SCÈNE PREMIÈRE. Maximian, Constance. §
CONSTANCE.
Quoi, n’avoir point encor par l’effroi des supplices
Chercher la vérité dans le sein des Complices,
1175 Et souffrir si longtemps sans les faire parler
Tout ce que Martian a voulu révéler !
Que son rapport soit vrai, que ce soit imposture,
Il faut punir Licine, ou venger son injure,
Et l’on ne peut trop tôt dans ces obscurités
1180 Faire effort à trouver de fidèles clartés.
MAXIMIAN.
Madame, en ce forfait quoi que l’on examine,
Il est bon d’épargner la gloire de Licine,
Et ne pénétrer pas avec tant de rigueur
Quels intérêts cachés ont séduit son grand coeur.
1185 Constantin y consent ; qu’on punisse, pardonne,
Avec l’Impératrice il veut que j’en ordonne,
Et sans vouloir entendre aucun des Conjurés,
Sur l’ardeur de nos soins tient ses jours assurés.
Je sais ce que je dois ; mais pourvu que Licine
1190 À ne rien avouer jusques au bout s’obstine,
Peut-être il suffira pour sa punition
D’ôter tout lieu de nuire à son ambition,
Et prévenant par là tout ce qu’on appréhende...
CONSTANCE.
Ah, Seigneur, ce n’est pas ce que je vous demande,
1195 Et Licine est d’un rang à ne pouvoir souffrir
L’outrageante pitié que vous semblez m’offrir.
J’ai pour lui de l’estime, et je l’ai fait paraître ;
Mais l’éclat de sa gloire est ce qui la fit naître,
Il la surprit par elle, et s’il l’a pu ternir,
1200 C’est un double attentat dont il le faut punir.
Ainsi pour vous, pour moi, soyez juge sévère,
Point de grâce pour lui s’il osa trop me plaire,
Et si d’un faux brillant les indignes appas
Lui gagnèrent un prix qu’il ne méritait pas.
MAXIMIAN.
1205 Jusqu’à cette rigueur contre lui vous contraindre ?
CONSTANCE.
À dire vrai, Seigneur, je n’ai pas tout à craindre,
L’attentat m’est suspect, et pour votre intérêt
Du lâche Martian il faut presse l’arrêt.
Si de l’auteur du crime il a seul connaissance,
1210 La vertu de Licine en prouve l’innocence,
Et tout ce qu’il a fait semble être un sûr garant
Du peu qu’il a de part dans ce qu’on entreprend.
Son nom qui n’est connu d’aucun autre complice
Sous un si grand secret cache quelque artifice ;
1215 Et si Martian parle, afin de moins douter,
C’est dans les seuls tourments qu’il le faut écouter.
Comme la vérité par là se peut connaître,
J’ai pressé l’Empereur de condamner ce Traître,
Il vous en laisse arbitre, et dans ce plein pouvoir,
1220 Punissant Martian, vous pourrez tout savoir.
MAXIMIAN.
Il est juste, et dans peu par les plus rudes gênes
On m’en verra tirer des lumières certaines.
Je craignais pour Licine à trop examiner,
Mais s’il est innocent, qui peut-on soupçonner ?
CONSTANCE.
1225 Seigneur, une belle âme incapable de crime
Ne croit former jamais de soupçon légitime,
Et le mien ne sachant où pouvoir s’arrêter ;
Vous laisse là-dessus Sévère à consulter.
SCÈNE II. Maximian, Sévère. §
MAXIMIAN.
Viens, il faut de nouveau résoudre l’entreprise.
1230 La prison de Licine en vain la favorise,
En vain par cet obstacle à nos desseins ôté,
D’un sûr et prompt succès mon espoir s’est flatté ;
Toujours l’Impératrice à cet espoir contraire
Détruit par ses conseils tout ce que je crois faire,
1235 Et n’agirait pas mieux si dans ce qu’on résout,
Pour en rompre l’effet on l’instruisait de tout.
D’ailleurs de Constantin le procédé m’étonne ;
Par cent jaloux transports sans cesse il s’abandonne,
Il croit qu’avecque vous Fauste toujours d’accord
1240 Pour vous garder sa foi fait des voeux pour sa mort,
Et lorsqu’à ce soupçon son trop d’amour le livre,
Quoi qu’elle lui conseille, il se plaît à le suivre.
C’est ses seuls avis que sans y rien changer
De la Garde suspecte il brave le danger,
1245 En vain les Conjurés lui veulent tout apprendre,
Elle ne peut souffrir qu’il songe à les entendre,
Et rompt ce que par eux, les faisant écouter,
Nous pouvions être sûrs de voir exécuter.
