NOUVEAU PROLOGUE, ET NOUVEAUX DIVERTISSEMENTS
POUR LA COMÉDIE DES AMANTS MAGNIFIQUES

M. CC. IV.

Par Dancourt

ACTEURS. §

  • LA FORTUNE.
  • NEPTUNE.
  • L’AMOUR.
  • PLUSIEURS HABITANTS et Habitantes de la Vallée de Tempé.
  • TRITONS.
  • NÉRÉIDES, etc.
La Scène est dans la Vallée de Tempé.

PROLOGUE. §

SCÈNE I. §

LA FORTUNE, seule.

1
Dans ce Vallon délicieux
Que de ses dons simples, mais précieux,
La nature paraît avoir, par préférence,
Orné même aux dépens de tous les autres lieux,
5 Joignons tout ce que l’art et la magnificence,
Ont de plus grand, de plus ingénieux.
Deux Princes, deux rivaux, pleins d’une ardeur extrême,
Unissent tous leurs soins pour dompter la fierté
D’un jeune objet qui, contre Vénus même,
10 Peut disputer de la beauté.
Dans ces aimables lieux sa mère l’a conduite.
Les Princes à ses yeux font briller tour à tour
Tout ce qui peut relever leur mérite,
Et faire éclater leur amour.
15 Ils m’ont prise pour leur Déesse,
Tous deux également m’ont adressé leurs voeux ;
C’est au doux succès de leurs feux,
Que la Fortune s’intéresse.
Mais quoi que je fasse pour eux,
20 Un seul peut obtenir la main de la Princesse,
Et de qui que ce soit des deux
Que l’on couronne la tendresse,
D’autres bienfaits avec largesse
Consoleront le malheureux.
2 3
25 Nymphes, Sylvains, et vous, ô Troupe fortunée !
Pour qui le Soleil dans son cours
N’a jamais fait que de beaux jours,
4
Tranquilles habitants des rives du Pénée,
J’ai besoin de votre secours.
30 Ajoutez aux douceurs charmantes
Qu’on goûte en cet heureux séjour,
De tendres jeux, et des fêtes galantes,
Qui puissent inspirer l’amour.
Par votre exemple invitez la Princesse
35 À ne pas résister à des charmes si doux ;
Et si son coeur se rend à la tendresse,
Si par vos soins elle prend un époux,
Je joindrai dans ces lieux le don de la richesse
À ce que la nature a déjà fait pour vous.
40 Mais quoi ? Nul ici ne s’empresse
De répondre à ce que je veux ?
Ne suis-je donc plus la Déesse
Par qui les mortels sont heureux ?
Pour avoir méprisé tant de voeux qu’on m’adresse,
45 Essuierai-je à mon tour le reproche honteux
D’avoir eu l’indigne faiblesse
De former d’inutiles voeux ?
5
Neptune, puissant Dieu des ondes,
Toi dont le vaste Empire est soumis à mes lois,
50 Sors pour quelques moments de tes grottes profondes,
Et sois attentif à ma voix ;
Punis ces peuples pleins d’audace,
Qui méprisent de m’obéir :
Que tes flots écumeux viennent les engloutir,
55 Que de ces beaux vallons les mers prennent la place,
Et qu’on ne puisse avoir l’orgueil de s’applaudir,
D’avoir impunément mérité ma disgrâce.
Neptune sort de la mer.

SCÈNE II. Neptune, La Fortune. §

NEPTUNE.

Ma fille, (car toujours pour toi
J’ai conservé des sentiments de père)
60 Comme moi l’on te peint légère,
De grâce en tout imite-moi.
Je mets un frein aux mers que je tiens sous ma loi,
Mets-en, ma fille, à ta colère,
Pardonne aux Peuples de tes bords
65 Le peu d’empressement qu’ils marquent de te plaire.
Tes promesses et tes trésors
Sont des biens dont ils n’ont que faire ;
En vain tu crois gagner leurs coeurs
Par l’espoir de la récompense,
70 Les richesses et les grandeurs
Ne touchent point des coeurs nés pour l’Indépendance ;
Il ne cherche point tes faveurs,
Et ne craignent point ta puissance.

LA FORTUNE.

