Jean-Galbert de Campistron
Chez Estienne Lucas, Marchand
Libraire ; dans la Sale neuve du Palais,
à la Bible d’Or.
M. DC. LXXXIII.
Avec Privilege du Roy.
Édition critique établie par Sylvain Garnier dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2007)
Introduction §
Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les moeurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes.
La Bruyère - Les Caractères
Campistron ne vaut pas d’être lu1. Soixante ans après que Victor Hugo eut porté le premier coup2, c’est par cette formule définitive que Gustave Lanson achevait d’enterrer l’œuvre de ce dramaturge dont le principale tort aura été de rencontrer le succès après Racine et Corneille : osant leur succéder, il n’osa les égaler ; et puisqu’il n’eut pas le bon ton de se faire oublier avec ses obscurs collègues, on se chargea d’assassiner sa mémoire en affirmant que « Sur le Racine mort le Campistron pullule3 ». Triste destin pour l’auteur le plus prolifique des années 1680-1690 que de voir toute son œuvre résumée par un vers douteux écrit un siècle après sa mort : de même que les romantiques eurent à cœur de réhabiliter les victimes des traits acerbes de Boileau, ne conviendrait-il pas de réexaminer la cible de ce calembour hugolien ? Personne ne prétendra hisser Campistron à la hauteur d’un Corneille ou d’un Racine, ni lui prêter un génie qu’il n’aurait pas, mais il s’agit juste de le replacer dans son siècle et d’étudier objectivement ses mérites et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts pour tenter, simplement, de comprendre son succès. Car Campistron eut du succès, parfois mitigé, parfois triomphal, souvent correct, toujours mérité ; du succès donc et qui plus est un succès durable : Tiridate fut joué 95 fois jusqu’en 1733, Alcibiade 176 fois jusqu’en 1738 et Andronic 244 fois jusqu’en 1765, cette dernière pièce étant encore présente dans les répertoires du XIXe siècle. Mais au-delà des chiffres, le mérite de Campistron aura été de mener de front la bataille du renouveau tragique à la fin du siècle de Louis XIV : en effet, les retraits successifs de ceux que l’on n’appelait désormais plus que le grand Corneille et l’illustre Racine, la concurrence directe entre la tragédie et l’opéra et enfin le bouleversement de la vie théâtrale introduit par la création de la Comédie-Française appelaient une nouvelle génération d’auteurs capable de soutenir le flambeau chancelant de la tragédie française. Ce sera la génération des Pradon, Péchantré, La Fosse, La Thuillerie, Longepierre, Genest ou encore Lagrange-Chancel parmi lesquels Campistron n’aura jamais à rougir : la plupart des défauts qu’on lui reproche se retrouvent chez eux alors que ses qualités lui sont souvent propres. En définitive, le mérite de Campistron aura été d’honorer la gloire des deux grands auteurs déjà classicisés sans s’enfermer dans l’imitation stérile et d’avoir ainsi ouvert la voie à un renouveau de la tragédie. C’est la raison pour laquelle « Andronic, Alcibiade, Tiridate parurent nouveaux4 ». S’attacher à éditer sa toute première tragédie, Virginie, c’est s’attacher à la genèse de la redéfinition de la notion de tragique entreprise par Campistron, en étudiant la manière dont le jeune dramaturge au talent encore incertain capte et interprète tout l’héritage de la tragédie française du XVIIe siècle.
Vie de Jean-Galbert de Campistron §
C’est au sein d’une vieille famille de magistrats toulousains que l’auteur des principaux succès dramatiques des années 1680-1690 devait voir le jour, le 3 août 1656. Fils aîné de Louis de Campistron5 et d’Anne de Gourdon, il fut baptisé le 6 août à la cathédrale Saint-Étienne. Originaires du pays d’Armagnac, les Campistron étaient établis à Toulouse depuis près de deux cent ans et la famille exerçait les plus hautes charges dans la ville au moins depuis 1584, année où Arnaud de Campistron, l’arrière grand-père de Jean-Galbert, fut appelé à la charge de Capitoul, un office anoblissant ; depuis, le grand-père et le père du dramaturge exercèrent également à plusieurs reprises cette fonction en même temps que des charges au Palais, notamment celle de procureur général des eaux et forêts que devait reprendre par la suite l’un des frères de Jean-Galbert, Bernard. Fils aîné d’une famille de quatre enfants, le futur auteur de Virginie a vraisemblablement bénéficié de l’enseignement des Jésuites au collège de Toulouse : ses parents ont dû veiller à lui fournir une instruction à même de le préparer à la magistrature, et son jeune frère, Jean-Louis, devait devenir Jésuite et professeur de rhétorique dans cet établissement. C’est au plus tard durant l’été 1681 que le dramaturge quitta sa ville natale pour Paris. Les raisons de ce départ restent floues : la légende établie par d’Alembert d’un Campistron fuyant l’opposition de son père à sa vocation de poète pour « se jeter entre les bras de Racine6 » n’est pas recevable ; aussi l’hypothèse la plus crédible reste celle donnée par l’édition Bonneval de 1750 des Œuvres de Monsieur de Campistron : « une affaire de jeunesse obligea [s] es parents de l’envoyer à Paris. Il avoit été blessé dangereusement dans un combat singulier. Il projetoit un mariage avec une Demoiselle de sa condition. Trop jeune pour un établissement solide, il fallut le faire voyager7. » Ce qui est certain, c’est que l’assistance répétée de son père, dont il sollicita beaucoup les secours lors de son arrivée à Paris, interdit de penser que ce dernier était opposé à ce voyage. À Paris, le jeune Campistron se lia rapidement d’amitié avec un couple d’acteur, Jean-Baptiste et Françoise Raisin, chez qui il logea durant plusieurs années et dont il devint le parrain d’un des enfants en 1686 : c’est sans doute grâce à eux qu’il put être introduit à la Comédie-Française.
Dès lors, la carrière de l’auteur dramatique le plus important de ces années pouvait commencer. Après les débuts plus que prometteurs de ses deux premières tragédies, Virginie et Arminius, respectivement créés le 12 février 1683 et le 19 février 1684, Campistron connut rapidement deux très grands succès en 1685 avec Andronic et Alcibiade créés le 8 février et le 28 décembre de la même année : Andronic fut joué vingt-cinq fois durant la première série de représentations, Alcibiade, vingt-neuf. Face à ces deux triomphes, l’échec de Phraate, retiré de l’affiche après sa première représentation le 26 décembre 1686, n’en est que plus patent. Les raisons de cet échec restent mal connues ; la cause la plus souvent invoquée est que le sujet de la pièce était risqué politiquement : les frères Parfaict présument « qu’il y avoit dans l’Ouvrage plusieurs traits un peu trop hardis, qui donnerent lieu à certains Censeurs de la Cour, de faire de malignes applications8 ». La pièce n’a jamais été imprimée et son texte est perdu, cependant, on a souvent vu dans l’argument qu’en rapportent les frères Parfaict9 une application possible à Madame de Maintenon : une esclave a séduit Phraate, le roi des Parthes, et s’est faite épouser par lui. Dans la suite de la pièce, elle le faisait mourir après avoir fait désigner leur fils comme l’héritier du trône au détriment des premiers enfants du roi. Il semble que ce soit Campistron lui-même qui ait retiré la pièce après sa première représentation contre l’avis des comédiens, mais la pièce fut cependant rejouée à deux reprises au printemps, le danger politique ne devait donc pas constituer la véritable raison de cet abandon. Campistron connut à nouveau le succès avec Phocion et Adrien, une tragédie chrétienne, créés tout deux à un an d’intervalle le 16 décembre 1688 et le 11 janvier 1690 ; la première fut jouée onze fois devant un public nombreux, la seconde, quinze fois devant une assistance plus clairsemée. Enfin, Campistron renoua avec les triomphes d’Andronic et d’Alcibiade grâce à Tiridate qui fut créé le 12 février 1691 et qui connut vingt-sept représentations. Cette tragédie marque l’apogée de la carrière dramatique de Campistron, il écrira encore une Pompéia qu’il lut devant les comédiens le 17 janvier 1692 mais qu’il ne fit pas représenter car il estimait que les 1500 livres qu’ils lui en proposaient étaient insuffisantes ; la pièce ne fut pas imprimée du vivant de l’auteur10. La dernière tragédie représentée de Campistron fut Aétius, créé le 28 janvier 1693 et qui fut joué quinze fois ; cette pièce ne fut jamais publiée et l’on en connaît le contenu qu’au travers de manuscrits incomplets retrouvés dans les affaires de l’auteur. Les archives familiales des Campistron possèdent également le manuscrit d’une ultime tragédie intitulée Juba, roi de Mauritanie qui semble avoir été composée durant les dernières années de la vie de Campistron, lorsque le dramaturge s’était retiré à Toulouse. Outre la tragédie « parlée », Campistron devait également s’essayer avec succès au genre de l’opéra. Ainsi, à la suite des succès d’Andronic et d’Alcibiade, il fut sollicité pour écrire le livret d’une « pastorale héroïque » en trois actes mise en musique par Lully : ce fut Acis et Galatée qui du 6 au 14 septembre 1686 constitua le point d’orgue des fêtes d’Anet que le duc de Vendôme fit donner en l’honneur du dauphin ; à cette occasion, l’œuvre fut représentée cinq fois. Ce succès offrait à Campistron la possibilité de prendre la succession de Quinault qui s’était alors retiré, il fut ainsi choisi pour écrire une « tragédie en musique » intitulée Achille et Polyxène dont Lully aurait dû composer la musique si la mort ne l’avait emporté ; l’œuvre fut finalement représenté le 23 novembre 1687 avec une musique achevée par Colasse : le succès ne fut pas au rendez-vous. Campistron renoua cependant avec le succès dans le genre lyrique six ans plus tard avec Alcide ou La Mort d’Hercule qui fut joué le 31 mars 1693 ; mais le travail du dramaturge fut très critiqué, et l’œuvre fut surtout applaudie pour la musique de Louis Lully et Marin Marais. Enfin, au cours de sa carrière de poète dramatique, Campistron s’était essayé sporadiquement à la comédie : il fit ainsi jouer le 2 août 1684 une comédie en prose intitulée L’Amante amant ; et, plus étonnant, alors qu’il avait quitté depuis longtemps le théâtre, il écrivit un Jaloux désabusé qui fut représenté le 13 décembre 1709 et qui rencontra un grand et durable succès. Cette comédie devait clore définitivement la carrière de l’auteur phare de la fin du XVIIe siècle.
Alcide constitue la dernière œuvre que le dramaturge composa pour la scène si l’on excepte le Jaloux désabusé, et c’est immédiatement après la création de cet opéra que Campistron entra officiellement au service du duc de Vendôme avec mille livres de rentes ; aussi peut-on considérer l’année 1693 comme le tournant de la vie de Campistron : ayant obtenu toute la gloire possible par le théâtre, il se consacrera désormais au service de son protecteur. Les relations entre Campistron et le clan Vendôme avaient cependant commencées bien avant cette date. Ainsi, dès 1684, le dramaturge avait dédié sa seconde pièce, Arminius, à la duchesse de Bouillon, la tante du duc de Vendôme, et en 1686 et 1687, il avait participé à l’élaboration des fêtes d’Anet données par le duc en composant l’opéra d’Acis et Galatée pour les premières, et deux Idylles mises en musiques par Louis Lully pour les secondes. Il est donc certain que Campistron gravitait autour de la société du duc de Vendôme à cette époque. Ce n’est cependant qu’à partir de 1692, année où Campistron accompagna le duc sur les champs de bataille de Namur et Steinkerke, que l’on peut considérer que le dramaturge toulousain avait définitivement été adopté par le clan Vendôme. Et Campistron n’allait pas à la guerre comme simple observateur : réputé « aussi brave que paresseux11 », il accompagnait le duc jusqu’au plus fort de la mêlé dans laquelle il « conservait son sang froid et sa gaîté12 ». Il fut ainsi au côté de Vendôme en 1693 en Italie, puis en Italie et en Espagne entre 1694 et 1697, il prit enfin part à la guerre de succession d’Espagne entre 1702 et 1708. Au cours de ces campagnes, Campistron reçu plusieurs récompenses et distinctions : Vendôme le nomma ainsi Secrétaire général des galères en 1694, puis il fut successivement distingué par le marquisat de Penango, la commanderie de Ximenès et l’ordre militaire de Saint-Jacques. À coté de ces occupations militaires, Campistron continuait à prendre part aux activités littéraires. Il fut ainsi nommé Mainteneur des Jeux Floraux à Toulouse en 1694 alors que l’institution venait d’être gratifiée du statut d’Académie des Belles-Lettres ; puis, fait unique, il obtint le fauteuil de Segrais à l’Académie française sans l’avoir sollicité en 1701. Il sut également, au besoin, mettre ses talents au service du duc de Vendôme. Ainsi, au début de l’année 1708, alors qu’il était question de savoir qui prendrait le tête de la gigantesque armée levée par Louis XIV pour les Pays-Bas dans le cadre de la guerre de succession d’Espagne, Campistron lut le 1er mars une Epître au duc de Vendôme dans laquelle il mettait en avant les fait d’armes de son protecteur tout en fustigeant ceux qui à la cour le jalousaient et cabalaient contre lui. Enfin, à l’été de la même année, alors que les partisans du duc de Vendôme et ceux du duc de Bourgogne, le propre petit-fils du roi, se disputaient la responsabilité du désastre d’Audenarde où l’armée royale sous le commandement des deux généraux avait été défaite, Campistron rédigea une lettre destinée à circuler sous le manteau dans laquelle il prenait violemment et nommément à parti les gouverneurs du duc de Bourgogne.
La santé de Campistron ne lui permit cependant pas de rester plus longtemps dans l’entourage du duc de Vendôme dont le mode de vie épicurien nécessitait une bonne constitution ; aussi en 1710 prit-il le parti de se retirer à Toulouse. Il s’y maria le 21 octobre de la même année avec Marie de Maniban de Cazaubon, fille d’une des familles les plus influentes de la ville qui lui apportait une dot de 25000 livres, avec qui il eut six enfants, et, fort de ses titres de seigneur de Saint-Orens, de Cayras, de Lantourville et de Montpapou, il mena dès lors une vie de notable rangé, résidant alternativement entre son hôtel toulousain et son château de Cayras. Il mourut le 11 mai 1723 ; son buste fut installé par les Capitouls parmi les illustres de la ville.
Création de Virginie §
« J’estois si jeune, lorsque je composay cette Tragedie, que je me suis toûjours estonné comment j’avois eu la temerité de la commencer, et la force et le bonheur de la finir13. » C’est de cette façon que Campistron devait présenter sa Virginie en 1707, vingt-quatre ans après que cette pièce l’eut introduit dans le paysage dramatique français. Bien que cette tragédie ne fut représentée pour la première fois qu’en 1683, l’auteur affirme dans une lettre adressée à son père datée de septembre 1681 que « Virginie est prête14 » ; Campistron était alors âgé de vingt-cinq ans, et il n’était probablement installé à Paris que depuis peu de temps. Rien ne permet de savoir si le dramaturge avait projeté avant son voyage de tenter de se lancer dans une carrière théâtrale ; ce qui est sûr, c’est que l’on n’a pas connaissance de poésies qu’il aurait pu écrire durant sa jeunesse à Toulouse. Aussi ses biographes s’accordent généralement pour considérer que c’est à Paris que le jeune homme se serait découvert un talent pour la poésie. L’hypothèse selon laquelle son goût pour le théâtre aurait été motivé par son amitié avec l’acteur Raisin ne paraît cependant pas pertinente puisqu’il semblerait qu’ils ne se soient fréquentés qu’à partir de 1682, soit après que Campistron eut achevé sa tragédie. De même, l’affirmation de d’Alembert, selon laquelle Racine « accueillit avec bonté le jeune Campistron, l’aida de ses conseils, et le mit en état de donner deux Tragédies consécutives15 », est irrecevable : il n’y a strictement aucun document à l’appui de ces dires ; l’unique source de la légende ayant fait de Campistron le successeur de Racine adoubé par lui fut la commande par le duc de Vendôme d’un opéra en 1686, pour lequel Racine fut pressenti mais qu’il refusa en avançant le nom de Campistron qui venait alors de triompher avec Andronic et Alcibiade. Ce qui est certain, c’est que Virginie constituait le coup d’essai d’un jeune provincial monté à Paris, et que Campistron attendait de sa pièce qu’elle lui assure une carrière littéraire à même de le faire vivre.
Pour sa première tragédie, Campistron a choisi de traiter un événement de l’histoire romaine, la mort de Virginie survenue en 449 avant Jésus-Christ, ce qui ne constituait pas un choix évident au regard de la production dramatique de cette époque. En effet, les sujets romains, traditionnellement attachés à l’image de Corneille, avaient pratiquement disparus de la scène après Suréna en 1674, le Coriolan d’Abeille en 1676 ou la Cléopâtre de La Chapelle en 1681 faisant exception. Inversement, depuis l’Iphigénie de Racine, l’on voyait se multiplier les sujets empruntés à la mythologie grecque comme l’Hector de Sconin et la Circé de Donneau de Visé et Thomas Corneille en 1675, la Phèdre de Racine et celle de Pradon ainsi que l’Electre du même auteur en 1677, Lyncée de Gaspard Abeille l’année suivante, la Troade de Pradon en 1679, l’Adraste de Ferrier et l’Agamemnon que Boyer donnera sous le nom d’Assezan en 1680 et enfin l’Hercule de La Tuillerie et l’Oreste de Le Clerc en 1681. Aussi la critique a-t-elle voulu voir dans ce choix par Campistron d’un sujet romain la marque de sa dette envers Corneille, et elle en veut pour preuve la réminiscence dans Virginie d’un certain nombre de vers du grand dramaturge16 ; mais c’est oublier un peu vite que la pièce comporte tout autant de vers empruntés à Racine. Il est en revanche plus probable que le jeune Campistron, fraîchement débarqué de sa province se soit fondé sur le théâtre qu’il connaissait alors le mieux : celui des Jésuites chez qui il avait fait son éducation. En effet, alors que les sujets romains brillaient par leur absence sur les scènes parisiennes, durant la même période, les collèges jésuites de France donnaient toujours des tragédies tirées de l’histoire romaine comme Trebellius (1675, collège de Clermont), Dioclétian humilié (1677, collège des Jésuites de Sens), Titus (1679, collège de l’Oratoire), Regulus (1681, collège des Jésuites de Rouen), Constantin (1681, collège de Clermont), Séjan ou Rome libre (1681, collège de la Marche), ou encore Scipion (1682, collège des Grassins). André Stegmann qui affirme que Campistron est « le dernier qui puisera largement à ce théâtre17 » signale ainsi qu’« avec Arminius, Andronic, Aétius, Adrien, ce sont des sujets scolaires des Jésuites qui réapparaissent18 » ; il serait possible d’ajouter avec Virginie dont le sujet avait déjà été traité au collège du Plessi-Sorbonne en 1660. Un autre argument en faveur de l’inspiration jésuite de la tragédie de Campistron est fourni par le manuscrit original de la pièce19 qui en a été conservé, et qui donne une version du texte différente de la première édition, que Dorothy F. Jones décrit en ces termes :
La version originale est lardée de références pieuses aux dieux, avec de longs passages didactiques sur leur influence dans les affaires humaines. L’héroïne, par exemple, croit qu’elle est punie par les dieux pour avoir préféré son amant aux cieux (I, v, 10). Sa mère prie pour que les dieux rendent le scélérat vertueux (III, i, 18-19) et demande à ce qu’« un trait sacré de votre saint courroux / Tombe sur le tyran qui nous accable tous » (V, v, 41). Le jeune amant prononce un véritable exposé du problème du mal et du libre arbitre (III, v, 25). Tous ces passages disparaissent dans la version finale20.
Dans sa version primitive, Virginie était donc conçue comme une tragédie moralisante de même que l’étaient les tragédies de collège. Que ce soit par son sujet ou par son style, Virginie ne correspondait donc pas à ce qui se jouait alors sur les théâtres parisiens, et Campistron semble avoir rencontré de nombreuses difficultés avant de réussir finalement à imposer sa première tragédie. En effet, alors que dès le mois de septembre 1681, il pouvait annoncer à son père que « Virginie est prête » et qu’il croit « qu’on la jouera peut’etre dans trois sepmaines21 », la pièce ne sera finalement créée que le 12 février 1683. Il aura donc fallu près de dix-huit mois à Campistron pour réussir à faire jouer sa pièce.
