AN VI.
Par les CC. DUPATY et CHAZET.
PERSONNAGES, ACTEURS Citoyen, citoyenne. §
- LARONDE, Écrivain public. Chapelle.
- DELPHINE, sa fille. Sara Lescot.
- ARLEQUIN. Laporte.
- GILLES. Carpentier.
- BALOURD, Auteur. Rosières.
- L’IMPRIMEUR. Fichet.
- LE PROTE. Tiphaine.
- DEUX COLPORTEURS. Le Noble. Clairville
ACTE UNIQUE §
SCÈNE PREMIÈRE. Deux Colporteurs. §
LES DEUX COLPORTEURS.
Achetez du nouveau ! Achetez !
PREMIER COLPORTEUR.
Ah ! C’est toi ?
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
Voici du nouveau ; achetez !
PREMIER COLPORTEUR.
Les tiens ne sont pas bons.
SECOND COLPORTEUR.
Les tiens ne valent rien.
PREMIER COLPORTEUR.
Les tiens sont mauvais.
TOUS DEUX.
Je te dis que si ; je te dis que non... Achetez !.... Achetez !...
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
Journaux à peine connus ; parlons des miens....
SECOND COLPORTEUR.
PREMIER COLPORTEUR.
TOUS DEUX.
Achetez, voilà du nouveau !...
SCÈNE II. Le Colporteur, Delphine. §
LE COLPORTEUR.
Il faut que j’avertisse une petite demoiselle qui m’achète régulièrement l’Original... Mamzelle ma pratique ?
DELPHINE, à la fenêtre.
C’est vous ! Je descends....
SCÈNE III. §
LE COLPORTEUR, seul.
C’est une jolie personne et de considération que cette pratique-là, mamzelle Delphine La Ronde, fille d’un écrivain public ! V’là ce qui s’appelle une famille conséquente dans un quartier ! Son père vous a une fière main !
SCÈNE IV. Le Colporteur, Delphine. §
LE COLPORTEUR.
Mamzelle ! V’là le journal ; il est tout frais.
DELPHINE.
Eh bien ! Comment va la vente ?
LE COLPORTEUR.
Ah ! Tout doucement, mamzelle ! Nous ne sommes dans le métier que depuis la paix. Ah ! Que n’y étions nous pendant la guerre.... Jarni !
D’ailleurs, la vente dépend de tant de choses !...
DELPHINE.
De quoi ?
LE COLPORTEUR.
Du temps qui fait, et puis du titre... Quand il y a de grands événements, de grands décrets, not’bourgeois dit qu’il y a du gain. Oh ! Le titre, v’là le principal ; et quand j’en trouvons un bon, je le commandons, queuquefois, pour le lendemain... C’est ça qui fait tout... Vous ne voulez pas d’autres journaux ?
DELPHINE.
Celui-là seul m’intéresse.
LE COLPORTEUR.
Adieu, mamzelle ! V’là du nouveau ! Achetez l’Original !...
SCÈNE V. §
DELPHINE, seule.
C’est pourtant Arlequin qui fait ce journal ; et pourquoi ? Parce qu’il sait que mon père ne veut me donner qu’à un homme de lettres.
Il réussira, mon Arlequin, pourvu que Monsieur Gilles n’aille pas l’emporter sur lui auprès de mon père.
SCÈNE VI. Arlequin, Delphine. §
ARLEQUIN, sort du bureau sans voir Delphine.
Depuis vingt-quatre mortelles heures, je n’ai pas vu ma bonne amie, ma chère Delphine !... J’ai mis tout mon esprit dans le numéro d’hier ; et si je ne la vois pas aujourd’hui ! Ah !...
DELPHINE.
Ah !...
ARLEQUIN.
Bonjour, ma bonne amie : tu tiens déjà le journal ?...
DELPHINE.
Il est charmant. Comment fais-tu donc ?...
ARLEQUIN.
C’est un petit revenant - bon de notre amour. Je t’aime, et me voilà tout de suite un homme.... Oui, un homme de mérite... Pourtant ton monsieur père, qui a des préjugés, ne veut pas que sa fille épouse Arlequin, parce qu’il prétend que je n’ai rien.... Il a tort.
DELPHINE.
Mon cœur est bien à toi ; mais en sommes-nous plus avancés ? Qu’y gagnes-tu ?
ARLEQUIN.
Comment, mademoiselle, ce que j’y gagne !
DELPHINE.
Mais ta fortune s’accroît-elle autant que notre amour ?...
ARLEQUIN.
Pas si vite... Attendu que Monsieur Gilles est le propriétaire de la propriété du journal, et que je n’en suis que le rédacteur.
DELPHINE.
C’est pourtant toi qui fais tout.
ARLEQUIN.
Gilles a fourni tout l’argent...
DELPHINE.
Ne fournis-tu pas tout l’esprit ?...
ARLEQUIN.
