LE JEUNE MARIUS
TRAGÉDIE

Par Monsieur Claude BOYER.

A PARIS,
Chez GABRIEL QUINET, au Palais, dans la Gallerie des Prisonniers, à l’Ange Gabriel.
M. DC. LXX.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Édition critique établie par Isabelle Gérard sous la direction de Georges Forestier (1997)

Avant-propos §

La perspective de permettre au Jeune Marius de sortir de l’oubli dans lequel cette tragédie est restée depuis 1669 nous a donné l’envie d’en étudier de plus près le fonctionnement. Claude Boyer, dramaturge reconnu dans son temps est académicien depuis trois ans quand fin janvier 1669 le Jeune Marius est représenté sur la scène du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. C’est un homme d’âge mûr, expérimenté par 23 ans de carrière.

Subtilement construite, cette tragédie tirée d’un moment de l’Histoire romaine qui n’avait pas encore été utilisé par les dramaturges allie la fidélité à l’Histoire et l’apport du Moyen Âge et du XVIe siècle. Elle met en scène le conflit historique entre Marius le Jeune et Sylla. À cette donnée historique, Boyer a ajouté la rivalité entre Marius et Pompée, tous deux amoureux de la fille de Sylla. Marius est prêt à sacrifier sa sécurité et celle de l’État qu’il représente en tant que consul pour obtenir la satisfaction de son amour, il est en cela semblable à Pyrrhus dans Andromaque. Comme Andromaque, cela reste une pièce galante et sanglante. Pourtant Cécilie et Pompée préfèrent renoncer à leur amour plutôt qu’à leur honneur, dans un comportement héroïque. Dans la même année 1669, Racine donne Britannicus, une tragédie historique où le traitement de l’enjeu amoureux est modifié par rapport à Andromaque. La tragédie du Jeune Marius en est proche aussi : Sylla s’impose au pouvoir grâce à sa cruauté et à ses crimes. Néanmoins, dans ce contexte, la tragédie de Claude Boyer garde sa spécificité.

Nous espérons permettre la découverte de ce texte riche par son style et par ses thématiques.

Biographie de Claude Boyer §

Du Claude Boyer privé nous ne savons que bien peu de choses. Né à Albi en 1618, ce gascon monte à Paris en 1645. Entre temps, il acquiert par des études chez les Jésuites un solide bagage culturel : historiens et poètes de l’Antiquité, connaissance de la rhétorique et de l’art de l’éloquence surtout. Accompagné de son compatriote Michel Leclerc, il part chercher la gloire que seul Paris peut lui apporter. Son diplôme de bachelier en théologie en poche, ce prêtre de vingt-sept ans « n’a pas été assez heureux pour faire dormir personne en ses sermons, car il n’a pas trouvé de lieu pour précher » (Furetière, Second Factum contre l’Académie1) . Il n’a comme beaucoup d’autres sûrement jamais prêché.

Ses débuts se font sous les lustres du salon de Madame de Rambouillet. Sa Porcie Romaine y est présentée avant d’« enlever tout Paris » (l’Abbé Genest) avec les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne en 1646, comédiens qui joueront la plupart des futures pièces de Claude Boyer. Boyer s’est ainsi fait connaître du salon de Rambouillet, un des lieux de réflexion et de discussion littéraires, salon auquel participe fréquemment Chapelain, théoricien éminent, plus grande autorité littéraire du temps dont le jugement est reconnu par tous.

Chapelain est favorablement intéressé par Claude Boyer, et lorsqu’il conseille Colbert pour les gratifications de 1663, il souligne, dans La Liste des gens de lettres vivants en 16622 que Boyer « ne le cède qu’au seul Corneille » . Colbert lui octroie en 1663 une pension avec ce commentaire : « Au Sieur Boyer, excellent poète françois, 800 livres » , pension qui précisons-le tout de suite subsistera jusqu’à la fin de sa vie (hormis quelques années de suspension) .

L’épître du Jeune Marius témoigne de la reconnaissance de Boyer :

Je me suis dit sans cesse, qu’ayant esté choisi pour estre un des sujets desgratifications du Roy, je devois soustenir, ou plûtost justifier un choix si honorable.

Le même Chapelain ouvre à son ami les portes de l’Académie Française en 1666, Boyer, devenu immortel, reçoit l’un des plus grands honneurs qui puisse être fait à un écrivain. Reconnu par les salons, ses pairs de l’Académie, Boyer n’en oublie pas pour autant que le grand censeur des Arts et des Lettres loge à Versailles. En cette même année 1666, il dédie sa tragédie à machines Jupiter et Sémélé au Souverain, qui s’était déplacé au Théâtre du Marais pour venir l’applaudir. Il n’en est pas à sa première dédicace aux Grands : Clothilde avait été dédiée à Fouquet, Le Jeune Marius le sera à Colbert.

Boyer n’est donc pas un inconnu au XVIIe siècle mais une telle renommée, si honorable soit-elle pour un dramaturge, n’a pas que des conséquences favorables. Comme à tous ses contemporains, et même les plus grands, les louanges et les satires ne manquèrent pas à Claude Boyer. Elles furent cependant particulièrement cruelles pour notre auteur. À partir des années 1670-1680 surtout, ses relations avec le public ou avec ses pairs sont difficiles. Intéressons-nous d’abord à ses relations avec les spectateurs. Si les gazettes, et en particulier les articles de Loret et de Robinet avaient souligné le succès et l’accueil du public durant les décennies précédentes (on connaît l’accueil triomphal réservé à Jupiter et Sémélé) , il semble qu’à la fin des années 1670 il ait été en butte à des difficultés, à tel point qu’il eut recours à un subterfuge : rappelons l’anecdote de l’Agamemnon en 1680.

En décembre 1673, le Mercure Galant (t. VI, p. 64) remarquait déjà à propos de Démarate :

Il faudroit que Monsieur Boyer, pour faire reüssir ses ouvrages prît le nom de quelqu’un de ces autheurs heureux, en faveur desquels on est si préoccupé qu’on ne croit pas qu’ils puissent mal faire. Cette préoccupation qu’on a pour eux fait qu’on en a une toute contraire à l’égard des autres Autheurs, et que l’on condamne leurs plus beaux ouvrages sans les avoir esté voir [...]

À en croire L’Histoire de l’Académie Française de d’Olivet (t. II, p. 344) :

Pour éprouver donc si la chute de ses ouvrages ne devait pas être imputée à la mauvaise humeur du parterre, le stratagème dont usa Boyer fut d’afficher son Agamemnon sous le nom de Pader d’Assézan.

Et le public apprécie et applaudit jusqu’au jour où il apprend le nom du véritable auteur. Boyer accrédite lui-même cette thèse dans la préface d’Artaxerce trois ans plus tard :

Le temps et la vérité ayant confondu l’imposture et l’envie [...]

Agamemnon est donc une pièce de Boyer jouée sous un nom d’emprunt pour tromper un public dont le rejet lui faisait siffler tout ce qui portait son nom. Cette anecdote met en relief les relations conflictuelles de Boyer et de son public. V. Fournel3 résume bien cela remarquant que « peu à peu il était passé pour ainsi dire en tradition que toute pièce de Boyer devait tomber » .

Or si le public a un temps reçu négativement ses pièces, c’est peut-être bien sous l’influence de la critique parfois acerbe des contemporains. De fait, épigrammes et satires n’ont pas manquées. S’acharnent particulièrement le clan des raciniens puis Furetière. Déjà en 1669 Boyer commençait à s’en défendre accusant en retour dans son épître au Jeune Marius que « la fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages du Theatre » . Il révèle déjà un homme blessé, lui qui n’a que rarement répondu contrairement à ce qu’affirmera Furetière, comme par exemple dans les Couches de l’Académie4 ( 4e chant) :

On reconnut LABOYER, condamné à un tourment qui avoit bien du rapport à celui de Sisyphe. [...] Sa rage lui faisoit continuellement grincer les gencives, parce qu’on lui avoit arraché les dents et les ongles dont il se servoit durant sa vie à mordre et à dechirer les plus belles pièces de ses heureux rivaux.

En cinquante et un ans, Boyer donna plus de vingt pièces :

  • – La Porcie romaine, tragédie, 1646.
  • – La sœur généreuse, tragi-comédie, 1647.
  • – Porus ou la générosité d’Alexandre, tragédie, 1648 (rebaptisée pour les éditions Le Grand Alexandre, ou Porus, roy des Indes, tragédie, en 1666) .
  • – Aristodème, tragi-comédie, 1648.
  • – Tyridate, tragédie, 1649.
  • – Ulysse dans l’isle de Circé, ou Euriloche foudroyé, tragi-comédie représentée sur le théâtre des Machines du Marais, 1649.
  • – Clotilde, tragédie, 1659.
  • – Fédéric, tragi-comédie, 1660.
  • – Tigrane, tragédie, 1660.
  • – La mort de Démétrius, ou le rétablissement d’Alexandre, roi d’Épire, tragédie, 1661.
  • – Policrite, tragi-comédie, 1662.
  • – Oropaste, ou le faux Tonaxare, tragédie, 1663.
  • – Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie à machines, 1666.
  • – La feste de Vénus, comédie pastorale, 1669.
  • – Le Jeune Marius, tragédie, 1669.
  • – Policrate, comédie héroyque, 1670.
  • – Le fils supposé, tragédie, 1672.
  • – Lisimène, ou la jeune bergère, pastorale, 1672.
  • – Atalante, tragédie, 1673.
  • – Démarate, tragédie, 1673.
  • – Le Comte d’Essex, tragédie, 1678.
  • – Agamemnon, tragédie, 1680 (sous le nom de Pader d’Assézan) .
  • – Artaxerce, tragédie, 1683.
  • – Antigone, tragédie, 1686 (sous le nom de Pader d’Assézan) .
  • – Jephté, tragédie, 1691.
  • – Judith, tragédie, 1695.
  • – Méduse, tragédie en musique représentée par l’Académie royale de musique, 1697.

Lui sont aussi attribuées La Mort de Promédon, ou l’exil de Nérée, tragi-comédie, Paris, 1645 et La Mort des enfants de Brute, tragédie, Paris, 1648.

Des tragédies certes, mais il sort aussi du cadre traditionnel de la tragédie. 1666 et 1669 sont les années de Jupiter et Sémélé et les Fêtes de Vénus, deux pièces plus légères. La première est une pièce à machines où alternent chants, danse, musique et jeu théâtral, la seconde une comédie pastorale. Enfin Boyer n’est pas seulement dramaturge. Tout au long de sa carrière dramatique Boyer écrit des poèmes, des sonnets de louanges au Souverain et des paraphrases de la Bible.

Bien évidemment les pièces de Boyer sont examinées par les critiques littéraires et sans détailler l’ensemble de ces remarques, voici quelques-unes des réflexions sur le style de l’Abbé Claude Boyer.

Somaize dans son Dictionnaire des Précieuses5 en 1661 loue Claude Boyer, sous le nom de Bavius, affirmant que « c’est un homme qui fait fort bien les vers et qui a du mérite » . Et en 1662, citons encore Chapelain qui dans la Liste des gens de lettres français vivants en 1662 indique que Boyer « pense fortement dans le détail et s’exprime de même » . Quant à l’Abbé Genest, successeur de Claude Boyer à l’Académie Française, il en souligne dans son discours de réception le « feu de la poésie » , même expression dans la réponse que lui fait l’abbé Boileau qui en signale le « feu modéré » et « le génie de son art sincère » .

Au contraire, c’est seulement à partir du XVIIIe siècle que nous trouvons les remarques les plus acerbes sur le style, comme celles des Frères Parfaict qui commentent sa poésie en ces termes (t. XII, p. 183) :

Sa poësie est dure, chevillée, pleine d’expressions froides ou basses, et jamais nulle image. Son dialogue n’exprime rien de ce qu’il doit dire, et c’est un perpétuel galimathias.

ou bien V. Fournel6, au XIXe siècle :

Poète dramatique médiocre, Boyer est un écrivain plus médiocre encore : son vers

est à la fois faible, dur, mou et enflé.

Il met fin à sa longue carrière en 1686, désireux de quitter la scène après quarante ans de travail. C’est le début d’une retraite qui le voit revenir à la foi : une retraite ébauchée qui n’est interrompue que par deux dernières pièces. C’est un homme de soixante-quatorze ans à qui Madame de Maintenon, dans le cadre de Saint-Cyr, fait appel en 1691. Rappelons les circonstances de cet appel : Athalie de Racine vient d’être jouée par les Demoiselles de Saint-Cyr et les représentations interrompues, Madame de Maintenon souhaite un autre texte. Et c’est vers Boyer qu’elle se tourne, remettant en compétition les deux adversaires de toujours. Or Boyer, après avoir produit Antigone, avait rangé la plume. Cela fait déjà cinq ans, un silence qui n’est pas sans rappeler celui de Racine ! La comparaison entre Boyer et Racine ne cesse pas là. Car Jephté puis Judith sont comme Athalie et Esther deux pièces religieuses, tirant leur sujet de la Bible, et écrites sur commande. Pourquoi ce retour à l’écriture dramatique ? Boyer lui-même nous renseigne :

L’attrait le plus engageant, ce fut de voir combien ce travail convenait à mon âge et à la situation où je me trouvais : je ne pouvais m’imaginer rien de plus heureux que de me faire une occupation qui pouvait rendre ma muse toute chrétienne (préface de Jephté) .

Le succès est au rendez-vous de Jephté, Boyer poursuit avec Judith : cette pièce est jouée avec succès à Saint-Cyr puis allongée de deux actes pour la Comédie Française quelques jours plus tard (le 4 mars 1695) . La gazette d’Amsterdam souligne le 21 mars 1695 que « la nouvelle tragédie qui est représentée depuis peu, intitulée Judith a été extrêment applaudie » . Du lancement à l’interruption due aux fêtes de Pâques, le 18 mars, c’est-à-dire après 8 représentations, le succès ne cesse pas. Mais le rival Racine ne manque pas l’occasion d’une nouvelle épigramme :

A sa Judith BOYER par avanture
Estoit assis près d’un riche caissier
Bien aise estoit, car le bon Financier
Applaudissoit et pleuroit sans mesure :
Bon gré vous say, luy dit le vieux rimeur,
Le beau vous touche, et ne seriez d’humeur
A vous saisir pour une baliverne :
Lors le richard, en larmoyant luy dit
Je pleure hélas ! de ce pauvre Holoferne
Si méchamment mis à mort par Judith.

Puis profitant des fêtes, Boyer décide de faire paraître sa pièce en librairie (achevé d’imprimer du 23 avril) . Après le retour sur scène et aux dernières représentations, « on hua, on siffla avec un acharnement inouï » (J. Rolland7) .

Claude Boyer mourut le 22 juillet 1698 à Paris, il fut remplacé à l’Académie française par l’Abbé Genest. Sa longue carrière dramatique, les critiques qui l’ont atteint n’ont pas réussi à entamer son « aimable vivacité » , laquelle selon d’Olivet « ne s’est pas démentie en lui jusques à l’âge de 80 ans » (L’Histoire de l’Académie française, t. II, p. 345) .

Réception de la tragédie du Jeune Marius §

S. W. Deierkauf-Holsboer8 commente :

Nous ne possédons que peu de données relatives à l’année 1669. La composition de la troupe royale est restée la même. [...] Robinet mentionne la représentation d’une tragédie de Boyer, Le Jeune Marius, à l’Hôtel de Bourgogne au mois de février 1669 [...] Les premières représentations de cette tragédie ont eu assez de succès ; rien ne permet de dire que la troupe a continué longtemps à donner des reprises de cette pièce.

Quelques dates : à la fin de janvier 1669, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne monte le Jeune Marius dont Robinet rend compte avec éloges le 2 février9. Il semble que la tragédie du Jeune Marius ne soit pas restée longtemps seule à l’affiche, car Robinet rend compte de la représentation, le 2 mars, d’une comédie de Montfleury intitulée La femme juge et partie, créée à la fin 68 et qui reprend début mars après une probable interruption. Il peut y avoir eu dès lors alternance entre ces deux pièces.

En parallèle à Paris sont représentées au Marais Les festes de Vénus, une comédie pastorale de Boyer et au Palais Royal Tartuffe de Molière (à partir du 5 février) , deux pièces qui connurent du succès, et dont Robinet rend compte (jusqu’à 3 fois pour Tartuffe, les 9 et 23 février et le 2 mars) .

De par l’absence de registres pour le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, nous ne connaissons ni les recettes ni le nombre de spectateurs, ni n’avons aucune information précise sur la date de la dernière du Jeune Marius. Nous n’en savons pas plus que ce que la lettre de Robinet (témoignage des premiers jours) nous apprend.

Venons-en aux données essentielles de La lettre en vers à Madame du 2 février 1669 de Ch. Robinet10. Cette chronique élogieuse nous renseigne sur la distribution :

Que la Fleur, lequel fait SYLLA [...]
Que Floridor, de Marius,
Fait aussi le Rôle à merveille, [...]
Que Haute-roche y représente,
De maniére encor fort galante,
PompÉe, autre jeune Héros,
Et qu’enfin, avec un grand los,
Dennebaut, leur jeunette actrice [...]
Fait son Personnage des mieux,
Ou bien celui de cÉcilie, [...]

La pièce est servie par les comédiens réputés les meilleurs dans la déclamation du vers tragique.

Si aucune épigramme ni satire n’a été écrite à propos du Jeune Marius, si aucun commentaire contemporain hormis Robinet ne nous est parvenu, les critiques des siècles suivants, eux, n’ont pas manqué de le commenter. Au XVIIIe siècle, Ménage dans les Menagiana (t. IV, p. 167) reconnaît du mérite à la pièce :

Monsieur Boyer était autrefois de mes amis. Ses tragédies, et surtout son Jeune Marius, ne sont pas si méchantes.

Les Frères Parfaict, eux, dans leur Histoire du Théâtre français (t. X, p. 376) considèrent que la composition de la tragédie est défectueuse :

Monsieur l’Abbé Boyer avoit une imagination bien singuliere : il cherchoit des plans bizarrement compliqués, et s’en tiroit toujours très-mal.

Critique de prévention, car nous verrons au fil de notre étude que Boyer maîtrise parfaitement la technique de construction d’une tragédie. Autre point de défaut selon eux, les personnages :

Jamais on n’entend parler si fréquemment de la grandeur et de la vertu Romaine, et cependant on n’en apperçoit aucun éxemple. Marius, que l’Auteur annonce comme le modéle des amans, tant par la délicatesse des sentimens que par la galanterie fine, n’est au fond qu’un benêt ; Sylla un furieux, et un lâche ; pour ce qui est de Cécilie et de Pompée : Ils jouent à la vérité les plus beaux rôles, mais ils ne sont généreux que par réflexion, et leurs soins ne peuvent sauver la vie au malheureux Marius (t. X, p 379-380) .

Leurs remarques sont parfois justes mais restent trop réductrices. Négatifs quelle que soit la pièce de Boyer qu’ils commentent, ils demeurent peu fiables.

Sources et construction §

Les sources §

Le Jeune Marius de Claude Boyer met en scène les rivalités entre Sylla, Marius le Jeune et Pompée. Marius, fils du grand Marius, fut consul peu après la mort de son père et pour peu de temps jusqu’à sa mort à Préneste. Moins célèbre que son père, les principaux éléments de sa courte carrière sont relatés par Plutarque dans Les Vies des hommes illustres, par Appien d’Alexandrie dans Les Guerres civiles à Rome, par Tite Live dans les Abrégés des livres de Ab Urbe condita, par Orose dans les Histoires et par Velleius Paterculus dans son Histoire romaine. Tous racontent plus ou moins longuement la prise de Préneste par l’armée de Sylla, le siège et le suicide de Marius le jeune en 82 avant J.-C. Marius garda l’espoir tant que les Samnites (peuple conquis du sud de l’Italie dirigé par Télésinus) et son collègue au consulat, Carbon, pouvaient l’aider. Après leur défaite, il se suicida. Tite Live par exemple indique : « Marius tentait de s’échapper par un souterrain cerné par l’armée, il se donna la mort » (Abrégé du livre 87) . Ce siège n’est qu’un épisode de la guerre civile qui opposait marianistes et syllaniens depuis six ans.

Nous retrouvons dans le Jeune Marius le siège (vers 3) et le suicide, c’est-à-dire les tenants et aboutissants, la situation initiale et le dénouement. Une seule phrase suffit : Marius fils assiégé dans Préneste, par les armées de Sylla, se suicide après la défaite de ses alliés. De cette matrice tragique, Boyer composa cinq actes et plus de 1700 vers.

De l’Histoire à la tragédie §

Il pourrait sembler effectivement difficile de composer une intrigue à partir de ces quelques éléments. Or la lecture du Jeune Marius nous introduit dans une action menant au suicide certes, mais un suicide motivé par le désespoir et l’amour et non par la défaite inéluctable. L’Histoire romaine donnait à Claude Boyer les circonstances dans lesquels les personnages évoluent et des raisons du suicide. Historiquement, Sylla laisse la direction du siège à un lieutenant pour aller combattre à Rome, Pompée quant à lui combat contre Carbon, Marius est isolé. Or le théâtre étant exclusivement composé de dialogues, donc de confrontation, il fallait les réunir, ce qui supposait soit que Marius sorte de Préneste, soit que les deux autres y entrent. Pour les besoins de l’intrigue, Boyer ne pouvait respecter toutes les données historiques. Et la présence dans les murs des trois personnages obligeait pour la cohérence de l’action à lier les principaux événements entre eux. Ainsi pour développer la matrice et assurer la cohérence, il fallait amener autrement le suicide, c’est-à-dire le dénouement. Afin de mieux comprendre cela, il nous suffira de suivre la structure telle qu’elle est présentée aux lecteurs : la structure linéaire.

Sans retracer ici un long résumé de la tragédie, nous en dégagerons les points essentiels acte par acte :

  • – Marius assiégé dans Préneste où Cécilie, qu’il aime, est sa prisonnière, après avoir combattu, vaincu Sylla et l’avoir épargné avec magnanimité, obtient la main de Cécilie (Actes 1 et 2) .
  • – Sylla, ayant appris la victoire de Pompée, lui aussi amoureux de Cécilie et aimé d’elle, et la libération de Rome du danger des Samnites, décide de donner sa fille à Pompée et de prendre le nom de dictateur (Acte 3) .
  • – Devant le refus de Cécilie et de Pompée de trahir Marius, malgré leur amour mutuel, Sylla menace de mort celui que Cécilie n’épousera pas et lui en laisse le choix : elle choisit, selon sa vertu, Marius. Mais celui-ci désespéré tente une action militaire contre Sylla et se suicide après l’échec (Actes 4 et 5) .

Dans cette intrigue, le suicide de Marius a une cause principale : son amour pour Cécilie qui l’incite à tout faire au risque de sa vie, à combattre par deux fois le père de Cécilie. Mais de cet amour pour une jeune fille, fille de l’ennemi héréditaire du héros, nous n’avons aucune trace dans les historiens. Nous savons par contre qu’une tragédie classique ne fonctionne qu’à partir d’un enjeu amoureux lié étroitement à la politique. Sur cette base, une donnée historique utilisée comme dénouement, mais modifiée dans les causes mêmes de ce dénouement et un enjeu indispensable, nous pouvons dégager les principes de la construction de cette tragédie, non plus telle qu’elle est donnée aux lecteurs mais à travers le travail du dramaturge.

Principes de construction §

Au vu de la structure linéaire que nous venons de retracer, hormis la matrice tragique et quelques éléments historiques de plus ou moins grande importance (la menace Télésinus, la dictature...) qui donnent à la pièce une épaisseur historique, le reste, en particulier l’amour entre les personnages, est de l’invention de l’auteur. Nous nous sommes autorisés à suivre la méthode génétique proposée par G. Forestier11. Il fallait à partir du dénouement construire à rebours une intrigue, c’est-à-dire inventer un enchaînement de causes et d’effets susceptibles de créer une intrigue étoffée et cohérente qui se lise en partant du début. Remontons du dénouement (point de départ pour Claude Boyer) à l’exposition par laquelle le lecteur entre dans l’intrigue.

Le suicide de Marius est justifié au vers 1736-1737 :

Abandonné des siens, mais malgré son malheur,
Plus honteux que troublé de les voir sans courage.

Marius se suicide après la défection de ses soldats au cours d’une marche sur le palais, acte désespéré dont les causes sont doubles : l’ultimatum donné par Sylla à sa fille de choisir entre ses deux amants condamnant à la mort l’un des deux et l’amour réciproque de Pompée et de Cécilie. Or cet ordre de Sylla est justifié par celui-ci comme une réponse au refus de Pompée et de Cécilie de trahir Marius à qui la jeune fille était promise :

L’ingrat ose braver, sans peur de nous déplaire,
Et l’amour de la fille, et la haine du pere (vers 1157-1158)

et il ajoute quelques vers plus loin :

Quand la raison d’Estat les condamne tous deux (vers 1232) .

Et en fait, tous deux refusent un premier ordre de Sylla qui ayant décidé de marier sa fille à Pompée a demandé à celle-ci de le signifier à Marius :

Dispose Marius à ce grand changement (vers 834) .

Sylla peut revenir sur sa décision et trahir le serment fait à Marius de lui donner sa fille grâce à un bouleversement de la situation militaire : Pompée vient de libérer Rome de la menace des Samnites. Or ce serment est la conséquence de la défaite de Sylla dans une bataille provoquée par Marius. Quant à cette bataille, Marius l’a provoquée pour obliger Sylla à lui donner la main de sa fille :

En deusse-je perir, pour avoir ce que j’ayme,
Il faut vous arracher à vostre pere mesme,
Et le fer à la main forcer sa dureté
A me rendre l’espoir que vous m’avez osté (vers 243-246) .

Ce dernier vers fournit une autre motivation : Marius déduit des hésitations de Cécilie qu’il a un rival et souhaite le combattre aussi. C’est finalement l’amour de Marius pour Cécilie qui est la cause de la bataille. On rejoint l’autre motivation du suicide. Pour créer son intrigue, Boyer a donc donné une justification sentimentale à un fait proprement politique et militaire.

Or, ce fait sentimental est entièrement une invention. Ce qui rejoint l’Histoire romaine par contre, c’est la volonté de Sylla de faire entrer Pompée, jeune lieutenant glorieux à son service, dans sa famille par le biais d’une liaison matrimoniale. Ce mariage n’a aucun lien avec la mort de Marius à Préneste : Boyer a utilisé ici une seconde phrase sans rapport avec les faits pour introduire une intrigue matrimoniale et amoureuse. À en croire Plutarque dans la Vie de Pompée, XIV :

Metella sa femme (de Sylla) , étant bien de son avis, ils firent tant qu’ils persuadèrent Pompée de répudier sa femme Antistia, pour épouser Æmilia, fille de Métella et de son premier mari, Emilius Scaurus, laquelle était aussi mariée à un autre et enceinte.

