Par Monsieur Boyer.
M. DC. LXI.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Claire Supplisson sous la direction de Georges Forestier (2000-2001)
Introduction §
La Mort de Démétrius a été représentée en 1660, et publiée en 1661. Il s’agit de la sixième tragédie de l’abbé Claude Boyer, qui était à cette date un auteur productif, reconnu, encore en pleine ascension.
L’intrigue est inspirée de l’histoire antique. Alexandre, le fils de Pyrrus qui a autrefois été renversé du trône d’Epire par Artaban, est en exil. Démétrius est devenu roi à la mort d’Artaban après avoir épousé sa fille Arsinoé. Ami d’enfance d’Alexandre, il est tourmenté par l’illégitimité de son pouvoir, et décide donc de faire revenir Alexandre à la cour, contre l’avis de son favori Milon. Démétrius est amoureux d’Isménie, la maîtresse d’Alexandre. Il compte en cédant le trône attendrir Alexandre et conquérir par cet acte de loyauté Isménie. Milon, amoureux lui aussi d’Isménie, mais secrètement, fomente un complot afin d’éliminer Alexandre et Démétrius, et obtenir ainsi le pouvoir et la princesse. Il a pour le seconder Arsinoé, la reine ambitieuse et délaissée par son époux, et Séleucus, un seigneur d’Epire. Le traître réussit finalement à assassiner Démétrius. Mais Alexandre s’échappe, et prend la tête de la rébellion populaire qui couvait depuis que le retour du légitime héritier de la couronne était annoncé. Arsinoé, prise de remors en apprenant la mort de Démétrius, ouvre les portes du palais au peuple et à Alexandre, puis se suicide. Séleucus et Milon sont tués dans la bataille. Alexandre peut remonter sur le trône, et épouser Isménie.
Ces quelques éléments d’intrigue composent le canevas d’une pièce qui suit scrupuleusement les règles et schèmes de la tragédie classique. C’est la seule fois que ce sujet est traité dans une pièce, ce qui laisse au dramaturge une grande liberté d’invention. Loin de l’image d’auteur fade et conformiste retenue par la postérité, Boyer a su créer ici une oeuvre dynamique et rigoureuse à la fois, qui s’adapte parfaitement au goût de l’époque.
La représentation de La Mort de Démétrius §
La tragédie de Claude Boyer a été représentée pour la première fois le 21 février 1660 à l’hôtel de Bourgogne. Seul le témoignage de Loret1 demeure aujourd’hui pour mesurer l’accueil fait à la pièce à cette date. Dans la Muse historique du 28 février 1660, il écrit :
Avant de finir ce discours,Je dirai que depuis huit jours,Dans l’hotel de Bourgogne on joue,Un sujet que la Troupe avoue,Un des forts ; des mieux traités,Qu’on ait vû, depuis dix étés.Boyer, habile personnage,Est l’Auteur de ce grand Ouvrage,Intitulé DÉMÉTRIUS,Et qui tient le SuperiusEntre plusieurs Pièces nouvelles,Si l’on en croit bien des cervelles.
À Paris les représentations théâtrales ont lieu le mardi, vendredi et dimanche. D’après Loret, la Mort de Démétrius a donc été jouée au moins 3 fois. La pièce n’a pas été un échec2. Loret parle des « Pièces nouvelles » . En fait, l’hôtel du Marais prépare la Toison d’or, de Pierre Corneille, une tragédie à machines qui doit être jouée aux fêtes que le marquis de Sourdiac donnera à l’automne 1660 dans son château de Neubourg en réjouissance du mariage de Louis XIV. Concentré sur ce qui doit être l’évènement mondain de l’année, le théâtre du Marais monte à Paris des comédies déjà jouées, telles que le Chevalier de Fin Matois de Boisrobert, ou le Cartel de Guillot de Chevalier. La troupe de Molière est quant à elle prise dans la querelle des Précieuses. Le prochain grand succès du théâtre du Petit Bourbon sera Sganarelle. L’hôtel de Bourgogne n’a donc pas souffert de la concurrence lors des représentations de Démétrius. La Troupe Royale, depuis qu’elle est dirigée par le comédien-vedette Floridor, porte le flambeau du genre tragique. En ce début 1660, elle était composée de Floridor et de sa femme Marguerite Baloré, de Zacharie Jacob dit Montfleury, et sa femme Jehanne de la Chappe, de Claude Deschamps, sieur de Villiers et sa femme Marguerite Béguin, de Beauchasteau et sa femme Madeleine du Pouget, de Nicole Gassot femme de Bellerose, de Jehanne Anzoult, de Hauteroche et Raymond Poisson, dit Crispin. La distribution exacte de la tragédie de Boyer demeure cependant inconnue.
Le contexte politique, social et artistique §
À partir de la fin des années 1650 commence une période de grande production théâtrale après la parenthèse difficile de la guerre civile et de la guerre d’Espagne. La Fronde (1648-1652) avait remis en cause la monarchie absolue grandissante, et plongé le royaume dans des troubles incessants. Le jeune roi avait quitté Paris, l’aristocratie était divisée. Les temps n’étant plus aux festivités, les théâtres parisiens furent fermés. Le conflit contre l’Espagne qui suivit ces évènements vida les caisses de l’Etat, et provoqua une grave crise financière. Cette période instable s’achève en 1659 par la signature d’un traité de paix qui convient du mariage de Marie-Thérèse, infante d’Espagne, et de Louis XIV, le Traité des Pyrénées.
La France de 1660 rentre peu à peu dans la prospérité. Elle est gouvernée par un roi de 22 ans qui porte un grand intérêt aux divertissements en général et au théâtre en particulier. Louis XIV donne des pensions à cinq troupes, et invite fréquemment les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne à jouer à la Cour. Suivant l’exemple du souverain, la noblesse soutient la création artistique, et rouvre ses salons.
Ce contexte incite des auteurs qui s’étaient retirés de la scène parisienne à produire de nouvelles pièces. Ainsi, après sept ans d’absence, Pierre Corneille présente en 1659 Oedipe. C’est aussi en 1659 que Boyer revient à l’écriture dramatique avec la tragédie Clotilde. Ce retour au théâtre ouvre la période la plus faste et la plus féconde de la carrière de l’auteur. Clotilde est rapidement suivie de la tragi-comédie Fédéric, puis de La Mort de Démétrius. En 1660, Boyer est un auteur expérimenté et reconnu tant par ses pairs que par le public. Il est reçu dans tous les salons, ses amis, Chapelain en tête, sont influents. Avant de connaître à la fin de sa vie la déchéance et l’oubli, il a été considéré par ses contemporains comme une des gloires du théâtre français.
Succès et disgrâce de l’abbé Claude Boyer §
Claude Boyer est né à Albi en 1618, et mort à Paris le 22 juillet 1698. Nous possédons peu d’informations concernant ses années de jeunesse et de formation. Il aurait obtenu dans le collège de sa ville le grade de bachelier en théologie. Bien qu’ayant réellement le titre d’abbé, Boyer ne semblait pas y réellement y tenir : il précha très rarement, et apparemment sans conviction. À 27 ans, une tragédie en poche, il part pour la capitale. La Porcie romaine sera représentée en 1646, soit quelques mois seulement après son arrivée à Paris ; c’est un succès. En peu de temps, Boyer parvient à se faire une place dans le milieu littéraire de l’époque. Les salons de Mme Tallemant et de Mme de Rambouillet s’ouvrent à lui. Il se lie rapidement avec des personnalités telles que Melle de Scudéry et surtout Jean Chapelain, la plus haute autorité littéraire de l’époque, qui restera un admirateur fidèle et un ami zélé. Boyer sait s’entourer, et demeurera toute sa vie très prolixe. Entre 1645 et 1695, il écrit 23 pièces de théâtre, parmi lesquelles des tragi-comédies, des pastorales, des comédies, des tragédies en musique ou à machines3. Il s’adonna aussi à l’occasion à d’autres genres, publiant régulièrement des poésies galantes, religieuses, et des compliments.
Cette ascension, ralentie uniquement durant les années de guerre civile, connait son apogée en 1667 avec l’élection du poète à l’Académie française. À cette date, seul Corneille est jugé supérieur à Boyer. Ainsi Chapelain, dans sa Liste des gens de lettres rédigée en 1662, note que Boyer est « un poète de théâtre qui ne le cède qu’au seul Corneille » . L’auteur du Cid cite Boyer, Quinault et lui-même comme les trois seuls auteurs capables de redresser le Théâtre du Marais. Sa renommée est immense ; il entre sur la liste des pensionnés du Roi. Les auteurs, les critiques louent ses pièces et son « feu » : « feu, quand il compose » dans la Satyre des satyres de Boursault, « feu des vers » chez Chappuzeau. Après sa mort, le Mercure galant parlera encore de son « feu d’esprit » .
Malgré cette carrière prestigieuse, Boyer a vu sa renommée peu à peu s’effriter. À partir du début des années 1670, et jusqu’à sa mort, il dut faire face à une hostilité déclarée de quelques rivaux et critiques, hostilité qui confinait à l’acharnement. Il a parfois fait jouer certaines de ses dernières pièces sous un nom d’emprunt afin d’éviter les cabales systématiques. Il n’était plus l’académicien qui égalait presque en son temps le grand Corneille, mais l’auteur vieillissant qui était l’objet des plus piquantes épigrammes circulant dans Paris.
Le zénith de la carrière de Claude Boyer correspond à l’arrivée de Racine sur les scènes théâtrales parisiennes. Etant depuis la mort de Corneille l’auteur le plus titré et le plus connu, Boyer vit se cristalliser sur son oeuvre et sa personne la malveillance d’un clan racinien avide de reconnaissance. Boileau usa de sa verve la plus satirique pour éliminer le concurrent potentiel de son protégé. Dans l’Art poétique, le « cas Boyer » est traité de manière lapidaire4 :
Qui dit froid écrivain dit détestable auteur.Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur5.
Plus encore que Boileau, Furetière accabla Claude Boyer de critiques acerbes ou moqueuses. L’inimitié qu’il concevait contre l’abbé s’était changé en haine après que celui-ci (parmi tant d’autres) avait voté en 1685 son exclusion de l’Académie française. En vers ou en prose, Furetière ne l’épargne pas :
Quand les pièces représentéesDe Boyer sont peu fréquentées,Chagrin qu’il est d’y voir peu d’assistants,Voici comme il tourne la chose :Vendredi, la pluie en est cause,Et dimanche, c’est le beau temps.
ou encore :
Il n’a pas été assez heureux pour faire dormir personne à ses sermons, car il n’a point trouvé de lieu pour prêcher. La nécessité l’a donc réduit à prêcher sur les théâtres du Marais et de l’Hotel de Bourgogne ; mais il leur a porté malheur6.
Claude Boyer ayant rencontré un certain succès pendant plus de vingt ans, et au regard de l’estime que lui portaient des hommes tels que Pierre Corneille, il est possible de mettre en doute l’objectivité et la légitimité de ces jugements. Cependant, à l’époque où le trait d’esprit et la cabale prévalaient, Boyer n’a su répondre aux attaques qu’en poursuivant consciencieusement son travail d’écriture théâtrale. L’abbé Boileau, lors de la réception de son successeur à l’Académie française, le décrit :
Il était indulgent et docile, d’un esprit facile et laborieux, malgré le génie de son art sincère et malgré celui de sa nation modeste. Il a décrit les passions sans en être troublé, cherchant la bienséance dans ses ouvrages, l’ayant toujours observée dans ses moeurs7.
L’homme est discret, peu enclin à la polémique, souvent obséquieux à l’excès dans certaines de ses poésies. De plus, après avoir critiqué Racine, il prit le parti de vouloir l’imiter. Boyer était la proie idéale des pamphlétaires en mal de victime, et face à des professionnels de la saillie mordante comme l’étaient Boileau et Furetière, il ne sut jamais que donner prise aux critiques8.
Cet acharnement a non seulement assombri la fin de sa vie, mais aussi entaché définitivement son œuvre vis à vis de la postérité. Boyer avait peu d’ennemis, mais ceux-ci étaient d’une envergure peu commune. L’Art poétique ayant été considéré très tôt comme le criterium de la valeur d’une pièce de théâtre, les exégètes se sont rangés à l’avis de son auteur concernant Claude Boyer à partir du XVIIIe siècle. Même si les frères Parfaict reconnaissent que la persécution opérée contre lui était peu digne de « si grands hommes » , ils abondent dans leur sens en condamnant l’œuvre de l’abbé dans son ensemble9. Le vers de Boileau, l’hostilité de Racine collaient définitivement à Boyer une image de piètre rimeur, d’auteur fade et austère. Les échecs et affronts qu’il a essuyés sont même devenus plus connus que son œuvre même. Hormis de récentes éditions des Amours de Jupiter et Sémélé, d’Oropaste et de Tyridate, aucune des pièces de Boyer n’a été republiée depuis le XVIIe siècle.
Boileau n’admettait pas de mesure entre le sublime et la médiocrité. Claude Boyer n’avait certes pas le génie d’un Racine, mais n’était pas dépourvu de talent. Ces pièces, sans rencontrer le triomphe, sans provoquer de polémiques, reflètent le goût de l’époque. Comme le note Claudia Brody dans sa thèse10,
L’oeuvre de Claude Boyer nous donne une bonne idée de ce que pouvait voir un parisien du XVIIème siècle dans des théâtres qui ne donnaient pas constamment les meilleures pièces de Corneille, de Racine ou de Molière.
Le traitement des sources : primauté de l’invention §
Pour l’intrigue de la Mort de Démétrius, Claude Boyer s’est inspiré des Histoires philippiques de Justin, dans lesquelles l’auteur retrace notamment l’histoire des royaumes de Macédoine et d’Epire au IVe et IIIe siècle avant Jésus-Christ. Dans le livre XXVI, Justin rapporte que le roi de Macédoine Antigone Gonatas a tué Pyrrhus, roi d’Epire, en voulant reconquérir son royaume, que celui-ci avait envahi. Il part ensuite en guerre contre Athènes. Suit le récit des circonstances qui mènent Démétrius sur le trône d’Epire :
Dans le temps qu’il était occupé à cette guerre, Alexandre, roi d’Epire, voulant venger la mort de Pyrrhus, son père, ravage les frontières de la Macédoine. Antigone revient de la Grèce pour le repousser, mais, abandonné de ses soldats qui passent à l’ennemi, il perd à la fois la Macédoine et son armée. Son fils Démétrius, encore fort jeune, lève de nouvelles troupes en l’absence de son père, recouvre la Macédoine, et dépouille même Alexandre de l’Epire. Telle était alors l’inconstance des soldats, telles étaient les vicissitudes de la fortune, qu’on voyait les rois tour à tour ou sur le trône ou dans l’exil11.