Sur ce point-là, Monsieur Gilles ne peut pas faire de fonds ; je suis un auteur pauvre, vois-tu ?... Mais lui, il ne serait jamais qu’un pauvre auteur... Ce n’est pas qu’il ne t’aime. Oh ça !... Mais ce n’est pas d’aimer qui donne de l’esprit ; au contraire, ça rend bête.... Ce qui en donne c’est d’être aimé : aussi...
DELPHINE.
ARLEQUIN.
Tu m’enchantes !... Malheureusement je n’ai encore acquis que de l’honneur, et cela ne suffit pas...
DELPHINE.
J’entends, je crois, mon père,
ARLEQUIN.
Je viendrai un jour le surprendre avec un gros sac d’écus, et nous verrons s’il résistera à mes bonnes qualités.... Adieu, ma chère Delphine !
DELPHINE.
Rentre....
ARLEQUIN.
Adieu... Adieu, ma charmante Ronde, ma petite bonne amie...
DELPHINE.
Pars donc.... Le voici....
SCÈNE VII. Delphine, La Ronde. §
LA RONDE.
Que faites-vous là ?...
DELPHINE.
Je viens d’acheter le journal.
LA RONDE, le prend.
Et moi, je vais le lire.
Rentrez...
DELPHINE.
Déjà...
LA RONDE.
Je vous devine. Vous ne cherchez à sortir que pour voir, Monsieur Arlequin... Je vous déclare que je ne souffrirai ni cet amour ni ce mariage...
DELPHINE.
Mais...
LA RONDE.
La fille de Monsieur de La Ronde, expert dans les vérifications, ci-devant syndic de la communauté des écrivains, n’est pas faite pour épouser un homme sans état, sans fortune : cependant je veux faire ton bonheur.
Aussi je te destine au propriétaire de ce journal. Cet homme, à en juger par son ouvrage, est ce qu’il me faut.
DELPHINE.
Ciel !...
LA RONDE.
Je ne le connais pas, parce qu’il garde l’anonyme ; mais je le découvrirai ; et s’il veut de toi, c’est arrangé... Monte.
DELPHINE.
Voulez-vous d’abord que je vous aide à ouvrir votre boutique ?
LA RONDE.
Qu’appellez-vous, ma boutique ?... Apprenez que la boutique d’un homme de lettres est un bureau... Mettons-nous à l’ouvrage.
SCÈNE VIII. Arlequin, Delphine, La Ronde, dans son bureau. §
ARLEQUIN.
St, st, est-il parti ?.....
DELPHINE.
Vite, deux mots.
ARLEQUIN.
Quoi !
DELPHINE.
On me destine au propriétaire de ton journal....
ARLEQUIN.
Ah ! Sangodémi, je n’en suis que le rédacteur.
DELPHINE.
Que faire ?
ARLEQUIN.
Sait-on que Gilles est le propriétaire ?
DELPHINE.
Non.
ARLEQUIN.
Tant mieux ; il me vient une idée.
DELPHINE.
Comment !
ARLEQUIN.
Je veux...
DELPHINE.
Paix. Il ouvre....
LA RONDE.
Encore ici ? Vous attendez sûrement que Monsieur Arlequin vienne...
DELPHINE.
Il ne viendra pas....
ARLEQUIN.
Il est tout venu... Il ne sait pas que je suis là.
LA RONDE.
Montez donc...
DELPHINE.
Je prends l’air.
ARLEQUIN.
Oui, l’air du bureau...
LA RONDE.
DELPHINE, regardant Arlequin.
LA RONDE.
Ah ! Vous voulez prendre l’air et voir tout-à-la-fois.
ARLEQUIN, DELPHINE.
DELPHINE.
J’obéis.
ARLEQUIN.
Je monte aussi.
LA RONDE.
Allez, vous serez plus commodément à la fenêtre.
ARLEQUIN.
Voilà ce qui s’appelle des attentions !... Un père qui est aux petits soins.
SCÈNE IX. §
LA RONDE, seul.
Grâce à Dieu, mon état devient meilleur de jour en jour ; je n’y puis plus suffire.
Ce sont les pétitions surtout qui me font du bien : je vis de pétitions.
SCÈNE X. La Ronde, Gilles. §
GILLES.
C’est donc ici qu’habite la maison de mademoiselle La Ronde, et cependant je ne puis jamais lui parler... Elle vous a une manière si singulière de vous regarder... qu’aussitôt que je m’approche d’elle, je n’ai plus la parole à la main... Écrivons-lui... Écrire ! C’est fort bien ; mais c’est que je ne suis fort ni sur l’écriture, ni sur l’orthographe... Comment faire !... Pardi ! Adressons nous à monsieur son père, qui est au fait de ça...
Monsieur !
LA RONDE.
Monsieur !
GILLES.
Vous êtes écrivain ?
LA RONDE.
Mon enseigne le dit.
GILLES.
Vous écrivez de tout ?
LA RONDE.
Généralement.
GILLES.
Tous les genres ?
LA RONDE.
Quelconques.
GILLES.