Il semble tout d’abord que la réorganisation des théâtres parisiens avec la création de la Comédie-Française en 1680 ait joué en défaveur de Campistron ; en effet, avec la disparition de la concurrence, la formidable dynamique théâtrale des années précédentes s’était essoufflée et il était plus difficile pour un auteur inconnu de réussir à imposer sa pièce, privé de la rivalité qui opposait auparavant les différentes troupes. De plus, avec cette nouvelle organisation, les comédiens avaient perdu une part de leur indépendance et il devenait difficile de promouvoir une pièce privée de l’appui d’un grand seigneur. C’est ce que déplore Campistron dans la lettre à son père de septembre 1681 lorsqu’il affirme que Virginie sera jouée « peut’etre dans trois sepmaines, a moins que les puissantes sollicitations de quantité de grands seigneurs ne l’empêchent, car ils protegent des gens qui sont à eux et jamais il n’y a eu tant de pieces nouvelles y en ayant plus de quinze qu’on presente aux comediens22. » Aussi le dramaturge a semble-t-il employé une partie de son temps à obtenir un tel appui ; c’est la raison pour laquelle il affirme dans cette même lettre que « la lettre de mr. Fieubet seroit bien necessaire23. » Jeune provincial sans connaissance à Paris, Campistron s’est naturellement tourné vers ses soutiens toulousains en la personne de Gaspard de Fieubet, le président du parlement de Toulouse qui pouvait l’introduire dans la capitale par l’intermédiaire de son frère, Fieubet de Caumont, dont le dramaturge obtiendra une lettre le mois suivant, et surtout en celle de son cousin, Gaspard II de Fieubet, Conseiller d’Etat ordinaire et Chancelier de la reine, qui pouvait se targuer d’une grande fortune et d’être l’« ami particulier des gens les plus distingués24 ». Lorsque Campistron fera imprimer sa pièce en Avril 1683, il ne manquera pas de la dédier à son protecteur afin de lui « rendre des graces publiques de la puissante et genereuse protection dont [il a] toûjours honoré [s] a famille25 ». L’autre grande difficulté rencontrée par le dramaturge à Paris semble être les rivalités d’auteurs auxquelles il ne s’était vraisemblablement pas préparé. Sa correspondance indique ainsi que parallèlement à sa Virginie, il avait entrepris de donner une Clytemnestre sur laquelle il travaillait, mais il devra finalement y renoncer, le sujet ayant été traité dans le même temps et, semble-t-il penser, de manière intentionnelle par Le Clerc. C’est ce qu’il explique à son père :
Vous étés en peine de scavoir quel jour on voulait me jouer. On me la joué en effet, et le Roy a voulu qu’on representat une piece de mr le clerc a la sollicitation de mr le Duc de richelieu. Cette piece traite a peu prés le même sujet que clytemestre, car c’est une iphigénie en tauride. Cella a retardé ma clytemnestre26.
Le mois suivant, Campistron affirmera que l’intention de Le Clerc était de lui « faire du mal27 » et qu’il « ne doute point qu’il ne soit hâté de mettre son iphigenie et son oreste au jour pour ruiner [s] a clitemnestre28. » Bien sûr, les rencontres frontales entres deux pièces traitant le même sujet étaient fréquentes, mais depuis la fusion des différentes troupes de théâtre la donne avait changé : privé de la concurrence des troupes, un jeune auteur n’avait plus la possibilité de faire jouer sa pièce par une troupe rivale et il n’avait plus qu’à s’effacer devant l’auteur concurrent. Mais, même lorsqu’une pièce comme Virginie n’était pas en concurrence frontale avec une autre, la fusion des troupes avait réduit ses possibilités de représentation et il semble qu’au cours de cette année 1681, où la Comédie-Française tout juste créée peinait à s’organiser, il ait régné une certaine confusion, la nouvelle troupe se révélant incapable de répondre à la production des poètes dont le nombre n’avait pas diminué en même temps que celui des scènes dévolues au théâtre parlé. Campistron semble confirmer ce fait lorsqu’il se plaint des « querelles des comediens29 » et de « la concurrence de tant de gens qui baillent des pieces cette année30 » ; c’est pourquoi il dit à son père qu’« on n’a encore joué aucune piéce nouvelle31 » et « qu’on devoit en représentér 4 ou 5 devant la [s] ienne32 ». Campistron restait malgré tout confiant et prenait son mal en patience ; il invite ainsi son père à ne « pas croire non plus que [s] a pièce ne soit pas assés bonne pour être representee, et s’il [lui] faut attendre c’est avec raison33 » et le dramaturge d’assurer « que [s] a piece sera jouée, ou toute choses [l] e tromperont34 ». Cependant, ce qui lui causait de réels soucis, c’était sa situation financière qui se détériorait : il empruntait régulièrement de l’argent à sa famille pour subsister et il attendait beaucoup des bénéfices de ses pièces. C’est la raison pour laquelle Campistron entreprit au cours du mois d’octobre 1681 de quitter momentanément Paris pour les Flandres où il espérait pouvoir gagner de l’argent ; il déclare ainsi avoir « resolu d’allér en Flandres ou [il aura] un fort bon employ a 70 lieues de paris qui [l] e fera subsister fort honnetêment attendant qu’on joue [s] es pieces35 », il ajoute qu’il y est « forcé ne pouvant pas demeurér a paris avec rien36 ».
Quoi qu’il en soit, c’est au cours de l’année suivante, en 1682, que la situation s’éclaircit pour Campistron sur le plan théâtral. En effet, c’est semble-t-il durant cette période qu’il se lia d’amitié avec Jean-Baptiste et Françoise Raisin ; tout deux membres de la Comédie-Française, ils lui en ouvrirent probablement les portes. C’est vraisemblablement sur les conseils de Jean-Baptiste que le dramaturge a corrigé la première version de Virginie, supprimant tout ce qui pouvait paraître trop scolaire ou moralisant pour acclimater la tragédie au goût du public parisien. Campistron put finalement lire la nouvelle version de sa pièce devant les comédiens le mercredi 30 septembre 1682 à dix heures, comme l’annonce la feuille d’assemblée du lundi 28 septembre. Il s’agit vraisemblablement d’une nouvelle lecture puisque la lettre de septembre 1681 indiquait que le dramaturge avait déjà présenté son travail aux comédiens sans que ceux-ci ne l’acceptent ou le refusent formellement. Quoi qu’il en soit, Virginie sera définitivement adoptée à la suite de cette seconde présentation et la pièce sera finalement créée le 12 février 1683 à l’Hôtel Guénégaud. Ce délais entre l’acceptation de la pièce et sa création est normal si on le compare aux autres pièces représentées au cours de la même période : le Téléphonte de La Chapelle, lu le 1er octobre, sera créé le 26 décembre, et le Nitocris de La Tuillerie, lu le 3 octobre, sera créé le 10 mars. La distribution des rôles est connue grâce au Répertoire de 1685 qui cite Virginie, bien que la pièce n’ait plus été reprise après 1684. Le rôle éponyme était ainsi tenu par La Champmeslé, celui de Plautie par la Beauval, Champmeslé joua Appius, Baron Icile et Guérin Clodius, enfin le rôle de Camille fut tenu par la Raisin et celui de Fulvie par la Guyot. On ignore par qui étaient joués les rôles secondaires de Sévère, Fabian et Pison.
C’est donc le 12 février 1683 que Virginie fut créée, un vendredi comme il était d’usage pour une nouvelle pièce : la séance qui attirait le plus de monde était généralement celle du dimanche, et créer une pièce le vendredi permettait de susciter un intérêt. Le Registre journalier de 1683 de la Comédie-Française permet de suivre très précisément le succès de la pièce au fil de ses représentations37. Ainsi, la première séance rapporta 930 livres, ce qui constitue une bonne recette mais ne correspond qu’à un théâtre plus qu’à moitié vide puisque seulement 301 billets ont été vendus. Ceci s’explique par le fait que pour les premières représentations d’une nouvelle pièce, le prix des places était au double : les places situées sur la scène, dans les balcons et dans les premières loges étaient à 5 livres 10 sols, les secondes loges étaient à 3 livres et les troisièmes loges et le parterre à 30 sols. La séance du dimanche 14 février tint ses promesses en rapportant 1101 livres pour 324 billets vendus, mais la séance suivante, le mardi 16 février, vit les recette s’effondrer à 466 livres 10 sols avec seulement 150 billets vendus. Aussi, dès la représentation suivante, le prix des places fut remis au simple, c’est-à-dire 3 livres pour la scène, les balcons et les premières loges, 1 livre et 10 sols pour les secondes loges, 1 livre pour les troisièmes loges et 15 sols pour le parterre. Dès lors, le théâtre pu se remplir avec 504 billets vendus pour une recette de 692 livres 10 sols. Les comédiens ne se satisfirent cependant pas de ces chiffres, puisque dès la séance suivante, ils jugèrent à propos d’adjoindre à Virginie une petite comédie à succès de Molière pour compléter le spectacle : ce fut La Comtesse d’Escarbagnas qui accompagna la tragédie de Campistron lors des représentations du samedi 20 février et du lundi 22 février qui obtinrent respectivement 746 livres 5 sols de recettes pour 560 billets vendus et 822 livres 5 sols pour 543 billets. Au cours des deux représentations suivantes, celles du mercredi 24 février et du vendredi 26 février, ce fut le Mariage forcé qui vint soutenir la tragédie ; ces séances rapportèrent les belles sommes de 1331 livres 5 sols pour 912 billets vendus et 1268 livres 15 sols pour 832 billets. Mais la séance qui enregistra les plus fortes recettes fut la suivante, celle du dimanche 28 février où, adjointe à Georges Dandin, Virginie rapporta 1338 livres 10 sols pour 935 billets vendus. La tragédie de Campistron ne reparut ensuite que le vendredi 4 mars accompagnée d’une pièce de Monfleury, le Semblable à soy mesme ; les recettes s’écroulèrent à 402 livres 5 sols pour seulement 314 billets vendus, les comédiens retirèrent Virginie de la scène pour laisser la place au Nitocris de La Tuillerie. La part d’auteur dévolue à Campistron s’éleva en tout à 876 livres, le dramaturge pourra affirmer en rédigeant sa préface quatorze années plus tard que le succès de sa pièce, « quoique mediocre, ne [lui] donna pas lieu de [s] e rebuter du Theatre38. » Au sujet du succès de Virginie, d’Alembert a véhiculé la légende que cette pièce aurait « joui même d’un triomphe assez flatteur ; ce fut d’éclipser une autre tragédie nouvelle qu’on jouait dans le même temps39 » ; il s’agit du Téléphonte de La Chapelle que soutenait la duchesse de Bouillon, et ce serait la raison pour laquelle Campistron aurait dédiée sa seconde pièce, Arminius, à la duchesse pour atténuer le ressentiment de cette dernière à son encontre. Mais les représentations de Téléphonte ayant cessée fin janvier, l’on voit mal comment Virginie aurait pu lui faire de l’ombre. Quoi qu’il en soit, Campistron pouvait respirer, fort de ce petit succès : il s’était ouvert la porte de la Comédie-Française et avait pu prouver à sa famille qu’il pouvait vivre à Paris grâce à son théâtre. Un privilège fut prit le 29 mars 1683 par un libraire parisien, Estienne Lucas, qui acheva d’imprimer la pièce le 30 avril de la même année. Par la suite, la pièce fut reprise en 1684, durant l’été, période généralement pauvre en nouvelles créations, les 22 juin et 15 juillet avec des recettes inférieures à 200 livres. La pièce ne fut plus jamais rejouée par la suite.
Dramaturgie, l’action §
Avec Virginie, Campistron traite un événement de l’histoire romaine rapporté par Tite-Live au livre trois de sa première Décade40. Alors que Rome subit le joug des décemvirs, le premier d’entre eux, Appius Claudius, s’éprend de Virginie, la fille de Virginius, un centurion parti avec l’armée sur le mont Algide. Ne réussissant pas à la gagner par des promesses ou de l’argent, Appius demandera à Marcus Clodius, l’un de ses clients, d’enlever la jeune fille en prétendant qu’elle est en réalité la fille d’une esclave de sa maison et qu’elle est donc sa propriété. Clodius s’emparera de Virginie et se rendra sur le Forum pour la faire reconnaître comme son esclave par le tribunal où siège Appius, mais face à l’opposition de la foule, excitée par Icilius et Numitorius, le fiancé et l’oncle de la jeune fille, le magistrat sera contraint de libérer Virginie et de remettre son jugement au lendemain afin de permettre au père d’être présent pour défendre sa fille. Le jour suivant, Virginius, revenu précipitamment de l’armée, accompagne sa fille sur le forum où Appius décide qu’elle doit revenir à Clodius ; ne pouvant s’opposer au jugement, Virginius poignardera sa fille pour lui éviter le déshonneur. Suite à ces évènements, la plèbe et les soldats s’installeront sur l’Aventin où ils feront sécession : la révolte entraînera finalement la suppression du décemvirat et le retour des tribuns qui avaient été supprimés. Avant que Campistron n’écrive sa pièce, deux auteurs avaient déjà composé des tragédies sur le sujet de la mort de Virginie : Du Teil qui avait donné une Injustice punie en 1641 et Le Clerc dont la Virginie romaine parue en 1643 devait influencer le jeune dramaturge toulousain. En outre, les arguments d’une troisième tragédie ont été conservés : il s’agit d’une tragédie de collège jouée le 11 août 1660 au Plessis-Sorbonne devant l’abbé de Richelieu. Cette pièce s’éloignait beaucoup de l’histoire romaine et proposait une Virginie composée avec des caractéristiques et des situations directement inspirées du personnage d’Emilie dans le Cinna de Corneille. Mais elle ne fut jamais éditée et Campistron n’a pas pu en avoir connaissance. En définitive, la pièce de Campistron constitue la version la plus simple et sans doute la plus élégante de l’histoire de la mort de Virginie.
Elle se découpe de la manière suivante : au premier acte, l’on apprend que Virginie a été enlevée par Clodius qui prétend qu’elle est la fille de son esclave conformément aux souhaits du décemvir Appius qui est épris d’elle. Elle est gardée dans le palais du magistrat qui, en tant que tel, doit se prononcer sur son sort. À l’acte deux, Icile veut venger Virginie. Celle-ci, pour ne pas exposer son amant, s’en remet à Appius, qui lui propose le mariage pour échapper à l’esclavage. Virginie comprend alors que ses malheurs viennent de lui. Au troisième acte, Virginie apprend à sa mère et à son amant qu’elle est persécutée par Appius et non par Clodius. Icile décide de se révolter contre la tyrannie, mais il est arrêté. Au cours de l’acte suivant, Appius exerce un double chantage : Icile doit parler en sa faveur à Virginie pour éviter la mort ; Virginie doit accepter l’offre de mariage d’Appius pour sauver Icile. Mais la fermeté des amants provoque la fureur du tyran qui ordonne l’exécution d’Icile. Enfin au dernier acte, Icile parvient à s’évader et à tuer Appius tandis que la révolte populaire renverse le décemvirat, mais Virginie, qui l’ignore, se suicide pour échapper à l’esclavage.
La préface de Virginie, bien que succincte, fournit de précieux renseignements concernant la construction de la pièce : elle confirme tout d’abord que la source principale de Campistron était bien le livre trois de la première Décade de Tite-Live ; elle révèle ensuite la manière dont l’auteur a interprété sa source pour en tirer l’« action principale » de sa pièce. Le dramaturge y décrit en effet le sujet de sa tragédie en ces termes : « le crime d’Appius, et la mort de Virginie, furent cause que le gouvernement fut changé dans Rome, et que la puissance des Decemvirs y fut abolie41. » Ce qu’il importe ici de souligner, c’est que Campistron n’a pas choisi de retenir l’infanticide qui aurait pourtant constitué un sujet tragique de premier choix faisant surgir « la violence au cœur des alliances » – un père contraint de tuer sa fille pour la soustraire à l’infamie de l’esclavage – mais qu’il a choisi de mettre l’accent sur le crime d’Appius envers Virginie ayant entraîné la chute de ce tyran. Ainsi, Campistron rapprochait la mort de la malheureuse Virginie de celle de Lucrèce, rapprochement d’autant plus évident qu’il était déjà effectué par Tite-Live lui-même qui affirmait que l’histoire de Virginie « ne fut pas moins funeste que l’infortune de Lucrèce, qui chassa les Rois de la Ville, et tout ensemble du throsne par son violement, et par sa mort42, » et qu’ainsi, les décemvirs eurent « non seulement la mesme fin que les Rois, mais que la mesme cause leur fist perdre la puissance et l’authorité43. » C’est sans doute afin de souligner encore d’avantage ce rapprochement que Campistron a remplacé l’infanticide final par le suicide de l’héroïne : ce geste achève de la confondre avec Lucrèce, même si cette dernière se suicidait pour laver son honneur alors que Virginie le fait pour éviter le déshonneur.
Campistron adoptait donc le point de départ suivant : Virginie meurt pour échapper à l’infamie de l’esclavage dans lequel Appius voulait la jeter, ce qui provoque une révolte qui renverse la tyrannie. Il s’agit de la fin de la tragédie mais cela n’a rien d’étonnant, l’écriture à rebours étant largement développée chez les dramaturges depuis le Cinna de Corneille, notamment afin d’éviter toute « duplicité d’action » : le poète doit « déduire » à partir de la catastrophe de sa pièce, un nœud dont la résolution entraîne la catastrophe, et une exposition devant introduire ce nœud, de manière à ce que la fin du poème dramatique semble être la conséquence de son déroulement. Ainsi, la cause directe de cette fin que Campistron en a « déduit », c’est qu’Appius menace de réduire Virginie à l’esclavage si celle-ci refuse de l’épouser : il s’agit du milieu de la pièce. Enfin, par le même procédé, le dramaturge a trouvé son début qui est qu’Appius a fait enlever Virginie qu’il aime car celle-ci en aime un autre et est engagée avec lui. Campistron retrouvait ainsi les donnés initiales du récit de Tite-Live sans que le déroulement de sa pièce ne ressemble à celui du récit de l’historien dans lequel Virginie n’était à aucun moment détenue par Appius : il s’agit donc bien d’une pièce construite selon le procédé de la « déduction » et non selon celui de la « réduction » d’un matériel narratif. Ce début, ce milieu et cette fin constituent l’« action principale » de la tragédie ; or, force est de constater que cette « action principale » est extrêmement proche dans son déroulement de celle de la Virginie Romaine de Le Clerc. En effet, au début de cette dernière, Virginie a été enlevée par Appius qui l’aime, au milieu, Appius exerce différents chantages pour la faire céder, et à la fin, Virginie meurt pour échapper au déshonneur, tuée par son père conformément à l’histoire.
Finalement, la différence entre les deux pièces tient à une légère modification introduite par Campistron dans la situation initiale : alors que chez Le Clerc, conformément au récit de Tite-Live, l’amour d’Appius pour Virginie est déjà connu, chez le dramaturge toulousain, il est toujours dissimulé. Cette légère modification a cependant des conséquences très importantes sur l’action de la pièce puisque Appius peut désormais apparaître aux yeux des autres personnages comme un magistrat impartial alors que chez Le Clerc il était d’emblé présenté comme un tyran. Ainsi, dans la Virginie romaine, Appius est qualifié de « tyran » trois fois au cours de la seule première réplique de Virginie, à la scène 2 de l’acte I ; alors que dans la pièce de Campistron, ce n’est qu’au vers 821, après la proposition de mariage d’Appius, que Virginie le nomme ainsi. Aussi, le contenu de l’action des deux pièces ne pouvait qu’être très différent : là où Le Clerc inventait une conspiration contre Appius, conduite par Icile qui s’introduisait dans le palais du décemvir pour l’assassiner, Campistron, lui, retenait un élément du récit de Tite-Live sur lequel il allait bâtir son action : le rôle de faux juge tenu par Appius. Ainsi, du long débat judiciaire qui occupait une grande part du récit de l’historien, Campistron a conservé le thème du magistrat à qui « le demandeur [Clodius] expose son affaire devant un Juge qui sçavoit toute la piece […] qui en estoit l’autheur, et le principal acteur44 » avec cette différence que chez l’historien, personne n’était dupe du vrai rôle d’Appius.
Dès lors, l’intrigue de la pièce de Campistron allait se concentrer autour des défenseurs de Virginie qui, comptant sur l’arbitrage impartial d’Appius, n’ont d’autre choix que de se révolter contre le tyran lorsqu’ils constatent que c’est en réalité de lui que viennent les malheurs de la jeune fille. Ainsi, autour du « fil » principal constitué de l’amour tyrannique d’Appius pour Virginie, Campistron va tisser deux « fils » secondaires constitués par l’amour partagé d’Icile pour la jeune fille et par l’amour maternel de Plautie. Ces deux fils sont bien subordonnés au premier puisque ce sont « les événements du principale sujet [qui en font] naître les passions45 » : c’est l’amour d’Appius qui vient déranger Icile et Plautie dans leur affection comme l’indique le récit de l’exposition qui raconte comment Virginie a été enlevée alors que son fiancé la conduisait à l’autel (v. 56) et que « Plautie elle même à ses desirs propice / Pour l’hymen de sa fille offroit un sacrifice » (v. 61-62). Le premier de ces fils qui met en scène Icile est directement inspiré de Le Clerc : le fougueux républicain est arrêté pour avoir fomenté une rébellion contre Appius et est utilisé comme moyen de pression par le tyran pour faire céder Virginie. Le second, consacré aux plaintes de Plautie, est plus pathétique que véritablement dramatique : c’est une pure invention de Campistron ; la mère de Virginie erre dans le palais du décemvir ou dans les rues de Rome, tentant successivement de gagner par ses larmes Appius puis, lorsqu’elle réalise qu’il est responsable de ses maux, les femmes romaines afin d’obtenir la libération de sa fille. Ces deux fils, introduit dans l’exposition, trouverons comme il se doit leur conclusion dans le dénouement lorsque Icile déclare après avoir appris la mort de Virginie : « Allons, Madame, allons, et courons l’un et l’autre, / Faire parler par tout ma douleur et la vostre » (v. 1541-1542).
Le point de jonction de ces différents fils constitue le nœud de la tragédie : il s’agit de l’acte III au cours duquel la pièce bascule d’un conflit privé vers un conflit public. C’est en effet au cours de cet acte qu’Icile et Plautie apprennent que Clodius n’est que l’instrument d’Appius et que c’est ce dernier qui est responsable du sort de Virginie. Dès lors, à travers Appius, c’est le pouvoir des décemvirs qui est perçu comme oppressant et le thème de la tyrannie publique fait son apparition dans la pièce lorsque Icile, après avoir fait la peinture des « funestes horreurs qui desolent » Rome (v. 900), parle d’un « joug moins suportable, / Que ne fut de Tarquin le regne abominable » (v. 913-914) et déclare enfin vouloir « servir la Republique » (v. 916). Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est précisément à la scène 5 de l’acte III, soit pratiquement au milieu de la pièce, que les thèmes de la République et de la révolte contre le décemvirat apparaissent : Icile a beau affirmer avoir « formé dés longs-temps ce genereux dessein [de restaurer la République] » (v. 875), dans la structure de la tragédie, la révolte naît à partir du moment où il apparaît qu’Appius ne remplit pas son rôle de juge impartial envers Virginie ; alors « servir la Republique », certes, mais « en servant [s] on amour » (v. 916).