Dans considération d’ordre général qui clôt ce passage s’immisce le thème tragique de l’homme soumis quelque soit sa puissance aux « caprices de la Fortune » . La suite du texte confirme ce fait :
Alexandre, qui s’était réfugié dans l’Acarnanie, fut rétabli sur le trône d’Epire, autant par le voeu de ses peuples que par l’appui de ses alliés.
Boyer a trouvé ici le dénouement de sa tragédie. La Mort de Démétrius expose les conditions du retour au pouvoir d’Alexandre. Il s’agissait maintenant pour lui d’agencer la mise en place de l’intrigue. Pour cela, Claude Boyer a en grande partie remanié la généalogie retenue par l’historien, ainsi que les évènements précédant le « rétablissement d’Alexandre » .
À la suite de batailles, de conquêtes et de revanches entre deux familles royales Boyer a substitué une situation initiale beaucoup plus simple et concentrée. Avant le début de l’action, Artaban, personnage créé par l’auteur, usurpe à Pyrrus la couronne d’Epire. Démétrius est un prince dont l’ayeul Ptolémée a autrefois gouverné un temps l’Epire. Il s’est marié avec la fille du tyran, et prend donc le pouvoir à sa mort. Alexandre, fils de Pyrrus, est quant à lui parti en exil. Tout en leur donnant une égale légitimité politique, cette version fait de Pyrrus et Alexandre les victimes innocentes d’Artaban alors que chez Justin, ils avaient tenté eux aussi de prendre la place d’un roi. L’auteur a certainement été influencé par le portrait de Pyrrus dressé par l’historien (XXV ; 3) :
C’est une opinion bien établie chez tous les historiens qu’on ne peut comparer Pyrrhus à aucun des rois de son siècle ni des précédents. Il serait difficile de citer quelqu’un [ayant eu] une vie plus pure et d’une équité plus éprouvée.
Dans la tragédie, Alexandre est le fils de l’homme vertueux, pas de l’agresseur de la Macédoine. Par ailleurs, afin que le sujet gagne en pathétisme, l’auteur a fait des deux ennemis jurés décrits Justin des amis d’enfance, ainsi que des rivaux en amour.
Boyer prend d’autres libertés par rapport à l’Histoire dans le déroulement même de sa pièce. Démétrius est assassiné entre les actes IV et V dans la tragédie. Chez Justin, après avoir perdu la couronne d’Epire face à Alexandre, Démétrius régna dix ans encore sur la Macédoine, et se maria en secondes noces avec la fille de celui-ci. D’autre part, des noms de personnages utilisés par Boyer se retrouvent dans les lignes qui suivent l’extrait tiré de Justin. Alexandre et Démétrius mis à part, ces personnages n’ont rien de commun avec leurs homonymes historiques. Arsinoé était marié au roi de Mycène Magas (XXVI ; 3) . Ptolémée, ancêtre de Démétrius dans la tragédie, était le frère de Magas. Séleucus, seigneur d’Epire pour Boyer, était un roi de Syrie (XXVII ; 1) . Sa mère, Laodice (XXVII ; 1) , est devenu une confidente. Enfin, la conspiration fomentée par Milon, le confident de Démétrius, ainsi que le personnage d’Isménie qui pose en rivaux les deux héros ont été totalement imaginés par l’auteur. En revanche, le soulèvement populaire qui couve et éclate finalement au dernier acte de la tragédie doit être directement inspiré de Justin quand celui-ci parle du « voeu des peuples » qui a rétabli Alexandre. De même, Démétrius parle de ses ancêtres :
Il est vray, mes Ayeux ont porté la Couronne,Mais ce droit ne va pas jusques à ma personne.Ptolémée autrefois l’acquit par trahison,Quand un de vos Ayeux pour se faire raisonD’un ennemi voisin, ayant quité l’Epire,Mon Ayeul Ptolémée envahit cet Empire. (v. 493-498)
Cette évocation rappelle nettement le passage des Histoires philippiques cité plus haut, dans lequel Alexandre profite de l’absence d’Antigone alors parti en guerre contre Athènes pour attaquer la Macédoine et la conquérir. L’auteur a renversé les rôles entre agresseur et agressé.
En privilégiant nettement l’invention par rapport à la tradition historique, Boyer parait suivre les conceptions formulées en 1657 par d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre12 :
On demande ordinairement (...) jusqu’à quel point il est permis au poète de changer une histoire quand il la veut mettre sur le théâtre. (...) je tiens pour moi qu’il le peut faire non seulement aux circonstances, mais encore en la principale action, pourvu qu’il fasse un beau poème.
Pour d’Aubignac, la liberté du dramaturge face aux sources est totale. L’auteur peut tout à fait changer la vérité historique si la finalité est d’atteindre le vraisemblable. Cette théorie s’oppose à celle que Corneille exposera en 1660 dans ses Discours. Pour lui, un sujet de pièce tiré de l’histoire est connu de tous. En modifier l’action principale et le dénouement rendrait nécessairement la tragédie invraisemblable pour le public.
Seuls trois faits du récit de Justin ont été conservés pour la mise en place de l’intrigue de la Mort de Démétrius :
- – Alexandre est le fils de Pyrrhus, roi d’Epire.
- – Alexandre perd le trône d’Epire, puis le reconquiert après quelques temps d’exil, grâce à un soulèvement du peuple et de soldats.
- – Démétrius est le roi d’Epire alors qu’Alexandre est en exil.
Excepté ces trois éléments, tous les personnages, la conspiration contre le roi, les amours et l’amitié qui rapprochent Alexandre et Démétrius, la mort de Démétrius même relèvent totalement de l’« invention » défendue par d’Aubignac. Il faut néanmoins noter que le sujet choisi par Claude Boyer n’était pas des plus célèbres, même pour le public du XVIIe siècle, imprégné de culture gréco-latine. La Mort de Démétrius est la seule tragédie mettant en scène Démétrius II et Alexandre d’Epire. L’auteur pouvait donc plus aisément faire des entorses à l’Histoire sans voir son œuvre taxée d’invraisemblance par les adversaires de d’Aubignac. Il a privilégié le vraisemblable au vrai.
En fait, La Mort de Démétrius n’a que l’apparence d’une tragédie historique. Pourquoi l’auteur a-t-il conservé dans les grandes lignes certains faits relatés par Justin ? Comme le note Georges Forestier à propos de l’Héraclius de Corneille13,
C’est son caractère historique (ou prétendument historique) qui permet à la tragédie de faire accepter comme croyables des événements si extraordinaire qu’ils en paraîtraient sans cela incroyables.
Un minimum d’Histoire conservé dans une intrigue donne une caution, une garantie d’authenticité à l’ensemble des inventions de l’auteur. Ainsi, les circonstances du rétablissement d’Alexandre peuvent être légitimées par la référence à Justin et acceptées par un spectateur persuadé d’assister à ce qui s’est réellement déroulé au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Boyer n’a donc pas sur ce point une conception du traitement de l’Histoire différente de celle de Corneille.
Composition et structure de la pièce §
La Mort de Démétrius peut être considérée comme tragédie régulière, en cinq actes et 1836 vers. Chaque acte comporte entre 356 et 380 vers.
Le traitement du lieu §
L’unité de lieu est respectée. Toute l’action se déroule dans ce que Anne Ubersfeld appelle un « vestibule classique »14, situé dans le palais royal de Dodone, capitale de l’Epire. Ce lieu clos s’ouvre cependant sur un espace plus vaste, construit essentiellement grâce au récit de certains personnages. Cet espace élaboré par la parole correspond d’abord à l’ailleurs, à ce qui est hors du Palais. Alexandre a trouvé des alliés en exil, parmi lesquels Athènes (v. 361 ; v. 825) . À la scène 1 de l’acte III, Milon rapporte son excursion nocturne dans la forêt sacrée qui entoure la ville. Le peuple d’Epire se révolte à Dodone. En dehors du vestibule classique, d’autres parties du palais sont évoquées : le cabinet dans lequel est assassiné Démétrius (v. 1514) , le « Balcon élevé qui domine la place » (v. 1743) . Tous ces éléments construisent en dehors de la scène un univers. Cet univers est clairement divisé en deux : l’espace extérieur et l’espace intérieur. Le palais est le lieu de la traîtrise, du pouvoir illégitime. C’est à l’intérieur que Démétrius est assassiné, que Milon peut mettre en œuvre dans le cinquième acte ses funestes projets. Hors de ses murs se trouvent les forces du droit, de la vérité. L’extérieur est le lieu de l’oracle et de l’insurrection du peuple contre le tyran. Entre ces lieux d’action, se place le vestibule, le lieu protégé de la parole. Arsinoé, personnage de l’intérieur, brise la frontière établie entre les deux mondes en ouvrant la porte du palais (v. 1785-1786) . La légitimité et la justice rentrent alors avec Alexandre et le peuple dans l’espace intérieur pour le dénouement. Le complot est maté, le roi retrouve son trône, l’équilibre entre les deux mondes peut être rétabli. Et comme le confirme Alexandre dans la dernière scène de la pièce,
Allons de tant d’horreurs purger ces tristes lieux, (v. 1833)
Le Palais de Dodone redevient le lieu d’un pouvoir royal soutenu par le peuple, l’ordre est rétabli.
Le traitement du temps §
Boyer observe aussi l’unité de temps, en réduisant au maximum le temps de la fiction pour le faire concorder au temps réel, comme l’exige le principe de vraisemblance.
Quelques indices permettant d’évaluer cette durée se retrouvent dans la pièce. Séleucus décrit l’arrivée d’Alexandre au début de l’acte II :
Voyez comme il revient ; il n’entre que la nuit,Craignant que son retour dans la pompe ; le bruitFust à Démétrius ou suspect ou funeste, (...) (v. 363-365)
Dans la première scène de l’acte III, d’autres éléments sont donnés par Milon. Après avoir capturé Alexandre, il rencontre Isménie :
La lune foiblement éclairoit ses appas. (v. 748)
puis,
Voyant mon Rival seul, de nuit, sous ma puissance,Mon amour me tentoit d’achever ma vangeance. (v. 761-762)
Par ailleurs, Boyer a respecté au maximum la juste proportion entre le temps de l’action et le temps de la représentation. Les évènements qui se produisent entre chaque acte sont peu nombreux et restent dans l’ordre de la vraisemblance temporelle : entre l’acte I et l’acte II se sont déroulées les amicales retrouvailles d’Alexandre et Démétrius ; entre les actes II et III, Alexandre s’est fait capturer près de Dodone et a été ramené au Palais où il croise Isménie ; entre les actes III et IV, Isménie a reçu la missive de Démétrius. Ce qui se déroule entre l’acte IV et l’acte V demande certes plus de temps : Démétrius est poignardé par Milon, Alexandre s’échappe du Palais pour prendre la tête de la rebellion populaire. Mais ce sont essentiellement les principes de bienséance et non des contraintes de temps qui placent ces évènements dans le « hors-scène » , la proscription horacienne de l’horrible touchant notamment les meurtres et les scènes de batailles. Dans La Mort de Démétrius, l’entracte n’est plus l’« abcès de fixation, l’objet fourre-tout » décrit par Bénédicte Louvat15. L’essentiel de l’action se produit sur scène, ou est communiquée au spectateur en temps réel, comme pour les péripéties du cinquième acte. La pièce se déroule donc en une soirée (l’acte I précède le retour nocturne d’Alexandre) et une nuit, soit moins de vingt-quatre heures.
Par ailleurs, Boyer a choisi un sujet qui se prêtait particulièrement bien aux contraintes temporelles imposées à son époque. Le rétablissement d’un roi peut se faire en un jour. L’auteur décrit la crise ultime d’un conflit qui a commencé ici bien avant le début de l’action, et prend soin de situer précisément sa pièce par rapport à ce conflit. Les informations temporelles concernant la genèse de la crise sont données dans les deux premiers actes de la tragédie. Elles peuvent être précises :
- – Artaban est mort depuis trois mois (v. 76) .
- – Il y a six mois que Démétrius est marié avec Arsinoé (v. 115) .
- – Alexandre est exilé d’Epire depuis six mois (v. 359) .
Les éléments sont aussi livrés indirectement ; l’information est plus floue :
- – Le peuple s’est révolté lorsque Démétrius a pris le pouvoir, à la mort d’Artaban (v. 153-154) .
- – La famille de Démétrius a autrefois usurpé le trône d’Epire (v. 63) .
- – Démétrius aime Isménie depuis au moins six mois, puisqu’il a épousé Arsinoé afin de « sauver [sa] chère Isménie » (v. 229-230) .
- – Milon aime Isménie depuis au moins six mois, puisqu’il dit avoir eu comme premier rival Alexandre (v. 402) .
Ces données permettent de dresser une chronologie de l’« avant-crise » . De plus, à la fin de la Mort de Démétrius, des signes connotent la réintégration du royaume d’Epire dans l’ordre de l’histoire après la résolution du conflit.
Et demain nous pourrons avec plus d’allégressePar un illustre Hymen couronner ma Princesse. (v. 1835-1836)
Les deux derniers vers ouvrent la pièce sur les perspectives de l’« après-crise » .
Boyer a donc pris un soin particulier pour traiter les problèmes de temporalité. L’action se déroule quasiment entièrement en temps réel sur la scène. L’auteur a concentré au maximum l’épisode qu’il a choisi de traiter et l’a parfaitement inscrit dans le temps de l’Histoire.
Définition des fils de l’intrigue §
Boyer a tiré son sujet de l’Histoire. Il a mis en place à partir de cette base les grands axes de sa tragédie, de manière cohérente et suivie. La Mort de Démétrius compte cinq personnages principaux actifs qui partagent les quatre fils de l’action. Le fil principal est le retour d’Alexandre à la cour d’Epire et son amour pour Isménie. À ce fil principal s’ajoutent trois fils secondaires : Démétrius aime Isménie, Milon aime Isménie, Arsinoé aime Démétrius16. Les actions secondaires sont reliées entre elles : Milon et Arsinoé se liguent contre Démétrius. Démétrius écoute les conseils de Milon. Elles influencent aussi l’action principale et sont nécessaires à son déroulement. Démétrius fait revenir Alexandre d’exil et lui offre le trône afin de conquérir Isménie. Milon complote la chute d’Alexandre et de Démétrius afin d’obtenir de gré ou de force le cœur de la princesse. Arsinoé, désespérée d’avoir aidé Milon à assassiner l’homme qu’elle aimait, permet au peuple de rentrer dans le palais, et donc à Alexandre de reprendre le pouvoir. Aucune de ces actions ne peut être soustraite de la tragédie sans rendre incompréhensible l’action principale. Ces fils secondaires suivent le déroulement de la pièce, de l’exposition au dénouement. Les quatre fils se nouent entre l’acte I et le début de l’acte II, pour se poursuivre jusqu’au dernier acte, dans lequel Démétrius, Arsinoé et Milon meurent. Autour d’une action unique, le rétablissement d’Alexandre, l’auteur a tissé d’autres éléments interdépendants afin d’obtenir une action cohérente et unifiée, avec un début, un milieu et une fin bien définis. C’est la rencontre de ces différents fils, ainsi que la présence de difficultés ou obstacles qui forme l’intrigue. Nous allons voir à travers l’étude du déroulement de la pièce comment l’auteur tisse les différents fils et construit son intrigue.