Je vous demanderai un billet doux.
LA RONDE.
Volontiers.
GILLES.
Ce n’est pas que je ne sache écrire ; mais je ne veux pas qu’on voie mon écriture.
LA RONDE.
Voulez-vous entrer ?
GILLES.
Je suis fort bien là.
LA RONDE.
Quelle écriture voulez-vous ?
GILLES.
Comment, laquelle !
LA RONDE.
Nous en avons de plusieurs sortes.
GILLES.
Ma foi, ça m’est égal, pourvu que ce soit de l’écriture bien écrite.
GILLES.
Ah ça, Monsieur, pas de sottise... Cet autre, avec sa bâtarde !
GILLES.
Pardienne, si je l’aime.
Est-ce qu’il saurait quelque chose ?
LA RONDE.
En ce cas, je vais vous donner la ronde. Laquelle préférez-vous, la petite ou la grande ?
GILLES.
La petite ronde, s’il vous plaît ; j’aime la petite ronde à la folie.
LA RONDE.
Comme vous vous passionnez pour mon écriture.
GILLES, à part.
Tiens, il prend sa fille pour une écriture.
LA RONDE, montrant un exemple.
C’est qu’elle est bien moulée.
GILLES.
Vous avez bien travaillé ça.
LA RONDE.
Voulez-vous que je compose, ou dictez-vous ?
GILLES.
Dicter ! C’est mon fort.
LA RONDE.
J’y suis.
GILLES.
Attendez que je me réveille... C’est long à venir ; mais quand je vous tiens une fois le premier mot, je vous défile ça droit, currente calamo.
LA RONDE.
Y êtes-vous ?
SCÈNE XI. Gilles, Arlequin, Le Ronde, Delphine. §
ARLEQUIN, à la fenêtre.
M’y voilà...
DELPHINE, à la fenêtre.
Et moi aussi.
GILLES.
Une minute.
ARLEQUIN.
J’ai déjà un plan....
DELPHINE.
Quoi ?
ARLEQUIN.
Ah ! J’aperçois Gilles chez ton père.
LA RONDE.
Êtes-vous prêts ?
GILLES.
Je tiens tout.
ARLEQUIN.
Il lui fait écrire une lettre.
DELPHINE.
Chut.
GILLES.
Écrivez... Mademoiselle.
LA RONDE.
Mademoiselle.
ARLEQUIN.
C’est pour une demoiselle.
GILLES.
De depuis l’instant fortuné, du moment ousque j’ai été assez heureux pour avoir l’agrément de vous entrevoir au petit Coblentz, je me sens, à l’encontre de vous, une passion, et comme une manière de feu qui me parcourt.
ARLEQUIN.
C’est une lettre d’amour.
LA RONDE.
Pas si vite, on ne peut pas vous suivre.
GILLES.
Impossible d’aller plus doucement. Quand l’esprit sort de chez moi, c’est comme l’éclair... et comme une manière de feu qui me parcourt... Je vous prie donc de croire à l’estime proportionnée à la conséquence de vos charmes que j’ai pour vous, et dont je vous demande une réponse cathé... cathé... catho... Mon dieu, que je suis bête !....
LA RONDE.
Que je suis bête !...
GILLES.
N’écrivez donc pas cela.... C’est cathé.... cathé.... cathégorique, dont je vous demande une réponse cathégorique, pour me déclarer à monsieur votre père avec lequel j’ai l’honneur d’être, et cétera ... absolument à votre service. Gilles.
DELPHINE.
Je crois que la lettre est pour moi.
ARLEQUIN.
Oh ! Sangodémi, le coquin !
LA RONDE.
Tenez, monsieur, entre nous, votre billet n’est pas ce qu’il y a de mieux ; je vais en dicter un autre, l’écrire, et vous répéterez...
ARLEQUIN.
Parbleu ! Nous ausssi.
LA RONDE.
LA RONDE.
Voilà bien le vrai genre de La Ronde : comme il est attrapé !
GILLES.
Oh ! Comme il est attrapé !
DELPHINE.
Lui aussi est attrapé.
ARLEQUIN.
Ils sont attrapés.
LA RONDE.
L’adresse ?
GILLES.
Je m’en charge.... Voilà votre argent.
LA RONDE.
Monsieur.
GILLES.
Je reprendrai ça sur la dot.
ARLEQUIN.
Ton père s’en va. Je descends pour exécuter mon dessein.
LA RONDE.
Portons en ville mes expéditions.
SCENE XII. §
GILLES.
Voilà ce qui s’appelle un vrai tour d’amoureux... Je verrai à faire remettre ma lettre : mais voyons d’abord Arlequin pour la composition du journal ; c’est l’essentiel.
SCÈNE XIII. Arlequin, Gilles. §
ARLEQUIN, à part.
Il ne sait rien faire : commençons par le charger de la besogne.
GILLES.
