SCÈNE PREMIÈRE. Garibalde, Rodelinde. §
GARIBALDE.
Ce n’est plus seulement l’offre d’un diadème
Que vous fait pour un fils un prince qui vous aime,
Et de qui le refus ne puisse être imputé
Qu’à fermeté de haine ou magnanimité :
755 Il y va de sa vie, et la juste colère
Où jettent cet amant les mépris de la mère,
Veut punir sur le sang de ce fils innocent
La dureté d’un coeur si peu reconnaissant.
C’est à vous d’y penser : tout le choix qu’on vous donne,
760 C’est d’accepter pour lui la mort ou la couronne.
Son sort est en vos mains : aimer ou dédaigner
Le va faire périr ou le faire régner.
RODELINDE.
S’il me faut faire un choix d’une telle importance,
On me donnera bien le loisir que j’y pense.
GARIBALDE.
765 Pour en délibérer vous n’avez qu’un moment :
J’en ai l’ordre pressant ; et sans retardement,
Madame, il faut résoudre, et s’expliquer sur l’heure :
Un mot est bientôt dit. Si vous voulez qu’il meure,
Prononcez-en l’arrêt, et j’en prendrai la loi
770 Pour faire exécuter les volontés du roi.
RODELINDE.
Un mot est bientôt dit ; mais dans un tel martyre
On n’a pas bientôt vu quel mot c’est qu’il faut dire ;
Et le choix qu’on m’ordonne est pour moi si fatal,
Qu’à mes yeux des deux parts le supplice est égal.
775 Puisqu’il faut obéir, fais-moi venir ton maître.
GARIBALDE.
Quel choix avez-vous fait ?
RODELINDE.
Quel choix avez-vous fait ? Je lui ferai connaître
Que si…
GARIBALDE.
Que si… C’est avec moi qu’il vous faut achever :
Il est las désormais de s’entendre braver ;
Et si je ne lui porte une entière assurance
780 Que vos désirs enfin suivent son espérance,
Sa vue est un honneur qui vous est défendu.
RODELINDE.
Que me dis-tu, perfide ? Ai-je bien entendu ?
Tu crains donc qu’une femme, à force de se plaindre,
Ne sauve une vertu que tu tâches d’éteindre,
785 Ne remette un héros au rang de ses pareils,
Dont tu veux l’arracher par tes lâches conseils ?
Oui, je l’épouserai, ce trop aveugle maître,
Tout cruel, tout tyran que tu le forces d’être :
Va, cours l’en assurer ; mais penses-y deux fois.
790 Crains-moi, crains son amour, s’il accepte mon choix.
Je puis beaucoup sur lui ; j’y pourrai davantage,
Et régnerai peut-être après cet esclavage.
GARIBALDE.
Vous régnerez, madame, et je serai ravi
De mourir glorieux pour l’avoir bien servi.
RODELINDE.
795 Va, je lui ferai voir que de pareils services
Sont dignes seulement des plus cruels supplices,
Et que de tous les maux dont les rois sont auteurs,
Ils s’en doivent venger sur de tels serviteurs.
Tu peux en attendant lui donner cette joie,
800 Que pour gagner mon coeur il a trouvé la voie,
Que ton zèle insolent et ton mauvais destin
À son amour barbare en ouvrent le chemin.
Dis-lui, puisqu’il le faut, qu’à l’hymen je m’apprête ;
Mais fuis-nous, s’il s’achève, et tremble pour ta tête.
GARIBALDE.
805 Je veux bien à ce prix vous donner un grand roi.
RODELINDE.
Qu’à ce prix donc il vienne, et m’apporte sa foi.
SCÈNE II. Rodelinde, Édwige. §
ÉDWIGE.
Votre félicité sera mal assurée
Dessus un fondement de si peu de durée.
Vous avez toutefois de si puissants appas…
RODELINDE.
810 Je sais quelques secrets que vous ne savez pas ;
Et si j’ai moins que vous d’attraits et de mérite,
J’ai des moyens plus sûrs d’empêcher qu’on me quitte.
RODELINDE.
Mon exemple… Souffrez que je n’en craigne rien,
Et par votre malheur ne jugez pas du mien.
