À BON CHAT BON RAT
COMÉDIE.
DIXIÈME PROVERBE.

M. DCC. LXXI. Avec Approbation et Privilège du Roi.

de CARMONTELLE.

. §

 

À Paris, chez Sébastien JORRY, vis à vis le Comédie Française, chez Le JAY, rue Saint Jacques, près celle des Mathurins.

PERSONNAGES §

  • MADAME SAVON, blanchisseuse.
  • SUZETTE, sa fille, coiffeuse.
  • MADAME LAIGUILLE, tante de Suzette, couturière.
  • MONSIEUR THÉRIAQUE, apothicaire.
  • MONSIEUR FOULON, chapelier.
  • MADAME FOULON.
  • FOULONET, leur fils, amant de Suzette.
  • MONSIEUR LA PLUME, écrivain public.
  • MADAME ROGNON, gargotière.
  • GILLES, valet de Mme Savon.
  • UN NOTAIRE.
  • UN GARÇON ROTISSEUR.
  • UN SAVOYARD.
La scène est à Paris chez Mme Savon. Le théâtre représente une grande chambre, avec une table dans le fond.

SCÈNE I. §

GILLES, seul, mettant les couverts.

Voyons t’un peu si je n’oublions rien : v’là ici la place le m’ame Savon, là au beau mitan, entre le marié et la nariée : ici, c’est Monsieur Thériaque, le compère, et pis en face, vis-à-vis de lui, la commère m’ame Laiguille ; à l’autre bout, le père et la mère du futur, et pis moi... Oh ! Moi, j’irons et je viendrons... Oui-da, v’là qu’est ben symétrique comme ça. I’ne manque que le fricot. Ah ! Gilles, mon ami, comme tu vas t’en donner ! Je crains tant seulement d’attraper zune indigestion : quand zon n’est pas stylé à manger tout son soûl, y a du risque. Ah ! Morguenne ! Aussi pourquoi qu’un jour de noce ne revient pas trois fois par semaine ?

SCÈNE II. Monsieur La Plume, Gilles. §

LA PLUME.

Bonjour, Gilles, te voilà bien occupé !

GILLES.

Et vous, morgue ! Vous v’là ben arrivé ! Jarniguoi ! Qu’ous avez le nez fin !

LA PLUME.

Je viens souhaiter la bonne année à ma voisine et à mam’selle sa fille.

GILLES.

Ah ! Sainte Opportune, queue défaite ! Et au festin de la noce, est-ce que vous ne l’i souhaiterez rien ?

LA PLUME.

C’est donc aujourd’hui le grand jour pour Suzette ?

GILLES.

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Ah ! Dame oui, i’n’y a pus à barguigner : c’est aujourd’hui qu’il faut en découdre.

LA PLUME.

Es-tu bien sûr de ça, Gilles, que ça soit aujourd’hui ?

GILLES.

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Plus sûr que de mon père, voyez-vous. Eh ! Jarni ! Regardez donc c’te table. Crayez-vous que m’ame Savon se mette en dépense pour rien ? I’ gn’y a, morgue ! Pas de saint dans l’année qui la mette en ribote comme ça, n’était c’ti-là du mariage.

LA PLUME.

Ainsi donc, mon cher Gilles, tu es sûr que mam’selle Suzette se marie aujourd’hui ?

GILLES.

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Ah ! Jarniguoi ! Vous me feriez tourner la tête, avec vos croyances du oui ou du non : je vous disons encore un coup que mam’selle, pisque m’ainselle y a, sera madame ce soir, à moins que le diable ne s’en mêle.

LA PLUME, ricanant.

Eh bien ! Il s’en mêlera ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

GILLES.

Comment ! Y s’en mêlera !

LA PLUME.

Oui, mon ami, hi ! Hi ! Hi ! Hi !

GILLES.

Ah ! çà, ne badinez pas, monsieur de La Plume ; est-ce que vous auriez queuque tripotage ensemble, queuque ?...

LA PLUME, riant.

Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

GILLES.

Ah ! Me v’là ben savant avec vos risées !

LA PLUME.

Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Rira bien qui rira le dernier.

GILLES.

Eh ! Morgue ! Contez-moi donc ça : j’aimerions autant qu’on ne nous disît rien que de nous rien apprendre.

LA PLUME.

Écoute-moi, Gilles, et promets-moi le secret : je te dirai tout ; aussi bien j’aurais besoin de toi pour glisser queuque mot à mam’selle Suzette.

GILLES.

Dites toujours : je vous promets de garder le silence à bouche que veux-tu.

LA PLUME.

Je t’ai déjà fait confidence que j’aimais m’amselle Suzette, mais tu m’as dit qu’elle était promise à Foulonet, et ce mariage a été si précipité que je n’ai pas eu le temps de trouver les moyens de l’empêcher...

GILLES.

Eh ben ! I’ se fera donc, comme ça ?

LA PLUME.

Écoute-moi, tu vas voir.

GILLES.

Ah ! Voyons, voyons.

LA PLUME.

4

Foulonet avait promis mariage à une autre fille avant Suzette, qui s’appelle tout comme elle, et ce matin il leur a écrit à toutes les deux, pour leur envoyer des étrennes. Il m’est venu trouver à mon bureau pour ça. Ne t’inquiète pas, Gilles, quand la lettre de Suzette va venir, tu verras de la besogne bien faite, va.