L’exposition §
Les informations nécessaires à la bonne compréhension de la pièce sont données dans les premières scènes de l’acte I, et au début de l’acte II. La scène 2 fournit les circonstances qui ont conduit Démétrius sur le trône. Le roi, Alexandre, Arsinoé, ainsi que Pyrrus et Artaban sont maintenant connus du spectateur. Démétrius révèle dans la scène 3 son amour pour Isménie, la maîtresse d’Alexandre. La scène 4 révèle que Démétrius veut céder la couronne d’Epire afin de gagner le cœur d’Isménie. C’est seulement à l’acte II que le personnage de Milon est véritablement présenté : il veut devenir roi ; il aime Isménie depuis longtemps. L’exposition de la Mort de Démétrius se clôt donc avec la scène 1 de l’acte II. Longue, elle peut aussi être qualifiée de « discontinue » , selon la terminologie adoptée par Jacques Scherer :
Ce qui est fréquent, c’est que l’exposition soit suspendue, parfois assez longtemps, pour reprendre plus tard. (...) L’auteur, ne pouvant ou ne voulant charger de trop de faits la mémoire du public dès le début, préfère espacer l’énoncé de ces faits, donner d’abord une partie de l’exposition seulement, puis un peu d’action, puis un renouveau d’exposition, et ainsi de suite s’il y a lieu17.
Ici, les faits sont répartis en deux parties. L’essentiel de l’information se trouve dans les quatre premières scènes de l’acte I. Suit la rencontre de Démétrius et d’Isménie, qui s’achève sur l’ultimatum lancé par le roi : il rendra à Alexandre son rang si elle renonce à aimer le prince. Isménie se résout finalement à servir son amant. L’acte II commence avec le récit de l’arrivée d’Alexandre au Palais. Les véritables intentions de Séleucus et surtout de Milon sont alors révélées. Nous avons donc d’abord une grande partie de l’exposition, un peu d’action, puis le reste de l’exposition.
Cette technique, si elle évite les récits fastidieux d’événements passés, peut cependant ralentir le rythme de l’action. Boyer évite le problème en construisant le début de sa tragédie de manière très dynamique. La première scène est très courte. Les gardes et Télamon, présents au lever de rideau, se retirent presque immédiatement sur l’ordre de Démétrius :
Et que nul n’entre ici que par un ordre exprés. (v. 3)
Les gardes à peine sortis, ce sont Arsinoé et Milon qui entrent en scène. Un échange rapide entre Milon et Démétrius introduit l’exposition proprement dite. L’impératif immédiatement transgressé du roi, ces rapides mouvements de personnages instaurent un climat d’insécurité, et captent d’emblée l’attention des spectateurs.
Le dialogue de la scène 2 donne la toile de fond de l’intrigue. Pour distiller l’information nécessaire à la compréhension de la pièce, l’auteur a choisi de dresser l’un contre l’autre deux de ses personnages en un affrontement violent. Démétrius attend Isménie. C’est Arsinoé, accablée par le chagrin, qui se présente à lui. En même temps que se révèle le conflit qui oppose le couple royal, le spectateur découvre les divers bouleversements qui ont touché le trône d’Epire depuis six mois. À la passion d’un entretien dans lequel deux époux se déchirent sont mêlés des éléments purement informatifs, ce qui anime fondamentalement toute l’exposition :
ARSINOÉ. - Je m’offre sur le Thrône à la foudre des Dieux.DÉMÉTRIUS. - Ce sont là des fureurs dignes de votre père.ARSINOÉ. - Si j’avois son pouvoir ainsi que sa colère...DÉMÉTRIUS. - Mais enfin il est mort.ARSINOÉ. - Tant de sanglants mesprisMe l’ont depuis trois mois cruellement apris. (v. 72-76)
Ce procédé permet à l’auteur de répartir entre chaque personnage les indications à fournir, évitant ainsi un long récit qui ralentit le début de la tragédie. La situation de conflit avec l’interlocuteur présente ces indications d’ordre général comme autant d’arguments dans la conversation. Ainsi, Démétrius détaille entre les vers 45 et 56 son accession au trône, avant de ramener l’objet de sa tirade sur Arsinoé :
D’un Empire arraché triste dépositaire,Je rends à mon amy le vol de vostre père,Je le quitte avec vous, ; ne vous oste rien. (v. 57-59)
Il parait assez délicat de définir exactement les limites de l’exposition dans la Mort de Démétrius. Les éléments éclairant le sujet de la pièce sont donnés sur deux actes, et entrecoupés de scènes qui traitent de l’intrigue en elle-même. Le lieu de l’exposition par excellence, c’est-à-dire le début du premier acte, n’est pas dédié uniquement à l’informatif. Mieux, l’informatif est totalement intégré au commencement in medias res de la tragédie. L’exposition n’est plus ici traitée comme une partie constitutive de la tragédie. Boyer atteint ici l’idéal défini plus tard par Jacques Scherer : « l’exposition la plus satisfaisante [est] celle qui n’aura pas l’air d’être une exposition18 » .
Les quatre fils de l’intrigue, décrits plus haut sont élaborés et liés entre eux grâce aux informations données dans l’exposition. Le premier concerne le couple royal. La reine affirme sa « fidelle amour » pour Démétrius, mais celui-ci songe à la répudier. C’est un deuxième fil, le principal, qui est imiscé dans l’intrigue aux vers 55 à 58 :
J’ay retenu ce rang, mais après son trespasJe serois criminel en ne le quittant pas ;D’un Empire arraché triste dépositaire,Je rends à mon amy le vol de vostre père.
Alexandre revient en Epire pour reprendre le trône d’Epire. La scène 3 de l’acte I complète ce fil et en crée un troisième. Démétrius dit dans le monologue :
Et les Dieux auroient tort de condamner ma flame,
Pour m’en justifier Isménie est mon choix. (v. 106-107)
Alexandre revient aussi en Epire pour retrouver sa maîtresse, que Démétrius aime. Le dernier fil est installé aux vers 393-394, dans le dialogue entre Séleucus et Milon, lorsqu’ils parlent d’Isménie :
SÉLEUCUS. - L’aimez-vous ?MILON. - Ouy, je l’aime, ; je sens que mon coeurPar trop de retenüe a conceu plus d’ardeur.
Le point commun de ces fils est Isménie, maîtresse, rivale ou objet de l’amour des personnages. Elle les noue ensemble d’emblée.
L’exposition place aussi la couronne d’Epire comme un enjeu de l’action, enjeu premier pour Arsinoé, qui semble ici placer la conservation du pouvoir au dessus de son mariage, quand elle déclare à Démétrius :
Renoncez à vos droits sans disposer du mien, (...)Le Thrône est tout à moi, vous pouvez en sortir. (v. 60 et 68)
Deux répliques de Séleucus et de Milon montrent que le pouvoir est en revanche subordonné à la flamme amoureuse pour Démétrius et son favori :
SÉLEUCUS. - Démétrius rendra le Sceptre à son Rival, (...)Il me l’a dit cent fois, qu’il n’estoit Roy d’EpireQue pour servir sa flâme en cedant un Empire. (v. 383-385)..............................MILON. - Plus je suis prés du Thrône, ; plus je crains ma chûte. (...)Je perdrois sans regret ma fortune ; ma vie,Mais mon amour ne peut luy quiter Isménie. (v. 390-392)
Tous ces faits montrent qu’à la fin de l’exposition, à la scène première de l’acte II, l’agencement des fils est accompli.
Le nœud de la pièce §
L’exposition est, nous l’avons vu plus haut, divisée en deux parties. C’est entre ces deux parties que débute véritablement l’action. Dans les scènes 5 à 7 du premier acte, Isménie présente à Démétrius ses craintes concernant la vie de son amant que le roi a fait revenir. Démétrius est amoureux d’elle, il pourrait tuer ce rival encombrant. De plus, elle préfère voir Alexandre en exil plutôt que dans la position de sujet soumis à une autorité. Le roi se déclare alors prêt à céder la couronne si elle consent à « quitter l’objet de [sa] flamme » . Le premier obstacle à l’amour d’Alexandre et Isménie est posé. La princesse est placée en face d’une situation où passion amoureuse et devoir sont opposés. Elle doit choisir : rendre le pouvoir à son prince en « aimant ailleurs » , ou rester fidèle à son amour, le laissant ainsi dans le statut d’exilé, de sujet. Isménie examine les deux possibilités dans la scène 7, et décide finalement de sacrifier sa flamme à la grandeur d’Alexandre :
Travaillons pour sa gloire, ; mourons à ses yeux. (v. 356)
L’obstacle n’implique pas ici de dilemne puisque l’une des alternatives est jugée réalisable par le personnage. Cependant, pour qu’Isménie puisse mettre en œuvre cette décision, l’autre protagoniste de l’action principale doit y souscrire.
Après la deuxième partie de l’exposition, qui correspond à la première scène de l’acte II, les intentions de tous les personnages sauf Alexandre sont connues. En l’absence du prince, l’action principale a été jusqu’ici définie en fonction des actions secondaires. Hormis son amour pour Isménie, le spectateur ne sait rien des motivations de l’héritier légitime. Alexandre apparait enfin à la scène 2 du deuxième acte, ne sachant rien des plans de Démétrius, de Milon, de la résolution d’Isménie. La première difficulté qu’il doit rencontrer a été introduite à la fin de l’acte précédent. Il doit maintenant l’affronter. Le nœud de la pièce commence avec l’entrée en scène d’Alexandre.
L’acte II, à partir de la scène 2, est centré sur Alexandre. Il rencontre Démétrius et Isménie, et il est confronté au premier obstacle. Le fil principal se trouve ici essentiellement lié avec le fil secondaire Démétrius/Isménie. La scène 2 commence par un rappel de l’attitude de Démétrius dans le premier acte. Dans un premier temps, Démétrius prétend ne plus vouloir d’une couronne illégitime qui lui est insupportable. Il souhaite céder le trône à Alexandre. Il affirme dans l’acte I :
Je veux en le rendant me laver de mon crime. (v. 69)
Alexandre s’oppose à cette volonté. Par amitié, et parce qu’il a autrefois sauvé sa vie, il souhaite laisser le pouvoir à Démétrius. Face à la grandeur d’âme du prince, Démétrius ému avoue ensuite sa véritable intention et le chantage exercé sur Isménie. Après avoir ainsi résumé son attitude passée, Démétrius décide finalement de se rendre à l’affection qui le lie toujours à Alexandre. Il abandonne à son ami trône et princesse, mais décide aussi de se tuer. Le roi se pose ainsi une fois encore en obstacle de l’action principale. Alexandre l’explique lui-même à Isménie dans la scène 4 :
Vous pouvez bien juger par ce grand désespoir,Qu’il me demande tout, ; qu’il veut tout avoir ;Il m’arrache en mourant à tout ce qu’il me donne,Et met par là si haut les biens qu’il m’abandonne,Que pour m’en rendre digne il faut y renoncer. (v. 619-623)
Le fait de céder le trône et Isménie en mourant devient un gage d’amitié si puissant qu’Alexandre ne peut l’accepter. Refuser ce gage reviendrait à renoncer à son amour plus qu’à la possibilité de régner. En effet, comme le pressent Alexandre dans son monologue de la scène 3, Démétrius est plus attaché à Isménie qu’au pouvoir : Alexandre peut obtenir le trône, il doit renoncer à Isménie. C’est le premier dilemme de la pièce. Les deux obstacles ne font donc qu’un. Ils sont de même nature : Démétrius en est à l’origine, et l’objet du chantage est Isménie. Seuls les termes des alternatives découlant de ces obstacles changent. Isménie doit choisir entre devoir et amour. Soit elle cède à Démétrius et Alexandre devient roi, soit elle lui résiste et son amant n’aura jamais le pouvoir. Alexandre doit choisir entre amitié et amour. Soit il abandonne Isménie à son ami, soit il perd un ami qui lui a sauvé la vie, et qui propose encore de lui laisser ce qu’il a de plus cher.
La scène 4 est le lieu de la première rencontre de deux amants. Ils doivent surmonter l’obstacle. Isménie, nous l’avons vu, souhaite s’effacer et voir son amant couronné. Le devoir prime. Alexandre est confronté quant à lui à un dilemne. Par définition, il ne peut aboutir à une décision. Le prince ne se résout pas à sacrifier l’une ou l’autre des parties en présence. Il ne peut régner sans Isménie, ni perdre son ami en privilégiant son amour. C’est ce qu’il exprime à Isménie en ces termes :
Tout party m’est fatal ou peu dignes de nous. (v. 684)
Cette irrésolution qui le différencie d’Isménie définit le héros tragique. Ne pouvant choisir, Alexandre choisit de quitter la Cour du royaume d’Epire. Isménie n’a pu convaincre son amant de prendre le pouvoir offert par Démétrius. Seule face au roi, elle décide de le suivre en exil.
À partir de la scène 2 de l’acte II, Boyer a noué étroitement le fil principal de son action à un fil secondaire (Démétrius/Isménie) . Un premier obstacle a été installé, et non surmonté. Les deux autres fils secondaires définis dans l’exposition ne font pas parti du tissage des faits de cet acte. Ils sont néanmoins évoqués. Le fil Démétrius/Arsinoé est rappelé à la mémoire des spectateurs du vers 506 au vers 508 :
Voyez Arsinoé, digne sang de son pere,Ce Monstre couronné triompher dans un rangQu’un père ambitieux acquit par tant de sang.
Le fil Milon/Isménie est notamment lisible à travers la réaction de Milon du vers 577 :
Peut-on regner avec tant de faiblesse ?
Le favori méprise Démétrius qui semble vouloir abandonner Isménie à Alexandre alors que lui a déclaré être capable de tout pour s’attirer ses faveurs. Ce sont ces deux fils qui vont être intégré un par un à l’intrigue dans le troisième acte.
Dès la première scène de l’acte III, le fil Milon/Isménie est relié aux fils Alexandre/Isménie et Démétrius/Isménie. Milon est intervenu dans l’action principale en empêchant la fuite d’Alexandre. Il retient le prince dans le palais. Dans la scène 2 de l’acte II, le favory avait assisté aux retrouvailles de Démétrius et d’Alexandre. Il connaît donc le dilemne d’Alexandre, et sait que la fuite était la seule attitude que celui-ci pouvait adopter. Démétrius et Alexandre ont chacun respecté leur amitié. Démétrius a proposé de tout abandonner pour combler le prince légitime. Alexandre a refusé de choisir entre le malheur de Démétrius ou le malheur d’Isménie. Milon décide d’ébranler cette amitié afin de toucher les deux hommes à la fois, et d’obtenir ce qu’il désire. Pour cela, il lui suffit d’arrêter Alexandre, et d’annoncer cette tentative de fuite au roi :
La fuite d’un Rival luy donne de l’ombrage,Elle luy rend suspect cet amy genereux, (...)Il l’a fait arrester, ; cet éclat de haineBrise le premier noeud d’une si forte chaîne. (v. 782-786)
Selon Milon, Démétrius n’aura plus confiance en la franchise de son ami. Alexandre supposera le roi capable de violence.
