M. DCC. VII.
De Mr DANCOURT
ACTEURS DU PROLOGUE §
- LE DIABLE.
- MONSIEUR SIMON.
- THÉRÈSE.
- SANCHETTE.
ACTEURS DE LA COMÉDIE §
- MADAME SIMON.
- LA PRÉSIDENTE.
- LE MAJOR.
- MONSIEUR LE PRÉSIDENT.
- LE CHEVALIER.
- MONSIEUR BERTRAND.
- VIVAREZ.
- LISETTE.
- UN LAQUAIS.
- MONSIEUR SIMON.
- LE DIABLE.
- MADAME THÉRÈSE.
- SANCHETTE.
- MADAME LA MAJOR.
- TROUPE DE MASQUES.
PROLOGUE DU DIABLE BOITEUX §
SCÈNE I. Le Diable, Monsieur Simon. §
LE DIABLE.
Hé bien, Monsieur Simon, comment vous trouvez-vous du voyage et de ma compagnie ?
MONSIEUR SIMON.
Parfaitement bien, Monsieur le Diable, je n’ai jamais été si gai et si gaillard que depuis que vous vous mêlez de mes affaires ?
LE DIABLE.
Vous avez fait la tournée de votre département assez à votre aise, et vous n’avez pas dû vous ennuyer.
MONSIEUR SIMON.
Vous êtes le Diable le plus amusant et le plus agréable que je connaisse ; il n’y a ni société ni compagnie à laquelle je ne préférasse la vôtre, et je ne puis assez vous remercier de m’avoir défait de votre camarade Monsieur Pillardoc, qui m’obsédait depuis plus de trente ans, et de vouloir bien à sa place, me prendre sous votre protection.
LE DIABLE.
1 2Il y avait longtemps que je lui en devais. En lui disputant le Partisan Manceau, j’avais eu du dessous autrefois ; j’en boite encore, comme vous voyez ; mais cette fois-ci j’ai bien eu ma revanche.
MONSIEUR SIMON.
Je fus un peu effrayé d’abord, quand je vous vis aux prises, et je me trouvais fort intrigué de voir sur le grand chemin d’Orléans, deux Diables se battre à qui m’aurait.
LE DIABLE.
Cela est bien glorieux pour vous au moins. Aussi êtes-vous un des meilleurs sujets qu’il y ait.
MONSIEUR SIMON.
Je vous suis bien obligé de penser si avantageusement de moi, Monsieur Asmodée.
LE DIABLE.
Je ne me serais pas battu si vigoureusement pour tout autre.
MONSIEUR SIMON.
Vous fûtes un peu malmené dans le commencement ; mais vous reprîtes courage.
LE DIABLE.
Malepeste ! L’honneur de votre présence, et l’avantage de posséder un Héros comme vous, sont de terribles aiguillons pour un Diable qui aime tant soit peu la gloire ; et puis, j’avais bien pris mon champ de bataille en l’attaquant auprès d’Orléans, Monsieur Pillardoc n’avait pas beau jeu.
MONSIEUR SIMON.
Comment donc ?
LE DIABLE.
J’aurais, en cas de besoin, pu rassembler dans un moment trois ou quatre régiments de mes confrères ; c’est le pays des Boiteux que ce pays-là.
MONSIEUR SIMON.
Vous avez raison.
LE DIABLE.
3 4Je suis un Diable de prévoyance, et je sais prendre mes avantages ; mais baste, cela s’est bien passé. Il m’avait autrefois cassé une jambe, en m’enlevant un Partisan Manceau, je lui enlève un sous-traitant Limosin, et je lui crève un œil, je suis bien vengé, me voilà content.
MONSIEUR SIMON.
Quoi ! Le pauvre Monsieur Pillardoc est éborgné de cette affaire-là ! Quel accident pour lui, Monsieur Asmodée !
LE DIABLE.
5Le grand malheur ! Le bon homme Plutus, le Dieu des richesses est bien aveugle ; il n’y a pas grand inconvénient que le Diable de la Finance soit borgne, il en verra plus clair de l’œil qui lui reste.
MONSIEUR SIMON.
J’en suis fâché, je vous l’avoue ; c’était un bon Diable, et je ne lui ai pas peu d’obligation ; il m’avait amené de chez nous à Paris tout petit garçon, comme vous savez.