815 Chacun à ses périls peut suivre sa fortune,
Et j’ai quelques soucis que l’exemple importune.
ÉDWIGE.
Ce n’est pas mon dessein de vous importuner.
RODELINDE.
Ce n’est pas mon dessein aussi de vous gêner ;
Mais votre jalousie un peu trop inquiète
820 Se donne malgré moi cette gêne secrète.
ÉDWIGE.
Je ne suis point jalouse, et l’infidélité…
RODELINDE.
Eh bien ! Soit jalousie ou curiosité,
Depuis quand sommes-nous en telle intelligence
Que tout mon coeur vous doive entière confidence ?
ÉDWIGE.
825 Je n’en prétends aucune, et c’est assez pour moi
D’avoir bien entendu comme il accepte un roi.
RODELINDE.
On n’entend pas toujours ce qu’on croit bien entendre.
ÉDWIGE.
De vrai, dans un discours difficile à comprendre,
Je ne devine point, et n’en ai pas l’esprit ;
830 Mais l’esprit n’a que faire où l’oreille suffit.
RODELINDE.
Il faudrait que l’oreille entendît la pensée.
ÉDWIGE.
J’entends assez la vôtre : on vous aura forcée ;
On vous aura fait peur, ou de la mort d’un fils,
Ou de ce qu’un tyran se croit être permis,
835 Et l’on fera courir quelque mauvaise excuse
Dont la cour s’éblouisse et le peuple s’abuse.
Mais cependant ce coeur que vous m’abandonniez…
RODELINDE.
Il n’est pas temps encor que vous vous en plaigniez :
Comme il m’a fait des lois, j’ai des lois à lui faire.
ÉDWIGE.
840 Il les acceptera pour ne vous pas déplaire ;
Prenez-en sa parole, il sait bien la garder.
RODELINDE.
Pour remonter au trône on peut tout hasarder.
Laissez-m’en, quoi qu’il fasse, ou la gloire ou la honte,
Puisque ce n’est qu’à moi que j’en dois rendre conte.
845 Si votre coeur souffrait ce que souffre le mien,
Vous ne vous plairiez pas en un tel entretien ;
Et votre âme à ce prix voyant un diadème,
Voudrait en liberté se consulter soi-même.
ÉDWIGE.
Je demande pardon si je vous fais souffrir,
850 Et vais me retirer pour ne vous plus aigrir.
RODELINDE.
Allez, et demeurez dans cette erreur confuse :
Vous ne méritez pas que je vous désabuse.
ÉDWIGE.
Ce cher amant sans moi vous entretiendra mieux,
Et je n’ai plus besoin de rapport de mes yeux.
SCÈNE III. Grimoald, Rodelinde, Garibalde, Unulphe. §
RODELINDE.
855 Je me rends, Grimoald, mais non pas à la force :
Le titre que tu prends m’est une douce amorce,
Et s’empare si bien de mon affection,
Qu’elle ne veut de toi qu’une condition :
Si je n’ai pu t’aimer et juste et magnanime,
860 Quand tu deviens tyran je t’aime dans le crime ;
Et pour moi ton hymen est un souverain bien,
S’il rend ton nom infâme aussi bien que le mien.
GRIMOALD.
Que j’aimerai, madame, une telle infamie
Qui vous fera cesser d’être mon ennemie !
865 Achevez, achevez, et sachons à quel prix
Je puis mettre une borne à de si longs mépris :
Je ne veux qu’une grâce, et disposez du reste.
Je crains pour Garibalde une haine funeste,
Je la crains pour Unulphe : à cela près, parlez.
RODELINDE.
870 Va, porte cette crainte à des coeurs ravalés ;
Je ne m’abaisse point aux faiblesses des femmes
Jusques à me venger de ces petites âmes.
Si leurs mauvais conseils me forcent de régner,
Je les en dois haïr, et sais les dédaigner.
875 Le ciel, qui punit tout, choisira pour leur peine
Quelques moyens plus bas que cette illustre haine.
Qu’ils vivent cependant, et que leur lâcheté
À l’ombre d’un tyran trouve sa sûreté.