Les projets de Milon sont mis à exécution dès la scène suivante. Il persuade d’abord Démétrius de la trahison d’Alexandre et lui fait comprendre que, libéré des obligations de l’amitié, il peut obtenir trône et princesse. Après avoir hésité, Démétrius se range finalement à cet avis :
Je veux tout accorder au secours de ma flame,S’il faut perdre un amy, détrôner une femme,Je ne refuse rien pour en venir à bout,Et ce coeur amoureux est capable de tout. (v. 913-916)
Le fil Arsinoé/Démétrius est alors réintroduit dans l’action. Démétrius annonce à la reine qu’une autre femme lui est préférée, et qu’elle doit s’effacer devant elle. Arsinoé, dans son monologue de la scène 5, laisse libre cours à sa colère et à son désir de vengeance. Milon a donc dressé Démétrius contre Alexandre, et déchaîné les fureurs de la reine contre son époux. Ses deux rivaux sont menacés, il doit trouver le moyen de les éliminer.
Arsinoé trouve en Milon, l’ancien conseiller de son père Artaban, un allié de choix. Milon feint de se plaindre d’un roi ingrat, lâche et indigne du pouvoir. Arsinoé veut assassiner un époux qui la rejette. Elle offre au favori le trône d’Epire et sa main si celui-ci l’aide à parvenir à ses fins. Milon accepte, et propose même de joindre Alexandre à la conjuration. Ce projet est envisageable, puisque :
Leur étroite amitié n’a plus le même cours. (v. 1047)
Alexandre ne sera utilisé que pour perdre Démétrius.
Le complot de Milon est donc mis en place à la fin de l’acte III. Milon et Arsinoé projettent de tuer Démétrius. Ils doivent convaincre Alexandre de participer au crime, afin de l’en accuser par la suite. Milon a manipulé Démétrius afin d’ébranler son amitié pour Alexandre. Il a aussi manipulé Arsinoé afin d’arriver sur le trône et d’y placer Isménie. Sa stratégie est résumée aux vers 1093-1094 :
Sans leur division ma ruine est certaine ;Il faut que mon amour triomphe par leur haine.
Le second obstacle qu’Alexandre aura à surmonter est ici en germe. Le premier était constitué au début de l’acte II par Démétrius. Celui-ci est élaboré par Milon, mais il implique aussi Arsinoé et Démétrius, ainsi que deux complices : Séleucus et Télamon. La situation s’est donc considérablement complexifiée. La crise est à son paroxisme : le rétablissement d’Alexandre parait plus compromis que jamais.
Malgré cette complexité, l’action reste unifiée. Milon est au centre de l’action de l’acte III. Il dialogue avec tous les personnages de la pièce à l’exception d’Alexandre et d’Isménie. Pour servir son projet, il utilise l’amour de Démétrius et l’amour d’Arsinoé. Tous les fils de l’action sont donc noués autour du fil Milon/Isménie. En l’absence scénique d’Alexandre et d’Isménie, ce sont les trois fils secondaires qui sont devenus totalement interdépendants. Le fil principal est cependant constamment en arrière-plan. Le complot de Milon est conçu pour gagner le trône qui revient à Alexandre, et surtout sa maîtresse.
Alexandre est au début de l’acte IV dans la même situation qu’au début de l’acte II. Il ignore les intentions de Démétrius. Il ne connait pas non plus les différentes alliances qui se sont créées entre certains personnages. Pour que le complot de Milon puisse aboutir, il faut que le prince participe à l’assassinat du roi. Pour que Démétrius fléchisse Isménie, il doit mettre la vie de son amant dans la balance. L’acte IV est composé de deux mouvements. Dans un premier temps, Alexandre va rencontrer tous les personnages principaux, hormis Milon, et découvrir leurs desseins. Dans un second temps, Alexandre révèle en partie la conjuration à Démétrius. Ceci amène un repositionnement des projets de chacun des protagonistes. Les éléments du dénouement sont fixés.
Les conjurés doivent d’abord ébranler l’amitié fidelle qu’Alexandre porte à Démétrius. C’est Séleucus qui s’en charge le premier :
N’attendez rien du Roy, craignez sa violence. (v. 1130)
Alexandre reste inflexible :
Il regne, j’y consens, ; fais ce que je dois. (v. 1143)
Il a par la suite un entretien avec Isménie, dans lequel il apprend la résolution de Démétrius. Si Isménie refuse l’amour du roi, Alexandre et lui mourront. L’obstacle de Démétrius a donc changé de nature après que celui-ci ait suivi les conseils de Milon. Alexandre doit mourir ou abandonner sa maîtresse. Ici encore, les amants tentent de résoudre ce dilemne ensemble. Chacun des personnages pèse tour à tour les deux alternatives qui s’offrent à eux, ce choix est formulé par Alexandre :
Le Tyran veut enfin, ma mort, ou ma Princesse. (v. 1251)
Quand Alexandre choisit finalement de mourir plutôt que de céder sa maîtresse, Isménie affirme pouvoir préserver la vie et l’amour de son amant. Laissant Alexandre dans l’expectative, elle décide ensuite d’aller à la rencontre du roi qui attend la réponse à la missive. Démétrius a démontré dans celle-ci qu’il plaçait Isménie au dessus de son amitié pour Alexandre. Dans cette scène, le prince a malgré tout réaffirmé son amitié pour Démétrius :
Je te plains, pauvre Prince, ; ne puis te haïr. (v. 1166)
S’il ne veut pas renoncer à l’amour d’Isménie, il reste lié à l’ami qui lui a sauvé la vie.
Après Séleucus et Démétrius, c’est Arsinoé qui va mettre à l’épreuve la fidélité d’Alexandre. Suivant les plans de Milon, la reine offre au prince dans la scène 5 de se venger du tyran en l’assassinant. Ici encore, Alexandre se révèle un homme de droiture et d’honneur. Il repousse avec horreur cette « lâche perfidie » qui lui permet même de disculper Démétrius et son comportement indigne :
Je dois, Démétrius, excuser ta furie,De cette infame Cour l’horreur te justifie. (v. 1331-1332)
Le complot fomenté par Milon ne peut aboutir. Les efforts des conjurés et l’attitude menaçante de Démétrius n’ont pas remis en cause la fidélité du prince.
Le deuxième mouvement de l’acte commence à la scène 6. Non seulement Alexandre ne s’est pas dressé contre le rival qui l’a trahi, mais il le met maintenant en garde contre son entourage. Grâce à cette déclaration et malgré les dénégations de la reine, Démétrius accuse Arsinoé de vouloir le perdre. La générosité d’Alexandre le plonge dans le désespoir. Il a trahi un ami, il est marié à un monstre. Le roi souhaite un moment mourir, quand Télamon lui annonce que la princesse souhaite le voir. Il reprend espoir. Toute son attention est immédiatement reportée sur son amour. Démétrius place Arsinoé sous la garde de Milon, et part rejoindre la princesse.
La donne est donc changée pour les conjurés. L’amitié d’Alexandre et de Démétrius paraît indéfectible, Arsinoé est démasquée. Les projets de Milon sont inconnus du roi. Dans la dernière scène de l’acte, Arsinoé et Milon décident donc d’agir eux-même sans attendre. Arsinoé craint que la princesse cède à Démétrius, elle charge Milon de la tuer. Milon veut éliminer son rival le plus puissant, il charge Arsinoé de tuer Démétrius.
Dans l’acte IV, Alexandre est confronté à plusieurs difficultés. Il en résout une partie. Le premier obstacle, posé à l’acte II et toujours en suspend, le confrontait à un dilemme : Alexandre devait choisir entre sa maîtresse et son ami. Il choisit sa maîtresse, puisque son ami l’a trahi en menaçant ici sa vie. Il est toujours redevable de sa vie à Démétrius. Il règle ce problème en lui rendant la pareille :
Mon malheur m’a forcé de te devoir la vie :Je veux te la devoir malgré ta perfidie,Mais en t’advertissant qu’on menace tes jours,Je te rends ton bienfait par un si grand secours. (v. 1367-1370)
Alexandre ne doit plus rien au roi. Ce dilemme est résolu. Ce fait apporte aussi la réponse à l’ultimatum que Démétrius formule à Isménie à l’acte IV. Alexandre doit alors choisir entre céder sa maîtresse ou mourir avec le roi. Libéré de ses obligations envers son ami, son honneur et Isménie prévalant, il choisit la mort, quand Isménie trouve une troisième alternative que le spectateur ignore pour le moment.
Mais s’opposent encore à son rétablissement la conspiration de Milon et la présence du roi. Son honneur lui interdit de participer à la conspiration. Il ne se laisse manipuler ni par Séleucus et ni par Arsinoé. Si Milon doit revoir ses plans en prenant en compte ce refus, il reste cependant sur le chemin d’Alexandre. Cet obstacle est extérieur. Le prince sait ce qu’il se doit, aucune exigence personnelle ne lui interdit de le passer. Le fait que Démétrius soit au pouvoir est en revanche problématique. Alexandre l’affirme à la scène 6 de l’acte IV :
Un reste d’amitié s’oppose à ma vangeance. (v. 1372)
Il ne tentera donc pas de prendre la trône qu’occupe Démétrius par la force. Cet obstacle est intérieur, c’est le devoir qui éloigne Alexandre du trône.
Dans l’acte III, les trois fils secondaires s’étaient noués ensemble grâce au complot fomenté par Milon. Les contradictions inhérentes à cette association d’intérêts contraires se révèlent à l’acte IV. La tension entre le fil Milon/Isménie et le fil Arsinoé/Démétrius est particulièrement visible dans la scène IX :
ARSINOÉ. - Perdons sans différer ma superbe Rivale ;Sa vie à l’un ; l’autre est funeste ; fatale ;Allons, allons sur elle essayer nos fureurs.MILON. - Sur Isménie ! ô Dieux ! (v. 1447-1450)
Les vers 1455-1456 donnent la réciproque de cette réaction :
MILON. - Vous, perdez le Tyran, ; punissez son crime.ARSINOÉ. - Quoy ! faut-il d’un tel sang faire nostre victime ?MILON. - Quel soudain repentir...
Si les personnages conviennent par la suite d’agir, ces hésitations annoncent la rupture de l’association entre les deux fils. Cette décision commune parait en désaccord avec la nature des fils définis dans le premier acte. Milon aime Isménie, il ne peut laisser Arsinoé la tuer par vengeance. Arsinoé aime Démétrius, elle ne peut laisser Milon le tuer par ambition. Les personnages se mentent l’un à l’autre.
Le quatrième acte est le seul à mettre en scène tous les personnages principaux. Le fil principal, à l’arrière-plan de l’acte III, est de nouveau au centre de l’action, et lié au plus près des actions secondaires. Alexandre est au courant de la conspiration. Le conflit larvé entre lui et Démétrius a été exposé dans la scène VI. Alexandre ignore donc une seule donnée : ce que compte faire Isménie pour résoudre son dilemme.
Le dénouement §
Dans le cinquième acte se produisent toutes les péripéties de la pièce. Milon annonce d’abord l’assassinat de Démétrius par Isménie. Dans la scène 2, le spectateur apprend que Milon est le véritable meurtrier, qui expose les faits du vers 1513 au vers 1525. Cet événement remplit les caractéristiques définissant la péripétie selon Jacques Scherer19. La péripétie doit d’abord être « imprévue, créatrice de surprise » . La surprise est ici triple : Démétrius est mort, Milon accuse Isménie, puis se révèle être l’auteur du meurtre. L’événement doit de plus impliquer un « changement de fortune » . Ce changement est ici matériel. L’émoi causé par l’assassinat du roi a permis à Alexandre de fuir le palais et de rejoindre le peuple révolté. Le changement est aussi psychologique. Avec la mort de Démétrius disparait l’obstacle principal qui empêchait Alexandre de reprendre son trône. Reste seulement l’obstacle extérieur que représente Milon. Il est un autre changement de fortune impliqué par cette péripétie. Isménie accusée du meurtre est à la merci de Milon qui explique :
Mon amour malgré moy la traite en criminelle,Et pour vaincre l’horreur, qu’elle eut toûjours pour moy,Je deviens son témoin, ; son Juge, ; son Roy. (v. 1536-1538)
Alexandre parti, Milon est plus proche que jamais du trône. Par ailleurs, dans la scène 3 apparait Arsinoé qui n’a pu tuer Démétrius comme prévu et qui regrette maintenant d’avoir conspiré contre lui. Elle a découvert les véritables projets de Milon, et jure de les contrecarrer. Il ne s’agit pas d’un pur retournement de situation puisque l’amour de la reine pour son époux était visible dans les actes précédents. Les rapports entre les personnages sont cependant bouleversés. Milon a révélé à tous sa traîtrise. Il a un avantage : Isménie est en son pouvoir. L’opposition au traître est double : Alexandre et le peuple d’un côté, Arsinoé de l’autre.
Après ces événements, la scène 4 est un temps de pause et d’explication avant le dénouement. Isménie apporte d’abord un complément d’information concernant la mort du roi. Elle décrit à Milon les faits qui ont précédé son entrée dans le cabinet. Le spectateur apprend donc ici la troisième alternative qu’Isménie avait trouvé au dilemme d’Alexandre dans l’acte précédent. Le prince devait mourir ou céder la Princesse à Démétrius. Isménie a décidé de se suicider plutôt que d’entacher son honneur ou de provoquer la mort de son amant. Devant la menace de ce sacrifice, le roi a renoncé à son amour. La présence du « fer » dans la main d’Isménie et ses « yeux pleins d’allégresse » (v.1516) vus par Milon sont justifiés. Démétrius est finalement resté fidèle à son ami. Le fil Démétrius/Isménie se clôt.
C’est aussi dans la scène 4 que Milon déclare son amour à Isménie. Ainsi, à la conspiration et au mensonge de l’acte III répond la révélation de la vérité du début de l’acte V. À la scène 6, Télamon annonce à Milon qu’Alexandre est proche du palais et prêt de l’emporter sur les troupes royales. Le favori tente encore de retourner la situation en manipulant Isménie. Il prétend vouloir céder le trône à l’héritier légitime par amour. Isménie n’est pas dupe. À cet instant de la pièce, il n’est plus de dilemne ni de dissimulation possible. La princesse l’affirme elle-même par deux fois :
Songe, songe, Milon, à te déguiser mieux ;Ma haine est éclairée, elle a de trop bons yeux. (v. 1705-1706)
Les intentions de Milon sont dévoilées, Arsinoé s’est rendue à son amour, Alexandre passe à l’action.