LE DIABLE.
Oui, mais contez-moi un peu les suites de votre voyage. Tout Diable que je suis, comme j’ai été longtemps à Madrid, enfermé dans la fiole du Magicien, il m’est échappé bien des choses dont je n’ai tout au plus que des idées confuses ; rendez-les plus nettes, remettez-moi au fait. En arrivant à Paris, qu’est ce que mon confrère Pillardoc fit de vous d’abord ?
LE DIABLE.
Page chez un homme d’affaires ? Voilà un beau début !
MONSIEUR SIMON.
7Oui, oui, Page : je portais la queue de Madame, qui était bien jolie, et qui avait bien des amants.
LE DIABLE.
Je me souviens de cela, je l’ai fort connue, elle était une de mes élèves.
MONSIEUR SIMON.
8Hé bien, s’il vous en souvient, vous vous souvenez donc bien aussi que les intrigues de Madame rapportaient beaucoup, et qu’outre cela, pour récompense, on me fit portier en sortant de Page.
LE DIABLE.
Cela est bien noble ! Portier, en sortant de Page ! Voilà passer par tous les grades.
MONSIEUR SIMON.
Cela me valut de l’argent. Ceux qui avaient affaire de Monsieur, ceux qui avaient affaire à Madame, il m’en venait de tous côtés ; je me trouvai au bout de trois ans, plus de huit mille livres, Monsieur le Diable ; et le Seigneur Pillardoc les mit entre les mains d’un Agent de Change, qui avait été Page comme moi, et qui, en me rendant quinze et demi pour cent, y trouvait encore autant de profit pour lui, à ce que j’ai su depuis, par l’expérience que j’en ai faite.
LE DIABLE.
Voilà d’heureux commencements, Monsieur Simon.
MONSIEUR SIMON.
Ce n’est rien que cela, les suites ont été bien meilleures.
LE DIABLE.
Hé bien ?
MONSIEUR SIMON.
Il y a d’heureux incidents, d’heureuses conjonctures dans la vie. Le mari de Madame s’avisa de devenir jaloux d’un autre Financier plus riche que lui ; il me défendit de le laisser entrer, et ne me donna rien pour cela : le Financier me donnait, il entra toujours : le mari le sut ; et par bonheur pour moi, voyez quelle étoile, il me donna cent coups de bâton, et me mit à la porte. Voilà ce qui a fait ma fortune, Monsieur le Diable.
LE DIABLE.
La fortune se sert de toutes sortes de moyens pour favoriser les gens qu’elle aime.
MONSIEUR SIMON.
9 10Depuis ce temps-là, pour faire enrager le mari, l’Amant me prit en amitié ; il me fit son Commis, me mit dans une affaire où je gagnai beaucoup, puis dans une autre, où je gagnai davantage ; et puis encore dans d’autres, tant qu’à la fin je me trouvai dans une où j’étais l’associé du mari de Madame. Il en enrageait, et moi je le morguais, je faisais le gros dos pour le braver, mais il n’osait plus frapper dessus.
LE DIABLE.
Je le crois bien. Et êtes-vous encore son associé, Monsieur Simon ?
MONSIEUR SIMON.
Je suis devenu bien pis, je suis devenu son gendre.
LE DIABLE.
Cette jeune coquette que vous m’avez dit qui vous fait tant enrager, c’est sa fille ? Hé, dites-moi un peu, Monsieur Simon, quel usage faites-vous de tout ce bien que vous avez gagné dans les affaires ?
MONSIEUR SIMON.
Quel usage ? Je m’en sers pour en gagner d’autre, je n’ai jamais dépensé un sol mal à propos pour mon plaisir. Je travaille jour et nuit à faire travailler mon argent, afin qu’il augmente : le Seigneur Pillardoc ne me prêchait autre chose.
LE DIABLE.
Le coquin ? Le malheureux ! Savez-vous bien que si je ne vous avais tiré des pattes de cet indigne Diable-là, vous seriez mort un de ces jours au milieu de vos richesses, sans avoir eu le bonheur de goûter votre travail, et les avantages de votre fortune ? N’avez-vous point de honte à votre âge ?
MONSIEUR SIMON.
