie odieuse ?

GUSMAN

Trépassez-donc. [p. 16]

FABRICE

Gusman, c’est mal me secourir,
290 Un Amant* veritable a trop peur de mourir,
Penses-tu qu’au moment qu’on adore une belle,
Il soit aisé de faire une absence éternelle ?
Et qu’un cœur que l’amour asservit sous ses loix,
Puisse expirer sans peine apres un noble choix ?

GUSMAN

295 Vivez-donc, si la mort est pour vous effroyable.

FABRICE

La mort aux mal-heureux est tousjours agreable.

GUSMAN

Mourez-donc.

FABRICE

Quelque sort qui nous puisse arriver,
Il n’est rien de si doux que de vivre, et d’aymer*.

GUSMAN

A vostre cher Valet, apprenez vostre envie ;
300 Avoir peur de la mort, et puis craindre la vie ;
C’est, sans qu’il soit besoin de tousjours discourir,
Vouloir vivre sans vivre, et mourir sans mourir.
Mais à quoy resvez-vous251 ?

FABRICE

Au mal-heur qui m’afflige,
De momens en momens Lazarille m’oblige*,
305 Il m’aime, et toutesfois je ne puis l’épargner,
Et je dois, ou le perdre, ou du moins l’éloigner.

GUSMAN

Un si grand preambule estoit-il necessaire ?
Vous sçavez, grace à Dieu, que je suis bon faussaire,
Et que sans vanité, je pourrois me vanter,
310 Qu’au mestier de matois252 nul ne peut m’imiter.
Si bien qu’à mon talent il n’est pas difficile
De forcer Lazarille à sortir de Sevile253 : [p. 17]
Laissez vostre fortune à ma discretion.

FABRICE

Il me souvient encor d’une autre invention,
315 L’Ambassadeur d’Affrique est icy.

GUSMAN

Qu’il s’y tienne.

FABRICE

Sa personne à peu prés est égale à la tienne.

GUSMAN

Pour cela ?

FABRICE

Vous avez chacun de mesmes traits.

GUSMAN

Qu’en est-il ?

FABRICE

Les plus fins confondroient vos portraits.

GUSMAN

Que m’importe ?

FABRICE

Pour peu que ton zele s’applique
320 A vouloir me servir aux despens de l’Affrique,
Tu peux en secondant les desseins que je faits,
Contenter mon ardeur, et remplir mes souhaits254.

GUSMAN

Moy que je vous oblige* aux despens de l’Affrique ?

FABRICE

Tu le peux.

GUSMAN

Justement ; c’est bien là ma pratique,
325 Quoy, Monsieur, dans l’Affrique ay-je quelque pouvoir ?

FABRICE

Point du tout.

GUSMAN

A-t-elle eu le bon-heur de me voir ?

FABRICE

Nullement. [p. 18]

GUSMAN

De l’Affrique ay-je la dependance ?

FABRICE

Encor moins.

GUSMAN

Fléchit-elle à ma moindre ordonnance255 ?

FABRICE

Elle ? Non.

GUSMAN

Comment donc avez-vous pretendu,
330 Qu’un service à ses frais pût vous estre rendu :
Car enfin quoy que j’aye un rapport fort sincere
Avec un qui peut-estre est bastard de mon pere,
D’icy jusqu’en Affrique un chemin raccourcy,
Ne peut estre plus long que de là jusqu’icy ;
335 Et puis qu’à vous connaître il faut que l’on s’exerce,
Gusman avec l’Affrique ayant peu de commerce,
Pour raison concluante il conclud de bon cœur,
Que tousjours de l’Affrique il sera serviteur.

FABRICE

Tu n’entends pas mon sens.

GUSMAN

Comment Diable l’entendre ?

FABRICE

340 Je veux dans mon logis te le faire comprendre ;
Puis donc que nous avons des sujets à choisir,
Entrons, et sur chacun consultons256 à loisir.

Fin du premier Acte.

ACTE SECOND §

SCENE PREMIERE §
LAZARILLE, FABRICE

LAZARILLE

Incomparable amy dont tousjours la tendresse, [p. 19]
Dans tout ce qui me touche aisément s’interesse,
345 Approche, et si jamais tu me crûs mal-heureux,
Si jamais mon destin te semblast rigoureux,
Juges par ce billet qui fait naistre ma plainte,
Si d’un tourment plus rude on peut sentir l’atteinte.

FABRICE lit.

Mon Neveu je me plains de mon triste devoir,
350 Qui malgré-moy m’oblige* à vous faire sçavoir
Une fort mauvaise nouvelle :
Mon Frere, votre Pere ayant fini son sort,
Pour de vostre Maison devenir le support,
Vostre Mere affligée en ce lieu vous appelle.
355 DOM RAYMON DE GALAS

LAZARILLE

Hé bien ! Parfait amy
Dont la noble chaleur257 n’agit point à demy ;
Tu vois.

FABRICE

Ce coup fatal me surprend, et m’estonne, [p. 20]
Il est mort !

LAZARILLE

Juges-en par l’avis* qu’on me donne.

FABRICE

De tout autre qu’un Oncle à qui l’on doit respect,
360 Un billet si fascheux pourroit m’estre suspect :
Mais voy le caractere258 ; Est-ce point imposture,
Examine.

LAZARILLE

Non, non c’est la mesme écriture.

FABRICE

Pourtant, ou je me trompe, ou tu dis hier au soir,
Que ton Pere en ce lieu te pourroit bien-tost voir259 ;
365 Et pour, à son enfant ne pas estre inutile,
Qu’il partoit de Tolede, et venoit à Sevile.

LAZARILLE

Il me l’avoit mandé, cet espoir m’estoit doux,
Mais de tous mes plaisirs mon destin est jaloux.
Il s’oppose sans cesse au cours de ma fortune,
370 Et comme à tout momens sa rigueur m’importune,
Et que de son caprice il me fait le joüet,
J’ay des biens en idée, et des maux en effet.

FABRICE

Ton sort est deplorable.

LAZARILLE

Ajouste encor, Fabrice,
Que tout m’est rigoureux, que rien ne m’est propice,
375 Et pour connaistre mieux jusqu’où va mon tourment,
Au tendre nom de Fils, joints le tiltre d’Amant* ;
J’adore une beauté, je dois estre auprés d’elle,
Et la mort de mon Pere à Tolede m’appelle.

FABRICE

Si j’avois veu l’Objet qui te tiens sous ses loix,
380 Je l’irois de ta part visiter quelquesfois. [p. 21]
Comme pour te servir j’ay le cœur tout de flâme,
A répondre à tes feux, j’exciterois son ame,
Et ta vertu sans cesse étalée à ses yeux,
Te rendroit favorable un sejour ennuyeux.

LAZARILLE

385 Si tantost j’eusse appris cette triste nouvelle,
J’aurois crû m’éloigner d’une fille infidelle260 ;
Mais ce coup à mon ame est d’autant plus cruel,
Qu’elle honore mes feux par un feu mutuel.

FABRICE

Helas !

LAZARILLE

A mon ardeur daigne donc estre utile,
390 Puis qu’il faut qu’à regret j’abandonne Sevile,
Et qu’au moins Stephanie une fois chaque jour,
Apprenne par ta voix l’excez261 de mon amour.

FABRICE

Stephanie !

LAZARILLE

Elle-mesme.

FABRICE

O destin implacable !

LAZARILLE

Tu te plaints.

FABRICE

Je me plaints du mal-heur qui t’accable,
395 L’Ambassadeur d’Affrique est ton Rival.

LAZARILLE

O Dieux !
Il ayme* Stephanie ?

FABRICE

Il en est amoureux ;
Comme il est courageux, comme il est magnanime,
Que chacun le respecte, et que chacun l’estime,
Que son credit262 est rare, et que dans cét Estat, [p. 22]
400 Il tient, et sçait garder le rang d’un Potentat*,
En vain à ce qu’il veut tu ferois resistance.

LAZARILLE

Il l’ayme* !

FABRICE

De sa flâme il m’a fait confidence ;
Et si je ne m’abuse il vient lui-mesme exprès,
Pour parler de ses feux.
SCENE II §
GUSMAN, FABRICE, LAZARILLE, SUITE

GUSMAN, en habit d’Ambassadeur.

Suivez-moy mes valets,
405 Ou d’abord faites gile263. Hé bien l’avez-vous veuë,
Celle dont les attraits m’ont donné dans la veuë264 ?

FABRICE

Non, Seigneur.

GUSMAN

Et pourquoy, Maistre265 fat266 ?

FABRICE

Je n’ay pû
Seigneur…

GUSMAN

Que pleust à Dieu que vous fussiez rompu267 !
Cependant de l’amour je sens la tyrannie,
410 Traistre.

LAZARILLE

Quoy donc, Seigneur, vous aymez* Stephanie ?
Elle vous charme ? [p. 23]

GUSMAN

Un peu si vous le trouvez bon.
Mais je vous trouve encor un fort joly mignon268,
Pour mettre vostre nez jusques dans mon affaire.

LAZARILLE

Je n’ay pas crû, Seigneur, que ce fust vous déplaire.

GUSMAN

415 Vous deviez l’avoir crû, car un Ambassadeur,
En parlant avec vous abaisse la grandeur ;
Tirez vos chausses269, viste, ou bien-tost par la teste…

LAZARILLE

Je sçay que vostre force égale une tempeste,
Et que le rang supréme où le Ciel vous a mis,
420 Donne de la terreur à tous vos ennemis :
Je ne le fus jamais, et n’ay garde270 de l’estre,
Vous vous abaisseriez si vous estiez mon Maistre :
Mais la Posterité publieroit vos hauts faits,
Si de vostre vertu j’éprouvois271 les effets,
425 Et si vostre Excellence à ma perte animée,
Vouloit rendre le calme à mon ame allarmée ;
Et soûtenant toûjours la grandeur de son sang,
Me ceder un Objet qui n’est pas de son rang.

GUSMAN

Vous estes trop obscur, je ne puis vous entendre.

LAZARILLE

430 Vous servir, est-ce un bien que je puisse pretendre ?
Il n’est rien que pour vous je n’osasse embrasser272.

GUSMAN

Pour estre vostre Maistre il me faut abaisser,
Plaist-il ?

LAZARILLE

Je vous l’avouë.

GUSMAN

Il est donc necessaire,
Que chacun se maintienne en sa forme ordinaire273, [p. 24]
435 Aussi bien tous vos soins me sont indifférends.
Fabrice !

FABRICE

Monseigneur.

GUSMAN

Est-il bon prés des Grands ?
Le dois-je retenir ?

FABRICE

Il en est beaucoup digne.

GUSMAN

N’estes-vous point sujet au sirop de la vigne ?

LAZARILLE

Quoy que je sois, Seigneur, vous le connoissez bien,
440 Vostre esprit penetrant n’ignorast jamais rien.

GUSMAN

Il est vray, mais enfin quelque fois on oublie.

LAZARILLE

Ah ! de vostre Grandeur l’ame est trop accomplie.
Et quoy que la vertu cherche à s’humilier,
Un esprit si fameux ne peut rien oublier.
445 Vous avez la science en un degré supréme…

GUSMAN

Vous me connoissez mieux que je ne sais moy-mesme
Et les vertus qu’en moy vous trouvez à tous pas,
Sont de hautes vertus que je ne voyois pas.
Fabrice.

FABRICE

Monseigneur.

GUSMAN

Cette fille vient-elle ?

FABRICE

450 Non, Seigneur.

GUSMAN

Qu’elle est sotte ! Allons donc qu’on l’appelle !
Debiteur de Phebus274, c’est vous dont je fais chois, [p. 25 ; C]
Pour haranguer l’objet qui me met aux abois,
Et pour faire un portrait qui chatoüille275 son ame,
Où vous representiez la grandeur de ma flâme ;
455 Mais parlant de mes feux il se faut animer*,
Et par vostre discours la contraindre à m’aimer.

LAZARILLE

Moy, Seigneur ? Ah ! Sçachez…

GUSMAN

Je sçay que je m’abaisse,
Mais l’esprit le plus ferme est sujet à foiblesse :
Forcer mon Excellence à me servir de vous,
460 Si c’est une folie, il en est de plus fous.
Sur tout, à Stephanie, étallez l’Ambassade,
Poussez-luy des soûpirs*, affectez la boutade276,
Et faites-luy sçavoir par un terme attractif,
Que l’honneur de ma couche est un bien sensitif.

LAZARILLE

465 Je m’acquitteray mal…

GUSMAN

Point, point.

LAZARILLE

Ciel ! On l’ameine !

GUSMAN

Disposez-vous277 …

LAZARILLE

Helas !

GUSMAN

Bon, bon.

LAZARILLE

Quelle est ma peine ?
SCENE III §
FERDINAND, GUSMAN, LAZARILLE, STEPHANIE, FABRICE, SUITE.

FERDINAND

Monseigneur, les respects … [p. 26]

GUSMAN

Monsieur le langoureux,
Pay278 ; ce n’est pas de vous que je suis amoureux.

FERDINAND

Mais, Monseigneur l’espoir…

GUSMAN

Mais Monsieur, pas plus outre279,
470 Je suis grand personnage, et mal-heur à qui m’outre.

FERDINAND

Ce n’est pas vous outrer…

GUSMAN

Ah vieux barbon280 testu !
Qui faits en me parlant enrager ma vertu,
Porte plus loin l’odeur de ton nez qui refrongne281 ;
Et vous le beau parleur faites vostre besogne,
475 Dégoisez282.