La deuxième péripétie intervient à la scène 6. Alexandre a soudain baissé les armes quand Séleucus a menacé devant lui la vie de sa maîtresse. À plusieurs reprises dans la scène 5, Télamon avait annoncé à Milon la victoire d’Alexandre :
Fuyez, fuyez ; le Peuple et la Noblesse... (v. 1675)
puis,
Ah ! Seigneur, AlexandreA pour luy tout le monde, il est temps de se rendre. (v. 1714-1715)
L’événement est donc « créateur de surprise » . Il est aussi un « changement de fortune » . Milon peut à nouveau espérer avoir trône et princesse. Alexandre est à la merci du traître :
Et je consens à tout pour sauver ma Princesse. (v. 1751)
Il se tient en cela à la résolution prise auparavant. Le prince préférait dans l’acte IV mourir plutôt que de céder Isménie à Démétrius. Il renonce maintenant au pouvoir pour sauver préserver la vie de la princesse.
La situation de Milon et d’Alexandre est rapidement renversée. À la scène 8 est relatée la dernière péripétie, qui précipite les événements et ouvre le dénouement de la pièce. Arsinoé ouvre les portes du Palais au peuple et aux soldats révoltés, puis se suicide. Elle exécute ainsi la menace proférée contre Milon au cours de la scène 3 :
Tout ce que ma douleur me laissera de vie,Je ne veux l’employer qu’à trahir ton envie.Je sçauray te forcer à m’arracher la vie. (v. 1579-1581)
Cet acte de la reine clôt l’action Arsinoé/Démétrius. Les conclusions de deux des fils secondaires fournissent les données permettant le dénouement. La fin du fil Démétrius/Isménie lève l’obstacle intérieur posé à l’action principale. La fin du fil Arsinoé/Démétrius lève l’obstacle extérieur, le complot a échoué. La victoire d’Alexandre est dès lors certaine. Elle est d’ailleurs annoncée par Laodice dès le premier vers de la scène :
Le Prince a la victoire. (v. 1772)
Le dénouement heureux est dès lors assuré. Le combat entre les soldats de Milon et ceux d’Alexandre ne dure que le temps du récit de la mort d’Arsinoé. Comme le montre ces vers de Laodice, la victoire est rapide :
On attaque, on combat, on deffend le passage,Mais enfin Alexandre a tousjours l’avantage.Il vient. (v. 1795-1797)
Alexandre retrouve Isménie, Télamon et Séleucus sont morts dans la bataille, le trône attend Alexandre. Le dénouement n’est pourtant complet qu’avec la conclusion du dernier fil secondaire, c’est-à-dire la mort de Milon. La dernière scène célèbre par une déclaration d’Alexandre le rétablissement du roi légitime sur le trône d’Epire. Tous les personnages vivants sont sur scène, témoins de l’événement.
Cette étude détaillée de la structure de la pièce montre la relative linéarité de l’action. Le héros est d’abord confronté à un dilemne, qu’il ne résoudra pas. Il doit choisir entre son ami et sa maîtresse. Par la suite, ce choix est reformulé. Il doit céder sa maîtresse ou mourir. Alexandre se résout à la mort, quand survient la mort du roi. Cette péripétie élimine nécessairement le dilemme. Le prince doit affronter un deuxième obstacle constitué par le complot d’un confident traître. Le confident est défait à la suite d’une autre péripétie. Alexandre retrouve son trône et sa maîtresse.
L’intrigue est pourtant complexe. L’auteur a pris le parti de tisser ensemble quatre fils dans son intrigue, quand la majorité des tragédies n’en comprennent que deux ou trois. Les fils secondaires sont noués autour de l’action principale en ce qu’ils s’opposent directement ou indirectement à son accomplissement. L’action est unifiée.
Les personnages principaux de la tragédie §
L’action principale est, nous l’avons vu, le rétablissement d’Alexandre. L’auteur a donné au prince toutes les caractéristiques du héros. Même si le texte ne fait aucune mention sur son âge et son attrait physique, il va sans dire qu’il est jeune et beau. Il aime et est aimé d’Isménie. Mais ici, le héros brille surtout par sa noblesse et sa grandeur d’âme. Alexandre est le seul personnage issu d’une lignée royale. Isménie parle au vers 263 de ce « beau sang » . Démétrius l’affirme aussi :
Seul vous estes le sang des legitimes Roys.(v. 499)
Sa principale caractéristique est la générosité, terme employé à de nombreuses reprises par tous les personnages pour le qualifier. Alexandre est un homme de devoir et d’honneur, fidèle à ses amis et à lui-même :
Sa vertu fait partout la gloire de ses jours. (v. 720)
De plus, il s’illustre par sa bravoure. Il montrera sa valeur militaire en gagnant la bataille qui s’engage à l’acte V. Le héros suscite ainsi l’admiration. Alexandre est aussi un héros malheureux. Ce malheur est provoqué par les obstacles qu’il rencontre dans sa quête ; le prince l’exprime par des lamentations qui ont pour fonction de toucher le spectateur, comme à l’acte II, scène 3 :
Où me reduisez-vous, desordre de mon ame,Pensers précipitez de devoir ; de flame,Sentimens d’amitié, de constance, ; de foy,Tendresse, honneur, pitié, que voulez-vous de moi ? (...)Appaisez un tumulte, un trouble où je ne puisNy sçavoir, ny souffrir, ny vaincre mes ennuis.(v. 581-588)
L’émotion provoquée par ce désarroi et ces plaintes est vecteur des deux grands ressorts tragiques, la pitié et la crainte, focalisées sur le héros.
Cependant, ce héros est très peu présent sur scène. Le personnage d’Alexandre est absent du premier et troisième acte. Il n’apparait que dans 13 des 41 scènes que comptent la pièce. Ses répliques sont moins nombreuses et moins longues que celles de Démétrius et de Milon. Le prince est ce que Jacques Scherer appelle un « héros rare » :
Les héros volontairement rares sont ceux que l’auteur aurait pu mettre en scène fréquemment s’il l’avait voulu, mais qu’il préfère, pour mieux exciter le désir (...) des spectateurs, ne montrer que dans des situations bien choisies et bien préparées20.
Alexandre arrive dans la deuxième scène de l’acte II. Cette entrée tardive a permis d’établir dans l’exposition les relations entre les différents personnages et d’expliquer les raisons du retour d’Alexandre. De plus, le choix auquel le prince va devoir se confronter est énoncé par Démétrius à Isménie. Tous les éléments de ce début d’intrigue sont mis en place en l’absence du héros. L’arrivée d’Alexandre prolonge l’attention d’un public qui veut connaître les réactions d’Alexandre face à l’obstacle déjà préparé. Cette longue préparation permet par ailleurs de placer le prince directement devant son dilemme, soulignant ainsi le pathétisme de la situation. Toute l’action de l’acte II est concentrée autour du héros. Il passe du bonheur au malheur quand Démétrius révèle son amour pour Isménie :
Ah, Prince... c’est donc là ce malheur, ma Princesse,Dont vous avez tantost menacé ma tendresse.Ah ! Destins ennemis ! (v. 541-543)
Il exprime ce malheur dans le monologue de la scène 3. Le dilemme est véritablement énoncé avec Isménie dans la longue scène 4. Tout en examinant les deux alternatives, il peut renouveler sa plainte devant sa maîtresse (v. 665-668) . Le prince décide finalement de fuir. Pour le spectateur qui connait déjà grâce à l’exposition les données du dilemme ainsi que les intentions de Démétrius et d’Isménie, l’acte II est entièrement centré sur l’émotionnel. La présence d’Alexandre est donc courte, mais intense.
Le même schéma est répété pour les deux actes suivants. Dans l’acte III sont élaborés les obstacles que va devoir affronter Alexandre dans l’acte IV. En l’absence du héros, Milon prépare sa conspiration, Démétrius décide sous l’influence du favori de menacer directement Alexandre pour obtenir Isménie. Encore une fois l’entrée en scène du prince est préparée de façon à focaliser l’attention du public sur lui. Le héros est de nouveau présent au début de l’acte IV. Il est le pivot autour duquel s’organisent les six premières scènes, dans lesquelles il est informé du complot et de la trahison de Démétrius. Dans ce court laps de temps, Alexandre met en valeur par son discours les traits caractéristiques du héros définis plus haut : noblesse de cœur et de sang, respect du devoir et de l’honneur. Il ordonne par exemple à Séleucus :
Et prens de ton devoir, prens l’exemple sur moi.(v. 1140)
Quand Arsinoé tente de lui faire rejoindre la conspiration contre Démétrius, il lui répond :
Si mon ressentiment demandoit son trépas,J’irois faire la guerre, ; non des attentats. (v. 1329-1330)
À Démétrius, il affirme :
Moy seul que tu trahis, moy seul je suis pour toy. (v. 1366)
Par ailleurs, Alexandre se lamente comme dans l’acte II devant Isménie, puis seul. Lorsque sa maîtresse décide de voir le roi, il se décrit :
Accablé de douleurs, sans vous, sans espérance... (v. 1260)
Ici aussi les émotions du héros sont accentuées par la préparation de son entrée dans l’espace théâtral. L’action a progressé, les données de l’intrigue et les intentions d’Alexandre ont changé ; pourtant dans les actes II et IV le héros est mis en scène selon les mêmes procédés d’attente et de concentration.
Après la scène 6 de l’acte IV, le prince ne réapparait que pour le dénouement. Séleucus signale sa fuite au début de l’acte V. Il dirige maintenant la révolte du peuple. Les bienséances obligent l’auteur à placer hors-scène la bataille. L’attitude du héros est alors connu par les récits de Séleucus (scène 6) et Laodice (scène 8) qui préparent et annoncent l’entrée d’Alexandre dans l’espace théâtral. Maintenant qu’il s’est montré un vaillant et victorieux guerrier, il est un héros accompli. Il parle peu dans les dernières scènes. Cependant c’est par lui que l’ordre et la justice sont imposés dans le dénouement :
Mais calmons ces frayeurs, Arsinoé n’est plus,Séleucus l’a suivie, ; Milon tout confus,Suivy, pressé des miens nous va faire justice.Vangeons Démétrius par ce grand sacrifice. (v. 1809-1812)
C’est Milon agonisant qui apporte à la fin de la pièce l’essentiel du pathétique. Le prince parle maintenant en roi. Il faut cependant noter que dans la dernière réplique de la pièce, il n’est pas question des devoirs funéraires qu’Alexandre doit à son ex-ami. C’est une entorse manifeste au caractère du roi légitime présenté comme un homme d’honneur. La période de règne de Démétrius et Démétrius lui-même sont oubliés dès qu’Alexandre arrive au pouvoir.
Alexandre est bien un héros rare. Ses interventions sur scène sont peu nombreuses, mais particulièrement préparées. Cette préparation permet de concentrer l’attention et l’émotion du spectateur sur la grandeur et les malheurs du prince.
Isménie est, comme Alexandre, un personnage totalement vertueux. Elle est caractérisée par deux constantes : son amour indéfectible pour le prince et son désir de le voir devenir roi. Mais contrairement au prince, elle subordonne sa passion amoureuse à l’accession au trône d’Alexandre. Ainsi, dès la première scène où elle apparait, Isménie déclare à Démétrius préférer voir le prince en exil plutôt que sous le joug d’un roi illégitime :
Laissez ce malheureux, loin de vous, loin de moy,Avec l’espoir un jour de revenir Roy. (v. 299-300)
Quand le roi prétend vouloir céder le trône à Alexandre contre son amour, Isménie accepte. Elle aime Alexandre, son devoir et son honneur lui ordonnent de travailler à la grandeur de son amant :
Quand on aime il suffit de servir ce qu’on aime,Luy conserver un Sceptre, ; peut-estre le jour ;Que prétend davantage un veritable amour ? (v. 346-348)
Ces vers définissent l’attitude de la princesse durant toute la pièce. Dans la scène 4 de l’acte II, Alexandre ne peut se résoudre à abandonner sa princesse pour le trône, ni à la conserver et perdre ainsi son ami. Il n’est pas de dilemme pour Isménie, amitié et amour doivent être sacrifiés au pouvoir :
Vous croyez-vous permis de ceder la Couronne ?Vous devez la reprendre, ; l’honneur vous l’ordonne. (v.637-638)
Plus encore que son amour, Isménie se dit capable de sacrifier ses jours pour son honneur et celui d’Alexandre. Elle menace d’abord Démétrius de se suicider. Plus tard, elle ordonne à Milon :
Frape, acheve, cruel, ; ne m’epargne pas ;Vange ton desespoir sur ces tristes appas,S’ils ont mis de l’amour dans le coeur d’un infâme. (v. 1729-1731)
À l’acte V, elle renouvellera ce choix quand la victoire d’Alexandre est compromise par la menace de Milon de tuer la princesse :
Faites que mon amant fasse son devoir,Ou ma mort ostera cet obstacle à sa gloire. (v. 1770-1771)
Isménie est prête à mourir pour que le prince soit rétabli, pour que son pouvoir soit assuré. Sa vie n’est rien, son devoir est tout. Cette droiture préside à tous ses raisonnements et à toutes ses décisions.
En dépit de toute sa détermination, Isménie reste fondamentalement passive. Elle est l’objet de l’amour et des chantages de Démétrius et de Milon. Elle sait ce que son amant doit faire pour obtenir le trône, pourtant elle ne parvient pas à imposer ses vues à Alexandre qui fuit à l’acte II. Quand la princesse décide de passer à l’action en rencontrant le roi, non seulement son acte est immédiatement annulé par l’assassinat de Démétrius, mais il se retourne contre elle puisque Milon l’accuse de ce crime. Enfin, prisonnière dans le palais, elle constitue l’ultime obstacle à la victoire finale d’Alexandre. Isménie devient l’arme qui donne un temps l’avantage à Milon.
Le paradoxe entre les vœux d’Isménie et les sentiments qu’elle provoque fait tout l’attrait et la profondeur de ce personnage qui pourrait n’être qu’annexe. Isménie est la seule à placer constamment le pouvoir de son prince au dessus de son amour. Nous verrons qu’Arsinoé et Milon, comme Alexandre, renoncent à un moment ou un autre à la couronne pour privilégier leur flamme. Pourtant, c’est son existence même qui met en péril le rétablissement d’Alexandre. Malgré sa grandeur d’âme, sa volonté de servir son amant, elle est avant tout celle qui par ses charmes a dressé contre le prince deux rivaux. Peu présente sur scène, Isménie existe aux yeux du spectateur avant tout grâce aux longs portraits que font d’elle Démétrius et Milon. Le roi la décrit à la scène 3 du premier acte :
Elle est aimable ; belle, ; du sang de nos Roys.Il m’est permis de rompre une indigne alliancePour aimer la beauté, l’honneur ; l’innocence. (...)Ces yeux, de tous les yeux le plaisir ; la peine,Cette auguste fierté si digne d’une Reyne,Tout cet amas de force ; de douceur,Charmera-t’il les yeux sans arrester le coeur ? (v. 108-136)
De-même, Milon est ébloui une nuit par les charmes d’Isménie :
La Princesse paroist comme un Astre à mes yeux : (...)La Lune foiblement éclairait ses appas.O Dieux ! Qu’en cet estat elle me parut belle !Cet amas de clartez qu’on voit briller en elle,De l’Astre de la nuit prenant un foible jour,Inspiroit moins de crainte, ; donnoit plus d’amour. (v. 744-752)
La beauté de la princesse est la cause première de la crise décrite dans la tragédie. Même si Isménie tente d’influer sur les évènements, ses efforts sont vains. Elle demeure uniquement un objet de désir.