Et il l’a considérablement modifiée. Il l’a modifiée sur trois points :

  • – de belle-fille par alliance, c’est la fille de la femme de Sylla, issue d’un premier mariage, elle est devenue la fille de Sylla.
  • – Historiquement Pompée et elle sont déjà mariés, ce qu’ils ne sont pas dans la pièce.
  • – Boyer imagine en plus qu’ils s’aiment d’un amour réciproque.

Que ce soit la fille de Sylla qui devienne l’enjeu de l’hymen et de l’amour des deux jeunes héros renforce les liens et les antagonismes. Les quatre personnages principaux sont liés au sein d’une même famille. Nous sommes dans une intrigue constituée par « un surgissement des violences au sein des alliances » selon les termes d’Aristote dans La Poétique. Qu’ils ne soient pas mariés s’inscrit dans la tradition qui veut que l’amour des héros soit pur et unique. Leur amour réciproque auquel vient s’ajouter celui de Marius crée un enjeu amoureux et renforce l’antagonisme entre deux camps opposés. Car l’amour de Marius pour la fille de son ennemi forme un lien entre Sylla et Marius bien plus fort encore que la guerre civile. Cette tragédie où l’importance de l’enjeu amoureux est extrême repose sur des liens inventés entre des personnages que rien n’unit dans l’Histoire. Rappelons que rien n’indique que Cécilie ait jamais rencontré Marius.

Enfin le lien entre deux événements historiques, le siège dans la guerre civile et la volonté de Sylla de prendre le nom de dictateur, est aussi amplifié. Certes l’Histoire rapporte que la mort de Marius et de Carbon, les deux consuls, laissa le pouvoir vacant et que Sylla proposa de le prendre et changea les institutions. Mais pour cela, il attendit la mort de Marius. Et cette prise de pouvoir est sans aucun lien avec le mariage de sa belle-fille. Là aussi, ce fait politique est intégré à l’action principale au prix d’une légère entorse à la chronologie. Et cela prend une importance lorsque l’on sait que Marius est l’unique obstacle à la volonté de pouvoir de Sylla. Cette dictature met en danger les institutions de la République, c’est-à-dire l’État lui-même, et la vie du consul. Ceci constitue un péril d’État.

L’enjeu amoureux, un épisode et le péril d’État, un « embellissement » (c’est-à-dire un renforcement de l’action principale permettant de raviver l’antagonisme politique qui aurait existé sans cela) s’ajoutant à la matrice tragique s’imbriquent dans l’action principale.

Épisode et « embellissement » §

Corneille dans son Discours du poème dramatique12 a défini les épisodes :

Ces épisodes sont de deux sortes, et peuvent être composés des actions particulières des principaux acteurs, dont toutefois l’action principale pourrait bien se passer, ou des intérêts des seconds amants qu’on introduit, et qu’on appelle communément des personnages épisodiques. Les uns et les autres doivent avoir leur fondement dans le premier acte, et être attachés à l’action principale ; c’est-à-dire, y servir de quelque chose, et particulièrement ces personnages épisodiques doivent s’embarrasser si bien avec les premiers, qu’un seul intrigue brouille les uns et les autres.

Pour que l’action soit cohérente donc, les épisodes doivent s’emmêler avec l’action principale pour ne composer qu’une seule intrigue grâce à un enchaînement de causes et d’effets. Tout d’abord comment est assurée la cohérence de l’action ?

Tous les événements sont liés entre eux par un système de causes et de conséquences, l’ordre dans lequel ils interviennent est subordonné à ce système. La cohérence de l’action créée par le dramaturge dépend de la disposition de chacun. Encore faut-il que le public croie à tout ce qui est raconté, c’est-à-dire que tout soit vraisemblable. Or il est vraisemblable que deux jeunes gens soient amoureux d’une jeune fille et qu’ils demandent sa main à son père. Et la haine entre Sylla et Marius est aussi vraisemblable pour des spectateurs nourris de la culture de l’Antiquité qui connaissent la haine viscérale entre Sylla et le grand Marius. Quant à Pompée, il est entré dans les troupes de Sylla depuis peu, il est donc logique que Sylla haïsse Marius et lui préfère Pompée. Les faits eux mêmes, batailles, traité de paix... sont aussi dans le cadre de la vraisemblance. Examinons le cas du traité de paix (début de l’acte III) qui met fin à la bataille de l’entre actes I et II : la victoire de Marius et son geste généreux, sa demande en mariage motivent l’énonciation du traité et les serments censés en garantir l’exécution. Il est la conséquence des deux premiers actes. Parce qu’il est bafoué à l’acte III, il fonde la révolte des héros, cause l’acte désespéré de Marius, c’est-à-dire les deux derniers actes. Il joue ainsi le rôle d’acheminement vraisemblable.

Revenons maintenant sur l’enjeu amoureux et sur le personnage qui en est le centre : Cécilie. Cet épisode constitue une histoire autre que l’action principale. Cette histoire s’articule autour de l’amour de deux jeunes gens pour une même jeune fille qui de personnage épisodique devient le personnage principal de cette histoire. Elle acquiert, nous le verrons en détail dans l’étude des personnages, un rôle primordial (voir introduction p. 31-32) . Elle aide à l’imbrication de l’enjeu dont elle est le centre.

Tout d’abord, Cécilie acquiert une véritable épaisseur psychologique : elle est dotée d’un passé, à la scène 1 de l’acte I déjà, et surtout aux vers 210-212 et aux vers 1418-1424 où elle rappelle :

Quand j’estois comme luy dans un peril extréme ;
Quand un peuple en fureur massacroit mes parens
Et les traisnoit dans Rome égorgez ou mourans,
Quand mon Palais détruit, le desespoir dans l’ame,
Pàle, errante, au milieu du sang et de la flâme,
Je rencontray son pere, et tout tremblant d’effroy,
Marius se mit seul entre son pere et moy.

Son passé malgré sa jeunesse est déjà riche. Elle s’ancre dans le passé par le rappel de ses souvenirs, par exemple au vers 1426 (voir aussi le vers 209) :

Mais rappellons encore ma derniere disgrace.

Ce personnage, dont le rôle et jusqu’à sa parenté avec un personnage principal sont inventés, acquiert aussi un passé sentimental. L’amour qu’elle éprouve pour Pompée est antérieur à l’ouverture de la pièce, de même l’amour des deux héros pour elle, ce qu’elle décrit dans la scène 3 de l’acte I, et elle indique aux vers 364-366 :

C’est pour le plus heureux que mes vœux se formerent,
Et mon cœur à Pompée estoit mal asseuré
Si pour son cher Rival mon cœur eut esperé

Si elle a un passé, elle se projette aussi dans l’avenir affirmant aux vers 1781-1782 :

Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere,
Et mourir à ses pieds ou fléchir sa colere.

Cécilie a une histoire aussi constituée que peuvent l’avoir les autres personnages : Sylla par exemple dont il nous est dit qu’il « fut vainqueur de tant de rois » , qu’il vainquit Télésinus et dont l’avenir de dictateur est mis en place.

De même que l’épisode s’emmêle à l’action principale grâce à la présence du personnage féminin, de même il le fait en apparaissant dans les moments clefs de l’intrigue. Lorsque Marius épargne Sylla, par exemple, la seule motivation de ce geste est son amour :

Et relevant Sylla, rends grace à mon amour,
Luy dit-il, c’est luy seul qui t’a sauvé le jour (vers 429-430) ,

ou lorsque Pompée donne les motivations de son combat à Rome aux vers 1041-1042 :

Et mesme j’ay vaincu, pardon chere patrie,
Peut-estre seulement pour gagner Cecilie.

Enfin la passion amoureuse est telle qu’ils en font dépendre leurs actions : sans l’amour, Marius ne provoquerait pas Sylla dans deux batailles, c’est parce qu’elle aime Pompée que Cécilie hésite entre son amour et le refus de la trahison et du parjure... (voir notre étude du traitement du sentiment amoureux) . L’épisode amoureux est tellement lié à l’action principale qu’il semble impossible de justifier la moindre de leurs actions si on supprime ce sentiment qui meut les trois jeunes personnages. Intégrer un épisode amoureux implique de faire naître un sentiment amoureux dans le cœur de personnages auxquels l’Histoire prête plus de cruauté que de galanterie. C’est le cas de Marius qui, selon Plutarque (Vie de Marius, LXXXIX) , « fit beaucoup de cruauté et d’inhumanité depuis la mort de son père » . Nous sommes loin du jeune homme galant et magnanime au point d’épargner son plus grand ennemi. Les héros du XVIIe sont jeunes, vertueux, amoureux et généreux même si, historiquement, ils sont l’exact contraire : le dramaturge crée alors un caractère en accord avec la situation dans laquelle il place le personnage. La vérité de celui-ci cède devant les besoins de la vraisemblance et de la bienséance. Les héros de la Rome du Ier siècle avant J.-C. vivaient selon des valeurs qui conviendraient bien peu aux spectateurs du XVIIe siècle si les dramaturges ne transformaient plus ou moins les caractères. Le changement de Marius est évident, mais même Sylla qui semble le plus proche de la réalité historique est modifié. Maxime signale :

Cependant vous voyez que Sylla sacrifie
Aux soins de se vanger les soins de sa Patrie (vers 27-28)

ce qui est faux, pour l’Histoire il laisse au contraire Préneste à un lieutenant pour se consacrer à Rome. Et il est en plus peu probable que le Sylla historique ait pu envisager un traité comme celui qui est proposé. L’entrée dans l’intrigue de l’expression des passions nécessite de tels changements en motivant nombre de leurs actions. Pourtant la passion amoureuse, ou la haine dans le cas de Sylla ne dominent pas tout.

Car la « dignité (de la tragédie) demande quelque grand intérêt d’État ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour » indique Corneille dans le Discours du poème dramatique13. Cette passion plus noble que l’amour serait bien ici l’amour et le respect de l’honneur, de la vertu et du bien de la patrie. Combien d’allusions au « cœur romain » et à la « vertu romaine » dans les propos tenus. Entre la gloire et l’amour, le choix se porte sur la gloire, l’honneur :

Ainsi deux cœurs unis noblement amoureux,
Font de cette union d’estime et de tendresse
Un commerce d’honneur et non pas de foiblesse (vers 1660-1662) .

Le sentiment amoureux est toujours subordonné, dans les réactions de Cécilie et de Pompée contre la trahison et le parjure, au sentiment plus noble de la gloire et du devoir. Déterminant pour le déroulement de l’action et pour la cohérence de l’intrigue, l’enjeu amoureux permet aussi de créer des dilemmes : déchirés entre leur amour et leur gloire, les héros expriment leur souffrance mais ne montrent aucune hésitation. Le dilemme se résoud toujours par la victoire de la gloire. Cependant, cet enjeu amoureux n’est pas tout. Le problème de l’alliance matrimoniale qui sous-tend les actions et les propos se clôt sur la possibilité d’union entre Pompée et Cécilie. Pourtant, hormis la recommandation de Marius à Pompée, aucune allusion n’y est faite, la priorité est ailleurs :

Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere (vers 1781) .

C’est que finalement le problème n’est pas tant de savoir qui épousera Cécilie mais ce qu’il advient des deux héros menacés de mort par Sylla, et particulièrement du sort de Marius, ce qui constitue l’action principale. Dans son Discours du poème dramatique14, Corneille indique, à propos de la tragédie, que « c’est le péril d’un héros qui la constitue » .

Or, « il faut que l’enjeu amoureux soit doublé par un enjeu autrement plus important, l’enjeu de péril - risque de perte de la vie ou de l’État » G. Forestier15. Marius rassemble en lui seul ces deux périls. En tant qu’homme, Sylla lui a voué une haine telle que sa mort semble annoncée, l’évolution progressive et marquée d’acte en acte de la cruauté et du pouvoir de Sylla ne pouvait qu’aboutir à cette mort, de toute façon historique. En tant que consul, sa mort est un attentat contre celui qui détient légitimement le pouvoir. En forçant Marius à la mort, il porte atteinte aux institutions de la République ainsi qu’en prenant le nom de dictateur. Nous reviendrons avec plus de précision sur ceci dans notre chapitre : « De la République à la dictature » .

Enjeu amoureux et enjeu de péril sont imbriqués au point de ne constituer qu’une seule intrigue cohérente et vraisemblable. Une seule intrigue mais non dépourvue de bouleversements. En effet le spectateur est laissé dans l’indécision jusqu’à la scène 6 de l’acte V. Sylla cédait presque aux souhaits de Cécilie quand il apprend que Marius marche avec des soldats sur le palais. Et ce n’est pas le premier retournement : important aussi est celui de l’acte III qui avec l’arrivée et la victoire de Pompée permet à Sylla de changer sa politique. Dans les deux cas on assiste à une remise en cause de l’alliance matrimoniale. Marius dans les deux premiers actes et de nouveau à la fin de la scène 5 de l’acte V a la possibilité d’obtenir la satisfaction de ses souhaits, l’action pourrait s’y arrêter mais la tragédie suppose le passage du bonheur au malheur. Ainsi, l’action reprend par un coup de force : une victoire alliée ou un acte désespéré du héros lui-même. Et conduit le héros vers la mort.

L’action §

Nous nous proposons dans ces pages de considérer la structure interne du Jeune Marius : exposition, dénouement, unités et études des personnages.

L’exposition §

Regroupés dans les trois scènes de l’acte I, les éléments d’exposition permettent la présentation de la situation de départ, de l’action principale, de l’épisode et des personnages.

  • – Nous sont donnés le lieu, les circonstances (un siège) et tous les éléments permettant de connaître l’action principale, les épisodes et leur lien (arrivée de Télésinus, haines et passions, présence de Pompée à Rome, annonce du combat de l’entre actes I et II) .
  • – Lorsque l’acte se clôt, tous les personnages ont été présentés, soit directement sur scène soit dans les propos tenus comme c’est le cas de Pompée et de Sylla qui n’interviennent qu’à l’acte III. Cécilie à la scène 3 trace devant ses confidentes un portrait de ses deux prétendants.

Le dénouement §

Conséquence d’un bouleversement (Acte V, scène 6) , il conclut la tragédie par la mort du héros éponyme. 5 scènes dans lesquelles se joue la dernière action. Il est tout entier dû à un récit, Pison : Marius attaque ; Marcelle : il est abandonné de ses soldats, et enfin un long récit de Pompée retraçant les derniers moments de Marius et de Préneste. Le passage du dialogue au récit, outre le respect des bienséances qui interdisent la violence sur scène, marque la fin de la confrontation orale et de la tragédie. Constatons aussi l’ouverture autant sur le futur hymen de Cécilie et de Pompée que sur les crimes de Sylla.

Les unités §

  • – L’action se déroule en 24 heures, sans vraiment de référence marquée au temps et malgré trois batailles. Il est précisé que la distance entre Préneste et Rome est limitée (38 kilomètres) , ce qui explique que Pompée puisse la parcourir dans la journée.
  • – La didascalie placée après la liste des acteurs indique que « la scène est à Preneste, dans le palais de Marius » . L’espace intérieur, le palais, est constitué d’une salle, jamais décrite, lieu de confrontation orale où se mêlent des discussions politiques ou galantes. De nombreuses scènes se concluent par « il vient » . Mais le reste du palais d’où viennent les personnages n’est évoqué que lorsqu’au vers 387, Cécilie demande à Marcelle d’aller voir « du haut de la tour » le premier combat et quand au vers 1069, Marcelle précise que Cécilie « vient de chez son pere » indiquant que Sylla bénéficie d’un lieu propre.

Il existe aussi deux espaces extérieurs différents, connus grâce à des récits. Les deux combats entre Marius et Sylla se déroulent hors des murs du palais ; le premier aux limites du camp (entre assiégeant et assiégé) , le second dans le camp (vers 1685-1690) . Et la victoire de Pompée a lieu à Rome. Ce sont des lieux de confrontation violente.

Étude des personnages §

Il y a quatre personnages principaux dont trois sont connus des spectateurs grâce à l’Histoire romaine. Les combats qui opposèrent Sylla aux Marius père et fils constituèrent une période trouble du premier siècle avant J.-C. Pompée est de plus connu comme héros éponyme de Corneille, présent dans Sertorius, héros aussi de Chaulmer16 et d’autres. Sylla est aussi nommé dans Sertorius. Il est parfois fait référence aux Marius. Quant à Cécilie, seule personnage féminin, étrangère à l’action principale, c’est un personnage épisodique que Boyer a ajouté en partant de Plutarque (voir introduction p. 23-24) .

Malgré cela elle tient en termes de présence sur scène le premier rôle. Présente à tous les actes, elle intervient dans 19 scènes sur 2817, particulièrement aux deux premiers actes et au dernier (4 scènes seulement sur 11 aux actes III et IV) . Et elle prononce 502 vers (sur 1782, soit près de 30 %) . Elle acquiert ainsi le premier rôle. Elle s’impose aussi comme l’objet du désir de deux hommes, tous deux amoureux d’elle, objet central puisque nous l’avons déjà étudié, ce sentiment motive nombre d’actions des héros. Objet du désir certes mais aussi sujet. Enjeu à part entière d’un péril de vie qu’elle seule peut résoudre. En lui confiant le choix de son époux, Sylla donne à Cécilie d’atteindre la première place. De sa décision dépend la vie de l’un ou de l’autre, de sa vertu dépend le respect du traité dans l’honneur ou la trahison dans la honte. Non contente de représenter l’amour, l’honneur et la vertu, seule face à trois hommes dont l’un est son père, elle devient celle qui décide, conseille ou réfute.

Devenue par le fait du poète la fille de Sylla, du même sang, son rôle n’en est que plus grand. Elle doit à son père obéissance et soumission, et pourtant elle n’hésite pas à plusieurs reprises, et en crescendo, à s’élever contre lui. Plus Sylla évolue vers la tyrannie, et s’éloigne des valeurs romaines, plus les propos de Cécilie, représentante de ces valeurs deviennent accusateurs comme si immanquablement cette jeune file soumise mais vertueuse ne pouvait que s’insurger : « Pere cruel... » au vers 1227. Tout culmine à la scène 8 de l’acte V. La décision d’épouser Marius est à l’encontre des souhaits de Sylla. Parfaitement consciente qu’elle désobéit aux volontés paternelles, Cécilie doit justifier ce choix. Et elle se livre alors à un plaidoyer pour la vertu. C’est elle la fille, qui aux limites du respect donne une « leçon » à son père, n’hésitant pas à l’accuser pour lui faire honte :

Il (leur amour) veut servir mon pere au peril de sa haine,
Rendre cette grande ame à la vertu Romaine ;
Il le veut arracher à ces noms odieux,
D’implacable ennemy, de Tyran furieux (vers 1665-1668)

On pourrait presque dire qu’elle cherche à retrouver un père à respecter alors que l’homme qui se dit tel n’est plus respectable. Témoin le vers 1723 :

Pour un pere sans foy, le sang est sans pouvoir.

Cette révolte face à son père qui viole un traité et un serment s’accompagne d’un renoncement à son amour pour Pompée au nom de l’honneur, de la gloire. Nous reviendrons sur l’analyse de ce dernier point (voir introduction p. 46-48) .

Fille de Sylla, elle est aussi l’enjeu de l’amour de deux rivaux. Marius intervient fréquemment dans les deux premiers actes (et deux scènes seulement ensuite) tandis que Pompée ne prend la parole qu’à partir de la scène 5 de l’acte III et s’exprime plus particulièrement à l’acte V. Grâce à ce premier constat, nous pouvons déjà partager la tragédie : jusqu’à la moitié de l’acte III, la pièce est exclusivement concentrée autour de Marius et de Cécilie. C’est la partie de Marius. De la fin de l’acte III à la fin de la tragédie, ce serait plutôt la partie de Pompée. Quelques chiffres : Marius prononcent 370 vers jusqu’à l’arrivée de Pompée, et à partir de la scène 5 de l’acte III, Pompée domine avec 218 vers prononcés contre 118 pour Marius. Et cette répartition reflète assez bien la situation. Jusqu’à la nouvelle de la victoire de Pompée, tout sourit à Marius : Sylla lui accorde la main de celle qu’il aime, il renoue avec la victoire, sa situation militaire s’améliore, un mariage mettrait fin au siège. Par contre, dès la victoire de Pompée, Sylla change d’avis, et sa préférence pour son lieutenant peut s’affirmer vis à vis du défenseur de Rome. Le prétendant à la main de Cécilie est désormais Pompée. La victoire constitue bien une rupture dans l’intrigue. Au sein de cette structure, examinons chacun de plus près.

Marius tout d’abord, le personnage éponyme, est présent dans 8 scènes sur 11 à l’acte V par exemple dans les propos des autres personnages. C’est dire si ce personnage est l’objet des discussions, c’est celui dont on parle le plus, enjeu du dilemme qui se dresse devant Pompée et Cécilie, objet de la haine de Sylla. Il n’en est pas moins un militaire qui prendra deux fois les armes. Il quitte la scène après un dernier entretien avec Cécilie. Mais il ne la quitte pas tout à fait car il reprend la parole par l’entremise de Pompée (scène 10) . Parvenu au terme d’un destin inéluctable malgré les efforts de héros généreux, ses derniers mots sont pour celle qu’il aime, qu’il confie à Pompée. Car Marius est avant tout un amoureux, galant, capable de se mettre en danger et ainsi de mettre l’État en danger (il est consul) pour satisfaire son amour.

Pompée quant à lui, est un héros apparemment extérieur à l’action principale, jeune lieutenant de l’armée de l’ennemi de Marius, il est en plus son rival auprès de Cécilie. Tout les sépare, pourtant son attitude (refus de la trahison, sacrifice de son amour au nom de l’honneur) crée une complicité entre ces deux hommes unis face à la tyrannie et à la fureur de Sylla au péril de leur vie. De plus, si son rôle est secondaire dans l’Histoire, puisque rappelons-le, Sylla vainquit les Samnites à la Porte Colline et non Pompée, il acquiert, par la victoire que le dramaturge lui fait remporter, un rôle décisif dans le déroulement de l’intrigue.

Trois jeunes gens liés entre eux par un double amour, solidaires face à un seul : Sylla. Celui-ci est à la fois le père de la jeune fille aimée et un général couronné de succès dans ses campagnes et désireux de reprendre le pouvoir qu’il avait déjà exercé, fut-ce aux dépens du consul en titre et du régime lui-même. En tant que père, il souhaite marier sa fille, ce qui est fréquent et normal dans la dramaturgie du XVIIe siècle. En tant que chef, il dirige des lieutenants et des combats. Jusque-là, rien d’anormal. Seulement, dès la scène 3 de l’acte III, c’est-à-dire l’annonce de la victoire de Pompée, il sort du simple rôle de père et de militaire. Or, en regardant l’étude tabulaire, on s’aperçoit que cette scène est la troisième apparition de Sylla. Il lui a donc fallu peu de temps pour dévoiler sa perfidie. D’autant plus que rétrospectivement, il explique à Pison au vers 915-918 :

Quand je jurois aux Dieux une indigne alliance,
En secret à ses Dieux je jurois ma vengeance,
Et tous ces faux sermens que j’ay fait à tes yeux,
Estoient pour les mortels et non pas pour les Dieux.

Ce serment est au troisième vers prononcé par Sylla, ce qui signifie que le personnage n’est positif qu’à travers les propos des autres, dans les deux premiers actes.

Sylla entre en scène au troisième acte, la victoire de Pompée que nous avons déjà signalée comme un bouleversement de l’intrigue, lui donne l’occasion de rompre avec Marius, de bafouer le traité et le serment, d’imposer un choix cruel et difficile à sa fille, de provoquer la destruction du régime et la création de la dictature... Dans un crescendo ininterrompu vers la cruauté et la dictature, il est le contrepoint négatif des deux jeunes gens. Il prononce 367 vers répartis en 11 scènes, et toujours à des moments clefs :

  • – première étape : Vaincu, Sylla cède et promet l’hymen de Cécilie à Marius.
  • – deuxième étape : Il change d’avis, trahit Marius et prend le nom de dictateur.
  • – troisième étape : Le choix de Cécilie décidera de la vie ou de la mort de ses amants.

Trois étapes qui marquent l’évolution de son caractère et ne peuvent qu’amplifier l’impression de dureté et d’ambition. Et chaque étape est liée en parallèle à l’évolution de la situation politico-militaire, qui aboutit à la disparition du régime et de son représentant.

Évoluant autour de ces quatre héros, cinq personnages se partagent les rôles secondaires : rôles répartis entre Maxime (99 vers) , Pison (35 vers) , Marcelle (55 vers) , Sabine (15 vers) et Octave (3 vers) . Le premier est auprès de Marius, le deuxième auprès de Sylla, les deux femmes auprès de Cécilie. Signalons ici l’absence de confidents auprès de Pompée. Ces rôles secondaires sont essentiels pour le déroulement de l’intrigue. Dans une ville assiégée, il est important d’être informé des événements extérieurs : Maxime, à la scène 1 de l’acte I (vers 9-10) , trace à Marius

[...] Un fidele rapport,
Et de l’estat de Rome et de tout vostre sort

et lui annonce l’arrivée de Télésinus. C’est encore Maxime qui relate le combat entre Marius et Sylla à Cécilie au début de l’acte II, Pison à la scène 6 de l’acte V alerte Sylla sur les manœuvres de Marius. Octave, quant à lui, est le type même de l’émissaire militaire dont le rôle se limite à l’annonce de la victoire de Pompée au vers 815-817:

Seigneur. Pompée arrive, et le bruit de sa gloire
Déjà de toutes parts annonce sa victoire ;
Cent Messagers hastez de nous faire sçavoir...

Ils sont tous trois plus ou moins émissaires de l’extérieur du huis clos de la scène.

Le confident dans une tragédie est encore le témoin attentif des sentiments des héros : c’est à Sabine et à Marcelle que Cécilie avoue pour la première fois son amour pour Pompée, c’est à Pison que Sylla dévoile sa haine, son plan et sa perfidie. Le confident provoque le discours du héros ou permet l’expression des sentiments essentiels pour la compréhension des spectateurs. Témoin parfois silencieux, parfois conseillers, les confidents n’hésitent pas à s’opposer aux personnages. Pison, par exemple, à la scène 4 de l’acte III met Sylla face à ses responsabilités, c’est presque son contrepoint, contrepoint positif qui à chaque affirmation de Sylla répond par une question ou par une remarque comme aux vers 912-913 :

Mais sans parler d’honneur ny de reconnoissance,
Vos sermens peuvent-ils se rompre impunément ?