Là, il semble bien que le dramaturge débutant ne soit pas parvenu à éviter une disjonction entre l’action de sa pièce et sa diégèse, puisque son action tend à faire de l’enlèvement de Virginie le premier crime d’Appius, alors que la diégèse en fait le dernier d’une longue série évoquée par Icile à l’acte III scène 5. Ainsi, alors que chez Tite-Live le tyran traîne derrière lui une longue série de crimes dont le rapt de la jeune fille ne constitue que celui de trop, tout comme chez Le Clerc qui introduit dès le premier acte Appius comme un « traistre » « Qui de Rome entiere a succé tout le sang », chez Campistron l’enlèvement de Virginie semble constituer la première véritable injustice d’Appius. C’est la raison pour laquelle le décemvir parle au début de la pièce des « loix de [s] on devoir » dont il ne se « souvin[t] plus » (v. 20), qu’il rougit du fait que « l’amour [lui] couste un si grand crime » (v. 110) et qu’il éprouve de la « honte » (v. 111) et des « remords » (v. 112) : ce ne sont assurément pas là les états d’âme d’un monstre endurci au crime. C’est pourquoi les défenseurs de Virginie, persuadés que leur ennemi est Clodius, cherchent le soutien d’Appius qui se présente comme un magistrat « Chargé par tout l’Etat du pouvoir Souverain » (v. 175) afin de suivre « la severe Justice » (v. 173) : ainsi, loin de l’accuser, Plautie l’exhorte à « ouvr[ir] les yeux » (v. 227), quant à Virginie elle-même, elle lui déclare qu’elle « remet en [ses] mains tout le soin de [s] on sort » (v. 564). Ces personnages se livreraient-ils ainsi au monstre responsable de la série de maux subis par la ville que dépeint Icile des vers 899 à 914 ? De même, on peut se demander pourquoi Rome est « surprise » (v. 1) de l’enlèvement de Virginie alors que « Le crime [serait] triomphant [et] l’innocence tremblante » (v. 905). Il y a donc vraisemblablement un écart entre la situation politique telle qu’elle est décrite au cours de cette tirade d’Icile et les actions et les paroles entreprises par les personnages au cours des deux premiers actes.
Cette disjonction pourrait s’expliquer par l’influence d’une autre source dont Campistron se serait servi pour construire son intrigue : Dorothy F. Jones a en effet rapproché cette pièce du Britannicus de Racine46 dans lequel une passion illégitime pousse Néron à commettre son premier crime, encouragé par son confident Narcisse, tout comme Appius, épris de Virginie, enlève celle-ci et est encouragé par Clodius à s’enfoncer toujours plus en avant dans la tyrannie. Ces commentateurs se sont également plu à souligner que dans les deux pièces, le tyran exerce des menaces à l’encontre de l’amant de la jeune fille qu’il veut faire céder ; mais ce passage de la pièce de Campistron est en réalité la reprise exacte de la scène 2 de l’acte III de la Virginie Romaine de Le Clerc. Il reste cependant possible de penser que Campistron a effectivement été sensible à l’idée de « premier crime » présente dans Britannicus pour bâtir son intrigue, tout en conservant l’histoire de la chute des décemvirs mise en parallèle avec le suicide de Lucrèce, et donc du « crime de trop », pour construire son action principale. Mais encore faut-il déterminer pourquoi le dramaturge a cherché à mettre en scène un « premier crime » alors que son sujet ne l’y invitait pas. On peut penser qu’il s’agit d’un résidu de la tonalité pieuse et moralisante de la première version manuscrite de la tragédie que Campistron a modifiée par la suite : en effet, dans sa pièce, c’est la passion illégitime d’Appius qui le pousse au crime et cause sa perte, alors que si Campistron s’en était tenu au modèle du tyran accompli, le crime serait imputable à sa nature et non à la passion. Dans une perspective morale, le « premier crime » constitue le « crime de trop ». Ainsi, cette pièce renouerait en quelque sorte avec le modèle de la tragédie humaniste qui montrait les effets néfastes de la passion lorsque l’on s’y abandonne, comme l’illustre parfaitement cette tirade d’Appius dans laquelle il répond aux accusations de Virginie en se présentant comme un misérable soumis à sa passion :
Ah cruelle ! est-ce à vous de parler de mes crimes,Leur seule cause helas ! les rend trop legitimes,Est-ce à vous de montrer à mon cœur abbatu,Qu'il a soüillé sa gloire et trahy sa vertu ?M'osez-vous reprocher mon ardeur criminelle,Vous qui rendez mon cœur à son devoir rebelle,Vous qui seule causez mes forfaits odieux,Ah ! je puis justement en accuser vos yeux,Leur demander raison des malheurs de ma flame,De mon repos perdu, du trouble de mon ame,D'avoir de mon esprit malgré mes soins prudens,Effacé les leçons de plus de quarante ans,Et d’avoir fait enfin par un coup effroyable,D'un Souverain heureux un Amant miserable (IV, 2, v. 1097-1110)
Peut-être faut-il mettre cette tonalité morale sur l’influence du théâtre jésuite, comme le propose Dorothy F. Jones47 : il s’agit de la première pièce de Campistron et celui-ci a pu être influencé par les spectacles donnés dans les murs du collège où il avait probablement étudié. Arrivé à Paris et sur les conseils des comédiens, il aurait alors cherché à effacer les marques les plus visibles dans le dialogue de ce ton moralisant, sans pour autant modifier la structure de sa pièce.
Il reste encore à expliquer pourquoi Campistron a modifié la donnée normalement intangible de l’histoire : le dénouement. En effet, bien que l’esthétique tragique du XVIIe siècle autorisait à bouleverser le déroulement historique des événements, le dénouement, lui, se devait d’être rigoureusement respecté. Or, alors même que des quatre pièces écrites sur le sujet, celle de Campistron est sans doute la plus fidèle au déroulement des événements, sa Virginie est la seule à substituer le suicide de l’héroïne à l’infanticide final. Cette modification peut s’expliquer d’une part par le respect strict des règles de la bienséance, d’une autre part par la dramaturgie mise en œuvre par Campistron. En effet, les règles de la bienséance interdisaient de représenter le meurtre, mais autorisaient le suicide ; ainsi, l’abbé Morvan de Bellegarde déclarera qu’« il ne faut jamais répandre le sang de personne [sur la scène], mais on y peut verser le sien, quand on y est porté par un beau désespoir48 ». Au sens strict, l’interdit portait sur la représentation du meurtre sur la scène et non dans un récit rapporté, mais le jeune dramaturge a peut être jugé plus prudent d’interpréter la bienséance au sens le plus étroit pour parer à toute critique. De plus, comme l’abbé Morvan le signalait, le suicide « était une action consacrée chez les Romains49 », et Campistron n’a pas manqué de rappeler tout au long de sa pièce que le suicide constituait une action noble à Rome comme le signale Plautie lorsqu’elle déclare à Virginie que « Le dessein de mourir pour conserver [s] on rang, /Est digne de [s] a fille, est digne de [s] on sang » (v. 275-276). Aussi, alors que l’infanticide ne pouvait être regardé qu’avec répulsion par un spectateur du XVIIe siècle, le suicide était vu comme presque constitutif de l’identité romaine ; dès lors, on comprend que Campistron ait ressenti le besoin de substituer l’un à l’autre, et ceci d’autant plus facilement qu’il a pu être influencé par l’épisode du viol de Lucrèce à la fin duquel l’héroïne se suicide. Enfin, du point de vu de la dramaturgie, Campistron a choisi de respecter le déroulement chronologique du récit de Tite-Live en ne faisant intervenir le père de Virginie qu’à la fin. Or, la dramaturgie classique déconseille de mettre sur la scène des personnages uniquement présents au dernier acte ; c’est la raison pour laquelle Virginius n’intervient qu’au cours d’un récit rapporté par Camille. Dès lors, on comprend aisément que Campistron ait rechigné à faire tuer son héroïne par un personnage absent de la scène et qui n’apparaîtrait dans sa pièce que pour commettre un acte horrible alors même que ce personnage est présenté comme un héros ayant accompli d’« éclattans exploits » (v. 231) et « répandu tant de fois » « son sang pour le pays » (v. 232) : l’aspect pathétique du père contraint de tuer sa fille, pourtant sujet absolu de tragédie, serait affaibli par le fait que le lien unissant Virginie à son père n’est jamais développé dans la pièce du fait de l’absence de Virginius. Le spectateur est au contraire bien plus ému de voir Virginie contrainte de réclamer la mort à son père qui, trop faible pour la lui donner, l’oblige à se la donner elle-même. Dans son récit, Campistron conservait donc l’idée de l’infanticide, mais il le remplaçait au dernier moment par un suicide lorsque Virginie, devant l’hésitation de son père à la tuer, voit « en tremblant » « venir ce secours, /Qui hazarde sa gloire en conservant ses jours » (v. 1519-1520) et « se haste alors de terminer sa vie » (v. 1521).
Si la critique ne semble pas s’être émue outre mesure de cette modification – il faudra attendre La Harpe pour que Campistron se voie reprocher d’avoir « falsifié jusqu’au dénouement50 » – les frères Parfaict devaient cependant trouver cette catastrophe « ni régulière, ni assez préparée51 » alors même qu’ils jugeaient par ailleurs que la pièce était « passablement conduite52 ». Et le manuscrit conservé de Virginie montre que Campistron a effectivement rencontré des difficultés avec son dernier acte qu’il a dû récrire deux fois53. Il semble que ces réticences vis-à-vis de la fin de cette tragédie portent sur l’effet de « faux coup de théâtre » mis en œuvre ; en effet, ce cinquième acte comporte un véritable coup de théâtre, qui ne porte pas sur l’« action principale », mais qui fait passer le suicide de Virginie pour un coup de théâtre lui-même alors que la jeune fille affirmait depuis le premier acte vouloir finir « la course » « de [s] es jours malheureux » (v. 269), qu’elle déclarait à l’acte III qu’« il [était] temps de finir [s] es déplorables jours » (v. 984), à l’acte IV qu’elle était résolue « de mourir » (v. 1212) et enfin au début de l’acte V qu’il fallait « mourir […] et que cette journée, /Termine [s] es malheurs avec [s] a destinée » (v. 1337-1338). Mais, en faisant mourir Appius avant Virginie, contrairement au récit de Tite-Live, Campistron pouvait laisser croire à la survie de son héroïne puisque la cause de ses malheurs venait de disparaître ; aussi sa mort est-elle effectivement une surprise due au fait que la jeune fille se suicide avant d’avoir pu apprendre la mort de son persécuteur. Ceci a évidement pour but de renforcer l’effet pathétique de sa mort. Pour autant, le sujet de la tragédie est bien un « sujet simple », c’est-à-dire que l’on passe de droit fil du bonheur au malheur, et non un « sujet complexe », c’est-à-dire où le dénouement repose sur un coup de théâtre qui inverse l’effet des actions, puisque le coup de théâtre de l’évasion d’Icile et de la mort d’Appius a un caractère épisodique et n’inverse pas l’effet de l’« action principale » qui devait conduire à la mort de Virginie. Mais il semble que les frères Parfaict n’aient pas compris la construction de cette catastrophe puisqu’ils voyaient un coup de théâtre portant sur Virginius, « arrivé tout-à-propos de campagne pour sauver l’honneur de Virginie54 », alors qu’en réalité il ne s’agit que d’un artifice destiné à se conformer à l’histoire sans que cela n’affecte en rien la structure dramatique de la fin de cette tragédie.
En somme, si l’on tient compte du fait qu’il s’agit de la première tragédie d’un jeune homme de vingt-cinq ans, il faut convenir que cet essai ne pouvait que laisser présager favorablement de la carrière de Campistron. En effet, il faut mettre à son crédit le fait d’avoir su dérouler avec aisance une action simple, et, tout en étant redevable à Le Clerc, d’avoir réussi à écrire une pièce originale n’ayant rien à envier à celles de ces prédécesseurs. Campistron s’est montré parfaitement à l’aise avec la technique de la tragédie, respectant avec facilité les unités de temps, de lieu et d’action sans que cela ne semble jamais artificiel. Les historiens du théâtre du siècle suivant ont cependant généralement considéré Virginie comme une pièce de débutant sans originalité, « passablement conduite » selon les frères Parfaict, mais où l’on « trouve des situations et quelques endroits qui ont pu faire présumer favorablement du nouvel Auteur55 ». Le reproche le plus fréquemment adressé à Campistron est cependant le choix même de son sujet, un « viol », qui n’était plus toléré sur les théâtres selon ces critiques. Les frères Parfaict affirment ainsi que
la considération que l’on doit à M. de Campistron, et la réputation qu’il s’est acquise avec justice, par ses autres Ouvrages, demandent qu’on passe légèrement sur celui-ci. Un Poëte qui commence, mérite toujours de l’indulgence. On peut, il est vrai, lui reprocher d’avoir fait un choix, qui ne convenait qu’à Messieurs Du Teil et le Clerc, et dans le temps qu’ils l’ont traité, c’est-à-dire, lorsque le viol n’était pas encore banni de la scène. L’exemple du Tarquin de M. Pradon, est une nouvelle preuve que les événements les plus considérables, et ceux qui servent le plus à faire briller l’éloquence d’un Historien, ne sont pas toujours propres au théâtre. Le sujet dont nous parlons est précisément dans ce cas : il fait une époque très remarquable dans l’Histoire Romaine, sans cependant avoir cette noblesse nécessaire au genre Tragique56.
Reprenant la même critique, La Porte déclarait qu’« Il étoit jeune alors ; dix ans plus tard, il eût peut-être renoncé à cette idée de viol, qui présente toujours je ne sçais quoi d’avilissant ; ou, en traitant ce sujet, il en eût sauvé l’ignominie, en donnant plus de noblesse à tous ses personnages57 ». Un autre témoignage intéressant sur la perception de Virginie au XVIIIe siècle est le commentaire qu’en fait La Harpe dans la préface de la tragédie qu’il écrivit sur le même sujet. Il affirme ainsi que « quand [sa] tragédie fut représentée, on ne connoissoit d’autre Virginie que celle de Campistron58 », renvoyant ainsi les pièces de Le Clerc et de Du Teil dans « l’enfance du théâtre59 » selon ses propres mots. La Harpe reprochait à Campistron d’avoir « falsifié jusqu’au dénouement » avec le suicide de Virginie, de n’avoir « pas même cru devoir mettre Virginius au nombre de ses personnages60 » et enfin qu’il n’y ait « de romain que les noms61 ». Il omet cependant de préciser lorsqu’il affirme que la pièce de Campistron « n’a[vait] rien de commun avec la [s] ienne62 », qu’il lui avait repris le personnage de Plautie alors que ce personnage était une pure invention du dramaturge toulousain, preuve que la Virginie de Campistron était l’une des sources légitimes de La Harpe dans la rédaction de sa propre pièce.
Dramaturgie, les caractères §
Après l’« action », la partie la plus importante d’un poème dramatique est constituée par les « caractères », c’est-à-dire les personnages considérés du point de vue de la construction de la pièce. Les poétiques attribuent généralement quatre propriétés aux caractères : la ressemblance, la convenance, la constance et la qualité. En affirmant qu’un caractère doit être ressemblant, on entend qu’il faut « n’introduire jamais un Héros ou une Héroïne avec d’autres inclinations que celles que les Histoires ont jadis remarquées en eux63 », autrement dit que les personnages doivent ressembler à leurs modèles historiques ; par convenance ou « bienséance » on entend qu’un caractère doit correspondre à une typologie rhétorique précise en accord de laquelle un personnage doit agir et parler, c’est-à-dire qu’« il faut encore observer ce que chaque condition, chaque fortune, et chaque âge inspirent ordinairement à chaque espéce de personnes64 », cette typologie est à « puiser dans leur six premiéres sources ; dans l’Age, dans les Passions, dans la Fortune présente, dans la Condition de vie, dans la Nation, et dans le Sexe65 » ; en affirmant qu’un caractère doit être constant, on veut dire qu’il ne doit pas changer au cours de la pièce, c’est-à-dire « ne pas faire qu’un Héros soit modeste en une rencontre, et insolent en une autre66 » par exemple ; enfin la dernière propriété d’un caractère, la qualité, reste mal définie : Corneille en propose l’interprétation suivante, il estime que « c’est le caractère brillant et élevé d’une habitude vertueuse, ou criminelle, selon qu’elle est propre et convenable à la personne qu’on introduit67 ».
Concernant l’élaboration de ses personnages, Campistron avait à sa disposition avec le récit de Tite-Live des caractères très facile à accorder avec les bienséances requises pour le public du XVIIe siècle. Ainsi, l’historien romain décrivait en ces termes la famille de Virginie :
Le pere de cette fille s’appelloit L. Virginius, et tenoit un rang honnorable dans l’armée d’Algide. C’estoit au reste un homme juste, et de bon exemple dans la paix et dans la guerre. Sa femme avoit les mesmes qualitez, et leurs enfans avoient esté fort bien eslevez. Ils avoient promis leur fille à L. Icilius, qui avoit été Tribun, homme violent, et qui avoit desja monstré son zele pour la cause et pour le party du Peuple68.
Au prix de quelques précisions et de quelques accommodements, le dramaturge disposait de personnages types pour une tragédie française : des parents honorables, une jeune fille « bien élevée » et un jeune homme impétueux, tous étant pétris des valeurs romaines traditionnelles. Virginie, qui n’était qu’une plébéienne à l’origine, devait bien évidement être anoblie pour correspondre aux critères de la tragédie française ; et d’une fillette enlevée sur le chemin de l’école, Campistron a fait d’elle une jeune fille accomplie, ravie au cours de sa cérémonie de mariage, et possédant suffisamment de caractère pour tenir tête avec fierté au tyran qui l’opprime. Le dramaturge a ainsi doté Virginie des caractéristiques traditionnelles que la tragédie française attribue aux Romains : la fermeté de caractère, le respect des ancêtres et le patriotisme ; de cette façon, la jeune fille préfère la mort au déshonneur de l’esclavage, elle affirme être « Attentive aux leçons qu’ont tracé [s] es ayeux » et que « Leur exemple sans cesse est present à [s] es yeux » (v. 268), enfin, elle « brûle […] de voir Rome sauvée » (v. 929) et déclare que « L'interest du païs doit icy prevaloir » (v. 923), que « Tout cede dans [s] on cœur à ce premier devoir » (v. 924). Pour ce qui est d’Icile, le dramaturge a parfaitement su lui conserver son caractère violent et emporté en le présentant d’emblé comme « un amant en furie/Prest à tout hazarder » (v. 137-138) ; Campistron a même eu l’habileté d’utiliser ces attributs d’Icile du point de vue dramaturgique en s’en servant pour justifier sa présence dans le palais par un piège qu’Appius lui tend lorsqu’il lui permet de voir Virginie « Afin de le porter à plus de violence » (v. 146) de manière à fournir au tyran un prétexte pour l’arrêter. Le dramaturge s’est également souvenu de son « zele pour la cause et pour le party du Peuple » en faisant de la longue tirade d’Icile appelant à la révolte et au rétablissement de la République, à l’acte III scène 5, le centre de sa tragédie au cours duquel le conflit privé entre Clodius et les défenseurs de Virginie se change en conflit public entre le tyran et les partisans de la république. Il faut noter ici que Campistron a simplifié la situation politique qui chez Tite-Live présentait trois partis : les décemvirs, les sénateurs et le parti des tribuns auquel se rattache Icile, c’est-à-dire le « party du Peuple », ces trois factions se méfiant également les unes des autres ; la pièce n’opposera plus que les partisans de la République à ceux de la tyrannie.