LAZARILLE

Stephanie, Helas !

GUSMAN

Ah ! L’autre sot,
Qui tout d’abord soûpire, et n’a dit qu’un seul mot.

LAZARILLE

Ce digne Ambassadeur qui n’a rien que d’illustre,
Veut de sa passion augmenter vostre lustre283 :
Il n’a pû resister à tant d’appas flatteurs, [p. 27]
480 Qui des cœurs les plus durs sont vos adorateurs :
Il n’a pû resister aux sensibles amorces
Qui maistrisent nostre ame, et surmontent ses forces :
Il n’a pû resister au pouvoir de vos yeux :
Il vous adore, helas !

GUSMAN

Ce soupir là va mieux.
485 Mais c’est trop la flatter ; vantez-lui mon adresse,
Pour plaire à ma Grandeur surprenez la tendresse ;
Loüez mon Excellence.

LAZARILLE

Il vous doit estre doux,
De voir qu’un si grand homme ait de l’amour pour vous.
Jugez par ses vertus, par son rang, par sa mine,
490 De la gloire éclatante où le Ciel vous destine ;
Moy dont son Excellence a daigné faire choix,
Pour vous representer qu’il revere vos loix,
Je devrois ressentir de la joye en mon ame ;
D’avoir pû le premier vous parler de sa flâme ;
495 Et mon cœur devroit estre et tranquile, et content,
A l’aspect du bon-heur qui déja vous attend ;
Mais helas !

GUSMAN

Mais helas ! Soûpirant incommode,
Des helas éternels ne sont plus à la mode.

LAZARILLE

Pleut-on parler d’amour sans qu’on soûpire ?

GUSMAN

Non,
500 Mais il faut soûpirer de plus d’une façon.
Pour bien complimenter contemplez-moy, Novice.
Hola*, quasi ma femme, et presqu’Ambassadrice,
Venez ; car je vous ayme*, et je suis cependant
Ambassadeur d’Affrique, et bien Ambassadant ;
505 Mais contre vos attraits n’ayant point de parade, [p. 28]
Pour vous faire l’amour je me des-Ambassade :
Car des Ambassadeurs estant fort au dessous,
L’Ambassade est à eu284 quand on parle avec vous.
Aï ! De ce soûpir*, Patron285 que vous en semble ?

LAZARILLE

510 Il est doux !

GUSMAN

Il est vray, Respondez-donc.

STEPHANIE

Je tremble.
Pour connaistre aisément vostre rang glorieux,
Il ne faut qu’un moment regarder dans vos yeux,
On y remarque un air qui de vostre Excellence
Découvre les vertus, et fait voir la naissance :
515 Aussi, d’un rang si haut je sçay trop le pouvoir,
Pour vouloir abuser du bon-heur de vous voir,
Et j’en faits trop d’estat pour oser jamais croire,
Que d’un honteux amour vous soüilliez vôtre gloire.
Songez, Seigneur, songez que mon rang est trop bas,
520 Il vous faut…

GUSMAN

Mon enfant, je ne l’ignore pas ;
Je sçay ce qu’il me faut, mais quoy que je le sçache,
Pour vous faire m’aymer* je me faits une tache ;
Mais beauté printaniere apprenez qu’il m’est doux,
D’estre noir comme un Diable286, et d’estre aymé* de vous.

STEPHANIE

525 Mais un Ambassadeur vouloir…

GUSMAN

Point de scrupules,
Souvent les Grands Seigneurs sont les plus ridicules ;
Aussi donc vostre esprit ne doit pas s’allarmer,
De voir mon Excellence avoir pû vous aymer*.

STEPHANIE

GUSMAN

Oüy vous aymer*, vostre beauté m’enyvre,
530 Vous me verriez mourir si je cessois de vivre ;
Car, par exemple, un homme, oüy je tiens pour certain,
Qu’un homme qui se meurt est si prés de la fin,
Qu’il s’en faut peu souvent que la mort ne l’atrape,
Et quand la mort nous tient rarement on échappe,
535 Partant287 si vous estiez insensible pour moy,
Vous me verriez mourir, et sans sçavoir pourquoy :
Mais si pour m’obliger* vous vouliez vous resoudre,
A m’aymer* tant soit peu, nous pourrions en découdre,
Et dès ce mesme jour l’un et l’autre conjoints,
540 A grossir nostre race appliquer tous nos soins.

LAZARILLE bas

Quel brutal !

FERDINAND

Sur ce point…

GUSMAN

Hibou288, dont le cœur gronde,
Taisez-vous.

FERDINAND

Sur ce point il faut que je réponde.

GUSMAN

Pay, vous dis-je.

FERDINAND

Seigneur…

GUSMAN

C’est trop Seigneurier,
Je suis Ambassadeur, et me veux marier.

LAZARILLE

545 Mais Seigneur comme pere il faut …

GUSMAN

Monsieur son Plege289,
Loin de vous accorder un plus grand privilege, [p. 30]
Je suis vostre ennemy si pour luy vous parlez ;
Pour vous la belle Alix parlez si vous voulez.

STEPHANIE

Un Hymen entre nous a si peu d’apparence,
550 Que je n’ose, Seigneur en former l’esperance ;
Vous pouvez donc pretendre en me faisant la Cour,
D’attirer des respects, et non pas de l’amour.
Vous m’aymez* ? Vous, Seigneur ? Moy qui suis…

GUSMAN

Esprit cruche,
Nourrisson d’un vieillard qui semble une guenuche290,
555 Apres que noblement j’ay dépeint mon ardeur,
N’a-t-elle encore pû penetrer vostre cœur ?
Je vous ayme*, vous dis-je, et mon ame abatuë,
Cede au cruel effort de l’amour qui me tuë291,
Et je suis à present, tel que des Matelots
560 Que le destin expose à la mercy des flots,
Et qui sur le dos vert du compere Neptune,
Pensent journellement établir leur fortune,
Quand au mal-heur pour eux un vent rude et fatal,
Enfle…rompt…calme…brise…enfin je suis fort mal.
565 Douterez-vous encor que je cherche à vous plaire,
Puis que je vous étale une preuve si claire ?
Et m’alleguerez-vous de vos sottes raisons,
Puisque je vous confonds* par des comparaisons ?

STEPHANIE

Il suffit, un grand cœur n’est jamais hypocrite ;
570 Mais, Seigneur, quand je songe à mon foible merite,
Je croy peu, quelques feux dont vous soyez épris,
Qu’un Esprit si sublime ait pû s’estre mépris.
Donc si vostre Excellence a pour moy quelque zele,
Souffrez* qu’elle m’en donne une marque plus belle,
575 Et cachant ce qu’en vous je dois voir de suspect,
Faites naistre un amour qui succede au respect.
Elle sort.

FERDINAND

Monseigneur, excusez si pour m’estre fidelle… [p. 31]

GUSMAN

Tu peux suivre sa piste et courir apres elle.

FERDINAND

Mais…

GUSMAN

Mais.

LAZARILLE

Et quoy, Seigneur, faut-il …

GUSMAN

Est-ce à ton tour
580 A me rompre la teste292, Interprete d’amour !

FERDINAND

Comme amy…

GUSMAN

Comme amy…Sçais-tu bien que j’abonde…
Sors te dis-je : Et pour toy. Belzebut te confonde*.
Bon jour293.
SCENE IV §
LAZARILLE, FABRICE

LAZARILLE

Quoy donc cét homme à qui rien n’est égal,
A si peu de vertus et paroist si brutal ?
585 C’est là ce rare Esprit à qui l’on rend hommage,
Qui d’un grand Potentat* represente l’Image ?
Et tu m’oses parler d’étouffer mon amour ?
Et tu peux te resoudre à luy faire la Cour ?
Toy qui m’as dit cent fois que tu hais la bassesse, [p. 32]
590 Tu peux par complaisance aplaudir sa foiblesse ?
Sa grandeur t’éblouit, et tu n’aperçois pas,
Qu’avec toute sa pompe il n’a rien que de bas :
Si d’abord j’ay souscrit aux souhaits de ce Rustre,
J’ay crû qu’un rang suprême occupoit un Illustre ;
595 Mais je prens de l’audace en quittant mon erreur,
Puisque tout son mérite est d’avoir du bon-heur.
Ce cœur farouche…

FABRICE

Amy, sois un peu moins credule,
C’est à force d’aymer* qu’il paroist ridicule,
Et je vois aysément par un tel procedé,
600 La violente ardeur dont il est obsedé.
Si tu pouvois l’entendre au moment qu’il s’explique,
Et qu’il parle au profit de la chose publique,
Ton oreille charmée, et tes sens interdits,
Deviendront les garants de ce que je te dis.
SCENE V §
GUSMAN, LAZARILLE, FABRICE

GUSMAN, en habit de Valet.

605 Monsieur, je viens …

FABRICE

Tantost294 tu me diras le reste.

LAZARILLE

Quel qu’il soit à son sort je veux estre funeste,
De cét Ambassadeur je méprise le rang,
Je pretens luy planter un poignard dans le flanc.

GUSMAN bas

LAZARILLE

Qu’il soit genereux, qu’il ait l’esprit sublime,
610 Que chacun le respecte, et que chacun l’estime,
Pour souffrir* que ce bras luy devienne fatal,
Il suffit qu’il m’outrage, et qu’il soit mon Rival.
Il verra ce que c’est qu’attaquer Lazarille.

GUSMAN bas

Diable, que j’ay bien fait de quitter la Roupille296.

FABRICE

615 Mais considere Amy…

LAZARILLE

Tout est consideré,
Mon voyage à Tolede est déja differé :
Dans l’estat où je suis je n’ay plus d’autre envie,
Que d’assouvir ma rage aux dépens de sa vie.
Et s’il estoit icy dans ce mesme moment,
620 Je sçaurois l’immoler à mon ressentiment.

GUSMAN

Monsieur : ah !

FABRICE

Ne crains rien.

GUSMAN

S’il me jette une œillade,
Et qu’il remarque en moi quelques traits d’Ambassade.

FABRICE

Cede, cede à celuy qui combat ton ardeur,
Souviens-toy que d’Affrique il est Ambassadeur.
625 Songe….

LAZARILLE

Pour m’appaiser vainement tu t’efforces,
Loin d’esteindre mon feu tu redoubles ses forces,
Et si tu n’avois pas la bonté de m’aymer*,
C’est toy qui contre luy me devrois animer*.
Puis-je en un mesme jour sans mourir de tristesse, [p. 34]
630 Sçavoir la mort d’un pere et perdre une Maistresse ?
Non, non quelques effets qu’il en puisse avenir,
L’ambassadeur me choque, et je veux l’en punir.
Toy qui de ce Rival a veu naistre la flâme,
Ôste si tu le peux ce dessein de son ame ;
635 Sinon sa mort est seure, et je te le promets.
Adieu.
SCENE VI §
FABRICE, GUSMAN

GUSMAN

Vas-t’en au Diable, et ne reviens jamais.
Peste quel avaleur de pois gris297 ! Dans sa bouche
Je ne ferois non plus que feroit une mouche.

FABRICE

D’un autre stratageme il nous faut essayer :
640 Car, suivant ma pensée, il vient de t’effrayer,
Et tu ne veux plus estre Ambassadeur d’Affrique ?

GUSMAN

Cy-fait298.

FABRICE

A m’obliger*, ton soin si fort s’applique ?

GUSMAN

Et quoy donc !

FABRICE

Dés ce soir, tu peux donc, cher Valet…

GUSMAN

Vous souhaiter au Diable avec l’autre Argoulet299.
645 Que vostre esprit est preste300 aux desseins qu’il se forge : [p. 35]
Qu’au cousteau d’un meurtrier j’aille tendre la gorge,
Et que dans un amour qui me touche fort peu,
Quand le cœur vous en dit, je sois mis sur le jeu ;
Nescio vos301, Seigneur, car Gusman n’est pas homme,
650 Qui pour vostre plaisir soit content qu’on l’assomme,
Et puis qu’en vostre amour vous n’estes pas plus Grec302,
Pour des Ambassadeurs torchez-en vostre bec303.

FABRICE

L’intrigue estre si belle, et ne pas la poursuivre !

GUSMAN

Vouloir obstinément que je cesse de vivre !

FABRICE

655 Mais Gusman…

GUSMAN

Mais, Monsieur, je ne suis point d’avis,
De me faire étriller dessous de beaux habits.

FABRICE

Quel plaisir peux-tu prendre à commettre ces fautes ?

GUSMAN

Un plus grand que de voir qu’on me brise les costes,
Car qui d’un coup motel me feroit un present,
660 Me feroit ce me semble un plaisir peu plaisant.

FABRICE

Au moins sois moy propice au dessein que j’invente,
De l’Hoste à mon Rival tu connois la servante ?

GUSMAN

A peu prés.

FABRICE

Tu sçais bien si par quelque Loüis,
On peut charmer ses yeux et les rendre ébloüis.
665 Et si dans mon dessein je me puis servir d’elle.

GUSMAN

Preparer de l’argent, c’est une bagatelle304,
On la baise gratis305.