Pison comme Maxime sont plus que des confidents ; la liste des personnages les définit comme « amis » . Ce sont des compagnons d’armes : « Fidelle compagnon des travaux d’une guerre » dit Sylla à Pison au vers 867. Plus proches des personnages, leur rôle est accru, nous venons de le voir avec Pison, ils en sont aussi les porte-paroles, Pison à la scène 3 de l’acte II, Maxime au début de l’acte II. Examinons la transition entre les deux premiers actes en comparant les vers 388 et 391 :

Va voir, Marcelle, à qui le sort veut faire grace
Maxime, je sçay tout [...]

Cécilie envoie Marcelle s’informer mais c’est Maxime qui vient lui faire le récit de la bataille à laquelle il a participé et d’une victoire de Marius dont il est le témoin direct. Et il est en même temps le porte-paroles de Marius.

Les confidentes ne parviennent pas à ce statut de porte-paroles, Marcelle, à la scène 1 de l’acte IV en est un exemple. Elle pourrait renseigner Pompée sur les sentiments de sa maîtresse (vers 1025) :

Toy qui sçays tout ce que peut ton illustre Maistresse

Pourtant au vers 1069 :

Je sçay.. mais elle passe, et vient de chez son pere

Elle commence une phrase qui semble un dévoilement mais elle s’interrompt, et les points de suspension le marquent bien. Elle connaît parfaitement les sentiments de Cécilie pour Pompée (elle en eut l’aveu à la scène 3 de l’acte I) mais elle ne peut les exprimer, la confidente est témoin et auditrice de sentiments mais elle ne peut pas en informer les héros.

Le traitement du sentiment amoureux §

Historique §

Le sentiment amoureux est entré dans la dramaturgie française. Combiné à l’action principale, son statut a évolué, il entre en concurrence et parfois en conflit avec les sentiments de devoir, d’honneurs, avec des passions telles que l’ambition ou la haine... Les tragédies antiques laissaient peu de place à la passion amoureuse et nous l’avons constaté, c’est là que réside la principale invention de Boyer dans le cadre de son sujet. Depuis, le Moyen Âge et le XVIe siècle ont permis l’émergence de deux traditions. Dans les romans médiévaux, le héros accomplit exploits sur exploits pour obtenir sa dame et vient ensuite déposer ses conquêtes à ses pieds : il met ainsi son courage et sa valeur au service de son amour sans jamais se laisser dominer par celui-ci. Au côté de cette tradition chevaleresque, les « chaînes amoureuses » pastorales instaurent un traitement plus tendre, plus « galant » de l’amour. L’influence de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, qui connut un fort succès, n’est pas négligeable ; les malheurs et les amours des bergers, leur sens de l’honneur et de la vertu préfigurent les actions de certains héros de la tragédie. À cela s’ajoute la mode de la tragédie galante autour de Quinault, Boyer, Du Ryer.

L’évolution de la tradition littéraire tient aussi à celle de la société. Après les cours chevaleresques et militaires d’Henri IV et de Louis XIII, la société versaillaise de Louis XIV a remplacé les armes par la joute des mots. S’y développent la galanterie, l’art de plaire, les raffinements de la politesse (voir le vers 303) et de la conversation précieuse.

Et lorsque Cécilie décrit Marius, c’est en ces termes :

En amour, l’amour même a soin de ses conquestes ;
Il conduit tous ses pas, et preste à ses desirs,
Les charmes les plus doux, les graces, les plaisirs,
Les jeux les plus galans, la pompe des spectacles (vers 312-315) .

Voilà des qualifications plus proches de la cour louis-quatorzienne que d’un camp romain du premier siècle avant J.-C. en pleine guerre civile. Le goût du public s’est modifié, faisant un triomphe à L’Astrate de Quinault ou aux pièces de Thomas Corneille. Dans ce contexte, les dramaturges se souviennent de ces traditions mais aussi du théâtre de Corneille et du mélange de ses intrigues politiques et galantes. Racine quant à lui se laisse aussi tenter par la poésie galante, il suffit de lire Andromaque, parue deux avant le Jeune Marius. Nous retrouvons cette poésie amoureuse, cette rhétorique du tendre dans le Jeune Marius.

Une terminologie galante §

Le vocabulaire de la passion amoureuse avec lequel amants et amantes décrivent l’être aimé(e) utilise toute une série de moyens rhétoriques. Examinons quelques vers qui nous semblent plus particulièrement de style « galant » . Parmi les figures rhétoriques, l’oxymore souligne une contradiction intérieure au héros : « aimable inhumaine » employé par Pompée s’adressant à Cécilie est traditionnel (vers 1082) . Il joue sur le sens d’inhumaine : insensible à l’amour. Celle qui est insensible à l’amour est digne d’être aimée (sens fort d’aimable) mais elle fait souffrir le héros en ne répondant pas à cet amour. Elle garde l’initiative au dépend d’un héros qui est prêt à lui obéir. La même contradiction peut s’exprimer par des antithèses. Écoutons Marius définir l’influence de Cécilie sur lui, à la scène 1 de l’acte I :

Voy quel est l’ascendant d’une beauté si fiere.
La voyant ma captive, à son premier aspect
J’en prends un peu d’orgueil et tremble de respect,
Ses fers m’enflent le cœur, et sa beauté me brave ;
J’ay le pouvoir d’un maistre et la peur d’un esclave ;
Mais plus esclave encor que maistre en ce sejour
Ce que je tiens du sort cede aux droits de l’amour (vers 80-86) .

Dans les cinq derniers vers, construits en antithèses et coupés à l’hémistiche, est développé le thème du maître captif de sa maîtresse. L’accent est mis sur l’opposition entre maître et esclave : le « geôlier » de guerre devient captif de l’amante, celle-ci d’ailleurs désignée par des métonymies : « fers, beauté » . Remarquons le chiasme des vers 84 et 85 où « maître » et « esclave » s’entrecroisent. Cinq vers dont le thème est repris par Marius au vers 95 :

Sçache que sous le joug de ma belle captive,

et par Cécilie aux vers 1427-1428 :

Prisonniere de guerre au milieu de sa cour,
Et sous les douces loix d’un prisonnier d’amour.

Cette image est fréquente dans la poésie du siècle. La relation entre Marius et Cécilie s’annonce donc galante, quoique ces propos ne soient pas tenus en présence de l’être aimé mais de confidents. Signalons enfin que cette relation rejoint celle de Pyrrhus et d’Andromaque. Nous y reviendrons.

Des personnages galants ? §

Ces occurrences d’un vocabulaire de la poésie galante se retrouvent dans les propos de Marius, Cécilie et Pompée : c’est-à-dire les trois personnages liés entre eux par la passion amoureuse que les deux jeunes gens vouent à Cécilie. Mais leur rapport à l’amour est différent. Nous examinerons dans un premier temps le personnage de Marius, héros galant, racinien ? , avant d’examiner ceux de Pompée et de Cécilie, plus cornéliens.

Marius est avant tout un guerrier féroce, à en croire Plutarque qui souligne à la fin de la Vie de Marius qu’il fit autant d’inhumanités que son père et qu’il n’hésita pas à accomplir des meurtres et des proscriptions. Rien de cela ici, nous l’avons déjà souligné. L’Histoire ne mentionne aucune intrigue amoureuse ; or ici, Marius agit en parfait amoureux ; il se présente au début comme un héros chevaleresque, prêt à combattre pour obtenir celle qu’il aime. C’était le cas avant la bataille de Préneste :

Pour vanger mon amour, j’imite sa fureur (vers 62) .

Mais la vue de Cécilie a suffi pour affaiblir l’esprit chevaleresque du héros et il avoue aux vers 99-104 :

Sçache enfin que je donne au seul soin de luy plaire
Tous les soins que je dois à combattre son pere :
Depuis qu’elle est icy, pour servir ma valeur,
Je ne retrouve plus ny mon bras ny mon cœur,
Et toûjours possedé de mon amour extrême
Je ne sçay rien qu’aimer auprés de ce que j’aime

Ces six vers marquent le passage vers un pseudo-héroïsme galant. Le combattant ne dépose plus rien aux pieds de sa maîtresse et ne peut plus combattre. Le « soin de lui plaire » s’oppose au soin du combat, le soin de l’amour prend le pas sur celui de la guerre. Le dernier vers quant à lui est parfaitement galant. Toute la première scène entre Marius et Maxime met en relief ces deux types de comportements : Marius dont le comportement est empreint de galanterie et Maxime, son compagnon d’armes qui tente de le ramener à son devoir. Quand Marius lui avoue ne plus pouvoir combattre paralysé par son amour, Maxime réagit violemment au vers 109-110 :

Ah, Seigneur, pensez-vous que ce soit un moyen,
De meriter un jour, un cœur comme le sien ?

La même opposition se retrouve dans les propos de Marius lorsqu’à la scène 2 de l’acte II, il affirme à Cécilie :

Oüy, Madame, pour vous je renonce à ma gloire,
Je renonce à l’espoir d’une illustre victoire (vers 259-260) .

et un peu plus tard, il annonce qu’il part combattre son père. Il oscille entre deux attitudes. La seconde risque de le mettre dans la situation de Rodrigue, ou de Rosiléon (L’Astrée) , et de lui faire perdre Cécilie, risque d’ailleurs souligné par celle-ci à la fin de la scène 3 de l’acte I (et au début de l’acte II) :

Peut-estre il fait perir mon pere ou mon Amant (vers 378) .

S’il choisit la deuxième attitude, il évite pourtant la situation de Rodrigue en épargnant son rival seulement parce que celui-ci est le père de son amante. Dans ces deux attitudes, Marius est prêt à tout sacrifier : son pouvoir de consul, sa victoire. Il va jusqu’à négliger sa sécurité en attaquant Sylla, qui l’assiège avec des forces supérieures en nombre. C’est ici un parfait comportement de héros galant semblable à celui de Pyrrhus prêt à se démunir de sa garde pour protéger le fils d’Andromaque. Comme Pyrrhus aussi il se dit captif de sa prisonnière. Boyer crée un personnage aveuglé par la passion, au point de n’avoir plus de pouvoir consulaire ou militaire, qui combat mais seulement pour obtenir satisfaction de son amour, pour qui le choix est entre vivre pour Cécilie ou mourir (vers 1526) .

Face à ce personnage galant, Pompée et Cécilie, s’ils reconnaissent aimer ne se laissent pas dominer par cette passion. Certes Pompée avoue une certaine faiblesse, au vers 1058 :

J’en ay presque oublié Rome et la gloire mesme.

Toute la différence entre Marius et Pompée est justement dans ce « presque » . Pompée n’oublie pas où est sa gloire. Et son amour loin de paralyser son bras, l’a armé :

J’ay vaincu l’ennemy, sans qui Rome aux abois
Alloit perdre en un jour le fruit de tant d’exploits,
Et mesme j’ay vaincu, pardon chere patrie,
Peut-estre seulement pour gagner Cecilie (vers 1039-1042) .

C’est un parfait galant héroïque, accomplissant un acte de bravoure. Le héros ne se laisse pas dominer par son amour, car « il n’y a pas d’âme si faible qu’elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions » (Descartes, Passions de l’âme, article 152) . La volonté peut tout, le héros règle ses sentiments par la force de sa volonté. Pompée est proche des héros cornéliens tendant vers une passion plus grande que l’amour : la gloire. La gloire, ce serait d’être en accord avec ce que l’on attend du héros : courage, honneur, refus du compromis. C’est en son nom que les deux héros refusent la trahison et le parjure demandés par Sylla, et que Cécilie se révolte brisant la loi implicite de l’obéissance.

Deux types d’amoureux entourent Cécilie, le galant et le galant héroïque. Cécilie à la scène 3 de l’acte II décrit ses deux amants à ses confidentes. De Marius, elle souligne l’éloquence du regard et des propos. Les vers 311-312 sont significatifs :

Si Mars luy tient toûjours ses palmes toutes prestes,
En amour, l’amour même a soin de ses conquestes

La proposition principale met l’accent sur l’amour, la valeur guerrière est en subordonnée, la domination de l’amour est ici soulignée par la syntaxe même. De Pompée, au contraire, Cécilie souligne les valeurs héroïques, en le comparant aux plus grands de Rome et elle insiste aussi sur son désintérêt pour la galanterie :

Ne cherche point en luy l’amoureuse tendresse,
Que j’aime en Marius et qu’il nomme foiblesse (vers 335-336) .

Puisque pour eux « le plaisir de la gloire est le plus grand de tous » (vers 354) , il leur est naturel de sacrifier l’amour au nom de la gloire. Puisque pour Marius, l’amour est premier, il est logique qu’il recherche le bien de celle qu’il aime. Et tous trois renoncent à leur amour, mais avec des motivations différentes.

Le renoncement à la personne aimée §

Le renoncement à la personne aimée est un thème récurrent dans la dramaturgie classique. À en croire Guichemerre18 :

On voit non seulement un amant renoncer à sa maîtresse ou une femme quitter l’homme dont elle est éprise mais même le galant s’effacer devant un rival ou l’amoureuse marier son amant à une autre femme.

Ces deux étapes se trouvent dans le Jeune Marius où l’enjeu du mariage est présent. À qui Cécilie sera-t-elle mariée ? C’est une tragédie matrimoniale où l’on voit une jeune fille renoncer à celui qu’elle aime, contrevenant à l’ordre paternel, au nom de l’honneur et du devoir et parvenir à convaincre son amant d’en faire autant. Et où voit Marius sacrifier son amour pour assurer le bonheur de Cécilie au point même de la confier in fine à son rival. Pourquoi ces renoncements ?

Au-delà même de l’honneur et du respect du traité, c’est à une dette de reconnaissance que Cécilie se réfère pour justifier son choix à Pompée comme à Sylla. Elle s’en justifie en disant à son père aux vers 1671-1672 :

Cet amour genereux veut enfin malgré vous
Payer à Marius ce qu’il a fait pour nous

Les motivations de Pompée sont semblables ; bien de Rome, respect des valeurs romaines et des traités. Ces motivations sont en conformité avec le caractère tout cornélien de ces héros.

Marius quant à lui accepte par trois fois (Acte II, scène 2 et Acte V, scènes 2 et 10) de sacrifier son amour et de donner Cécilie à Pompée pour respecter les sentiments de Cécilie et assurer son bonheur :

S’il est vostre tyran, dois-je l’estre à mon tour ?
Et s’il est sans pitié, dois-je estre sans amour ? (vers 669-670) .

Son dernier geste et ses derniers propos sont pour Cécilie qu’il confie à Pompée en leur souhaitant de vivre heureux (vers 1747-1750) . Ce geste d’un mourant s’inscrit dans une longue tradition : on le retrouve dans L’Astrée lorsque Thersande mourant, ayant permis à Madonte de retrouver Damon souhaite :

O Madonte ! et ô Damon ! soyez contents, et vivez ensemble à longues années avec toutes sortes de repos et de bonheur (livre 12 de la 3e partie19) .

Quoique généreux et héroïques, les héros ne s’en aiment pas moins, leur décision est alors une source de souffrance. Malgré leur volonté, il laisse s’exprimer leur souffrance, comme le prouve par exemple cet échange entre Cécilie et Pompée aux vers 1149-1150 :

CECILIE.
Ah ! Seigneur, vous devez faire cesser ce trouble.
POMPEE.
Ah, plus je le combats, plus je sens qu’il redouble.

Dans tous les cas, les héros et l’héroïne sacrifient leur amour pour des valeurs supérieures, gloire et honneur en particulier. Avec la mort de celui qui figure le plus la galanterie et avec l’affirmation des valeurs héroïques, nous assistons à une victoire de la générosité, du devoir sur la passion. Cela nous confirme que cette tragédie est héroïque et sanglante mais admet la description de comportements galants appréciés par le public.

De la République à la Dictature §

Lorsqu’on met sur la scène un simple intrigue d’amour entre des rois et qu’ils ne courent aucun péril ni de leur vie ni de leur État, je ne crois pas que bien que les personnes soient illustres, l’action le soit assez pour s’élever jusqu’à la tragédie.   Sa dignité demande quelque grand intérêt d’État [...] (Corneille, Discours de l’utilité et des parties du poëme dramatique)20.

Quoiqu’il n’y ait aucun roi, le problème du détenteur du pouvoir est posé, le consul Marius est en danger et avec lui les institutions de la République. Nous avons compris dans notre chapitre sur la construction de la tragédie que l’action principale est constituée par la mort de Marius après le siège de Préneste. L’antagonisme politique déjà important est encore renforcé par la prise du pouvoir dictatorial par Sylla. Cet « embellissement » étroitement lié à l’action principale y intègre l’enjeu de péril d’État, c’est-à-dire le risque de perte de l’État : la ruine des institutions de la République et la mort de leur garant et représentant. Ce péril d’État constitue le « grand intérêt d’État » que nous nous proposons d’étudier ici.

Rappel historique §

Rappelons rapidement la situation de l’État. Rome en 82 avant J.-C. est en République, dirigée par deux consuls : Marius et Carbon. Depuis 88 environ, la République est secouée par une guerre civile qui opposa Sylla à Marius le Grand, puis à sa mort en 86, à son fils qui devient consul en 82, année pendant laquelle Sylla vainc ses armées à Sacriport. Marius se réfugie dans Préneste. La pièce s’ouvre donc en plein milieu d’une guerre civile avec un héros enfermé par les troupes d’un autre personnage. La pièce s’ouvre en République avec un pouvoir légitimement détenu et se ferme en dictature avec un pouvoir illégitime. Avant d’étudier les modalités de ce changement de régime, deux définitions : le consulat est une magistrature suprême permanente dans laquelle deux nouveaux consuls élus chaque année sont chargés des affaires publiques et des armées. La dictature est une magistrature exceptionnelle, délégation de pleins pouvoirs en cas de vacance du pouvoir consulaire, sur décision du Sénat et pendant un temps limité.

Le refus du consulat §

La volonté de Sylla de prendre le pouvoir s’accompagne d’un refus du pouvoir consulaire. Il refuse un pouvoir réparti entre deux hommes :

Je renonce à jamais au Consulat Romain
Qui divise ou confond le pouvoir souverain.
Deux chefs associez tous deux cessent de l’estre,
Et l’un et l’autre enfin n’est ny Sujet ny Maistre (vers 953-956) .

Sylla stigmatise ici ce qu’il juge être la faiblesse du régime : deux chefs. La meilleure solution est alors selon lui de concentrer les pouvoirs dans les mains d’un seul. Un pouvoir partagé est mauvais car les prises de décision sont subordonnées au choix de l’autre consul. Le refus du consulat s’appuie ici sur le refus du partage du pouvoir qui limite les décisions. Sous le couvert d’une conception monarchique s’exprime déjà la libido dominandi qui caractérise Sylla dans ses actes. Le pouvoir consulaire est inefficace. C’est la même efficacité que Cinna met en cause, mais pour des raisons différentes :

Ces petits souverains qu’il [le peuple] fait pour une année,
Voyant d’un temps si court leur puissance bornée,
Des plus heureux desseins font avorter le fruit,
De peur de le laisser à celui qui les suit (Cinna, Acte II, scène 1, vers 513-516) .

Supprimer le principe du double pouvoir, constitutif de la République revient à détruire le régime lui-même. Mais cela n’est possible que si le régime est en difficulté. Or, depuis six ans que dure la guerre civile à laquelle les luttes permanentes contre les voisins italiens s’ajoutent, la République se dissout apportant ainsi par sa faiblesse la possibilité de sa destruction.

Les faiblesses du régime §

Deux menaces pèsent sur la République : la menace extérieure des Samnites et la menace intérieure, la guerre civile.

Les voisins italiens samnites menés par Télésinus leur chef, accourent pour aider Marius. Ne pouvant atteindre Préneste, ils continuent leur route jusqu’à la Porte Colline. D’où cette information de Maxime :

[Télésinus]
Est aux portes de Rome, et par un grand secours
Aux fureurs de Sylla vient arracher vos jours (vers 13-14) .

Représentant un danger pour Rome, quoiqu’à l’extérieur du huis clos, il participe indirectement à l’action. Libérer la capitale de son emprise et en même temps de celle des marianistes constitue la mission de Pompée, mission qui une fois accomplie devient un bouleversement de l’action (acte III) . Pour Marius et malgré son refus, Télésinus venant à son aide peut devenir un allié potentiel dans une guerre fratricide, d’où ce reproche de Cécilie aux vers 141-142 :

Un Romain, un Consul appelle l’Etranger,
Et met Rome en péril afin de se vanger ?

C’est cette guerre civile entre marianistes et syllaniens qui porte le coup fatal au régime : luttes intestines qui dépassent l’affrontement du Jeune Marius et de Sylla. Marius se présente comme le successeur de son père au consulat comme à la tête des armées :

Et de mon pere mort devenu successeur,
Pour vanger mon amour, j’imite sa fureur.
Sylla revient d’Asie enflé d’heur et de gloire,
Tout mon party s’ébranle au bruit de sa victoire (vers 61-64) .

Quant à Sylla, c’est bien au père que va sa haine au travers du fils :

Je pouvois écouter cette haine invincible
Qui rend avec mon sang le vostre incompatible (vers 1309-1310)

ou encore au vers 1313 : « haine hereditaire » .

Après six ans de luttes fratricides, les institutions ont pu se maintenir mais non l’esprit et les valeurs. Avant même sa disparition, le consul a déjà perdu tout pouvoir. Non content d’affirmer sa suprématie militaire, Sylla donne des ordres à Marius, a envoyé Pompée à Rome... tandis que Marius ne prend aucune décision au nom de son pouvoir. Le consul est dépossédé d’une partie de son pouvoir, quant aux acteurs politiques de la République, le Sénat et le deuxième consul ; ils sont totalement absents. Les structures du régime sont perverties, sa destruction se concrétise par la mort de l’un et la dictature de l’autre.

Prendre le pouvoir... §

Historiquement, la mort du consul a laissé le pouvoir vacant, se pose alors le problème de sa succession et de la légitimité de son successeur. F. Hinard21 raconte que constatant cette vacance du pouvoir, Sylla propose au Sénat d’instituer une dictature. Le Sénat lui accorde les pleins pouvoirs. Plutarque indique juste : « Il se déclara dictateur » dans la Vie de Sylla (LXVIII) . Le Sénat intervenant ou pas, la dictature intervient toujours comme conséquente à la mort du consul.

Or, à la lecture du Jeune Marius, une constatation s’impose : point besoin de Sénat, point besoin d’attendre la vacance du pouvoir. Marius est toujours présent quand Sylla organise son pouvoir. Il affirme à plusieurs reprises sa volonté, avec un crescendo. Il le dit d’abord à Pison :

Je veux, (et ce dessein possede tout mon cœur)
Rétablir hautement le nom de Dictateur (vers 949-950) ,

puis à Pompée au vers 1008 :

Je m’en vay prendre au Camp le nom de Dictateur.

Cela devient un coup d’État. Cette déclaration ne serait qu’une menace sans effet si elle n’était appuyée par des actes et des décisions précises. Car il ne suffit pas de déclarer prendre le pouvoir pour le détenir. S’organise alors la montée vers la dictature.

Tout d’abord, en s’efforçant que ce titre vienne couronner un état de fait que Pompée ne peut qu’admettre, au vers 1010 :

Non, puisque vous avez tout le pouvoir qu’il donne.

Seul le consul pourrait contester ce pouvoir mais Marius lui-même ne peut que constater :

Qu’ayant sceu parvenir jusqu’à la Dictature,
Tes sermens violez, et mon espoir trompé
Seroient le digne essay d’un pouvoir usurpé (vers 1294-1296) .

La reconnaissance de ce fait est marquée dans la récurrence du terme : « tyran » qui intervient 7 fois à propos de Sylla (sur 10 fois) dans la tragédie. Le tyran en français d’après les définitions données par Furetière dans son Dictionnaire est « celui qui use de violence et de cruauté » mais aussi « celui qui s’est emparé par la violence de la puissance souveraine » . Or, dans les premières scènes, le terme est employé au premier sens signifiant déjà la cruauté comme trait de caractère de Sylla. Il prend peu à peu le second sens au fur et à mesure de ses déclarations. Son utilisation dès le vers 34 est significative, c’est une des premières caractérisations du personnage et déjà la cruauté et la volonté de pouvoir sont suggérées. Les lecteurs ne peuvent être surpris devant le comportement de ce personnage qualifié de tyran à plusieurs reprises.

Sa légitimité s’appuie dans un premier temps sur un fait accompli auquel s’ajoute l’usurpation du pouvoir et le parjure. Les « sermens violez » participent de cette prise de pouvoir. Sylla change sur le mariage de sa fille et bien au-delà sur les termes d’un traité qui scellait la paix. La violation de la promesse est déjà un acte de tyran, personnage sans parole et qui en change selon ses intérêts propres. La violation du serment est un acte réprouvé par les dieux. Non seulement Sylla cherche sa légitimité dans la puissance et la violence des déclarations et des armes mais il ne craint pas non plus de se montrer sacrilège et même blasphémateur, affirmant que Jupiter est bien trop occupé pour se préoccuper des parjures :

Et ce Dieu que l’on fait le vengeur du serment
Absout l’ambitieux aussi bien que l’Amant (vers 921-922) .

Sylla utilise tous les moyens possibles. Pour que l’état de fait soit irréfutable, il ne faut pas laisser le temps de la réaction, dès la scène 4 de l’acte III, c’est-à-dire une scène après la victoire de Pompée, Sylla annonce à Pison sa décision de rétablir la dictature et, une scène plus tard, il l’annonce à Pompée. Il a suffi de moins d’un acte depuis son entrée en scène. C’est donc immédiatement que la décision de changer de régime est prise. Il utilise l’usurpation du pouvoir, la trahison, le parjure et la dissimulation. Or souligne Machiavel22 « tuer ses concitoyens, trahir ses amis, n’avoir point de foi, de pitié, de religion » permet de parvenir et de se maintenir au pouvoir. La monarchie est ici comprise au sens étymologique de pouvoir personnel d’un seul. Faut-il y voir une influence de Machiavel ? Peut-être mais n’oublions pas que si les thèmes ont été repris dans les tragédies du siècle, ce n’est jamais ouvertement car la monarchie décrite par Machiavel ne peut être considérée dans la France monarchique du XVIIe siècle que comme une tyrannie.

À tout cela s’ajoute en plus la lâcheté de Sylla qui ordonne à sa fille de trahir Marius en refusant son hymen et qui insiste par exemple au vers 840 :

Epargne-moy l’affront de paroistre infidelle.

Malgré la différence des circonstances, nous retrouvons la même méthode dans Britannicus où Néron demande à Junie au vers 671 (Acte II, scène 3) :

De son bannissement prenez sur vous l’offense.