Je n’ai que soixante quatre ans, Monsieur le Diable : quand j’aurai amassé encore quelque chose de plus, je songerai à me retirer, je me divertirai, je jouirai de la vie.
LE DIABLE.
11Est-ce la saison d’en jouir, que celle que vous prenez, malheureux ? Regardez Monsieur Marsouin, votre confrère, qui fait bâtir un Palais superbe, pour y vivre à la manière des Satrapes, dans le luxe et la mollesse. Voyez d’un autre côté le jeune Oronte, qui n’est qu’un nouveau Financier, et qui promet déjà autant que les plus consommés. Quelle chère fait-il ? Quelle dépense ? Quelle magnificence dans sa maison ? Quel nombre de valets ? Quels équipages pour lui, pour Madame ? Il a acheté la maison d’un Seigneur, et elle est trop petite pour le contenir : il y faut ajouter deux ailes, et abattre aux environs vingt maisons bourgeoises qu’il a achetées pour faire un jardin. Ce sont des hommes, que cela : voilà des gens qui savent vivre. Leurs femmes ne les font point enrager, elles les adorent ; et si par hasard elles en aiment d’autres quelquefois, ce n’est que par représailles, du moins, par amusement, pour n’être pas en reste avec leurs maris, et pour éviter les manières bourgeoises. Mais vous…
MONSIEUR SIMON.
Ce n’est pas de ma faute, Monsieur Asmodée, j’ai toujours eu bien envie de faire comme ces Messieurs-là : mais Pillardoc m’en empêchait, et il m’a toujours soufflé un esprit d’avarice et de bassesse, dont je sens bien que votre fréquentation me pourra guérir.
LE DIABLE.
Oh ! Je vous en réponds, j’y veux travailler sérieusement ; et pour commencer, il faut vous faire voir ce qui se passe chez vous pendant votre absence, depuis qu’on vous croit mort, surtout.
MONSIEUR SIMON.
On me croit mort chez moi ?
LE DIABLE.
C’est un bruit que j’ai fait courir depuis quelque temps.
MONSIEUR SIMON.
Mais j’ai écrit tous les jours à Madame Simon.
LE DIABLE.
Elle n’a point reçu vos lettres, je les ai enlevées.
MONSIEUR SIMON.
Elle est donc bien en peine et bien affligée, la pauvre femme ?
LE DIABLE.
Je vous rendrai témoin de sa douleur et de son affliction, et j’espère que cela n’aidera pas peu à vous corriger.
MONSIEUR SIMON.
Et comment ferons-nous, s’il vous plaît ?
LE DIABLE.
Je vous porterai dans votre maison, je vous y rendrez invisible pour tous ceux qu’il ne faudra pas qui vous voient, et je ne vous laisserai connaître que quand il sera temps de vous découvrir.
MONSIEUR SIMON.
Je ne sais ce que c’est, Monsieur le Diable ; mais voilà une proposition qui ne me flatte point ; je ne suis pas curieux, je meurs de peur de savoir quelque chose qui me fâche, et je m’accommode mieux du doute que de la certitude.
LE DIABLE.
Si quelque chose vous fâche, on vous consolera ; et afin de vous donner quelque idée gracieuse de la manière de vivre que je veux vous faire prendre, il faut que vous fassiez connaissance avec une Dama que je protège. C’est une virtuose que j’ai amenée d’Espagne avec sa fille ; et dans le dessein que j’ai de leur faire faire gaiement leur fortune, je les fais passer par tous les grades de la coquetterie, je les ai mises à l’Opéra. C’est ici qu’elles logent, sachons ce qu’elles ont fait pendant mon absence, voyons si vous pourrez prendre quelque goût pour l’une ou pour l’autre : elles ont besoin d’un bon protecteur, et j’ai jeté les yeux sur vous pour cela, Monsieur Simon.
MONSIEUR SIMON.
Je suis tout à votre service et au leur, Monsieur le Diable, vous n’aurez qu’à dire.
LE DIABLE.
Holà, quelqu’un ?
SCÈNE II. Sanchette, Le Diable. §
SANCHETTE.