SÉVÈRE.
Cet obstacle, Seigneur a droit de vous surprendre,
1250 Mais vous teniez trop sûr ce moyen d’entreprendre,
Le coup précipité m’en semblait hasardeux.
MAXIMIAN.
Non, non, il n’offrait rien à craindre que pour eux,
Et si leur mort sur l’heure eût terminé leur peine,
Celle de l’Empereur était toujours certaine.
1255 Les armes qu’en secret je leur faisais donner
N’avaient rien contre moi que l’on pût soupçonner,
Et lorsqu’en l’abordant, l’ardeur qui les anime
Eût cherché dans son sang le pardon de leur crime,
Par ce hardi projet maîtres de tout l’État,
1260 Nous n’aurions pas eu de peine à cacher l’attentat.
SÉVÈRE.
Craignez de trop céder à l’espoir qui vous flatte,
Quand le secours du Ciel pour l’Empereur éclate.
Le coup que de sa tête il aime à détourner,
Est peut-être un avis de tout abandonner,
1265 Et quoi qu’un plein pouvoir que lui-même autorise,
Vous laisse en liberté d’étouffer l’entreprise,
Redoutez un projet dont le succès douteux,
S’il tourne contre vous, n’a rien que de honteux.
MAXIMIAN.
Et soumis au destin dont la rigueur me brave,
1270 Tu ne crois point de honte à demeurer esclave,
À craindre le pouvoir qu’il m’a plu de céder,
Et me voir obéir où j’ai pu commander ?
Non, non, plutôt sur moi tombe cent fois la foudre,
Qu’on m’oblige à changer ce que j’osai résoudre.
1275 J’arracherais ce coeur s’il s’était démenti ;
C’est assez qu’une fois je me sois repenti,
Il m’en coûte l’Empire, et si pour le reprendre
Du seul secours du crime il nous faut tout attendre,
La gloire du succès que je prends pour objet,
1280 Aura droit d’effacer la honte du projet.
Ainsi, quelques périls où j’expose ma tête...
SCÈNE III. Constantin, Maximian, Sévère, Suite. §
CONSTANTIN.
Ah, Seigneur, que de maux le Destin nous apprête,
Et qu’on m’eût épargné de peines à souffrir
Si sans me rien apprendre on m’eût laissé périr !
1285 Vous ne conceviez point sur quels secrets indices
Fauste me détournait d’entendre les Complices,
Et malgré vos conseils m’a forcé d’ordonner
Qu’un autre prît le soin de les examiner.
Elle vous l’a remis, et n’a pas craint qu’un père
1290 Par l’intérêt du sang refusât de se taire,
Et pour sa gloire au moins n’aidât à déguiser
Ce que les Conjurés auraient pu déposer.
MAXIMIAN.
Que dites-vous, Seigneur ?
CONSTANTIN.
Que dites-vous, Seigneur ? Que la rage et l’envie
Par son seul ordre, hélas attentent sur ma vie,
1295 Et que d’un premier feu le souvenir trop doux
Lui fait tremper les mains dans le sang d’un époux.
MAXIMIAN.
Ah, Seigneur, de ma Fille épargnez l’innocence.
Je vous l’ai déjà dit, ce sentiment m’offense,
Et quoi que l’imposture ait oser publier,
1300 Le sang dont elle sort la doit justifier.
CONSTANTIN.
Il le devrait, mais las !
SÉVÈRE.
Il le devrait, mais las ! Quoi, Seigneur, il peut être
Que d’aveugles soupçons tombent...
CONSTANTIN.
Que d’aveugles soupçons tombent... Ne dis rien, traître.
C’est toi de qui l’amour dans son coeur enflammé
A versé la fureur dont il est animé.
1305 En vain tu fais paraître une surprise extrême,
S’il te faut des témoins je ne veux que toi-même,
Lâche, dans ce billet reconnais-tu ta main ?
CONSTANTIN, donnant le billet à Maximin.
Ô Ciel ! Voyez, Seigneur, s’il a part au dessein.
MAXIMIAN, lit.
Quoi que de l’attentat on ait donné d’indices,
1310 Peut-être dès ce soir vous n’aurez plus d’Époux.
Agissez promptement, tout est perdu pour nous
Si vous ne l’empêchez d’écouter les Complices.
Il le faut avouer, ce coup de foudre est grand,
Mais sans doute, Seigneur, Sévère vous surprend.