Il s’agit pour les deux tyrans d’éviter de paraître criminel pour ne pas risquer de réactions de la part du héros (Sylla vient d’être vaincu par Marius) , et pour décharger leur responsabilité sur une jeune fille sur laquelle ils ont autorité comme père pour Sylla et comme « geôlier » pour Néron. L’un comme l’autre sont tyranniques dans leurs propos avant de l’être en provoquant la mort du héros, et ces ordres annoncent implicitement celle-ci.

Enfin derniers traits de caractère nécessaire pour s’imposer dictateur : la cruauté et une passion du pouvoir supérieure à n’importe quelle autre, une libido dominandi démesurée. Cruel, Sylla l’est lorsqu’il n’hésite pas à condamner l’un des deux héros et à laisser le choix à sa fille. La situation dans laquelle est placée Cécilie rejoint celle de Pulchérie dans Héraclius. Phocas tyran usurpateur du trône d’Orient ne sachant pas qui entre Héraclius et Martian est son fils et qui est le fils de l’empereur Maurice assassiné demande à Pulchérie, fille de ce même empereur :

Trouve ou choisis mon fils, et l’épouse sur l’heure ;
Autrement si leur sort demeure encore douteux,
Je jure à mon retour qu’ils périront tous deux (Acte V scène 4) .

Pulchérie se trouve confrontée à un choix cruel : l’inceste ou l’entrée dans la famille du meurtrier de son père ou la mort de ses deux amants. Le pouvoir du tyran se manifeste par le droit de vie et de mort qu’ils peuvent et veulent exercer sur les héros. Sylla menace la vie des deux héros reconnaissant que :

Mon nouveau rang demande un nouveau sacrifice ;
Il faut que l’un me serve et que l’autre perisse,
De l’un je veux l’hymen, et de l’autre la mort (vers 1177-1179) .

Quant à la libido dominandi, elle va de pair avec un incommensurable orgueil, une démesure dans les propos et une très grande ambition. Son orgueil et son ambition se montrent dans certains propos comme lorsqu’il ordonne à sa fille aux vers 864-865 :

[...] n’aime, ne hay, n’espere,
Qu’autant qu’à ma grandeur il sera necessaire

et il n’accepte ni que Marius s’élève au-dessus de lui par son geste généreux ni que Pompée par sa victoire ait acquis une force et une aura militaires importantes. Ainsi le pouvoir est pris par la force des ordres et des tromperies. La dictature une fois établie, il lui faut en garantir la longévité et la stabilité et s’y maintenir.

... Et s’y maintenir §

Il y a deux moyens de garder le pouvoir : par un acte de clémence comme Auguste dans Cinna, ou par la contagion des crimes dans la tyrannie comme Néron dans Britannicus. La prise de pouvoir de Sylla rejoint la seconde méthode, et pour se maintenir à ce pouvoir, il n’hésite pas à poursuivre dans sa cruauté. Car comme le constatait Sénèque dans le De Clementia (III, 11, 2) :

Parmi tous les inconvénients de la cruauté, le pire de tous, dirai-je, est qu’il faut persévérer et que tout retour à des pratiques meilleures est impossible, c’est par le crime qu’il faut soutenir le crime.

Ainsi il n’est pas étonnant que Sylla soit entraîné dans toujours plus de crimes. Difficile de ne pas trouver ceci dans les vers 1773-1774 :

Cependant pour combler ses remors et ses crimes
Il cherche à s’immoler mille et mille victimes.

Le récit que Pompée horrifié retrace de la fureur sanguinaire de Sylla insiste sur la contagion du crime. Sylla se livre à des meurtres dans la ville de Préneste, la dernière scène nous indique ensuite que Sylla est prêt à partir pour Rome. Il commence par menacer de mort les deux héros puis une ville entière et enfin la ville principale : Rome, la capitale et le symbole de l’État dans son ensemble. Dans ses propos, Pompée associe les crimes et la conscience que Sylla en a : ses remords. Il échappe à ses remords par toujours plus de sang. Et le sang appelle le sang.

De même Agrippine accusera Néron :

Tes remords te suivront comme autant de furies ;
Tu croiras les calmer par d’autres barbaries ;
Ta fureur s’irritant soi-même dans son cours,
D’un sang toujours nouveau marquera tous les jours (Britannicus, Acte V, scène 6, v. 1683-1686) ,

et Burrhus le fait remarquer lui aussi au vers 1344 (Acte IV, scène 3) :

Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime.

Le coup d’État de Sylla lui permet de partir pour Rome à la dernière scène avec le titre et le pouvoir de dictateur. Il s’est imposé par la violence des sentiments et de ses ordres. Quoique ce pouvoir soit un fait extérieur à la conclusion du siège de Préneste, la mort du consul est ici liée à la soif de pouvoir de Sylla. Cela en fait une tragédie politique.

Le texte de la présente édition §

Il n’existe qu’une seule édition du Jeune Marius, éxécutée en 1670 par Gabriel QUINET. [B.N. Y.f. 6545] , format in 12º.

LE JEUNE MARIUS. / TRAGÉDIE. / Par Monsieur Claude BOYER. / (vignette) / A PARIS, / Chez GABRIEL QUINET, dans la / Gallerie des Prisonniers, à l’Ange Gabriel. / M. DC. LXX. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.

Deux exemplaires de la même édition sont aussi disponibles à la bibliothèque de l’Arsenal (la première est une édition collective) , [80 BL 12920, 3] et [RF 5644] .

Pour l’établissement du texte, nous avons suivi la leçon de cette unique édition. Néanmoins, nous avons effectué quelques rectifications pour une meilleure lecture du texte.

  • – Nous avons distingué i et u voyelles de j et v consonnes, conformément à l’usage moderne.
  • – Nous avons décomposé les voyelles nasales surmontées d’un tilde en voyelle + consonne.
  • – Nous avons décomposé la ligature  ; en « et » .
  • – Nous avons ajouté au vers 1592 l’accent diacritique de « où » relatif pour le distinguer de la conjonction.
  • – Nous avons respecté la ponctuation d’origine, sauf lorsqu’elle nous paraissait erronée (cf. liste des rectifications) . La présence de signes de ponctuation faible (virgules, souvent à l’hémistiche..) dans les textes de théâtre répondait à des besoins rythmiques plus que syntaxiques dus à la déclamation sur scène.
  • – Nous avons rajouté des traits d’union lorsqu’il manquait dans des phrases interrogatives, ou dans certains mots comme « peut-estre » .. Nous signalons entre autres les vers 180, 430, 859, 913, 1028, 1066, 1147, 1329.
  • – Nous avons corrigé quelques erreurs manifestes. (cf. liste des rectifications ci-dessous) .

Cette tragédie est entièrement en alexandrins. Cependant les vers 955, 1558 et 1600 ne possèdent que onze syllabes, nous avons corrigé afin de rétablir le rythme métrique, nous renvoyons à leurs notes respectives.

Liste des rectifications §

VERS 49 la / 80 fier / 263 Preneste : / 350 un / 441 denoit / 509 jout / 571 cœut / 593 OÜy / 728 demande / 730 t’a / 887 qu’à / 892 Rome. / 957 vient / 1040 exploits ; / 1043 main ; / 1108 donnne / 1161 denoit / 1190 zelé / 1226 au choix / 1227 screet / 1239 devez / 1272 ma / 1281 sans / 1297 moy / 1304 innnocemment / 1320 secourit / 1468 pouvez / 1497 veur / 1535 une / 1556 contenr / entre 1557-1558 SABINE / 1557 Marcelle / 1564 Seigneur. / 1618 que / 1725 Qu’est-ce. / 1728 comme, /

LE JEUNE MARIUS. TRAGEDIE. §

A Monseigneur colbert. Ministre et secretaire d’Estat23. §

Monseigneur,

Quelque impatience que j’eusse de vous donner des marques publiques de ma reconnoissance au nom de toutes les Muses en general, et de la mienne en particulier, quoy que j’en fusse sollicité par la bonne *fortune de quelqu’une de mes Pieces qui ont precedé celle-cy, j’ay senty mon devoir arresté par une juste defiance et par une crainte respectueuse. Mais enfin ne pouvant plus diferer de satisfaire à ma gratitude, j’ay ramassé toutes mes forces avant que d’entreprendre l’ouvrage que je vous destinois, j’ay pris la Scene la plus magnifique, j’ay choisi un des Heros de l’ancienne Rome, et pour vous le rendre plus agreable, j’ay tâché de le representer avec quelques-uns de ces traits, que nous admirons dans vostre incomparable Heros, Je parle de nostre grand Roy24, qui rassemble en luy seul tout ce que l’Histoire a de plus incroyable et de plus merveilleux. Plein d’une si haute idée, et soustenu par la dignité de mon sujet, je vous ay consacré mon travail avant que de le commencer ; J’ay envisagé toute la gloire que je pouvois attendre de vostre approbation ; J’ay invoqué avec plus de ferveur que jamais le Dieu qui nous inspire, et je me suis dit sans cesse, qu’ayant esté choisi pour estre un des sujets des gratifications du Roy25, je devois soustenir , ou plûtost justifier un choix si honorable. C’est avec ce grand secours, MONSEIGNEUR, que j’ay travaillé assez heureusement : quoy que la *fortune et la cabale se meslent aujourd’huy de faire le bon et le mauvais destin des ouvrages du Theatre26, celuy que je vous ay consacré n’a pas succombé sous leur injustice. Ce n’est que vous, MONSEIGNEUR, que j’ay lieu d’apprehender, quand je l’expose à vos yeux : je sçay que rien n’échape à la penetration de vostre esprit, et que vous possedez le precieux talent de juger finement de toutes choses : Je sçay que c’est de cette idée generale, que vous avez du beau et du parfait que se répandent sans cesse de nouvelles beautez et de nouvelles lumieres sur tous les Arts et sur toutes les Sciences27 : C’est de là que vient ce grand amour que vous avez pour elles, ces soins continuels et cette magnifique protection, dont vous honorez l’empire des belles Lettres, au milieu de ces grandes occupations que vous donnez avec une application étonnante et sans exemple à la premiere Monarchie de la terre. Que j’aurois de choses à dire, MONSEIGNEUR, sur un si vaste sujet, et qu’il seroit doux à une ame reconnoissante comme la mienne de s’abandonner à la loüange de son bienfaicteur ! Mais je sçay trop quelle est la delicatesse de vostre modestie, et avec quelle discretion il faut manier toutes les matieres qui regardent vostre gloire. Agréez au moins, MONSEIGNEUR, que je laisse échaper devant vous une louange qui est dans la bouche de tout le monde.

    Permettez que j’apprenne à la posterité,
Que vous avez executé
    Des choses qu’avant vous on avoit regardées
    Comme les vains projets d’un zele mal fondé,
    et dont tous ceux qui vous ont precedé,
Eurent à peine les idées.

Je n’entreray point dans le détail et dans la preuve de toutes ces merveilles, le témoignage que le Roy en rend tous les jours par sa propre bouche, vaut mieux que tous nos eloges ; ces glorieuses veritez sont assez confirmées par les solides marques que sa Majesté vous donne continuellement de son estime, et par les nouvelles dignitez dont il recompense vos travaux. Je suis avec un profond respect,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, tres-obeyssant

et tres obligé serviteur,

BOYER.

Acteurs. §

  • MARIUS. Consul Romain, fils de C. Marius28.
  • SYLLA. General de l’armée Romaine29.
  • POMPEE. Lieutenant de Sylla30.
  • CECILIE. Fille de Sylla31.
  • PISON. Amy de Sylla.
  • MAXIME. Amy de Marius.
  • MARCELLE. Confidentes de Cecilie.
  • SABINE.
  • OCTAVE.
La Scene est à Preneste32, dans le Palais de Marius.
[p. 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

MARIUS. MAXIME.

MARIUS.

Quel zele, quel *bon-heur t’a conduit en ces lieux,
Et t’a fait traverser un Camp victorieux ?
Enfermé dans Preneste, où Sylla nous assiege33...

MAXIME.

[p. 2]
De nos troubles, Seigneur, c’est le seul privilege,
5 Qu’un seul peuple formant deux partis differens34,
Parmy nos ennemis nous trouvons des *parens.
J’ay penetré le Camp par leur intelligence35,
Pressé de vous donner un avis d’importance,
Et de faire à vous-mesme un fidele rapport,
10 Et de l’estat de Rome et de tout vostre sort36.
Telesinus37, Seigneur, ce grand Chef des Samnites38,
Dont Sylla sceut jadis resserrer les limites39,
Est aux portes de Rome, et par un grand secours
Aux fureurs de Sylla vient arracher vos jours,
15 Et menaçant les siens d’un destin plus funeste
Le forcer de lever le siege de Preneste40.

MARIUS.

Je ne puis trop loüer ton courage et ta foy.
Mais que viens-tu m’offrir et pour Rome et pour moy ?
Le fier Telesinus ce fameux Capitaine
20 Ce voisin41 trop jaloux de la grandeur Romaine,
Vient moins pour me servir dans cette occasion
Que pour servir sa haine et son ambition42.
Trop foible contre nous dans un temps plus tranquile
Il tasche à profiter de la guerre civile ;
25 Mais quand méme il auroit de plus justes desseins,
Je deteste un secours qui peut nuire aux Romains43.

MAXIME.

Cependant vous voyez que Sylla sacrifie
Aux soins de se vanger les soins de sa Patrie ;
Ce barbare vainqueur trouve un plaisir moins dous
30 A sauver son pays qu’à triompher de vous.
Il croit qu’en envoyant le seul Pompée à Rome44,
Il la peut confier aux soins d’un si grand home, [p. 3]
Imitez son exemple : en des perils si grans,
Nul secours n’est honteux pour vaincre les Tyrans45.

MARIUS.

35 Le ciel m’eut-il permis de l’employer sans crime,
Ce secours quel qu’il soit injuste ou legitime,
Ay-je la liberté d’agir en ma faveur ?
Helas ! j’ay plus d’un maistre, et j’ay plus d’un vainqueur.
Fils du grand Marius, dont le sort trop contraire
40 Combla ses derniers jours d’horreur et de misere46,
Plus malheureux encor dans ce triste sejour
J’éprouve à mesme temps la *fortune et l’amour.

MAXIME.

Quoy, Seigneur, quel amour dans un sort si funeste...,

MARIUS.

Cecilie est icy.

MAXIME.

Quoy, Seigneur, dans Preneste ?

MARIUS.

45 Oüy Maxime, et l’amour aprés tant de *hazards,
Acheve icy sur moy le triomphe de Mars.

MAXIME.

La fille de Sylla ?

MARIUS.

Cecilie, et ses charmes
Sont plus forts que son pere avec toutes ses armes.
Mais aprens quel destin l’a menée en ces lieux.
50 Je ne veux point icy retracer à tes yeux
Les troubles intestins, la sanglante *furie,
Dont mon Pere et Sylla déchiroient leur Patrie47 ;
Il suffit de sçavoir tout ce qu’a mis d’horreur
Entre nos deux *maisons la jalouse fureur.
55 Sylla faisant la guerre, et craignant pour sa fille
La haine que mon pere avoit pour sa famille, [p. 4]
Il l’envoye à Preneste en secret et sans bruit48.
Tu sçais en quel estat ce coup m’avoit reduit.
Ne sçachant en quels lieux on cachoit ce que j’aime,
60 Je signale par tout mon desespoir extréme,
Et de mon pere mort devenu successeur49,
Pour vanger mon amour, j’imite sa fureur.
Sylla revient d’Asie enflé d’*heur et de gloire50 ;
Tout mon *party s’ébranle au bruit de sa victoire.
65 Je l’attaque51, il triomphe, et trahy des Romains52,
Je me voy sur le point de tomber dans ses mains.
Valere Gouverneur pour luy dans cette Ville,
Gagné par mes presens me l’offre pour azile.
Sylla me suit, m’assiege, et la soif de mon sang
70 Luy fait negliger Rome, et sa gloire et son rang53.
Je me vois en estat de defendre Preneste,
Ou de rendre sa prise à mon vainqueur funeste.
Mais admire mon sort : plein d’un si doux espoir
J’apprens que Cecilie estoit en mon pouvoir.
75 Je reçois aussi-tost par les mains de Valere
Ce precieux dépost, qu’il tenoit de son pere.
Sylla m’a tout offert pour un tresor si cher.
Mais rien à mon amour ne le peut arracher,
Et pour te faire voir mon amour54 toute entiere,
80 Voy quel est l’ascendant d’une beauté si fiere.
La voyant ma captive, à son premier aspect
J’en prends un peu d’orgueil et tremble de respect,
Ses fers m’enflent le cœur, et sa beauté me brave ;
J’ay le pouvoir d’un maistre, et la peur d’un esclave ;
85 Mais plus esclave encor que maistre en ce sejour    
Ce que je tiens du sort cede aux droits de l’amour55.

MAXIME.

Quoy qu’il en soit enfin, c’est vostre prisonniere ;
C’est le plus cher tresor de Rome et de son pere, [p. 5]
Et ce bien, qu’en vos mains la *fortune a remis,
90 Balance le pouvoir de tous vos ennemis.

MARIUS.

Maxime, connois mieux les droits d’une *Maistresse
Et ce que dans un cœur l’amour met de foiblesse,
Ou si l’amour n’a rien qui te puisse charmer,
N’en juge que par moy, qui suis né pour aimer.
95 Sçache que sous le joug de ma belle captive,
Je sens mon cœur sans force, et ma valeur oisive,
Et que pour rendre encor mon devoir plus confus
Je connois ma foiblesse et je n’en rougis plus.
Sçache enfin que je donne au seul soin de luy plaire
100 Tous les soins que je dois à combattre son pere :
Depuis qu’elle est icy, pour servir ma valeur,
Je ne retrouve plus ny mon bras ny mon cœur,
Et toûjours possedé de mon amour extréme
je ne sçay rien qu’aimer auprés de ce que j’aime.

MAXIME.

105 Le fils de Marius sept fois Consul Romain,
Luy déja successeur de ce rang souverain56,
Luy le fils d’un Heros plus grand que Rome mesme
Ne sçait qu’aimer auprés de la beauté qu’il aime !
Ah, Seigneur, pensez-vous que ce soit un moyen,
110 De meriter un jour, un cœur comme le sien ?
Sauvez vostre vertu de l’indigne foiblesse,
Qui la tient abbatuë aux pieds d’une *Maistresse.
Allez forcer Sylla de suivre vostre choix ;
Faites parler pour vous cent glorieux exploits ;
115 Prenez sans plus tarder un temps si favorable,
Lorsque Telesinus se rend si redoutable,
Que Sylla mesme en tremble et demeure incertain,
S’il doit poursuivre encore ou quitter son dessein ;
Songez, que le Tyran qui voit Rome allarmée,
120 Le voulant secourir, affoiblit son armée, [p. 6]
Met la peur dans le Camp, et le met en estat
De prevenir l’assaut, et tenter un combat.
En entrant dans Preneste, et semant avec joye
Le bruit du grand secours que le Ciel vous envoye,
125 J’ay veu sur tous les fronts briller un noble espoir,
Et chacun resolu de faire son devoir.
Prenez l’occasion, qu’une prompte victoire
Vous rende vostre rang, et Rome, et vostre gloire.

MARIUS.

Maxime, tes conseils dissipent mon erreur ;
130 La vertu seule a droit de gagner un grand cœur,
Et s’il faut qu’à l’amour le mien se sacrifie,
Aymons, mais d’un amour digne de Cecilie :
Allons à nos Soldats inspirer ce beau feu.
Mais je voy Cecilie, attend encor un peu ;
135 Je ne puis sans son ordre, à moins de luy déplaire,
Former quelque entreprise, et combatre son pere.

SCENE II. §

MARIUS. CECILIE. MAXIME. SABINE.

CECILIE.

Ce qu’annonce Maxime est une verité
Seigneur, advoüez-vous ce secours tant vanté,
Que contre Rome mesme un traistre vous envoye ?
140 En avez-vous receu la nouvelle avec joye ?
Un Romain, un Consul appelle l’Etranger,
Et met Rome en peril afin de se vanger ?
Le Samnite est tout prest d’en faire sa conqueste...

MARIUS.

Ostez, Madame, ostez l’obstacle qui m’arreste ; [p. 7]
145 Que Sylla se retire, et ne retienne pas
Dans ces murs assiegez tant de vaillans Soldats,
Et vous verrez alors, si ma propre vengeance
M’a fait de nos voisins mandier l’assistance.
C’est me traiter, Madame, avec trop de rigueur :
150 Ce reproche cruel acheve mon malheur,
Et c’est trop d’accuser un *Amant miserable
D’estre envers Rome et vous infidele et coupable.
N’accusez que Sylla ; loin de la secourir,
Il met toute sa gloire à me faire perir :
155 Il se fait plus d’honneur de la perte d’un homme,
Un soin plus important que du salut de Rome,
Et me croit plus funeste à mon pays natal,
Que la fureur du Cimbre57, et celle d’Hannibal58.
Pardonnez si forcé d’accuser vostre pere...

CECILIE.

160 Non, quoy que de mon sang la gloire me soit chere,
Je ne puis excuser cet étrange *courroux,
Qui de tant d’ennemis ne veut perdre que vous.
Mais puisque ma prison fait toute sa colere,
Ostez ce grand pretexte à la fureur d’un pere.

MARIUS.

165 Dure, dure à jamais la guerre et son *courroux59,
Si cette paix me couste et mon amour et vous.

CECILIE.

Advoüez donc, Seigneur, qu’en faveur de sa race
La fureur de Sylla merite quelque grace,
Quand pour me delivrer il se croit tout permis,
170 Et semble pour vous perdre exposer son pays.
Il croit que des Romains la grande destinée
S’il la neglige un jour, n’est pas abandonnée :
Que Rome en elle mesme ayant assez d’appuy, [p. 8]
Pour vaincre ses voisins n’a pas besoin de luy,
175 Et qu’il doit, en forçant Preneste vostre azile,
En faire le tombeau de la guerre civile.
Peut-estre qu’il se flate, et que Rome aux abois
Malgré ce grand espoir vous presse par ma vois.
Ecoutez-la, Seigneur.

MARIUS.

Je l’écoute, Madame ;
180 Mais m’écouterez-vous en faveur de ma *flâme ?
Si je livre à Sylla Preneste et nos Soldats,
Si mon cœur se trahit, ne le trahissez pas.
Rome appelle Sylla, je suis prest à le suivre ;
Mais sans vous je ne veux ny la servir ny vivre.
185 Peut estre en luy cedant ce peu que j’ay d’espoir,
Je me sers, je sers Rome et je fais mon devoir ;
Mais las60 si je vous perds apres l’avoir servie,
Qu’ay-je affaire sans vous de Rome et de la vie ?

CECILIE.

On ne peut trop payer ce que vous luy cedez :
190 Mais vous puis-je donner ce que vous demandez ?
Ne suis-je pas toûjours au pouvoir de mon pere ?

MARIUS.

Helas ! ne craignez pas qu’un espoir temeraire
Sur le pouvoir d’un pere attente injustement,
Je sçay trop ce qu’il doit à son ressentiment ;
195 Fils de son ennemy, j’ay tort d’aimer sa fille61 ;
Tout mon sang fut toûjours l’horreur de sa famille,
Mais si mon mauvais sort m’arrache à tant d’*apas,
A toute sa rigueur ne m’abandonnez pas ;
Prestez à mon amour une foible esperance
200 Un seul mot, ou du moins cét aimable silence,
Ou la foible pitié se laissant entrevoir
Aux fureurs d’un *Amant mesle un rayon d’espoir. [p. 9]

CECILIE.

N’exigez vous, Seigneur, du cœur d’une Romaine
Que ces amusemens d’une esperance vaine ?
205 L’illustre Marius s’en veut-il contenter ?
Non, non, et j’advoüeray sans vouloir le flater,
Que de tout ce qu’il vaut j’en suis persuadée ;
Que j’ay de sa vertu la plus sublime idée ;
Qu’il me souvient encor des soins de vostre amour ;
210 Que dans Rome autrefois il m’a sauvé le jour62,
Quand le retour sanglant du Consul vostre pere,
Vangea par mille morts une longue misere63,
Et qu’ainsi je vous doy la plus fidele ardeur,
Si le Ciel me laissoit disposer de mon cœur.

MARIUS.

215 Ce cœur qui fut le don d’une main immortelle
Est libre, souverain, indépendant comme elle ;
Et s’il n’est pas de mesme au reste des humains,
Ce privilege est seur pour les cœurs des Romains
Ne m’opposez donc plus l’authorité d’un pere ;
220 Ou bien si c’est luy seul qui doit m’estre contraire,
Souffrez qu’une victoire authorisant mon *feu
Luy demande ou plustost arrache son adveu.

CECILIE.

Voulez vous recourir à ce remede extréme ?
Deussiez-vous au peril de Rome et de vous-mesme
225 Le vaincre et le forcer d’advoüer vostre ardeur,
Cét adveu suffit-il pour obtenir mon cœur ?

MARIUS.

Quoy, j’aurois son adveu sans obtenir le vostre ?
Me hayssez-vous tant ? est-ce moy pour un autre64 ?
Vous vous troublez, Madame. Helas ! quand je vous croy
230 Aussi fiere pour tous que vous l’estes pour moy,
Quand de tout mon pouvoir je fais hommage au vostre, [p. 10]
Peut-estre mon vainqueur en reconnoist un autre,
Et mes respects en vain combattent sa rigueur,
Quand ils ont à combattre un Rival dans son cœur.

CECILIE.

235 Quoy, si je n’aime ailleurs, faut-il que je vous aime ?

MARIUS.

Pardonnez ce desordre à mon amour extréme.
Oüy, Madame, je croy qu’un cœur qui n’aime rien
Tient mal contre un amour aussi grand que le mien.
Mais c’est trop contester, je le voy bien, Madame,
240 Il faut chercher ailleurs le secours de ma *flâme.
Fille d’un ennemy qui fait tous mes malheurs,
Vous bravez comme luy mes soûpirs et mes pleurs.
En deusse-je perir, pour avoir ce que j’ayme,
Il faut vous arracher à vostre pere mesme,
245 Et le fer à la main forcer sa dureté
A me rendre l’espoir que vous m’avez osté.

CECILIE l’arrestant.

Où courrez-vous, Seigneur ? Helas qu’allez-vous faire ?

MARIUS.

Vaincre ou perir.

CECILIE.

Songez qu’il faut vaincre mon pere.

MARIUS.