Aux deux personnages tout à fait admirables que sont Alexandre et Isménie s’oppose l’unique personnage tout à fait diabolique de la pièce : Milon.
Milon est appelé « favory de Démétrius » dans la liste des acteurs qui précède la pièce. En fait, il a une influence qui dépasse celle du conseiller. Avant d’être le confident et le conseiller de Démétrius, il a fait partie de la cour d’Artaban. Le tyran ne l’a pas considéré comme un serviteur. Aux vers 148 et 1001, Milon est appelé « amy d’Artaban » . Comme le souligne Séleucus, il a été un « apuy d’Artaban ; de sa tyrannie » (v. 405) . Sa vision du pouvoir et des moyens de l’obtenir ont été conçues sur le modèle de son aîné. Milon se déclare « instruit par les leçons » de l’ayeul d’Arsinoé (v. 1011) . Plus qu’un conseiller, il a donc été l’élève, l’ami et le soutien d’Artaban. Il est le seul personnage à qualifier le défunt tyran de « fameux Rebelle » (v. 150) ou de « Héros » (v. 1010) . Le confident de Démétrius se révèle donc l’héritier idéologique d’Artaban. Il se pose en continuateur de sa politique en affirmant :
mettre en usageLe bel apprentissage dont sous luy je fis apprentissage. (v. 1009-1010)
Ainsi, Milon doit partager les traits du tyran. Il est comme lui prêt à utiliser la violence pour arriver à ses fins. Ses armes sont le mensonge et la manipulation. L’amitié que lui portait le tyran lui confère par ailleurs un rôle plus important que celui de simple confident de Démétrius. Il dit à Séleucus :
Artaban qui craignoit un gendre trop ingratA laissé dans nos mains les rênes du pouvoir. (v. 455-456)
Cela explique que Télamon, Séleucus et les soldats du palais s’en remettent à ses ordres. De plus, le roi lui est redevable d’avoir protégé le trône lorsqu’à la mort d’Artaban le peuple s’était soulevé pour son roi légitime (v. 153) . Tous ces éléments font que les rapports entre Démétrius et Milon ne correspondent pas aux rapports maître-serviteur. Conscient de l’influence qu’il a sur le roi, Milon prodigue ses conseils de manière autoritaire, n’hésitant pas parfois à provoquer Démétrius, comme dans la scène 2 de l’acte III :
Perdez vostre Rival, regnez sans jalousie ;Ou si vous resolvez encor de l’espargner,Seigneur, sortez du Trône, ; le laisser regner.Il sçaura mieux que vous user de mes maximes. (v. 886-889)
Ces paroles ne sont pas celles d’un sujet s’adressant à son souverain. Milon est le fils spirituel d’Artaban ; si son sang avait été noble comme celui de Démétrius, le tyran en aurait certainement fait son héritier. Ambitieux et vil, il refuse la place subalterne que ses origines lui imposent. Il souhaite prendre un trône qui lui semble sien, et une princesse qui ne l’aime pas. Milon est en quelque sorte coupable d’hybris, sa conduite orgueilleuse et démesurée tend à bouleverser l’ordre du monde. Pour lui, il n’est pas de fatalité :
Si tost qu’entre nos mains la Fortune se livre,Qui sait la gourmander, la force de le suivre.A qui peut tout oser ; braver le trépas,La Fortune se donne, ; ne se prête pas. (v. 1101-1104)
Milon est un homme de résolution et d’excès, il affirme ainsi :
Dans ma fureur extrême,Je ferai tout perir, ; la Princesse mesme. (v. 409-410)
L’auteur a donc doté Milon d’un véritable caractère.
De plus, le favori a une place capitale dans l’intrigue. Il est le maître d’œuvre de la conspiration, l’assassin de Démétrius et l’obstacle final au rétablissement d’Alexandre. Il est le seul à occuper l’espace théâtral à tous les actes. Milon est le personnage qui a est le plus souvent sur scène et qui a le plus grand nombre de répliques. Cette omniprésence est causée par le triple jeu déployé par Milon. Le spectateur doit d’abord l’identifier comme le confident traître de Démétrius, puis comme l’amant d’Isménie assoiffé de pouvoir, et enfin comme le faux-allié d’Arsinoé. Au cours des quatre premiers actes, Milon dévoile sa vraie nature dans seulement deux scènes (II ; 1 et III ; 8) . Toutes ses autres interventions reposent sur le mensonge et la dissimulation. Milon est fréquemment en position d’observateur quasiment muet de l’action. Il écoute ainsi la conversation entre Démétrius et Arsinoé du début de la pièce. Il est aussi témoin de l’affrontement entre le roi et Alexandre de l’acte IV, qui mène à l’accusation d’Arsinoé. Favori du roi, il apprend toutes ses pensées au fur et à mesure de l’action. La reine voit en lui l’ancien ami de son père. Lui seul connait les intentions de Démétrius et d’Arsinoé. Lui seul pratique la dissimulation. Milon reçoit donc les informations données sur scène par les personnages, mais ne se dévoilera lui-même qu’au cinquième acte. Parce qu’il manipule Démétrius et Arsinoé, parce qu’il agit pour obtenir Isménie et qu’il a pour l’aider dans sa tâche Seleucus et Télamon, Milon peut être considéré comme l’obstacle premier d’Alexandre.
L’auteur semble apprécier le type du confident-traître, qui est mis en place dans la majorité des pièces représentées avant la Mort de Démétrius. Cependant Milon est le premier des « fourbes » de Boyer à être réellement un personnage principal de l’intrigue. Dans Porus, ou la générosité d’Alexandre, Attale tente de perdre son maître, mais n’apparait jamais sur scène. Alcidamias, le traître de la tragédie Aristodème, prend part à l’action principale, mais son portrait, ses motivations et ses émotions demeurent floues. Milon a lui un passé, décrit plus haut. Ses multiples interventions permettent par ailleurs de donner au caractère de ce confident une épaisseur et une complexité que n’avaient pas ses prédécesseurs. Ainsi, la fureur amoureuse qui motive ses actions n’est pas dépourvue de sadisme. Lorsque Séleucus lui apprend qu’Isménie « donne des pleurs au sort de son Amant » , il s’exclame :
Que ce Prince est heureux d’estre plaint tendrement,Et pleuré par ces yeux où brillent tant de charmes !Que n’ay-je part, Princesse, à de si belles larmes. (v. 1076-1078)
Devant l’objet de son amour, Milon demeure vil, cruel. Sa tirade finale met en valeur avec brio toute l’ambiguïté du personnage. Milon s’y montre à la fois constant dans le mal et touchant. En rage, il veut surmonter la mort pour s’opposer encore à Alexandre :
Mes fureurs, ostez-lui le plaisir de ma mort. (v. 1822)
Son destin est pourtant scellé. Il souligne ensuite l’ironie de son sort :
Tout ce que je croyois ma force ; mon appuy,La Reyne, mon amour, ; ma propre furieMe font perdre aujourd’huy, Maistresse, Trône ; vie. (v. 1826-1828)
La Fortune qu’il comptait maîtriser s’est retournée contre lui. Le traître meurt de voir son rival couronné, vainqueur. Lacéré de coups par un peuple déchaîné, fidèle à lui-même jusque dans la mort, conscient du pathétique de sa fin, Milon illustre la remarque de Jacques Scherer : « On ne peut s’empêcher de constater que c’est là une destinée de héros tragique, non de confident. Le confident est si peu un personnage artificiel et sans vie, (...) qu’il faut qu’on le tue21. »
Le personnage de la reine est moins constant dans le mal. Après avoir comploté la mort de son époux, elle est finalement prise de remors et provoque par son suicide la perte de son ancien allié Milon.
Arsinoé est la fille d’Artaban. Elle a donc hérité des traits distinctifs du défunt tyran. La ressemblance entre le père et la fille est soulignée par les personnages et par la reine elle-même. Démétrius lui dit dans la deuxième scène de l’acte I :
Ce sont là des fureurs dignes de vostre pere. (v. 73)
Dans l’acte II, il la décrit ainsi à Alexandre :
Voyez Arsinoé, digne sang de son pere,Ce Monstre couronné triompher dans un rangQu’un pere ambitieux acquit par tant de sang. (v. 506-508)
Lorsque la reine surprend la réflexion de son époux, il s’écrit :
Ce lâche procédé marque vostre naissance. (v. 921)
Dans la scène qui suit, Arsinoé menace Démétrius en évoquant son ascendance :
Crains en moy la fureur de mes fameux parens,D’une race fatale à l’orgueil des Tyrans. (v. 951-952)
Elle réaffirme sa filiation avec Artaban :
Tyran, je suis son sang, j’ay sa rage en mon sein,Son orgueil dans mon coeur, ; sa foudre en ma main. (v. 955-956)
Cette « rage » et cet « orgueil » caractérisent aussi Milon. La fille et l’ami d’Artaban ont tous deux hérité de sa violence et de sa fureur. Ils partagent les mêmes valeurs, ils peuvent donc faire alliance contre l’ennemi commun qu’est Démétrius. Isménie les assimile d’ailleurs en les qualifiant de « monstres jaloux » au vers 263. L’une se pose en garant du pouvoir acquis par son père, l’autre prolonge son œuvre en appliquant les maximes de son maître spirituel. L’une veut se venger de son époux, Milon veut éliminer un rival. Milon et Arsinoé servent leurs intérêts personnels, mais seule la reine démontre dans ses paroles la légitimité de sa position. En parlant de sa « juste colère » (v. 945) , elle insiste sur la trahison de son époux, qui dès lors mérite la mort. Le trône lui revient de droit, Démétrius souhaite lui enlever. Il doit son pouvoir à l’amour d’Arsinoé, il en aime maintenant une autre. Le roi doit donc selon elle périr.
La colère d’Arsinoé reste longtemps stérile. Malgré l’exposition de ses plaintes dans la scène 2 du premier acte, la reine est dédaignée par Démétrius qui déclare à son sujet :
Ton intérest n’est pas ce qui trouble mon âme. (v. 105)
Plus loin, le spectateur apprend que la rancœur d’Arsinoé est attisée depuis longtemps par Milon, lorsqu’il dit à Séleucus :
Voy d’un autre costé la Reyne en fureurs :Entre elle ; son époux j’ay semé tant d’aigreur,Qu’imprimant dans son coeur toute l’horreur d’un traistre,J’ay mis enfin sa haine au point qu’elle doit estre. (v. 451-454)
Enfin, non seulement la reine ne parvient pas à rallier Alexandre à la conjuration, mais elle est démasquée par le roi. Ces trois éléments soulignent l’impuissance d’Arsinoé. Utilisée pour servir les projets de Milon, sa fureur reste sans effets sur Démétrius.
C’est pourtant ce personnage qui provoque dans la dernière péripétie le dénouement. Elle ouvre les portes du palais et se suicide afin de « perdre un ingrat » et de « vanger un époux » (v. 1790) . Cet acte a été auparavant préparé et annoncé. L’amour d’Arsinoé est lisible tout au long de ses interventions sur scène. Ainsi, dans l’acte I, elle dit à Démétrius :
Adieu, sois si tuveux mon Espoux ; mon Roy ;Je n’y renonce point malgré ta perfidie.J’en veux tousjours garder l’espérance ; l’envie. (v. 100-102)
Après avoir appris que Démétrius aimait Isménie, au comble de la fureur, sa flamme n’est pas éteinte :
Mesme encore pour luy je sens quelques tendresses. (v. 965)
Devant Milon, elle parle encore de « ce coeur amoureux » (v. 1037) . Arsinoé se dit éprise alors qu’elle travaille à la perte de son époux. Au mal de la traîtrise se mêle la vertu d’un amour toujours fidèle bien que non partagé. Dans la scène qui précède l’assassinat du roi, l’ambiguité de l’attitude est particulièrement lisible. Milon la charge de tuer Démétrius, elle s’exclame alors :
Quoy ! faut-il d’un tel sang faire notre victime ? (v. 1456)
Elle s’excuse immédiatement de cette réaction indigne de la fille d’Artaban :
Pardonne ce remors,L’amour expirant fait ses derniers efforts. (v. 1457-1458)
L’auteur a de cette manière donné les raisons du retournement final de la reine, le rendant, sinon prévisible, au moins cohérent et vraisemblable. Après la mort de son époux, le personnage est résumé par ces vers :
L’amour dont pour mon Roy je brûlois dans mon coeurN’estoit pas moins amour quoy qu’il fust en fureur. (v. 1561-1562)
Cette Arsinoé désespérée, consciente d’avoir été dupée et vile atteint un pathétisme et une grandeur que n’avait pas l’héritière du défunt tyran qui s’était jusque là exprimée. Elle jure de contrecarrer les plans de Milon. Ici encore, la colère de la reine n’est pas prise en compte par son interlocuteur :
Je ris de ta menace, ; je suis sans effroy. (v. 1597)
Pourtant cette fois, Arsinoé passe à l’acte, et perd effectivement le traître. Impuissante lorsqu’elle incarne la fureur de son père, la reine influe enfin sur l’action lorsqu’elle renonce à la traîtrise. Ce caractère devient au cinquième acte admirable dans la mort.
Arsinoé demeure avant la scène 3 de l’acte V fidèle aux préceptes de son père. Alexandre, Isménie et Milon sont constants dans le bien ou le mal. À la relative stabilité de ces caractères s’oppose l’irrésolution qui définit Démétrius.