Il ne restait plus à Campistron qu’à faire d’Icile et de Virginie un couple d’amants parfaits, à même de satisfaire le goût galant du public de la tragédie française. Dès lors, là où les protagonistes du récit de Tite-Live défendaient avant tout leurs droits, ceux de la tragédie défendent la pureté de leur amour, faisant passer l’intérêt de l’être aimé avant leur propre bonheur, voire avant leur vie. Ainsi, réduite à l’esclavage, Virginie n’hésitera pas à décliner la proposition de mariage d’Icile afin d’éviter une mésalliance à son amant et afin qu’en « refusant un bien qu[’elle a] tant souhaité » (v. 479) elle fasse « connoistre au moins qu[’elle l’a] merité » (v. 480). Quant à Icile, il trouve dans le sort de Virginie une source de satisfaction paradoxale, car la main de la jeune fille lui « donnoit tout » (v. 359) et que l’on aurait « pû presumer, /Que [s] on ambition [l] e portoit à l’aimer » (v. 359-360), alors que désormais, « [s] on ambition n’ayant rien qui la flate » (v. 362), « [s] on amour seul éclate » (v. 363). Icile ira même jusqu’à affirmer qu’il aurait pu sacrifier son amour en faveur d’Appius si ce dernier avait été digne de Virginie, « trop heureux de [l’] avoir servie » (v. 1198) en remettant à son amante « La supreme puissance, et le sort des Romains » (v. 1200). Enfin, les deux amants consentiront à périr plutôt que de sacrifier la pureté de leur amour à Appius, préférant mourir « genereux et fidelles » (v. 1225) en « emport[ant] au tombeau [leurs] ardeurs mutuelles » (v. 1226). En somme, Campistron superposait l’image du couple type de la tragédie galante et celle des héros types de la tragédie romaine. Ce fait trouve une traduction immédiate dans le discours des amants à travers le thème de l’amour et celui de la gloire qui sont systématiquement associés dans les paroles des deux héros. De cette façon, Icile forme le dessein de « Servir la Republique en servant [s] on amour » (v. 916), et il veux remplir « Les devoirs de [s] a gloire, et ceux de [s] on amour » (v. 868). Virginie, elle, exhorte Icile à joindre « tous les devoirs de Heros et d’Amant » (v. 931) car « Leur union [lui] offre une double victoire / Du costé de l’amour, du costé de la gloire » (v. 933-934) ; elle estime que si Icile est vainqueur de la tyrannie, les Romains « Dresseront des Autels […] à [sa] gloire » (v. 938) tandis qu’elle « pren[dra] sur [elle] le soin de couronner l’amour » (v. 940), et que si elle devait mourir, son amant « pourr[a] opposer après [sa] victoire, / Aux chagrins de l’amour, les plaisirs de la gloire » (v. 437-438). Il est frappant de constater que ces deux thèmes ne sont jamais vus comme un dilemme qu’il faudrait résoudre : ils marchent de pair. Ce mélange entre thématique galante et esprit romain trouve parfois une expression originale comme cette tirade d’Icile dans laquelle le jeune homme explique à Sévère son refus d’abandonner Virginie en dépit de sa condition :
Parce qu’on la trahit, dois-je l’abandonner ?Et ne luy faisant voir qu’une amitié commune,Regler ma passion au gré de la fortune :S'il est des cœurs mal faits, et d’indignes amans,Qui suivent dans leurs vœux ces lâches sentimens,Pour moy n’en doute point, quand j’aime Virginie,C'est à d’autres objets que mon cœur sacrifie,Les grandeurs que le sort peut ravir en un jour,N'ont jamais attiré mes vœux ny mon amour,La fermeté d’esprit, la grandeur de courage,La pureté de cœur, voilà ce qui m’engage ;Ce qui dépend du sort est pour moy sans appas,Et j’aime les vertus qui n’en dépendent pas. (II, 1, v. 367-380)
Icile ne fait pas ici l’apologie de l’amour contre le devoir, l’intérêt ou l’ambition, comme aurait pu le faire un parfait héros galant, mais en convoquant l’une des vertus cardinales attribuées aux Romains : la constance face au sort et aux changements de la fortune. En somme, la constance amoureuse devient constance stoïque, et le héros galant un héros romain. Icile et Virginie devait cependant être jugé sévèrement par les critiques s’étant intéressés à cette pièce. Ainsi, les frères Parfaict trouvent que Virginie « n’interresse que faiblement » et qu’Icile « pleure, gémit, se donne beaucoup de mouvements, sans rien opérer » ; pour La Porte, ce dernier aurait « cédé à sa Maïtresse » « en grandeur d’ame » et « en delicatesse de sentimens » ; il trouve par ailleurs que « les scènes où ils se trouvent ensemble » n’avaient pas « l’effet qu’on devoit attendre naturellement, et de deux Amans, et de deux Romains ». Campistron ne serait donc pas parvenu à réaliser cette synthèse entre l’esprit galant et l’esprit romain de ses deux héros, et ceux-ci, somme toute, manqueraient d’originalité. Mais il serait difficile de le reprocher à Campistron : ce qui aurait été véritablement étonnant, c’est qu’il soit parvenu à rénover l’image du couple d’amants dans la tragédie dès sa première pièce.
Plautie, la mère de Virginie, constitue en revanche sans doute le personnage le plus original de cette pièce ; parce qu’il s’agit d’un rôle imaginé par le dramaturge lui-même bien sûr, en dépit de ce qu’il affirme69, mais surtout parce que l’amour de Plautie pour sa fille émeut bien plus que les répliques un peu convenues des deux amants et forme ainsi le principal motif pathétique de la tragédie. Est-ce chez Du Teil, son devancier qui avait déjà mis en scène la mère de Virginie sous le nom de Sofronisse, que Campistron a trouvé l’idée de sa Plautie ? Rien ne l’indique. Et quand bien même l’idée proviendrait bien de l’Injustice punie, c’est dans le récit de Tite-Live qu’il faut chercher la matière de ce personnage ; en effet, si la mère de Virginie n’y apparaît pas, Campistron a pu être sensible à ce qui constituait dans sa source un simple motif d’arrière plan : celui du cortège des femmes éplorées entourant Virginie lors de son procès. Ainsi, l’historien affirmait que « les femmes dont ils [Icile et Virginius] estoient accompagnez touchoient bien plus l’Assemblée par leurs seules larmes, que n’eussent fait les plus fortes plaintes70. » Or c’est bien ce même thème du pouvoir des larmes que décline Plautie tout au long de la pièce, que ce soit pour rassurer sa fille, lorsqu’elle lui affirme : « pour te sauver il suffira de moy, /Que ne pourray-je point en agissant pour toy, /Nous attendons beaucoup du secours de leurs armes, /Mais n’espere pas moins de celuy de mes larmes » (v. 287-290) ; ou encore lorsqu’elle demande à Appius : « Faudra-t’il qu’à mes pleurs on puisse reprocher, /Qu'ils n’ont pas eu la force, helas ! de vous toucher, /Dans le temps qu’à vos yeux je suis presque mourante, /Mon extréme douleur sera-t’elle impuissante » (v. 703-706). De même, après la mort de Virginie, Tite-Live racontait que :
Les femmes qui suivoient le corps crioient hautement ; Est-ce à cette condition qu’on doit mettre des enfans au monde ? Est-ce là le prix et la récompense de la chasteté ? Enfin elles disoient toutes les autres choses que le ressentiment et la douleur peuvent en pareille occasion suggerer aux femmes, qui estant moins fortes contre les afflictions et les tristesses, en sont néanmoins plus capables d’exciter par leurs plaintes de la commiseration et de la pitié71.
Là encore, Campistron s’est probablement servi de ce passage en le transposant avant la mort de Virginie et en faisant de Plautie la meneuse d’un véritable chœur des lamentations de femmes dans un récit rapporté par Clodius :
Craignez sa fatale douleur [à Plautie].On la voit en tous lieux de Romaines suivie,A tous nos Citoyens demander Virginie ;Ces femmes à l’envy par de tristes accords,Expriment leurs regrets en des termes si forts,Qu'il semble que chacune ayant perdu sa fille,Déplore les malheurs de sa propre famille ;Les unes par des pleurs exhalent leur courroux,D'autres pour animer le peuple contre vous,Poussent jusques au Ciel mille cris pitoyables,Plusieurs pour éviter des disgraces semblables :Embrassent leurs enfans, et courent les cacher,Craignant que de leurs bras on les vienne arracher (IV, 7, v. 1276-1288)
De cette façon, le dramaturge a transformé un motif pathétique situé à l’arrière plan du récit de Tite-Live en un véritable personnage bien plus riche que la fade Sofronisse de l’Injustice punie de Du Teil.
Il convient cependant de s’interroger sur la motivation de la création de ce nouveau personnage. Par rapport à ce que rapporte Tite-Live, il est facile de voir que Plautie remplace les personnages de Numitor et de Virginius, l’oncle et le père de Virginie, qui apparaissent successivement au côté d’Icile pour défendre la jeune fille ; contrairement à ces deux prédécesseurs, Du Teil et Le Clerc, Campistron fait disparaître ces deux personnages de la liste des acteurs : Virginius, conformément au récit de Tite-Live, n’intervient qu’au dénouement et le dramaturge n’a pas jugé pertinent de le faire paraître en scène, quant à Numitor, son nom est simplement évoqué sans autre précision au détour d’un vers72. Campistron a dû estimer qu’il était nécessaire de créer un second rôle féminin important à côté de celui de Virginie, et que la mère de la jeune fille serait sans doute plus apte à émouvoir le spectateur que son oncle. Ainsi, Plautie constitue la synthèse entre le rôle de défenseur juridique de Virginie et le motif des femmes éplorées entourant la jeune fille. La création de ce nouveau rôle pose cependant un problème de vraisemblance. En effet, historiquement, la mère de Virginie, Numitoria, était morte à l’époque de l’enlèvement de la jeune fille ; c’est la raison pour laquelle Clodius avait estimé pouvoir soutenir devant Virginius que son épouse avait achetée la fille d’une esclave pour remplacer sa propre fille morte à sa naissance. Mais cette accusation perdait tout son poids dès lors qu’il s’agissait de la soutenir face à la mère et non plus au père. Campistron a donc dû modifier l’accusation de Clodius en remplaçant la transaction effectuée avec une esclave par une substitution d’enfant faite à l’insu de la mère par un esclave ayant cherché à faire entrer sa fille dans une famille noble. Mais même ainsi modifiée, l’accusation restait bancale, et afin de dissimuler cette faiblesse dont il devait bien être conscient, le dramaturge a choisi de faire adopter par Plautie au moment où Appius lui rapporte cette histoire, une défense reposant exclusivement sur un argument de type pathétique plutôt que de faire appel à un argument de type logique qui aurait démontré l’absurdité des prétentions de Clodius. Ainsi, la mère de Virginie déclarera d’abord qu’elle « demeure stupide, et ne sçai[t] que répondre » (v. 218) avant d’en appeler à son instinct maternel pour dénier l’accusation : « Non, non, elle est ma fille, et j’en crois mon amour, /Mon cœur fremit, mon sang s’émeut de cette injure/Je sens trop fortement s’expliquer la nature, /Et je cede à la voix de ces instincts secrets/Qui parlant à nos cœurs ne les trompent jamais » (v. 220-224). Et de fait, en raison de la nature profondément pathétique de ce rôle, c’est à Plautie que reviennent certainement les plus belles répliques de la pièce comme cette plainte d’une mère cherchant sa fille enlevée : « En vain depuis deux jours errante dans ces lieux/Les pleurs que j’ay versez ont épuisé mes yeux, /En vain de tous costez mes cris se font entendre, /De son destin encor je n’ay pû rien aprendre » (v. 187-190) ; ou encore, lorsqu’elle désespère de revoir sa fille, sa séparation avec son enfant donne à sa complainte une tonalité presque élégiaque dont on ne retrouvera l’équivalent chez aucun autre personnage73. Cependant, si beau soit-il, ce rôle n’est pas absolument indispensable à la structure de la pièce : les frères Parfaict iront jusqu’à affirmer que Plautie « est absolument inutile74 ». Quant à La Porte, il regrette qu’elle ne remplisse pas « l’idée que semble annoncer d’abord son caractère ; c’est-à-dire, toute la tendresse d’une mère, et toute la fermeté d’une romaine75 ».
Appius constitue sans doute le caractère le plus intéressant de la pièce du fait qu’il s’agit d’un tyran, mais d’un tyran trop faible pour assumer pleinement sa propre tyrannie. De cette façon, Campistron s’éloignait des modèles de tyrans que Corneille avait portés à la scène qui, conformément à l’interprétation cornélienne de la notion de « qualité », suscitaient une forme d’admiration paradoxale pour leurs crimes, telle Cléopâtre dans Rodogune dont « tous [l] es crimes sont accompagné d’une grandeur d’âme, qui a quelque chose de si haut, qu’en même temps qu’on déteste ses actions, on admire la source dont elles partent76 ». Ainsi, contrairement aux tyrans cornéliens, Appius est construit suivant un ethos entièrement négatif. De cette façon, il est présenté dès le début de la tragédie comme une personnalité hésitante et il semble dépassé par ce qu’il vient de commettre : il craint tout autant de rencontrer sa captive (v. 10) que l’issue de son entreprise (v. 11) ; il est présenté comme un lâche à qui « Mille perils divers s’offrent à [s] a pensée » (v. 30) et qui « tremble sur tout qu’un odieux Rival / Au repos de [s] es jours ne soit encor fatal » (v. 31-32). Enfin, il se montre également rusé et hypocrite lorsqu’il veut se servir du caractère emporté d’Icile pour le pousser à la violence et le faire arrêter (v. 145-152) ou lorsque, voulant faire « admirer ce qui feroit horreur » (v. 120), il prend pour maxime de conduite que « Si la vertu souvent passe pour imposture / Le crime imite aussi la vertu la plus pure » (v. 121-122), et qu’ainsi, il dissimulera « Sous ces dehors flateurs » (v. 129) le fait que c’est lui qui est responsable de la situation déshonorante de Virginie, laissant tout l’opprobre rejaillir sur Clodius tandis qu’il présentera à la jeune fille « [s] a main et [s] a foy » (v. 128) pour la secourir afin que l’on impute « par ce subtil détour, / A la seule pitié les effets de l’amour » (v. 131-132). En ceci, Campistron se conformait parfaitement à la typologie du tyran telle que la définissait La Mesnardière qui déclarait de ce type de personnage que « s’il est prudent, qu’il soit trompeur77 ». Mais ce qui fait aussi l’intérêt du personnage d’Appius, c’est qu’au début de la pièce il est conscient d’avoir commis une faute en oubliant les « loix de [s] on devoir » (v. 20) et qu’il se montre par ailleurs sensible à la situation dans laquelle il a plongé Virginie : il ne veut pas « expos[er] […] sa honte aux yeux de l’Univers » (v. 87) et cherche à « Differ[er] un éclat mortel à [l’] honneur » de la jeune fille (v. 83).
Ce qui fait basculer Appius de la médiocrité vers le crime, c’est la faiblesse constitutive de son ethos qui le fait se soumettre au pathos, c’est-à-dire à ses passions. En ceci, Campistron reprenait, conformément au principe de la « ressemblance », certains traits du tyran décrit par Tite-Live, qui semblait perdre son discernement et accentuer ses injustices à mesure que le récit progressait jusqu’au dénouement où l’historien affirmait qu’« Appius estoit plustost forcené qu’amoureux, et qu’une furie avoit plustost troublé son ame qu’une passion d’amour78 » ou encore qu’il était « comme aliené de son esprit par la furie de son amour79 ». Dans la tragédie de Campistron, ce n’est qu’à partir du moment où Virginie refusera sa main qu’Appius commencera à « marche[r] de crime en crime » (v. 1302) : ainsi, à l’acte II scène 5, il veut « Forc[er Virginie] d’accepter l’honneur qu’elle refuse » (v. 646), puis il fait arreter Icile (III, 7) et l’utilise comme moyen de chantage auprès de son amante (IV, 2), face au nouveau refus de cette dernière, Appius le condamne à mort (IV, 5), il fait ensuite arrêter Plautie (V, 1) et livre finalement Virginie à Clodius (V, 2). Enfin, son « aveugle furie » (v. 1437) lui fera affecter « ses meilleurs soldats » (v. 1438) à la garde de la jeune fille, le laissant à la merci d’Icile qui mettra un terme à sa vie.
Ainsi, le caractère d’Appius fournissait à Campistron une matière suffisante pour maintenir une tension tragique constante en le faisant passer progressivement du statut de magistrat fourbe et hypocrite à celui d’oppresseur tyrannique à mesure que son pathos prenait le dessus sur son ethos : par ce moyen, le dramaturge déjouait la difficulté de construire une « action simple » à laquelle aurait pu se heurter un jeune débutant comme lui. Les critiques du XVIIIe siècle se montreront cependant très hostiles à ce personnage jugé trop « odieux » par La Porte aussi bien que par les frères Parfaict ; La Porte regrettant en outre que son caractère ne soit pas assez « soutenu80 », et les frères Parfaict s’indignant qu’« il joue également la Religion et la probité, et s’autorise des loix les plus sacrées pour couvrir ses injustices81 ».
Enfin, Clodius tient le rôle de conseiller d’Appius, conformément au récit de Tite-Live qui le décrit comme le « ministre de la lubricité du Decemvir82 ». Il s’agit d’un personnage crucial pour la construction de l’action ; en effet, de même que dans l’histoire romaine, c’est lui qui enlève Virginie et la réclame comme son esclave selon la volonté d’Appius, mais contrairement à l’histoire, les héros de la tragédie de Campistron ignorent au début de la pièce qu’Appius aime la jeune fille et que son infortune vient de lui : c’est cette légère modification qui rend possible toute l’action au cours de laquelle Plautie et Virginie viennent successivement implorer l’appui du décemvir en pensant qu’il est le seul qui puisse les aider. Campistron a également inventé de toute pièce une aversion particulièrement aiguë entre Clodius et Icile qu’il « hay plus luy seul que tous [s] es ennemis » (v. 40) : cette haine rapproche Clodius de son maître puisque tous deux sont jaloux du même homme ; Appius parce qu’il est son rival amoureux, Clodius parce qu’il a « par sa brigue assur[é] [s] a disgrace » (v. 41) de manière à « commander en [s] a place » (v. 42) et qu’il a « obten[u] tout l’eclat » « des honneurs qu’on [lui] doit » (v. 44). Enfin, face à la faiblesse de caractère du tyran, c’est à Clodius qu’échoit un rôle crucial pour l’intrigue de la pièce : faire pencher Appius du côté du crime chaque fois que celui-ci hésite. Ainsi, dès le début de la pièce, c’est lui qui incite le décemvir « à faire entendre / Une fausse équité » « qui mettra le crime à l’ombre de [leurs] loix » (v. 74-76), lorsque Appius exprimera des remords, il le mettra en garde contre ceux-ci estimant qu’ils pourraient « renverse[r] à la fin tout le fruit de [s] a feinte » (v. 114), c’est encore lui qui incitera son maître à forcer la main de Virginie en l’assurant que de cette manière il « Establir[a] son bon-heur en dépit d’elle-mesme » en « l’arrachant par force à cette erreur qu’elle aime [c’est-à-dire Icile] » (v. 633-634), et c’est enfin lui qui exhortera le tyran à faire périr Icile lorsque ce dernier sera arrêté (v. 1021-1025). Il s’agit de loin du personnage le plus antipathique de la pièce et l’on comprend que les frères Parfaict l’aient considéré comme un « bas scélérat », même si encore une fois, il semble que, aveuglés par l’entorse faite selon eux aux règles de la bienséance, ils aient négligé l’importance dramaturgique de Clodius qui en fait un personnage bien plus important qu’un simple confident.
Influences tragiques, entre synthèse et renouvellement §
Les différents critiques qui se sont intéressés à la Virginie de Campistron ont presque tous insisté sur l’influence de Corneille ou de Racine sur cette œuvre, estimant sans doute, non sans raison, qu’un jeune dramaturge ne pouvait échapper à l’image de ces deux dramaturges qui étaient alors en train d’être érigés en modèles indépassables : depuis leurs retraits successifs du théâtre en 1674 et en 1677, la comparaison entre leurs deux œuvres était devenue possible et les Parallèles n’ont pas tardé à fleurir, que ce soit celui de Longepierre en 1686 ou la reprise du même exercice dans les Caractères de La Bruyère en 1688 ; dès lors, la tragédie française ne semble plus se définir que dans la confrontation binaire entre ces deux modèles opposés et indépassables. Cependant en 1681, lorsque Campistron entreprend l’écriture de sa Virginie, si Corneille et Racine sont indiscutablement admirés, ils ne sont pas encore statufiés et la tragédie française continue à compter d’autres courants comme la veine tendre et galante qu’illustrent toujours Quinault à l’opéra ou Pradon dans la tragédie ; de plus, le jeune dramaturge avait à sa disposition un autre modèle qu’il devait bien connaître, celui du théâtre scolaire qui avait si bien fleuri à Toulouse où la concurrence parfois houleuse entre les différents collèges83 avait favorisé ce type de création théâtrale, notamment dans les deux principaux établissements, celui de l’Esquille et celui des Jésuites où Campistron avait probablement étudié. L’auteur de Virginie avait donc à sa disposition des modèles ne se limitant pas aux seuls Racine et Corneille, et de fait, si leur influence peut se ressentir sur certaines thématiques ou certains topos rhétoriques utilisés dans cette pièce, il semble en revanche plus difficile de trouver chez eux la conception du tragique telle que l’envisageait Campistron.
En effet, dans une pièce comme Virginie, le tragique naît de la persécution d’une victime parfaitement innocente84. En cela, Campistron s’éloignait du tragique aristotélicien qui voulait un héros ambigu, qui tienne « le milieu [entre l’honnête et le méchant homme], et qui n’étant ny vicieux, ny juste dans un souverain degré, ne s’attire pas non plus ses malheurs par ses méchancetez et par ses crimes » mais « par quelque faute involontaire85 ». Or, ses deux illustres devanciers s’étaient chacun à leur manière réclamés d’Aristote : Corneille, ne pouvant renoncer à mettre en scène des héros parfaits, avait résolu l’alternative en présentant des héros innocents sur le plan humain, mais coupables ou semblant tels sur le plan politique86, comme Cinna ou Suréna ; Racine, lui, avait renoué pleinement avec Aristote en présentant une Phèdre « ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente87 ». Aussi, en développant cette conception anti-aristotélicienne du tragique, Campistron renouait avec une tradition de la tragédie française antérieure à Corneille, qu’avaient illustrés les humanistes ou encore les auteurs de la génération des Tristan et des Mairet et qui perdurait dans la tradition du théâtre latin jésuite qui, étant beaucoup moins sujette aux changements de mode que les spectacles parisiens, reposait toujours sur ce pathétique de la violence tyrannique exercée contre une victime innocente. Le tragique tel que le concevaient les jésuites a été exposé dans un certain nombre de traités, souvent rédigés par des pères romains, qui permettent de mesurer le rapprochement que l’on peut établir entre leur théâtre et une pièce comme Virginie. Ainsi, André Stegmann affirme que dans son De Arte poetica88, le père Donati
rejette la fameuse définition du Personnage « entre le vice et la vertu » : il n’y a point de milieu entre eux, point de communauté possible dans un cœur vraiment généreux. Ainsi le pathétique se déplace de la pitié vers l’admiration. Le héros ne peut non plus témoigner médiocrement de son mérite. […] Toutefois les héros généreux ne sont pas les seuls à pouvoir occuper la scène. Les monstres sont du domaine tragique89.