Vous voulez donc ainsi, *cruelle, m’arrester ;
250 Vous sçavez que ce nom se fera respecter ;
Que dans mon ennemy j’aymeray vostre pere :
Vous sçavez que ces pleurs charmeront ma colere,
Ces pleurs qu’à vostre sang vous donnez aujourd’huy,
Et qui peut-estre helas, ne sont pas tous pour luy. [ 11]
255 Peut-estre qu’un Rival partage vos allarmes,
Moy seul je suis privé de l’honneur de vos larmes :
Mais quel que soit l’objet de ces tendres douleurs
*Cruelle, servez-vous du pouvoir de vos pleurs.
Oüy, Madame, pour vous je renonce à ma gloire,
260 Je renonce à l’espoir d’une illustre victoire,
Je me rends à Sylla, je me livre à ses coups,
Et je me rends indigne et de Rome et de vous,
Qu’on ouvre à l’ennemy les portes de Preneste.

CECILIE.

Ah ! je n’exige pas un respect si funeste,
265 Je n’ay garde, Seigneur, d’abuser du pouvoir
Que me donne sur vous un amour sans espoir.

MARIUS.

Que voulez-vous enfin, Madame, que je fasse,
Je n’obtiens de vous ny supplice ny grace ?

CECILIE.

Je voudrois pour regler l’espoir de ce grand jour,
270 Que vous voulussiez croire un peu moins vostre amour.

MARIUS.

Non, c’est le seul amour, c’est luy que je veux croire :
Je prise peu sans vous le jour et la victoire,
Et puisque c’est un bien qu’un Rival peut m’oster,
Je m’en vay le chercher pour le luy disputer.
275 Ces pleurs coulent encor pour punir ma colere.
Est-ce pour les perils d’un *Amant ou d’un pere ?
Ne craignez rien pour eux ; des jours si precieus
Et qui vous sont si chers, le sont trop à nos Dieux,
Et si vous vous plaignez du *bon-heur de mes armes,
280 Vous aurez tout mon sang pour le prix de vos larmes.
[p. 12]

SCENE II. §

CECILIE. SABINE. MARCELLE.

MARCELLE.

Ce malheureux *Amant, que vous traitez si mal,
N’a t-il point deviné, quand il croit qu’un Rival
Luy dérobe aujourd’huy toute son esperance ?

CECILIE.

Je veux bien à vous deux en faire confidence :
285 Je sçay que vostre cœur est fidele et discret,
Et que je puis sans peur vous confier mon secret.
Sçachez donc qu’un Rival plus heureux dans mon ame,
Plus fort que Marius triomphe de sa *flame :
Mais parmy deux *Amans qui disputoient mon cœur,
290 Pourrez-vous toutes deux advoüer mon vainqueur ?
Puisqu’enfin j’ay choisi, soit raison ou caprice,
Songez, si je l’ay pû, sans faire une injustice.
Un pareil entretien est fort peu de saison,
Mais mon cœur de son choix vous veut rendre raison,
295 Et se justifier, d’une rigueur extréme,
Qui combat Marius pour servir ce que j’aime.
Marius, fils d’un pere, en qui la cruauté
Avec un sang trop bas soüilla la dignité, [p. 13]
Ayant sçeu surpasser la gloire de son pere
300 S’est fait une vertu, qui n’a rien de severe ;
Jamais il n’a soüillé cét air auguste et doux,
Par quelque emportement d’orgueil et de *courroux :
Rome tient de luy seul toute la politesse,
Que le reste du monde envioit à la Grece65.
305 Quand il s’agit d’aimer, toute Rome aujourd’huy
Ne sçauroit luy fournir un *Amant comme luy :
Il a pour exprimer ce qu’il sent, ce qu’il pense
De la bouche et des yeux la plus tendre éloquence.
Si l’on voit à la guerre au milieu des combats
310 La terreur et la mort accompagner ses pas,
Si Mars luy tient toûjours ses palmes toutes prestes,
En amour, l’amour même a soin de ses conquestes ;
Il conduit tous ses pas, et preste à ses desirs,
Les charmes les plus doux, les graces, les plaisirs,
315 Les jeux les plus galans, la pompe des spectacles,
Les prodiges de l’art, le secours des miracles,
Et parmy des objets si pompeux et si doux,
Luy-mesme est le plus grand et le plus beau de tous.
Mais aussi parmy nous tu sçais comme on le nomme,
320 Tu sçais que Marius paroist aux yeux de Rome
Un Heros dans la Paix comme dans les *hazars,
Dans l’un fils de Venus, dans l’autre fils de Mars66.

SABINE.

C’est là de Marius l’image veritable ;
Mais en trouverez-vous qui luy soit comparable ?
325 Est-il quelque Romain qui luy put estre égal ?

CECILIE.

[p. 14]
Avant que d’en juger connois mieux son Rival.
Pour t’en faire un portrait juste et qui luy ressemble,
Mets la gloire elle-mesme et la grandeur ensemble,
Figure toy, Sabine, au destin élevé,
330 Un cœur grand, en un mot, un Heros achevé.
Regarde le marcher sur les brillantes traces
Sur les pas triomphans, des Metelles67, des Crasses68,
Des Pauls Emiliens69, des fameux Scipions70,
Et rassemble en un seul l’éclat de ces grands noms.
335 Ne cherche point en luy l’amoureuse tendresse,
Que j’aime en Marius et qu’il nomme foiblesse :
La gloire toute seule attache ses desirs,
Et si son cœur pour moy pousse quelque souspirs,
Il croit que Cecilie est entre les Romaines,
340 Ce qu’est Sylla mon pere entre nos Capitaines,
Et que tout grand qu’il est, sans ma possession
Il manque quelque chose à son ambition.

SABINE.

A ces traits, dont je voy que vostre ame est frapée,
Il n’est pas mal-aisé de connoistre Pompée :
345 Mais dans ce grand Heros où brillent tant d’*appas,
Tout manque selon moy, quand l’amour n’en est pas.

CECILIE.

Ah ! que tu connois mal le goust des grandes ames.
Cette façon d’aimer produit bien d’autres *flames.
Quand un illustre *Amant se fait de nostre cœur
350 Un secours à sa gloire, une aide à sa grandeur,
L’amour propre éblouy d’une si haute estime [p. 15]
Se flate et s’applaudit d’un merite sublime,
Et nous fait bien sentir qu’aux grands cœurs comme nous
Le plaisir de la gloire est le plus grand de tous.

SABINE.

355 Ainsi cet autre *Amant si charmant et si tendre...

CECILIE.

Ah ! Sabine, il n’est pas aisé de s’en defendre,
Et de quelques honneurs, dont un cœur soit jaloux,
Estre aymé tendrement est un plaisir bien doux :
Mais contre Marius le *courroux de mon pere
360 Laissoit-il quelque espoir à ce choix temeraire ?
Les plus tendres amours avec tous leurs *appas
Allument peu de *flame où l’espoir ne luit pas ;
C’est à ses doux rayons que mes *feux s’allumerent ;
C’est pour le plus heureux que mes vœux se formerent,
365 Et mon cœur à Pompée estoit mal asseuré,
Si pour son cher Rival mon cœur eut esperé.

SABINE.

Mais Sylla voudra-t’il que choisissant vous-mesme...

CECILIE.

Non, non, c’est par son choix que Sylla veut que j’aime.
L’espoir de mon hymen flate ses courtisans,
370 Et luy fait tous les jours de nouveaux partisans.
Esclave malgré moy de cette politique
Mon cœur aime en secret, sans que mon *feu s’explique,
Et se cache à Pompée avec tant de rigueur,
Qu’il m’en pourra couster la perte de son cœur.
375 Mais pourquoy s’amuser à d’inutiles plaintes, [p. 16]
Pour cacher à mon cœur ses veritables craintes ?
Peut-estre Marius attaque en ce moment,
Peut-estre il fait perir mon pere ou mon *Amant :
Peut-estre que luy-mesme expire sous leurs armes.
380 L’un et l’autre demande et mon cœur et mes larmes,
L’un brigue ma pitié quand l’autre a mon amour,
L’un m’a fait souvenir qu’il m’a sauvé le jour ;
Mais si je dois la vie à son amour extréme,
Qu’est-ce enfin que la vie en perdant ce qu’on aime ?
385 Pardonnez-moy, grands Dieux, le trouble de mon cœur,
Mon pere devroit seul occuper ma douleur.
Va du haut de la tour, va voir ce qui se passe,
Va voir, Marcelle, à qui le sort veut faire grace,
Tandis que dans mon cœur mon pere et deux *Amans
390 Semblent se disputer mes tendres sentimens.
[p. 17]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

CECILIE. MAXIME. SABINE.

CECILIE.

maxime71, je sçay tout ; cent messagers fideles
N’ont que trop annoncé ces funestes nouvelles.
Marius a vaincu ; mais apres ce *bon-heur
Il devoit pour le moins respecter ma douleur.
395 Tu viens donc de sa part me vanter sa victoire,
Tu viens me reprocher nostre honte et sa gloire ;
Retracer à mes yeux le spectacle inhumain
Du Romain tout sanglant du meurtre du Romain.

MAXIME.

Non, Madame, et je viens seulement pour vous dire,
400 Que parmy tant de morts vostre pere respire,
Qu’estant à mesme temps et défait et vainqueur...

CECILIE.

Est-ce ainsi que tu viens consoler ma douleur ?
Dy moy, dy moy plustost par quel honteux caprice, [p. 18]
Le sort traite mon pere avec tant d’injustice,
405 Un Camp victorieux formé de Legions,
Qui furent la terreur de tant de Nations72,
Cede à de vils Soldats ramassez dans Preneste ?

MAXIME.

N’imputez point au sort un succez si funeste.
Si nostre jeune Maistre a du moins une fois
410 Vaincu le grand Sylla, vainqueur de tant de Rois,
Si son bras a forcé d’invincibles obstacles
L’amour au desespoir a fait tous ces miracles73.
Admirez cét amour. Plein d’un soupçon jalous,
Qui se fait un Rival qu’il croit aimé de vous,
415 Il demande par tout l’*Amant de Cecilie,
Le cherche dans le Camp, le brave, le défie,
Et n’en voyant aucun qui s’ose presenter,
Il se voit seur de vaincre et de vous meriter.
Mais apprenez aussi malgré tant de colere,
420 Ce que ce mesme amour a fait pour vostre pere.
Sylla voyant les siens *étonnez ou vaincus
Ou combattre en desordre ou ne resister plus,
Court avec tant d’ardeur, pour porter sa presence
Aux lieux où le besoin appelle sa vaillance,
425 Que son cheval s’abbat, et pour dernier malheur
Luy-mesme à mesme temps tombe aux pieds du vainqueur74.
Je voy d’abord cent bras se lever sur sa teste :
Mais d’un ton menaçant Marius les arreste,
Et relevant Sylla, rends grace à mon amour,
430 Luy dit-il, c’est luy seul qui t’a sauvé le jour75.
Le fier Sylla honteux de luy devoir la vie
Des mains de Marius s’arrache avec *furie.
Marius, qui le veut vaincre sans le fraper,
Par crainte ou par respect tâche à l’enveloper, [p. 19]
435 Quand un gros d’ennemis76 le joint et le dégage.
Il remonte à cheval, reprend quelque avantage,
Et si le nombre enfin n’eut lassé sa valeur,
Sa valeur indignée eut vangé son malheur :
Mais voyant par les siens son attente trompée...

CECILIE.

440 Eh ! que faisoit alors l’infidele Pompée ?
Au secours de Sylla devoit-il77 pas courir,
Et l’ingrat n’a-t-il sçeu ny vaincre ny mourir ?

MAXIME.

Ah ! Madame, épargnez l’honneur de ce grand homme,
Jugez mieux aujourd’huy du defenseur de Rome :
445 C’est contre l’étranger qu’il vous sert maintenant
Dans ses murs où Sylla l’a fait son Lieutenant78.

CECILIE. bas.

Quoy Pompée est dans Rome ! Ah la joye est extréme,
Sabine, de pouvoir excuser ce qu’on aime.

MAXIME.

Apprenez tout. Sylla qui doute dans son cœur
450 Que Sylla puisse vivre et n’estre pas vainqueur,
Ramasse ses amis dans ce débris funeste,
Et se montre si fier de l’espoir qui luy reste,
Que Marius qui craint de perdre ses lauriers,
Rappelle du combat ses plus ardens guerriers,
455 Et par cette prudente et modeste retraite
D’un ennemy qu’il aime, honore la défaite79.
Mais il vient.
[p. 20]

SCENE II. §

MARIUS. CECILIE. SABINE.

MARIUS.

Pardonnez si je montre à vos yeux
Pour un foible succez un front victorieux.
Quand je doy soupirer du *bon-heur de mes armes,
460 D’avoir à ces beaux yeux fait répandre des larmes,
Quand je devrois trembler de crainte à leur aspect,
Vous voyez quelle joye échape à mon respect.

CECILIE.

Cette joye est l’effet d’une grande victoire,
Et sied bien sur un front où brille tant de gloire.

MARIUS.

465 Non, Madame, ma joye est le fruit de la paix,
Qui va finir la guerre et remplir nos souhaits.
Sylla qui vient de prendre et donner des ostages80
Pressé par d’autres soins, cede à nos avantages.
Bien plus ses Deputez81 ont des ordres secrets
470 De sacrifier tout aux communs interests,
De ne rien ménager pour voir la paix concluë,
Les Romains reünis, et Rome secouruë.
Mais ce n’est pas assez, ce que j’attens de vous
Me livre tout entier à des transports si dous.
475 Pardonnez cette erreur à l’orgueil de ma *flâme :
Je sens un doux espoir s’élever en mon ame,
Quand cherchant dans le Camp l’objet de ma fureur
Ce Rival trop heureux, qui m’oste vostre cœur,
Nul ne s’est presenté digne de tant de gloire,
480 Nul n’a presque un moment balancé la victoire, [p. 21]
Et qu’ainsi mon amour se promet d’emporter
Un cœur que mon Rival ne sçauroit meriter.
C’est dequoy s’applaudit un *Amant miserable,
Qui pour se faire un sort un peu plus favorable,
485 Tâche de s’épargner les tourmens d’un jalous,
Et croit n’avoir plus rien à combatre que vous.
Voila toute ma joye.

CECILIE.

Ainsi vous osez croire,
Que j’ay pû faire un choix, qui fait tort à ma gloire :
Vous pouviez m’épargner un si cruel affront,
490 Et voyant un succés trop facile et trop prompt,
Vous deviez presumer qu’en ce malheur extréme
Il n’est dans tout le Camp aucun Romain que j’aime,
Et que si quelque *Amant pour moy s’estoit armé
Peut-estre il eut vaincu, si je l’avois aimé.
495 Ne croirez-vous jamais, Seigneur, que vostre *flâme ?
Sera-t-elle toûjours Maistresse de vostre ame ?
Par ses mauvais conseils nous verrons nous toûjours
Sans espoir de la paix, et Rome sans secours ?
Peut-on entre deux cœurs tout bruslans de vengeance
500 Entre vous et Sylla fonder quelque alliance,
De l’amour, de la paix le plus sacré lien,
Peut-il jamais unir vostre sang et le mien ?

MARIUS.

Ah ! ne m’opposez plus la haine de nos peres :
Vos secretes raisons me sont bien plus contraires,
505 Et je ne puis enfin perdre un si doux espoir,
Si vous ne vous servez de tout vostre pouvoir. [p. 22]
La paix comme mon cœur est en vostre puissance
Vous pouvez l’obtenir de mon obeïssance ;
Mais si vous m’en laissez disposer en ce jour,
510 Je ne la donneray jamais qu’à mon amour.
Ce n’est pas, puisqu’il faut enfin que je m’explique,
Et mesle à mon amour un peu de politique,
Que pour ce grand hymen je manque de raisons.
Une haine immortelle entre nos deux *maisons
515 La *fierté de Sylla qui peut tout entreprendre,
Me defendent la paix, si je ne suis son gendre.
Mais ces precautions sont bien peu de saison,
Quand je veux que l’amour soit toute ma raison.

CECILIE.

Ces ombrages, Seigneur, contre une paix sincere
520 Se doivent dissiper sur la foy de mon pere.
Si ce n’est pas assez, venez-vous pas Seigneur,
De luy sauver la vie en *genereux vainqueur ?

MARIUS.

Avec ces seuretez n’ay-je plus rien à craindre ?
La fureur de Sylla se doit-elle contraindre ?
525 A moins d’un sacré nœud plus fort que son *courrous,
Dois-je m’en asseurer, et m’en reprendrez vous ?
Dois-je vous immoler tous les soins de ma vie ?
Aymez-vous mon Rival avec tant de *furie ?
Pardonnez si ce mot échape à ma douleur,
530 Vostre pere me traite avec moins de rigueur :
Pour le prix de la paix vous ayant demandée,
Le superbe Sylla vous a presque accordée,
A presque en ma faveur oublié sa fierté,
Et vous avez repris l’orgueil qu’il a quité,
535 Oüy vous qui contre moy me vantiez sa puissance
Vous m’ostez malgré luy cette foible esperance,
Au moins laissez parler ceux qui traitent l’accord : [p. 23]
Attendant un moment, qui va regler mon sort,
Permettez que j’espere, ou du moins que je doute.
540 Helas ! ce n’est pas trop de vouloir qu’il en couste
A ce cœur qui me hait la peine seulement,
De cacher à mes yeux vostre haine un moment.

CECILIE.

Ah ! je ne vous hay point82 : mais quand je voy mon pere
Vous flater foiblement d’un bien imaginaire,
545 Je trouve plus cruel cet espoir d’un faux bien,
Que le tourment d’un cœur, qui n’espere plus rien.
Sylla verroit plustost Rome sans assistance...
Mais quelqu’un vient icy, c’est Pison qui s’avance.

SCENE III. §

MARIUS. CECILIE. PISON. MAXIME. SABINE.

MARIUS.

He bien Pison. Sylla nous donne-t’il la paix ?

PISON.

550 Sylla rend aujourd’huy tous vos vœux satisfaits :
Nul accord n’a jamais avec si peu de peine
Ny dans si peu de temps étouffé tant de haine,
Et pour vous en donner le gage le plus doux,
En faveur de la paix Cecilie est à vous.

MARIUS.

555 Cecilie est à moy, faut-il que je le croye ?
Mon amour pourras-tu supporter tant de joye ? [p. 24]
Dieux, donnez-m’en la force. Est-ce trop se flater
De croire cette paix, et d’oser l’accepter ?

PISON.

Si vous y consentez, Sylla viendra luy-mesme...

MARIUS.

560 Ah je consens à tout pour avoir ce que j’aime.
Retournez à Sylla, dites-luy qu’aujourd’huy
Il me fait partager sa *fortune avec luy,
Que comme sa grandeur ma gloire est sans seconde,
Et qu’il jouysse en paix de l’Empire du monde.

CECILIE. bas.

565 Quoy jusques-là mon pere abbaisse sa fierté,
Sabine ?

MARIUS.

N’est-ce point une temerité
Madame d’accepter des mains de vostre pere
Un present que vous seule avez droit de me faire ?
Ne voy je pas déja cét air triste et confus
570 Cette sombre fierté m’expliquer vos refus ?
Pardonnez si ce cœur vient de faire parestre
Des transports, dont un cœur n’est pas toûjours le maistre.
Reçoit-on autrement l’offre d’un si grand bien ?
Un rayon d’esperance à qui n’espere rien
575 Peut produire une joye aveugle et temeraire :
J’en suis assez puny quand vous m’estes contraire,
Et rien n’est si cruel, quand on voit tant d’*appas,
Qu’un espoir qui nous charme, et qui ne vous plaist pas.

CECILIE.

Je ne le puis nier, vous voyez ma surprise.
580 Quoy qu’aux ordres d’un pere entierement soûmise,
Je dois vous advoüer, que j’ay quelque douleur [p. 25]
Que tout autre que moy dispose de mon cœur :
Quand je vous renvoyois au pouvoir de mon pere
Pour ne pas me montrer à vos vœux trop contraire,
585 J’ay crû que son pouvoir consultant son *courrous
Sans le secours du mien me sauveroit de vous.
Mais enfin je voy bien que sa vertu l’emporte,
Que sa haine se rend, que Rome est la plus forte.
Puisque donc je ne puis83 m’empescher d’obeyr,
590 Vostre amour voudra-t’il luy-mesme se trahir ?
Voudra-t’il me devoir à mon obeyssance ?
Car enfin il est temps de rompre le silence.
Oüy, Seigneur, j’ayme ailleurs, et c’estoit justement
Que vous me soupçonniez d’aimer un autre *Amant.
595 C’est ce secret amour qui combatoit le vostre,
Et puisqu’enfin le Ciel fit ce cœur pour un autre,
Vous pourrez vous resoudre à vouloir malgré luy...

MARIUS.

*Cruelle en me montrant ce cœur aux mains d’autruy
Par ce fatal adveu vous voulez vous dédire,
600 Couvrir vostre revolte, et m’y faire souscrire ;
C’est contre nos traitez vostre dernier secours.

CECILIE.

Non m’en deust-il couster le repos de mes jours.
Je suis à vous, Seigneur par un ordre suprême ;
Je doy tout à mon pere, à l’Estat, à vous-mesme,
605 Et si mon feu secret échape à ma pudeur,
Je devois ce secours aux troubles de mon cœur.
Mais puisque vostre amour veut ce grand sacrifice,
Sans rien examiner il faut que j’obeysse.
Ce devoir est cruel, violent, inhumain ; [p. 26]
610 Mais on entreprend tout avec un cœur Romain.

MARIUS.

Hé pourquoy serez-vous victime volontaire
D’un vainqueur tout à vous et des ordres d’un pere ?
Pourquoy vous imposer ce devoir inhumain ?
Que ne resistez-vous avec ce cœur Romain ?
615 Que ne vous faites-vous, sans peur de leur déplaire,
Un cœur indépendant, et de Rome et d’un pere ?
Que n’armez-vous l’amour avec tout son pouvoir,
Cét amour plus puissant que tout autre devoir ?
Peut-estre en vous voyant à ce Rival qu’on aime
620 Immoler fierement la paix et Rome mesme,
Peut-estre alors, Madame, à ce cœur revolté
Je pourrois opposer une égale fierté.
Mais las ! vous sçavez bien que vostre obeyssance
Forceroit doucement toute ma resistance,
625 Helas ! vous sçavez bien que qui sçait bien aimer
A de pareils efforts se laisse desarmer ;
Qu’estant le seul objet que mon amour contemple,
Je me dois faire honneur de suivre vostre exemple,
Et qu’enfin pour vous plaire, et se vaincre à son tour,
630 L’amour mesme sçauroit triompher de l’amour.

CECILIE.

Ah ! Seigneur, jugez mieux de cette déferance
Que je dois toute entiere à mon obeyssance.
Quoy que souffre ce cœur qu’on force à se trahir,
Je n’ay d’autre dessein que celuy d’obeïr.
635 Vous sçavez ce que c’est que le pouvoir d’un pere ;
Et puisque ce devoir vous semble trop severe,
Rendez-le, s’il se peut plus facile et plus doux ; [p. 27]
Gardez tout vostre amour quand je me donne à vous,
Et bien loin de combatre une *flâme si belle,
640 Conservez-moy ce cœur toûjours tendre et fidelle :
Que je me puisse dire, en voyant tant d’ardeur
Marius m’aime trop pour n’avoir pas mon cœur,
Et si d’un autre *Amant mon ame fut charmée,
Je l’aime trop peut-estre, et j’en suis moins aimée.
645 C’est ainsi que je puis me consoler un peu
Du malheur de ma *flàme auprés d’un si beau *feu,
Et répondre à mon cœur en acceptant le vostre,
Qu’il seroit trop heureux, s’il n’en aimoit un autre.

MARIUS.

Voyant tout mon amour, vous pouvez presumer
650 Que ce n’est pas mon cœur qui se defend d’aimer.
Quand il combat pour vous une tendresse extréme,
C’est alors seulement qu’il est vray qu’il vous aime :
Car enfin est-ce aimer de vouloir ces *appas
Et d’accepter un cœur qui ne se donne pas ?
655 Que mon sort est étrange, et que je suis à plaindre !
A l’offre qu’on me fait je voulois vous contraindre,
Mon amour ne pouvant vous obtenir de vous,
J’ay suivy les transports d’un desespoir jalous,
J’ay cherché mon Rival, j’ay defendu Preneste,
660 J’ay mis Rome en peril, et vous sçavez le reste ;
J’ay vaincu Sylla mesme, et fléchy son *courroux,
J’ay fait tout ces efforts pour vous et contre vous.
Cependant, quand Sylla m’offre tout ce que j’aime,
Quand je voy son present advoüé de luy mesme [p. 28]
665 Tout tremblant de respect, mon cœur n’ose abuser
D’un genereux adveu qui pourroit m’excuser.
L’ordre de vostre pere et toute sa puissance
Doivent-ils m’arracher à mon obeïssance ?
S’il est vostre tyran, dois-je l’estre à mon tour ?
670 Et s’il est sans pitié, dois-je estre sans amour ?
Voy Sylla de ma part Maxime, et va luy dire
Que je souscris sans peine à la paix qu’il desire ;
Que de l’honneur qu’il m’offre estant trop satisfait,
Je doy pour m’aquiter luy rendre son bien-fait ;
675 Que puisqu’en ma faveur il s’est vaincu luy-mesme
Je dois en sa faveur vaincre un amour extréme.
Dy luy que quand je vois l’effort qu’il fait pour moy
Pour toute seureté je ne veux que sa foy ;
Que je livre en ses mains moy, mes troupes, Preneste,
680 Rang, dignité, puissance, et tout ce qui me reste,
Et que pour servir Rome, et vanger son malheur
Mon cœur brusle d’aller seconder sa valeur.

CECILIE.

Non, non Maxime arreste, et connois mieux mon pere :
Garde-toy contre moy d’allumer sa colere,
685 Il pourroit soupçonner que son ordre est trahy,
Et que mon cœur rebelle auroit mal obey ;
Il croiroit qu’abusant de ce pouvoir suprême
Qu’un *genereux *Amant me donne sur luy-mesme,
Je m’oppose à son ordre, et suis un autre choix.
690 Va, dy-luy que je veux me soûmettre à ses loix ;
Sur tout ce qu’il a dit, garde un profond silence.
Mais répons à Sylla de mon obeyssance, [p. 29]
Et dis-luy que mon cœur asseuré de sa foy
Luy répond de ton Maistre aussi bien que de moy.
MAXIME sort.

MARIUS.

695 Quoy vous obeyrez

CECILIE.

Oüy , Seigneur.

MARIUS.