Hé ! Quels mortels pourraient ne la pas redouter ?

NEPTUNE.

75 Ceux qui n’ont rien à craindre, et rien à souhaiter.
Les Habitants de ces belles retraites,
Qui, par des décrets éternels,
Ressentent des douceurs parfaites
Dont jouissent les Immortels.
80 Qui, sans soins, sans désirs, dans l’heureuse innocence,
Ne font fumer l’encens sur nos Autels,
Que par amour et par reconnaissance.
Presque au-dessus des demi-Dieux,
Il ne faut pas qu’aucun de nous prétende
85 Les gouverner d’un air impérieux,
Et c’est en les payant enfin qu’on leur commande.
Venez, accourez à la voix
De Neptune qui vous appelle :
C’est sans vouloir vous imposer de lois,
90 Que la Fortune attend de votre zèle,
Qu’aujourd’hui vous fassiez pour elle,
Ce que pour d’autres Dieux vous fîtes tant de fois.
Joignez-vous aux Nymphes des bois.
6 7
Les Tritons et les Néréides
95 Vont quitter, comme moi, leurs demeures humides,
Pour former avec vous des concerts et des jeux,
Nobles amusements d’une aimable jeunesse,
Qui puissent attirer les regards curieux
De l’incomparable Princesse,
100 Que deux Princes rivaux régalent en ces lieux.
Au pied de ce coteau qui nous cache la plaine,
Cette jeune Cour se promène.
On entend une symphonie par échos.
Le bruit de vos concerts commence à retentir,
105 Hâtons-nous, commençons la fête.
Du spectacle qu’on leur apprête,
Les échos vont les avertir ?

SCÈNE III. Neptune, La Fortune, plusieurs Habitants et Habitantes de la Vallée de Tempé, Tritons, etc. §

Entrée.
Air.

UNE HABITANTE de la Vallée de Tempé.

8
Sur cet agréable rivage,
Où les zéphyrs règnent toujours,
110 En amour, comme en voyage,
Sans crainte on s’engage ;
On n’a jamais que de beaux jours,
On n’y ressent aucun orage,
Et l’inconstance des amours
115 N’y fait jamais d’Amant volage.
Entrée.
Air.

UN HABITANT de la Vallée de Tempé.

Que la Princesse est jeune et belle !
Nymphes, ne vous irritez pas
De ne pas l’emporter sur elle.
La mère des Amours, Vénus est immortelle,
120 Et Vénus même a moins d’appas.
Entrée.
Air.

UN HABITANT de la Vallée de Tempé.

Dans l’Empire des Amours,
Et sur les flots de Neptune,
J’ai fait voyage de long cours,
Toujours aidé de la Fortune.
125 Qui ne risque rien a grand tort ;
Quand on échappe du naufrage,
On goûte mieux un heureux sort,
Et c’est assez souvent l’orage
Qui nous amène dans le port.

SCÈNE IV. Neptune, La Fortune, l’Amour, etc. §

Entrée.

L’AMOUR, paraît sur un nuage.

130 Dans les jeux et dans les concerts,
On ne trouva jamais ma présence importune ;
Et je viens du plus haut des airs,
Voir cette fête peu commune,
Que d’accord avec la Fortune,
135 Ordonne ici le Dieu des mers.

LA FORTUNE.

Nulle fête sans vous ne saurait être belle,
Les plus doux jeux vous sont tous consacrés,
Et l’on attend de vous que pour faveur nouvelle,
À ceux-ci vous présiderez :
140 Ainsi que moi, Neptune s’intéresse
À favoriser les Amants,
Qui cherchent à toucher le coeur de la Princesse.

L’AMOUR.

Je destine à l’un d’eux les biens les plus charmants.
Jusqu’ici la Princesse à mon pouvoir rebelle,
145 En vain voudra dissimuler
Les feux dont elle va brûler ;
Et mes traits aujourd’hui doivent triompher d’elle.
Sûr de cette victoire en ce charmant séjour,
J’ai donné rendez-vous au Dieu de l’Hyménée ;
150 Par lui dans cette jeune Cour,
Ma suite et la sienne amenée,
Termineront cet heureux jour,
Et vous verrez l’heureuse destinée
Que peut faire l’hymen d’accord avec l’Amour.
Duo.
155 Quels doux plaisirs
Le Dieu des Amours donne,
Quand on fait ce qu’il ordonne !
Quels doux plaisirs ;
Qu’ici l’Écho ne résonne
160 Que de nos tendres soupirs.