GILLES.

Ah ! Ventregué ! Queue manigance ! Contez-moi donc ça de fil en aiguille.

LA PLUME.

Tais-toi, voilà Madame Savon avec sa fille, je te conterai tout ça une autre fois : je vas leux faire non compliment.

SCÈNE III. Les Précédents, Madame Savon, Suzette endimanchée. §

MADAME SAVON, à Suzette.

Allons donc, Suzette, tiens-toi donc : t’as un air gauche. Est-ce qu’on se laisse aller somme ça un jour de noce, donc ? T’as l’air d’un lendenain.

LA PLUME.

Madame Savon, je vous présente bien mes petits respects. En qualité de voisin je viens vous la souhaiter bonne et heureuse, ainsi qu’à m’amselle Suzette, accompagnée de plusieurs autres, et de la santé par-dessus tout.

MADAME SAVON.

Ben obligée, monsieur. Dame ! Suzette, v’là qu’est tourné : on voit ben que monsieur za la plume en main.

SUZETTE.

Vraiment, ma mère, c’est que monsieur est versé dans l’écriture.

LA PLUME.

Ah ! Mademoiselle, quand on voit des personnes comme vous et Madame votre mère, il est ben facile d’être versé dans la politesse.

MADAME SAVON.

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Tredame, ma fille, v’là qui nous surpasse.

GILLES.

Pardine ! Oui, c’est le proverbe : dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu fréquentes.

LA PLUME.

Madame Savon veut-elle bien recevoir ces deux fines oranges et permettre qu’on l’embrasse ?

MADAME SAVON.

Ah ! Monsieur, de tout mon coeur... Gilles, portez ces oranges-là dans l’aute chambre : vous les mettrez dessus la cheminée.

LA PLUME.

En voici deux autres pour m’amselle Suzette : veut-elle bien permettre aussi...

Il l’embrasse.

SUZETTE.

6

Comment donc, monsieur de La Plume, vous vous êtes mis en dépense ! Tiens, Gilles.

Elle lui donne les oranges.

GILLES.

Fouillez-vous donc, monsieur de La Plume : est-ce qu’il n’y en a pas pour moi aussi ?

MADAME SAVON.

Monsieur de La Plume, je ne savons comment vous remercier de vot’ politesse ; mais t’nez, c’est aujourd’hui le mariage de Suzette : j’allons faire la noce ici, faites-nous l’amiquié d’y rester. Vous êtes entendu, vous serez le garçon d’honneur ; pas vrai, Suzette ?

LA PLUME.

Madame, c’est bien de l’honneur pour moi.

SUZETTE.

Oh ! Monsieur, l’honneur sera pour nous.

GILLES.

Eh ! Morgue ! Y aura pus d’honneur dans tout ça que de profit.

SCÈNE IV. Les Précédents, M™adame Laiguille, Monsieur Thériaque. §

MADAME LAIGUILLE.

Eh ! Bonjour donc, ma commère ; bonjour, mon enfant.

MADAME SAVON.

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Ah ! V’là la commère, et Monsieur Thériaque, l’apothicaire de feu mon homme.

SUZETTE.

Bonjour, ma tante ; bonjour, monsieur.

THÉRIAQUE, embrassant.

C’est pour vous la souhaiter bonne et heureuse, commère, et vous, ma belle enfant.

MADAME LAIGUILLE.

Tenez, commère, v’là des dragées que je vous apporte.

MADAME SAVON.

Vous êtes ben bonne, commère... Prends tout ça, Gilles : ça servira pour le repas.

THÉRIAQUE.

Tenez, commère, voilà des marrons de Lyon, de la bonne faiseuse : je les ai commandés exprès pour vous.

MADAME SAVON.

Comme il est agréable, le compère ! Il a toujours le mot pour rire.

MADAME LAIGUILLE, s’écriant avec force.

Ah ! Mon Dieu ! Mon pauvre Gilles, cours donc bien vite...

GILLES, effrayé, laisse tomber les oranges.

Eh ! Jarniguoi ! Quoi que vous avez donc ?

SUZETTE.

Queu qu’c’est donc, ma tante ?

MADAME LAIGUILLE.

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Eh ! Mon enfant, nous causons là, et le fiacre qui est zà la porte !

THÉRIAQUE.

Ah ! Morbleu, je n’y pensais pus ! Tiens, Gilles, porte-lui ces vingt-quatre-sous-là.

Gilles sort.

MADAME SAVON.

Vous êtes donc venus ten carrosse?

MADAME LAIGUILLE.

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Hélas ! Oui, commère. Y a si loin de c’te porte Saint-Antoine ! I’semble qu’all’recule tous les jours.

THÉRIAQUE.

Et puis on danse aujourd’hui, il faut ben faire la fine jambe et le fin bas blanc.

MADAME SAVON.

Vantez-vous-en : j’espère ben que je danserons ensemble, compère.

THÉRIAQUE.

Mais ça se doit : j’ouvrirons le bal.

MADAME LAIGUILLE.