FABRICE

Répons mieux à mon sens, [p. 36]
Et sois plus favorable à l’ardeur que je sens.
Ma plus pressente envie est de voir Lazarille,
670 Quitter l’Andalousie et marcher en Castille,
Tandis que Stephanie écoutant mes soûpirs*,
Deviendra plus sensible à mes justes desirs ;
Pour donc precipiter son voyage de Tolede,
Voyons cette servante, et demandons son ayde.
675 Mais avant que Gusman fasse rien de nouveau,
Je veux le faire boire à regorge museau306.

GUSMAN

De quel vin.

FABRICE

Du meilleur.

GUSMAN

Vous avez bien la mine,
De me faire avaller de ce casse poictrine,
De ce vin baptisé307, que l’on donne aux lacquais,
680 Qui fait du mal au ventre, et n’enyure jamais.

FABRICE

Point, je veux que ce soir tu manges à ma table.

GUSMAN

Moy ?

FABRICE

Toy.

GUSMAN

Pour vous servir j’affronterois le Diable.
Allons jetter les yeux sur des mets délicats,
Et caressons ensemble et les pots et les plats.

Fin du second Acte.

ACTE TROISIEME §

SCENE PREMIERE §
HENRIQUEZ, LA SERVANTE.

LA SERVANTE

685 Monsieur, vous voyez bien qu’estant l’heure qu’il est, [p. 37 ; D]
On se loge où l’on peut, et non où l’on se plaist,
Dans cette Hostellerie aucun bouge ne chome308,
Et je ne pense pas que dans tout le Royaume
On rencontre un Hostel qui soit plus frequenté,
690 Dans un logis si grand un lict seul est resté ;
Des deux que vous voyez, le lict vert est le vostre,
Un jeune homme habillé repose dessus l’autre,
Il est plein de tristesse, allez au petit pas,
Et faites s’il se peut qu’il ne s’éveille pas.

HENRIQUEZ

695 Puis que dans le lict vert il faut que je repose,
De vos soins cette nuict je ne veux autre chose,
Emportez la chandelle, et me laissez icy.

LA SERVANTE

Et vous deshabiller ?

HENRIQUEZ

N’ayez point ce soucy.

LA SERVANTE

Mais vous ne verrez goutte, et je crains…

HENRIQUEZ

Il n’importe, [p. 38]
700 Laissez-moy seul vous dis-je, et fermez cette porte.
Sur tout n’oubliez pas d’aller chez Ferdinand.

LA SERVANTE

Il suffit309, son logis est du nostre attenant,
Je ne vous promets rien qu’aisément je ne tienne.

HENRIQUEZ

Il faut qu’un grand matin faire en sorte qu’il vienne,
705 Et que de Stephanie il soit accompagné.

LA SERVANTE

C’est assez que vous m’ayez enseigné
Ce qu’il faut faire.

HENRIQUEZ

Allez.

LA SERVANTE

J’obeïs.
SCENE II §

HENRIQUEZ seul

La courriere310
Qui du flambeau du jour commence la carriere,
N’est pas encore preste à faire son retour,
710 Il faut donc dans ce lieu que j’attende le jour,
Et que dessus ce lict je fasse un petit somme :
Mais de peur qu’en marchant je n’éveille cét homme,
A ne pas le troubler appliquons nostre effort,
Et ceddons au pouvoir du frere de la mort311.
SCENE III §
LAZARILLE, HENRIQUEZ endormis,

GUSMAN faisant l’Esprit

715 Peste tout tourne, où suis-je ? Ô Cambrouse312 endiablée ! [p. 39]
Qui pour quatre Louys rend ma teste troublée,
Que Lucifer t’emporte avec ton chien de trou,
Qui n’est qu’un engin propre à me tordre le cou,
Je ne puis manier cette lanterne sourde,
720 Falloit-il faire Esprit une teste si lourde,
Loin d’estre courageux, je crains une vapeur313,
Et je tremble de peur de donner de la peur,
Pourtant quoy que je fasse il faut tout entreprendre,
Sinon pour en donner en tout cas pour en prendre.
725 Voyons, Mon Fils, ton Pere Henriquez de Galas,
Mourut le mesme jour qu’arriva son trespas :
Or comme il ne vis plus et qu’il est sous la tombe,
De peur que chez le Diable en peu d’heure il ne tombe,
Il faut sans balancer que tu partes demain,
730 Pour rendre mille escus dérobez de ma main ;
Mais responds à ma voix, c’est ton Père

LAZARILLE

Ah ! Mon Pere,
Dont le trépas funeste à causé ma misere,
Demeurez.

GUSMAN

Quelque sot.

LAZARILLE

Vous fuyez.

GUSMAN

Je sais bien,
Aussi bien avec toy je ne gagnerois rien. [p. 40]

LAZARILLE

735 Pourquoy me fuïr ?

GUSMAN

A tort son esprit s’embarrasse,
Je fais le mesme bien que je veux qu’on me fasse,
Ne m’approche non plus que je veux t’approcher.

LAZARILLE

Peut-estre icy quelqu’un est venu se cacher,
Cherchons.

GUSMAN

Où faudra-il qu’à present je me niche,
740 Si tantost chaque coup vaut escu, je suis riche,
Je vais estre assommé s’il me peut entrevoir.

LAZARILLE

Rien ne s’offre à mes yeux que pour me decevoir,
Et dans l’abisme affreux où mon mal-heur me plonge,
Je ne vois rien de vray que l’image d’un songe,
745 Afin que ma douleur puisse un peu s’apaiser,
Encore quelques moments taschons de reposer,
Et gardons à causer du trouble aux autres chambres.

GUSMAN

Je ne prétendois pas remporter tous mes membres,
Et pour m’empescher d’estre Henriquez de Gallas,
750 J’aurois volontiers mis les oreilles à bas314 ;
Qu’un poltron a de peine à donner de la crainte !
Employ de faire peur je te prens par contrainte ;
Pourtant tu n’as pas lieu de te plaindre de moy,
Tu veux espouvanter, espouvantable employ ;
755 Et pour mieux faire voir que ta force est extreme,
Qui te doit exercer s’espouvante luy-méme,
A parler franchement l’avantage est petit,
D’avoir peu de cervelle et de faire l’Esprit,
Ou plutost jusqu’icy l’avanture est nouvelle,
760 De trouver un esprit qui n’a point de cervelle.
Cœur poltron, sois cœur brave et t’arme jusqu’au point, [p. 41]
De donner de la peur et de n’en prendre point,
En faveur de Fabrice, ô cœur prends cette peine,
Sois moins cœur de Gusman, que cœur de Capitaine,
765 Ou bien à ce dormeur faits connoistre à son dam315,
Un cœur de Capitaine en un cœur de Gusman ;
Me le promets-tu cœur ? Oüy j’entens ta responce,
Desja le nez m’en enfle, et le sourcil m’en fronce,
Et ta haute asseurance asseure asseurément,
770 Un trembleur qui trembloit d’avoir du tremblement
Pour la seconde fois faisons peur. Lazarille,
Quiconque fait un fils ne fait pas une fille,
Si bien que je conclus qu’alors que je te fis,
Ne faisant point de fille, il fallut faire un fils.
775 Pour donc à mon repos estre utile et prospere,
Il faut restituer les larcins de ton Pere,
Et partir de Seville à la pointe du jour,
Pour aller à Tolede establir ton sejour.
Ton Pere …

LAZARILLE

Quoy, mon Pere ? Ah ! Si mon sort vous touche,
780 Pour dire encore un mot, daignez ouvrir la bouche,
Adoucissez l’ennuy* dont je suis travaillé,
Parlez.

GUSMAN

Adieu le cœur, puis qu’il est éveillé.

LAZARILLE

En quel trouble mon ame est-elle ensevelie ?
O bizarre destin ! Sort fatal !

GUSMAN

C’est folie,
785 Pour animer* mon cœur j’ay beau faire un effort,
Je ne suis point vaillant si ce n’est quand il dort.

LAZARILLE

Au moins permettez donc que mon œil se desille,
Et cessez s’il se peut d’affliger Lazarille. [p. 42]

HENRIQUEZ

Lazarille, bons Dieux ! Ou je suis insensé ;
790 Ou ce nom dans ce lieu vient d’estre prononcé.

LAZARILLE

Je souhaitte une chose impossible316,
Qui n’est plus ce qu’un Esprit ne peut estre visible :
Mais à mon triste sort soyez moins endurcy,
Et dites pour le moins si vous estes icy.

HENRIQUEZ

795 Oüy, j’y suis Lazarille.

GUSMAN

Ô surprise effroyable !
Les Enfers pour me perdre ont vomy quelque Diable,
Qui pour vanger ma fourbe317 employant ses efforts,
Chastiera mon esprit aux despens de mon corps.
Adieu Gusman.

LAZARILLE

Suffit, mais soulagez ma peine,
800 Dites si dans ce lieu c’est moy qui vous ameine.

HENRIQUEZ

Nullement.

GUSMAN

En effet, Belzebut je le croy,
Tu ne viens pas pour luy, tu ne viens que pour moy.

LAZARILLE

Enfin donc ma douleur à vostre ame soûmise,
De pouvoir vous toucher la faveur m’est permise,
805 Je vous tiens.

GUSMAN

Pauvre Esprit ! Où te fourreras-tu ?

LAZARILLE

Vous voyez Lazarille à vos pieds abattu,
Je veux vous obeïr, rien ne m’est difficile,
Je sçay que vous voulez que je quitte Sevile,
J’y consens pour vous plaire, et immole en ce jour, [p. 43]
810 L’amour à la nature, et moy-mesme à l’amour.

HENRIQUEZ

Quel discours ambigu ?

GUSMAN

Que le Diable te gratte,
Grace au bon Jupiter je suis hors de ta patte,
Attrappons quelque coin318.

HENRIQUEZ

Je te tiens mon cher fils.

GUSMAN

Le plus infortuné de la troupe d’Esprits,
815 Où t’es-tu là rangé ?

HENRIQUEZ

Quel ennuy* te possede ?
Il est vray que je veux te revoir à Tolede :
Mais loin qu’en tes projets je te veüille trahir,
Obeïr à l’amour c’est assez m’obeïr.

GUSMAN

Enfilons la venelle319.

LAZARILLE

Ô fortune prospere,
820 Obeïr à l’amour, c’est vous plaire mon pere,

HENRIQUEZ

Sans doute.

GUSMAN

En quel endroit pourroit estre mon trou,
Si j’ouvre ma lanterne ils me rompent le cou,
Il faut donc se resoudre, ô trop sourde lanterne,
A ne te pas ouvrir de peur qu’on me discerne.

HENRIQUEZ

825 Parle-moy.

LAZARILLE

Pour respondre à l’amour paternel,
Je dois vous souhaiter un repos eternel ;
Et qu’à mes vœux ardans le Ciel estant propice, [p. 44]
Vous sentiez sa clemence, et non pas sa justice.

HENRIQUEZ

C’est mal prendre son temps pour ce triste propos.

GUSMAN

830 Quelle gresle de coups va tomber sur mon dos.
C’est bien fait, aussi bien je suis trop temeraire,
Et j’eus trop peu d’esprit quand je le voulus faire.

LAZARILLE

Touchant les mille escus autrefois mal acquis,
Que de restituer je suis par vous requis,
835 Puis que pour estre heureux il faut estre sans tache,
Et qu’à vous contenter fortement je m’attache,
Vostre ombre vagabonde aura droit desormais
De gouster des douceurs qui ne cessent jamais.

HENRIQUEZ

Il a perdu le sens, quelle angoisse mortelle !
840 Depuis quel temps, mon fils, n’as-tu plus de cervelle ?
Helas !

LAZARILLE

Si mon esprit vous paroist alteré,
C’est depuis vostre mort qu’il est donc esgaré ?

HENRIQUEZ

Ma mort !

GUSMAN

D’estre rossé320 je sens approcher l’heure.

HENRIQUEZ

Je sçay que dans mon aage il est temps que je meure,
845 Nous naissons pour mourir ; mais malgré cette loy
Mon jour n’est pas venu, je vis.

LAZARILLE

Pardonnez-moy ;
Vous estes mort mon Pere, et la chose est certaine.

GUSMAN

Pour si peu qu’il est mort ce n’en est pas la peine.

HENRIQUEZ

Si je suis mort, c’est donc sans m’en appercevoir : [p. 45]
850 Mais de quelle personne as-tu pû le sçavoir.

LAZARILLE

Je tiens de Dom Raymond cette triste nouvelle.

HENRIQUEZ

Il faut le détromper, hola* de la chandelle.

GUSMAN

De la chandelle, helas ! La feinte va finir,
J’ay si bien fait le mort qu’il le faut devenir.

HENRIQUEZ

855 De la clarté, fus donc, hola* ! viste mon Maistre,
Dés que tu me verras, tu sçauras me connoistre.

LAZARILLE

Cependant ma frayeur est sans comparaison.

GUSMAN

S’il faut faire l’Esprit, faisons le par raison,
Et tâchons d’éviter les coups qu’on nous prepare.
SCENE IV §
L’HOTE, LAZARILLE, HENRIQUEZ, GUSMAN

L’HÔTE, avec une chandelle.

860 Pourquoy faire Messieurs un si grand tintamare ?
D’où vient que du sommeil…

GUSMAN

Mon fils.

L’HÔTE se laissant tomber, et la chandelle s’éteint.

Helas mon Dieu !
Quel horrible fantosme est gisté dans ce lieu ? [p. 46]
A moy viste garçons, de la clarté.