INTERMÈDES. §

Ier INTERMÈDE. §

Cléonice présente à la Princesse Ériphyle, des Musiciennes et des Danseurs, qui veulent entrer à son service, et qui lui donnent le Divertissement qui suit.

Éripgyle : Soeur d’Adraste, Roi d’Argos. Monsieur de Voltaire a donné en 1732. une Tragédie qui a pour sujet la mort d’Eriphyle. [T]

CLÉONICE.

Cruel Amour, tyran des coeurs,
Que tu te plais à nous séduire,
Par l’appas des tendres douceurs,
Dont l’espoir flatteur nous attire !
165 Cruel amour, tyran des coeurs,
Que l’on souffre sous ton empire !
Si quand on ressent tes ardeurs,
Le devoir défend de le dire.
Amour, adoucis les rigueurs
170 Des lois qu’on a su nous prescrire,
Et fais sentir à nos Vainqueurs
Le même feu qui nous inspire.
Cruel Amour, tyran des coeurs,
Que tu te plais à nous séduire,
175 Par l’appas des tendres douceurs,
Dont l’espoir flatteur nous attire !
Entrée.

UN MUSICIEN.

Je sais aimer et souffrir sans me plaindre,
Et je sais mieux encore être heureux sans parler,
Mépris, faveurs, rien ne saurait éteindre
180 La vive ardeur dont je me sens brûler.
Dans vos beaux yeux je vois briller
Des feux que vous voulez contraindre,
Et que vous sentez redoubler.
Est-ce amour ou courroux ? Dois-je espérer ou craindre ?
Duo.
185 Un jeune coeur qui commence d’aimer
Tremble assez souvent de le dire ;
La bouche n’ose l’exprimer,
Dans les regards, heureux qui le peut lire.
Entrée gaie.

IIème INTERMÈDE. §

LA NYMPHE de la Vallée de Tempé.

Venez, Princesse charmante,
190 Répondez à nos désirs,
Et ne méprisez pas les innocents plaisirs
Que notre désert vous présente.
N’y cherchez point l’éclat des fêtes de la Cour ;
On ne parle ici que d’amour,
195 Ce n’est que d’amour qu’on y chante.

UN FAUNE.

Vous mentez Nymphe, vous mentez ;
Et quelque soin que l’Amour prenne,
Ses plaisirs sont ici moins chantés,
10 11
Que Bacchus et le bon Silène.
200 Il n’est qu’un temps
Où les Amants
Goûtent un sort digne d’envie.
On aime pour quelques moments,
On peut boire toute sa vie.

CORIDON.

205 Loin d’ici, Faune téméraire,
Qui semblez mépriser l’Amour,
C’est le chagrin de ne plus savoir plaire,
Qui vous fait faire
À Bacchus votre cour.
Il chante.
210 Quand d’une Nymphe adorable
On a souffert mille refus,
On croit se consoler à table
Des plaisirs que l’on a perdus.
On aime tant qu’on est aimable,
215 Et l’on boit quand on ne l’est plus.

LE FAUNE.

Je suis toujours aimable, et si toujours je bois,
Et souvent et beaucoup ; mais toi,
Si ta morale est véritable,
Sans avoir eu jamais le bonheur d’être aimable,
220 Tu seras sans plaisir plus ivrogne que moi.

CORIDON.

Voici la beauté que j’adore.
L’Amour en ma faveur conduit ici ses pas ;
La Belle encore
Ne sait pas
225 Quel feu me dévore.
Rendons hommage à ses appas,
Apprenons-lui ce qu’elle ignore.

LE FAUNE.

Je vois venir de ce côté
Une jeune beauté,
230 Dont sans vanité
Je ne serai pas rebuté ;
Car elle aime à boire,
Elle en fait gloire.
Ô la douce félicité ;
235 Quelle victoire,
D’en être à tes yeux bien traité ?
Sus, sus, voyons, esprit malade,
Amoureux fade,
Qui de nous deux aura le plutôt surmonté
240 La fierté
12
De ta Nymphe ou de ma Dryade,
13
En attendant je bois rasade
À leur santé.