1315 L’ingrat pour se venger de sa foi méprisée
À vos ressentiments la veut voir exposée,
Et par ce faux billet qu’il vous fait supposer
Il s’accuse lui-même afin de l’accuser.
L’ardeur de la noircir...
CONSTANTIN.
L’ardeur de la noircir... Pouvez-vous la défendre,
1320 Si moi-même en ses mains je viens de le surprendre ?
Entré sans l’avertir dans son appartement,
J’ai soupçonné son crime à son étonnement.
Je l’ai vue inquiète, et comme toute émue
Dérober avec soin ce Billet à ma vue,
1325 Et confus de son trouble, au point de lui parler,
Votre abord m’a contraint de tout dissimuler.
Vous avez vu, Seigneur, avec quels artifices
Elle a su se soustraire au rapport des Complices.
J’ai voulu devant vous lui laisser son secret,
1330 Et lorsque resté seul j’ai parlé du Billet,
Ses refus ont si loin porté ma défiance,
Qu’à la prière enfin j’ai joint la violence.
On va vous l’amener afin que sa fureur
Vous oblige avec moi d’en partager l’horreur.
MAXIMIAN.
1335 Dans l’affreux désespoir où me plonge son crime,
Pardonnez le désordre où ma raison s’abîme.
Quoi qu’à votre péril le mien fût attaché,
Jusqu’ici l’attentat ne m’avait point touché ;
J’estime peu la vie, et la main qui conspire
1340 M’assurait par la mort le repos où j’aspire ;
Mais voir que sur le Trône après m’être vaincu
J’aie à ma gloire encor malgré moi survécu,
Tout mon sang que noircit un si honteux outrage
En frémit de colère, en bouillonne de rage,
1345 Et dans l’accablement de mes tristes ennuis,
Je me pers, je m’égare, et ne sais qui je suis.
CONSTANTIN.
Ah, si vous l’ignorez, puis-je encor me connaître ?
L’Amour de tous mes voeux s’est rendu le seul Maître,
Je ne vis que pour Fauste, et la soif de mon sang
1350 Est le prix du beau feu qui l’élève à mon rang.
SÉVÈRE.
Et vous pouvez souffrir qu’une aveugle injustice
Étende sa rigueur jusqu’à l’Impératrice ?
Par sa haute vertu vos soupçons repoussés
N’ont rien...
CONSTANTIN.
N’ont rien... Quoi, ce Billet ne m’en dit pas assez,
1355 Traître, et ton fol espoir veut que je me déguise
Qu’ainsi qu’elle avant moi tu savais l’entreprise ?
SÉVÈRE.
Non, si de ce forfait mon sang vous doit raison,
Condamnez, punissez, j’ai su la trahison ;
Mais quoique la rigueur de vos dures maximes
1360 De mes tristes malheurs me fasse autant de crimes,
Le favorable arrêt qui saura les finir,
Par la mort que j’attends n’aura rien à punir.
MAXIMIAN.
Oui, tu mourras, perfide, et ta lâche complice
Dans ta peine du moins trouvera son supplice,
1365 Et puisque mon amour par un tendre intérêt...
SÉVÈRE.
Ah, contre elle, Seigneur, suspendez votre arrêt.
Quoi que vous fasse croire une indigne apparence,
Jamais tant de vertu ne soutint l’innocence,
Et j’atteste les Dieux...
MAXIMIAN.
Et j’atteste les Dieux... Cesse de t’obstiner,
1370 Si tu n’as pour témoins que les Dieux à donner.
Tes serments dont l’audace attire encor leur foudre,
Quand ta main te convainc, te peuvent-ils absoudre,
Et crois-tu que le Ciel voulut favoriser...
SÉVÈRE.
Quoi, vous-même, Seigneur, vous pouvez l’accuser,
1375 Vous à qui sa vertu par des clartés secrètes
Pour montrer ce qu’elle est, offre ce que vous êtes,
Et pour braver un sort de sa gloire jaloux
Prend pour elle en vous-même un témoin contre vous ?
CONSTANTIN.
J’en aurais cru ce sang, qu’avant un coup si lâche
1380 J’avais pris tant de soin de conserver sans tache ;
Mais contre un fol amour que rien n’a pu bannir
Il n’est point de vertu qu’il puisse soutenir.
Sous l’horreur surprenante où l’attentat me jette,
La Nature étouffée a droit d’être muette,
1385 Et saisi tout à coup et de trouble et d’effroi,
Je n’entends qu’une voix qui parle contre toi.