Ce que je veux de toi porte le caractère
880 D’une vertu plus haute et digne de te plaire.
Tes offres n’ont point eu d’exemples jusqu’ici,
Et ce que je demande est sans exemple aussi ;
Mais je veux qu’il te donne une marque infaillible
Que l’intérêt d’un fils ne me rend point sensible,
885 Que je veux être à toi sans le considérer,
Sans regarder en lui que craindre ou qu’espérer.
GRIMOALD.
Madame, achevez donc de m’accabler de joie.
Par quels heureux moyens faut-il que je vous croie ?
Expliquez-vous, de grâce, et j’atteste les cieux
890 Que tout suivra sur l’heure un bien si précieux.
RODELINDE.
Après un tel serment j’obéis et m’explique.
Je veux donc d’un tyran un acte tyrannique :
Puisqu’il en veut le nom, qu’il le soit tout à fait ;
Que toute sa vertu meure en un grand forfait,
895 Qu’il renonce à jamais aux glorieuses marques
Qui le mettaient au rang des plus dignes monarques ;
Et pour le voir méchant, lâche, impie, inhumain,
Je veux voir ce fils même immolé de sa main.
RODELINDE.
Juste ciel ! Que veux-tu pour marque plus certaine
900 Que l’intérêt d’un fils n’amollit point ma haine,
Que je me donne à toi sans le considérer,
Sans regarder en lui que craindre ou qu’espérer ?
Tu trembles, tu pâlis, il semble que tu n’oses
Toi-même exécuter ce que tu me proposes !
905 S’il te faut du secours, je n’y recule pas,
Et veux bien te prêter l’exemple de mon bras.
Fais, fais venir ce fils, qu’avec toi je l’immole.
Dégage ton serment, je tiendrai ma parole.
Il faut bien que le crime unisse à l’avenir
910 Ce que trop de vertus empêchait de s’unir.
Qui tranche du tyran doit se résoudre à l’être.
Pour remplir ce grand nom as-tu besoin d’un maître,
Et faut-il qu’une mère, aux dépens de son sang,
T’apprenne à mériter cet effroyable rang ?
915 N’en souffre pas la honte, et prends toute la gloire
Que cet illustre effort attache à ta mémoire.
Fais voir à tes flatteurs, qui te font trop oser,
Que tu sais mieux que moi l’art de tyranniser ;
Et par une action aux seuls tyrans permise,
920 Deviens le vrai tyran de qui te tyrannise.
À ce prix je me donne, à ce prix je me rends ;
Ou si tu l’aimes mieux, à ce prix je me vends,
Et consens à ce prix que ton amour m’obtienne,
Puisqu’il souille ta gloire aussi bien que la mienne.
GRIMOALD.
925 Garibalde, est-ce là ce que tu m’avais dit ?
GARIBALDE.
Avec votre jalouse elle a changé d’esprit ;
Et je l’avais laissée à l’hymen toute prête,
Sans que son déplaisir menaçât que ma tête.
Mais ces fureurs enfin ne sont qu’illusion,
930 Pour vous donner, seigneur, quelque confusion ;
Ne vous étonnez point, vous l’en verrez dédire.
GRIMOALD.
Vous l’ordonnez, madame, et je dois y souscrire :
J’en ferai ma victime, et ne suis point jaloux
De vous voir sur ce fils porter les premiers coups.
935 Quelque honneur qui par là s’attache à ma mémoire,
Je veux bien avec vous en partager la gloire,
Et que tout l’avenir ait de quoi m’accuser
D’avoir appris de vous l’art de tyranniser.
Vous devriez pourtant régler mieux ce courage,
940 N’en pousser point l’effort jusqu’aux bords de la rage,
Ne lui permettre rien qui sentît la fureur,
Et le faire admirer sans en donner d’horreur.
Faire la furieuse et la désespérée,
Paraître avec éclat mère dénaturée,
945 Sortir hors de vous-même, et montrer à grand bruit
À quelle extrémité mon amour vous réduit,
C’est mettre avec trop d’art la douleur en parade ;
Qui fait le plus de bruit n’est pas le plus malade :
Les plus grands déplaisirs sont les moins éclatants ;
950 Et l’on sait qu’un grand coeur se possède en tout temps.
Vous le savez, madame, et que les grandes âmes
Ne s’abaissent jamais aux faiblesses des femmes,
Ne s’aveuglent jamais ainsi hors de saison ;
Que leur désespoir même agit avec raison,
955 Et que…
RODELINDE.