Ah  ! Madame.
Sçavez-vous quels tourmens se prepare vostre ame ?
Madame sçavez-vous qu’on a veu plus d’un cœur
Pour de pareils efforts expirer de douleur ?
Ah ! si vous ignorez les maux qu’il vous faut craindre,
700 Ou si vous le sçavez sans vouloir vous en plaindre,
Si par pitié pour moy, vous devorez vos pleurs,
En sentiray-je moins vos secretes douleurs ?
Toûjours auprés de vous, vous verray-je sans cesse
Par mille horreurs pour moy vanger vostre tendresse
705 Tourner ailleurs vos vœux quand j’auray vostre foy,
Et pousser des soupirs qui ne sont pas pour moy ?
Quand un cruel devoir me livre tous vos charmes
Mon Rival en secret aura toutes vos larmes,
Aura ce que le cœur peut donner de plus doux,
710 Et tout ce qui dépend de l’amour et de vous.

CECILIE.

Seigneur ne craignez rien d’une juste tendresse
Dont la raison toujours doit estre la maistresse.
D’un *feu qui vous déplaist ne vous laissant rien voir,
Vous prendrez pour amour les soins de mon devoir, [p. 30]
715 Ce devoir plein de zele à l’amour si semblable
Se changera bien-tost en amour veritable :
Au moins je le souhaite, et l’on doit presumer
Que c’est aimer déja que de vouloir aimer
Ha ! Si l’amour mutuel entre les belles ames,
720 Du84 flambeau de l’hymen doit allumer les flâmes,
Pour le commun bonheur j’espere qu’à son tour
L’hymen allumera les *flâmes de l’amour.

MARIUS.

Vous l’esperez, Madame, et l’oseray-je croire ?
Ha ! si vous l’esperés, c’est assés pour ma gloire.
725 C’est assez si je puis plein d’un espoir si doux
Me rendre quelque jour un peu digne de vous.
Pour acquerir enfin une gloire si grande,
Ne songeons qu’au secours que Rome nous demande.
Reyne de l’univers, Rome excuse un *Amant
730 Qui t’a deu preferer un objet si charmant,
Sylla vient d’accorder mon zele et ma tendresse,
Ma *flâme et mon devoir, Rome avec ma *Maistresse :
Mais sans plus differer allons le recevoir ;
Et de sa propre bouche apprendre mon espoir.
[p. 31]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

SYLLA. MARIUS. CECILIE. SUITE.

marius.

735 des mains du grand Sylla recevoir Cecilie ?

SYLLA.

Je devrois plus encore, à qui je doy la vie,
Mais n’ayant rien, qui soit plus cher à vostre amour...

MARIUS.

Ah ! j’atteste les Dieux témoins de ce grand jour,
Qu’aprés cette faveur, qui me comble de gloire,
740 Tous nos malheurs passez sortent de ma memoire,
Et que des nœus si beaux vont former une paix,
Que la haine du sang ne troublera jamais.

SYLLA.

Ah ! de ces mesmes Dieux j’atteste la puissance,
Que rien de cét hymen ne rompra l’alliance ;
745 Que malgré nos malheurs, la paix et nos sermens
Etouffent pour jamais tous nos ressentimens85.
Permettez seulement, que cette grande Feste
Cede aux glorieux soins du combat qui s’apreste : [p. 32]
Il faut secourir Rome ; il faut qu’un prompt retour
750 Y puisse avec éclat couronner vostre amour,
Et qu’un hymen pompeux remplisse vostre attente
Aux yeux de toute Rome et libre et triomphante.

MARIUS.

Rome est-elle Seigneur en un si grand danger,
Qu’il faille...

SYLLA.

Ce secours ne se peut negliger.
755 Entre Preneste et Rome il est si peu d’espace86,
Qu’on peut à tout moment sçavoir ce qui s’y passe.
J’ay donc sçeu que Pompée instruit de nostre accord,
Veut contre l’ennemy faire un dernier effort.
Menons à son secours mon armée et la vostre,
760 Et sous vostre pouvoir unissons l’une et l’autre87.

MARIUS.

C’est à vous qu’appartient tout le commandement.

SYLLA.

Vous rendez cét honneur à l’âge seulement.

MARIUS.

Oüy, lorsque, comme vous on conte88 ses années
Par de fameux combats, et d’illustres journées89.

SYLLA.

765 Nous pourrons partager nos soins et nos emplois.

MARIUS.

La victoire par tout a suivy vos exploits,
Et ce dernier succés que la *fortune lasse,
Vous oste par caprice, et me donne par grace,
Vous laisse tout entier le grand nom de vainqueur,
770 Avec tout son pouvoir, et toute sa splendeur.
Je vay donc commencer par mon obeyssance, [p. 33]
A reconnoistre en vous la supréme puissance
Y soûmettre la mienne, et sans plus differer,
Sous vos ordres, Seigneur, je vay tout preparer.

SCENE II. §

SYLLA. CECILIE. PISON.

SYLLA. bas.

775 Comprens-tu bien l’effort que je viens de me faire,
*Fortune, en contraignant ma haine et ma colere :
Je ne puis oublier ce que tu fis pour moy,
Mais tu m’ostes enfin plus que je ne le doy,
Et si de tes faveurs je tiens quelque avantage,
780 Tu pers tous tes bien-faits par ce dernier outrage.
Ah  ! ma fille, à travers toute ta fermeté,
Je connois de quels soins ton cœur est agité :
Quand je te donne au fils d’un mortel adversaire,
Tu fremis dans ton cœur des ordres de ton pere.

CECILIE.

785 Le jeune Marius ne tient rien de son sang
Que la splendeur du nom et la gloire du rang.

SYLLA.

Que ne te dis-je point pour cette déference ?
Mais pour voir tout le prix de ton obeyssance,
Sçache que Marius t’obtiendra malgré moy,
790 Quand Pompée, à qui seul j’avois voüé ta foy...

CECILIE.

[p. 34]
C’est donc Pompée à qui vous m’aviez destinée.

SYLLA.

Oüy, je te le destinois à ce grand hymenée90.
Tu soûpires, ma fille.

CECILIE.

Oüy, je soûpire, helas !
Puis-je l’aimer, le perdre, et n’en soûpirer pas ?
795 Pardonnez cét adveu, ma faute est excusable,
Si j’aimay sans vostre ordre un Heros trop aimable :
Je le puis advoüer ; quand pour mon châtiment
L’injustice du sort m’oste un si digne *Amant.

SYLLA.

Ah ! qu’il nous couste cher d’affermir ta puissance.
800 Rome ! il faut t’immoler sa *flâme et ma vengeance,
Et nous devons tous deux, de peur de te trahir,
Perdre la liberté d’aimer et de haïr.
Tâche par mon exemple à te vaincre toy-mesme :
C’est un puissant effort de perdre ce qu’on aime,
805 Mais au rang où je suis91 dompter tout son *courrous,
Triompher de sa haine est le plus grand de tous.

CECILIE.

Ce qu’a fait Marius en vous cedant Preneste,
Aprés une victoire à Rome si funeste,
Vaut bien qu’en sa faveur nous fassions quelque effort :
810 Encore ay-je un peu moins à me plaindre du sort :
Si c’est un mal de voir ma tendresse trompée,
S’il m’eut esté plus doux de vivre avec Pompée,
Du moins en Marius je rencontre un épous,
Digne de Cecilie, et de Rome et de vous.
[p. 35]

SCENE III. §

SYLLA. CECILIE. OCTAVE.

OCTAVE.

815 Seigneur. Pompée arrive, et le bruit de sa gloire
Déja de toutes parts annonce sa victoire92 ;
Cent Messagers *hastez de nous faire sçavoir...

SYLLA.

O succés surprenant ? qu’on l’aille recevoir,
Que l’on n’épargne rien pour rendre à ce grand home,
820 Quelque essay des honneurs qu’il recevra dans Rome.
Ma fille, quel bon-heur ! mais quel ennuy secret
M’a fait voir que ton cœur ne l’apprend qu’à regret ?

CECILIE.

Quand je perdois Pompée avant cette victoire,
Marius consoloit mon amour et ma gloire ;
825 Mais, Seigneur, je ne puis sans un peu de douleur
Apprendre la victoire, et perdre le vainqueur.

SYLLA.

Va, tu ne perdras rien ; nous n’avons rien à craindre,
Ma fille, nous pouvons cesser de nous contraindre.
Ce glorieux succés va dégager ma foy,
830 Et me rend la douceur de disposer de toy. [p. 36]

CECILIE.

Quoy, trahir Marius, cét *Amant si fidelle ?

SYLLA.

C’en est fait, Rome est libre, et je le suis comme elle.
Toutefois pour pouvoir agir plus seurement,
Dispose Marius à ce grand changement :
835 Sans luy parler de moy ny de mon inconstance,
Dy-luy ce que ton cœur se fait de violence,
Qu’ayant un autre *Amant, il est trop *genereux,
Pour vouloir malgré toy rompre de si beaux nœux,
Et luy faisant valoir une *flâme si belle,
840 Epargne-moy l’affront de paroistre infidelle.

CECILIE.

Mais s’il faut de Pompée essuyer un refus ;
Car, enfin, s’il m’aimoit, il peut ne m’aimer plus.
Quand par respect pour vous je luy cachois ma *flâme,
L’orgueil que j’affectois a passé dans son ame
845 Et peut-estre, Seigneur, qu’en le traitant si mal...

SYLLA.

Pour ne rien hazarder, ménageons son Rival.
Je veux sonder Pompée avant que je m’explique.
Toy prés de Marius cache ma politique ;
S’il faut rompre avec luy ; sauve par ces moyens
850 L’honneur de ma parole et du rang que je tiens.
Comme enfin Marius doit ceder à Pompée,
Fais qu’on t’impute tout, si sa *flâme est trompée.

CECILIE.

Vous voulez donc, Seigneur, qu’en luy manquant de foy,
La honte du forfait tombe toute sur moy.

SYLLA.

855 Donne m’en le pretexte injuste ou legitime ; [p. 37]
C’est tout ce que je veux, je me charge du crime.

CECILIE.

Il faudra donc toûjours au gré de vos desirs,
Pousser, ou retenir, ou changer mes soûpirs.
A qui faut-il, enfin que mon cœur s’abandonne ?
860 Attendra-t’il toûjours que vostre ordre le donne ?

SYLLA.

Admire le destin et le prix de ton cœur ;
Il est né pour servir ma gloire et ma grandeur.
Remplis ce beau destin, n’aime, ne hay, n’espere,
Qu’autant qu’à ma grandeur il sera necessaire.

CECILIE.

865 Quoy, Seigneur...

SYLLA.

Laisse-nous ; fais ce que je t’ay dit.
Des soins plus importans occupent mon esprit.

SCENE IV. §

SYLLA. PISON.

SYLLA.

Fidelle compagnon des travaux d’une guerre,
Qui m’a presque asseuré l’empire de la terre,
Cher Pison, dont le zele avec tant de chaleur
870 A dans tous mes succés secondé mon *bon-heur,
C’est à tes yeux, enfin qu’il faut que je déploye
Tout l’espoir de ma haine et ma secrete joye.
Mes fureurs n’ont osé contre mon ennemy [p. 38]
Aux yeux de Cecilie éclater qu’à demy.
875 Sa vertu me fait peine, et ce n’est qu’à sa veuë
Que mon cœur veut forcer toute sa retenuë.
La *fortune, Pison, par ses derniers bien-faits,
Va briser tous les fers d’une honteuse paix,
Qui forçant mon orgueil dans le fonds de mon ame,
880 Alloit à ma maison joindre une race infame ;
Je puis l’en separer, et d’un indigne sang
Racheter par sa mort la gloire de mon rang.

PISON.

Vous perdre, Marius, qui se croit vostre gendre ?
Vous qui luy témoignez l’amitié la plus tendre ?
885 Vous, qui dans le combat sauvé par son secours...

SYLLA.

C’est ce bien-fait, qui fait l’opprobre de mes jours :
Mon cœur n’en sent que trop la honte insupportable,
Et gemit sous le poids d’un bien-fait qui l’accable.
C’est là le desespoir de mon orgueil confus,
890 De devoir quelque chose au fils de Marius
Au sang d’un si barbare et d’un si meschant home ;
J’en hay ma grandeur mesme, et j’en veux mal à Rome,
D’avoir forcé ma haine à des remercimens,
Et changé mes fureurs en des embrassemens.
895 J’advoüeray qu’autrefois mon ame ambitieuse
Par une complaisance et superbe et flateuse,
Commença ma *fortune, et la sçeut achever ;
Je m’abaissois alors afin de m’élever ;
J’oubliay sans rougir le sang qui m’a fait naistre ;
900 Voulant le devenir, je me fis plus d’un maistre ;
Je surpris la faveur des petits et des grans, [ 39]
Et marchant en secret sur les pas des Tyrans,
Par une ambitieuse et sage déferance
Je montay par degrez à la toute-puissance93.
905 Mais quand je voy qu’il faut du haut de ma grandeur
Décendre à Marius et flater son *bon-heur,
Je sens cette grandeur, heureuse indépendante,
En devenir jalouse, ingrate et violente,
Et prés d’un ennemy, je rougis, quand je voy,
910 Que son bien-fait le met un peu plus haut que moy.

PISON.

Quoy, Seigneur, sa vertu, son bien-fait vous offense.
Mais sans parler d’honneur ny de reconnoissance,
Vos sermens peuvent-ils se rompre impunément ?

SYLLA.

Les sermens arrachez nous lient foiblement.
915 Quand je jurois aux Dieux une indigne alliance,
En secret à ces Dieux je jurois ma vengeance,
Et tous ces faux sermens que j’ay fait à tes yeux,
Estoient pour les mortels, et non pas pour les Dieux.
La fortune et l’amour, quand ils font des parjures,
920 Ne font à Jupiter que de foibles injures,
Et ce Dieu que l’on fait le vangeur du serment94
Absout l’ambitieux aussi bien que l’*Amant.
Si ces sortes de crimes occupent son tonnerre,
Tout son temps se perdroit à foudroyer la terre,
925 Et consumant ses traits sur l’infidelité
Tous les autres forfaits seroient en seureté.
Ce n’est pas qu’il ne faille en déguiser le crime ; [p. 40]
En repousser la honte, et sauver son estime.
Ma fille offre un pretexte à ce manque de foy,
930 Et m’épargne l’horreur qui tomberoit sur moy.

PISON.

Si le respect des Dieux n’est pour vous que foiblesse,
Le *genereux Pompée aura-t’il la bassesse
De s’entendre avec vous pour trahir Marius ?

SYLLA.

Pompée aime la gloire, et voyant ses vertus,
935 J’ay besoin d’un peu d’art pour surprendre son ame,
Sa jeunesse95 ayant moins de clarté que de *flâme,
Se peut laisser gagner par un éclat trompeur,
Embrasser un fantôme en courant à l’honneur,
Se laisser ébloüir d’une haute esperance,
940 Et confondre la gloire avec sa ressemblance.

PISON.

Pompée a de l’esprit, autant qu’il a du cœur.

SYLLA.

Pompée aime ma fille, ou du moins sa grandeur.
La mienne indépendante, et peut estre importune,
Tient captifs malgré luy son cœur et sa *fortune.
945 Car enfin, quel qu’il soit, ambitieux, *Amant,
L’espoir de ma faveur l’attache également.
Pour le faire en aveugle entrer dans ma famille,
Et courir sans scrupule à l’hymen de ma fille,
Je veux, (et ce dessein possede tout mon cœur)
950 Rétablir hautement le rang de Dictateur96 :
J’en veux faire revivre et le nom et la gloire,
Quelque horreur, que dans Rome ait laissé sa memoire.
Je renonce à jamais au Consulat Romain97, [p. 41]
Qui divise ou confond le pouvoir souverain.
955 Deux chefs associez tous deux cessent de l’estre98,
Et l’un et l’autre enfin n’est ny Sujet ny Maistre99.
Il vient.

SCENE V. §

SYLLA. POMPEE. PISON. SUITE.

SYLLA continuë.

Peut on jamais, Seigneur, d’assez de gloire,
D’un triomphe assez beau payer vostre victoire ?
Digne Heros issu du plus beau sang Romain ?

POMPEE.

960 Rome et vostre *fortune ont vaincu par ma main.

SILLA.

Mais un si grand succés ne sçauroit se comprendre.

POMPEE.

Le bruit de vostre paix m’a fait tout entreprendre :
Voyant Rome en peril vous forcer d’accorder
Le prix que Marius osoit vous demander,
965 Pour prevenir ce coup, toute nostre jeunesse
Malgré l’effroy de Rome, et malgré sa foiblesse,
Fond sur les ennemis avec tant de vigueur,
Que presque sans combat j’en deviens le vainqueur.
Chacun pour Cecilie à l’envy plein de zele,
970 Semble combatre moins pour Rome que pour elle ; [p. 42]
Je ne vous diray point les noms de ces guerriers,
Qui disputoient entr’eux les plus dignes lauriers :
Je dois bien moins songer à vous vanter leur gloire,
Qu’à demander pour eux le prix de leur victoire.
975 Rome est libre, il suffit, et libre par nos mains100 :
Mais quel sera le prix de nos braves Romains ?
Ils ont vaincu, Seigneur, mais vostre paix est faite ;
Marius seul obtient ce que chacun souhaite ;
Un ennemy triomphe et de Rome et de nous,
980 Quand nous venons de vaincre et pour Rome et pour vous.

SILLA.

Seigneur, cette obligeante et noble jalousie
Que nos illustres Chefs font voir pour Cecilie,
Ce zele genereux, qui nous fait tant d’honneur,
M’a fait ouyr leur plainte avec quelque douceur.
985 Vous pouviez toutefois m’excuser sans vous plaindre,
Et sçachant ce que souffre un cœur à se contraindre,
Le mien pouvoit du vostre attendre justement
Plus de compassion que de ressentiment.

POMPEE

Comme je ne voy rien qui vous puisse contraindre,
990 Je ne voy rien aussi qui m’oblige à vous plaindre. [p. 43]
Rome estoit en peril, je l’advoüeray, Seigneur,
Mais, quand par vostre choix j’en suis le defenseur,
Vous pouviez presumer que j’en rendrois bon conte,
Sans presser une paix, qui nous couvre de honte.
995 Vous sçavez quel espoir flatoit tous vos amis :
Mais j’ay tort de me plaindre, et tout vous est permis.

SILLA.

Non, vous aurez raison de vous plaindre sans cesse
D’une paix que j’ay faite avec trop de foiblesse,
D’une paix qui m’outrage, et qui vous a trahy,
1000 En faveur d’un Rival, et d’un Rival hay.
Mais pour vous contenter, reglez sa destinée,
Par vos conseils j’acheve ou romps son hymenée ;
Quoy que vous choisissiez, je m’abandonne à vous ;
Sa perte ou son hymen tout me semblera dous.
1005 Que si quelque scrupule embarasse vostre ame,
Vous pourrez consulter l’objet de vostre *flâme,
Tandis que pour ma gloire et pour vostre bon-heur
Je m’en vay prendre au Camp le nom de Dictateur.

POMPEE.

Le nom de Dictateur ?

SILLA.

Quoy ce nom vous étonne ?

POMPEE.

1010 Non, puisque vous avez tout le pouvoir qu’il donne101,
Et lors que Marius s’unit à vostre sang, [ 44]
Nul ne peut desormais vous disputer ce rang.

SILLA.

Ainsi, si Marius ne devient pas mon gendre,
On me peut disputer le nom que je veux prendre.
1015 Et pour le conserver c’est l’unique moyen :
C’est vostre sentiment, si je vous entens bien.
Ou je m’explique mal, ou je ne puis comprendre.
Qu’on réponde si mal à ce qu’on doit entendre :
Cecilie et l’amour vous ouvriront les yeux,
1020 Allez la voir, Seigneur, et vous m’entendrez mieux.
[p. 45]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

POMPEE. MARCELLE.

MARCELLE.

tous vos discours, Seigneur, me font assez comprendre,
Qu’au lieu de Marius Sylla vous veut pour gendre.

POMPEE.

Voy quelle trahison on exige de moy.
Dy-moy, toy qui par tout m’as signalé ta foy,
1025 Toy qui sçays ce que peut ton illustre *Maistresse,
Dois-je à tant de merite exposer ma foiblesse ?
Puis-je la voir Marcelle et faire mon devoir ?

MARCELLE.

Vous pouvez-vous, Seigneur, dispenser de la voir ?

POMPEE.

Voyons là, comme elle est aussi fiere que belle,
1030 Son orgueil et le mien se deffendront contr’elle.

MARCELLE.

[p. 46]
Vous la verrez bien-tost, elle va revenir,
Son pere l’a mandée, et veut l’entretenir.

POMPEE.

Cependant, voy quel est le trouble de mon ame
Et quelles laschetez on impose à ma *flâme.
1035 L’hymen de Cecilie, est tout ce que je veux,
L’espoir de l’acquerir alluma tous mes feux.
Dans les troubles de Rome, on m’a veu pour luy plaire
Quitter tous les partis pour celuy de son pere102 ;
J’ay vaincu l’ennemy, sans qui Rome aux abois
1040 Alloit perdre en un jour le fruit de tant d’exploits,
Et mesme j’ay vaincu, pardon chere patrie,
Peut-estre seulement pour gagner Cecilie.
Cependant, tu vois bien que pour avoir sa main,
Il faut trahir moy-mesme un illustre Romain ;
1045 Cecilie est le prix de ce projet infame.
Cette affreuse pensée éteint toute ma *flâme,
Et je ne sens plus rien que l’horreur seulement
De me voir soupçonné d’aimer si laschement.
Plus d’amour, plus d’espoir, si par la perfidie
1050 Les Dieux veulent unir Pompée et Cecilie.

MARCELLE.

Quand il s’agit d’amour, dans un si jeune cœur,
Le devoir regne-t’il avec tant de rigueur ?
Un peu moins de scrupule avec tant de jeunesse,
Un peu moins de vertu seroit-ce une foiblesse ?

POMPEE.

1055 Mon cœur n’en a que trop Marcelle, et je sens bien,
Qu’auprés de Cecilie il ne répond de rien.
Je sçay trop le pouvoir de la beauté que j’aime,
J’en ay presque oublié Rome et la gloire mesme :
Sylla par mon adveu se nomme Dictateur, [p. 47]
1060 Il en avoit le rang, mais le nom fait horreur :
Cependant l’interest d’une beauté si chere
M’a radoucy ce nom en faveur de son pere.
Sylla qui de ses yeux connoist tout le pouvoir
Pour tenter ma vertu m’ordonne de la voir :
1065 Nous la verrons plus douce, et feignant qu’elle m’aime,
Pour contenter Sylla se trahir elle-mesme.

MARCELLE.

Non, lorsque Cecilie a devant Marius
Par l’ordre de son pere expliqué ses refus,
Je sçay...mais elle passe, et vient de chez son pere.

POMPEE.

1070 Voy quel thresor m’arrache un pouvoir trop severe.
Dois-je arrester ? fuyons.

SCENE II. §

CECILIE. POMPEE. SUITE.

CECILIE.

Vous me fuyez, Seigneur :
Non, non, ne craignez plus cette injuste rigueur,
Qui contre mon dessein trompoit vostre esperance ;
Ce pouvoir qui forçoit ma tendresse au silence,
1075 Veut que par un adveu, qui n’est plus de saison,
De toutes mes rigueurs je vous fasse raison.

POMPEE.

[p. 48]
Aprés avoir cent fois rejetté mon homage,
Attendiez-vous ce jour pour changer de langage ?
Pourquoy m’embarasser par ces feintes douceurs,
1080 Alors que j’ay besoin de toutes vos rigueurs ?
Alors que je ne veux que mépris et que haine ?
Helas ; je le voy bien trop aimable inhumaine103,
Sylla vous a fait part de cet ordre fatal,
Qui remet dans mes mains le sort de mon Rival.
1085 Aprés m’avoir osté toute mon esperance,
Vostre fausse bonté veut m’oster l’innocence,
Et me faisant trahir un Rival *genereux
Me rendre criminel autant que malheureux.

CECILIE.

Mon discours meritoit un sens plus favorable.
1090 Ah ! Seigneur cet adveu n’est que trop veritable ;
Vostre amour aujourd’huy ne doit plus s’abuser ;
Nos malheurs sont trop grands, pour vous rien déguiser.
Je vous aime, Seigneur, une vertu trop fiere
Par l’ordre de Sylla vous cachoit ce mystere,
1095 D’un dehors affecté l’apparente froideur
Tenoit ce feu couvert dans le fonds de mon cœur ;
Sylla qui vouloit seul disposer de mon ame,
Aujourd’huy seulement laisse échaper ma *flâme.
Et vous pouvez penser, Seigneur, qu’il m’est bien dous,
1100 De ne vous plus cacher ce que je sens pour vous.

POMPEE.

Quoy, vous m’aimez ? ô ! Dieux m’est-il permis de croire,
Quand je n’espere rien, tant d’heur et tant de gloire ?

CECILIE.

[p. 49]
Que ces transports plairoient au beau *feu que je sens,
Qu’ils seroient doux, Seigneur, s’ils estoient innocens !
1105 Mais loin de s’applaudir d’un adveu legitime,
Songez-vous bien, Seigneur, qu’il vous demande un crime,
Que mon *feu ne paroist que pour vous éblouyr,
Et ne me donne à vous qu’afin de vous trahir.
Songez-vous bien qu’il faut que Marius perisse ;
1110 Quand Sylla le trahit avec tant d’injustice,
Qu’est-ce qui desormais retiendra son *courroux,
S’il ne respecte en luy le nom de mon Epoux ?
Marius est perdu, s’il ne devient son gendre ;
Nous le verrons perir, sans le pouvoir defendre,
1115 Et nous dire en mourant, ingrats, sans mon amour
Et le pere et la fille auroient perdu le jour.
Vous aurez vostre part d’un reproche si rude,
Si vous voulez jouyr de mon ingratitude.

POMPEE.

Oüy, sans doute, excusez les transports d’un *Amant ;
1120 Aveuglé de l’espoir d’un adveu trop charmant,
J’oubliois les perils d’un Rival magnanime ;
Ravy de mon bon-heur j’oubliois tout mon crime.
Ah ! s’il faut renoncer à tout ce que je voy,
Reprenez les bontez que vous avez pour moy,
1125 Ah ! Madame, pourquoy rompre un heureux silence,
Qui de tant de perils sauvoit mon innocence ? [p. 50]
Puis-je voir tant d’*appas, puis-je les adorer,
Puis-je avec tant d’amour oser mesme esperer,
Et ne pas acheter l’espoir de tant de charmes,
1130 Du sang de mon Rival, et de toutes ses larmes ?

CECILIE.

Mais quand la trahison s’appreste à l’accabler,
Voulez-vous...

POMPEE.

Ah ! cessez de me faire trembler.

CECILIE.

Tout l’univers verroit son attente trompée,
Si l’amour corrompoit la vertu de Pompée.

POMPEE.