Ah ! Te voilà, mon cher Arlequin ; je suis certainement très content de ta rédaction ; mais, pour dieu, mon ami, de la prudence !... Tu dis trop de mal de la pièce nouvelle ; un auteur peut trouver cela mauvais... On ne sait pas...
ARLEQUIN.
Monsieur Gilles, il faut savoir parler vrai.
GILLES.
Je tremble.
ARLEQUIN.
Je conviens que votre état est périlleux, et que les propriétaires sont exposés tous les jours à se faire assommer... Mais dussé-je vous mettre tous les mauvais auteurs à dos... Je prétends....
GILLES.
Quelle extravagance !
ARLEQUIN.
Ainsi, à votre compte.
Du reste, si vous avez peur, vous n’avez rien à craindre pour aujourd’hui ; le journal n’est pas fait, et ce n’est pas moi qui le ferai.
GILLES.
Pourquoi ?
ARLEQUIN.
Je suis triste.
GILLES.
Mais comment ferai-je ?
ARLEQUIN.
Comme je fais quand vous ne faites rien.
GILLES.
Allons donc... Moi, faire un journal !... Mais sais-tu que c’est très difficile ?
ARLEQUIN.
Il faut beaucoup de connaissances.
GILLES.
Pour des connaissances, je n’en ai pas mal, et qui s’abonneront.
ARLEQUIN.
Celles-là sont très utiles ; mais je parle de la science... Il faut savoir rajeunir les nouvelles, les tourner, les arranger, leur donner un air de vraisemblance, combiner les événements, les dates : voilà le talent ; allons !...
GILLES.
Je ne sais rien de neuf.
ARLEQUIN.
Eh bien, on invente, on prend des villes, on gagne des batailles, on fait marcher les armées, on annonce la conquête des Pays-Bas, la prise de Mantoue, et puis mille autres petites nouveautés...
GILLES.
Tu ne peux donc rien faire aujourd’hui ?
ARLEQUIN.
Non.
GILLES.
Eh bien, heureusement voici monsieur Balourd qui va nous tirer d’affaire, et qui nous apporte des morceaux.
ARLEQUIN, à part.
Oui, oui, tu crois ? Ah ! Tu vas voir.
SCENE XIV. ARLEQUIN, GILLES, BALOURD. §
GILLES.
Que nous apportez-vous, monsieur Balourd ?
BALOURD.
Dix pages.... C’est long.... mais c’est beau.
GILLES.
Imprimons vite !
ARLEQUIN.
Un moment.
BALOURD.
Prenez lecture.
GILLES, montrant Arlequin.
Donnez à monsieur, qui a un très-bel organe.
ARLEQUIN.
Je suis trop enroué.
GILLES.
Lis à mi-voix.
ARLEQUIN.
J’ai mal aux yeux.
BALOURD, à Gilles.
En ce cas, lisez...
GILLES.
Faisons semblant... Voyons.
BALOURD.
Lisez haut.
ARLEQUIN.
Je n’entends point.
GILLES.
Le taquin !... J’ai parcouru... C’est gentil...
BALOURD.
Gentil !...
ARLEQUIN.
Ah ! Gentil ! Un morceau de Monsieur Balourd... C’est trop long.
GILLES.
Il y en aura pour deux fois.
ARLEQUIN.
C’est égal.
GILLES.
Ôtons la fin.
BALOURD.
Ôter mon dénouement !
ARLEQUIN.
Ça ne se peut pas...
GILLES.
Alors ôtez le commencement.
BALOURD.
Y pensez-vous ? Commencer, finir par le milieu mais ça n’a pas d’exemple.
ARLEQUIN.
Pardonnez-moi ; on a fait tant de choses qui n’avaient ni queue ni tête... Mais ça n’est pas une raison pour ôter votre fin et votre commencement : j’aimerais mieux ôter tout.
BALOURD.
Je vois que ce morceau ne vous convient pas ; je vais vous donner de la poésie, un distique.
GILLES.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
BALOURD.
Un poème en deux vers.
ARLEQUIN.
C’est de l’épique.
BALOURD.
Écoutez...
3Hein !...
GILLES.
Il n’y a que ça.
ARLEQUIN.
Dites que c’est trop court.
GILLES.
Si l’on pouvait allonger un peu les vers.
BALOURD.
Allonger mes vers !...
GILLES.
C’est que ça ne fera que deux lignes, et je voudrais que ça fasse au moins un quatrain.
BALOURD.
Vous ne voulez donc pas de mes deux vers ?
ARLEQUIN.
Vous voyez bien que Monsieur Gilles les trouve trop courts.
BALOURD.
Trop longs, trop courts, point de commencement, point de fin : vous moquez-vous de moi ?
GILLES.
Il se met en colère.
ARLEQUIN.
Je vais arranger ça... ne vous emportez pas... Monsieur Gilles n’a voulu que s’amuser.
BALOURD.
S’amuser à mes dépens.
GILLES.
Parle-lui donc ?
ARLEQUIN.
Soyez tranquille... Monsieur, il est bien fâché d’avoir trouvé votre ouvrage médiocre... C’est qu’il a le goût comme ça.