HENRIQUEZ

Je pasme321 !

LAZARILLE

Une peur effroyable a coulé dans mon ame.

L’HÔTE

865 Je vois d’autre chandelle.
SCENE V §
DES GARCONS, L’HÔTE, HENRIQUEZ, LAZARILLE, GUSMAN.

L’HÔTE

Ah ! Messieurs qu’est-cecy ?
Parlez.

HENRIQUEZ

Je n’en sçais rien.

LAZARILLE

Je n’en sçais rien aussi,
Tout me devient fatal, Ciel quelle est ma misere !
Est-ce en vous que je vois l’ombre de feu mon pere.

HENRIQUEZ

Tu vois ton pere en vie.

LAZARILLE

Hé bien, j’en suis d’accord,
870 Vous qui donc estes-vous ?

GUSMAN

Je suis ton pere mort,
Oüy, je suis, ô garçon ! Qui de moy voulus naistre,
Aussi bien trespassé qu’aucun autre puisse estre.

LAZARILLE

Tout me confond*, mon trouble est plus fort que devant ; [p. 47]
Enfin mon pere mort, ou mon pere vivant,
875 Si de vous, ou de vous je receus la naissance,
Donnez-m’en l’un ou l’autre une claire apparence.

HENRIQUEZ

Dans les traits de ton pere envisage les tiens.

GUSMAN

La mort que j’ay soufferte a changé tous les miens,
C’est un monstre infernal revestu de ma forme.

LAZARILLE

880 Est-il vray que je veille, ou si322 c’est que je dorme.

HENRIQUEZ

Tu te laisses surprendre, et ne m’escoute pas.

LAZARILLE

Que direz-vous, mon pere a souffert le trespas,
J’en suis certain.

GUSMAN

D’accord.

HENRIQUEZ

En vain donc je te presche,

GUSMAN bas

De rentrer dans mon trou l’un et l’autre m’empesche,
885 J’en enrage.

LAZARILLE

Il est temps de finir ma douleur,
L’un des deux est sans doute, ou Sorcier, ou Voleur.

L’HÔTE

C’est ma pensée, et l’ombre en a bien l’encolure.

GUSMAN

Ah ! Gros ventre de son323, qui me fais une injure,
Mal-heur sur la maison de qui choque les morts.

LAZARILLE

890 Qui des deux soit mon pere, excusez mes efforts.

GUSMAN

A mon secours, mon Maistre, on me veut mener pendre.
SCENE VI §
FABRICE, GUSMAN, LAZARILLE, HENRIQUEZ, L’HÔTE, SES GARCONS.

FABRICE

Ne crains rien, je parois, et je viens te deffendre. [p. 48]

LAZARILLE

Fabrice ! Ô juste Ciel !

FABRICE

c’est Fabrice en effet,
Qui fut de tes amis tousjours le plus parfait ;
895 Mais qui cesse de l’estre en son mal-heur extréme,
Puis qu’il trouve un Rival dans un autre soy-mesme.
Celuy qui cette nuict t’a causé de la peur,
Dés hier estoit d’Affrique un faux Ambassadeur ;
C’est Gusman mon Valet dont tu vois la figure,
900 Qui de ton oncle mesme imita l’escriture,
Et qui pour t’esloigner d’un objet plein d’appas,
De ton pere vivant t’annonça le trespas.

LAZARILLE

Desloyal confident d’une ardeur infinie,
Quoy ! Ton cœur en secret brusle pour Stephanie ?
905 Tu l’aymes* !

HENRIQUEZ

Stephanie !

FABRICE

Oüy ! J’en suis amoureux,
Cette beauté charmante est l’objet de mes vœux.

LAZARILLE

Je l’ayme* aussi Fabrice, et je sçay qu’elle m’ayme*,
Et j’attends des Dieux la puissance supréme…

HENRIQUEZ

Point de serments, mon fils, vous Fabrice esperez. [p.49 ; E]

LAZARILLE

910 Quoy vous voulez ma perte et vous l’en asseurez ?
Un Pere m’opprimer, consentir à ma peine :
Mais, ô Dieux ! j’aperçois Ferdinand qui l’ameine,
Qu’est-cecy !

FABRICE

Juste Ciel !
SCENE VII ET DERNIERE §
FERDINAND, STEPHANIE, LAZARILLE, HENRIQUEZ, GUSMAN, FABRICE.

HENRIQUEZ

Approchez bon Vieillard.

FERDINAND

Vous ay-je pas, Monsieur, desja veu quelque part ?

HENRIQUEZ

915 Cela se peut.

FERDINAND

J’ignore en quel lieu ce peut estre.

HENRIQUEZ

Cette moitié d’anneau vous le fera connoistre.

LAZARILLE

Qu’entens-je ?

FERDINAND

C’est donc vous ? Ah ! Je vous reconnoy.

HENRIQUEZ

Ne cherchez desormais vostre Père qu’en moy, [p. 50]
Je le suis, Stephanie.

FABRICE

Ô bon-heur !

LAZARILLE

Ô disgrace !

STEPHANIE

920 Vous, mon Pere !

FERDINAND

Luy-mesme.

HENRIQUEZ

Ah ! Que je vous embrasse
Ma Fille. Lazarille amortis ton ardeur,
Au lieu d’une Maistresse envisage une Sœur.

FERDINAND

Une Sœur, je la tiens…

STEPHANIE

Quoy, vous estes son Pere ?

LAZARILLE

Il l’est ; De vostre Amant* je deviens vostre Frere,
925 Quel besoin aviez-vous de cacher si long-temps…

HENRIQUEZ

Ailleurs je t’en diray les secrets importans,
Ce bon homme sçait tout. Cependant de Fabrice,
Ma chere Stephanie acceptez le service.

FERDINAND

Mais, Monsieur, j’esperois …

HENRIQUEZ

il est juste, esperez.

FERDINAND

930 Mon ardeur

HENRIQUEZ

M’est connuë.

FERDINAND

Et de plus vous sçaurez… [p. 51]

HENRIQUEZ

Il suffit ; vous verrez que je suis raisonnable.

FERDINAND

Que plutost ne te vois-je emporter par le Diable :
Ah ! Je suis mort.

GUSMAN

Fort bien, nostre espoir decevant324,
Te fait le Vivant Mort, et moy le MORT VIVANT.

FIN

Extraict du Privilege du Roy §

[LII]

Par grace et Privilege du Roy, donné à Paris le II May 1662 signé par le Roy en son Conseil, DUMOLEY ; il est permis à JEAN GUIGNARD fils, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une Piece de Theatre, intitulée, Le Mort Vivant, par le Sieur Boursault, et ce durant le temps de cinq années, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la premiere fois. Et deffences sont faites à tous Imprimeurs, Libraires et autres, de l’imprimer, ou faire imprimer, vendre, debiter ny contrefaire ledit Livre sans le consentement du dit Exposant, à peine aux contrevenans de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, et de tous despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par ledit Privilege.

Et ledit Jean Guignard a associé au present Privilege Nicolas Pepingué et Estienne Loison Marchands Libraires à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Achévé d’imprimer pour la premiere fois le premier Juin 1662.

Les exemplaires ont esté fournis.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de cette ville Paris.

Lexique du Mort vivant §

Amant
« Celuy qui aime d’une passion violente et amoureuse. » (Furetière).
V. 66, v. 67, v. 198, v. 230, v. 234, v. 290, v. 376, v. 924
Animer
« Se dit figurément Pour marquer la force que l’on donne à un discours par la maniere de le prononcer » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 211, v. 628, v. 785
Encourager.
V. 455
Avis
Conseil.
V. 217
« Il se dit aussi des nouvelles qu’on mande, & de celles qu’on reçoit. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1762).
V. 358
Aymer
« Avoir de l’affection pour quelque chose […] il est naturel d’aimer sa femme et ses enfants, ses amis. » (Furetière).
V. 27, v. 42, v. 44, v. 68, v. 71, v. 97, v. 107, v. 195, v. 199, v. 203, v. 215, v. 223, v. 237, v. 241, v. 246, v. 272, v. 279, v. 298, v. 396, v. 402, v. 410, v. 503, v. 522, v. 524, v. 528, v. 529, v. 538, v. 553, v. 557, v. 598, v. v. 627, v. 905, v. 907
Confondre
« Troubler, Mettre en desordre, Couvrir de honte » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 568, v. 582, v. 873
Ennuy
« Chagrin, fâcherie que donne quelque discours, ou quelque accident desplaisant, ou trop long. » (Furetière)
V. 781, v. 815
Hola
« Est quelquefois interjection qui sert pour appeller des gens de basse condition, des laquais. » (Furetière).
V. 502, v. 852, v. 855
Obliger
Rendre service, faire une faveur.
V. 304, v. 323, 537, 642
Contraindre.
V. 350
Potentat
« Qui a une puissance souveraine et fort étenduë. Le Roy est le plus redouté de tous les Potentats de l’Europe » (Furetière).
V. 400, v. 586
Soûpir
« Respiration plus forte & plus longue qu’à l’ordinaire, causée souvent par quelque passion, comme l’amour, la tristesse, etc. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 462, v. 509, v. 671
Souffrir
Permettre.
Dédicace, v. 79, v. 94, v. 574, v. 611
Endurer.
V. 183, v. 282
Admettre, recevoir.
V. 14, v. 270
LE
MEDECIN
VOLANT,
COMÉDIE

Par Mr BOURSAULT

A PARIS,
Chez N. PEPINGUÉ, à l’entrée de la ruë de la
Huchette. Et en sa boutique au premier Pilier
de la grande Salle du Palais, vis à vis les
Consultations, au Soleil d’or.
M.DC.LXV.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Charlotte Dias dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2014-2015)

A MONSIEUR C*******325
Medecin de mon Païs. §

[p. I]

MONSIEUR,

Soit par coustume, ou soit par generosité326, je n’ay jusqu’icy dédié aucune Piece, que l’on ne m’ait fait quelque Present ; Et à dire vray l’on m’attraperoit327 bien, si on venoit à perdre une si bonne habitude. Cependant je vous dedie le MEDECIN VOLANT, qui assurément n’est pas le moindre de [p. II] mes Ouvrages, à condition seulement qui si jamais je vais au Païs, et que je sois assez heureux pour y devenir Malade, vous aurez assez de bonté pour moy pour ne me pas faire languir328 longtemps. Remarquez s’il vous plaist, MONSIEUR, que je ne veux pas dire que vous aurez la bonté de m’expedier le plustost qu’il vous sera possible: Et souffrez* que je vous avertisse de peur d’equivoque, que je n’estime la Medecine qu’en ce qu’elle peut estre utile à la conservation, ou au recouvrement de ma Santé, parce que je mourray bien sans le secours de personne, et particulierement de vostre Faculté, pour qui j’ay trop de veneration pour ne pas luy en épargner la peine. Il meurt plus de Monde en ces quartiers par la faute des Medecins, que vous n’en ressuscitez par vostre [p. III] Capacité ; et Paris est si miserable pour les Malades, que l’on prend plus de soin pour les faire mourir, que vous n’en prendriez pour le faire vivre. Je vous proteste que si l’on m’appelloit à la Police329 j’y donnerois si bon ordre, qu’il ne seroit plus possible d’assassiner impunément un homme ; et ces Messieurs qui ne sont Medecins que par la Soûtane, seroient obligez durant quelques années que je limiterois, de faire l’espreuve de leur Science sur les Animaux qui ne sont plus propres au travail. Si cela estoit, les habiles comme vous n’en seroient pas plus mal, et les malades en seroient beaucoup mieux ; vous en auriez plus de pratique, et ceux qui meurent avec tant de precipitation entre les mains de ces Ignorans, ne mourroient peut-estre pas si vite entre les vostres. Enfin, MONSIEUR, j’ay tant d’estime [p. IV] pour vostre Personne, et tant d’inclination pour le Païs, que si jamais il me prend envie de sortir du monde, j’ayme mieux mourir de vostre main que de par une autre ; quand ce ne seroit qu’à cause qu’il y a de mes parents qui en sont déja morts, et que par consequent je suis obligé d’estre,

MONSIEUR,

Vostre tres-humble, et
affectionné Serviteur,

BOURSAULT.

ADVIS AU LECTEUR §

[p. V]

LE MEDECIN VOLANT que j’expose à ton jugement, mon cher LECTEUR, est l’une des plus aimables Pieces qui soit au Theatre, et j’en puis parler de la sorte sans choquer la bien-seance, puisque ce n’est pas moy qui en suis l’Auteur. Le sujet est Italien ; il a esté traduit en nostre langue ; representé de tous costez ; et je crois qu’il est plus beau de ma façon que d’aucune autre, à cause qu’outre la Traduction qui en est fidele, il a [p. VI] encore la grace de la Poësie. Il est vray qu’on le represente au Marais ; mais quoy qu’il soit en vers, on peut dire que la Poësie ne luy a point donné de grace : Veritablement les nouveaux Acteurs qui sont entrez dans cette Trouppe, l’ont apporté de Flandres330, et c’est pour cela que le langage de cette Piece est si corrompu. Je te fais juge de ce Medecin Volant-cy, et c’est tout ce que j’ay à te dire.