Au cours de la pièce, le roi apparait tour à tour lâche, vertueux, tyrannique, généreux. Ce personnage se place entre le bien et le mal, deux pôles symbolisés respectivement par Alexandre et Milon. Démétrius est l’ami d’enfance du prince, qu’il a autrefois sauvé en épousant Arsinoé. Il subit par ailleurs l’influence de Milon qui a préservé son pouvoir en le protégeant du peuple à la mort d’Artaban. Dans chacune de ses interventions scéniques, il oscille entre l’intérêt personnel et le devoir, entre la traîtrise et la générosité. Ainsi, à l’acte I, Démétrius affirme son amour coupable pour Isménie et son intention de le servir quelles qu’en soient les conséquences. Il propose alors à la princesse de rendre la couronne d’Epire à Alexandre si elle consent à abandonner son amant. Cette volonté s’effrite pourtant lorsque le roi est confronté à la grandeur d’Alexandre dans l’acte II. Il avoue sa traîtrise et préfère mourir plutôt que d’avoir à trahir son ami ou à renoncer à son amour. Plus tard, Démétrius apprend la fuite du prince. Il se laisse influencer par son favori et décide dans la scène 4 de l’acte II de perdre Alexandre pour placer Isménie sur le trône. Il fait alors parvenir à Isménie une missive. Elle doit choisir entre l’amour de Démétrius et la mort de son amant. Cette attitude ferme et tyrannique est de nouveau ébranlée lorsqu’Alexandre lui fait part de la menace qui pèse sur lui. Le roi est touché par la grandeur d’âme de son rival. Il se dit « accablé, désolé, par [son] désordre extrême » (v. 1411) . Il réclame une fois encore la mort, quand Télamon lui annonce qu’Isménie s’apprête à le voir, ses remords font place à la joie de triompher du prince. Finalement, le spectateur apprend dans l’acte V qu’Isménie a su :
Fléchir nostre Tyran, ; le couvrir de honte. (v. 1635)
Avant d’être assassiné, Démétrius s’est montré généreux, et a renoncé à user de son pouvoir pour menacer les amants. Les volte-face de ce personnage est donc lisible à un niveau macrostructurel. Cette irrésolution est la première caractéristique du discours du roi. Le monologue de l’acte III en fournit un bon exemple. Démétrius vient de renvoyer dans la scène précédente Milon qui lui conseillait de garder le trône et la princesse sans se soucier de l’amitié qui le lie à Alexandre. Le roi justifie d’abord son acte :
Qu’avec juste raison je bannis cet infâme !Le dangereux poison, qu’il verse dans mon ameM’a si fort déguisé, que d’un esprit confusJe me cherche moy-même, ; ne me trouve plus. (v. 893-896)
Démétrius est alors conscient de l’horreur de son chantage, de sa volonté de trahir son ami. Il semble se rendre à son devoir quand il dit :
Escoute enfin la voix du remors qui t’accuse,Tyran, ; romps enfin le charme qui t’abuse. (v. 905-906)
Mais dès les vers suivants, il choisit finalement de suivre l’avis de son conseiller, qui est rapidement réhabilité et rappelé :
Mais quel charme plûtost qui t’empesche de voirQue Milon sert ma gloire, ; soûtient mon devoir ? (...)Gardes, suivez Milon ; je suis prest à l’oüir,Qu’il vienne, mon couroux vient de s’évanoüir. (v. 907-918)
Le bannissement du favori est de courte durée.
Parce qu’il est tiraillé entre la vertu et la traîtrise, Démétrius ne correspond pas au type classique du despote. Certes, il peut utiliser la contrainte et l’autorité. Dans la scène 6 du premier acte, son ton est impératif quand il déclare à la princesse :
Je vous quitte, usez-bien du droit que je vous donne ;Souvenez-vous quel est le prix d’une Couronne, (...)Et qu’en cedant un Thrône on peut tout demander. (v. 325-328)
De-même, ce personnage devient l’image de l’abus de pouvoir en répudiant Arsionoé pour servir sa flamme :
Isménie est l’objet pour qui mon coeur soûpire,M’entendez-vous, Madame ? instruite de mon choix,Songez à faire place au sang de tant de Rois. (...)Songez pour obeïr que je suis vostre Roy.Adieu, suivez mon ordre. (v. 930- 940)
Pourtant Démétrius est conscient de l’illégitimité de son pouvoir. Il n’exerce jamais sa tyrannie sur Alexandre, qu’il sait investi du droit lignager du royaume d’Epire. Les échanges entre les deux amis ne se font pas sur le mode tyran-sujet. Démétrius ne se pose jamais en monarque face à Alexandre. Il se dresse contre son rival indirectement, par l’intermédiaire d’Isménie. C’est elle que le roi menace dans le premier acte. C’est à elle qu’il envoie sa missive dans le quatrième acte.
N’étant pas un personnage totalement mauvais, Démétrius peut être racheté à la fin de la pièce. En renonçant à la princesse, il s’est montré magnanime et généreux. Par le sacrifice final de sa libido dominandi et de son intérêt personnel, le roi n’est pas devenu despote. Milon, en l’assassinant, est alors parricide. Alexandre peut parler de « vanger Démétrius » (v. 1812) . À la lumière de ce dénouement, les termes de l’irrésolution caractérisant le personnage sont redéfinis. Démétrius est selon la typologie établie par Christian Biet un « tyran d’établissement22 » . Il est monté sur le trône en s’appuyant sur le crime de son prédécesseur. Alexandre, dans la scène 2 de l’acte II, consent à renoncer à ses droits. Démétrius a donc la possibilité de fonder son pouvoir en abandonnant son intérêt personnel, c’est-à-dire Isménie. Mais un acte despotique lui permettrait d’obtenir la couronne et la princesse. Il hésite donc durant toute la pièce entre devenir un « tyran d’exercice » ou un roi légitime. Isménie, en menaçant de se suicider, a décidé Démétrius. Elle déclare à Milon dans le dernier acte :
Tu sçaurois que du fer que j’avois prés du RoyJe voulois prévenir un Tyran comme toy. (v. 1629-1630)
Le roi s’est résolu à ne pas employer la force. Il est devenu pendant les quelques instants qui le séparait de sa mort un souverain juste.
Une allégorie du pouvoir §
L’analyse de l’intrigue et des personnages a montré que l’enjeu politique de la pièce devient le lieu où se déploient les intérêts amoureux. Pour Alexandre, Démétrius et Milon, la conquête du trône ne peut se concevoir sans l’amour d’Isménie. Arsinoé, en se suicidant, place sa passion amoureuse au-dessus du désir de régner. Les thématiques de la tragédie galante sont mises en place par le discours de Démétrius particulièrement, lorsqu’il déclare aux vers 217-220 en parlant de son rival :
J’ay crû que sur le Thrône en luy cedant ma place,Au crime de ma flame il pourroit faire grace,Et qu’enfin Isménie avouëroit pleinementUne ardeur dont l’effort couronne son amant.
L’amitié, l’honneur, le pouvoir sont subordonnés à l’amour, qui n’est pas une passion dévastatrice mais un sentiment tendre, comme le traduit le monologue du roi dans le premier acte :
Mais quel crime d’aimer un objet tant aimable ?Quels feux sont innocens si le mien est coupable (...) (v. 121-122)
Le langage particulier à la galanterie, comme les métaphores empruntées au pétrarquisme, est utilisé : l’amour est un « feu » au vers 125, l’amant est prisonnier des charmes de celle qu’il aime (v. 135-136) . Les souffrances sont adorées, la faiblesse de Démétrius n’est pas dénoncée, mais sublimée et excusée.
Malgré ces éléments, La Mort de Démétrius ne peut être considérée comme une tragédie galante. En 1660, dans son Discours du poème dramatique, Pierre Corneille écrit :
La dignité de la tragédie demande quelque grand intérêt d’Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l’amour, telles que l’ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d’une maîtresse.
Démétrius est le seul caractère « galant » de la pièce. Milon est, nous l’avons vu, mué par l’ambition, Arsinoé par la vengeance. Alexandre est prêt à renoncer à sa maîtresse pour préserver son honneur, et respecter son amitié. Cette dichotomie entre le roi et les autres personnages est illustrée par la réplique du favori aux douces plaintes de Démétrius :
Ah plûtost, sauvez-vous de cet indigne outrage,Que vostre aveugle amour fait à vostre courage. (v. 221-222)
« L’intérêt d’Etat » est, contrairement à l’aspect galant, une constante dans la tragédie de Boyer. Cette tragédie peut être interprêtée comme une « allégorie politique » , notion définie par Christian Delmas23 :
Tout en demeurant en relation indirecte avec l’actualité, l’histoire mise en forme dramatiquement désigne un au-delà de l’évènement, « dit autre chose » qu’elle-même : elle illustre en acte un problème de gouvernement ou de morale politique (...) . Sous des aspects diversifiés la tragédie conduit une intense réflexion sur des problèmes de droit, qui engage le plan des valeurs et une vision générale du monde.
Le rétablissement d’Alexandre après une période d’exil, l’agitation du « peuple ; de la noblesse » (v. 1675) évoque certainement le retour du jeune Louis XIV à Paris après les troubles causés par la Fronde. Mais au-delà du contexte historique, il est possible de voir dans cette pièce le triomphe du droit monarchique, fondé sur la justice, sur le droit primitif, fondé sur la violence et la loi du plus fort.
Deux personnages absents de la scène symbolisent ces droits : Pyrrus et Artaban. Artaban a usurpé le pouvoir légitime de Pyrrus par la force, comme le mentionne Arsinoé :
Il me souvent combien pour acquérir ce rangAux amis de mon pere il a cousté de sang. (v. 63-64)
Morts avant le début de l’action, ils sont souvent évoqués par leurs descendants qui ont hérité de leurs vertus ou de leurs vices. Milon est le fils spirituel de l’ancien tyran. C’est à travers ses paroles qu’est défini le droit primitif qui l’a emporté avec le couronnement d’Artaban. Son discours est parsemé de sentences souvent « bien frappées » , telles que :
J’ose donc avancer, qu’alors qu’il faut regnerC’est generosité de ne rien espargner. (v. 159-160)L’innocence par tout fuit les maistres des loix,Et le seul repentir est le crime des Roys. (v. 199-200)Il faut anéantir ce qu’on ne peut avoir. (v. 424)Le crime a ses Héros ainsi que la vertu. (v. 1550)
La conception du pouvoir défendue par Milon repose sur le soupçon et la fureur. Arsinoé est aussi la dépositaire de cette morale :
Qui s’apreste à trahir consent qu’on le trahisse. (v. 969)Pour perdre qui trahit tout semble légitime. (v. 994)
La loi du talion permet de justifier tous les actes de la reine, y compris son projet d’assassiner son époux. L’idée de vengeance personnelle prédominant, la fonction royale se trouve désacralisée, et réduite à la sphère privée. Louis XIV disait que les rois « n’ont rien à eux que le droit, ou plutôt le devoir, de tout conserver à la société, dont ils sont les tuteurs et les chefs » . Pour Milon ou Arsinoé, il n’existe que le devoir de se servir soi-même, et la société se limite à la Cour d’Epire. Tous les moyens sont bons pour monter sur le trône et s’y maintenir. Le complot, le mensonge sont légitimés. Le roi est perpétuellement menacé. Le chaos est instauré.
L’ordre monarchique est représenté par Alexandre, l’héritier de Pyrrus. Il s’oppose point par point à la conception du pouvoir d’Artaban. À la violence répond le droit du sang. Le prince propose de laisser le trône à Démétrius parce que ses ancêtres l’ont eu :
C’est peu de vous céder l’Empire de ces lieux,Cher Prince, c’est un bien qui fut à vos Ayeux ;Je fais en vous laissant la supréme PuissanceUn acte d’équité, non de reconnoissance. (v. 487-490)
Par ailleurs, Alexandre considère la fonction royale comme intouchable, inviolable. Démétrius est le souverain, donc le père de tous les hommes. Il le proclame à Séleucus :
Lâche, revere en luy le sacré nom de Roy. (...)Apprens par mes respects ce que l’on doit aux Rois. (v. 1139-1141)
L’innocence est incompatible avec le pouvoir selon Milon qui fait l’apologie du crime. Au contraire, le prince déclare à Arsinoé :
Va porter loin de moy ta lâche perfidie ;Laisse à mon innocence à guérir mes douleurs. (v. 1320-1321)
L’assassinat d’un roi est pour lui un acte odieux. Son « innocence » le préserve des complots, de la traîtrise. Face à la générosité de Milon définie comme capacité de ne « rien espargner » , le droit monarchique défend la magnanimité. C’est cette noblesse d’âme qui conduit Alexandre à prévenir le roi contre la conjuration qui le menace. Le pouvoir monarchique est caractérisé par la clémence, mais aussi par la justice. Le mot n’est prononcé qu’une fois dans la pièce, lors du dénouement, quand Alexandre proclame :
Mais calmons ces frayeurs, Arsinoé n’est plus,Seleucus l’a suivie, ; Milon tout confus,Suivy, pressé des miens nous va faire justice. (v. 1809-1811)
Le retour de la légitimité s’accompagne du retour de la justice. L’ordre primitif soutenu par les héritiers d’Artaban s’effondre avec leur mort. Lorsque le nouveau roi parle de « purger » le Palais, ce terme a ici une valeur performative. Le droit monarchique véhiculé par Alexandre est restauré dès qu’il a pénétré le Palais.
Boyer a donné à ses personnages des motivations essentiellement affectives. Les dérèglements causés par la passion amoureuse sont punis à la fin de la pièce. Cependant, si l’accent est mis sur l’émotion, la Mort de Démétrius fournit aussi une « leçon politique » .
Le texte de la présente édition §
Le texte retenu est celui de l’édition originale, parue en 1661 et dont l’achevé d’imprimer est daté du 12 novembre 1660. Deux exemplaires de cette édition in-12° qui ont été conservés (ARS Rf 5636 et BN Yf 657) sont identiques tant par le texte présenté que par la présentation.
L’édition originale de la Mort de Démétrius §
[I] : LA MORT / DE / DÉMÉTRIUS, / OU LE / RÉTABLISSEMENT / D’ALEXANDRE / ROY D’ÉPIRE. / TRAGÉDIE. / Par Monsieur BOYER. / [ fleuron du libraire ] / Imprimé à ROUEN, ; se vend / A PARIS, / Chez [accolade] / AUGUSTIN COURBÉ, au Palais, en la / Gallerie des Merciers, à la Palme. / Et / CHARLES DE SERCY, au Palais, dans / la Salle Dauphine, à la Bonne-Foy / couronnée. / [filet] / M. DC. LXI. / AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[II] : Verso blanc.
[III- VIII] : A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER (épîstre dédicatoire imprimée en caractère italique) .
[IX] : A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER (sonnet) .
[X] : Extrait du Privilege du Roy (avec l’achevé d’imprimer en date du 10 décembre 1660) .
[XI] : [Errata] (3 corrections) .
[XII] : Acteurs.
[1 + 85] : Texte de la pièce, précédé d’un rappel du titre en haut de la 1ère page.
L’établissement du texte §
Nous avons tenu compte des errata signalés à la page XI de l’édition originale :
- – « Quel estrange licence » [v. 1603] .
- – « ALEXANDRE, ISMENIE, DIOCLES » [V, 9 ]
- – « évité ma Justice » [V. 1832] .
Nous avons remplacé les voyelles nasales [ã] et [õ] par les voyelles et consonnes nasales correspondantes [an] et [on] . Dans le texte original, [j] est noté [i] et [v] est souvent noté [u] . Nous avons rétabli la graphie actuelle concernant ces deux lettres.