BALOURD.
Médiocre, moi ! Me trouver médiocre !...
GILLES.
Il se fâche !
ARLEQUIN.
Attendez... Monsieur, pardonnez, il le trouve tout-à-fait mauvais... mais par politesse...
BALOURD.
Comment, mauvais !... Apprenez, Monsieur, que je me soucie fort peu de votre jugement... que vous n’êtes pas en état de m’apprécier !...
ARLEQUIN.
C’est vrai...
BALOURD.
Que vous êtes un ignorant.
ARLEQUIN.
C’est vrai...
BALOURD.
Un fat.
ARLEQUIN.
C’est vrai. Il faut bien dire comme lui...
GILLES.
Oui.
BALOURD.
Et que je saurai m’en venger...
GILLES.
Non...
BALOURD.
GILLES.
Mais permettez donc ?
BALOURD.
SCÈNE XV. Arlequin, Gilles. §
ARLEQUIN, à part.
GILLES, à part.
ARLEQUIN, à part.
Profitons de sa frayeur, et courons donner le mot aux Colporteurs et aux autres...
SCÈNE XVI. §
GILLES, seul.
Monsieur Arlequin, avec votre obstination à ne pas lire, voyez... Oh ciel ! Il est parti, rien de fait ! Un auteur en colère ! Ma personne en danger !... Où sera-t-il allé ? Vite, cherchons-le : il faudra bien qu’il travaille...
SCÈNE XVII. Arlequin, Le Prote, L’Imprimeur, LE Colporteur. §
ARLEQUIN.
Monsieur l’Imprimeur, monsieur le Prote ; et toi, mon ami, vous voulez donc bien me servir ?...
TOUS TROIS.
Certainement.
L’IMPRIMEUR.
Il me chicane toujours pour la dépense.
LE PROTE.
Moi, pour l’impression.
LE COLPORTEUR.
Moi, pour la recette.
ARLEQUIN.
LE PROTE.
L’IMPRIMEUR.
LE COLPORTEUR.
ARLEQUIN.
LES TROIS.
L’IMPRIMEUR.
LE COLPORTEUR.
LE PROTE.
ARLEQUIN.
LES TROIS.
SCÈNE XVIII. Arlequin, Delphine. §
DELPHINE, entr’ouvrant la porte.
Eh bien !
ARLEQUIN.
Viens.
DELPHINE.
Quel est ton projet ?
ARLEQUIN.
Je vais devenir le propriétaire.
DELPHINE.
Vrai ?...
ARLEQUIN.
Tu sauras tout... L’heure presse ; il faut bien vite que j’extraie tout ces papiers pour faire la feuille...
DELPHINE.
Que de lettres !
ARLEQUIN.
En voilà de tous les pays.
DELPHINE.
Et tu reçois tout cela ?
ARLEQUIN.
Il le faut bien.
DELPHINE.
Un journaliste est donc un homme universel ?
ARLEQUIN.
Il a des correspondances partout... D’abord...
DELPHINE.
En voilà de bonnes.
ARLEQUIN.
Voici les mauvaises.
Nous avons aussi des livres à annoncer. Tiens : voilà un nouveau roman dont il faudra faire l’analyse.
DELPHINE.
J’espère au moins qu’il ne ressemble pas à ces nouveaux romans anglais, si noirs... si effrayants...
ARLEQUIN.
Ah ! Ne m’en parle pas, ils me font encore peur !...
DELPHINE.
ARLEQUIN.
Voici maintenant des articles communiqués, où mettrons-nous cela ?... Voyons... "Dissertation sur les fortunes" !...
DELPHINE.
C’est tout simple : à l’article Changement de domicile.
ARLEQUIN.
Et ce petit traité sur les "Opinions".
DELPHINE.
Oh ! Cela va de droit à l’article "Variétés".
ARLEQUIN.
Ce morceau sur les "Écrivains du jour".
DELPHINE.
Article "Mélange3.
ARLEQUIN.
Oh ! Pour cet "Essai sur la Morale et l’Innocence", je le placerai aux "Effets perdus... Récompense honnête à qui en donnera des renseignements".
DELPHINE.
Tu penses donc bien mal de notre siècle ?...
ARLEQUIN.
Oh ! Il n’y a pas de quoi... Tiens, voilà une jeune personne qui me prie de l’afficher pour avoir un mari.
DELPHINE.
Bon moyen !
ARLEQUIN.
Excellent...
Ah ! Ceci est un article sur un certain bal d’hier. . . .
DELPHINE.
Quoi ! Vas-tu, comme tant de journalistes, dire aussi du mal des femmes, les attaquer pour un rigodon, un menuet, un balancé ?...
ARLEQUIN.
Oh ! Ce ne serait pas poli...
Et puis je les aime trop pour cela...
DELPHINE.
Cette raison-là ne vaut rien.
ARLEQUIN.