Extraict du Privilege du Roy §

[p. VII]

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Pari le dernier Octobre mil six cens soixante-quatre. Signé, Par le Roy en son Conseil, GUITONNEAU. Il est permis à NICOLAS PEPINGUE’, Imprimeur et Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, faire imprimer, vendre et debiter une Piece de Theatre, intitulée, Le Medecin volant, Comedie, composée par le Sr Boursault, pendant le temps et l’espace de sept années, à commencer du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois ; Et deffenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’imprimer, ny faire imprimer, vendre et debiter ladite Piece sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, despens, dommages et interests, ainsi que plus au long il est porté audit Privilege.

Registré sur le Livre de la Communauté.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le quatorziesme Janvier 1665.

Les Exemplaires ont esté fournis.

ACTEURS. §

[p. VIII]
  • CLEON, Amant* de Lucresse
  • LISE, Servante de Lucresse
  • LUCRESSE, Maistresse* de Cleon
  • CRISPIN, Valet de Cleon, Medecin Volant
  • FERNAND, Pere de Lucresse
  • PHILIPIN, Valet de Fernand
  • CANTEAS, habile Medecin
La Scene est devant la Maison de Fernand

SCENE PREMIERE. §

LISE, CLEON.

LISE

N’insultez331 point de grace au mal-heur de Lucresse, [p. 1]
Je say qu’elle a pour vous une forte tendresse* ;
Mais enfin de son pere elle craint le pouvoir,
Et ne peut se resoudre au plaisir de vous voir.
5 Une fille bien née a tousjours de la crainte.

CLEON

[p. 2]
Que veux-tu, la douleur dont mon ame est atteinte,
Rend ma plainte équitable, et me fait murmurer332
Contre un Objet charmant que je dois adorer.
Mais Lise à sa fenestre une prompte escalade
10 Peut m’ouvrir une voye …

LISE

Elle fait la malade,
Monsieur, et le vieux Reistre333 est party du matin
Pour chercher par la ville un expert Medecin.
Sans rien escalader, pour voir une Maistresse*
Un Amant* dans sa manche a tousjours une adresse ;
15 Mettez tout en usage, et puissance, et savoir,
Sans choquer334 son honneur335 essayez de la voir,
Il n’est point de moyens que l’amour n’autorise,
Sur tout…mais du vieillard je crains une surprise,
Adieu, pensez à vous, et vous ressouvenez,
20 Qu’il n’est rien d’impossible aux cœurs passionnez336.

SCENE II §

CLEON seul.

Aux cœurs passionnez il n’est rien d’impossible,
Je l’avouë ; et je trouve un moyen infaillible
De donner à mon ame un moment de repos ;
Il faut…mais ô Crispin que tu viens à propos.

SCENE III §

CLEON, CRISPIN.

CRISPIN

25 Je vous cherche partout pour vous rendre réponce [p. 3]
Monsieur.

CLEON

Si tu savois ce que Lise m’annonce,
Cher Crispin…

CRISPIN

Il m’a dit que tantost sur le soir…

CLEON

Quand on a de l’amour, et qu’on a de l’espoir…

CRISPIN

Je vous dis, et redis qu’il m’a dit de vous dire…

CLEON

30 Pour des charmes si doux lors qu’une ame soupire.

CRISPIN

Vous plaist-il que je parle, ô babillard337 maudit ?
Ou ne diray-je mot ?

CLEON

Tu m’en as assez dit.
Le temps m’est precieux338, et ma flame me presse ;
Raisonnons entre nous ; je me meurs pour Lucresse.

CRISPIN

35 Mourez-vous. [p. 4]

CLEON

Son visage a des attraits puissants,
Elle asservit mon ame, elle charme mes sens,
En un mot je l’adore, et son pere me l’oste,
Tu le vois.

CRISPIN

Il est vray, mais ce n’est pas ma faute.

CLEON

D’accord, de mon mal-heur je ne puis t’accuser,
40 Mais tu connois son père, il le faut abuser*,
Qu’en dis-tu ?

CRISPIN

Moy, Monsieur ? abusez*, que m’importe ?

CLEON

Il la tient enfermée, et je veux qu’elle sorte :
Mon cœur pour cét effort ne s’adresse qu’à toy,
Car enfin…

CRISPIN

A present il m’importe, ma foy339.
45 A moy, Monsieur ?

CLEON

A toy, rends mon ame charmée340.

CRISPIN

Ne me dites-vous pas qu’il la tient enfermée ?

CLEON

Oüy.

CRISPIN

Je n’y puis que faire. En quel lieu du logis ? [p. 5]

CLEON

C’est dessus le derriere341.

CRISPIN

Ouy ?

CLEON

Ouy.

CRISPIN

Ouy ?

CLEON

Ouy.

CRISPIN

Tant pis.

CLEON

Je t’ay dit ma pensée, instruis-moy de la tienne.

CRISPIN

50 Elle est enfermée.

CLEON

Ouy.

CRISPIN

Que la belle s’y tienne,
Voila ce que je pense.

CLEON

Ah ! c’est trop s’amuser ;
Ecoute, sans scrupule il te faut déguiser.

CRISPIN

Me déguiser, Monsieur, et pourquoy ?

CLEON

C’est pour cause. [p. 6]
Je veux bien en ce lieu t’informer de la chose ;
55 Pour faire pleinement reüssir mon dessein,
Il faut estre aujourd’huy Medecin.

CRISPIN

Medecin
Bons Dieux !

CLEON

Sans perdre icy d’inutiles paroles,
Ce service rendu te vaudra six pistoles342,
Si le gain t’encourage, avise343, les voila,
60 Examine.

CRISPIN

Mon Dieu, ce n’est pas pour cela.
Medecin !

CLEON

Medecin, je n’ay point d’autre ruse.

CRISPIN

Mais il faut de l’esprit, et je suis une buse,
Et de plus…

CLEON

C’est à tort que tu prends de l’effroy,
Le père de Lucresse a moins d’esprit que toy,
65 Ce vieillard chassieux344 connoit peu ton visage,
Et tu sais…il avance, il me void, j’en enrage,
Je le vais aborder, vas m’attendre chez moy,
J’auray soin de m’y rendre aussi vite que toy.

CRISPIN

Mais à moins de m’instruire apprenez… [p. 7]

CLEON

Va te dis-je,
70 Je te suy.
Il sort.

SCENE IV §

CLEON, FERNAND, PHILIPIN.

CLEON

La douleur de Lucresse m’afflige,
Monsieur, quoi que mes soins lui soient indifferens,
Je viens vous informer de la part que j’y prens :
Heureux quoy que tousjours sa beauté me captive,
Si pour d’autres que moy j’apperçois qu’elle vive,
75 Et tousjours trop heureux, si le vœu que je faits
D’un secours necessaire avance les effets.
Adieu.

SCENE V §

FERNAND, PHILIPIN.

FERNAND

Ma pauvre fille, elle va rendre l’ame [p. 8]
Philipin.

PHILIPIN

C’est à vous que j’en donne le blasme,
A la pourvoir d’un homme on a trop retardé,
80 Un pucelage nuit quand il est trop gardé,
C’est cela qui l’étouffe, et ces sortes de choses…

FERNAND

Point, point, sa maladie a de plus justes causes :
Mais retourne au plus viste, et va voir Philipin
Si l’on attend bien-tost ce savant Medecin :
85 J’apprehende si fort que Lucresse ne meure…

PHILIPIN

S’il estoit de retour il viendroit tout à l’heure,
On l’a dit.

FERNAND

Il est vray, mais apprends345 mon soucy,
D’autres peuvent l’attendre, et l’emmener aussi,
Et pour lors tout mon cœur accablé de tristesse
90 Si Lucresse enduroit…

PHILIPIN

Peste soit de Lucresse, [p. 9]
Elle a le choix de vivre, ou du moins de mourir ;
Quel plaisir elle prend à me faire courir.

FERNAND

Sur tout ne revient point que tu ne me l’ameines,
Je t’en prie.

SCENE VI §

FERNAND seul.

En mon âge, ô bons Dieux que de peines !
95 Et que dans mes vieux ans…

SCENE VII §

CRISPIN, FERNAND.

CRISPIN en soutane.

Pythagore, Platon,
Masche-à-vuide346, Pancrace347, Hesiode348, Caton349

FERNAND bas.

Quel seroit ce Docteur ? écoutons.

CRISPIN

Caligule, [p. 10]
Polieucte350, Virgile, Anaxandre351, Lucule352

FERNAND bas.

O Dieux !

CRISPIN

Robert Vinot353, Scipion l’Affricain,
100 Jodelet354, Mascarille355, Aristote, Lucain356,
Medecins de Cesar, Assassins d’Alexandre357,
Vous voyez un Phenix qu’a produit vostre cendre358.

FERNAND bas.

Seroit-ce un Médecin ? il en parle359.

CRISPIN

Approchez,
Venez voir grands Docteurs les mysteres cachez
105 De l’Enciclopedie360, et de la Medecine.

FERNAND

C’en est un.

CRISPIN

Venez voir ce que c’est que racine,
De la Mer Arabique361, et le flux et reflux.

FERNAND à Crispin.

Monsieur…

CRISPIN

Que voulez-vous ? Ego sum Medicus,
Medecin passé Maistre, Apprenty d’Hippocrate,
110 Je compose le baume, et le grand Mitridate362,
Je say par le moyen du plus noble des Arts,
Que qui meurt en Fevrier363 n’est plus malade en Mars,
Que de quatre saisons une année est pourveuë, [p. 11]
Et que le mal des yeux est contraire à la veuë.

FERNAND

115 Je ne saurois douter d’un si rare savoir,
Si j’osois vous prier…

CRISPIN

Dequoy ? parlez.

FERNAND

De voir
Une fille que j’ay que chacun desespere364.

CRISPIN

Vous avez une fille ! Et vous estes son pere,
A ce compte ?

FERNAND

Ouy, Monsieur, et j’ay peur de sa mort.

CRISPIN

120 Elle est donc fort malade ?

FERNAND

Ouy, Monsieur.

CRISPIN

Elle a tort.
Je luy veux conseiller qu’elle cesse de l’estre ;
Qui domine sur nous s’en veut rendre le maistre.
Or le mal dominant par d’occultes ressorts,
Il corrompt la matiere, il ravage le corps,
125 L’individu qui souffre au moment qu’il s’épure
D’un peu d’Apoteose365 entretient sa nature,
La vapeur de la terre opposée à ce mal,
Dans l’humaine vessie establit un canal.
Le Cancer froidureux366, rend l’humeur taciturne, [p. 12]
130 Le vaillant Zodiaque envisage Saturne367,
Et s’il faut qu’avec eux j’en demeure d’accord
Rien n’abrege la vie à l’esgard368 de la mort.
Ce sont de ces Auteurs les leçons que j’emprunte.
Votre fille, à propos, seroit-elle deffuncte ?

FERNAND

135 Non, Monsieur.

CRISPIN

Mange-t-elle ?

FERNAND

Un petit, grace aux Dieux.

CRISPIN

Elle n’est donc pas morte ?

FERNAND

Elle ? Nenny369.

CRISPIN

Tant mieux,
Je m’en réjouys fort.

FERNAND

Et dequoy ? Cette vie
Avant la fin du jour luy peut être ravie.

CRISPIN

Tant pis, l’a-t-on fait voir à quelque Medecin ?

FERNAND

140 Nullement.

CRISPIN

Elle a donc quelque mauvais dessein,
Puis qu’elle veut mourir sans aucune ordonnance370,
De ces sortes de morts nostre Ecole s’offence : [p. 13 ; B]
Quand un homme se trouve en estat de perir
Tousjours un Medecin doit l’ayder à mourir,
145 Et c’est faire éclater des malices371 enormes
Que vouloir refuser de mourir dans les formes.
Instruisez vostre fille, et luy dites du moins
Pour mourir comme il faut qu’elle attende mes soins,
Son ame à deloger est trop impatiente372,
150 Monsieur.

FERNAND

Permettez-moy d’appeller sa Suivante.

CRISPIN, bas.

Appellez. Je le tiens, ô le franc animal373.

FERNAND

Hola374, Lise.

SCENE VIII §

LISE, FERNAND, CRISPIN.

LISE

Ah, Monsieur, vostre fille est fort mal !

FERNAND

Que fait-elle ? Je tremble.

LISE

Elle se plaint du ventre, [p. 14]
Elle sort de son lict, puis apres elle y rentre,
155 Se promene, se sied, veut dormir, veut veiller,
Malgré-moy de ce pas je la viens d’habiller…

FERNAND

D’habiller !

LISE

D’habiller ; sa boutade375 m’estonne,
Je croy…
appercevant Crispin.
Mais ce Gredin vous demande l’aumône,
Monsieur.

FERNAND

Ah juste Ciel quel blaspheme tu fais !
160 C’est l’exemple parfait des Medecins parfaits,
Que j’ay bien du sujet de loüer sa rencontre.

LISE

Medecin ?

CRISPIN

Medecin, ma soutane le monstre.
Mais sans perdre ma peine à prouver qui je suis,
Par ma seule doctrine aisement je le puis.
165 De la fille égrotante376 apportez de l’urine,
Apportez.

FERNAND à Lise

Allez viste en quérir.
Lise sort.

CRISPIN

J’examine
Ce que cette malade à peu prés peut avoir ;
Mais je vois de l’urine, et je vais le savoir. [p. 15]

SCENE IX §

CRISPIN, FERNAND, LISE

CRISPIN

Approchez.