C’est lui, Seigneur, c’est lui dont l’ardeur criminelle
Force l’Impératrice à vous être infidèle,
Il m’en coûte ma gloire, et pour venger mon rang...
SÉVÈRE.
1390 Et bien, à cette gloire abandonnez mon sang,
Mais songez, si l’amour me la rendait moins chère,
Que je pourrais parler où je cherche à me taire.
Comme c’est le seul crime où j’ai su m’engager,
L’Impératrice seule a droit de m’en purger.
1395 Par de honteux soupçons qui noircissent son zèle
Ne me contraignez point à m’expliquer pour elle,
Son intérêt me touche, et pour la maintenir,
Mon coeur...
CONSTANTIN.
Mon coeur... Et c’est de quoi je saurai te punir,
Lâche, fais gloire encor de ta coupable flamme,
1400 On vient te seconder.
SCÈNE IV. Constantin, Maximian, Fauste, Sévère, Maxime, Suite. §
CONSTANTIN.
On vient te seconder. Parlez, parlez, Madame,
Et par le noble éclat d’un généreux amour
Faites-nous voir Sévère innocent à son tour.
Comme avec tant de zèle il prend votre défense
Vous devez quelque chose à la reconnaissance,
1405 Et ce sera pour vous un reproche éternel
Si lorsqu’il vous absout il reste criminel.
FAUSTE.
Seigneur, n’attendez point qu’en faveur de Sévère
Je cherche à déguiser ce qu’on ne peut plus taire.
Ce Billet nous accuse, et ce qu’il vous apprend
1410 De notre intelligence est un trop sûr garant,
Nous avons cru tous deux devoir suivre un beau zèle,
Je l’ai rendu coupable, il me rend criminelle.
Mais quoi que l’un et l’autre en soit moins innocent,
C’est un crime louable où la vertu consent.
1415 Dans les divers malheurs où le destin m’engage
Il ne m’est pas permis d’en dire davantage.
Des Conjurés saisis le dangereux appas
Découvre l’entreprise, et ne la détruit pas.
Vous voyez de nouveau le péril où vous êtes,
1420 Appréhendez partout des pratiques secrètes,
Et pour conseil utile en de si lâches coups,
Si vous les voulez fuir, n’en prenez que de vous.
CONSTANTIN.
Ah, que de ce conseil j’ai sujet de me plaindre !
Pour confondre mes soins il m’oblige à tout craindre,
1425 Et le péril partout qu’il m’offre à redouter,
Force mon désespoir de m’y précipiter.
Vous serez satisfaite, et puisqu’à votre crime
La vertu peut prêter un appui légitime,
De mes jours odieux le sacrifice offert
1430 Rendra le coup facile à la main qui me perd.
Vous aurez la douceur d’immoler à Sévère
Cet époux qu’à sa flamme il trouva si contraire,
Et malgré les transports de mon juste courroux
J’ai pour vous trop d’amour pour me garder de vous ;
1435 Mais quoi que de vos voeux je me rende complice,
J’empêcherai du moins que l’ingrat n’en jouisse,
Et si ma mort a droit d’adoucir vos malheurs,
La sienne auparavant vous coûtera des pleurs.
FAUSTE.
J’aurai lieu d’en donner au malheur qui l’accable
1440 Puisque c’est malgré lui qu’il s’est rendu coupable,
Et qu’à mes intérêts s’osant sacrifier...
MAXIMIAN.
Cherchez, cherchez, Madame, à le justifier,
Et quelque affront par là qui sur mon sang s’imprime,
Pour le faire innocent chargez-vous de son crime.
1445 L’horreur du fol amour dont vos sens sont blessés
Sans ce honteux aveu n’éclate pas assez,
Il faut par une audace, et lâche, et téméraire...
SÉVÈRE.
Seigneur, encor un coup souffrez-moi de me taire,
Et de l’Impératrice épargnant la vertu,
1450 Laissez-moi le pouvoir...
CONSTANTIN.
Laissez-moi le pouvoir... Lâche, que dirais-tu ?
MAXIMIAN.
Seigneur, il faut qu’il parle, et qu’il nous fasse entendre
Jusqu’à quelle fureur le crime a pu s’étendre.
De quoi en l’écoutant nous puissions être instruits,
Je n’ai plus rien à craindre en l’état où je suis.
1455 En vain la vertu seule attira tout mon zèle,
Plus de gloire pour moi quand Fauste est criminelle,
Son forfait dont l’image à mes yeux vient s’offrir...