Il faut que je fasse encore un petit article "Spectacle" ; car j’ai vu jouer hier Contat...
DELPHINE.
Ah ! Je te conçois...
ARLEQUIN.
Voilà encore des morceaux qu’il faudrait mettre en mille morceaux. Il sera impossible de tout insérer... Mais j’aperçois Gilles : rentre, et sois tranquille... Un petit baiser.
DELPHINE.
Ça ne se demande pas...
ARLEQUIN.
Tu as raison, ça se prend... Ah ! Monsieur le poltron ! Monsieur l’ignorant ! Monsieur l’avare ! Monsieur l’amoureux !. . .
SCENE XIX. Arlequin, Gilles. §
GILLES.
Enfin je te retrouve. Songe donc à mon embarras. Si tu ne fais rien, le journal tombe.
ARLEQUIN, à part.
Voici le Prote : faisons venir les autres... Travaillez ; serviteur.
GILLES.
Tu sors ! Et Monsieur Balourd, s’il revient ?
ARLEQUIN.
Travaillez...
GILLES.
Mon dieu ! Mon dieu !
SCÈNE XX. Le Prote, Gilles. §
LE PROTE.
Monsieur.
GILLES.
Quoi !
LE PROTE.
GILLES.
Tu n’as rien !
LE PROTE.
Rien.
GILLES.
Et il en faut bien long...
LE PROTE.
Tout le journal.
GILLES.
Comment faire ?... J’irai tout-à-l’heure vous porter la copie... Allez.
LE PROTE.
Hâtez-vous ?... Bon, le voilà bien embarrassé !
GILLES.
Allons, j’irai trouver un de mes amis qui me fera quelques articles... À l’autre, voici I’Imprimeur... Que voulez-vous ?...
SCÈNE XXI. Gilles, L’Imprimeur. §
L’IMPRIMEUR.
De l’argent ?
GILLES.
Je n’en ai pas...
L’IMPRIMEUR.
Il m’en faut...
GILLES.
Combien ?
L’IMPRIMEUR.
Quinze cents francs.
GILLES.
C’est trop...
L’IMPRIMEUR.
Voilà le compte.
GILLES.
Arrangeons-nous...
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
ENSEMBLE.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
L’IMPRIMEUR.
GILLES.
Rabattez un peu...
L’IMPRIMEUR.
Je veux tout.
GILLES.
Vous aurez tout.
L’IMPRIMEUR.
Et de plus...
GILLES.
Encore !...
L’IMPRIMEUR.
Il me faut des avances... Encore autant !
GILLES.
Je n’ai pas mille écus.
L’IMPRIMEUR.
Cherchez-les...
GILLES.
Jugez...
L’IMPRIMEUR.
Mille écus !...
GILLES.
Considérez...
L’IMPRIMEUR.
Mille écus !...
GILLES.
Quoi ! Vous voulez...
L’IMPRIMEUR.
Mille écus ?...
GILLES.
Donnez-moi...
L’IMPRIMEUR.
Mille écus ?...
GILLES.
Du temps ?...
L’IMPRIMEUR.
Une heure.
GILLES.
Huit jours !...
L’IMPRIMEUR.
Non.
GILLES.
Au moins...
L’IMPRIMEUR.
C’est dit.
GILLES.
Songez !
L’IMPRIMEUR.
Adieu...
GILLES.
Mille écus ! Mille écus ! Allons, je ferai un dernier effort ; mais je n’abandonne pas mon journal...
SCÈNE XXII. Gillles, Le Colporteur. §
LE COLPORTEUR.
Monsieur !
GILLES.
M’apportes-tu des espèces ?
LE COLPORTEUR.
Non, et vous me voyez bien triste.
GILLES.
Tu sais ce qui m’arrive.
LE COLPORTEUR.
Il faut de la bravoure.
GILLES.
Non, c’est de l’argent.
LE COLPORTEUR.
Ah ! C’est que vous ne savez pas... Laissez-moi vous pleurer d’avance.
GILLES.
Qu’as-tu ?
LE COLPORTEUR.
Un si joli garçon !
GILLES.
Je le sais.
LE COLPORTEUR.
À la fleur de son âge.
GILLES.
Trente ans...
LE COLPORTEUR.
Qui a de quoi vivre !
GILLES.
Quinze mille francs de fonds.
LE COLPORTEUR.
Et mourir !
GILLES.
Que dis-tu ?
LE COLPORTEUR.
Je veux vous accompagner.
GILLES.
Où ?
LE COLPORTEUR.
Jusqu’à l’endroit fatal.
GILLES.
Quel endroit ?
LE COLPORTEUR.
Je vous apporte un cartel.
GILLES.
De qui ?...
LE COLPORTEUR.
D’un auteur.
GILLES.
Pour qui ?
LE COLPORTEUR.
Pour vous...
GILLES.
Gageons que c’est de Monsieur Balourd.
LE COLPORTEUR.
Juste.
GILLES.
Ah ! Malheureux Arlequin, voilà ce que tu m’attires... Je ne me bats pas.