FERNAND

De frayeur j’ay mon ame allarmée.

LISE, avec de l’urine

170 En voilà.

CRISPIN

Voyez-vous, comme elle est enflamée ?
Mauvais signe.

FERNAND

O bons Dieux, il en boit.

CRISPIN, apres avoir tout beu

Je croy bien ;
Mais qui boit pour si peu ne comprend jamais rien,
Allez en querir d’autre.

FERNAND à Lise.

Allez viste.
Lise sort encore.

CRISPIN

Mon Prince,
Assez d’autres Docteurs d’une estoffe plus mince
175 Se seroient contentez du rapport de leurs yeux ; [p. 16]
Mais à croire sa langue on en juge bien mieux :
Bois-Robert nous enseigne en sa belle Plaideuse377
Que le goust est solide, et la veuë est trompeuse,
Et qu’un grand Medecin quand il fait ce qu’il doit,
180 Il sent mieux une chose à la langue qu’au doigt378.

FERNAND

A ces fortes raisons je n’ay point de replique.

SCENE X §

LISE, CRISPIN, FERNAND.

LISE, avec encore un peu d’urine.

A pisser comme il faut ma Maistresse* s’applique,
Monsieur, et cependant je n’en ay qu’un filet,
Voyez.

CRISPIN

Pauvre pisseuse !
Après avoir encore beu il dit.
Allez au Robinet379
185 En tirer.

LISE

Mais Monsieur…

CRISPIN

Mais que cette pisseuse
Fasse une ample pissée, et qui soit copieuse, [p. 17]
Copieuse.

LISE

Ma foy, ma Maistresse* ne peut,
On n’a pas le pouvoir de pisser quand on veut.
C’est donner à Lucresse une peine380 trop grande
190 Que vouloir…

FERNAND à Lise.

Dites-luy que Monsieur le commande,
Courez viste.

LISE

Monsieur, vostre fille n’a pû,
Mais enfin pour vous plaire à l’instant elle a bû,
Si Monsieur veut attendre à luy rendre service381,
Au plus tard dans une heure il faudra qu’elle pisse.

CRISPIN

195 Elle a raison.

LISE

De plus pour chasser son soucy
Elle s’est resoluë à venir jusqu’icy.
Elle vient.

SCENE XI §

LUCRESSE, FERNAND, CRISPIN, LISE

LUCRESSE

Ah mon pere ! [p. 18]

FERNAND

Ah ma fille !

LISE

Courage.

LUCRESSE

Je me meurs.

CRISPIN

Je luy trouve un passable visage ;
Serviteur ; Si pour vous nos remedes sont vains,
200 Vous aurez le plaisir de mourir par mes mains,
Consolez-vous.

LUCRECE

Helas !

CRISPIN

Vostre bras, que je taste
Si pour vous il est vray que la mort ait si haste,
Donnez dis-je.
Au lieu de prendre le bras de Lucresse il prend celuy de son pere, et dit.
Tu Dieu ! comme il bat vostre poux,
J’aurois bien de la peine à répondre de vous, [p. 19]
205 Et vostre maladie est sans doute mortelle,
Prenez-y garde.

FERNAND

O Dieux ! quelle triste nouvelle ;
Je suis donc bien malade, ô Monsieur ?

CRISPIN

Vous, pourquoy ?

FERNAND

Vous n’avez pris le bras à personne qu’à moy.

CRISPIN

Et cela vous estonne ! Une tendresse* extréme382
210 Rend la fille le pere, et le pere elle mesme,
Entr’eux-deux la nature est propice à tel point
Que le sort les separe, et le sang les rejoint ;
Estant vray que l’enfant est l’ouvrage du pere,
Sa douleur sur luy-mesme aisement reverbere,
215 Et le sang l’un de l’autre est si fort dependant,
Que l’enfant met le pere en un trouble evident.

FERNAND

Il est vray.

CRISPIN

Cependant quoy que mon savoir brille,
Je veux bien me resoudre à taster votre fille ;
Vostre bras.

LUCRESSE

Le voila.

CRISPIN

Je m’en estois douté,
220 Il ne vous manque rien que beaucoup de santé, [p. 20]
Sans cela…

LUCRESSE

J’ay la mort sur le bord de la levre,
Monsieur.

CRISPIN

Que je retaste. Avez-vous de la fievre ?

LUCRESSE

Je ne say.

CRISPIN

Non ?

LUCRESSE

Non.

CRISPIN

Fy383.

FERNAND

Dequoy ?

CRISPIN

Mauvais régal384,
Par fois sans qu’on le sache on se porte fort mal,
225 Voyez-vous.

FERNAND

De ses maux que je sache la cause.

CRISPIN

C’est la fievre, ce l’est, si ce n’est autre chose,
Mais soit fievre, ou migraine, ou cancrene ou mal-chaud385,
Allez, pour la guerir, je say bien ce qu’il faut.

FERNAND à Lise.

Une plume, de l’encre. [p. 21]

CRISPIN

Et pourquoy ?

FERNAND

L’Ordonnance,
230 Monsieur…

CRISPIN

Vous vous mocquez, je les fais par avance.
Je me tiens tousjours prest contre tous accidents ;
En voila pour les yeux, pour le flux, pour les dents ;
Mais ignorant son mal il luy faut, ce me semble
Une ordonnance propre à tous les maux ensemble ;
235 Il faudra que le sien se rencontre parmy386.
Il donne une Ordonnance.

FERNAND

Charitable Monsieur, c’est agir en amy
Cela ; quel honneste homme.

CRISPIN

En quel lieu couche-t’elle ?

FERNAND

Elle a sur le derriere une chambre assez belle.

LISE

Ouy vrayment, une chambre assez belle en effect,
240 Si sombre.

CRISPIN

Croyez-moy, le devant est son fait,
Qu’on l’y mene, aussi bien la journée est mal saine387.

SCENE XII §

PHILIPIN, FERNAND, CANTEAS, CRISPIN

FERNAND voyant venir Philipin.

Philipin, ayde à Lise388. [p. 22]

PHILIPIN

A la fin je l’amene,
Le voicy.
Apres que Philipin a dit cela, il ayde à ramener Lucresse.

CRISPIN

Qui donc ? qu’est-ce ?

FERNAND

Un savant Medecin.

CRISPIN bas.

Medecin, male-peste.

CANTEAS

Excusez, ce matin
245 L’intendant d’un Seigneur m’a contraint de me rendre
Monsieur…

FERNAND

Mon bon Monsieur, je n’ay pû tant attendre,
Au retour de chez vous pour causer389 mon repos
Ce fameux Medecin s’est offert à propos, [p. 23]
Je l’ay pris.

CANTEAS

Monsieur ?

FERNAND

Ouy, mais qu’il a du merite,
250 Si vous saviez …

CANTEAS

Je louë, et je plains ma visite,
Je me tiens mal-heureux d’avoir pû me ravir
Au plaisir que j’aurois de pouvoir vous servir,
Et de voir la fortune à mes vœux trop cruelle
M’arracher au bon-heur de vous prouver mon zele.
255 Mais à voir qui pour vous a daigné s’occuper,
Je me tiens trop heureux qu’il ait pû m’eschaper ;
Le plaisir que je gouste est meslé dans le vostre,
Si je perds d’un costé je recouvre de l’autre,
Puis qu’enfin de Monsieur le sublime entretien
260 D’estre un jour tout à vous m’offrira le moyen390.
Appercevant qu’il est au milieu, il dit à Crispin.
Mais, Monsieur pardonnez, ce n’est point par audace,
Je n’ay garde* avec vous d’occuper cette place,
C’est à vous qu’elle est deuë.

CRISPIN

Ah !

CANTEAS

Monsieur…

CRISPIN

Palsambleu,
Ah !

CANTEAS

Sans ceremonie on vous doit le milieu, [p. 24]
Crispin par deux fois estant au milieu, comme Canteas veut parler, il s’écoule par derriere luy, et reprend sa premiere place.
265 Et de grace Hippocrate…Hé Monsieur je vous jure,
Qu’au lieu de m’obliger391, c’est me faire une injure ;
Je vous prie. Hippocrate…A quoy bon tout cela,
Conservez vostre place, hé Monsieur, la voila,
Empeschez à vos yeux que ma honte n’éclate.
270 Je reprends ma parole, et je dis qu’Hippocrate,
Qui de la Medecine est l’illustre ornement,
De cét Art salutaire a parlé doctement.
Medecine est, dit-il, une longue science,
Tout à fait dangereuse en son experience,
275 Car touchant nostre vie elle passe si tost
Qu’on n’a pas le loisir d’en juger comme il faut.
Vita brevis, ars vero longa, occasio autem praceps,
Experimentum periculosum, Judicium difficile. 392
Je me plais à l’estude, et j’ay l’ame assiduë
280 A vouloir de cét Art penetrer l’estenduë :
Mais dedans cét abisme un esprit se confond,
Plus on l’approfondit, plus il semble profond ;
Cette utile science en enferme tant d’autres,
Qu’il faudroit que mes yeux égalassent les vostres,
285 Ou que de leurs rayons vous puissiez m’éclairer.
Pour m’offrir le moyen de ne pas m’esgarer.

CRISPIN

Ho, ho, ho393.

CANTEAS

De plaisir on a l’ame ravie [p. 25 ; C]
Alors que d’un malade on prolonge la vie,
Et d’un grand Medecin rien n’égale le sort
290 Quand sa seule presence intimide la mort ;
Quand il est l’ennemy que la Parque redoute,
Quand sa haute science en detourne sa route,
Et qu’enfin le trépas qui nous fait tous trembler,
Pour ne le pas combattre ayme mieux reculer.
295 Mortem medicamentis removet medicus expers. 394
Je ne puis approuver l’importune metode395
Mais peut-estre, Monsieur, je vous suis incommode396,
Car enfin comme vous les esprits eslevez
Aux emplois importants sont tousjours reservez.

CRISPIN

300 Ho, ho, ho.

CANTEAS

Je sors donc, mais j’ose me promettre
Qu’estant mieux occupé vous pourrez me permettre
De chercher un pretexte à me faire jouyr397
Du plaisir qu’on reçoit quand on peut vous oüyr.

SCENE XIII §

FERNAND, CRISPIN

FERNAND

Hé bien, ce Medecin, vous voyez comme il cause, [p. 26]
305 Qu’en dites-vous ?

CRISPIN

Il sait quelque petite chose.

FERNAND

Daignez-moy je vous prie informer de cela,
Touchant la Medecine est-il expert ?

CRISPIN

Là, là398,
Passable.

FERNAND

Il n’a pas donc la science parfaite ?
Pour qui passeroit-il prés de vous ?

CRISPIN

Pour Mazette399.

FERNAND

310 Mais durant qu’il parloit vous ne disiez mot ?

CRISPIN

Moy ?
Dites-vous ?

FERNAND

Ouy vraiment je dy vous. [p. 27]

CRISPIN

Je le croy.
Pour pouvoir de cét homme éprouver la science,
J’ay voulu me resoudre à garder le silence :
Mais enfin si le drosle eut voulu s’arrester,
315 Allez, vous m’auriez veu diablement caquetter400.
A dessein d’empescher qu’un malade ne meure,
J’allois debagouler401 du Latin tout à l’heure,
Voir quel temps il fera dans un vieil Almanac,
Reciter tout par cœur les Quatrains de Pybrac402,
320 Et pour mieux vous monstrer qu’il est vray que j’excelle,
Je say qu’un lavement fait aller à la selle,
J’ay cent fois en ma vie acheté du Séné403,
Et je dy que le Diable est un Diable damné :
Je soustiens que le corps est le frere de l’ame,
325 Que Seneque et Pauline estoient l’homme et la femme,
Que Narcisse en personne autrefois se noya,
Et semper quoniam tuos alleluya.

FERNAND

Je ne puis rien comprendre à ces phrases d’élite.

CRISPIN

Je m’en apperçois bien, mais adieu je vous quitte,
330 Je verray votre fille ou ce soir, ou demain.

FERNAND luy veut bailler404 de l’argent.

Monsieur…

CRISPIN

Ah ! [p. 28]

FERNAND

Recevez ces Louys de ma main.

CRISPIN

Je n’ay garde*.

FERNAND

Prenez, je vous dois recompense,
Monsieur.

CRISPIN

Je ne suis pas un Marchand de Science.

FERNAND

Hé de grace.

CRISPIN

Non non, je vous suis serviteur.
Il s’en va.

SCENE XIV §

FERNAND seul.

335 Que cét homme est habile, et qu’il est grand Docteur !
Ne point prendre d’argent pour des choses si bonnes !
Il ne ressemble405 pas ces tueurs de personnes,
Ces meschants Medecins qui par un triste sort,
En curant406 nostre bource enrichissent la mort.
340 Voyons ce qu’au logis la science a fait naistre, [p. 29]
Et sachons …

SCENE XV §

FERNAND, CRISPIN

CRISPIN en habit de valet

Au plus viste, attrapons nostre Maistre,
Réjoüissance…ô Dieux ! C’est Fernand que je croy !
C’est luy-mesme !

FERNAND

Est-ce pas mon Docteur que je voy ?
C’est lui-mesme, c’est lui : Votre mine est pleureuse,
345 Qu’estes-vous ?

CRISPIN

Moy Monsieur ? un pauvre homme qui gueuse407.

FERNAND

Quoy, tu408 gueuses* ?