SÉVÈRE.
Enfin, Madame, enfin je n’en puis plus souffrir,
Et quelque fort respect qui m’oblige au silence,
1460 C’est trop voir l’injustice opprimer l’innocence.
Seigneur, le Criminel n’a plus à se cacher,
C’est dans Maximian qu’il vous le faut chercher,
Lui seul fait conspirer, et Chef de l’entreprise...
CONSTANTIN.
Traître, Maximian ?
MAXIMIAN.
Traître, Maximian ? J’avouerai ma surprise,
1465 À ce coup imprévu je ne sais qu’opposer ;
Mais je m’accuserais en voulant m’excuser,
Et ne puis faire mieux, pour confondre l’Envie,
Que laisser ma défense à l’éclat de ma vie.
CONSTANTIN, à Sévère.
Ah, lâche, c’est donc là cet important secret
1470 Que ta jalouse rage abandonne à regret,
Et d’un crime odieux que l’enfer te suggère,
Tu crois sauver la Fille en accusant le père ?
Mais au moins apprends-nous quel pressent intérêt
L’a contraint de ma mort à prononcer l’arrêt.
1475 Quand par un noble effort que l’Univers admire,
Pour régner sur soi-même il a quitté l’Empire,
Veux-tu que par un crime aussi noir que honteux
L’objet de son mépris soit celui de ses voeux ?
SÉVÈRE.
À quoi qu’en sa faveur un tel mépris vous force,
1480 L’éclat d’une Couronne est une douce amorce,
Et quiconque du Trône a goûté les appas,
En conçoit mieux le prix quand il n’en jouit pas.
À son ambition vous serviez de victime,
Il m’a dit son secret, et c’est là tout mon crime.
1485 J’ai vu l’Impératrice, et cru que ses avis
Pour rompre l’attentat devaient être suivis.
Ce billet prévenant de lâches artifices
Dérobe votre sang aux fureurs des Complices,
Qui par Maximian secrètement armés
1490 À l’envie contre vous se fussent animés.
Votre perte était sûre à les vouloir entendre,
Leur crime découvert le pressait d’entreprendre,
Il voyait tout facile, et Licine arrêté
Faisait de ses desseins l’entière sûreté.
1495 C’est à vous là-dessus d’être Juge équitable,
Licine est innocent, vous voyez le Coupable,
Et j’expose à vos yeux, sans plus rien vous cacher,
Tout ce que dans son crime on peut me reprocher.
CONSTANTIN.
Mais si par ce Billet sa trahison connue
1500 Ne t’en eût pas fait voir la rage prévenue,
Sans nommer le Coupable, et me rien découvrir,
Ton jaloux désespoir m’aurait laissé périr ?
SÉVÈRE.
Pour l’arracher au crime où le Trône l’engage,
J’aurais mis en secret toute chose en usage,
1505 Et si tous mes efforts n’eussent pu l’émouvoir,
Le péril redoublant je savais mon devoir.
MAXIMIAN.
Ah, puisque ce devoir était inébranlable,
Tu devais m’accuser quand tu me sus coupable,
Et ne t’exposer pas à te voir condamné
1510 Par le honteux silence où tu t’es obstiné.
La gloire de Licine indignement ternie
Demandait ton secours contre la calomnie ;
Mais à ta lâcheté mon déplaisir consent,
Je suis seul criminel, Licine est innocent.
1515 Je ne demande point qu’à force de supplices
On tire un juste arrêt de l’aveu des Complices ;
Loin de vouloir par eux justifier ma foi,
Je t’offre dans ma Fille un témoin contre moi.
Il est temps qu’elle parle, et qu’aidant l’imposture
1520 Ce nouveau parricide accable la Nature,
Le sang contre l’Amour s’explique vainement,
Et ce n’est rien qu’un père, où l’on sauve un amant.
FAUSTE.
Dans les cruels soupçons que mon malheur m’attire,
Après ce que j’ai dit je n’ai plus rien à dire.
1525 C’est à l’Empereur seul à bien examiner
Ce qu’il doit d’absoudre, ou droit de condamner ;
Ou plutôt, le péril étant toujours extrême,
Il doit pour s’en sauver ne croire que soi-même
Se défier sans cesse, et pour sa sûreté
1530 Voir et craindre partout de l’infidélité.
CONSTANTIN.