À propos de ça, tiens, Suzette, v’là zun petit présent de noce que je t’apporte.

SUZETTE.

Ben obligée, ma tante...

Elle défait le papier.

Ah ! Ma mère, c’est des rubans à l’anglaise.

MADAME SAVON, les prenant.

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Avec des devises, da ! C’est du galant ! Feu mon homme m’en donnait comme ça de couleur de rose, avec les fontanges pareilles : ça m’allait, dame ! Fallait voir ! Aussi le garçon d’honneur quand il prit la jarretière de la mariée... À propos, je t’avertis de ça, Suzette : faut te laisser faire.

THÉRIAQUE.

Ah ! Dame ! Oui ! Mam’selle. Ne vous inquiétez pas, je me charge de l’opération.

MADAME SAVON.

Eh ben ! Mais monsieur de La Plume, vous ne dites rien : vous êtes là comme une silence !

LA PLUME.

J’écoute, madame, j’écoute.

MADAME LAIGUILLE.

Je crois me remettre d’avoir vu monsieur queuque part.

LA PLUME.

Madame, c’est bien de l’honneur pour moi.

MADAME SAVON.

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Pardine ! C’est Monsieur de La Plume, qui a son bureau sous les Charniers, à trois pas de la boutique où c’qu’est ma fille.

THÉRIAQUE.

Ah ! Monsieur est un homme de lettres !

LA PLUME.

À votre service, Monsieur.

SUZETTE.

Ah ! Dame ! Oui, monsieur est un savant.

MADAME SAVON, lui présentant les jarretières.

Eh ben ! Dites donc un peu, monsieur de La Plume, queu qu’ ça veut dire c’te devise-là ?

MADAME LAIGUILLE.

Pardi ! C’est un coeur qui s’envole, et un chien qui court après.

MADAME SAVON.

Je le voyons ben ; mais l’énigme de ça ?

LA PLUME.

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Madame, on appelle ça un anglème : ça signifie la fidélité et la persévérance.

THÉRIAQUE.

Oui, ma foi, c’est bien trouvé.

MADAME SAVON.

Ah ! Dame, oui, v’là ce que c’est que l’esprit : c’est zune sentence.

SCÈNE V. Les Précédents, Gilles, Un Savoyard, portant une serviette en paquet. §

GILLES, annonçant.

De la part de Monsieur Foulonet, madame.

MADAME SAVON.

Ah ! C’est le valet de mon gendre. Entrez, mon ami.

LE SAVOYARD.

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Madame, je viens de la part de mon naître, qui dit comme ça qu’il vous souhaite une bonne année, ainsi qu’à mam’selle, et comme par lequel il vous envoie ces oranges-là pour vos étrennes, en attendant qu’il vienne lui-même vous apporter le présent de noce.

MADAME SAVON.

C’est fort ben, mon enfant ; dites à vot’ maître que je l’attendons tretous avec impatience... Gilles, emmène-le avec toi au cabaret du coin, où ce qu’on fait le repas, et fais-l’i boire un coup à not’ santé.

LE SAVOYARD.

Grand merci, madame ; pour qu’ail’soit meilleure, j’en boirons ben deux.

MADAME SAVON.

Gilles, ne t’éloigne pas, j’allons tavoir besoin de loi.

GILLES.

Eh ! Morgue ! Je n’ons garde : je ne sortirons pas du cabaret.

LE SAVOYARD, revenant.

Ah ! Tenez, mam’selle, v’là me letttre que mon maître m’a chargé de vous remettre.

Il s’en va.

SUZETTE.

Écoutez donc, faut-il zune réponse ?

LE SAVOYARD, revenant.

Une réponse ?...

GILLES, bas.

Eh ! Jarniguoi ! Si t’attends la réponse, n’y aura pus de quoi boire, viens toujours.

LE SAVOYARD.

Eh ben ! Je la prendrons en sortant du cabaret : vous n’avez qu’à la tenir prête.

Il s’en va avec Gilles.

SCÈNE VI. Monsieur Thériarque, Madame Savon, Madame Laiguille, Suzette, La Plume. §

SUZETTE, lisant.

Ah ! Ciel ! Ma mère !...

MADAME SAVON.

Que que t’as donc, mon enfant ? Te v’là toute comme une surprise !

SUZETTE.

Ah ! L’indigne ! Est-il possible !

MADAME LAIGUILLE.

De de quoi que c’est donc.

MADAME SAVON, lui arrachant la lettre.

Queu qu’ça dit donc, ce chiffon-là ? Voyons un peu, monsieur de Ls Plume, débrouillez-nous ça.

LA PLUME, lit.

« Mademoiselle, je profite de l’occasion de la nouvelle année, pour vous la souhaiter bonne et heureuse ; mais je suis trop honnête-homme pour vous laisser ignorer ce qui se passe...»

MADAME SAVON, interrompant.

Eh ben ! Qui donc qui se passe ?

LA PLUME, lit.

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« Je vous avertis que j’ai une inclination ailleurs...»

MADAME SAVON, interrompant.

Ah ! Le scélérat ! Queu noirceur !

LA PLUME lit.

« Je vous ai promis mariage, je ne suis plus en pouvoir de vous tenir parole...»