Et que… C’en est assez : sois-moi juge équitable,
Et dis-moi si le mien agit en raisonnable,
Si je parle en aveugle, ou si j’ai de bons yeux.
Tu veux rendre à mon fils le bien de ses aïeux,
Et toute ta vertu jusque-là t’abandonne,
960 Que tu mets en mon choix sa mort ou ta couronne !
Quand j’aurai satisfait tes voeux désespérés,
Dois-je croire ses jours beaucoup plus assurés ?
Cet offre, ou, si tu veux, ce don du diadème
N’est, à le bien nommer, qu’un faible stratagème.
965 Faire un roi d’un enfant pour être son tuteur,
C’est quitter pour ce nom celui d’usurpateur ;
C’est choisir pour régner un favorable titre ;
C’est du sceptre et de lui te faire seul arbitre,
Et mettre sur le trône un fantôme pour roi
970 Jusques au premier fils qui te naîtra de moi,
Jusqu’à ce qu’on nous craigne, et que le temps arrive
De remettre en ses mains la puissance effective.
Qui veut bien l’immoler à son affection
L’immolerait sans peine à son ambition.
975 On se lasse bientôt de l’amour d’une femme ;
Mais la soif de régner règne toujours sur l’âme ;
Et comme la grandeur a d’éternels appas,
L’Italie est sujette à de soudains trépas.
Il est des moyens sourds pour lever un obstacle,
980 Et faire un nouveau roi sans bruit et sans miracle ;
Quitte pour te forcer à deux ou trois soupirs,
Et peindre alors ton front d’un peu de déplaisirs.
La porte à ma vengeance en serait moins ouverte :
Je perdrais avec lui tout le fruit de sa perte.
985 Puisqu’il faut qu’il périsse, il vaut mieux tôt que tard ;
Que sa mort soit un crime, et non pas un hasard ;
Que cette ombre innocente à toute heure m’anime,
Me demande à toute heure une grande victime ;
Que ce jeune monarque, immolé de ta main,
990 Te rende abominable à tout le genre humain ;
Qu’il t’excite partout des haines immortelles ;
Que de tous tes sujets il fasse des rebelles.
Je t’épouserai lors, et m’y viens d’obliger,
Pour mieux servir ma haine, et pour mieux me venger,
995 Pour moins perdre de voeux contre ta barbarie,
Pour être à tous moments maîtresse de ta vie,
Pour avoir l’accès libre à pousser ma fureur,
Et mieux choisir la place à te percer le coeur.
Voilà mon désespoir, voilà ses justes causes :
1000 À ces conditions prends ma main, si tu l’oses.
GRIMOALD.
Oui, je la prends, madame, et veux auparavant…
SCÈNE IV. Pertharite, Grimoald, Rodelinde, Garibalde, Unulphe. §
UNULPHE.
Que faites-vous, seigneur ? Pertharite est vivant :
Ce n’est plus un bruit sourd, le voilà qu’on amène ;
Des chasseurs l’ont surpris dans la forêt prochaine,
1005 Où, caché dans un fort, il attendait la nuit.
GRIMOALD.
Je vois trop clairement quelle main le produit.
RODELINDE.
Est-ce donc vous, seigneur ? Et les bruits infidèles
N’ont-ils semé de vous que de fausses nouvelles ?
PERTHARITE.
Qui, cet époux si cher à vos chastes désirs,
1010 Qui vous a tant coûté de pleurs et de soupirs…
GRIMOALD.
Va, fantôme insolent, retrouver qui t’envoie,
Et ne te mêle point d’attenter à ma joie.
Il est encore ici des supplices pour toi,
Si tu viens y montrer la vaine ombre d’un roi.
1015 Pertharite n’est plus.
PERTHARITE.
Pertharite n’est plus. Pertharite respire,
Il te parle, il te voit régner dans son empire.
Que ton ambition ne s’effarouche pas
Jusqu’à me supposer toi-même un faux trépas :
Il est honteux de feindre où l’on peut toutes choses.
1020 Je suis mort, si tu veux ; je suis mort, si tu l’oses,
Si toute ta vertu peut demeurer d’accord
Que le droit de régner me rend digne de mort.