1135 Helas ! qui l’auroit crû que cet illustre jour
Broüilleroit pour jamais ma gloire et mon amour104 !
Qui l’auroit crû qu’ayant l’adveu de vostre pere,
Que ne vous voyant plus à mes desirs contraire,
Je me plaindrois moy mesme aux yeux qui m’ont charmé,
1140 Du glorieux bon-heur d’aimer et d’estre aimé !
Qui l’auroit jamais crû que la gloire elle-mesme
Qui me faisoit aimer, m’osteroit ce que j’aime ?

CECILIE.

Ce devoir trop cruel n’en demeure pas là ;
Il expose Pompée aux fureurs de Sylla. [ 51]

POMPEE.

1145 Et rien n’est si cruel, que d’exposer sa vie,
Pour avoir refusé l’illustre Cecilie.
Devoir trop rigoureux !

CECILIE.

Mais Sylla vient à nous,
Qu’avez-vous resolu ?

POMPEE.

Que me demandez-vous ?

CECILIE.

Ah ! Seigneur, vous devez faire cesser ce trouble.

POMPEE.

1150 Ah, plus je le combats, plus je sens qu’il redouble,
Fuyons.

CECILIE.

Il vous a veu, demeurez.

POMPEE.

Je ne puis,
Et ne veux rien resoudre en l’estat où je suis.
[p. 52]

SCENE III. §

SYLLA. CECILIE. PISON.

SILLA.

Quoy, ma fille, Pompée évite ma presence ?

CECILIE.

Seigneur...

SYLLA.

Ah ! non j’entens sa fuite et ton silence,
1155 Alors que par mon ordre il voit en sa faveur
Le secret de ta *flâme arraché de ton cœur :
L’ingrat ose braver, sans peur de nous déplaire,
Et l’amour de la fille, et la haine du pere.
Ton *Amant a donc pu s’oublier jusques-là ?
1160 Il épargne un Rival et méprise Sylla.
Je luy fais esperer l’honneur d’estre mon gendre,
Jusques à cét adveu je te force à décendre,
Et je voy qu’il refuse au mépris de mon rang,
Ce qu’un autre voudroit payer de tout son sang.

CECILIE.

1165 Lorsque pour Marius sa vertu s’interesse105,
Soupçonnez-vous, Seigneur, cette noble tendresse ?

SILLA.

Quoy, vous loüez Pompée et souffrez ses refus ?
Moy j’abhorre et je crains l’amy de Marius, [p. 53]
Je le hay d’autant plus que son indigne zele
1170 A mon propre interest rend ma fille infidele ;
Que pour toy sans amour, et sans respect pour moy,
Il demeure incertain entre un Rival et toy.
Ce zele entre vous trois met trop d’intelligence
Et pour te découvrir toute ma défiance,
1175 De deux Rivaux unis le zele est trop puissant,
Et leur accord enfin ne peut estre innocent.
Mon nouveau rang demande un nouveau sacrifice ;
Il faut que l’un me serve, et que l’autre perisse,
De l’un je veux l’hymen, et de l’autre la mort ;
1180 Et c’est toy que je fais l’arbitre de leur sort :
Favorise à ton gré Marius ou Pompée ;
Ma haine sur ce choix ne peut estre trompée,
L’un pour ma seureté doit servir à mon sang,
Et l’autre doit sa mort à l’orgueil de mon rang.

CECILIE.

1185 Si vous portez si loin une injuste vengeance
Epargnez moy l’horreur de cette confidence,
Et ne croyant que vous sur cet horrible choix,
Sauvez moy du forfait de vous prester ma voix.

SILLA.

Non, non, je t’aime trop, et n’osant seul resoudre
1190 Sur quel de tes *Amans doit tomber cette foudre.

CECILIE.

Vous m’aimez et voulez du crime le plus noir...

SILLA.

Cesse de m’interrompre, et connois mon devoir ; [p. 54]
Ne m’embarrasse point d’une vaine tendresse,
Et pese mes raisons sans trouble et sans foiblesse.
1195 Souviens-toy que j’ay pris le nom de Dictateur,
Qu’à tous les vrais Romains ce nom doit faire peur ;
Et cependant Pompée, un Heros que l’on nomme
L’enfant le plus zelé, l’adorateur de Rome,
Me donne son suffrage et couvre adroitement
1200 Son indignation d’un faux consentement,
Il semble negliger la liberté mourante,
L’offre luy-mesme aux fers que ma main luy presente,
Flate une ambition qui sert à me trahir,
Et me laisse embrasser ce qui me fait haïr.
1205 Voy d’un autre costé qu’infidelle à soy-mesme
Pour servir Marius il trahit ce qu’il aime,
Et par l’emportement d’un zele sans égal
Deffend mon ennemy dans son propre Rival.
Voy son grand nom, son rang, sa derniere victoire,
1210 Voy si je n’ay pas lieu de craindre tant de gloire,
De craindre une vertu, qui n’apprehende rien,
Et qui luy fait un nom plus puissant que le mien.
Le regne de Sylla condamne ces maximes,
Ces generositez qui condamnent mes crimes,
1215 Et quand de cent remors je me sens combatu,
Mon pouvoir est mal seur contre tant de vertu.

CECILIE.

Quoy donc tant de vertu merite qu’on l’opprime ?

SYLLA.

[p. 55]
J’apprehende en autruy la vertu que j’estime,
Et voulant m’asseurer mon repos et mon rang,
1220 Je puis avec honneur répandre un peu de sang.
Pour Marius, tu sçais qu’il a toute ma haine ;
Mais tu dois à sa *flâme et ta vie et la mienne :
Ainsi prens sur ce choix le reste de ce jour,
Fais justice à ta gloire ou grace à ton amour.

CECILIE.

1225 Entre deux innocens montrez moy le coupable,
Ou ne m’imposez pas un choix abominable,
Pere cruel.

SILLA.

Gardez de trahir mon secret
Par les emportemens d’un scrupule indiscret.
Songez que de leur sort vous faisant la maistresse,
1230 C’est en vostre faveur un fruit de ma tendresse,
Que vous pouvez au moins sauver le plus heureux
Quand la raison d’Estat les condamne tous deux106.
Répondez à l’honneur de cette confidence,
Et songez qu’il y va de toute ma puissance.

CECILIE. en s’en allant.

1235 O ! Dieux qui d’un tel sang avez formé le mien,
Que ne me donnez-vous un cœur comme le sien
[p. 56]

SCENE IV. §

PISON à SILLA.

Vous puis-je demander quelle rigueur extréme
Oblige vostre fille à choisir elle-mesme ?
Vous luy deviez cacher, pour choisir l’un des deux,
1240 Que le trépas est seur pour le plus malheureux.

SYLLA.

Va, tu sçauras bien-tost le secret de ma haine.
Mais que fait Marius ? je sçay quelle est sa peine,
Cecilie a pris soin de luy faire sçavoir
Que l’amour de107 Pompée ébranloit son devoir.

PISON.

1245 Et depuis cét adveu cét *Amant miserable
Ne peut dissimuler la douleur qui l’accable,
Ennemy de la feinte et du déguisement,
Son grand cœur sans rien craindre éclate hautement,
Et peut-estre qu’enfin...mais le voicy luy-mesme...

SCENE V. §

SYLLA. MARIUS. PISON. MAXIME.

MARIUS.

1250 Quoy, Seigneur...

SILLA.

Je connois vostre malheur extréme ;
Je le voy, je le sens, et vous pouvez penser
Quels soins dans cet estat viennent m’embarrasser.
Je sçay que Cecilie à vous seul destinée,
Voudroit sur son amour regler son hymenée,
1255 Et moy-mesme touché de crainte et de douleur
Lorsque je voy Pompée occuper tout son cœur,
Et l’horreur d’un hymen, qui n’est pas volontaire,
J’ay peine à resister aux tendresses d’un pere.
Cependant tout honteux de vous manquer de foy
1260 Je sens un fier devoir s’élever contre moy,
Je fremis au seul nom d’ingrat et de parjure ;
Mais n’osant étouffer la voix de la nature,
N’osant contre ma fille armer tout mon pouvoir,
Je fie à sa vertu ma gloire et son devoir.
1265 Ne precipitons rien, Seigneur, laissons la faire,
Pour de si grands efforts le temps est necessaire,
Et sans luy, pour guerir de pareilles amours108,
Les plus fortes raisons sont un foible secours. [p. 58]

MARIUS.

Quitte, quitte Sylla cet honteux artifice ;
1270 Etale fierement toute ton injustice,
C’est assez une fois d’avoir sçeu m’abuser,
Et la premiere encore suffit pour t’excuser.
Dy pour me condamner, que j’ay dû109 te connoistre,
Que si je suis trahy, j’ay merité de l’estre,
1275 Qu’au lieu de me livrer aux mains d’un furieux
Sur tes lâches sermens ; sur la foy de tes Dieux,
Je devois preferer une guerre immortelle
Au peril évident d’une paix infidelle ;
Dy-moy que je devois prevoir que cette paix,
1280 Alloit mettre à couvert ta haine et tes forfaits ;
Que voyant tous les jours que dans ta politique
La vertu vieillissoit comme la Republique,
Que sous l’infame joug de ton authorité
Toute Rome expiroit avec la liberté,
1285 J’ay dû prevoir aussi qu’avec tant de puissance
Sylla de cette paix prendroit plus de licence,
Et qu’ainsi la vertu demeurant sans appuy,
L’orgueil et la fureur regneroit avec luy.
Je le devois prevoir, mais qui l’auroit pû croire,
1290 Qu’un cœur peut concevoir une fureur si noire,
Que pour ta fille et toy mes soins trop genereux,
Qui d’un trépas certain vous ont sauvé tous deux
Ne trouveroient en toy qu’un ingrat qu’un parjure ;
Qu’ayant sçeu parvenir jusqu’à la Dictature,
1295 Tes sermens violez, et mon espoir trompé
Seroient le digne essay d’un pouvoir usurpé.
Non, soit110 ou ma foiblesse, ou l’erreur de ma *flâme, [p. 59]
Je n’ay pû concevoir tant d’horreurs dans une ame :
Quiconque pour les croire auroit assez de foy,
1300 Devroit estre meschant et cruel comme toy.

SYLLA.

Je pardonne aux transports d’une aveugle colere ;
Je parlois pour ma fille, et vous parlois en pere :
Je pouvois puisqu’il faut vous parler autrement,
Vous dire que j’ay pû trahir innocemment,
1305 Le fils d’un ennemy, qui né dans la bassesse
Fut le persecuteur de toute la noblesse111,
Le fils d’un vieux *Tyran qui fit par ses forfaits
Une sanglante guerre au milieu de la paix.
Je pouvois écouter cette haine invincible
1310 Qui rend avec mon sang le vostre incompatible.
Mais pourquoy rappeller ces vieux ressentimens ;
J’ay deu tout oublier dans nos embrassemens,
Et separer, malgré la haine hereditaire
L’innocence du fils et les crimes du pere112.
1315 Supprimons ces raisons de haine et de *courrous,
J’en ay, qui malgré moy parlent trop contre vous.
Regardez en quel temps l’offre de Cecilie
Suivit l’heureuse paix qui nous reconcilie :
Rome estant aux abois, sur le point de perir,
1320 D’autres Romains sans nous ont sçeu la secourir ;
Pompée et ses amis emportent la victoire,
Previennent mon secours, et m’en ostent la gloire.
Cecilie est le prix qu’ils avoient attendu,
Et que trop cherement Rome leur a vendu.
1325 Je sçay bien qu’un hymen, qui fut leur esperance, [p. 60]
D’un seul de ces vainqueurs sera la recompense ;
Mais Pompée au combat estant leur General,
Ils souffrent en luy seul le bon-heur d’un Rival.
Encore ay-je sujet de croire que luy-mesme
1330 N’ose au depens de tous accepter ce qu’il aime ;
Il hesite, et peut-estre il vous a fait valoir
Ce genereux refus qui flatoit vostre espoir.
Vous seul obtiendrez-vous ce qu’ils doivent attendre,
Et que mesme Pompée ose à peine pretendre ?
1335 Faudra-t’il nous commettre avec des Chefs jalous,
Qui déja dans leurs cœurs conspirent contre nous,
A cent braves Romains preferer un seul home
Et le fils d’un Tyran au defenseur de Rome ?
Non, j’auray soin de vous, et je veux à mon tour
1340 Vous sauver, malgré vous et malgré vostre amour.

MARIUS.

Quiconque est comme toy né pour la tyrannie,
Sçait avec ces couleurs farder sa perfidie.
Penses-tu m’ébloüir par un zele trompeur ?
Penses-tu me sauver en me perçant le cœur ?
1345 Acheve, et songe enfin à m’oster une vie    
Fatale à mes Rivaux, si je perds Cecilie ;
Pers l’indigne pitié, qui me vole sa foy,
Ou crains pour mes Rivaux113 ce que tu crains pour moy.
Je m’emporte et peut-estre avec trop d’imprudence,
1350 Mais qu’ay-je à ménager quand je perds l’esperance ?
La contrainte est honteuse et n’est plus de saison,
Quand il faut s’expliquer contre la trahison. [p. 61]

SYLLA.

Croyez-moy, remettez le calme dans vostre ame,
Vous n’avez qu’un moyen pour servir vostre *flâme.
1355 Sans parler de traité, de serment, ny de foy,
Souffrez que Cecilie en ordonne sans moy.
Quoy que de son amour un peu preoccupée,
De puissantes raisons parlent contre Pompée,
Et d’ailleurs vous sçavez qu’elle vous doit le jour,
1360 Et qu’un pareil bien-fait vaut bien un peu d’amour.
Pour flater vos Rivaux, souffrez qu’elle choisisse,
Ne vous figurez pas que c’est un artifice,
Pompée est un ingrat, et mon juste *courrous
Vous rend ce qu’il avoit d’avantage sur vous.
1365 Ainsi souffrez qu’un choix et juste et raisonnable...

MARIUS.

Que ce soit artifice ou zele veritable,
N’importe, regle tout selon ton interest,
Pourveu que Cecilie en prononce l’Arrest.
Adieu.
[p. 62]

SCENE VI. §

SYLLA seul à PISON.

Voy maintenant le secret de ma haine.
1370 Pour perdre Marius et sans honte et sans peine,
Le choix de Cecilie est un moyen certain :
Ma fille en fait le crime et l’épargne à ma main114 :
Si pour choisir Pompée elle en croit sa tendresse,
Marius en mourra d’amour et de tristesse,
1375 Ou voulant se vanger, il se met en estat,
De perir par son crime et par son attentat :
C’est ainsi que je puis sans trahir Cecilie
M’épargner d’un grand crime et la haine et l’envie.
Mais sans rien negliger sur un si doux espoir
1380 Voyons ce qu’il faut craindre, et tâchons d’y pourvoir.
[p. 63]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

CECILIE. MARCELLE.

MARCELLE.

Je ne vous connois plus dans ce desordre extréme.

CECILIE.

Connois-tu bien Sylla, Marcelle ! est-il le mesme ?
Je ne voy qu’un Tyran sans pitié, sans amour.
L’ordre qu’il m’a donné dans ce funeste jour,
1385 Qui pouvoit rebuter toute autre obeïssance,
A-t’il trouvé chez moy la moindre resistance ?
Il m’offre Marius, n’ay-je pas obey ?
Il m’oste à cét *Amant, je l’ay presque trahy :
Mais quand il veut trahir Marius et Pompée,
1390 Alors que sa vengeance incertaine ou trompée,
Demande une victime, et par des soins pressans
M’ordonne de choisir entre deux innocens,
Veux-tu que je reçoive un ordre si barbare ?
La nature en fremit ; tout mon devoir s’égare :
1395 Le sang ne parle plus pour un pere cruel, [p. 64]
Et brave son pouvoir quand l’ordre est criminel.

MARCELLE.

Mais entendez-vous bien l’ordre de vostre pere ?
Sa conduite par tout n’est que ruse et mystere.
Ainsi, quand vous voyez qu’un traitement égal
1400 Confond dans sa fureur Pompée et son Rival,
Ne vous arrestez pas, Madame, à l’apparence :
Il pretend que Pompée emporte la balance ;
Car, enfin vous sçavez, que Sylla dans son cœur
L’a toujours honoré de toute sa faveur.
1405 Ainsi, s’il vous propose un choix qui vous *étonne,
Expliquez comme il faut les terreurs qu’il vous donne.
Sur l’ordre de ce choix je vous diray bien plus,
Quand il se sert de vous pour trahir Marius,
Tout injuste qu’il est, trop jaloux de sa gloire,
1410 Il veut par vos refus garantir sa memoire,
Combatre une pitié, qui le veut secourir,
Et trouver un pretexte à le faire perir.
Marius est à plaindre et je le plains moy-mesme,
Mais haï de Sylla, dans son malheur extréme...

CECILIE.

1415 Et c’est dans cet estat que je veux retenir
De ce que je luy dois le tendre souvenir ;
Et c’est dans cet estat que je l’offre à moy-mesme ;
Quand j’estois comme luy dans un peril extréme ;
Quand un peuple en fureur massacroit mes *parens
1420 Et les traisnoit dans Rome égorgez ou mourans,
Quand mon Palais détruit, le desespoir dans l’ame,
Pàle, errante, au milieu du sang et de la flâme,
Je rencontray son pere, et tout tremblant d’effroy, [p. 65]
Marius se mit seul entre son pere et moy.
1425 Marcelle à cet objet que veux-tu que je fasse ?
Mais rappellons encore ma derniere disgrace.
Prisonniere de guerre au milieu de sa cour,
Et sous les douces loix d’un prisonnier d’amour,
Voy comme il m’a traitée, avec quelle tendresse,
1430 D’une ingrate captive il a fait sa *Maistresse.
Le ferons-nous perir, luy l’honneur de nos jours,
Les delices de Rome et ses tendres amours,
L’exemple des *Amans, en qui l’amour assemble
Plus de *feux que n’en ont tous les *Amans ensemble ?

MARCELLE.

1435 Mais le sauverez-vous ? Quel sera son appuy ?

CECILIE.

Malgré tous, contre tous je veux estre pour luy.
Et s’il ne tient qu’au choix, que demande mon pere...

MARCELLE.

Vous allez donc livrer Pompée à sa colere.

CECILIE.

Viens-tu pas sur ce point de calmer mes frayeurs ?
1440 Sylla cherit Pompée et le comble d’honneurs.

MARCELLE.

Mais sur ce que j’en voy j’en juge mal peut-estre :
Souvent Sylla n’est rien de ce qu’il veut parestre ;
Son esprit défiant, son inconstante humeur
Le font doux et cruel , arrogant et flateur,
1445 Font qu’il ose et craint tout, et que sa violence
Agit ou se retient selon sa défiance.

CECILIE.

[p. 66]
Ainsi quand sur ce choix je cherche mon devoir,
Je ne trouve pour moy que honte et desespoir,
Ainsi lorsque ce choix me rend trop incertaine,
1450 Que Sylla m’en dispense, et qu’au gré de sa haine...

MARCELLE.

Luy rendre le pouvoir qu’il vous donne sur eux,
C’est en épargner un pour les perdre tous deux.

CECILIE.

Il faut donc se charger de la moitié du crime,
Et choisir promptement son gendre et sa victime.
1455 Mais qui fera ce choix Marcelle ? est-ce l’amour ?
L’amour perdra celuy qui m’a sauvé le jour,
Cét aveugle transport sans que rien le retienne
A la foy des traitez arrachera la mienne ;
Je seray lâche, injuste, ingrate et sans honneur,
1460 J’ayderay par mon choix à luy percer le cœur.
Ce n’est point sur ce choix l’amour qu’il en faut croire.
Marius vient Marcelle, au secours de ma gloire.

SCENE II. §

MARIUS. CECILIE. MARCELLE. MAXIME.

MARIUS.

Je sçay ce que Sylla vient de vous ordonner ;
Madame, et mon abord semble vous *étonner.
1465 Je sçay trop bien aimer pour vouloir vous contraindre ;
Choisissez hardiment, vous n’avez rien à craindre :
Vous aymez, je le sçay, par vostre propre adveu,
Vous ne pourrez jamais brusler d’un plus beau *feu. [p. 67]
Abandonnez aux Dieux un *Amant miserable,
1470 Que les crimes d’un pere ont rendu trop coupable.
Et sans plus balancer vostre amour et le mien,
Croyez en vostre cœur ; tout le reste n’est rien.

CECILIE.

Je vous ay dit l’*Amant pour qui mon cœur soûpire,
Je vous l’ay dit, Seigneur et ne puis m’en dédire ;
1475 Et si la trahison avoit moins de fureur,
J’obeïrois peut-estre aux ordres de mon cœur ;
Mais puisqu’il faut enfin que je vous le confesse,
Quand d’un Arrest mortel on me fait la Maistresse,
Sur tout ce que j’en crains me sera-t’il permis
1480 De m’entendre moy-mesme avec vos ennemis ?
Peut-estre que Sylla, je tremble à vous l’apprendre,
A juré vostre mort, si vous n’estes son gendre.

MARIUS.

Poussez encore plus loin cette tendre frayeur,
Son gendre ou non, il faut contenter sa fureur.
1485 Il le faut, mais malgré sa noire perfidie
Au moins je ne suis pas trahy de Cecilie,
Et je puis me flater pour le prix de ma foy,
Qu’elle doute un moment entre Pompée et moy,
Mais il est temps enfin de vous faire justice :
1490 Craignez, que comme vous vostre *Amant se trahisse,
Je l’ay veu ce grand cœur rendre un cruel combat.
Pompée est *genereux, et je suis un ingrat :
Je ne pourray jamais par un effort semblable
Ce qu’un Rival heureux fait pour un miserable ;
1495 Madame, ma vertu n’ira jamais si loin,
Je ne puis, comme luy la trouver au besoin115.
Et bien loin d’imiter l’effort qu’il se veut faire, [p. 68]
Je garde obstinement un espoir temeraire,
Je ne puis renoncer à ces divins *appas,
1500 Que j’ay veu presque miens et presque entre mes bras :
Non, rien ne peut m’oster l’espoir de Cecilie,
Et c’est le seul lien qui m’attache à la vie.

CECILIE.

Mais que pretendez-vous avec ce foible espoir ?

MARIUS.

Des mortels et des Dieux implorer le pouvoir,
1505 Et pour forcer enfin toute sorte d’obstacles,
Au tout-puissant amour demander des miracles.
Que s’il faut à ce Dieu joindre d’autres secours,
Souffrez...

CECILIE.

Daignez, Seigneur, prendre soin de vos jours.
Echapez promptement aux fureurs de mon pere,
1510 Ce choix qu’il me demande, et que je crains de faire,
Quel qu’il puisse estre enfin, ou pour ou contre vous,
Ne fera que *haster l’effet de son *courrous.

MARIUS.

Je sçay trop que ce choix, où Sylla me renvoye,
N’est pour ma seureté qu’une infidelle voye.
1515 Pour derniere faveur souffrez moy seulement
Tout ce que peut tenter un malheureux *Amant.
Quoy qu’il me fust permis dans mon malheur extréme,
De n’en prendre aujourd’huy l’ordre que de moy-mesme,
Je dépens de l’amour, et de vostre pouvoir,
1520 Vous pouvez d’un seul mot éteindre mon espoir ;
Mais pour me l’arracher, il faut m’arracher l’ame,
Je ne vis que d’espoir au milieu de ma *flâme, [p. 69]
Luy seul soûtient mes jours, luy seul est tout mon bien ,
Et je meurs à vos pieds, si je n’espere rien.
1525 Ordonnez à ce cœur que mon respect vous livre,
Ou de vivre pour vous ou de cesser de vivre.
Vous ne répondez rien.

CECILIE.

Qu’esperez-vous, Seigneur ?
Quels efforts, quels secours, vaincront vostre malheur ?
Je ne le puis nier, la perfidie est noire ;
1530 Il s’agit de vanger et l’amour et sa gloire.
Mais attendez du choix qu’on vient de m’ordonner...

MARIUS.

Au peril de ce choix dois-je m’abandonner ?
Sylla qui m’a vanté cette douce esperance,
Voudroit sous un *appas endormir ma prudence :
1535 Mais s’il a pu manquer à la foy d’un traité,
Puis-je prendre avec luy quelqu’autre seureté ?
S’il le faut toutefois...

CECILIE.

Non, non, craignez sa haine ;
Je voy de tous costez vostre perte certaine,
Et daignez seulement pour vous faire raison
1540 Employer la vertu contre la trahison.

MARIUS.

Quelques soins que je donne au secours de ma *flâme,
Jamais rien de honteux n’entrera dans mon ame,
Et je serois indigne et de vous et du jour
Si la gloire n’estoit du party de l’amour :
1545 Il n’est point de fureur que mon devoir n’arreste :
Si vous me soupçonnez, je vous livre ma teste, [p. 70]
Et je ne vous instruis des perils où je cours,
Que pour mettre en vos mains ma *fortune et mes jours.

CECILIE.

J’ay dans tous vos desseins conceu trop d’innocence,
1550 Pour abuser jamais de cette confiance,
Et loin de vous trahir, il me sera bien doux
De partager mes soins entre mon pere et vous.

MARIUS.

Ah ! que cette bonté digne de Cecilie
Me paye avec excés tous les maux de ma vie !
1555 Quelque soit le succés que mon amour attend,
Je mourray satisfait, ou je vivray content.
Adieu, Madame.

CECILIE.

Adieu.

SCENE III. §

CECILIE. MARCELLE.

CECILIE continuë.

Que son sort est à plaindre !

MARCELLE.

Ah ! que sa vengeance est beaucoup plus à craindre116.
Durant vostre entretien Maxime m’a fait voir
1560 Sans vouloir s’expliquer, son secret desespoir :
Je le vois en estat d’aller tout entreprendre.

CECILIE.

Pour son bien, pour le nostre, il faut sans plus attendre, [p. 71]
Il faut choisir Marcelle, allons en sa faveur...

SCENE IV. §

CECILIE. POMPEE. MARCELLE.

CECILIE.

Mais j’aperçoy Pompée, où courez-vous, Seigneur ?

POMPEE.