MADAME LAIGUILLE.

Tredame ! On peut ben l’y forcer.

MADAME SAVON.

Ah ! Vantez-vous-en que le chien n’ei sera pas quitte pour se dédire... Allez, monsieur de La Plume, continuez.

LA PLUME lit.

« Pour vous dédommager de la perte de mon coeur, je vous prie d’accepter cette douzaine d’oranges que je vous envoie... »

MADAME SAVON.

Ah ! Qu’elles t’égranglent, tes chiennes d’oranges, ailes mettraient la peste dans la maison. Lisez toujours, monsieur de La Plume.

LA PLUME lit.

« Au reste, quoique vous soyez ben aimable, vous n’étiez pas de compétence faite pour épouser le fils d’un chapelier. Votre serviteur, FOULONET. »

SUZETTE.

Ah ! Ma mère !

MADAME LAIGUILLE.

Ah ! Ciel ! Queu blasphème !

MADAME SAVON.

Le fils d’un chapelier ! Tredame ! V’là-t-il pas zune famille ben relevée donc ! Parce que son père étale des chapeaux retournés sous le petit Châtelet.

MADAME LAIGUILLE.

Eh pardine ! Si son père fait des chapeaux, ma nièce est coiffeuse, ça va de pair.

THÉRIAQUE.

Pour ça, oui. Madame valait ben monsieur.

SUZETTE.

Ah ! Ma tante ! Me faire un affront comme ça ! À une fille d’honneur !

MADAME SAVON.

Apparemment, c’est que t’en as trop pour lui. Jour de Dieu ! Qu’il ne se montre pas devant moi, car je l’étranglerais mort ou vif.

MADAME LAIGUILLE.

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Console-toi, va, ma nièce, si tu ne coiffes pas c’ti-là, t’en coifferas queuque autre.

MADAME SAVON.

Pardine ! Oui, que jeté voie pleurer pour un gueux comme ça ! As-tu peur d’en manquer ?

THÉRIAQUE.

Mam’selle n’est pas faite pour ça.

LA PLUME.

Assurément, et si mam’selle voulait, y a ici des personnes qui aimeraient ben mieux payer les violons pour leux compte que de voir danser les autres.

MADAME SAVON.

Tiens, v’là-t-il zune proposition qu’on e propose déjà ! Ah ! Va, va, pour un de perdu cent de •Retrouvés.

SCÈNE VII. Les Précédents, Monsieur et Madame Foulon. §

MONSIEUR FOULON.

Eh ! Bonjour, madame Savon.

Il vient pour l’embrasser.

MADAME FOULON, à Suzette.

Bonjour, mon enfant.

MADAME SAVON, repoussant M. Foulon.

Eh ! Mon Dieu ! Ne vous blessez donc pas. Vous êtes ben complimenteux dans la famille !

SUZETTE, repoussant Madame Foulon.

Laissez-moi, Madame.

Elle s’en va.

SCÈNE VIII. Les Précédents, excepté Suzette. §

MADAME FOULON.

Où va donc la petite ?

MADAME SAVON.

Au fait ben. All’ sent qu’ail’ n’est pas faite pour le fils d’un chapelier.

MONSIEUR FOULON.

Mais qu’avez-vous donc, madame Savon ?

MADAME LAIGUILLE.

Faut être ben traître pour venir encore embrasser les gens.

THÉRIAQUE.

Fi! cela n’est guère honnête !

MADAME FOULON.

Comment ! Mais que voulez-vous donc dire ?

MADAME SAVON, lui mettant les oranges dans son tablier.

Demandez-le à votre fils. En attendant, portez-l’i ses oranges, et recommandez-l’i ben de ne pas regarder ma porte en face, ou sinon je vous le repasserai, moi, votre fils de chapelier.

SCÈNE IX. Les Précédents, Des Garçons rotisseurs apportant des plats. §

UN GARÇON.

C’est-i pas ici cheux Mme Savon?

MADAME SAVON.

Eh ben ! Quoi que c’est ?

UN GARÇON.

C’est le repas de noce. Tout est prêt.

MADAME SAVON.

Tu te trompes, mon ami. Quiens porte-les cheux ce beau monsieur-là. Vois-tu sous le petit Châtelet, à gauche, à l’enseigne du Ben-Rotapé. C’est la noce de Monsieur son fils.

MONSIEUR FOULON.

Mais, madame Savon, perdez-vous la tête ?

MADAME SAVON.

Allez donc, monsieur, trop d’honneur ; vous avez oublié queuque chose chez vous. Vot’ fils vous dira l’mot du guet.

MADAME FOULON.

Ah ! Mon ami, vous ne voyez pas qu’on nous insulte. Allons-nous-en ou je vas me trouver mal ici.

MADAME SAVON.

Mais, vraiment, je ne vous y trouvons déjà pas ben. Allez, vous serez mieux dehors.

LE GARÇON.

Mais, Madame, où mettrai-je-t-i’ ces plats ?

MADAME SAVON.

Eh ! va-t’en au diable avec tes plats, cuisinier de malheur.

Elle le prend par un bras, le pousse et fait tomber un plat ; un gigot roule à terre.

THÉRIAQUE, la retenant.