CRISPIN

Monsieur, mes malheurs sont si grands…

FERNAND

Mais dedans cette ville as-tu point de parens ?

CRISPIN

Ah ! Monsieur des parens on n’a guere de grace,
Je suis frere à mon frere, et c’est luy qui me chasse.

FERNAND

350 Il faut donc que sans doute il en ait le sujet ; [p. 30]
Qu’as-tu fait ?

CRISPIN

Respandu la moitié d’un Julet409.

FERNAND

Il est donc Medecin ?

CRISPIN

Ouy, Monsieur.

FERNAND

Il me semble
Que ce frere en colere à peu prés te ressemble.

CRISPIN

Ouy, Monsieur.

FERNAND

Penses-tu qu’on le puisse appaiser ?

CRISPIN

355 Non, Monsieur.

FERNAND

Si tu veux je luy vais proposer… 

CRISPIN

Il ne souffrira* pas que jamais je le voye,
Monsieur.

FERNAND

Si je m’en mesle, il aura de la joye ;
Je le viens de quitter, il est fort mon amy.

CRISPIN

S’il est vray je ne sens ma douleur qu’à demy,
360 Car Monsieur, je vois bien que vous estes brave homme,
Vous aurez de la peine à souffrir* qu’il m’assomme. [p. 31]

FERNAND

Attends-moy, de ce pas je m’en vais le chercher.

CRISPIN

Moy, Monsieur ? Point du tout, je m’en vais me cacher.

FERNAND

Mais il faut te monstrer.

CRISPIN

Ah ! Monsieur, je ne l’ose,
365 Sans savoir si vos soins auront fait quelque chose :
Je m’en vais s’il vous plaist vous attendre à l’escart.

SCENE XVI §

FERNAND seul.

Ce garçon mal-heureux est venu sur le tard ;
Deux minutes plustost je l’accordois410 sur l’heure ;
Foin de moy411; je ne sais où son frere demeure :
370 Mais tousjours je l’attends sur le soir…

SCENE XVII §

CRISPIN, FERNAND

CRISPIN en soutane.

Ah Maraut* ! [p. 32]
Je vous jure…

FERNAND

Ah ! Monsieur, vous venez comme il faut412 : 
Vous pouvez en ce lieu m’accorder une grace.

CRISPIN

Moi, Monsieur ? Il n’est rien que pour vous je ne fasse,
Commandez.

FERNAND

Vostre frere, il a tant de douleur,
375 Que j’ay droict d’esperer…

CRISPIN

C’est un Coquin*, Monsieur.

FERNAND

Il a tort, je l’avouë, il se nomme coupable ;
Mais, Monsieur, une faute est tousjours pardonnable
Desormais il en jure, il veut estre meilleur,
Vous aymer, vous servir.

CRISPIN

C’est un fripon, Monsieur.

FERNAND

380 Ne vous puis-je resoudre à la misericorde ? [p. 33]

CRISPIN

C’est un Pendart413, Monsieur, qui merite la corde.

FERNAND

C’est manquer de parole aux plus rares Amis.
S’il vous en ressouvient vous m’avez tout promis,
Monsieur, ce n’estoit donc qu’une pure grimace414 ?

CRISPIN

385 Il est vray, ma parole en effet m’embarrasse,
C’en est fait, je pardonne à ce traistre, il vous plaist.

FERNAND

Il ne tiendra qu’à vous de le voir comme il est.

CRISPIN

Moy, Monsieur, Moy le voir en presence du monde !
Quand je vois ce Coquin* mon courroux se debonde415,
390 Je ne puis.

FERNAND

Hé, Monsieur, il ne faut qu’un instant…

CRISPIN

Je ne le puis, vous dis-je, un malade m’attend :
Mais touchant ce Maraut* je consens qu’il revienne.
Serviteur.

SCENE XVIII §

FERNAND seul.

Quelque effect qui jamais en avienne
A ce pauvre garçon qui frissonne d’effroy, [p. 34]
395 Je veux faire accorder le pardon devant moy :
Que son frere est honneste, il s’en vient de l’absoudre,
Et j’ose…

SCENE XIX §

CRISPIN, FERNAND

CRISPIN en pleurant, et en habit de valet.

Hé bien, Monsieur, a-t-il pû s’y resoudre ?
Dois-je devant ses yeux ne paroistre jamais ?
Dois-je …

FERNAND

Ne pleure point, j’ay seu faire ta paix.

CRISPIN

400 Vous croiray-je, Monsieur, n’est-ce point moquerie ?

FERNAND

Quoy, tu peux …

CRISPIN

Ah ! Monsieur, je connois sa furie,
Il a bien de la peine à pouvoir pardonner.

FERNAND

Aussi ne veux-je pas te laisser retourner ;
Je veux qu’il te pardonne en ma propre presence

CRISPIN

405 Du pardon de ma faute avez-vous l’asseurance, [p. 35]
Monsieur ?

FERNAND

Ouy.

CRISPIN

C’est assez que mon frere ait parlé,
De vos soins obligeans je serois querellé,
Monsieur, votre bonté pourroit mal me remettre416.

FERNAND

Mais il peut oublier ce qu’il vient de promettre,
410 Puis apres…

CRISPIN

Point, Monsieur, je le vois fort exact,
Quand on a sa parole, elle vaut un contract ;
Desormais de sa part je ne crains nul outrage,
Monsieur.

FERNAND

J’ay resolu d’achever.

CRISPIN bas.

J’en enrage.

FERNAND

Entre sur ce derriere.

CRISPIN

Hé, Monsieur, où le voir
415 A cette heure ?

FERNAND

En tous cas, il viendra sur le soir,
Entre, dis-je.
Il entre, et Fernand ferme la porte à clef.

SCENE XX §

FERNAND seul.

En ceci ma charité se monstre ; [p. 36]
Mais de notre Docteur recherchons la rencontre,
Il faut battre le fer cependant qu’il est chaud.

SCENE XXI §

CRISPIN à la fenestre.

Me voilà, grace à Dieu, raisonnablement haut.
420 Trop obligeant Grison417 ta douceur m’assassine,
Maudit Moi, maudit Maistre, et maudite Doctrine,
Et maudite Lucresse, et maudits six Loüis,
Par qui mes yeux tentez se sont veus ébloüis ;
Maudit …quoy ? je commence à connoistre ma faute :
425 Teste-bleu* ! d’icy là418, le moyen que je saute ?
Il le faut toutesfois, Taupe à tout419.
Il saute de la fenestre en bas.

SCENE XXII §

PHILIPIN qui sort.

A Present [p. 37 ; D]
Je viens dire…ma foy, ce sauteur est plaisant :
Mais il sort de chez nous, il n’a rien que je sache,
Il faut pour l’épier qu’un moment je me cache.
430 Mais j’entends que l’on parle, attrapons quelque coin420.

SCENE XXIII §

CRISPIN, FERNAND, ET PHILIPIN au bout du Theatre421

CRISPIN en soutane dit à Fernand.

Pour un gueux comme luy vous prenez trop de soin ;
Il mériteroit bien qu’on punist son audace,
Le Vaurien.

FERNAND

C’est là haut qu’il attend vostre grace ;
Moi je vous la demande, à la charge d’autant422
435 Si jamais…

CRISPIN

En quel lieu dites-vous qu’il m’attend [p. 38]

FERNAND

Voyez-vous cette grande fenestre ?

CRISPIN

Il m’entend, le bourreau ; mais il n’ose paraistre,
De m’avoir offencé l’insolent est confus :
Je n’ay pas le pouvoir de vous faire un refus,
440 Ouvrez, j’entre.

FERNAND

Avec vous, faut-il pas que je monte ?

CRISPIN

Pour le bien chastier faisons-luy cette honte,
Montez ; ouy, montez…Non, épargnons ce Maraut* ;
Escoutez seulement je luy parleray haut,
C’est assez.
CRISPIN entre seul.

FERNAND

Je le veux ; Refermons cette porte,
445 Et voyons…

SCENE XXIV §

PHILIPIN, FERNAND, ET CRISPIN dans la maison.

PHILIPIN à Fernand.

Quoy, Monsieur, vous craignez qu’il ne sorte ? [p. 39]
Malepeste le Drille423, il sait bien d’autres tours
Le Manœuvre424 !

FERNAND

Pourquoy me tiens-tu ce discours ?
Ou respecte cét homme, ou redoute ma cane.

PHILIPIN

Quand on est Baladin425, porte-t’on la soutane 
450 A propos ? dites donc : Vous riez.

FERNAND

Si je ry426
Sot.

PHILIPIN

Vostre ensoutané saute mieux qu’un cabry,
Je le say, mais chez vous que peut-il aller faire ?
Respondez, s’il vous plaist ?

FERNAND

Pardonner à son frère ;
Il estoit en courroux pour certain accidens…

PHILIPIN

455 A ce compte, son frère est aussi là dedans ? [p. 40]
Est-ce pas ?

CRISPIN à la fenestre

Ah fripon friponnant…

FERNAND à Philipin.

Tien, écoute.

CRISPIN continuant.

Voyez ce qu’aujourd’huy vostre faute me coûte,
J’aurois eu le plaisir de jamais ne vous voir,
Si Monsieur dessus moy n’avoit pas tout pouvoir,
460 Mais je l’honore plus que personne du monde.

FERNAND à Philipin.

Tu vois bien.

PHILIPIN

Pour le moins que son frere responde,
Il le doit.

FERNAND

Vostre frere à son tour ne dit mot,
Qu’il parle.

CRISPIN

Entendez-vous, beau pleureur, maistre sot427 ?
Si ma juste colere est si tost adoucie…
Déguisant sa voix, et pleurant.
465 Monsieur je vous rends grace, et je vous remercie,
Je n’ay pas à dessein respondu…Taisez-vous.
Si jamais…Pay, vous dis-je, et craignez mille coups.
Je puis…Taisez-vous donc. Mais mon cher frere… Encore ?

PHILIPIN

Comment diable fait-il, le fusté ? je l’ignore. [p. 41]

FERNAND

470 Ils sont deux.

PHILIPIN

Il le semble ; il n’en est pourtant rien,
Mais de bien le savoir je découvre un moyen,
Dites que devant vous il embrasse son frere.

CRISPIN

N’estoit Monsieur Fernand que je veux satisfaire
Pecore428

FERNAND

Il auroit tort de vous plus offenser.
475 Mais, Monsieur, pour me plaire il le faut embrasser,
Et tousjours…

CRISPIN

L’embrasser !

PHILIPIN

Que cela l’embarrasse,
Voyez.

FERNAND

De vostre part je pretens cette grace.

CRISPIN

Il seroit trop honteux si ce bien peu commun…

PHILIPIN

Je vous jure, ma foy, qu’ils ne sont ma foy qu’un ;
480 Le Mâdré429 ! gardez-vous des finesses qu’il brasse.

FERNAND à haute voix.

Seras-tu trop honteux si ton frere t’embrasse,
L’enfermé ?

CRISPIN

C’est à luy…Pay, Monsieur le Badaut430, [p. 42]
Pay fripon, pay belistre, et venez icy haut :
Crispin met son chapeau sur son coude, et puis l’embrasse si adroitement, qu’il semble que ce fut une autre personne.
C’est moins par amitié que ce n’est par contrainte,
485 Venez, dis-je.

FERNAND à Philipin.

Tu vois, ce n’est pas une feinte.

PHILIPIN

Je n’y vois ma foy goutte, et ne say ce que c’est.

CRISPIN à Fernand.

A present…

FERNAND

A present descendez s’il vous plaist,
Je vous ouvre.

PHILIPIN

Epions ; car ou bien je suis yvre,
Ou bien…
Il sort, et met bas la soutane, puis comme Fernand est entré croyant faire sortir un autre frere, Crispin prend l’occasion, et monte fort diligemment par la fenestre, et ensuite sort avec Fernand comme si en effect il estoit frere du Medecin.

CRISPIN descendu.

J’ay fait défense au Coquin* de me suivre,
490 J’en aurois de la honte, il viendra par apres,
Adieu.

FERNAND

Je suis ravy d’avoir fait cette paix : [p. 43]
Mais faisons sortir l’autre.

PHILIPIN ramassant la soutane de Crispin

Ah, je tiens votre guesne431,
Doctissime.

CRISPIN en habit de valet.

Est-il loin ?

FERNAND

Assez loin.

CRISPIN pleurant

Que de peine,
Monsieur !

FERNAND à Philipin

Hé bien ?

PHILIPIN

Hé bien, sont-ils deux ?

FERNAND

Ah vrayment …

PHILIPIN montrant Crispin et sa soutane.

495 Voila l’un, voila l’autre.

CRISPIN

Ah ! grands Dieux !

FERNAND

Quoy ? comment ?
Que dis-tu ?

PHILIPIN

Qu’à merveille il grimpe une fenestre432.

FERNAND

Ah perfide… [p. 44]

CRISPIN

Ah ! Monsieur, sachez tout de mon Maistre,
Le voicy.

SCENE XXV et derniere. §

FERNAND, CLEON, LUCRESSE, CRISPIN, PHILIPIN, LISE

FERNAND

C’est Cleon ! c’est ma fille ! Ah rusé
Ce Cleon l’a seduite, et tu m’as amusé433
500 Medecin de mal-heur.

CLEON

Quoy, Monsieur…

FERNAND

Je le jure
Que tu l’espouseras, ou je te défigure.