De même, Tarquinio Galluzzi90 donne une vision très proche du tragique comme l’analyse Anne de Clauzade de Mazieux qui affirme que son ouvrage :
propose une interprétation plus large de la Poétique aristotélicienne […]. Il s’agit d’insister moins sur le pouvoir cathartique des passions que d’enseigner les vertus de la souffrance dans la perspective du salut, et de susciter admiration et enthousiasme. La catharsis s’applique alors aux spectateurs du drame et le but recherché est de rendre le tyran haïssable et le héros admirable91.
Ainsi, tout comme dans le théâtre jésuite, les personnages de Campistron sont soit des héros entièrement vertueux, tels que sont Virginie et Icile, soit des « monstres » comme Appius et Clodius. Cette conception anti-aristotélicienne du héros tragique était également celle de Corneille, et il est tentant d’y voir une influence du grand dramaturge sur son jeune émule, mais ce serait ignorer d’une part que ce point de rencontre est sans doute dû à une influence des jésuites sur les deux auteurs et d’une autre part que les conséquences tragiques qui en résultent sont très différentes chez les deux auteurs. En effet, Corneille, qui s’éloigne en cela du théâtre jésuite, veut que les « monstres » comme les héros soient « admirables », c’est-à-dire qu’ils possèdent tous une certaine grandeur, grandeur dans la vertu pour les héros, grandeur dans le crime pour les monstres : il s’agit de son interprétation de la notion aristotélicienne de la « qualité » d’un caractère. Chez Campistron en revanche, les « monstres » sont méprisables alors que les héros sont essentiellement « pitoyables », c’est-à-dire qu’ils sont dignes de pitié. Ainsi, les interprétations que les deux auteurs donnent du thème de la persécution tyrannique d’un innocent sont très différentes : alors que Corneille met en scène la réponse héroïque d’un personnage vertueux face à une situation de persécution, ce qui suscite l’admiration, Campistron, lui, montre le sort indigne d’une victime innocente face à un persécuteur méprisable, ce qui suscite la pitié. De cette façon, le héros cornélien ne se place jamais en victime tandis que les héros de Campistron acceptent ce statut ; Virginie est ainsi présentée après sa mort comme une « victime offerte » (v. 1529), elle se présente elle-même presque comme une martyre voire une victime sacrificielle et ce, dans les points d’attentions particuliers que constituent les derniers vers d’un acte : elle déclare ainsi à la fin du premier acte, « N'importe en ce moment, quoy que le Ciel ordonne, / A ses ordres sacrez mon ame s’abandonne, / Je respecte les traits qui partent de sa main, / Et je vay sans murmure attendre mon destin » (v. 325-328), et à la fin du troisième acte, « Secondez Dieux puissans ce desir legitime, / Que si pour vous fléchir il faut une victime, / Frapez me voilà preste, et par un prompt effort, / Epargnez-moy des maux plus cruels que la mort » (v. 1017-1020). Ainsi, le théâtre de Campistron est avant tout un théâtre pathétique.
En ceci, le dramaturge se pliait aux codes de la tragédie de cette époque qui, sous l’influence de la galanterie, avait tendance à favoriser l’aspect pathétique plutôt que l’aspect terrible du tragique, ce que les critiques postérieurs interprèteront comme une marque d’affadissement de la veine tragique, mais qui correspond tout à fait aux goûts du public mondain de ces années. Il suffit de se rappeler que Pradon considérait comme une fierté le fait d’avoir « dépouillé [Hippolyte] de cette fierté farouche & de cette insensibilité qui lui étoit si naturelle92 », et affirmait que « si les Anciens nous l’ont dépeint comme il a été dans Trezene, du moins il paroîtra comme il a dû être à Paris ; & n’en déplaise à toute l’Antiquité, ce jeune Héros auroit eu mauvaise grâce de venir tout hérissé des épines du Grec, dans une Cour aussi galante que la nôtre93 ». Aussi l’esthétique de Campistron, en accord avec celle de son temps, est une esthétique de la douceur et du pitoyable94, ce qu’il affirmera lui-même lorsqu’il sera parvenu au faîte de sa gloire dans la préface de Tiridate dans laquelle il affirme que « les sentimens les plus extraordinaires sont ceux qui réussissent le plus sur la Scene, pourvu qu’ils soient justes & adoucis95 » ; de même, ce n’est sans doute pas un hasard si dans son Epître au duc de Vendôme Campistron déclarait, dans un contexte encomiastique il est vrai et non tragique, qu’il voulait « que le héros soit pitoyable et doux96 ». Cependant, s’il emprunte à la tragédie galante sa tonalité, il n’en reprend pas les thématiques essentielles et ce pour une raison simple : alors que la tragédie galante est d’abord amoureuse, le pathétique n’en étant qu’une conséquence, le théâtre de Campistron est d’abord pathétique et l’amour n’est qu’un élément y concourant. Aussi Campistron multiplie-t-il les occasions d’insister sur le pathétique, à travers le sort déplorable du couple d’amants exemplaires bien sûr, et les adieux déchirants de Virginie et d’Icile forment l’un des ornements principaux de l’acte IV, mais aussi et surtout au travers de la figure de la mère éplorée incarnée par Plautie dont les plaintes sont bien plus propres à susciter les larmes du spectateur que les inquiétudes d’Icile, et enfin au travers du suicide aussi noble qu’inutile de Virginie qui se perce le sein ignorant que son oppresseur l’a déjà précédée dans la mort.
Le traitement de l’amour en lui-même dans Virginie est plus racinien que galant ; en effet, au cours des décennies précédentes, Racine avait largement contribué à redéfinir la place de l’amour au sein de la tragédie : alors que pour Corneille l’amour devait se cantonner à l’épisode d’une tragédie, l’action principale devant être constituée par « quelque grand intérêt d’Etat, ou quelque passion plus noble et plus mâle97 », et que pour les tenants de la tragédie galante, c’était l’amour qui devait constituer le cœur de l’action principale, Racine avait le premier dépassé ce clivage en proposant avec Andromaque un sujet dans lequel la passion amoureuse se combinait avec la passion de la vengeance et un intérêt d’Etat au sein de l’action principale. Ainsi, la place dévolue à l’amour dans la Virginie de Campistron est la même que chez Racine : son sujet combinait la passion amoureuse du tyran Appius et le bouleversement politique à Rome. Et si l’on étudie la répartition de la matière amoureuse dans la construction dramatique, on s’aperçoit que Campistron met en scène dans son action principale une passion destructrice, celle d’Appius, et qu’il situe dans un fil secondaire l’amour pur des deux amants Virginie et Icile, tout comme Racine mettait en scène la passion aveugle de Roxane ou celle monstrueuse de Phèdre dans les actions principales des deux pièces alors que les amours purs et innocent de Bajazet et Atalide ou d’Hyppolite et Aricie constituaient des fils secondaires98. Ainsi, cette première pièce de Campistron affirmait déjà les grandes orientations de son théâtre à venir et proposait un renouvellement de la tragédie à travers la synthèse d’influences diverses : un tragique de la persécution issu du théâtre jésuite remis à la mode grâce à l’esthétique de l’adoucissement et de la mise en avant du pathétique propre à l’esprit galant et enfin un traitement dramaturgique de l’amour emprunté à Racine.
Ce passage en revue des différents courants tragiques ayant influencé Campistron dans l’écriture de sa Virginie peut surprendre à un égard : Corneille y brille par son absence ; ceci peut sembler d’autant plus surprenant qu’un critique comme Lancaster a pu estimer que dans cette pièce Campistron avait suivi le grand dramaturge99. Et de fait, à la lecture de Virginie, la dette envers Corneille paraît évidente, mais celle-ci ne se situe pas au niveau de la dramaturgie ou de la conception du tragique, mais au niveau de la rhétorique : Campistron a effectivement employé un grand nombre de topoï « romains » qu’il est possible de retrouver chez Corneille qui était considéré depuis longtemps comme le spécialiste du genre. Dans une lettre félicitant le grand dramaturge au lendemain de Cinna, Guez de Balzac donnait la définition de ce que devait être la représentation idéale de Rome dans la tragédie française et cette définition reste valable pour Campistron et c’est encore elle qu’auront à l’esprit les historiens de la tragédie au siècle suivant. Il s’agit de faire « voir Rome tout ce qu’elle peut être à Paris », en prenant pour modèle la « Rome de Tite-Live », elle doit être « aussi pompeuse qu’elle était au temps des premiers Césars » et il faut lui redonner « cette noble et magnanime fierté » « qu’elle avait perdu dans les ruines de la République » et l’avertir « de la bienséance, quand elle ne s’en souvient pas », car il faut aussi être « le Réformateur du vieux temps, s’il a besoin d’embellissement, ou d’appui », et enfin, « aux endroits où Rome est de briques » il faut « la rebâti[r] de marbre100 ». Pour parvenir à ce but, le XVIIe siècle français créa un certain nombre de lieux communs censés représenter l’esprit romain : aussi la tragédie fabriqua-t-elle un certain type de caractère romain devant se conformer à une bienséance spécifique. Si Corneille est considéré comme le dramaturge ayant le mieux réussi à mettre en scène cette bienséance, il faut se reporter à Guez de Balzac pour prendre connaissance de la formulation précise de ces topoï afin de voir comment la Virginie de Campistron met en œuvre cet esprit romain. De cette façon, Guez de Balzac affirme qu’un Romain « est tousjours preparé aux entreprises hazardeuses : il est tousjours prest à se dévouër pour le salut de ses citoyens ; à prendre sur soy la mauvaise fortune de la republique101 » : c’est le principe d’action à l’origine de la révolte d’Icile qui affirme avoir « formé dés longs-temps [l] e genereux dessein » (v. 875) de « rompre [les fers] de Rome » (v. 866). De même, un Romain « ne connoist ni nature, ni alliance, ni affection, quand il y va de l’interest de la patrie, il n’a point d’autre interest particulier que celuy là102 » : c’est exactement la maxime de conduite de Virginie lorsqu’elle dit à son amant : « Je vous aime, et je crains, mais j’ay l’ame Romaine, / L'interest du païs doit icy prevaloir :/ Tout cede dans mon cœur à ce premier devoir, / Je ne vous aurois pas hazardé pour moy-mesme, / Mais je consens pour luy d’exposer ce que j’aime » (v. 922-926). On peut également rapprocher le topos qui veut qu’un Romain « aime mieux destruire la tyrannie que la partager ; et pouvant estre collegue de l’usurpateur, il se declare son ennemi103 » du refus de Virginie d’accepter la main d’Appius, déclarant que jamais elle ne « joindr[a] l’innocence à [ses] crimes affreux » (v. 1096). De même, lorsque Icile affirme que « s[‘il] revien[t] vainqueur, [s] a gloire est infinie » (v. 917) et que « s’il faut succomber dans un si noble effort » il ne pourra pas trouver ailleurs « une si belle mort » (v. 919-920), il ne fait que se conforter au principe qui veut qu’un Romain « estime plus un jour employé à la vertu, qu’une longue vie delicieuse ; un moment de gloire qu’un siecle de volupté104 ». On peut également compter au nombre des topos romains le mos maiorum, le respect des ancêtres, invoqué aussi bien par Virginie, qui affirme qu’elle est « Attentive aux leçons qu’ont tracé [s] es ayeux » et que « Leur exemple sans cesse est present à [s] es yeux » (v. 267-268), que par Plautie qui veut « Tâcher de ranimer cet esprit genereux/ Qu'a versé dans [le] sein [des Romains] le sang de leurs ancestres, / Sans cesse revolté contre d’injustes Maistres. » (v. 960-962). Il faut enfin considérer l’amour de la vertu et la constance stoïque comme des attributs du parfait Romain ; ces principes seront énoncés dans la pièce par Icile qui déclare que « Les grandeurs que le sort peut ravir en un jour, / N'ont jamais attiré [s] es vœux ny [s] on amour », que « La fermeté d’esprit, la grandeur de courage, / La pureté de cœur, voilà ce qui [l] 'engage », et que « Ce qui dépend du sort est pour [lui] sans appas, / Et [qu’il] aime les vertus qui n’en dépendent pas » (v. 375-380). Si Corneille est le dramaturge qui a sans doute le mieux su exprimer ces lieux communs, ces derniers ne lui sont cependant pas spécifiques : ils constituent un réservoir dans lequel tous les auteurs ont puisé dès qu’il s’agissait d’écrire une tragédie romaine. Aussi conviendrait-il de distinguer ce qui, chez Campistron, relève de l’imitation directe de Corneille, et ce qui ne constitue que la tradition partagée par tous de la tragédie romaine. Ce qui laisse penser que l’auteur de Virginie s’est largement servi de son grand devancier, c’est le fait qu’il lui a repris grand nombre de vers, notamment de Cinna et d’Horace, ses deux tragédies romaines les plus admirées : il est donc certain que Campistron connaissait très bien ces deux pièces, et qu’il les avait peut être même consultées pour écrire sa propre tragédie.
Une critique récurrente, la faiblesse du style §
La critique la plus récurrente concernant l’œuvre de Campistron concerne le style, jugé médiocre, à tel point que Voltaire a pu affirmer que « c’est la diction seule qui abaisse Monsieur de Campistron au dessous de Monsieur Racine105 », la « diction » étant ici à comprendre au sens rhétorique d’« élocution », c’est-à-dire précisément du style. Et Virginie, comme première œuvre, ne pouvait échapper à la critique : ainsi d’Alembert devait affirmer que cette tragédie était « faiblement écrites106 » ; quant à La Porte, il qualifiait le « style » de cette pièce de « lâche », « diffus » et « inégal107 ». Mais le jugement le plus intéressant reste celui de Voltaire qui tente d’examiner plus précisément les reproches que l’on peut adresser à Campistron ; il affirme ainsi que :
Le style faible […] consiste encore à laisser tomber ses vers deux à deux, sans entremêler de longues périodes et de courtes, et sans varier la mesure ; à rimer trop en épithètes, à prodiguer des expressions trop communes, à répéter souvent les mêmes mots, à ne pas se servir à propos des conjonctions, qui paraissent inutiles aux esprits peu instruits, et qui contribuent cependant beaucoup à l’élégance du discours108.
Il faut préciser que ce jugement a été porté à propos d’Alcibiade, mais l’analyse est suffisamment générale pour pouvoir s’appliquer à l’ensemble des tragédies de Campistron. Aussi convient-il d’analyser si Virginie, comme première pièce, comporte déjà les traits stylistiques qui caractériseront l’œuvre du dramaturge.
Ainsi, lorsque Voltaire dénonce le fait de « laisser tomber ses vers deux à deux, sans entremêler de longues périodes et de courtes, et sans varier la mesure », il critique le fait de construire systématiquement ses phrases sur le canon de l’alexandrin, ce qui entraîne un effet de monotonie. Pour Voltaire, pour que des vers soient de qualités, il faut que « la cadence y [soit] toujours variée », que « la phrase y [soit] contenue, ou dans un demi-vers, ou dans un vers entier ou dans deux. On peut même ne compléter le sens qu’au bout de six ou de huit ; et c’est ce mélange qui produit une harmonie dont on est frappé, et dont peu de lecteurs voient la cause109. » Or si l’on observe statistiquement la construction des phrases en fonction de la mesure de l’alexandrin, l’on se rend compte que Campistron ne varie pas moins la mesure qu’un auteur comme Racine que Voltaire considérait pourtant comme le modèle du poète tragique : de cette façon, si l’on se borne à l’étude des premiers actes de Phèdre et de Virginie, l’on peut constater que Racine utilise des phrases plus courtes que l’alexandrin dans 22, 3 % des cas, des phrases d’un alexandrin dans 43, 4% des cas, des phrases de deux alexandrins dans 23, 8% des cas et enfin des phrases d’une autre mesure dans 10, 5% des cas ; tandis que Campistron utilise des phrases plus courtes que l’alexandrin dans 13 % des cas, des phrases d’un alexandrin dans 44% des cas, des phrases de deux alexandrins dans 27, 7% des cas et des phrases d’une autre mesure dans 15, 3% des cas110. Cependant, si la « mesure » des périodes de Campistron est aussi variée que celle de Racine d’un point de vue quantitatif, il existe une différence qualitative essentielle ; en effet, Racine emploie beaucoup plus de phrases brèves, inférieures à un alexandrin, que Campistron : 22, 3% contre 13%. Or ce sont précisément ces phrases brèves qui contribuent le plus à estomper l’impression que l’on laisse « tomber ses vers deux à deux » : de cette façon, que l’on juxtapose deux propositions indépendantes d’un alexandrin comme « Ainsi je t’engageay dans mes desseins secrets, / Ton zele aveuglément a pris mes interests » (I, 1, v. 27-28), ou que l’on considère une phrase de deux alexandrins comme « Quel plaisir de pouvoir en ces heureux momens, / Oublier mes douleurs dans vos embrassemens. » (I, 4, v. 255-256), dans les deux cas les vers semblent fonctionner « deux à deux » ; en revanche, si l’on considère une série de vers comportant des propositions brèves comme « D'un autre, Virginie, auroit receu le jour ! / Non, non, elle est ma fille, et j’en crois mon amour, / Mon cœur fremit, mon sang s’émeut de cette injure, / Je sens trop fortement s’expliquer la nature, » (I, 3, v. 119-222), la structure binaire du distique d’alexandrins à rimes plates, sans disparaître, se fait plus discrète, moins monotone. Un éditeur moderne de Campistron, Jean-Philippe Grosperrin, qui effectue la même analyse du poète tragique à l’aune du jugement de Voltaire, affirme que « les vers de Campistron ont le souffle court, procédant souvent par propositions brèves » et qu’ainsi « ses tirades ou ses monologues juxtaposent-ils le plus souvent des moments au détriment de l’architectonique et de la grande ligne111. » En effet, les propositions-alexandrins juxtaposées les une aux autres donnent paradoxalement une impression de « souffle court », pour reprendre la métaphore de Jean-Philippe Grosperrin, alors qu’un série de propositions plus brèves et bien organisées peuvent donner plus de mouvement et d’ampleur. Il suffit pour s’en convaincre de comparer ces vers bien célèbres de Phèdre qui procèdent par propositions très brèves, « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; / Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ; / Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; / Je sentis tout mon corps et transir et brûler » avec cette tirade de Virginie procédant par propositions d’un ou de deux alexandrins :
L'interest du païs doit icy prevaloir :Tout cede dans mon cœur à ce premier devoir,Je ne vous aurois pas hazardé pour moy-mesme,Mais je consens pour luy d’exposer ce que j’aime,Le genereux amour qui regne dans mon coeur :Ne veut point d’un Amant enchaîner la valeur,Je brûle comme vous de voir Rome sauvée,De voir vostre vertu jusqu’aux Cieux elevée,Joignez tous les devoirs de Heros et d’Amant,Ils se peuvent entre eux secourir puissamment,Leur union vous offre une double victoire ;Du costé de l’amour, du costé de la gloire,De toutes parts enfin vous serez couronné,Comme illustre Guerrier, comme Amant fortuné.Les Romains admirant cette grande victoire,Dresseront des Autels, Seigneur, à vostre gloire,Et moy n’en doutez point à vostre heureux retour,Je prens sur moy le soin de couronner l’amour. (III, 5, v. 923-940)
Ainsi, peut-on effectivement constater une certaine faiblesse dans la construction des alexandrins de Campistron qui laisse « tomber ses vers deux à deux, sans entremêler de longues périodes et de courtes, et sans varier la mesure ». Voltaire considère encore comme un vice du « style faible » qu’il attribue à Campistron le fait de « rimer trop en épithètes ». Or, si l’on s’en tient aux seuls épithètes, on ne dénombrera que six cas dans le premier acte où deux adjectifs en fonction épithètes riment ensembles : « dangereux/malheureux » (v. 11-12), « déplorable/favorable » (v. 89-90), « terrible/sensible » (v. 105-106), « souverain/vain » (v. 175-176), « empressez/glacez » (v. 191-192) et « soudain/certain » (v. 263-264) ; et même si l’on ajoute une occurrence d’adjectif en fonction attribut rimant avec une épithète, « inexorable/favorable » (v. 25-26), cela ne constitue pas un excès : le premier acte de la Phèdre de Racine comporte pratiquement le même nombre d’occurrences.
En revanche, sur la question des « expressions trop communes », on ne peut qu’agréer au jugement de Voltaire. En effet, l’élément le plus frappant du style de Campistron, c’est l’absence presque systématique de recherche d’effet poétique, ce qui se traduit par l’absence totale de figures telles que les comparaisons ou les métaphores, et très peu de figures de rhétoriques d’une manière générale. Il ne s’agit cependant pas là d’une marque d’ignorance de la part de Campistron : il sait au besoin dispenser avec parcimonie ces effets de style dans certains passages. Il emploie ainsi des figures de répétition pour souligner les hésitations d’Appius au début de la scène lorsque le tyran déclare :
Je crains l’aspect d’une inhumaine.Je crains de nos projets le succés dangereux ;Que puis-je attendre enfin d’un amour malheureux,D'un amour dans mon cœur formé sans esperance,Et dont le desespoir accroist la violence112.