Hélas ! Pour mon repos ainsi que pour ma gloire
Je ne connais que trop ce qu’il faut craindre et croire,
Et d’un feu criminel l’espoir trop écouté,
Pour voir tous mes malheurs m’offre assez de clarté,
1535 Il périra, le Traître, et ma rage secrète
Du moins par son trépas se verra satisfaite ;
Non que dans l’attentat il puisse être accusé
Que d’avoir su le crime, et l’avoir déguisé.
Vous seule avec Licine aviez juré ma perte,
1540 Il trouve à son retour l’occasion offerte,
Et ne peut refuser de prêter quelque appui
Aux indignes complots qu’on a formés sans lui ;
Mais ce que ma douleur à punir s’intéresse,
C’est qu’il m’est lâchement volé votre tendresse,
1545 Et que de mon amour osant braver l’ardeur,
Quand j’obtiens votre main, il garde votre coeur.
C’est là ce qui vers moi noircit son innocence,
C’est le seul attentat dont je me dois vengeance,
Et pour voir jusqu’au bout ma haine s’enflammer,
1550 Le crime est assez grand de s’être fait aimer.
Qu’on le tienne en lieu sûr. Dans un sort si funeste,
Seigneur, c’est à vous seul de disposer du reste.
Pour moi, quelques ennuis où mon coeur soit plongé,
Si Sévère est puni, je suis assez vengé.
SCÈNE V. Maximian, Fauste. §
FAUSTE.
1555 Ah, Seigneur, si jamais la pitié sur votre âme,
Par un juste pouvoir...
MAXIMIAN.
Par un juste pouvoir... Nous sommes seuls, Madame,
Et pour vous épargner des efforts superflus,
Je veux bien avec vous m’expliquer là-dessus.
C’est par mon ordre seul que Martian conspire,
1560 La mort de Constantin me doit rendre l’Empire,
Et mon coeur insensible à toutes vos douleurs
Verra couler son sang de même que vos pleurs.
FAUSTE.
Quoi ? L’aveugle transport que vous prenez pour guide
L’emporte sur l’horreur d’un si noir parricide,
1565 Et par lui votre coeur au crime abandonné
N’épargne point l’époux que vous m’avez donné ?
MAXIMIAN.
Ce titre de ma haine aurait dû le défendre,
Mais il est Empereur aussi bien que mon gendre,
Et l’inquiète ardeur dont je me sens brûler
1570 Ne l’a fait votre époux que pour me l’immoler.
FAUSTE.
S’il n’est point de fureur qu’un nom si doux n’éteigne,
Sur quel crime assez grand...
MAXIMIAN.
Sur quel crime assez grand... Il est au trône, il règne,
Et dans l’abaissement du rang où je me vois,
Quiconque est au-dessus est coupable vers moi
FAUSTE.
1575 Peut-il l’être vers vous d’un Trône héréditaire ?
Votre place à remplir y fit monter son père,
Et lors que la vertu vous l’a fait dédaigner,
Est-ce un crime pour lui que le droit de régner ?
MAXIMIAN.
Si des projets si bas surprirent ma faiblesse,
1580 À m’en faire raison ma gloire s’intéresse,
Et pour les réparer dans l’éclat qu’ils ont eu,
Je dois un crime illustre à ma lâche vertu.
FAUSTE.
Quoi ! Réduite aux devoirs et de Fille et de Femme,
Ce déplorable état...
MAXIMIAN.
Ce déplorable état... C’est perdre temps, Madame,
1585 Les larmes dans vos maux sont un faible secours,
Et le Trône vaut bien les forfaits où je cours.
FAUSTE.
Et bien, père cruel, il faut être cruelle,
Votre infidélité me va rendre infidèle,
Et contre la Nature un juste désespoir
1590 Fait déjà dans mon coeur révolter mon devoir.
Pour sauver mon époux, j’accuserai mon père,
Et...
MAXIMIAN.
Et... Vous craindrai-je plus que je n’ai fait Sévère ?
Après que son rapport n’a pu trouver de foi,
Pour empêcher sa perte agissez contre moi,
1595 Déclarez mes desseins, accusez qui l’opprime.
Malgré vous je me vois le maître de mon crime,
Et sa mort me va mettre en état de jouir
De la pleine douceur d’avoir osé trahir.
Mais enfin de sa peine il est temps qu’on ordonne,
1600 Vous savez le pouvoir que l’Empereur me donne,
J’en saurai bien user.
FAUSTE.
J’en saurai bien user. Hélas !
MAXIMIAN.
J’en saurai bien user. Hélas ! Dans un moment
Vous recevrez mon ordre en votre appartement