LUCRESSE

Daignez…

FERNAND

Point de quartier, il sera ton Epoux,
Ou du moins…

CLEON

Cet Hymen a des charmes si doux, [p. 45]
Monsieur…

CRISPIN

Sans affecter compliment, ny surprise,
505 Vous le fait de Lucresse, et moy le fait de Lise434,
Confondant tout ensemble et nos biens et les leurs,
Faisons des Medecins ou Volans, ou Voleurs.

FIN

Lexique du Médecin volant §

Abuser
Tromper.
V. 40, v. 41
Amant
« Celuy qui aime d’une passion violente et amoureuse. » (Furetière).
Coquin
« Un poltron, un homme qui fait quelque action lasche, ou infame. » (Furetière).
V. 375, v. 389, v. 436, v. 489
Garde
« N’avoir garde, pour dire, N’avoir pas la volonté, ou le pouvoir de faire une chose, en estre bien esloigné. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694).
V. 262, v. 332
Maistresse
« On le dit particulierement d’une fille qu’on recherche en mariage. » (Furetière).
Dans le sens courant de maitre.
V. 182, v. 187
Maraud
« Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n’ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de laschetez. » (Furetière).
V. 370, v. 392, v. 442
Souffrir
Permettre.
Dédicace, v. 356, v. 361
Tendresse
« Sensibilité du cœur et de l’ame. La delicatesse du siecle a renfermé ce mot dans l’amour et dans l’amitié. » (Furetière).
V. 2, v. 209

Appendice 1 §

Nous avons relevé des différences entre le texte de l’édition originale du Jaloux endormy publiée en 1662 et l’édition publiée à Amsterdam sous le titre Le Jaloux prisonnier en 1721. L’édition de 1721 comporte plus de scènes que l’édition originale. Elle palie le manque de clarté de l’exposition que nous avons remarqué au cours de notre analyse. Les scènes ajoutées justifient l’action de Cléandre et fait état de la manigance organisé entre le jeune homme et le père Alcidor.

L’édition de 1721 introduit une première scène et ajoute une introduction à la première scène de l’édition originale qui devient donc la deuxième scène. Nous avons reproduit ci-après le texte ajouté en respectant l’orthographe de l’époque.

SCENE PREMIERE

CLEANDRE, ALCIDOR.

CLEANDRE

Quoi que pour m’obliger vôtre cœur se propose
Vous plaignez un malheur dont vous étes la cause,
J’adorois Olympie, et j’avois espéré
Qu’à ses autres Amans je serois préferé.
Cependant Spadarille, un punais, ah ! j’enrage.

ALCIDOR

Si vous aimez ma fille ayez plus de courage :
Je vous l’avois promise, et j’ay manqué de foi,
Mais vous n’étes pas un homme à vous regler sur moi,
Le regret que j’en ay rend ma faute punie,
Je vous plains, je me plains et je plains Olimpie :
De son lâche mari les infames desseins …

CLEANDRE

Je viens si je le puis l’arracher de ses mains,
Vous en étes témoin, et j’ay pour assistance
Le secourable effet de vôtre intelligence.
En vain pour empêcher qu’on ne vid ses appas
Le Jaloux à sa porte a mis six Cadenats,
Olimpie outragée en son cœur le deteste,
Souffrez que je l’enleve, et je réponds du reste.

ALCIDOR

Mais de voir Olimpie aurez-vous le moyen ?

CLEANDRE

J’ay sceu faire une brêche en un mur mitoyen
Qui répond de ma chambre en un coin de la sienne ;
Il faut sur ce sujet que je vous entretienne.
Outre que dans ce port nous avons un vaisseau,
Olimpie en mes mains a remis cet anneau,
Pour servir de signal au projet que je tente :
Il ne nous manque plus qu’une seule Patente,
Son Espoux la délivre, et je dois pressentir …
Mais voyez, de ce lieu le Jaloux va sortir,
Il sort, de ce perfide évitons la presence.
Alcidor et Cleandre se retirent.

SCENE II

SPADARILLE, OLIMPIE

SPADARILLE en sortant.

Sortez.

OLIMPIE

J’obeïs.

SPADARILLE

Bon, j’aime l’obéïssance.

Après ce passage le texte de l’édition originale commence.

Appendice 2 : tableau indiquant le nombre de vers prononcés par Gusman et Fabrice par scène (tableau basé sur celui réalisé par Paul Fièvre sur son site theatre-classique.fr). §


Gusman Fabrice total
Acte I, scène 1 21, 42 6, 58 28
Scène 2 absent absent 56
Scène 3 absent absent 98, 17
Scène 4 absent absent 4, 33
Scène 5 7, 5 (caché) 4, 09 (caché) 43, 5
Scène 6 4 7.25 21
Scène 7 43, 58 47, 42 91
Acte II, scène 1 absent 31, 83 61, 5
Scène 2 36, 58 2, 09 62, 5
Scène 3 69, 92 présent mais muet 116, 17
Scène 4 absent 7, 67 21, 83
Scène 5 3, 17 3, 58 31, 17
Scène 6 26, 58 26, 58 48, 83
Acte III, scène 1 absent absent 22, 75
Scène 2 absent absent 7, 25
Scène 3 72, 33 absent 145
Scène 4 0, 17 absent 5, 5
Scène 5 11, 92 absent 26, 5
Scène 6 présent mais muet 12 21, 5
Scène 7 1, 67 0, 25 21, 5
Total 298, 84 149, 34 934

L’étude de ce tableau nous permet de voir que Gusman est le personnage dominant dans la pièce. À lui seul il prononce un peu plus de 298 vers sur les 934 que compte la pièce, soit le tiers de la pièce pour un seul et même personnage, qui plus est un personnage secondaire dans l’intrigue puisque le valet ne sert qu’à aider à la réalisation des projets de son maître. En outre, nous pouvons constater que sur les vingt scènes que compte la pièce au total, le valet est présent dans treize scènes mais seulement dans douze à visage découvert. Les deux hommes sont présents ensemble sur le théâtre dans dix scènes dont celle où ils sont cachés. Fabrice a peu d’indépendance par rapport à son valet, il n’est seul avec Lazarille que dans les scènes 1 et 4 de l’acte II. À l’acte III scène 6, le valet est présent mais se tait pour laisser la parole à son maître venu dévoiler le stratagème et lui éviter d’être totalement découvert par Lazarille. Il s’agit de la seule scène où Fabrice joue son rôle de maître vis-à-vis de Gusman.

Fabrice quant à lui ne prononce que 149 vers environ, trois fois moins que son valet. Il est pourtant présent dans douze scènes : Boursault respecte donc le précepte donné par Aubignac dans sa Pratique du Théâtre « les principaux personnages doivent paraître le plus souvent et demeurer le plus longtemps qu’il est possible sur le théâtre », ce n’est pas pour autant qu’il fait de Fabrice un personnage loquace. Son effort de mise en valeur par sa présence sur scène est effacé par le mutisme de celui qui est pourtant l’un des héros de la pièce.

Bibliographie §

Sources §

Œuvres de Boursault publiées de son vivant §

Le Jaloux endormy, Paris, Nicolas Pépingué, 1662.
Le Mort vivant, Paris, Nicolas Pépingué, 1662.
Le Portrait du peintre ou la Contre-Critique de l’École des femmes, Paris, Sercy, Guignard, 1663.
Le Médecin volant, Paris, Nicolas Pépingué, 1664.
La Comédie sans titre, revue et corrigée par son véritable auteur, Paris, 1694.

Éditions posthumes §

Le Jaloux prisonnier, Amsterdam, Duvillard et Changuion, 1721.
Théâtre de feu Monsieur Boursault, nouvelle édition revue, corrigée et augmentée de plusieurs Pièces, qui n’ont point paru dans les précédentes, t. I, Paris, La Compagnie des Libraires, 1725.
Fournel, Victor, Théâtre choisi de Boursault, Paris, 1883.

Œuvres antérieures et contemporaines de l’auteur §

Aubignac, Abbé d’, Pratique du théâtre, Paris, Antoine de Sommaville, 1657.
Boileau, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1966.
Callières, François de, Du bon et du mauvais usage dans les manières de s’exprimer, des façons de parler bourgeoises, Paris, C. Barbin, 1693.
Molière, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 2010 (2 vol.).
Ovide, Les Amours, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
Pure, Abbé de, Idées des spectacles anciens et nouveaux, Paris, Brunet, 1668.
Scarron, Paul, L’Héritier ridicule ou la Dame intéressée, Paris, Toussaint Quinet, 1650.

Instruments de travail §

Dictionnaires §

Académie Française, Dictionnaire, Paris, J.-B. Coignard, 1694, 1794 et 1835 (2 vol.).
Furetière, Antoine, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et les arts, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers ; rééd. SNL-Le Robert, 1978 (3 vol.).
Huguet, E., Dictionnaire de la langue française du XVIe siècle, Paris, Champion (puis Didier), 1925-1967 (7 vol.).
Richelet, P., Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise…. avec les termes les plus connus des arts et des sciences, Genève, J.-H. Widerhold, 1680 (2 vol.).
Godefroy, F., Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, rééd. Paris, F. Vieweg, Emile Bouillon, 10 tomes, 1881-1902.
Moreri, Louis, Le Grand Dictionnaire historique ou Le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, nouvelle édition de 1759, Genève, Seltkins Library.

Grammaires §

Fournier, Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998.
Sancier-Château, Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1993 (2 vol.).

Bibliographie §

Cioranescu Alexandre, Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, Éditions du CNRS, 1965-1966 (3 vol.).
Klapp-Lehrmann, Bibliographie der französischen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann.

Sites web §

CESAR, Calendrier Electronique des Spectacles sous l’Ancien Régime : http://www.cesar.org.uk

GALLICA, Bibliothèque numérique de la Bnf : www.gallica.bnf.fr

MOLIERE 21 : www.moliere.paris-sorbonne.fr

THEÂTRE CLASSIQUE : www.theatre-classique.fr

Bibliothèque de Besançon : http://memoirevive.besancon.fr

Études critiques §

Études sur Boursault §

Baalbaki, Hana, Recherches sur le lexique d’Edme Boursault, thèse sous la direction de Pierre Larthomas, Paris, 1978.
Borello Francesca, La Dramaturgie d’Edme Boursault, thèse sous la direction de Robert Garapon, Paris, 1991.
Dubois, Julien, Boursault et la comédie italienne, Troyes, 1904.
Fournel, Victor, Les Contemporains de Molière, notice sur Edme Boursault, t. I, Paris, Firmin Didot Frères, Fils et Cie, 1863.
Jully, Ludovic, Étude sur Boursault, Troyes, 1865.
Saint-René Taillandier, Un Poète comique du temps de Molière, Boursault, sa vie et ses œuvres, Paris, 1881.

Ouvrages sur la littérature et le théâtre du XVIIe siècle §

Baccar Bournaz, Alia (dir.), L’Afrique au XVIIe siècle : mythes et réalités, Actes du VIIe colloque du Centre International de Rencontres sur le XVIIe siècle, Tunis, 14-16 mars 2002, Tübingen, 2003.
Bertaud, Madeleine, La Jalousie dans la littérature à l’époque de Louis XIII : analyse littéraire et histoire des mentalités, Genève, Droz, 1981.
Bourqui, Claude, La Commedia dell’arte, Pari, Armand Colin, 2011.
Corvin, Michel, Lire la comédie, Paris, Dunod, 1994.
Conesa, Gabriel, La Comédie de l’âge classique, 1630-1715, Paris, Le Seuil, 1995.
Forestier, Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680). Le déguisement et ses avatars, Genève, Droz, 1988.
Forestier Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Armand Colin, 2012.
Forestier, Georges, Caldicott, Edric, Bourqui, Claude (dir.), Le Parnasse du théâtre. Les recueils d’œuvres complètes de théâtre au XVIIe siècle, Paris, PUPS, 2007.
Lancaster, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Part III The Period of Molière (1652-1672), vol. 1 et 2, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1929-1942.
Lebègue, Raymond, Le Théâtre comique en France de Pathelin à Mélite, Paris, Hatier, 1972.
Morales Raya, Remedios et González Dengra, Miguel (dir.), La Pasión de los celos en el teatro del Siglo de Oro, Granada, Universidad de Granada, 2007.
Pasquier, Pierre et Surgers, Anne (dir.), La Représentation théâtrale en France au XVIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2011.
Scherer, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Armand Colin, 2014.

Articles §

Conesa, Gabriel, « Le style de la comédie », Littératures classiques, nº 28 Le style au XVIIe siècle, automne 1996, p. 96-101.
Forestier Georges, « Ironie et déguisement chez Rotrou : une richesse de moyens exemplaire », Papers on French Seventeenth Century Literature, nº 17, volume IX, 1982, p. 553-570.
Forestier Georges, « Structure de la comédie française classique », Littératures classiques, nº 27 L’esthétique de la comédie, 1996, p. 243-257.
Lyons, John, « L’illusion porteuse de vérité », Littératures classiques, nº 44 L’illusion au XVIIe siècle, 2002, p. 143-155.
Ranger, Jean-Claude, « La comédie ou l’esthétique de la rupture », Littératures classiques, nº 27, p. 259-279.
Revaz, Gilles, « L’illusion dans l’énonciation comique », Littératures classiques, nº 44, p. 97-104.