Ou encore pour souligner de manière plus lyrique la souffrance de Plautie séparée de sa fille lorsqu’elle vient réclamer celle-ci au décemvir :
En vain depuis deux jours errante dans ces lieuxLes pleurs que j’ay versez ont épuisé mes yeux,En vain de tous costez mes cris se font entendre,De son destin encor je n’ay pû rien aprendre113.
Outre ces figures de répétitions, Campistron apprécie l’usage des figures d’opposition qu’il réserve essentiellement aux scènes d’agôn comme à l’acte III, scène 2 dans laquelle Virginie et Appius s’affrontent : cette scène est presque entièrement construite sur une série de figures d’oppositions plus ou moins marquées. Ainsi, cherchant à provoquer la colère du tyran, Virginie commence par mettre en avant un certain nombre de paradoxes comme « la mort d’un Rival vous coutera des pleurs » (v. 1164) ou encore « Vostre courroux me plaist bien plus que vostre amour » (v. 1136), elle emploie un oxymore, « d’injustes bien-faits » (v. 1139), et enfin, elle attaque le tyran par une série d’antithèses radicales : elle refuse ainsi de « joindre l’innocence à [ses] crimes affreux » (v. 1096), puis lui déclare :
Oüy je l’aime [Icile] autant que je vous hais.Vous me tyrannisez, il m’a toûjours servie,Il fait tout le bon-heur, vous l’horreur de ma vie :Et je voyois enfin dans cet illustre Epoux,Encor plus de vertus que de crimes en vous114.
Mais il convient de souligner que ces grands moments rhétoriques restent rares dans la pièce et il peut effectivement sembler que d’une manière générale, Campistron prodigue « des expressions trop communes ».
Voltaire voit également très juste lorsqu’il affirme que le dramaturge « répèt[e] souvent les mêmes mots » ; c’est en effet probablement la caractéristique la plus marquante du style de Campistron : le vocabulaire de ses pièces est très restreint et il doit réemployer souvent les mêmes mots. De cette façon, on peut compter dans Virginie 53 occurrences du substantif « amour », 32 de « dessein », 29 du mot « funeste », 26 pour « douleur », pour « gloire » 25, 18 occurrences de « destin », également 18 de « secours », 15 de « vertu », 13 pour « horreur » ou « tendresse », pour « désir », « coups » et « transport », 12, et la liste continue : chez lui, l’hapax est l’exception, la répétition, la règle. Il faut cependant signaler que l’on trouve également chez Racine des occurrences très nombreuses et même plus nombreuses de certains mots : on peut ainsi dénombrer 82 occurrences du mot « fils » dans Andromaque, 79 du mot « dieu » dans Iphigénie, 74 d’« Amour » dans Bajazet ou encore 68 occurrences de « cœur » dans Bérénice115. Mais il existe une grande différence entre le vocabulaire de Racine et celui de Campistron. Chez Racine, ces grands nombres d’occurrences d’un mot, généralement dictés par le thème de la pièce, n’excluent pas la présence d’un vocabulaire riche et concret et ce d’autant plus que l’on avance dans la carrière de Racine : il est ainsi possible de relever dans des pièces comme Iphigénie, Phèdre ou Athalie des termes comme « corne », « crin », « croupe », « dard », « chien », « fange », « autel », « vaisseau », « tente », « rivage », « flot » ou encore « champ ». Alors que si l’on analyse le lexique présent dans Virginie, et en particulier les termes revenant le plus souvent, une conclusion s’impose : le vocabulaire employé est presque exclusivement moral, abstrait. De cette façon, les termes renvoyant à des objets sont extrêmement rares et souvent regroupés en accumulation comme aux vers 59 et 60 : « Lors que tout estoit prest ; la coupe, le couteau, /La victime, l’encens, le Prestre, le flambeau » ; sinon quelques termes évoquent de manière vague différents lieux de la cité comme « la ville », « nos tribunaux », « le Temple », « le camp » ou « ce Palais ». Quant au vocabulaire évoquant les paysages ou la nature, il est absolument absent de la pièce. Il y a aussi une autre caractéristique qui contribue à renforcer l’impression que Campistron « répèt[e] souvent les mêmes mots », c’est le fait que le dramaturge répète souvent les mêmes mots à la rime voire les mêmes rimes. De cette façon, le mot « jour » est employé 23 fois à la rime, le mot « vie » 18, le mot « amour » 17, « âme » 15, « gloire », « yeux » et « malheur » 13 fois, « mort » et « dessein » 12 fois ; Campistron emploie ainsi 12 fois la rime « jour / amour », 8 fois la rime « jour / secours » ou encore 7 fois les rimes « victoire / gloire », « mort / sort » et « âme / flamme » et il serait encore possible de relever des dizaines de rimes se répétant trois ou quatre fois au cours de la pièce.
Cependant, une fois le constat établi, il convient de s’interroger sur les raisons de ce vocabulaire limité : s’agit-il d’une lacune de Campistron, ou d’un choix délibéré de sa part ? En effet, l’absence aussi systématique d’un vocabulaire plus concret invite à penser qu’il s’agit d’un choix esthétique délibéré de Campistron : sans doute y a-t-il une recherche de forme pure, abstraite du drame, où tout se jouerait uniquement entre les paroles des personnages sans que ces paroles se réfèrent à quoi que ce soit d’extérieur au drame qui se noue sur scène. Quoi qu’il en soit, ce choix a eu une conséquence directe pour la postérité de Campistron et la perception de son style au fil du temps. En effet, si le vocabulaire renvoyant à des réalités concrètes est resté très stable, un « temple », un « couteau », un « arbre » ou une « rivière » signifiant toujours exactement la même chose qu’au XVIIe siècle, il n’en est pas de même pour le vocabulaire renvoyant à des réalités abstraites qui est beaucoup plus sujet aux variations sémantiques au cours du temps. De cette façon, une très grande partie du vocabulaire moral du XVIIe siècle s’est considérablement affaibli dès le XVIIIe siècle ; dès lors, un texte employant presque exclusivement ce type de lexique perd beaucoup de sa force avec le temps. De plus, pour construire des images, des comparaisons, des métaphores, des métonymies ou encore des hypotyposes, il est nécessaire d’employer des référents renvoyant à des objets concrets, on ne peut se contenter de termes abstraits : l’absence de recherche figurée dans l’expression de Campistron trouve ici son explication. Ainsi, alors qu’un auteur comme Racine a pu traverser le temps, en dépit de l’affaiblissement du vocabulaire qu’il a subi comme tout auteur du XVIIe siècle116, grâce à un lexique concret et à la richesse d’évocation figurée qu’il permet, Campistron, lui, a vu très rapidement le style de ses pièce devenir désuet. De cette façon, un vers comme « La rive au loin gémit blanchissante d’écume » possède toujours la même force d’évocation que lors de sa création puisque les mots qu’il emploie ont conservés le même sens ; en revanche, un vers comme « J'estois absent de vous, inquiet, desolé » (v. 399) a perdu toute sa substance avec l’affaiblissement du vocabulaire.
Enfin, concernant le fait de « ne pas se servir à propos des conjonctions […] qui contribuent […] beaucoup à l’élégance du discours », il serait difficile d’apporter une réponse statistique capable d’évaluer la pertinence de l’emploi des conjonctions dans Virginie ; il est en revanche possible de souligner certaines constructions de phrases en parataxes pouvant sembler maladroites, mal articulées ou tout du moins n’ayant pas de justification stylistique. Ainsi, les premiers vers de la pièce pourraient sans doute tomber sous le coups de la critique voltairienne, et ceci d’autant plus qu’outre la juxtaposition des propositions, ils « tomb[ent] […] deux à deux » :
De ma temerité Rome entiere surprise,Demande les raisons d’une telle entreprise,Le Peuple compatit à la juste douleurD'un amant éperdu, d’une mere en fureur :Il est temps d’informer Rome, Icile et PlautieDes droits qui m’ont permis d’enlever Virginie. (I, 1, v. 1-6)
Si ces premiers vers peuvent juste être considérés comme faibles, d’autres en revanche peuvent sembler maladroit ou inélégants comme cette réplique d’Appius :
Differons un éclat mortel à son honneur,Seule encor de son sort elle sçait la rigueur ;Peut-estre se voyant au bord du precipice,Son peril à mes vœux la rendra plus propice.N'exposons point sa honte aux yeux de l’Univers,Elle craint, il suffit, de tomber dans les fers,Elle fremit des maux d’un sort si déplorable. (I, 1, v. 83-89)
Si la critique du « style faible » que Voltaire attribut à Campistron se vérifie largement, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un jugement formulé en 1731, soit presque quarante ans après les dernières pièces de Campistron et près de cinquante après Virginie. C’est le goût d’un homme du XVIIIe siècle qui s’exprime ; correspond-il à celui d’un homme du XVIIe siècle finissant ? Les témoignages des contemporains semblent confirmer que le style de Campistron n’a jamais suscité l’enthousiasme et que ce n’est pas là que résidait son mérite. Mais il convient aussi de se souvenir que l’un des arguments récurrents des détracteurs de Racine était d’affirmer que la beauté de ses vers dissimulait les faiblesses supposées de ses tragédies ; ce qui signifie, au-delà de la mauvaise foi du jugement, que l’on considérait que la véritable qualité d’une tragédie ne reposait pas sur son style mais sur ses qualités proprement dramatiques, ou pour parler en termes rhétoriques, que c’était l’« invention » et la « disposition » qui constituaient le cœur de la tragédie et que l’« élocution » ne constituait qu’un ornement. C’est la raison pour laquelle l’abbé de Villars reprochait à Racine d’avoir dans Bérénice « dédaign[é] les règles, l’invention, l’Histoire, les bonnes mœurs, l’uniformité des caractères, le vraisemblable117 » : il estimait que le dramaturge n’avait pas respecté l’écriture dramatique, et le critique d’affirmer qu’on ne pouvait prendre plaisir à la représentation de cette pièce qu’en « pens[ant] seulement à la beauté des Vers118 ». De la même manière, bien que ce soit Corneille qui a écrit la plus grande partie des vers de Psyché, personne n’a contesté à Molière la paternité de cette pièce dont il n’avait réalisé que le canevas en prose : faire une pièce est l’art du poète, faire des vers n’est que celui du « rimeur ». Aussi, lorsque Voltaire affirme qu’« il n’y a que la poésie de style qui fasse la perfection des ouvrages en vers119 », il donne un critère pour juger les tragédies presque opposé à celui du XVIIe siècle ; à l’inverse, lorsqu’il déclare que « c’est la diction seule qui abaisse Monsieur de Campistron au dessous de Monsieur Racine » et qu’il a « toujours soutenu que les pièces de Monsieur de Campistron étaient pour le moins aussi régulièrement conduites, que toutes celles de l’illustre Racine120 », il accorde à l’auteur de Virginie le talent suprême pour un dramaturge du XVIIe siècle : savoir « conduire » une pièce. De même, une affirmation comme celle d’un éditeur moderne qui déclare que Campistron « était peut-être plus dramaturge que poète121 » constitue un anachronisme par rapport à une époque qui ne distinguait pas le théâtre de la poésie et où tout l’art du « poème dramatique » consistait justement dans la mise en place d’un drame.
Un perpétuel centon ? §
Une autre caractéristique de l’écriture de Campistron fut soulevée par Gustave Lanson qui accusait son style d’être « un perpétuel centon de Racine122 ». Et en effet, au-delà du caractère excessif de la formule, il est possible de déceler dès Virginie des résurgences de vers, non seulement de Racine, mais aussi et tout autant de Corneille. Campistron a ainsi repris tels quels un certain nombres d’hémistiches empruntés aux œuvres de ses illustres prédécesseurs, en particulier à Phèdre, Bérénice, Horace, Cinna et le Cid. De cette façon, lorsque Sévère s’exclame « Tout a changé de face » (v. 1425), il reprend mot à mot une réplique d’Hyppolite dans Phèdre qui déclarait à l’acte I, scène 1 : « Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face. » De même, lorsque Icile est sur le point d’être conduit au supplice (v. 1236), il utilise un hémistiche d’une autre scène célébrissime de séparation d’amants : le « et pour jamais adieu » de Bérénice. Enfin, pour ce qui est de Corneille, Campistron s’est également servi d’une scène d’amants emblématique, celle de l’acte III, scène 4 du Cid dans laquelle Chimène lançait à Rodrigue : « Ma générosité doit répondre à la tienne » ; dans Virginie, l’héroïne déclarera à son amant : « Ma generosité doit seconder la vostre » (v. 478). De même, lorsqu’en apprenant le sort de sa fille, Plautie déclare : « Je demeure stupide » (v. 218), elle reprend l’expression de Cinna découvrant stupéfait qu’Auguste connaît les moindres détails de sa conjuration, tout comme Virginie, lorsqu’elle affirme que « L'interest du païs doit icy prevaloir » (v. 923), ne fait que réemployer une réplique dans laquelle Cinna déclarait que « L’amour du Pays doit ici prévaloir ». Outre ces reprises mot à mot de vers ou d’hémistiches dont la liste n’est pas exhaustive123, il faut aussi signaler la reprise de structures empruntées à Racine ou Corneille. Par exemple, si l’on observe le vers 1374, « Je mourois libre alors, je meurs dans l’esclavage », on peut remarquer que le balancement entre les formes imparfaite et présente du verbe « mourir » était déjà employé dans Phèdre à l’acte III, scène 3 lorsque l’héroïne déclarait à sa suivante : « Je mourais ce matin digne d’être pleurée./ J'ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée ». On peut rapprocher de la même manière deux vers, tout deux prononcés par les héroïnes éponymes de Virginie et de Bérénice : « Vous tremblez, et vous estes Romain » (v. 1220) et « Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez ! » ; dans les deux cas, la surprise est exprimée par la conjonction « et » qui souligne la contradiction supposée entre un état (« Romain » ou « empereur » ) et une action (« trembler » ou « pleurer » ). Un autre procédé consiste à reprendre les mêmes termes en les organisant différemment comme ce vers d’Appius, « Je me suis tu long-temps et veux me taire encore » (v. 93), qui reprends les mots d’Antiochus à l’acte I, scène 4 de Bérénice : « Je me suis tu cinq ans, / Madame, et vais encor me taire plus longtemps ». C’est le même procédé que Campistron emploiera avec un passage de l’acte III, scène 4 du Cid dans lequel Chimène s’exclame : « Rodrigue, qui l’eût cru ! […] Que notre heur fût si proche et si tôt se perdît ! » ; Virginie déclarera à son tour, « Qui l’eut crû que si prés d’un heureux Himenée » (v. 493). Mais c’est surtout au Horace de Corneille que Campistron est redevable de ses vers exprimant sans doute le mieux la « uirtus » romaine telle que la concevait la tragédie française. Ainsi, lorsque, à son amant qui lui demandait ce qu’elle avait résolue, Virginie répond « De mourir » (v. 1212), elle pastiche le Vieil Horace qui, à Julie qui lui demandait « Que voul[ait-il] qu[e son fils] fît contre trois ? », répondait le célèbre « Qu’il mourût ». Enfin, une tirade entière de Plautie englobant plusieurs vers est la récriture, développé autour d’un vers et d’une série d’articulations identiques, d’un thème d’Horace. Ainsi, Plautie déclarait à sa fille :
Mourir lorsque le sort rend la vie importune,C'est l’ordinaire effet d’une vertu commune :Mais vivre en essuyant ses plus funestes coups,Luy faire voir un cœur plus grand que son courroux,C'est-là que la vertu doit briller davantage (III, 7, v. 989-993)
Tandis qu’à l’acte II, scène 3 d’Horace, le héros éponyme déclarait à Curiace :
Combattre un ennemi pour le salut de tous,Et contre un inconnu s’exposer seul aux coups,D'une simple vertu c’est l’effet ordinaire,Mille déjà l’ont fait, mille pourraient le faire.Mourir pour le pays est un si digne sort,Qu'on briguerait en foule une si belle mort.Mais vouloir au Public immoler ce qu’on aime, […]Une telle vertu n’appartenait qu’à nous
Une fois ce phénomène de résurgence de vers de Racine et Corneille mis en évidence, il reste à l’interpréter, car l’analyse de Gustave Lanson qui vise à faire de Campistron un imitateur stérile est difficilement acceptable ; tout d’abord parce que, bien qu’important, le fait n’est pas envahissant et ne suffit pas à lui seul à définir le style de Campistron, quoi qu’on puisse en penser par ailleurs, ensuite parce que ni ses contemporains, ni les critiques du XVIIIe siècle ne le lui ont reproché, ce qui invite à penser que la pratique en elle-même n’était pas jugée négativement. Analysant le même phénomène dans les tragédies Arminius, Andronic et Alcibiade, Jean-Philippe Grosperrin en propose l’interprétation suivante :
Il est vraisemblable que les spectateurs de l’époque avaient plaisir à retrouver l’antécédent fameux, affleurant çà et là dans l’œuvre nouvelle, et d’autant plus que la tragédie française, dans les années 1680, est un objet esthétique fortement modélisé, de telle sorte que la mémoire des vers de Corneille et de Racine inscrite dans les vers de Campistron y fonctionne comme indice métapoétique, pour ainsi dire, en même temps qu’elle doit faire valoir la nouveauté du contexte.
Et de fait, il est évident que tout en reprenant les mêmes termes que Corneille et Racine, Campistron joue à changer les situations dans lesquels ils interviennent, souvent à les inverser. Ainsi, alors que dans Phèdre le « tout a changé de face » marquait un changement négatif puisqu’il était accompagné de « cet heureux temps n’est plus », dans Virginie, il marque au contraire un retournement de situation positif puisque Sévère vient annoncer qu’Icile est libre. De la même manière, si le « et pour jamais, adieu » est employé dans deux scènes de séparation d’amants, ils ne sont pas connotés de la même manière puisque dans le cas de Bérénice, il est prononcé par une amante qui s’estime abandonnée, alors que dans le cas de Virginie, il est prononcé par un amant arraché à son amante par des gardes le conduisant au supplice. Enfin, lorsque Chimène prononçait « Ma générosité doit répondre à la tienne », elle indiquait à Rodrigue que, comme lui, elle remplirait son devoir envers son père et chercherait à le tuer pour en tirer vengeance ; alors que Virginie, en déclarant « Ma générosité doit seconder la votre », indiquait à Icile, qui acceptait de l’épouser même devenue esclave, que pour se montrer aussi noble que lui, elle devait refuser de l’épouser pour lui éviter une mésalliance, alors même qu’il s’agissait de son souhait le plus cher. Il s’agit donc bien à chaque fois d’un jeu de récriture de situations, la reprise de vers célèbres soulignant à la fois les ressemblances entre les situations tout en faisant immédiatement ressortir l’originalité de la récriture : le « centon » est ainsi bien plus une marque d’habileté et d’originalité du dramaturge qu’une marque d’imitation servile et stérile.
Note sur la présente édition §
La présente édition reproduit le texte de la toute première édition de Virginie, celle donnée au lendemain de sa création. Dès le 29 mars 1683, soit trois semaines après la dernière représentation sur les planches de la Comédie-Française, un privilège d’impression fut pris pour six années par Estienne Lucas, un libraire spécialisé dans la publication d’ouvrages protestants dont Virginie constitue, dans l’état actuel des connaissances, l’unique pièce de théâtre dont il se soit chargé. Par la suite, Campistron prendra lui-même un privilège collectif pour l’ensemble de ses tragédies déjà écrites en 1690124 puis un nouveau pour Tiridate l’année suivante : il fera alors appel à Pierre Ribou et à Thomas Guillain pour l’impression de ses œuvres. Le choix de reproduire l’édition de 1683 de Virginie s’imposait pour deux raisons : la première, c’est qu’il s’agit de l’unique version du texte à avoir été représentée puisque Virginie ne fut jamais rejouée après 1684 ; la seconde, c’est que, comme le remarquait le premier éditeur des œuvres complètes de Campistron parues après sa mort, « les Pièces imprimées dans le temps des représentations […] sont ordinairement les plus correctes. Il est à supposer qu’elles ont été faites sous les yeux de l’auteur125. » Le seul autre texte de Virginie à présenter un véritable intérêt est celui donné par l’édition des Tragédies de Monsieur Campistron fournie par Pierre Ribou en 1707. En effet, il s’agit de la seule édition ultérieure de la pièce dans laquelle Campistron semble s’être investi : bien que l’auteur affirme lui-même dans une préface qu’il n’a pas trouvé le temps de « revoir [s] es sept Poëmes126 avec soin, y faire quelques corrections & quelques changements127 » et qu’il affirme avoir « permis qu’on travaillast même pendant [s] on absence à l’Impression qu’on [lui] demandoit128 », il demeure que cette édition, outre la seule préface de Virginie, présente un certain nombre de variantes qui éclaircissent le sens de certains vers de la pièce129.