Doucement, commère.

Au garçon.

Va-t’en , mon ami : tu vois bien qu’on n’en veut pas.

LE GARÇON, jetant le reste à terre.

Ma foi, le v’là toujours. Je m’en vais dire ça à Madame Rognon : vous vous arrangerez avec elle.

MADAME SAVON.

Attends,attends-moi ; je te vas conduire.

Les garçons s’en vont.

SCÈNE X. Les Précédents, excepté Les Garons. §

MADAME SAVON, à Foulon et à sa femme.

Eh ben ! Vous autres, est-ce que vous plantez là l’piquet ? Allez, allez tourner vos vieux chapeaux.

MONSIEUR FOULON.

Ah ! Madame Savon, voilà qui est trop ! Vous vous souviendrez de celle-là. Allons-nous-en, femme, allons-nous-en.

Ils sortent.

MADAME SAVON.

Bon voyage. Écoutez donc, si vous rentrez les violons, faites-vous jouer la conduite de Grê***le, ça vous égayera sur le chemin.

SCÈNE X.. Madame Savon, Monsieur Laiguille, Thériarque, La Plume. §

THÉRIAQUE.

Ma foi, Madame Savon, c’est affaire à |****]. Vous leux avez ben donné la monnaie de leur pièce.

MADAME LAIGUILLE.

La commère a raison : j’en aurais ben fait autant.

LA PLUME.

Oh ! Oui, ça valait ça.

SCÈNE XII. Les Précédents, Madame Rognon, Un Garçon. §

MADAME ROGNON.

Parlez donc, m’ame Savon, c’est-i’ du vrai qu’ous ne voulez pus du festin ?

MADAME SAVON.

Dame ! Vantez-vous-en. Que c’ti-là qui se marie le mange.

MADAME ROGNON.

Répétez-nous donc ça : je n’entendons pas de c’t’oreille-là.

MADAME SAVON.

C’est pourtant du clair : quand z’i gn’y a pas d’ noce, i’gn’y a pas de festin, p’t.-êt’.

MADAME ROGNON.

Tout ça m’est égal, à moi. Mon festin zest commandé : qu’on le mange ou non, faut qu’on l’paye.

MADAME SAVON.

Ah ! ça ne sera pas du vrai.

MADAME ROGNON.

Non-da.

À son garçon.

Écoute un peu François, je n’ons pas le temps de disputer : va-t’en me chercher un commissaire.

THÉRIAQUE.

Mais écoutez donc, madame Rognon faut être raisonnable, faut vivre avec les vivants. D’abord qu’on ne le mange pas, vous pourriez le reprendre, moyennant queuque bénéfice.

MADAME ROGNON.

Quiens ! Monsieur Jocrisse ! Eh ! Que bénéfice voulez-vous que j’y fasse ? Est-ce que ça aura de la vente ça ?

Elle ramassse le gigot qui est par terre.

Tenez v’ià-t-il pas un gigot qui a bonne mine!

LA PLUME.

Ah ! Si Mme Savon voulait, il y aura bien une manière d’arranger tout cela : il ne faudra renvoyer ni le repas ni les violons.

MADAME SAVON.

Eh ben ! Mais, voyons ; queu qu’i’ faudrait pour ça ?

LA PLUME.

Il ne faudrait dire qu’un mot.

THÉRIAQUE.

Qu’un mot ! Ça n’est pas la mer à boire.

MADAME LAIGUILLE.

Expliquez-vous donc, monsieur La Plume.

LA PLUME.

Tenez, madame Savon, l’occasion, comme a dit, fait le larron : j’aime mam’selle votre fille depuis longtemps, et je pourrais faire un bon parti pour elle. Le contrat, la noce et les violons sont commandés : si vous voulez me la donner en mariage, il n’y a que faire ne rien renvoyer, je payerai tout.

MADAME ROGNON.

Ah ! Dame, oui, v’là qu’est ben comode.

MADAME SAVON.

Monsieur de La Plume, v’là qui demande réflexion.

MADAME ROGNON.

Bon, réflexion ! Et le repas qui est tout chaud.

MADAME LAIGUILLE.

Ma foi, commère, si j’étais que de vous, je ne barguignerais pas : je prendrais Monsieur de La Plume au mot ; ça vengerait vot’ fille, et ce gueux de Toulonet en crèverait de dépit.

MADAME SAVON.

Qu’en pensez-vous, monsieur Thériaque ?

THÉRIAQUE.

Moi, je suis assez de c’t avis-là. En fait de mariage, il ne faut jamais faire venir l’eau à la cruche d’une fille pour rien.

MADAME SAVON.

Eh bien ! monsieur de La Plume, v’là c’est conclu : je vous prends pour mon gendre. Vous, commère, allez un peu disposer Suzette à c’te petite vengeance-là.

MADAME LAIGUILLE.

Oui, oui, laissez-moi faire : je vais sonder sur c’t article-là.

Elle s’en va dans l’autre chambre.

SCÈNE X.II. Les Précédents, excepté Mme Laiguille. §

LA PLUME.

Ah ! Madame, que je suis heureux d’être au monde !... Combien vous faut-il pour le repas, madame Rognon ?

MADAME ROGNON.