Je ne viens point ici par de noirs artifices
De mon cruel destin forcer les injustices,
1025 Pousser des assassins contre tant de valeur,
Et t’immoler en lâche à mon trop de malheur.
Puisque le sort trahit ce droit de ma naissance,
Jusqu’à te faire un don de ma toute-puissance,
Règne sur mes états que le ciel t’a soumis ;
1030 Peut-être un autre temps me rendra des amis.
Use mieux cependant de la faveur céleste :
Ne me dérobe pas le seul bien qui me reste,
Un bien où je te suis un obstacle éternel,
Et dont le seul désir est pour toi criminel.
1035 Rodelinde n’est pas du droit de ta conquête :
Il faut, pour être à toi, qu’il m’en coûte la tête ;
Puisqu’on m’a découvert, elle dépend de toi ;
Prends-la comme tyran, ou l’attaque en vrai roi.
J’en garde hors du trône encor les caractères,
1040 Et ton bras t’a saisi de celui de mes pères.
Je veux bien qu’il supplée au défaut de ton sang,
Pour mettre entre nous deux égalité de rang.
Si Rodelinde enfin tient ton âme charmée,
Pour voir qui la mérite il ne faut point d’armée.
1045 Je suis roi, je suis seul, j’en suis maître, et tu peux
Par un illustre effort faire place à tes voeux.
GRIMOALD.
L’artifice grossier n’a rien qui m’épouvante.
Édüige à fourber n’est pas assez savante ;
Quelque adresse qu’elle aie, elle t’a mal instruit,
1050 Et d’un si haut dessein elle a fait trop de bruit.
Elle en fait avorter l’effet par la menace,
Et ne te produit plus que de mauvaise grâce.
PERTHARITE.
Quoi ? Je passe à tes yeux pour un homme attitré ?
GRIMOALD.
Tu l’avoueras toi-même ou de force ou de gré.
1055 Il faut plus de secret alors qu’on veut surprendre,
Et l’on ne surprend point quand on se fait attendre.
PERTHARITE.
Parlez, parlez, madame, et faites voir à tous
Que vous avez des yeux pour connaître un époux.
GRIMOALD.
Tu veux qu’en ta faveur j’écoute ta complice !
1060 Eh bien ! Parlez, madame ; achevez l’artifice.
Est-ce là votre époux ?
RODELINDE.
Est-ce là votre époux ? Toi qui veux en douter,
Par quelle illusion m’oses-tu consulter ?
Si tu démens tes yeux, croiras-tu mon suffrage ?
Et ne peux-tu sans moi connaître son visage ?
1065 Tu l’as vu tant de fois, au milieu des combats,
Montrer, à tes périls, ce que pesait son bras,
Et l’épée à la main, disputer en personne,
Contre tout ton bonheur, sa vie et sa couronne.
Si tu cherches une aide à traiter d’imposteur
1070 Un roi qui t’a fermé la porte de mon coeur,
Consulte Garibalde, il tremble à voir son maître :
Qui l’osa bien trahir l’osera méconnaître ;
Et tu peux recevoir de son mortel effroi
L’assurance qu’enfin tu n’attends pas de moi.
1075 Un service si haut veut une âme plus basse ;
Et tu sais…
GRIMOALD.
Et tu sais… Oui, je sais jusqu’où va votre audace.
Sous l’espoir de jouir de ma perplexité,
Vous cherchez à me voir l’esprit inquiété ;
Et ces discours en l’air que l’orgueil vous inspire
1080 Veulent persuader ce que vous n’osez dire,
Brouiller la populace, et lui faire après vous
En un fourbe impudent respecter votre époux.
Poussez donc jusqu’au bout, devenez plus hardie :
Dites-nous hautement…
RODELINDE.
Dites-nous hautement… Que veux-tu que je die ?
1085 Il ne peut être ici que ce que tu voudras :
Tes flatteurs en croiront ce que tu résoudras.
Je n’ai pas pour t’instruire assez de complaisance ;
Et puisque son malheur l’a mis en ta puissance,
Je sais ce que je dois, si tu ne me le rends.
1090 Achève de te mettre au rang des vrais tyrans.