Par ailleurs, Virginie a été éditée dans les nombreuses Œuvres de M. Capistron130 imprimées de son vivant, qu’il s’agisse des éditions données par Thomas Guillain en 1690, 1694, 1696 et 1698 ou celles données par Pierre Ribou en 1698 et 1715 ; on compte en outre deux éditions des Œuvres imprimées à Amsterdam par J. Garrel en 1695 et 1698, et une contrefaçon lyonnaise par J. Guerrier en 1703. L’éditeur des œuvres complètes de Campistron en 1750 affirmait que « ce nombre d’Editions faites à son insçu [sic] et en son absence, [étaient] toutes informes et mal digérées131 » et qu’elles avaient « multiplié les fautes, que les occupations de l’Auteur […] avoient laissé dans ses Ouvrages132 » ; et de fait, la plupart des variantes présentes dans ces éditions sont mineures et inutiles, modifiant légèrement un article ou le temps d’un verbe sans que cela n’éclaire davantage le texte133 ; d’autres sont de véritables fautes créant des contresens, comme la variante du vers 717 qui transforme l’affirmation « j’ose encore » en une négation « je n’ose » qui va à rebours du sens du texte. Il convient enfin de s’attarder sur une contrefaçon de Virginie pour le moins originale et déconcertante. Il s’agit en effet de l’unique édition séparée de la pièce en dehors de la première, mais surtout, Virginie y est attribuée non plus à Campistron, mais à un autre dramaturge, « le sieur Péchantré ». Cette édition a été fournie par Michel Guerout à Paris et par Jean Léonard à Bruxelles en 1690. Nicolas Péchantré était un autre Toulousain dont la première tragédie, Géta, avait connue un très grand succès en 1687. Y a-t-il eu confusion entre les deux auteurs ? Cela semble peu probable, puisqu’en 1690, Campistron était déjà célèbre. S’agit-il d’une faute délibérée pour laisser croire qu’il s’agit d’une nouvelle pièce d’un auteur qui venait de connaître un triomphe ? C’est une possibilité dans la mesure où Virginie n’avait pas marqué les esprits outre mesure et qu’elle n’avait pas été rejouée ou rééditée depuis. Peut être s’agit-il aussi tout simplement d’une manière de contourner le privilège : le premier privilège pris par Estienne Lucas venait d’expirer, mais Campistron en repris en 1690 un nouveau pour ses pièces qu’il transféra à Thomas Guillain ; il est donc possible que Guérout et Léonard avaient déjà préparé leur propre édition de Virginie et que, pris de cours, ils aient imprimé la pièce sous un autre nom. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une édition peu soignée comportant de nombreuses coquilles, des vers incomplets134 et même deux mots ne rimant pas ensemble135. Cependant, cette édition comporte quelques variantes qui éclaircissent le sens du texte136 et qui ne seront reprises que dans l’édition revue par Campistron en 1707. De plus, il s’agit de la seule version du texte dans laquelle deux vers ont été entièrement réécrits137 et dans laquelle quatre nouveaux vers ont été introduits138. Pour ajouter encore au mystère de cette édition, il semble en outre que la facture de ces vers soit d’une autre main que celle de Campistron139. Après la mort de Campistron, Virginie sera évidement éditée dans les Œuvres de Monsieur de Campistron données par E. Vallat entre 1722 et 1724, Pierre Ribou en 1731 et enfin par la Compagnie des Libraires en 1739 et 1750.
Édition originale de 1683 §
Virginie, tragédie, In-12, Paris, chez Estienne Lucas, 5 feuillets non paginés, 67 pages : [X-67 p.]. Privilège du 29 mars 1683, achevé d’imprimer le 30 avril 1683. (A)
[I] VIRGINIE / TRAGEDIE. / [fleuron (4, 6x3, 8)] / A PARIS, / Chez Estienne Lucas, Marchand / Libraire ; dans la Sale neuve du Palais, / à la Bible d’Or. / [filet (5, 4)] / M. DC. LXXXIII. / Avec Privilege du Roy.
[II] [blanc]
[III-VII] [bandeau (6, 3x2) ] / A MONSEIGNEUR / DE FIEUBET, / PREMIER PRESIDENT / DU PARLEMENT / DE TOULOUSE. / [texte de l’épître dédicatoire].
[VIII-IX] [bandeau (6, 9x1, 4)] / EXTRAIT DU PRIVILEGE / du Roy. / [en date du 29 mars 1683, accordé à « Estienne Lucas, Marchand Libraire à Paris », durant 6 ans, pour « une Tragedie, intitulée Virginie, composée par le Sieur *** », signé « CANGOT ». Achevé d’imprimé le « dernier Avril 1683. » ] / [marque (3, 6x3, 6)]
[X] [filet (5, 7)] / ACTEURS. / [liste des acteurs]
1-67 [le texte de la pièce].
Exemplaires conservés dans les bibliothèques parisiennes §
BnF : YF-12109
Arsenal : GD-19144
Richelieu – Arts du spectacle : 8-RF-5739
Richelieu – Arts du spectacle : 8-RF-5724
Recueil factice des « Œuvres de Mr Capistron » comprenant Virginie, Paris, E. Lucas, 1683 ;Arminius, Paris, sur le quay des Grands Augustins, 1685 ; Andronic, Paris, T. Guillain, 1685.
Autres exemplaires non consultés §
The British Library : HMNTS 636.c.27.(4.)
The British Library : HMNTS 86.i.10.(3.)
Éditions postérieures §
Virginie, Tragédie par le sieur Pechantré, Paris, Michel Guerout ; Bruxelles, Jean Léonard, 1690. (B)
Les Œuvres de M. Capistron, Paris, T. Guillain, 1690. (C)
Les Œuvres de Mr. Capistron, Paris, T. Guillain, 1694. (D)
Œuvres de Mr. Capistron. Nouvelle édition, Amsterdam, J. Garrel, 1695. (E)
Les Œuvres de M. Capistron, Paris, T. Guillain, 1696. (F)
Œuvres de Mr. Capistron. Nouvelle édition augmentée de la fameuse tragi-comédie de Venceslas, Amsterdam, J. Garrel, 1698. (G)
Les Œuvres de M. Capistron, Paris, P. Ribou, 1698. (H)
Les Œuvres de M. Capistron, augmentées en cette dernière édition, Paris, T. Guillain, 1698. (I)
Les Œuvres de M. Capistron, … augmentées en cette dernière édition, Lyon, J. Guerrier, 1703. (J)
Tragédies de Monsieur Campistron, de l’Académie Française, Paris, P. Ribou, 1707. (K)
Tragédies de Monsieur Campistron, de l’Académie Française, Paris, P. Ribou, 1715. (L)
Œuvres de Monsieur de Campistron, de l’Académie Française, nouvelle édition, Amsterdam, E. Vallat, 1722-1723-1724.
Œuvres de Monsieur de Campistron, de l’Académie Française, nouvelle édition, Paris, P. Ribou, 1731.
Œuvres de Monsieur de Campistron, de l’Académie Française, nouvelle édition, Paris, par la Compagnie des Libraires, 1739.
Œuvres de Monsieur de Campistron, de l’Académie Française, nouvelle édition, Paris, par la Compagnie des Libraires, 1750.
Interventions sur le texte §
Nous avons respecté l’orthographe d’origine mais nous sommes intervenu sur un certain nombre de graphies. Nous avons ainsi choisi de délier les ligatures « & » employées systématiquement sauf en début de vers. Nous avons également fait la distinction entre « u » et « v » et entre « i » et « j » (dans l’épître dédicatoire : « ie me suis proposé », « ie fairois », « suiet », « i’ay vû », « ie dois profiter », « ie connois » et « ie suis » ; dans la liste des acteurs : « Appivs » ; enfin dans le texte lui-même : v. 259 « Vne », v. 274 « I’admire », v. 283 « I’envoyay », v. 292 « Ie serviray », v. 296 « I’en fremis », v. 412 et 430 « iamais », v. 761 « Vn », v. 855 et 984 « iours » et v. 867 et 915 « iour ».) L’épître dédicatoire présente deux fois la graphie « auβi » et le vers 705 la graphie « tĕps » ; nous les avons respectivement modernisées en « aussi » et en « temps ». Enfin, pour marquer les suspensions, le texte d’origine emploie quatre points, sauf aux vers 7, 185, 1210 et 1449 où il n’y a que trois points, et aux vers 573 et 1210 qui présentent respectivement une virgule suivie de trois points et cinq points ; nous avons choisi d’unifier tous les points de suspension suivant l’usage moderne avec trois points.
En ce qui concerne la présentation, le texte d’origine marque un retrait au début de chaque réplique sauf pour la première scène de l’acte I, les répliques de la scène 3 de l’acte III situées sur les pages 32 et 33 ainsi que pour les répliques des vers 205, 1153 et 1453. Nous avons choisi d’unifier la présentation en supprimant les retraits au début de chacune de ces répliques, conformément à l’usage habituel. Les didascalies du texte d’origine sont inscrites en fin de réplique et leur place indiquée par un astérisque, nous avons replacé chacune d’entre elles au dessus de la réplique à laquelle elle s’applique.
En ce qui concerne la ponctuation, celle du texte original a été respectée, y comprit lorsque cela pouvait choquer les habitudes de lecture modernes. Ainsi, il ne faudra pas s’étonner de ne pas trouver systématiquement de point d’interrogation aux phrases interrogatives, de même que certaines propositions circonstancielles soient séparées de leur proposition principale par la ponctuation. Lorsque la ponctuation semblait déficiente, elle a été corrigée par rapport aux textes fournis par les autres éditions de la pièce ; ces corrections ont été signalées entre crochets. Enfin, lorsqu’un signe de ponctuation semblait réellement fautif, nous avons pris la liberté de le corriger, y comprit lorsqu’il était maintenu dans les éditions ultérieures.
Liste des coquilles §
auroient (épître dédicatoire) ; le dernier Avril 1638 (extrait du privilège) ; Quelle (80 ; 103) ; Où (108) ; ternise (270) ; t’on (284) ; à (332, 1304) ; n’y (376) ; d’eust (394) ; qu’elle (458 ; 638 ; 1045 ; 1322) ; amais (484) ; qu’à-t’il (490) ; arrrestez (501) ; Plusque (530) ; Qu’ent’ens-je (593) ; Forçons-là (646) ; Clodius (au lieu de « à Appius » dans la didascalie du vers 727) ; Cloduis (728) ; telle (753) ; comble (763) ; peu-t’on (774) ; apris (775) ; ma (821) ; sçait (834) ; conçoit (834) ; la (876) ; proviendrons (888) ; disolent (900) ; vestables (910) ; dersis (v.968) ; Qu’elles (1004) ; ardour (1040) ; Qu’elle (1043 ; 1354) ; débranler (1182) ; ians (1187) ; qui (1207) ; la (1305) ; à (1307) ; uste (v.1368) ; m’ourois (1374) ; [Icile.] (nous avons rajouté le nom du personnage au dessus de sa réplique au vers 1465 où il manquait) ; vigoureux (1471). Camille, (IV, 2 liste des Acteurs) ; Seigneur. (736).
Corrections de ponctuation §
desespoir (19) secrets (27) conduit (72) jour (79) t’allarmer (116) amour (143) tenter (141) injure (221) entreprendre (225) precieux (235) Madame, (261) ame. (262) l’esclavage (265) Icile, (318) dignitez (358) retenir : (384) l’adore : (386) Epoux (447) obeïr (476) l’esperance : (489) transport (619) malheurs ? (655) Seigneur (736) silence (801) porte : (886) certains. (887) Decemvirs, (967) desirs : (968) esperance. (982) Romains (1005) miserable, (1110) songez y (1171) retour, (1328) presence ; (1329) furieux, (1343) histoire : (1406) reste, (1417) funeste ; (1418) punir (1451) d’Appius, (1480) mesme ? (1482) Seigneur ; (1495)
VIRGINIE. TRAGEDIE §
A MONSEIGNEUR DE FIEUBET140, PREMIER PRESIDENT DU PARLEMENT DE TOULOUSE. §
Monseigneur,
Si je prends la liberté de vous offrir cette Trage[IV] die, je ne songe qu’à vous rendre des graces publiques de la puissante et genereuse protection dont vous avez toûjours honoré ma famille ; elle vous a des obligations infinies, et toute la reconnoissance que j’en puis marquer est de l’apprendre à tout le monde ; c’est l’unique dessein que je me suis proposé, Vous ne verrez aucun Eloge dans cette Epistre, celuy que je fairois de Vous, Monseigneur, auroit trop peu de force pour un si grand sujet, et j’ay [V] vû tant de gens plus habiles que moy échoüer dans cette mesme entreprise, que je dois profiter de leur exemple, et me taire lorsqu’il est trop dangereux de parler. Mais quand je serois assez hardy pour entreprendre une chose si difficile, que pourrois-je dire de vous, Monseigneur, que toute la France ne sçache aussi bien que moy ? elle regarde avec admiration cette penetration vive, et cette integrité inébranlable qui après s’estre consommées dans les plus importantes [VI] Charges de la Robe vous firent choisir par Louis le Grand, pour estre le Chef du second Parlement du Royaume, dans un âge où il n’est permis qu’aux hommes extraordinaires de pretendre à de pareilles dignitez : Heureux sont les peuples qui peuvent voir briller de pres vos éminentes vertus dans cette Auguste Place, et ressentir à toute heure les effets de votre Justice. Ils poussent sans doute des vœux continuels au Ciel pour la conservation d’une vie aussi glorieuse que la vô[VII] tre, et qui leur est si necessaire ; mais c’est ce que je fais plus que tous, puisque je connois mieux que personne ces verités éclatantes, et que je suis avec un profond respect.
Monseigneur,
Vostre tres-humble, et
tres-obeïssant serviteur
C * * *
Acteurs. §
- Appius, l’un des Decemvirs141 de la ville de Rome.
- Icile, Chevalier Romain accordé avec Virginie.
- Clodius, Chevalier Romain.
- Plautie, Mere de Virginie, et femme de Virginius.
- Virginie, fille de Virginius, et de Plautie.
- Camille, confidente de Virginie.
- Fulvie, confidente de Plautie.
- Severe, affranchy d’Icile.
- Fabian, affranchy d’Appius.
- Pison, capitaine des Gardes d’Appius.
- Gardes.
Acte I. §
Scene premiere. §
Clodius.
Appius.
Clodius.
Qui peut encor vous faireAppius.
Clodius.
[p. 3]Appius.
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Clodius.
Scene II. §
Fabian.
Appius à Fabian.
Scene III. §
Plautie.
Appius.
Plautie.
Appius.
Plautie.
Appius.
Appius.
Plautie.
Appius.
Plautie.
Appius.
Scene IV. §
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
[B. p.13]Scene V. §
Virginie.
Camille.
Virginie.
Fin du premier Acte.
Acte II. §
Scene premiere. §
Severe.
Icile.
Icile.
Severe.
Icile.
Scene II. §
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Scene III. §
Camille.
Virginie.
Scene IV. §
Virginie.
Appius.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Scene V. §
Clodius.
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Fin du second Acte.
Acte III. §
Scene premiere. §
Fulvie.
Plautie.
[p. 29]Fulvie.
Plautie.
Scene II. §
Plautie.
Clodius.
Plautie à Claudius.
Appius.
Clodius.
[p. 32]Scene III. §
Appius.
Plautie.
Appius.
Plautie.
Appius.
Scene IV. §
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Scene V. §
Icile.
Plautie.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Plautie.
Je vous suivray, Seigneur, et monScene VI.[p.40] §
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Scene VII. §
Severe.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Fin du troisiéme Acte.
Acte IV. §
Scene premiere. §
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Scene II. §
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Virginie.
Appius.
Scene III. §
Scene IV. §
Virginie.
Icile.
Virginie.
Icile.
Icile.
Virginie.
Virginie.
Icile.
Virginie.
Scene V. §
Icile.
Appius.
Icile.
Appius.
Icile.
[p. 53]Virginie.
Appius.
Virginie.
Icile.
Scene VI. §
Appius seul.
Scene VII. §
Clodius.
Appius.
Clodius.
Appius.
Fin du quatriéme Acte.
Acte V. §
Scene premiere. §
Plautie.
Pison.
Plautie.
Pison.
Plautie.
Scene II. §
Virginie.
Plautie.
Plautie.
Virginie.
Le Tyran sans égard pour saVirginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Scene III. §
Plautie à Clodius.
Clodius.
Plautie.
Virginie.
Plautie.
Pison en l’arrestant.
Scene IV. §
Plautie.
Scene V. §
Severe.
Scene VI. §
Icile.
Plautie.
Icile.
Icile.
Scene VII. et derniere. §
Plautie à Icile.
Camille.
Icile.
Icile.
Camille.
Plautie.
Camille.
Icile.
Camille.
Camille.
Icile.
Fin.
EXTRAIT DU PRIVILEGE Du Roy. §
Par grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 29. Mars 1683. Signé, Par le Roy en son Conseil, Du Gone : et Scellé. Il est permis à Estienne Lucas, Marchand Libraire à Paris, de faire imprimer une Tragedie, intitulée Virginie, composée par le Sieur * * * : Et deffenses sont faites à toutes sortes de personnes de l’imprimer, vendre ny debiter pendant le temps de six années, à commencer du jour qu’elle sera achevée d’imprimer, à peine d’amende arbitraire, et autres peines portées par ledit Privilege.
Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris le 8me. Avril 1683 suivant l’Arrest du Parlement du 8. Avril 1653. et celuy du Conseil Privé du Roy du 27. Février 1665.
Signé, Cangot, Syndic.
Achevé d’imprimer la premiere fois le dernier Avril 1683.
Glossaire §
Annexe 1
[Preface313.] §
On m’a pressé pendant longtemps de consentir à une nouvelle Impression de mes Tragedies. Je m’en suis deffendu jusqu’à present. Les occupations que j’ay, bien differentes de celles du Parnasse, m’ont presque ôté le goust de ces dernieres, & ne m’ont pas laissé depuis six ans un seul jour de relâche pour y penser. Cependant j’esperois toujours de trouver un temps favorable, & quelque intervalle dont je pourrois profiter, pour revoir mes sept Poëmes314 avec soin, y faire quelques corrections & quelques changements ; & même pour en mettre deux autres que j’ay composez, & qui n’ont point parû sur le Theatre en estat d’estre donnez au Public. Comme ce temps n’est point encore venu, je me suis lassé de l’attendre, & j’ay cedé aux instances qu’on m’a faites. Si bien que j’ay permis qu’on travaillast même pendant mon absence à l’Impression qu’on me demandoit. Elle en sera sans doute beaucoup moins correcte ; mais il n’y avoit pas moyen de faire autrement, & d’accorder ce qu’on desiroit de moy.
J’avois d’abord résolu de faire une Préface dans les formes : mais outre, comme je l’ay déja dit, que je ne suis pas le maistre du temps qu’il y faudroit employer, j’ay jugé qu’elle seroit assez inutile. Qu’aurois-je fait, que la remplir de reflexions sur la Poëtique, que la plûpart des gens n’entendent pas, & de tant de façons, qu’elles ne peuvent qu’ennuyer ceux qui les entendent ? Je me contenteray donc de dire un mot en particulier de chacune des sept Tragedies qui sont contenues dans ce volume.
Virginie.