Tenez, à cause de l’occasion, je vous ferai bon marché.

THÉRIAQUE.

Dame ! Oui, c’est du hasard : il ne faut vendre ça comme neuf.

MADAME ROGNON.

Écoutez, parce que c’est vous, donnez-moi dix écus, et j’allons vous repasser ce gigot-là dans la sauce.

LA PLUME.

Tenez, v’là toujours quinze francs à compte. Faites-nous tenir les plats bien chauds. Il n’y a qu’un pas d’ici chez nous : je m’en vas vous chercher votre reste.

MADAME ROGNON.

Je suis t’a vos ordres : vot’ servante, messieurs et dames.

Elle sort.

SCÈNE XIV. Madame Savon, Thériaque, Le Plume. §

LA PLUME.

Et moi, madame Savon, en chemin faisant, je m’en vais passer chez le notaire et lui dire d’apporter le contrat.

MADAME SAVON.

Allez, monsieur de La Plume, pendant c’ temps-là j’allons couler ça à Suzette, et quand vous reviendrez, all’ sera prête. Venez-vous-en, monsieur Thériaque.

La Plume sort ; Madame Savon, et Thériaque entrent dans l’autre chambre.

SCÈNE XV. §

GILLES.

Quoi que ça signifie donc tout ça ? J’avons vu les garçons remporter le festin. Ah ! Morgue ! Queu crève-coeur ! Je nous verrions passer devant le nez un gueuleton comme c’ti-là, et je n’en aurions que la fumée !... Non jarniguoi ! ça ne se passera pas comme ça... C’est c’te chienne de lettre, tenez. Au diable soit M. de La Plume avec son invention, qui fait jeûner les gens. Je l’i avons promis le secret ; mais, morgue ! Je n’en savions pas la conséquence. Encore s’il donnait pourboire, là, queuque dédommagement; mais il ne sonne mot et l’on remporte les plats... Ah ! Jarnonbille ! J’allons tout découvrir à Madame Savon.

SCÈNE XVI. Foulonet, Gilles. §

FOULONET.

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Ah ! Mon ami Gilles, que je te trouve à pr•opos sous ma main. Dis-moi, queu qu’ Mme Savon veut donc dire ? Elle a chanté pouille à mon père, elle a dit des sottises à ma mère, et elle veut m’étrangler. Moi.

GILLES, à part.

Je l’avions ben dit : c’est la lettre Monsieur de La Plume.

FOULONET.

Réponds-moi, mon ami, et tire-moi de l’embarras, de l’inquiétude où le silence de ton obstination est capable de me plonger.

GILLES.

Écoutez, i’ ne tient qu’à moi de vous tirer tout ça zau clair.

FOULONET.

Ah ! Mon cher Gilles, achève. Tiens, prends ma bourse, prends ma fortune ; prends, mon ami. V’là le profit de ma dernière semaine. Prends-les, et donne-moi queuque consolation dans la douleur de mon affliction.

GILLES, prenant l’argent.

Ah ! Monsieur Foulonet, cet argent a les manières trop nobles : on n’y peut pas tenir, vous n’êtes pas fait pour être susplanté par un vilain chiffonneur de papier... Mais v’là mam’selle Suzette: je vais vous expliquer tout ça devant elle.

SCÈNE XVII. Foulonet, Suzetten Gilles. §

SUZETTE, sortant de l’autre chambre.

Non, c’est énutile ; je veux pus entendre parler de mariage.

FOULONET.

Ah ! Ma chère Suzette !

SUZETTE, le repoussant.

Comment, monsieur, vous avez la hardiesse d’avoir l’impudence...

GILLES.

Doucement, mem’selle doucement... Zun peu de sang-froid. Y a ici du quiproquo, et je venais pour vous débrouiller tout ça... Vous, monsieur, n’avez-vous pas t’écrit ce matin des lettres ?

FOULONET.

—Oui-da, Gilles ; mais comme il m’est survenu zun mal d’aventure au pouce, j’ai prié M. de La Plume de me les écrire.

GILLES.

Eh ben ! Monsieur, il vous a joué un tour pour faire rompre votre mariage.

FOULONET.

Oh ! Ciel ! Est-il possible que ça se puisse.

SUZETTE.

Tenez, monsieur, la v’là vot’ belle lettre. Lisez-la: vous y avez peut-être oublié queuque chose.

FOULONET, lisant.

Ah ! Queue trahison ! Il a changé l’adresse. C’te lettre n’était pas pour vous : c’est z’un congé que je donnais tà une autre personne pour ne conserver tout entier tà ma chère Suzette.

SUZETTE.

Zhélas ! Puis-je croire ce que vous me dites ?

FOULONET.

Que la foudre !... Que les éclairs !... Qu’un tremblement !... Que cinq cent mille diables !...

GILLES.

Eh ! Ne jurez pas, je réponds de tout... Ce La Plume m’est venu conter ça tout chaud... Mais, mais ! Queulle invention diabolique ! I’ faut, morgue ! Qui ait l’esprit pus noir que sa bouteille à l’encre.

FOULONET.

Quen scélérat ? Sa vie ne tient plus qi un fil !

Il tire l’épée.

SUZETTE.