LE COLPORTEUR.
Il vous tuera tout de même.
GILLES.
Alors je me battrai.
LE COLPORTEUR.
Il vous tuera encore.
GILLES.
En ce cas-là je ne me battrai pas.
LE COLPORTEUR.
Vous ne pouvez pas l’échapper. Il veut vous tuer, n’importe comment.
GILLES.
Lis donc.
LE COLPORTEUR.
À monsieur le propriétaire de l’Original,
GILLES.
L’Original !... C’est bien moi !
LE COLPORTEUR.
Monsieur, vous avez trouvé ma prose trop longue, mes vers trop courts : en conséquence de quoi, vous m’en rendrez raison ce soir au bois de Boulogne, où j’aurai l’honneur d’être, et de vous tuer... Balourd.
GILLES.
Tu crois donc que j’en mourrai ?
LE COLPORTEUR.
Il ne se bat jamais sans tuer son homme.
GILLES.
Eh bien ! Arlequin se battra.
LE COLPORTEUR.
Il ne veut pas se battre avec Arlequin.
GILLES.
Mais Arlequin est le rédacteur.
LE COLPORTEUR.
Vous voyez qu’il en veut au propriétaire, et je ne vois qu’un moyen ; c’est d’en faire tuer un autre à votre place.
GILLES.
Eh bien ! Veux-tu ?
LE COLPORTEUR.
Moi !
GILLES.
Pour de l’argent...
LE COLPORTEUR.
Ce n’est pas ça... Monsieur Balourd ne veut se battre qu’avec le propriétaire... Donnez vite votre propriété à quelqu’un. Monsieur Balourd viendra, et c’est celui-là qui se battra.
GILLES.
Tu as raison, tu me sauves la vie.
LE COLPORTEUR.
Dépêchez-vous, il sera ici dans deux heures.
SCÈNE XXIII. §
GILLES, seul.
Je n’aurai pas le tems de chercher un autre acheteur... Vendons mon journal à Arlequin... Je serais pourtant fâché que ce pauvre Arlequin fût tué... Mais c’est prévu ; il est adroit, il tuera Monsieur Balourd, et je serai vengé... Mettons-y mon adresse ordinaire, et faisons le donner dedans, en tâchant de ne pas tout perdre...
SCÈNE XXIV. Arlequin, Gilles. §
ARLEQUIN.
Eh bien, Monsieur Gilles, avez-vous pensé à ce que vous feriez ?
GILLES.
Oui.
ARLEQUIN.
Que faites-vous ?...
GILLES.
Rien ; mais j’ai réfléchi que je ne sais pas travailler. Je te suis considérablement attaché, et je veux faire ta fortune.
ARLEQUIN.
Comment ?...
GILLES.
Je te donne ma propriété.
ARLEQUIN.
Vous me donnez !...
GILLES.
Je te vendrai bon marché.
ARLEQUIN.
Ah ! C’est comme ça que vous donnez.
GILLES.
Nous traiterons.
ARLEQUIN.
Je n’achète point.
GILLES.
Qu’est-ce qui t’effarouche ?
ARLEQUIN.
Un propriétaire répond de tout.
GILLES.
Mais le rédacteur aussi.
ARLEQUIN.
Jamais... Il faut de l’argent, le propriétaire paye ; un auteur se fâche, le propriétaire répond... L’auteur se fâche encore, le propriétaire doit se fâcher ; on l’insulte, il faut se battre ; il se met en garde, il est tué.
GILLES.
Mais si le propriétaire tue l’auteur, comme tu es adroit.
ARLEQUIN.
Il est pris.
GILLES.
Tué ou pris.
ARLEQUIN.
Il n’y a que ces deux manières-là de se tirer d’affaire.
GILLES.
Mais quand il est pris ?
ARLEQUIN.
Les duels sont défendus... Enfermé.
GILLES.
Vrai !
ARLEQUIN.
Pour le reste de ses jours.
GILLES.
Oh ! Mon dieu !
ARLEQUIN.
Sur la paille.
GILLES.
Est-il possible ?
ARLEQUIN.
Au pain et à l’eau.
GILLES.
Quelle barbarie !
ARLEQUIN.
Dans un cachot...
GILLES.
Ciel !
ARLEQUIN.
À vingt pieds sous terre.
GILLES.
Miséricorde !
ARLEQUIN.
Et quand il sort ?
GILLES.
Quoi !
ARLEQUIN.
Aux galères.
GILLES.
Aux galères !
ARLEQUIN.
Une chaîne aux pieds.
GILLES.
Ah !
ARLEQUIN.
Un grand aviron de cinquante pieds de long à la main.
GILLES.
Si long que ça !
ARLEQUIN.
Puis des coups de bâtons.
GILLES.
Je n’y tiens plus, je veux vendre mon journal.
Je ne crains certainement pas tout cela... Mais rends-toi, mon cher Arlequin !
ARLEQUIN.