J’estois si jeune, lorsque je composay cette Tragedie, que je me suis toûjours estonné comment j’avois eu la temerité de la commencer, & la force & le bonheur de la finir. Son succés, quoique mediocre, ne me donna pas lieu de me rebuter du Theatre. Le sujet est tiré de l’Histoire Romaine. Tout en est vray, & il n’y a point de Personnage Episodique. Personne n’ignore que le crime d’Appius, & la mort de Virginie, furent cause que le gouvernement fut changé dans Rome, & que la puissance des Decemvirs y fut abolie. Tous ceux qui ont écrit l’Histoire de la Republique & de l’Empire Romain, rapportent ce grand evenement, mais particulierement Tite-Live, vers la fin du troisiéme livre de la premiere Decade
Annexe 2 : récit de la mort de Virginie par Tite-Live §
L’autre action détestable qui suivit celle là315 fut commise dans la Ville, et fut un effect de lubricité, dont l’evenement ne fut pas moins funeste que l’infortune de Lucrèce, qui chassa les Rois de la Ville, et tout ensemble du throsne par son violement, et par sa mort. Ainsi afin que les Decemvirs eussent non seulement la mesme fin que les Rois, mais que la mesme cause leur fist perdre la puissance et l’authorité, Ap. Claudius devint si passionnement amoureux d’une fille d’entre le Peuple, qu’il se resolut de l’avoir de force. Le pere de cette fille s’appelloit L. Virginius, et tenoit un rang honnorable dans l’armée d’Algide. C’estoit au reste un homme juste, et de bon exemple dans la paix et dans la guerre. Sa femme avoit les mesmes qualitez, et leurs enfans avoient esté fort bien eslevez. Ils avoient promis leur fille à L. Icilius, qui avoit été Tribun, homme violent, et qui avoit desja monstré son zele pour la cause et pour le party du Peuple. Appius voyant donc cette fille desja grande, et avec une beauté accomplie, passionné d’amour pour elle, s’efforça premierement de la gagner par des presens et par des promesses. Et enfin ayant recognu que la pudicité de cette fille estoit une garde fidelle qu’il ne pourroit jamais corrompre, il resolut de l’avoir de force et d’user de violence. Il donna charge à M. Claudius l’un de ses Partisans de la demander en Justice comme son esclave et de contester fortement contre ceux qui demanderoient que durant la cause elle fust mise en liberté, s’imaginant qu’il viendroit facilement à bout de son entreprise detestable, parce que son pere estoit absent. Comme cette fille venoit dans la place, car il y avoit là des escholes où l’on apprenoit à escrire et à lire, ce ministre de la lubricité du Decemvir jetta les mains sur elle, et dit qu’elle estoit née de son esclave, et que par consequent elle estoit aussi esclave. Ainsi il luy commanda de le suivre, ou qu’autrement il l’emmeneroit de force. A ce discours cette pauvre fille s’estonna, et [p. 167] quantité de monde accourut aux cris que fit sa nourrice, qui imploroit l’assistance et la protection du Peuple. On fait resonner en mesme temps les noms de Virginius son père, et celuy d’Icilius son fiancé, qui estoient des noms agreables à la Multitude : Et comme ils estoient cognus de tout le monde, le respect qu’on avoit pour eux, et l’indignité de cette action gaignerent pour cette fille les esprits et la recommandation de tous les assistans. Elle estoit desja comme à couvert de la violence, lors que celuy qui la demandoit comme son esclave, dit à l’Assemblée qu’il n’estoit pas besoin que le Peuple s’émeut, parce qu’il ne vouloit rien faire par la force, mais toutes choses par la Justice. Aussi tost il appelle en jugement cette fille, qui fut persuadée à le suivre par les personnes qui estoient presentes. On alla devant le Tribunal d’Appius. Le demandeur expose son affaire devant un Juge qui sçavoit toute la piece ; il se plaint devant Appius qui en estoit l’autheur, et le principal acteur, que cette fille estoit née en sa maison, qu’elle en avoit esté dérobée secrettement et transporté en celle de Virginius, où elle avoit esté supposée pour sa fille ; Qu’il produiroit de bons témoins de ce qu’il disoit, et qu’il le prouveroit au jugement mesme de Virginius, qui avoit le principal interest en cette injure ; mais qu’il estoit juste cependant qu’une esclave suivist son maistre. Les Advocats de la fille remonstrent que son pere estoit absent pour le service de la Republique ; qu’il reviendroit dans deux jours si on luy en donnoit avis ; Qu’il estoit injuste qu’on assaillist un pere en son absence sur l’estat de ses enfans ; Que partant ils demanderoient que la chose fust laissée en son entier jusqu’à l’arrivée de Virginius ; Que suivant la Loy qu’il avoit faite luy-mesme, il ordonne que cette fille sera laissée en liberté jusqu’à ce temps-là, et qu’il ne souffre pas qu’une fille desja en age d’estre mariée, coure fortune de son honneur plutost que de sa liberté. Appius fit un long discours devant que de rendre son jugement. Il dit entre autre choses que la Loy dont les amis de Virginius faisoient un pretexte à leur demande, témoignoit assez clairement combien il favorisoit la cause de la liberté. Qu’au reste il seroit tousjours le deffenseur et l’appuy de cette Loy, pourveu qu’elle ne puisse varier par la qualité des personnes, ou par les circonstances des choses. Car pour ce qui concerne les autres filles que l’on maintient estre libres, comme chacun peut agir par la Loy, il faut seulement faire droit à ceux qui sont interressez. Mais pour ce qui regarde celle qui est sous la puissance d’un pere, il n’y a personne que luy à qui le maistre en doive ceder la possession. Que partant il veut bien qu’on fasse venir le pere, sans toutesfois que cela puisse prejudicier à celuy qui la redemande comme esclave, et l’empesche d’emmener la fille, pourveu qu’il promette de la representer à l’arrivée de celuy qui se dit son pere. Il y eut beaucoup de monde qui murmura contre l’injustice de cet arrest, mais personne n’eut la hardiesse de se presenter pour le contredire. Cependant P. Numitorius oncle de la fille, et Icilius son fiancé arriverent, et se firent faire place au travers de la multitude, qui les laissa librement passer. Tout le monde crut que par l’arrivée principalement d’Icilius on pourroit resister à Appius ; mais aussi-tost un licteur vint dire que l’affaire estoit jugée, et repoussa Icilius malgré ses protestations et ses cris. Certes cette injure [p. 168] estoit si grande, qu’elle eust pû mettre en furie le plus moderé de tous les hommes. Il faut, dit-il, Appius, que tu me fasse sortir de devant toy à coups d’espée, afin que tu obtiennes en secret ce que tu veux tenir caché. Je dous espouser cette fille, et je dois l’espouser pudique et sage. Fay donc si tu veux assembler tout les Licteurs et les satellites de tes Collegues ; commande qu’on prepare les verges et les haches ; mais asseure-toy que la fiancée d’Icilius ne demeurera point en d’autre maison qu’en la maison de son pere. Non certes elle n’ira point autre part, encore que vous ayez osté à la Multitude les deux plus fortes deffenses de la liberté, la protection des Tribuns, et la faculté d’appeler devant le Peuple, et que par ce moyen vous ayez donné un empire à vos convoitises sur nos enfans, et sur nos femmes. Exercez vos barbaries sur nostre dos, et contre nos testes ; mais qu’au moins la pudicité demeure en asseurance parmy nous. Si on fait quelque violence à cette fille, j’imploreray pour mon espouse le secours du peuple Romain ; Virginius, l’assistance des soldats pour sa fille unique ; et tout le monde avec nous l’aide des Dieux et des hommes ; et jamais vostre jugement ne s’executera qu’on ne m’ait arraché la vie. Je vous conjure Appius, de considerer ce que vous allez entreprendre. Quand Virginius sera venu il verra ce qu’il doit faire de sa fille ; Et je veux bien qu’il sçache qu’il doit luy chercher un autre party, s’il consent qu’elle demeure entre les mains de celuy qui pretend qu’elle est son esclave. Cependant je perdray plutost la vie que d’abandonner ma fiancée, où l’on attaque sa liberté. Le Peuple murmuroit desja, et il y avoit apparence que le bruit deviendroit plus grand : Car les licteurs enveloppoient desja Icilius, et neanmoins on ne passa point les menaces. Appius remonstroit, que la deffense de cette fille n’estoit qu’un pretexte que prenoit Icilius ; Que c’estoit un seditieux qui ne tendoit qu’au Tribunat, et qui taschoit par ce moyen d’ouvrir la porte à quelque sedition, mais que pour ce jour-là il ne luy en donneroit point de sujet. Que neantmoins il vouloit bien luy apprendre que ce n’estoit pas son insolence, mais la consideration de Virginius, et le respect du nom de pere, et de la liberté attaquée, qui l’obligeroient de suspendre son jugement ; que par cette raison il ne prononceroit rien pour cette journée, et qu’il prioit Claudius de relascher de son droit, et de consentir que cette fille demeurast en liberté jusqu’au lendemain. Que si le pere ne revenoit en ce temps-là, il tesmoigneroit à Icilius et à ses semblables, que la Loy ne manquoit pas de deffenseur, ny le Decemvir de resolution et de courage ; Qu’au reste il n’appelleroit point à son secours les Licteurs de ses Collegues, pour reprimer les autheurs de la sedition, et qu’il se contenteroit des siens pour les ranger à leur devoir. Ce delay ayant esté accordé, et les Advocats de la fille s’estans retirez, on resolut premierement d’envoyer à la porte de la Ville le frere d’Icilius, et le fils de Numitorius, jeunes hommes vigilants et actifs, afin d’aller de là au camp avec toute la diligence qu’ils pourroient, pour en faire venir Virginius ; parce que le salut de la fille dépendoit du prompt retour de celuy qui devoit maintenir sa liberté. Ils firent donc ce qui leur avoit esté enjoint, et porterent promptement cette mauvaise nouvelle à Virginius. Cependant celuy qui pretendoit que la fille estoit son esclave, presse Icilius, et luy demande caution. Icilius répond qu’il estoit prest de luy satisfaire, taschant par ce moyen de gaigner du temps, afin que ses couriers eussent loisir d’avancer, et d’aller au camp. Aussi-tost le [p. 169] Peuple leve les mains de tous costez, et chacun se monstre prest à se rendre caution pour Icilius, qui répondit les larmes aux yeux : Je vous rend graces, dit-il, nous nous servirons demain de vostre faveur, mais pour aujourd’huy nous avons assez de caution. Ainsi la miserable Virginie fut remise en liberté à la caution de ses parens. Quant à Appius, il demeura quelques temps encore en son siege, de peur qu’on ne crust qu’il ne fust venu à l’audience que pour cette affaire ; mais voyant que toutes les autres cessoient par le trouble où l’on estoit de celle-cy, il se retira en sa maison, et escrivit à ses Collegues qui estoient au camp, qu’ils ne donnassent pas à Virginius son congé, et qu’au contraire ils le missent en bonne garde. Mais ce detestable avis fut receu trop tard. Virginius avoit desja pris son congé, il estoit party dès le soir, et les lettres d’Appius touchant sa retention n’arriverent que le lendemain au matin. Aussi-tost qu’il fut jour toute la Ville s’assembla dans la place, en impatience du succez de cette affaire. Virginius revestu de tristes habits y amena sa fille en mesme equipage avec quelques Dames qui l’accompagnoient, et un grand nombre d’Advocats et de Partisans. Ainsi il va de part et d’autre parmy le peuple ; il embrasse tantost les uns et tantost les autres et les prie de luy donner secours, non pas comme une chose qu’il n’attendoit que de leur bonne volonté et de leur faveur, mais comme une chose qu’ils luy devoient ; Qu’il estoit tous les jours dans les armées et dans les batailles, pour la deffense de leurs enfans et de leurs femmes ; et qu’il s’en trouveroit peu qui eussent fait dans la guerre de plus grandes et de plus glorieuses actions ; Que luy servoit tout cela, si en un temps où la Ville estoit tranquille et sans apprehension des ennemis, il falloit que ses enfans endurassent les mesmes outrages qu’on pourroit apprehender des ennemis, s’ils l’avoient prise par assaut ? Il disoit à peu près ces choses à tout le monde qu’il abordoit. Icilius de son costé tenoit le mesme discours, mais les femmes dont ils estoient accompagnez touchoient bien plus l’Assemblée par leurs seules larmes, que n’eussent fait les plus fortes plaintes. Toutesfois comme Appius estoit plustost forcené qu’amoureux, et qu’une furie avoit plustost troublé son ame qu’une passion d’amour, il monta sur son Tribunal, avec un esprit inexorable. Alors le demandeur se plaignit en peu de paroles, que les brigues et la faveur avoient empesché le jour precedent qu’on eust esgard à son bon droict, et qu’on ne luy rendist Justice. Mais devant qu’il eust achevé sa demande, et que Virginius eust eu le temps de répondre, Appius l’interrompit et prit la parole. Peut-estre que les anciens Autheurs avoient laissé par escrit le discours qu’il fit avant que de prononcer son arrest pour luy donner quelque couleur ; mais parce que je ne trouve rien de vray-semblable pour un arrest si infame, il me semble que je doy dire nuëment, et sans aucune affectation, ce que l’on sçait de cette histoire ; Qu’Appius ordonna que le demandeur retiendroit cette fille comme son esclave. D’abord tout le monde demeura estonné d’un jugement si injuste et si horrible, et l’on demeura quelque temps sans dire mot. Enfin comme Claudius se preparoit pour se saisir de Virginie, qui estoit au milieu des Dames qui l’avoient accompagnée, et qui jetterent toutes ensemble un grand cry à l’instant qu’il [p. 170] voulut la prendre, alors Virginius son pere tendant les mains vers Appius, Appius, dit-il, j’ay accordé ma fille à Icilius, et non pas à toy, et je l’ay nourrie pour estre mariée quelque jour, et non pas pour estre deshonorée. Veux-tu comme les bestes assouvir tes convoitises indifferemment de tous costez ? Je ne sçay pas si ce Peuple endurera cette indignité ; mais je ne pense pas que ceux qui ont les armes à la main se disposent à la souffrir. Lorsque celuy qui la vouloit reprendre comme son esclave, en eust esté empesché par les femmes, et par les Advocats qui l’environnoient, le Crieur public fit faire silence, et le Decemvir comme aliené de son esprit par la furie de son amour, commença à dire, Qu’on avoit fait toute la nuict des assemblées et des factions pour exciter une sedition dans la Ville ; et que non seulement il l’avoit conjecturé par les paroles insolentes qu’Icilius avoit dites le jour precedent et par la violence de Virginius, dont il avoit pour tesmoin le Peuple Romain, mais qu’il l’avoit encore appris par plusieurs autres temoignages que l’on ne pouvoit contredire. Que sçachant bien la contestation et le desordre qui se devoit faire, il estoit venu dans la place avec des gens armez, non pas pour troubler le repos de ceux qui demeuroient dans le devoir, mais pour chastier les perturbateurs de la tranquillité publique, selon la puissance que sa charge luy en donnoit. Et partant, dit-il, il vous sera plus avantageux de ne point remuer, et de vous tenir dans vostre devoir. Va Licteur, va fendre la presse, et fay le chemin à un Maistre pour aller reprendre son esclave. Après qu’il eut fulminé ces paroles en furie, la Multitude s’ouvrit d’elle-mesme, et cette miserable fille demeuroit comme une proye abandonnée à la brutalité. Alors Virginius se voyant privé de l’esperance de tout secours, Appius, dit-il, je vous supplie premierement de pardonner à la juste douleur d’un pere, si j’ay avancé contre vous quelque chose de trop libre et de trop hardy ; Et en suite permettez moy devant cette fille d’interroger sa nourrice, pour sçavoir la vérité, afin que si c’est à faux que je suis appellé son pere, je m’en retourne de ce lieu avec moins de douleur et de tristesse. Cette permission luy fut donnée, il tire donc à part et la fille et la nourrice, vers les boutiques qui sont proches du temple de Cloacine, et qui sont aujourd’huy appellées les boutiques Neusves. Là ayant pris le cousteau d’un boucher, Ma chere fille, dit-il, voilà le seul moyen par lequel je puis sauver ton honneur, et conserver ta liberté. En mesme temps il luy porte le cousteau dans le cœur, et se tournant vers le Tribunal d’Appius ; Je devouë, dit-il, je devouë par ce sang toy et ta teste. Il se fit un grand bruit à cette épouvantable action. Appius commanda qu’on se saisist de Virginius, mais de quelque costé qu’il allast, il se faisait faire passage avec le cousteau qu’il tenoit ; et en fin comme il estoit encore deffendu par la Multitude qui le suivoit, il arriva à la porte de la Ville. Cependant Icilius et Numitorius levent le corps de la fille, l’exposent aux yeux du Peuple, detestent le crime d’Appius, et déplorent la beauté malheureuse de Virginie, et la necessité où son pere avoit esté reduit. Les femmes qui suivoient le corps crioient hautement ; Est-ce à cette condition qu’on doit mettre des enfans au monde ? Est-ce là le prix et la récompense de la chasteté ? Enfin elles disoient toutes les autres choses que le ressentiment et la douleur peuvent en pareille occasion suggerer aux femmes, qui estant moins fortes contre les [p. 171] afflictions et les tristesses, en sont néanmoins plus capables d’exciter par leurs plaintes de la commiseration et de la pitié. Mais les cris de tous les hommes, et principalement d’Icilius, ne parloient que du restablissement de la puissance des Tribuns qu’on avoit abolie, que de la faculté d’appeller au Peuple qu’on avoit ostée ; et toutes les voix qu’on entendoit partoient de l’indignation publique. Ainsi la Multitude s’émeut en partie par l’enormité de ce crime, et en partie par l’esperance de recouvrer sa liberté.
Annexe 3 : registre journalier de la Comédie-Française §
Vendredi 12 Février 1683 | Virginie | ||
Théâtre et Balcons : | 60 | billets à 5 livres 10 sols | : 330 livres |
Premières Loges : | 26 | billets à 5 livres 10 sols | : 143 livres |
Une loge de 44 et deux billets | : 55 livres | ||
Secondes loges : | 56 | billets à 3 livres | : 168 livres |
Troisièmes loges : | 17 | billets à 30 sols | : 25 livres 10 sols |
Parterre : | 139 | billets à 30 sols | : 208 livres 10 sols |
Reçu en tout | : 930 livres | ||
Parts d’auteur chacune de | 45 | livres font | : 90 livres |
Dimanche 14 Février 1683 | Virginie | ||
Théâtre et Balcons : | 60 | billets à 5 livres 10 sols | : 330 livres |
Premières Loges : | 27 | billets à 5 livres 10 sols | : 148 livres 10 sols |
Trois loges de 44 et deux billets | : 133 livres | ||
Secondes loges : | 95 | billets à 3 livres | : 285 livres |
Troisièmes loges : | 28 | billets à 30 sols | : 42 livres |
Parterre : | 109 | billets à 30 sols | : 163 livres |
Reçu en tout | : 1101 livres | ||
Parts d’auteur chacune de | 54 | Livres 10 sols font | : 109 livres |
Mardi 16 Février 1683 | Virginie | ||
Théâtre et Balcons : | 20 | billets à 5 livres 10 sols | : 110 livres |
Premières Loges : | 14 | billets à 5 livres 10 sols | : 77 livres |
Une loge de 44 | : 44 livres | ||
Secondes loges : | 42 | billets à 3 livres | : 126 livres |
Troisièmes loges : | 2 | billets à 30 sols | : 3 livres |
Parterre : | 71 | billets à 30 sols | : 106 livres 10 sols |
Reçu en tout | : 466 livres 10 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 19 | livres 10 sols font | : 39 livres |
Jeudi 18 Février 1683 | Virginie | ||
Théâtre et Balcons : | 60 | billets à 3 livres | : 180 livres |
Premières Loges : | 36 | billets à 3 livres | : 108 livres |
Une loge de 44 | |||
Secondes loges : | 127 | billets à 1 livre 10 sols | : 190 livres 10 sols |
Troisièmes loges : | 13 | billets à 1 livre | : 13 livres |
Parterre : | 268 | billets à 15 sols | : 201 livres |
Reçu en tout | : 692 livres 10 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 32 | livres font | : 64 livres |
Samedi 20 Février 1683 | Virginie et La Comtesse d’Escarbagnas | ||
Théâtre et Balcons : | 70 | billets à 3 livres | : 210 livres |
Premières Loges : | 18 | billets à 3 livres | : 54 livres |
Une loge de 33 | : 33 livres | ||
Secondes loges : | 124 | billets à 1 livre 10 sols | : 186 livres |
Troisièmes loges : | 12 | billets à 1 livre | : 12 livres |
Parterre : | 335 | billets à 15 sols | : 251 livres 5 sols |
Reçu en tout | : 746 livres 5 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 34 | livres 5 sols font | : 68 livres 10 sols |
Lundi 22 Février 1683 | Virginie et La Comtesse d’Escarbagnas | ||
Théâtre et Balcons : | 80 | billets à 3 livres | : 240 livres |
Premières Loges : | 47 | billets à 3 livres | : 141 livres |
Une loge de 33 | : 33 livres | ||
Secondes loges : | 126 | billets à 1 livre 10 sols | : 189 livres |
Troisièmes loges : | 10 | billets à 1 livre | : 10 livres |
Parterre : | 279 | billets à 15 sols | : 209 livres 5 sols |
Reçu en tout | : 822 livres 5 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 39 | livres font | : 78 livres |
Mercredi 24 Février 1683 | Virginie et Le Mariage forcé | ||
Théâtre et Balcons : | 105 | billets à 3 livres | : 315 livres |
Premières Loges : | 80 | billets à 3 livres | : 240 livres |
Deux loges de 33 | : 66 livres | ||
Secondes loges : | 208 | billets à 1 livre 10 sols | : 312 livres |
Troisièmes loges : | 42 | billets à 1 livre | : 42 livres |
Parterre : | 475 | billets à 15 sols | : 356 livres 5 sols |
Reçu en tout | : 1331 livres 5 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 67 | livres font | : 134 livres |
Vendredi 26 Février 1683 | Virginie et Le Mariage forcé | ||
Théâtre et Balcons : | 108 | billets à 3 livres | : 324 livres |
Premières Loges : | 80 | billets à 3 livres | : 240 livres |
Une loge de 33 | : 33 livres | ||
Secondes loges : | 243 | billets à 1 livre 10 sols | : 364 livres 10 sols |
Troisièmes loges : | 29 | billets à 1 livre | : 29 livres |
Parterre : | 371 | billets à 15 sols | : 278 livres 5 sols |
Reçu en tout | : 1268 livres 15 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 63 | livres 15 sols font | : 127 livres 10 sols |
Dimanche 28 Février 1683 | Virginie et Georges Dandin | ||
Théâtre et Balcons : | 100 | billets à 3 livres | : 300 livres |
Premières Loges : | 84 | billets à 3 livres | : 252 livres |
Une loge de 33 | : 33 livres | ||
Secondes loges : | 236 | billets à 1 livre 10 sols | : 354 livres |
Troisièmes loges : | 56 | billets à 1 livre | : 56 livres |
Parterre : | 458 | billets à 15 sols | : 343 livres 10 sols |
Reçu en tout | : 1338 livres 10 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 67 | livres 10 sols font | : 135 livres |
Mardi 1er Mars 1683 | Virginie et Le Semblable à soy mesme | ||
Théâtre et Balcons : | 40 | billets à 3 livres | : 120 livres |
Premières Loges : | 11 | billets à 3 livres | : 33 livres |
Secondes loges : | 67 | billets à 1 livre 10 sols | : 100 livres 10 sols |
Troisièmes loges : | 7 | billets à 1 livre | : 7 livres |
Parterre : | 189 | billets à 15 sols | : 141 livres 15 sols |
Reçu en tout | : 402 livres 5 sols | ||
Parts d’auteur chacune de | 15 | livres 10 sols font | : 31 livres |
Annexe 4 §
Tableau de fréquence des répliques §
Personnage | Scènes | Répliques | Vers |
Appius | 13 | 44 | 373 |
Virginie | 15 | 45 | 360 |
Plautie | 16 | 46 | 311 |
Icile | 8 | 34 | 267 |
Clodius | 7 | 19 | 165 |
Camille | 15 | 8 | 79 |
Severe | 7 | 5 | 52 |
Fulvie | 16 | 2 | 12 |
Pison | 12 | 3 | 12 |
Fabian | 5 | 1 | 3 |
Tableau de présence des personnages §
Acte I | Acte II | Acte III | Acte IV | Acte V | |||||||||||||||||||||||||||
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | |
Appius | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||||
Virginie | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||
Plautie | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||||||
Icile | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||||||||
Clodius | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||||||||||
Camille | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||
Severe | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||||||||||
Fulvie | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||||||
Pison | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||||||||||
Fabian | X | X | X | X | X | ||||||||||||||||||||||||||
Gardes | X | X | X | X | X |