CORIDON.

Nymphes, vous voyez deux amants,
245 Qui n’ont rien tant à coeur que de vous pouvoir plaire.

LE FAUNE.

Oh, s’il vous plaît, dans cette affaire
N’expliquez que vos sentiments ;
Et pour les miens, laissez-moi dire et faire.

CORIDON.

Depuis longtemps, charmé de vos divins appas,
250 Je languis nuit et jour, je brûle, je soupire.

LE FAUNE.

J’aime à boire, à chanter, à folâtrer, à rire.
Vous me plaisez beaucoup ; mais je ne languis pas.

PHILIS.

Bon, sans perdre temps à nous dire
Ce que tous deux vous avez dans le coeur,
255 Prenez le soin de nous instruire
De vos talents, de votre humeur.

LE FAUNE.

C’est un beau fils, un fidèle Pasteur,
Et moi je suis un pétulant Satyre.
Il va vous chanter son martyre,
260 Je vous chanterai mon ardeur.

CORIDON.

Aux beautés les plus cruelles
J’adresse toujours mes voeux ;
Les coeurs à l’amour rebelles
Tôt ou tard sentent ses feux.
265 Pour nous faire aimer des Belles
Soyons-en bien amoureux ;
Soyons discrets et fidèles
Pour être longtemps heureux.

CORINNE.

Hé bien ! Là, parlez donc, faut-il tant hésiter ?
270 As-tu besoin d’un Interprète ?
Quand on trouve ce qu’on souhaite,
Doit-on tarder à l’accepter ?
Tu l’aimes, je le vois, c’est une affaire faite.
Vous pouvez espérer, Pasteur, sans vous flatter
275 Ce silence obstiné découvre sa faiblesse,
Et ses regards se déclarent pour vous.
La bouche sert à marquer le courroux,
Les yeux expliquent la tendresse.

LE FAUNE.

Je sers et Bacchus et l’Amour ;
280 Bacchus me fait aimer, l’Amour m’excite à boire.
Jeune Nymphe, veux-tu m’en croire ?
Sers aussi ces Dieux tour à tour.
Nous brûlerons d’une ardeur éternelle,
Le vin augmentera nos feux,
285 Il te rendra cent fois plus belle,
Et moi cent fois plus amoureux.
Hé bien ! Qu’en penses-tu ! N’as-tu rien à dire ?
Je te vois là tout je ne sais comment ;
C’est bon signe pour moi vraiment.
290 Jeune Nymphe qu’Amour inspire,
Est volontiers confuse auprès d’un tendre amant,
Qui lui vient amoureusement
De faire entendre son martyre.
Enfin l’augure que j’en tire,
295 Est que l’on est très sûrement
Contente de mon compliment.

CORINNE.

D’accord, c’est trop longtemps me taire,
Et Bacchus et l’Amour ont des charmes pour moi :
Boire, aimer tour à tour, voilà bien mon affaire,
300 J’aime fort volontiers, fort volontiers je bois ;
Mais, Satyre, je ne veux faire
Ni l’un ni l’autre avecque toi.

LE FAUNE.

Tu te trompes, Dryade folle,
Si tu crois mon coeur enflammé
305 Au point d’être fort alarmé
De désobligeante parole.
À ces sottises-là je suis accoutumé.
Ma flamme méprisée avec le vin s’envole ;
Et quand je ne suis pas aimé,
310 Voilà comme je me console.
Entrée.
Duo.
Quand on méprise un coeur tendre,
De le guérir Bacchus prend soin.
Ah, quel remède ! Heureux qui le sait prendre,
Mais plus heureux qui n’en a pas besoin.
Entrée de Dryades et de Faunes.

III INTERMÈDE. §

PAN, aux Princesses.