Arrêtez, cher zamant !... Ne vous emportez pas tà des violences qui ne serviraient zà rien. Venez-voùs-en plutôt faire entendre raison à ma ch’ mère et toute ma famille qui est dans une colère de chien contre vous.

FOULONET.

Vous avez raison, ma chère Suzette, j’aurai toujours le temps de lui couper le nez et les oreilles ; mais, comme dit le proverbe, charité bien ordonnée commence par soi-même.

SCÈNE XVIII. Les Précédents, Madame Savon, Madame Laiguille, Thériaque. §

MADAME SAVON, entrant en colère.

N’ai-je- pas entendu la voix de c’t indigne renégat ?

FOULONET.

Ah ! Madame, je viens taux pieds dé vot’ compassion...

MADAME SAVON.

20

Ôte-toi de devant mes yeux, affronteur, enragé, suborneur ! Retenez-moi, compère ; car, tenez, pour un rien, je déferais un scélérat comme ça.

THÉRIAQUE.

Allons, m’ame Savon, allons, remettez vous dans vot’ tranquille.

MADAME LAIGUILLE, à Foulonet.

Fi ! C’est indigne. Vous devriez rougir.

SUZETTE.

Ah ! Ma tante.

FOULONET.

Ah ! Madame, écoutez-moi seulement une parole.

MADAME SAVON.

Queu qu’tu diras, langue de serpent ? Qu’eu qu’ tu diras ? N’en as-tu pas tassez t’écrit ?... Et, Suzette, faut que t’aies ben peu de coeur, après sa lettre.

SUZETTE.

Ah ! Ma mère, c’est zune trahison.

FOULONET.

Hélas ! Oui, madame : rien n’est pus faux. Pas vrai, Gilles, tu sais la vérité de ça.

GILLES.

Eh ! Ventreguenne ! Oui, not’ maîtressé, c’est zun startagème de Monsieur de La Plume, donc que vous avez donné dedans comme une bête.

FOULONET.

Oui, madame : ce matin je l’ai prié d’écrire une lettre pour ma chère Suzette, et une: aut’ pour une fille qui voulait m’épouser, mais que je ni tant seulement pas regardée depis que je connais ma chère Suzette. Je lui déclarais qu’elle ne devait pas songer zà moi, et ce coquin de La Plume a mis texprès, l’adresse de l’une sur l’aut’, et voilà ce qui a fait vot’colère, mais dont je suis tinnocent, et dont je vous en demande mille pardons, à la tendresse de l’amour que j’ai pour vot’ chère fille, pour vous, madame ; et pour toute vot’ chère et aimable famille.

SUZETTE.

Ah ! Ma mère, vous voyez, ça n’est pas sa faute.

MADAME LAIGUILLE.

—

Allons, commère, faut l’i pardonner : pi, ça m’attendrit, que j’en avons la larme à l’oeil.

THÉRIAQUE.

Allons, commère, allons, laissez-vous ****.

GILLES.

Eh ben ! Not’ maîtresse, irons-je-ti chercher les violons ?

MADAME SAVON.

Ah ! Queu scélérat que ce La Plume l’ me le payera, ou je ne serons pas Mme Savon ; voyez-vous le serment que je fais... Monsieur, puisque vous aimez toujours ma fille, i’ gn’y a rien de gâté. Gilles ! Va-t’en ben vite chercher Monsieur et Madame Foulon, ramène-les dans un fiacre, et dis-leux ben que c’est un malentendu ; mais que dans tout çà i’ gn’y a pas de quoi fouetter zun chat.

FOULONET.

Ah ! Madame, vous mettez le comble au bonheur de ma satisfaction.

GlLLES, qui était parti, revient.

Eh ! Voilà Monsieur de La Plume qui monte.

FOULONET.

Ah ! L’indigne ! Je vas le mettre à feu et à sang.

SUZETTE.

Ah ! Ciel, mon cher zamant, ne vous exposez pas à la trahison d’un traître.

FOULONET.

Ne craignez rien, ma chère Suzette : je vous jure, par l’épée que je porte, que je vas l’y enfoncer la garde au travers du corps.

MADAME SAVON.

Il a raison, ça ne mérite pas de vivre.

THÉRIAQUE.

Sans doute, mais il est plus prudent de prendre les voies de la prudence.

MADAME LAIGUILLE.

C’est ben dit : écoulez, mon cher enfant, c’est un vilain ladre : il vaut mieux le prendre par son avarice, ça l’i sera plus sensuel. Cachez-vous j’allons l’i faire payer tous les frais de la noce, et quand si sera temps, vous vous montrerez.

THÉRIAQUE.

Oui, morbleu ! À bon chat bon rat ! Il a voulu vous attraper, il faut qu’il le soit lui-même.

MADAME SAVON.

Oui, cachez-vous, mon gendre, et laissez-nous mener tout ça.

FOULONET.

Eh bien ! Mesdames, je remets entre vos mains mon amour et ma vengeance.

Il se cache.

SCÈNE XIX. Les Précédents, La Plume entre avec le notaire et deux joueurs de violon. §

LA PLUME, à M™adame Savon.

Tout est arrangé, madame : j’ai payé le repas, et voilà le notaire et la musique que je vous amène.