Nous avons par ailleurs conservé la ponctuation et l’orthographe originales. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de préciser qu’au XVIIe siècle, la ponctuation a une fonction rythmique et non pas syntaxique24. Les majuscules sont présentes au début des mots qui doivent être accentués lors de la déclamation du texte (par exemple le premier mot du second hémistiche d’un vers) . Les noms communs renvoyant au pouvoir royal par synecdoque (Sceptre, Thrône, Couronne) ainsi que les noms définissant la qualité des personnages (le Prince, le Favory, le Tyran) sont écrits avec une majuscule.
Nous donnons ici la liste des coquilles et erreurs qui ont été corrigées :
- – v. 14 : que.
- – v. 81 : [, ].
- – v. 88 : [, ].
- – v. 184 : vueille.
- – v. 325 : usez-bien.
- – V. 450 : la.
- – v. 679 : ; de vous du jour.
- – v. 1510 : ma.
- – Acte V scène 4 : Isménie, Milon, Télamon.
- – Acte V, scène 9 : Alexandre, Isménie.
Abréviations utilisées dans les notes §
Furetière A., Dictionnaire universel, Paris, SNL-Le Robert, 1978 : (Fur.)
Richelet F., Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680 : (Rich.)
Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Coignard, 1694 : (Acad. 94)
Fournier N., Grammaire du français classique, Paris, Belin, 1998 : (N.F.)
Haase A., Syntaxe française du XVIIème siècle, Paris, Gallimard, 1935 : (H.)
Brunot F., Histoire de la langue française, Paris, Armand Colin, rééd. 1966 : (H.L.F.)
LA MORT DE DÉMÉTRIUS, ou le rétablissement d’Alexandre roy d’Epire. TRAGÉDIE §
EPISTRE A Monseigneur le CHANCELIER 25 §
MONSEIGNEUR,
S’il est vray que les puissantes recommandations peuvent rendre suspectes les meilleures causes, j’ay sujet de croire, qu’en voulant faire honneur à mon Ouvrage, je hazarde sa reputation, lorsque je mets à sa teste, le plus illustre Nom, que les Muses ayent jamais reveré ; on dira sans doute que couvrant ses defauts sous l’éclat d’une si haute protection, je veux ébloüir les yeux du Public, ; que par une adresse encore plus ambitieuse, je me sers de vous mesme pour prévenir vostre jugement, ; vous persuader du merite de mon present par la confiance avec laquelle je l’offre à vostre Grandeur. Je suis peu en peine, MONSEIGNEUR, du jugement qu’on fera de mon dessein, pourveu qu’il reüssisse : il n’est point de moyen qui ne me semble glorieux, s’il me sert à acquerir ; mesme à surprendre l’honneur de vostre approbation : estimant peu celle des autres, si elle n’est consacrée par la vostre. Pour connoistre le destin des Ouvrages de l’Esprit, il faut consulter cette Sagesse consommée qui vous a rendu l’admiration de tout le monde, ; que vous vous estes acquise par une experience de tant d’années, ; à la teste du Conseil du Roy, ; parmy cet illustre Corps de Sçavans26, dont vous estes la premiere Intelligence. C’est à vous, MONSEIGNEUR, qu’appartient le souverain empire des belles Lettres, aussi bien que la souveraine Justice de l’Estat27 : le Ciel vous reservoit l’union de ces deux augustes Tribunaux qui seroient sans doute incompatibles en une mesme personne à moins que d’estre remplis par un Génie aussi grand que le vostre ; ; c’est la bonne fortune des Sciences ; des Sçavans parmy tant de disgraces qui les accompagnent, de trouver un si puissant Protecteur, dans celui que nostre Grand Monarque a fait le dépositaire de son authorité, ; le premier Oracle de ses Loix : que l’envie ; l’injustice se mélent de juger temerairement de toutes choses, il suffit de vivre dans le Siecle du GRAND SEGUIER, pour estre à couvert de toutes les persecutions de ces deux puissantes ennemies de la raison ; du merite. Vostre Esprit est une source inépuisable de lumiere qui porte un jour continuel dans toutes les parties du monde raisonnable : c’est de cette mesme source que coulent depuis si long-temps cette Politesse ; tout cet Art merveilleux qui a reconcilié nos Muses avec les Graces que la barbarie des derniers Siecles avoit si fort éloignées les unes des autres. De sorte, MONSEIGNEUR, qu’il est juste d’avoüer que nous vous avons la principale obligation de toute la gloire des belles Lettres, ; que nous vous en devons rendre le premier hommage. Si vous ne treuvez pas dans mon Ouvrage, ce beau, dont vous avez la parfaite idée, j’ose au moins m’imaginer qu’aprés les efforts que j’ay faits pour vous le rendre agreable, il pourra tirer quelque merite de la Grandeur de mon zéle ; de la noblesse de sa fin*, ; que vous pourrez treuver quelque chose qui ne vous déplaira pas dans une Muse qui est si puissamment animée de la glorieuse ambition de vous plaire. C’est cette esperance, MONSEIGNEUR, qui luy donne le courage de vous demander l’honneur de vostre protection, ; de vous asseurer de la passion tres-ardente ; tres-respectueuse, avec laquelle je veux estre toute ma vie,
MONSEIGNEUR :
DE VOSTRE GRANDEUR,
Le tres humble et tres obeïssant
serviteur,
BOYER.
A MONSEIGNEUR LE CHANCELIER, SONNET. §
ACTEURS §
- DEMETRIUS, Roy d’Epire.
- ARSINOÉ, Reine d’Epire.
- ALEXANDRE, Fils de Pyrrus, legitime heritier de la Couronne d’Epire.
- ISMENIE, Princesse d’Epire.
- MILON, Favory de Démétrius.
- SELEUCUS, Seigneur d’Epire.
- TELAMON, Capitaine des Gardes de Démétrius.
- LAODICE, Confidente d’Isménie.
- DIOCLES, de la suite d’Alexandre.
- SUITE.
ACTE I. §
LA MORT DE DEMETRIUS OU LE RETABLISSEMENT D’ALEXANDRE ROY D’EPIRE. TRAGÉDIE. [p. 1]
SCENE PREMIERE. §
DEMETRIUS.
TELAMON.
DEMETRIUS.
SCENE II. §
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS à Arsinoé.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
SCENE III. §
DEMETRIUS seul.
SCENE IV. §
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
[p. 8]DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
SCENE V. §
TELAMON.
DEMETRIUS, à Milon.
ISMENIE.
DEMETRIUS.
ISMENIE.
DEMETRIUS.
ISMENIE.
[p. 14]DEMETRIUS.
SCENE VI. §
SELEUCUS.
DEMETRIUS.
SCENE VII. §
ISMENIE.
LAODICE.
ISMENIE.
Fin du premier Acte.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE §
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
[p. 20]MILON.
SELEUCUS.
SCENE II. §
DEMETRIUS à Alexandre.
MILON.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
MILON bas.
ALEXANDRE.
SCENE III. §
ALEXANDRE seul.
SCENE IV. §
ALEXANDRE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
SCENE V. §
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
Fin du second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
MILON.
TELAMON.
MILON.
TELAMON.
MILON.
SCENE II. §
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
SCENE III. §
DEMETRIUS.
SCENE IV. §
ARSINOÉ.
DEMETRIUS, sans voir Arsinoé.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
SCENE V. §
ARSINOÉ, seule.
SCENE VI. §
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
Pour t’engager à suivre maMILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
SCENE VII. §
MILON, seul.
SCENE VIII. §
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
Fin du troisiéme Acte.
ACTE IV. §
SCENE I. §
ALEXANDRE.
SELEUCUS.
ALEXANDRE.
SELEUCUS.
ALEXANDRE.
SELEUCUS.
ALEXANDRE.
SELEUCUS.
ALEXANDRE.
SCENE II. §
TELAMON.
ISMENIE, parlant à Seleucus et Telamon.
SCENE III. §
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE, en prenant le Billet.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
ALEXANDRE.
ISMENIE.
SCENE IV. §
ALEXANDRE seul.
SCENE V. §
ARSINOÉ à Seleucus.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
[p. 57]ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
ALEXANDRE.
ARSINOÉ.
SCENE VI. §
MILON.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ, à Milon bas.
ALEXANDRE.
DEMETRIUS.
ALEXANDRE.
SCENE VII. §
ARSINOÉ, bas.
MILON, au Roy.
DEMETRIUS.
MILON.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
MILON, bas.
DEMETRIUS.
ARSINOÉ.
DEMETRIUS.
SCENE VIII. §
TELAMON.
DEMETRIUS.
TELAMON.
DEMETRIUS.
TELAMON.
DEMETRIUS.
DEMETRIUS.
SCENE IX. §
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
Fin du quatrième Acte.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
MILON.
SCENE II. §
MILON.
TELAMON.
MILON.
TELAMON.
MILON.
TELAMON.
MILON.
TELAMON.
MILON.
[p. 70]TELAMON.
MILON.
SCENE III. §
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
ARSINOÉ.
MILON.
SCENE IV. §
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
[p. 75]SCENE V. §
TELAMON tirant Milon à l’écart.
MILON.
TELAMON.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
ISMENIE.
MILON.
TELAMON.
MILON.
ISMENIE.
SCENE VI. §
SELEUCUS.
MILON.
SELEUCUS.
ISMENIE.
MILON, à Ismenie.
SELEUCUS.
MILON.
SCENE VII. §
ISMENIE.
SCENE VIII. §
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
ISMENIE.
LAODICE.
SCENE IX. §
ALEXANDRE.
ISMENIE.
ALEXANDRE.
SCENE X. §
DIOCLES.
ISMENIE.
DIOCLES.
ALEXANDRE.
DIOCLES.
SCENE XI. §
MILON.
SCENE DERNIERE. §
ALEXANDRE.
FIN
Extrait du Privilège du Roy. §
Par grace ; Privilege du Roy, donné à Paris le 10 septembre 1660. Signé, Par le Roy en son Conseil, FOURNIER, Il est permis au sieur Boyer, de faire imprimer, vendre ; debiter une Piece de Theatre qu’il a composée, intitulée Démétrius, en telle marge ; en tel caractere que bon luy semblera, ; ce durant l’espace de cinq ans : Et deffences sont faites à tous autres de l’imprimer ou faire imprimer, vendre ou debiter sans le consentement de l’Exposant, à peine de mil livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, ; de tous dépens, dommages ; interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté le 12 Novembre 1660. Signé, Josse, Syndic.
Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le 10 Decembre 1660, à ROUEN, par L. MAURRY.
Glossaire §
L’oeuvre théâtrale de Boyer §
La date indique l’année de la première représentation de la pièce.
La Porcie romaine, tragédie, 1646.
La soeur généreuse, tragi-comédie, 1646.
Porus ou la générosité d’Alexandre, tragédie, 1648.
Aristodème, tragédie, 1649.
Tyridate, tragédie, 1649.
Ulysse dans l’île de Circé, tragi-comédie, 1650.
Clotilde, tragédie, 1659.
Fédéric, tragi-comédie, 1660.
La Mort de Démétrius, tragédie, 1661.
Tigrane, tragédie, 1661 (jamais publiée) .
Policrite, tragi-comédie, 1662.
Oropaste ou le faux Tonaxare, tragédie, 1663.
Les amours de Jupiter et Sémélé, tragédie, 1666.
La Feste de Vénus, comédie, 1669.
Le jeune Marius, tragédie, 1670.
Policrate, tragédie, 1670.
Atalante, tragédie, 1671 (jamais publiée) .
Lisimène ou la jeune bergère, pastorale, 1672.
Le Fils supposé, tragédie, 1672 (réécriture de Tyridate) .
Démarate, tragédie, 1673 (jamais publiée) .
Le comte d’Essex, tragédie, 1678.
Agamemnon, tragédie, 1680 (écrite sous le nom de M. d’Assezan) .
Artaxerce, tragédie, 1683.
Antigone, tragédie, 1686 (écrite sous le nom de M. d’Assezan) .
Jephté, tragédie, 1692.
Judith, tragédie, 1695.
Méduse, tragédie en musique, 1697.
Quelques jugements sur Boyer et son oeuvre §
Furetière §
« On a reproché [à Boyer] un jour qu’il prêchoit dans les déserts de la Thébaïde, à cause de la solitude qui se trouva à la représentation d’une de ses pièces qui portoit ce nom. (...) Etant venu à Paris pour apprendre la Langue, dont il ne sait pas encore la prononciation, il veut l’enseigner aux autres. (...) Ce pauvre autheur a été obligé de se mettre souvent à genoux devant les Comédiens pour faire jouer leurs comédies, ou en partager le profit avec quelqu’un de la Troupe pour avoir sa protection. Il a employé l’autorité et le commandement des grands Seigneurs pour arriver à cette fin : mais cela n’a pas empêché qu’il n’ait été sifflé par le parterre » .
2e factum, in Recueil de factums.
« Boyer est obligé de souffrir perpétuellement devant ses yeux la représentation de l’Andromaque. La beauté de cette pièce faisait continuellement souffrir son humeur jalouse et envieuse, qui le porta toujours à condamner les beaux ouvrages et à applaudir les mauvais » .
Les couches de l’Académie.
Un échange d’épigrammes entre Furetière et Boyer §
Boyer :
« Avec une fade Satyre,Furetière a crû faire rire.Je ne sait si quelqu’un en rit,Et la peut lire toute entière :Pour moy je ris de Furetière,Et ne ris point de son écrit. »Furetière :
« Mon Factum est fade à tel poinct,Que Boyer dit qu’il n’en rit point :C’est ce qu’il trouve à redire.Je le croy certes sans jurer :Il est mauvais, s’il le fait rire,Il est bon, s’il le fait pleurer. »Boyer :
« C’est prudemment que nôtre Académie,Dans son ignorance affermie,A banni Furetière et l’a mis hors des rangs.N’auroit-ce pas esté dommage,De laisser ce grand Personnage,Au milieu de tant d’ignorans ? »Furetière :
« Il connoit bien l’Académie,Mais il connoit mal l’Ironie.L’Auteur de ce sixain piquant.Il dit plus vray qu’il ne sembloit promettre :Il ne croyoit parler qu’en se moquant ;On l’entend au pied de la lettre. »
Racine §
« A sa Judith, Boyer, par aventure,
Etait assis près d’un riche caissier ;
Bien aise était, car le bon financier
S’attendrissait et pleurait sans mesure.
« Bon gré vous sais, lui dit le vieux rimeur :
Le beau vous touche, et vous n’êtes pas d’humeur
A vous saisir pour quelques balivernes. »
Lors le richard, en larmoyant, lui dit :
« Je pleure, hélas ! de ce pauvre Holoferne,
Si méchamment mis à mort par Judith. »
A la mort de Claude Boyer :
« On prétend qu’il a fait plus de 500000 vers en sa vie, ; je le crois, parce qu’il ne faisait autre chose. Si la tradition était à brûler les morts comme parmi les romains, on aurait pu lui faire les mêmes funérailles qu’à ce Cassius Parmensis, à qui il ne fallut d’autre bûcher que ses propres ouvrages, dont on fit un fort beau feu. »
Lettre à son fils Jean-Baptiste, 24 juillet 1698.