315 Des fêtes qu’ici l’on vous donne,
Princesses, les Dieux sont jaloux.
Et vous voyez Pan qui vient en personne,
Avec respect se présenter à vous :
Mais de peur que l’on ne raisonne,
320 Qu’avec les Dieux des Bois vous avez rendez-vous,
14 15
Deux Déesses, Flore et Pomone,
Ont bien voulu se joindre à nous.
Tandis que l’une et l’autre à l’envi vous régalent,
De ce que leur empire a de plus précieux,
325 Qu’en cette grotte elles étalent
Fleurs dont les doux parfums dans ces forêts s’exhalent,
Fruits pour le goût délicieux,
Souffrez, pour occuper vos oreilles, vos yeux,
Que nos faunes et nos Dryades,
330 Animés par les tendres sons
Des plus amoureuses chansons,
Fassent de légères gambades
À l’ombre de ces beaux buissons.
Entrée de Faunes.

UN FAUNE.

Quand un Faune amoureux
335 Trouve une Nymphe au pied d’un hêtre,
Pour devenir heureux
On croit qu’il n’a qu’à vouloir l’être.
Mais quand nos Nymphes une fois
Suivent d’Amour les douces lois,
340 Tous nos efforts sont inutiles
Pour déranger leur premier choix.
Les Nymphes des Villes
Sont moins difficiles
Que celles des Bois.

UNE DRYADE.

345 Dans ces agréables Bocages
Tout cède aux charmes de l’Amour ;
La nature dans ce séjour
Lui rend ses plus parfaits hommages.
Les Rossignols sous les feuillages
350 Chantent mille plaisirs nouveaux,
Et le doux murmure des eaux
Parle d’amour à nos rivages.

MADEMOISELLE SALLÉ, chante.

Ici les Nymphes des Fontaines
Brûlent d’amour au fond des flots,
355 Et l’on n’entretient les Échos
Que de plaisirs, jamais de peines.
Entrée.

LA DRYADE.

Quand dans un coeur
L’Amour se glisse,
À ce vainqueur
360 Sans résistance il faut qu’on obéisse.

PAN.

Ce petit Dieu
Souvent dans l’âme
Allume un feu,
Dont la raison veut surmonter la flamme.

LA DRYADE.

365 Mais en tous lieux
L’Amour égale
Hommes et Dieux ;
16 17
Et sans rougir, l’Aurore aima Céphale.

PAN.

Un fier honneur
370 En vain condamne
Le choix d’un coeur.
18
Eudimion fut l’Amant de Diane.
Entrée.

IV INTERMÈDE. §

Cet Intermède est un Concert Italien que l’on fait entendre à la Princesse, qui est fort occupée de ses rêveries.

UNE MUSICIENNE.

Teneri cuori,
Che vogate
375 Sui mar dei Amori,
Non temete,
Sospirate :
Il vento dei sospiri
Accende gli ardori ;
380 E’ dolce il vento
Che conduce al porto.
Teneri cuori,
Che vogate
Sui mar dei Amori,
385 Non temete,
Sospirate.
Dernières paroles de la dernière Scène, qui doivent servir à amener le cinquième Intermède.

TIMOCLES.

Peut-être, Madame ; qu’on ne goûtera pas longtemps la joie du mépris que l’on fait de nous.

ARISTIONE.

Je pardonne toutes ces menaces aux chagrins d’un amour qui se croit offensé, et nous n’en goûterons pas avec moins de tranquillité les délices du charmant séjour où nous sommes.

CLITIDAS.

Oh, pour cela non, Madame, et l’on ne s’en réjouira que mieux. J’ai remarqué tout aujourd’hui que les fêtes dont ces Princes ont pris soin de vous régaler, n’ont pas trop diverti la Princesse ; son esprit était occupé...

ÉRIPHYLE.

Clitidas...

CLITIDAS.

19

Je ne dis rien du coeur, Madame, je ne parle que de l’esprit ; et à présent que par un incident tout à fait heureux, il est, grâces au Ciel devenu plus libre, s’il vous plaisait, Madame, vous pourriez prendre le régal d’un petit Divertissement champêtre que j’ai ordonné moi-même à tout hasard, pour vous dédommager du sérieux et de l’ennui des autres. C’est une fille du pays, qui est un peu ma parente, qui vient d’épouser un jeune Matelot d’auprès de Larisse.

ÉRIPHYLE.

Ce sera, je crois, quelque chose de fort beau que ce Divertissement champêtre.

ARISTIONE.