MADAME SAVON.

Peste ! C’est affaire à vous, monsieur de La Plume.

MADAME LAIGUILLE.

Monsienr a l’air d’un vivant qui ne s’endort pas sur le rôti.

THÉRIAQUE.

Il a raison : faut battre le fer quand il est chaud.

LA PLUME, à Suzette.

21

Voilà, mam’selle Suzette, une tite paire de bracelets faits des propres cheveux de ma perruque, avec mon chiffre : c’est un petit présent de noce que je vous prie d’accepter.

SUZETTE, avec embarras.

Monsieur...

MADAME SAVON.

Prends, prends, ma fille... Monsieur est trop honnête, on ne peut rien l’i refuser.

LE NOTAIRE.

Madame, le contrat était tout fait dès tantôt, il n’y avait plus que les noms à remplir ; si vous voulez me les dicter...

MADAME SAVON.

Avec plaisir : venez ici, monsieur... Ma commère, faites compagnie à Monsieur de La Plume en attendant.

MADAME LAIGUILLE.

Oui, oui, commère, faites toujours... La vérité, Suzette, faut convenir que t’es née coiffée, zavoir trouvé comme ça zun épouseux à point nommé.

LA PLUME.

C’est moi, madame, qui suis trop heureux que l’occasion m’ait été si favorable : aussi je me suis empressé de la prendre au vol, comme l’on dit.

THÉRIAQUE—.

Au vol ! Oui, ma foi, c’est bien trouvé ! Morbleu ! Monsieur de La Plume, vous en savez long !...

MADAME SAVON, avançant à eux.

Allons, mes enfants, voilà qui est fait : il n’y a plus qu’à signer. À vous, Monsieur de La Plume.

LA PLUME, signant.

Ah ! Madame, y a ben longtemps que j’ai tenu la plume pour la première fois, mais je n’ai jamais rien écrit qui m’ait fait tant de plaisir !

MADAME LAIGUILLE.

À merveille, monsieur de La Plume. V’là qu’est pis qu’un compliment... À toi, Suzette.. Vous, compère, et pis moi.... Allons, morguenne ! Y a pus à s’en dédire. Êtes-vous payé, monsieur Bonnefoi ?

LE NOTAIRE.

Oui, madame.

MADAME LAIGUILLE.

Eh ben ! Emportez tout ça.

LA PLUME.

Ah ! Madame, quel plaisir ! Quel bonheur !... Allons, violons, voilà de quoi boire. Jouez-nous toujours un menuet, nous allons danser en attendant le repas.

MADAME SAVON.

C’est ben pensé : de la joie, mes amis. Allons, Suzette, faut commencer le bal avec mon gendre.

LA PLUME.

De tout mon coeur ; mais je vous retiens pour mon second, m’ame Savon.

Les violons jouent ; La Plume prend Suzette pour danser, mais lorsqu’il fait la révérence, Foulonet entre, prend la main de Suzette et repousse La Plume.

SCÈNE XX. Les Précédents, Foulonet. §

FOULONET.

Zun instant, mon cher monsieur de La Plume. Chacun à son tour : vous avez fait le mariage pour moi et maintenant je vas danser pour vous.

LA PLUME.

Comment ? Que voulez-vous dire !

GILLES.

Ah ! Monsieur de La Plume, vous arrivez trop tard : vous êtes le plus habile à mettre les adresses, mais pour les contrats, vous n’y entendez rien.

LA PLUME.

Qu’est-ce que cela signifie ?

MADAME SAVON.

Ça signifie que vous avez signé pour témoin, vous, mais qu’v’là l’épouseux.

Montrant Foulonet.

LA PLUME.

Comment donc, Gilles !...

GILLES.

Hélas ! Oui. J’ons découvert le pot au noir.

LA PLUME.

Ah ! Ventrebleu !

FOULONET.

De la modération, monsieur de La Plume : avalez ça en douceur, ou sinon...

Il fait mine de tirer l’épée.

MADAME LAIGUILLE.

Oui-da, vous v’là tout porté. Si vous voulez t’être de la noce, vous aurez toujours la jartière de la mariée, c’est toujours ça. Pas vrai donc, Monsieur Thériaque ?

THÉRIAQUE.

Sans doute. Et si c’te cérémonie-là vous fait mal au coeur, je vous donnerai encore une petite médecine par-dessus le manche. Dame ! Tout ça fait ben intérêt de vot’ argent.

LA PLUME, à part.

Morbleu ! Je mérite ça.

Haut.

Grand merci, messieurs et dames, et vot’ serviteur... C’est à toi que j’ai l’obligation de ça, mon ami Gilles !

GILLES.

Eh ben ! Not’ maître, payez-nous pendant que vous êtes en train.

LA PLUME, se fouillant.

Je n’ai pas d’argent sur moi, mais si jamais je te rencontre, maraud, je te promets vingt coups de bâton.

Il s’en va.

GILLES.

Eh ! Je ne sommes pas intéressé. Prenez ne je vous ayons servi gratis.

MADAME SAVON.

Allons, mes enfants, divertissons-nous, et que Monsieur de La Plume nous apprenne que la tricherie et revient toujours à son maître.