1565 Je cours prés de Sylla luy vanter ma victoire ;
Je cours sacrifier mon amour à ma gloire :
Mais faut-il vous trouver encore sur mes pas ?
Ah ! ne m’opposez plus ces dangereux *appas.
Madame, c’en est fait ; il faut que je réponde,
1570 Malgré tout mon amour aux vœux de tout le monde,
Et vous devez souffrir qu’un cœur trop combatu
Se rende tout entier à sa seule vertu.
Je doy mesme rougir qu’une trop juste crainte
M’impose les devoirs d’une vertu contrainte ;
1575 Déja dans sa douleur Marius me fait voir
Le secret appareil d’un sanglant desespoir,
Et Sylla qui le voit outré de sa disgrace
Par des ordres cachez en previent la menace,
Et songe à rejetter sur moy-mesme et sur vous,
1580 Tout ce que va produire un injuste *courrous. [ 72]
C’est à nous de sauver de ce peril extréme,
Sylla, la paix, l’estat, Marius et vous-mesme.
Puisque Sylla pour nous va rompre le traité
Et nous veut imputer son infidelité,
1585 Reprenons l’innocence, et l’honneur qu’il nous vole,
Et forçons un ingrat de tenir sa parole.
Je vous aime, Madame, et j’adore en vos yeux
Le plus visible éclat de la gloire des Dieux,
Il n’est rien qu’à vos yeux mon cœur ne sacrifie.
1590 Mais voyant à quel prix on m’offre Cecilie,
Mon cœur tout indigné renonce à ses *appas ;
L’amour n’est plus amour, où la gloire n’est pas ;
Ce Dieu n’est que fureur, foiblesse, extravagance,
Quand son emportement nous couste l’innocence
1595 Et tous les vrais Romains refusent des Autels
A ce lâche Tyran du reste des mortels ;
Allons, ne laissons pas refroidir ce beau zele ;
Mon devoir prés de vous, doute, tremble, chancele.
Le mal presse, il est temps, Madame.

CECILIE.

Allons, Seigneur.
1600 Excusez, si j’y cours avecque moins d’ardeur117 :
Mon cœur, quoy que Romain est fait tout comme un autre,
Et ma vertu n’est pas si forte que la vostre.

POMPEE.

Ah ! si vostre vertu doute de son pouvoir,
Puis-je bien m’asseurer de faire mon devoir ?
1605 Avec toute l’ardeur de la vertu Romaine,
Je resisteray mal au torrent qui m’entraîne,
Et si vostre devoir ne soustient pas le mien,
Quelqu’en soit le succés ne me reprochez rien. [p. 73]
Dieux, qui voyez ma peine en faveur de ma gloire
1610 De mes derniers efforts gardez bien la memoire.

CECILIE.

Hé quoy presumez-vous, si je doute un moment,
Que je réponde mal à ce beau sentiment,
Je feray mon devoir, avec cét avantage
Que j’ay plus de besoin de force et de courage,
1615 Que je crains tout pour vous dans ce funeste jour,
Et que je dois combatre un pere et mon amour ;
Mais un pere cruel, puisqu’il vous faut tout dire,
Qui vous voyant douter sur le choix qu’il desire,
Veut qu’entre deux *Amants arbitre de leur sort,
1620 Je partage aujourd’huy mon hymen et la mort118.

POMPEE.

O ! Dieux quelle fureur, ne craignez rien, ma vie
Peut encor défier toute sa tyrannie,
Il vient.
[p. 74]

SCENE V. §

SYLLA. POMPEE. CECILIE. SABINE.

SILLA.

Peut-on sçavoir qui sera vostre Epoux ?
Mais j’entens vostre choix, Pompée est avec vous.

CECILIE.

1625 En effet sur ce choix c’est luy que j’en doy croire,
J’ay choisi Marius Seigneur, et j’en fais gloire.

SYLLA. à part.

Dieux !

CECILIE.

Et j’ay dû répondre en cette occasion,
Plus à vostre devoir qu’à vostre intention.

SILLA.

Vous avez concerté ce beau choix l’un et l’autre,
1630 Et vous avez reglé mon devoir sur le vostre :
Ce Heros tout brûlant, tout avide d’honneur,
A poussé jusqu’au bout cette noble fureur.

POMPEE.

Seigneur, j’aime la gloire, et la trouve trop belle
Pour rien faire jamais qui soit indigne d’elle.
1635 Quoy que pour Cecilie, et l’amour et l’honneur
D’une *flâme immortelle ait embrasé mon cœur,
Quand la seule vertu doit estre consultée,
L’amour perd tous ses droits, sa voix n’est point contée. [p. 75]
Je sçay bien qu’immoler sa gloire à ses beaux yeux,
1640 Seroit peut-estre un crime illustre et glorieux ;
Je sçay ce qu’est Sylla, quels honneurs doit pretendre,
Quiconque aura l’honneur de devenir son gendre ;
Je sçay quelles fureurs suivront un tel refus ;
Je sçay que toute Rome, et mesme Marius
1645 S’étonnera de voir une vertu si rare ;
Mais quel que sort affreux, que mon cœur se prepare,
Le destin de Pompée est trop grand et trop beau,
Pour refuser au monde un exemple nouveau.
L’univers apprendra que pour l’honneur de Rome,
1650 Sous le regne du crime il est encore un home,
Qui fait voir à Sylla malgré tout son *courrous,
Que le bien de la gloire est le plus grand de tous.

SYLLA.

Et ces beaux sentimens ont sur vous tant de force,
Qu’ils font entre vous deux un eternel divorce.
1655 Ainsi cette vertu ne sert qu’à vous trahir.

CECILIE.

Ainsi tout nostre amour n’a pû nous ébloüir.
Ainsi tous deux épris d’une ardeur legitime
Nous nous aidons l’un l’autre à triompher du crime,
Et pousser jusqu’au bout un effort genereux.
1660 Ainsi deux cœurs unis noblement amoureux, [p. 76]
Font de cette union d’estime et de tendresse
Un commerce d’honneur et non pas de foiblesse.
Cet amour va plus loin, et s’il agit pour nous,
C’est pour mieux faire aller ses soins jusques à vous.
1665 Il veut servir mon pere au peril de sa haine,
Rendre cette grande ame à la vertu Romaine ;
Il le veut arracher à ces noms odieux,
D’implacable ennemy, de Tyran furieux ;
Il le veut delivrer du destin des parjures,
1670 Dérober sa conduite aux craintes, aux murmures :
Cet amour genereux veut enfin malgré vous
Payer à Marius ce qu’il a fait pour nous,
Epargner à Sylla l’ingrate barbarie
D’attenter sur celuy qui nous sauve la vie,
1675 Et garentir la paix, Rome et vostre pouvoir
Des fureurs d’un *Amant qu’on met au desespoir.
Si par ce digne amour vostre haine est trompée,
Voilà ce que vous vaut Cecilie et Pompée,
Rendez graces au Ciel, qui vous preste aujourd’huy
1680 Une fille comme elle, un amy comme luy.

SYLLA.

J’admire ce beau zele , et ne puis m’en defendre,
Je voy par vos conseils quel *party je doy prendre
Il faut vous contenter. Qu’on l’aille donc chercher,
Ce precieux Rival, cet ennemy si cher.
[p. 77]

SCENE VI. §

SYLLA. POMPEE. CECILIE. PISON. MARCELLE.

PISON.

1685 Seigneur....

SYLLA.

Qu’est-ce Pison ?

PISON.

Marius dans la place
Suivy d’un gros d’amis et de la populace,
Marche vers le Palais avec ses revoltez,
Et vient vous demander l’effet de nos traitez,
Le Camp est adverty, mais la Ville fermée,
1690 Vous prive en ce moment du secours de l’armée119.

SYLLA.

C’est comme Marius s’aquite envers tous deux.
Grace à son desespoir, j’ay tout ce que je veux,
Puisqu’il m’ose attaquer, il n’est plus temps de feindre :
Vains scrupules d’estat cessez de me contraindre,
1695 Déguisement honteux d’un *courrous violent
Laisse agir ma fureur ton secours est trop lent. [p. 78]
Viens Pison, il est temps de me faire connoistre.
Tremblez mes ennemis, tout Sylla va parestre.
Vous pouvez demeurer, et vous aider tous deux
1700 A plaindre dignement un *Amant malheureux.

SCENE VII. §

POMPEE. CECILIE. SABINE.

POMPEE.

Que me commandez-vous dans cette conjoncture ?

CECILIE.

Des perils si pressans font trembler la nature :
Mais contre la vertu, qu’on trahit lâchement,
Le sang, quoyqu’allarmé s’explique foiblement.

POMPEE.

1705 Je vay donc s’il se peut secourir l’un et l’autre.

CECILIE.

Allez, et reglez seul mon devoir et le vostre.
[p. 79]

SCENE VIII. §

CECILIE. SABINE.

SABINE.

Quel est vostre dessein ? malgré son desespoir
Le sort de Marius est en vostre pouvoir.
Empeschez pour son bien un effort temeraire ;
1710 Servez à mesme temps vous, Rome et vostre pere ;
Un seul mot, un regard le peuvent desarmer.

CECILIE.

Je sçay jusqu’à quel point Marius sçait aimer.
Mais je n’abuse point de cét amour extréme.
Perisse tout plustost, perisse Rome mesme,
1715 Perisse Cecilie, et toute ma *maison,
Si je les dois sauver par une trahison,
Quand tu vois Marius prest à se satisfaire.
Veux-tu...

SABINE.

Mais voulez-vous exposer vostre pere !
Vous voyez quels perils...

CECILIE.

Pourquoy m’allarmes-tu ?
1720 Pourquoy d’un nom si cher *étonner ma vertu ?
Faut-il avec un pere estre d’intelligence,
Alors qu’il faut trahir l’honneur et l’innocence ?
Pour un pere sans foy, le sang est sans pouvoir
Et le soin de ma gloire est mon premier devoir.
[p. 80]

SCENE IX. §

CECILIE. SABINE. MARCELLE.

CECILIE.

1725 Qu’est-ce ?

MARCELLE.

Helas ! pour comble de misere,
Marius va tomber aux mains de vostre pere.

CECILIE.

Comment !

MARCELLE.

Le *fier Sylla se presente aux mutins,
Comme s’il estoit seul maistre de leurs destins :
Son intrepidité desarme leur audace,
1730 Et toute leur ardeur se convertit en glace,
Tant ils craignent ce front, devant qui tant de fois
L’univers tout entier a veu trembler ses Rois :
Marius reste seul sans secours, sans defence,

CECILIE.

Allons sans plus tarder, allons par ma presence...
[p. 81]

SCENE X. §

CECILIE. POMPEE. MARCELLE. SABINE.

CECILIE.

1735 Ah ! Seigneur, Marius...

POMPEE.

Vous voyez ma douleur.
Abandonné des siens, mais malgré son malheur,
Plus honteux que troublé de les voir sans courage.
La trahison, dit-il, acheve son ouvrage,
Sylla. Puis de son fer s’estant percé le flanc120,
1740 Tu n’auras pas l’honneur de répandre mon sang ;
Ma main en t’immolant ta plus chere victime,
Pour punir ta fureur luy dérobe ce crime.

CECILIE.

Et soüille tout mon sang121 apres cet attentat
Des titres odieux de perfide et d’ingrat.

POMPEE.

1745 Mais ce n’est pas assez : j’ay bien plus à vous dire.
D’horreur et de pitié mon cœur tremble et soûpire.
Marius, m’adressant sa voix et ses soûpirs,
Mon trépas, cher Rival, vange tes déplaisirs ;
Adieu, joüis en paix du bon-heur de ta *flâme122.
1750 Attendri par ces mots jusques aux *feux de l’ame,
Je change tout d’un coup ma tendresse en horreur,
Voyant le *fier Sylla d’un œil plein de fureur [p. 82]
Jouyr de ce spectacle, et charmé de son crime
D’un avide regard devorer sa victime.
1755 Apres avoir soulé toute sa cruauté,
Inquiet, et malgré toute sa dureté,
Plein du trouble qui suit les ames criminelles,
Il veut se dérober à ses peines cruelles,
Et tasche vainement à force de forfaits
1760 D’étouffer des remors, qui ne mourront jamais,
A toute son armée il a livré Preneste123 :
En vain je veux combatre un dessein si funeste,
Plus mon zele importun excite ses remors,
Plus pour les surmonter il demande de morts :
1765 Il va jusques sur Rome124 étendre la tempeste,
Ce ne sont que fureurs qu’il roule dans sa teste ;
Et son esprit n’est plein que de punitions,
De fers, de sang, d’exils et de proscriptions.
Son cœur persecuté du tourment qu’il endure,
1770 Deteste sa grandeur, maudit la Dictature,
Il veut l’abandonner, et privé de son rang,
Se livrer à quiconque aura soif de son sang.
Cependant pour combler ses remors et ses crimes
Il cherche à s’immoler mille et mille victimes.
1775 Et si vous n’avez soin de calmer son *courrous,
Je crains tout pour luy-mesme, et pour Rome et pour nous.
[p. 83]

SCENE DERNIÈRE. §

POMPEE. CECILIE. PISON.

PISON.

Sylla n’attend que vous, et sa cruelle rage
Brûle d’aller dans Rome achever son ouvrage,
Rien de ce noir projet ne le peut divertir :
1780 Les ordres sont donnez, Madame il faut partir.

CECILIE.

Allons, allons nous mettre entre Rome et mon pere,
Et mourir à ses pieds ou fléchir sa colere.

FIN.

extrait du privilege du roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 24. jour de Mars 1669. Signé, DALANCE, il est permis à G QUINET, de faire imprimer, vendre et debiter un Livre intitulé le Jeune Marius, Tragedie, durant le temps et espace de sept années, entieres et accomplies, à compter du jour qu’il sera achevé d’imprimer pour la premiere fois, en vertu du present Privilege. Et defenses sont faites à tous autres, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’imprimer ou faire imprimer ladite Piece, sur peine de confiscation des Exemplaires, et de tous dépens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par ledit Privilege.

Registré sur le livre de la Communauté des Marchands Libraires et Imprimeurs de cette ville de Paris, le 26.Mars 1669. suivant l’Arrest du Parlement du 8.Avril 1653.

A. SOUBRON, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 28.Mars 1669.

Lexique §

Les citations sont issues du Dictionnaire de FURETIÈRE. Nous avons seulement relevé ici les sens spécifiques au XVIIe siècle. Les références aux vers sont notées entre parenthèses.

Amant
Qui aime d’une passion violente, sans connotation sexuelle.
Apas : (appas)
Appâts : ce qui attire, engage à faire quelque chose, piège.
V. 361, 1534.
Appas : charmes de quelqu’un.
Bonheur/heur
Heur venu de l’ancien français est encore fréquent.
« Honneurs. »
V. 63, 906.
Hasard positif, chance.
V. 1, 279, 393, 459, 870.
Courroux
« Mouvement impétueux de colère » , le sens de ce terme est plus fort que maintenant.
Cruelle
« Les amants disent que leur maîtresse est cruelle quand elle ne satisfait pas à tous leurs désirs ».
V. 249, 258, 598.
Estonnér
Épouvanter, effrayer.
Fier
Cruel, barbare, tyran.
V. 515, 1727, 1752.
Feu
Ardeur amoureuse.
Flâme: (flamme)
Ardeur amoureuse.
Fortune
« Providence divine qui agit par des voies inconnues » (divinité antique).
V. 776.
Par extension, ce qui arrive par hasard, chance, succès.
Dédicace 1, v. 89, 562, 767, 877, 960.
Destinée, vie.
V. 897, 944, 1548.
« Gens puissants et en crédit ».
Furie
Fureur.
Généreux
Pour une personne, qui a l’âme noble ou magnanime.
V. 522, 688, 837, 932, 1087, 1492.
Hasards
Périls, dangers.
Haster
Presser (sens transitif).
Maison
Famille (noble).
Maistresse
« Jeune fille qu’on recherche en mariage » (pas plus de connotation sexuelle que pour « amant » ).
Parents
Tous les membres qui sont de la même famille.
Parti
« Troupe de gens de guerre qu’on commande pour quelque expédition » .
V. 64.
Résolution prise après délibérations.
V. 1682.

Appendice §

Lettre à Madame du 2 février 1669 (vers 54-109)

Par Charles ROBINET.

Tandis que je parle d’Ecris
Et d’Ouvrages de beaux Espris,
il est bien juste que je die
Quelque mot de la Tragédie
Qui présentement, à l’HÔTEL,
Ravit maint notable Mortel,
Puisque vraiment on y remarque
Infinité de Gens de marque ;
C’est le jeune et grand MARIUS,
Poëme si beau que rien plus,
Dont Boyer, qui sur le Parnasse
Depuis si long-temps tient sa Place,
Est le digne et louable Auteur,
Et dont vous avez vû, Lecteur,
Tant d’autres fameux Dramatiques,
Galans, Comiques et Tragiques.
C’en est assez dire à son los,
Et c’est, je pense, en peu de mots
Faire voir, sans nul vain langage,
Le mérite de cét Ouvrage,
Laissant aux Juges importans
De tous les Ecrits de ce temps
A rendre sur ce leur Sentence,
Dessous laquelle, en conscience,
Tous les autres aveuglement
Captiveront leur Sentiment.
Mais de la TROUPE, je dois dire
Qu’à l’ordinaire l’on admire
En ce Sujet tragique-là ;
Que la FLEUR, lequel fait SYLLA,
Soûtient trés-bien le Caractére
De ce Tyran si sanguinaire
Et pire qu’un Olibrius ;
Que FLORIDOR, de MARIUS,
Fait aussi le Rôle à merveille,
ID EST, de façon nompareille
Et tout ainsi qu’un rare Acteur
Dont chacun est admirateur ;
Que HAUTE-ROCHE y représente,
De maniére encor fort galante,
POMPÉE, autre jeune Héros,
Et qu’enfin, avec un grand los,
DENNEBAUT, leur jeunette ACTRICE
Et des cœurs franche tentatrice
Par ses Attraits délicieux,
Fait son Personnage des mieux,
Ou bien celui de CÉCILIE,
Pour qui beaucoup l’on se soucie,
Pour l’étrange embarras d’amour
Dans lequel, chacun à son tour,
Pompée et Marius la mettent.
Mais que les Lecteurs me permettent
De trancher tout court là-dessus,
afin qu’allans voir MARIUS,
Ils ayent ce que le plus je prise :
Le doux plaisir de la Surprise.

Bibliographie §

Œuvres de référence antérieures à 1800 §

Œuvres §

BOYER, Claude, Oropaste ou le faux Tonaxare (1663) , tragédie, publiée avec une introduction et des notes par Ch Delmas et G. Forestier, Genève, Droz, 1990.
BOYER, Claude, Le Comte d’Essex, tragédie, Paris, C. Osmont, 1678, in-12º.
BOYER, Claude, Artaxerce, tragédie, Paris, C. Blageart, 1683, in-12º.
CHAULMER, Charles, La mort de Pompée, tragédie, Paris, A. de Sommaville, 1638, in-4º.
CORNEILLE, Pierre, Le Cid (1637) , tragi-comédie, éd. G. Forestier, Paris, S.T.F.M, 1992.
CORNEILLE, Pierre, Cinna (1642) , tragédie, [in] Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1981, Tome I.
CORNEILLE, Pierre, Héraclius (1647) , tragédie, éd. G. Forestier, Paris, Cicero, 1995.
CORNEILLE, Pierre, Sertorius (1662) , tragédie, [in] Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1987, t. III.
CORNEILLE, Pierre, Suréna (1674) , tragédie, éd. G. Forestier, Paris, Livre de poche, 1993.
DESCARTES, René, Les Passions de l’âme (1650) , Paris, Vrin, 1970.
DE VIAU, Théophile, Pyrame et Thisbé, tragédie, Paris, 1630.
DU RYER, Pierre, Alcionée, tragédie, Paris, A. de Sommaville, 1640.
MACHIAVEL, Nicolas, Le Prince (1513) , Paris, Livre de poche, 1962.
RACINE, Jean, Andromaque (1667) , tragédie, [in] Œuvres Complètes, éd. R. Picard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1951, Tome I.
RACINE, Jean, Britannicus (1669) , tragédie, [in] Œuvres Complètes, éd. R. Picard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1951, Tome I.
SÉNÈQUE, De clementia, texte établi et traduit par Fr. Préchac, Paris, éd. Les Belles Lettres, 1967.
URFÉ, Honoré d’, L’Astrée (1607-1628) , Paris, éd. Folio, Gallimard, 1984.

Ouvrages de poétique §

ARISTOTE, La Poétique, traduit par M. Magnien, Paris, Livre de poche, 1990.
AUBIGNAC, François Hédelin abbé d’, La pratique du théâtre (1657) , P.Martino éd., Alger, Carbonel, 1927.
CORNEILLE, Pierre, Discours du poème dramatique, [in] Œuvres Complètes, éd. G. Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1987, t. III.
FURETIÈRE, Antoine, Dictionnaire universel, La Haye-Rotterdam, A. et E. Leers, 1690 (réimprimé Paris, éd. Le Robert, 1978) .
RAPIN, René, Réflexions sur la poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes (1674) , E. T. Dubois éd. (pour l’éd. de 1675) , Genève, Droz, 1970.

Le contexte littéraire §

CHAPELAIN, Jean, Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, [in] Opuscules critiques, éd. A. C. Hunter, Paris, Droz, 1936.
D’OLIVET, Histoire de l’Académie françoise (1652-1700), Paris, 1742, Tome II.
FURETIÈRE, Antoine, Factums pour Messire Antoine Furetière, abbé de Chalivoy, contre quelques-uns des Messieurs de l’Académie Françoise (1685-1688) , [in] Recueil des Factums d’Antoine Furetière, éd. C. Asselineau, Paris, Paulet-Malassis et de Boise, 1858, in-12º.
FURETIÈRE, Antoine, Les Couches de l’Académie, poeme allegorique et burlesque par Furetière (1688) , [in] op. cit., p. 293-324.
MÉNAGE, Gilles, Menagiana, Paris, T. et P.. Delaulne, 1693, in-8º.
PARFAICT, Claude et François (dits les frères PARFAICT) , Histoire du Théâtre françois, depuis son origine, jusqu’à présent, avec la vie des plus célèbres Poëtes dramatiques, un Catalogue exact de leurs Pièces, et des Notes Historiques et Critiques, Paris, P. G. Le Mercier et Saillant, 1734.
ROBINET, Charles, Lettres en vers à Madame, [in] Les continuateurs de Loret, t. III (janvier 1668 - décembre 1669) , publié par E Picot, Paris, Librairie Damascène Morgand, 1899.
SOMAIZE, Le dictionnaire des Précieuses, historique, poétique, géographique, cosmographique, cronologique et armoirique par le sieur de Somaize, Paris, J. Jannet, 1661.

Sources §

APPIEN D’ALEXANDRIE, Les Guerres civiles à Rome, texte établi et traduit par J. I. Combes-Dounous, Paris, éd. Les Belles Lettres, 1993, t. I, chapitre VII - XI.
HINARD, François, Sylla, Paris, Fayard, 1985.
OROSE, Histoires, texte établi et traduit par M-P. Arnaud-Lindet, Paris, éd. Les Belles-Lettres, 1991, Livre V.
PLUTARQUE, Les Vies des hommes illustres, traduction J. Amyiot, Gérard Walter, éd. Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1951, 2 vol.
SALLUSTE, La guerre de Jugurtha, traduction J. Roman, Paris, éd. Les Belles-Lettres, 1924.
TITE LIVE, Abrégés des livres 73-89 du Ab Urbe Condita, texte établi et traduit par P. Jal, Paris, éd. Les Belles-Lettres, 1995.
VELLEIUS PATERCULUS, Histoire romaine, texte établi et traduit par J. Hellegouarc’h, Paris, éd. Les Belles-Lettres, 1982, Livre II.

Études sur le théâtre et le contexte littéraire du XVIIe siècle §

Ouvrages §

BRODY, Clara C., The Works of Claude Boyer, New York, King’s Crown Press, 1947.
DEIERKAUF-HOLSBOER, Sophie Wilma, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, Paris, Nizet, 1968-1970, 2 vol.
DELMAS, Christian, La Tragédie de l’âge classique (1553-1770), Paris, Seuil, 1994.
FORESTIER, Georges, Introduction à l’analyse des textes classiques, Paris, Nathan, 1993.
FORESTIER, Georges, Essai de génétique théâtrale. Corneille à l’œuvre, Paris, Klincksieck, 1996.
FOURNEL, Victor, Les Contemporains de Molière, Paris, F. Didot, t. I, 1868.
LANCASTER, Henry Carrington, A History of French Dramatic Literature in the XVIIth Century, Baltimore, The Johns Hopkins Press ; Paris, PUF, 1929-1942.
MÉLÈSE, Pierre, Le Théâtre et le public sous Louis XIV (1659-1715), Genève, Slatkine, 1976.
MÉLÈSE, Pierre, Répertoire analytique des documents contemporains d’information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV (1659-1715), Genève, Slatkine, 1976.
NADAL, Octave, Le Sentiment de l’amour dans l’œuvre de Pierre Corneille, Paris, Gallimard, 1948.
MOREL, Jacques, La Tragédie, Paris, Armand Colin, 1964.
SCHERER, Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1950.
TRUCHET, Jacques, La Tragédie classique, Paris, PUF, 1975.

Articles §

ANDRIEU, Paul-Léon, « Plaidoyer pour deux académiciens albigeois », Cahiers Raciniens, 1961, p. 756-761.
DROZ, Édouard, « Corneille et l’Astrée », Revue d’histoire littéraire de la France, 1921, p. 161-203 et p. 361-387.
FORESTIER, Georges, « Théorie et pratique de l’histoire dans la tragédie classique », Littératures classiques, 11, 1989, p.95-107.
FORESTIER, Georges, « Dramaturgie racinienne (Petit essai de génétique théâtrale) », Littératures classiques, 26, janvier 1996, p.13-38.
FOURNEL, Victor, « Contemporains et successeurs de Racine. Les poètes décriés. Le Clerc, Boyer, Pradon, Campistron », Revue d’histoire littéraire de la France, 1894, vol. 1, p. 233-258.
GUICHEMERRE, Roger, « Le renoncement à la personne aimée en faveur d’un/une autre dans le théâtre de Pierre Corneille », [in] Pierre Corneille, Actes du colloque tenu à Rouen du 2 au 6 octobre 1984 [...] , Paris, PUF, 1985, p. 581-592.
KNIGHT, R. C., « Que devient l’héroïsme dans les tragédies « matrimoniales » ? », [in] Pierre Corneille, op. cit., p. 625-631.
ROLLAND, Jules, « Claude Boyer de l’Académie française et les coteries littéraires du Grand Siècle » , Histoire littéraire de la ville d’Albi, Toulouse, 1879, ch. 10, p. 245-283.
TANQUEREY, F. J., « Le romanesque dans le théâtre de Corneille », Revue des cours et conférences, 1ère série, XL, Paris, 1938-1939.
SWEETSER, Marie-Odile, « Les femmes et le pouvoir dans le théâtre cornélien », [in] Pierre Corneille, op. cit., p. 605-614.
VIALA, Alain, « Péril, conseil et secret d’État dans les tragédies romaines de Racine : Racine et Machiavel », Littératures classiques, 26, janvier 1996, p. 90-113.
39
72