Voyons, ma fille. De simples choses amusent quelquefois agréablement ; et le zèle qu’il a de vous plaire, mérite de n’être pas refusé.

CLITIDAS.

Ah, qu’on est heureux de servir des Princesses qui reçoivent avec tant de bonté les soins qu’on prend de leur être agréable ! Je vais faire venir tout mon monde, et...

La Fortune sur un nuage.
J’ai favorisé vos rivaux :
Mais de leur intérêt enfin je me sépare,
20
390 Sostrate ; et sans être bizarre,
Je puis prendre parti pour un jeune héros,
Pour qui l’Amour lui-même se déclare.
Après avoir causé vos maux,
Il faut bien que je les répare :
395 Jouissez du sort le plus doux,
La Fortune et l’Hymen, et l’Amour sont pour vous.

L’AMOUR sur un nuage.

Sostrate, et vous, jeune Princesse,
Reconnaissez le Dieu qui vient de vous unir
De la plus parfaite tendresse.
400 Servez tous deux d’exemple aux siècles à venir.
Le bizarre Dieu d’Hyménée,
Qui souvent des heureux amants,
Sitôt qu’ils sont époux, changent la destinée,
Ne prépare pour vous que les plus doux moments.
405 Pour mériter toujours sa faveur et la mienne,
Qui vous promet tant de félicité,
Modelez-vous sur la simplicité
Des époux qu’en ces lieux Clitidas vous amène.

V INTERMÈDE. Plusieurs personnes de la noce. §

Entrée.

LE MARIÉ.

Puisque l’Amour nous a préposés pour modèle
410 Du bonheur que l’Hymen vous doit faire éprouver,
Voyez-nous faire, et vous allez trouver
Une façon sûre et nouvelle
De vivre longtemps mariés,
Sans pouvoir en être ennuyés
415 Il n’est point cependant de plaisir dans la vie,
Qui tôt ou tard ne fatigue ou n’ennuie ;
Mais le moyen de ne s’en pas lasser,
C’est de les savoir bien placer,
Et d’avoir soin qu’on les diversifie.
420 Les prendre tour à tour, rire, chanter, danser,
Toujours en bonne compagnie,
Et ne se point embarrasser
Si sa femme est de la partie.
Époux entre eux doivent laisser
425 Et chacune et chacun vivre à sa fantaisie.
Le temps est si doux à passer :
La bonne chère vient quand la danse est finie ;
On boit longtemps, puis on défie
Les chagrins de l’Hymen de venir traverser
430 Une félicité de la sorte établie.
On dort sans se faire bercer...
Pour moi je n’y sais point d’autre cérémonie.
Le lendemain c’est à recommencer.
Entrée.
Air.
Sans jalousie
435 Nous vivons tous ;
Nous tenons pour fous
Les Époux
Atteints de cette frénésie.
En rendez-vous
440 Avec les belles,
Sans exiger des faveurs d’elles,
On a les plaisirs les plus doux.
Et parmi nous
Les femmes ne sont fidèles
445 Qu’aux maris chagrins et jaloux.
Entrée.
Air.
Ne craignez point, jeunes fillettes,
Que trop d’amants suivent vos pas ;
Leurs feux, leurs soins, leurs chansonnettes,
Donnent du lustre ç vos appas.
450 Le mal n’est pas
D’être coquettes ;
C’est la manière dont vous l’êtes
Qui fait souvent trop de fracas.
21
Branle pour finir.
455 À ma mère il faut un gendre,
Et chacun lui fait la cour :
Elle pourrait s’y méprendre,
J’en ai su prendre
22
Un fait au tour.
460 Dépêchons, Hâtons-nous de nous rendre :
Qu’il est doux de céder à l’Amour !
L’Hymen est un esclavage
Où l’on aime à s’engager.
De bon coeur fillette sage
465 Du mariage
Court le danger.
On craint peu les chagrins du ménage,
Et l’on trouve à s’en dédommager.
Quand à l’hymen on s’engage
470 Dans la fleur de son printemps,
On a souvent l’avantage
D’un doux veuvage
Dans ses beaux ans.
On ne sent les chagrins du ménage
475 Qu’au moment qu’ils durent trop longtemps.