Je n’ai point d’argent.
GILLES.
Je te ferai crédit.
ARLEQUIN.
Je ne veux point le payer.
GILLES.
Je te le donne.
ARLEQUIN.
Je le prends.
GILLES, à part.
Comme il gobe ça !
ARLEQUIN, à part.
Je le tiens.
GILLES.
Passons le marché...
ARLEQUIN.
Sur-le-champ.
GILLES.
Je vais te chercher tout ce qu’il faut....
Point d’ouvrage à faire, point d’argent à donner, point d’auteur à craindre, marché d’or...
SCÈNE XXV. Arlequin, Delphine. §
ARLEQUIN.
Ma chère Delphine, je triomphe ; je suis le propriétaire.
DELPHINE.
Déjà !... Voici mon père, je descends.
SCÈNE XXVI. Arlequin, Gilles. §
GILLES.
Voilà tout.
ARLEQUIN.
Je suis prêt...
GILLES.
Écris.
As-tu mis ?
ARLEQUIN.
C’est fait.
GILLES.
Une petite clause.
ARLEQUIN.
Quoi !
GILLES.
Tu peux mourir, on ne sait pas ce qui peut arriver... Écris.
ARLEQUIN.
C’est juste.
GILLES, à part.
De cette façon, comme il peut être tué ce soir, je n’y perdrai rien... En foi de quoi, j’ai souscrit, moi, Jean Gilles.
ARLEQUIN.
Lequel ne sachant pas écrire,
Signez...
GILLES, à part.
Il ne sait pas ce qu’il risque.
ARLEQUIN, à part.
Il ne sait pas ce qu’il perd.
GILLES.
Maintenant il faut que je m’occupe de faire remettre une lettre à ma maîtresse.
ARLEQUIN.
Son nom ?...
GILLES.
Delphine...
ARLEQUIN.
La Ronde ?
SCÈNE XXVII. Arlequin, Delphine, Gilles. §
DELPHINE.
Laissez-moi !
GILLES.
Lisez au moins cette lettre.
ARLEQUIN.
Prends : nous en saurons faire usage.
GILLES.
Elle la prend, signe explicatif du feu caché qu’elle montre pour moi. Justement voici le père.
SCÈNE XXVIII. Arlequin, Delphine, Gilles, La Ronde. §
LA RONDE.
Quoi ! Mademoiselle, avec Monsieur Arlequin !
ARLEQUIN.
Monsieur !...
GILLES.
Monsieur...
GILLES.
Chut... Je viens vous proposer un joli marché pour vous et votre fille. Un mari !... Moi !
LA RONDE.
Et la maîtresse de tantôt.
DELPHINE.
Il ne sait seulement pas écrire.
LA RONDE.
Vous ne savez pas écrire ?
DELPHINE.
Je le prouve par cette lettre qu’il vous dicta pour moi, en vous trompant indignement.
LA RONDE.
Mais c’est horrible.
GILLES.
Ce n’était qu’une plaisanterie.
ARLEQUIN.
Monsieur La Ronde, je viens pour vous proposer un autre mari.
LA RONDE.
Sait-il écrire ?
DELPHINE.
Le propriétaire du journal.
LA RONDE.
Je suis charmé de voir que tu te rends à mes intentions, et dès que j’aurai vu Monsieur le journaliste...
ARLEQUIN.
Le voilà.
LA RONDE.
Vous, Arlequin !...
ARLEQUIN.
Oui, monsieur.
GILLES.
Bah ! Il n’a rien....
ARLEQUIN.
Et le journal ?...
GILLES.
Bénéfice en l’air ; il n’est pas fait, et il va tomber.
SCENE XXIX. Les Précédents, Le Colporteur, Le Prote, L’Imprimeur. §
LE PROTE.
Voilà la feuille toute imprimée pour demain.
GILLES.
Il avait fait le journal... C’est égal, il faut qu’il donne mille écus dans une heure, et il n’a pas le sou.
L’IMPRIMEUR.
Je lui fais crédit.
GILLES.
Quoi !... C’est encore égal, il va être tué en duel ce soir.
DELPHINE.
Que dites-vous ?
LE COLPORTEUR.
C’est un conte que je vous ont fait... Monsieur Balourd ne se bat pas.
GILLES.
Je crois que je suis attrapé !
ARLEQUIN.
Oui... Mais laissez-moi épouser Delphine, et je vous rendrai votre propriété.
GILLES.
Ce n’est que ça ?... Elle ne m’aime pas. Je te pardonne ; épouse.
ARLEQUIN.
Vous qui êtes le papa de Delphine, puisque je suis le journaliste, vous voulez donc bien devenir le mien ?
LA RONDE.
J’y consens ; et je suis sûr que l’on dira par-tout, La Ronde ne s’est pas mésallié.
ARLEQUIN, DELPHINE.
Le bon père !...
VAUDEVILLE. §
DELPHINE.
GILLES.
LE COLPORTEUR.
ARLEQUIN, au Public.