Qui est-ce ? Ah ! C’est vous, Monsieur le libertin, qui nous amenez à Paris, et qui nous plantez-là, sans qu’on sache ce que vous êtes devenu. Ma bonne maman est bien en colère contre vous, Monsieur Asmodée.
LE DIABLE.
Elle en aura plus de joie de me revoir. Avertissez-la que je suis ici, Sanchette, avec un jeune Seigneur de ma connaissance, que je lui amène.
SANCHETTE.
Et où est-il, ce jeune Seigneur ?
LE DIABLE.
Le voilà devant vous, vous ne le voyez pas ?
SANCHETTE.
Ce Monsieur-là ? Vous vous moquez de moi, il n’a l’air ni jeune ni Seigneur, je m’y connais bien.
LE DIABLE.
12Il l’aura, quand nous l’aurons décrassé ; c’est un diamant brut que je veux donner à polir à vous et à votre bonne maman, et qui vous rendra brillantes l’une et l’autre, à mesure que vous le ferez briller dans le monde galant, où mes soins vont bientôt vous mettre.
SANCHETTE.
Vous nous ferez plaisir de nous dépêcher ; car nous nous sommes bien ennuyées pendant votre absence.
LE DIABLE.
Qu’est-ce à dire ennuyées ? Ennuyées à l’Opéra ? Je vous ai mises dans le plus joli poste qu’on puisse souhaiter pour ne se point ennuyer, où vous devez déjà avoir fait un nombre infini de conquêtes.
SANCHETTE.
Oh ! Vraiment oui, nombre de conquêtes : ma bonne maman n’a encore chanté que dans les chœurs, je n’ai point eu d’entrée seule. Quand on est nouvelle à l’Opéra, Monsieur le Diable, on a bien de la peine à s’établir une réputation.
LE DIABLE.
Il faut que vous vous y soyez mal prises. Faites-moi venir votre bonne maman, que je sache un peu le fin de cette affaire-là.
SANCHETTE.
Voilà une fort jolie petite personne, Monsieur Asmodée.
LE DIABLE.
Je la destine à une façon d’Allemand, qui l’épousera dans trois ou quatre ans, quand elle aura un peu plus de monde ; la plupart de ces Messieurs-là sont gens délicats, à qui il faut des femmes d’esprit, des femmes faites. Voilà sa bonne maman ; voyez, elle a peine ç quitter l’habit de son pays, fantaisie de femme.
SCÈNE III. Thérèse, Sanchette, Le Diable, Monsieur Simon. §
THÉRÈSE.
Soyez le bien venu, Seigneur Asmodée : votre absence m’a beaucoup duré, et je ne sais pas ce que je n’airais point fait, si vous aviez encore tardé quelques jours.
LE DIABLE.
Sanchette dit que vous vous êtes ennuyées. Avez-vous manqué de plaisirs ? De compagnie ?
THÉRÈSE.
De compagnie ? Non, nous l’avons eu nombreuse, mais mauvaise, et les plaisirs à proportion. Quantité de jeunes gens, des enfants de famille ; l’un plaide contre son tuteur, l’autre souhaite la mort de sa mère ; celui-ci qui a bon crédit, est un avare ; celui-là qui est prodigue, ne trouve point à emprunter ; tel qui a le plus d’esprit et qui pourrait plaire, n’a ni argent ni succession à espérer, et point d’autre mérite que d’être joli homme : il faut que cela soit soutenu ; et les plaisirs, comme vous le voyez, Seigneur Asmodée, ne sont parfaits que dans l’abondance.
LE DIABLE.
13Comme vous y allez, Madame Thérèse, vous courez d’abord au plus fort. En fait de plaisirs et de fortune, comme en toute autre chose, on n’arrive au période que par degrés, au moins, et je vous trouve bien difficile de n’avoir pu vous accommoder, en attendant mieux, des caractères dont vous me parlez là.
THÉRÈSE.
Je n’ai goûté de véritable joie que chez une Dame avec qui nous avons fait connaissance, et qui est la plus aimable personne, de la meilleure humeur : ho ! C’est une bonne maison que la sienne !
LE DIABLE.
Vous la nommez ?
THÉRÈSE.
Madame Simon, une jeune veuve qui ne l’est que depuis huit jours, et qui n’a pas même pris le deuil, parce qu’elle n’est pas tout à fait sûre de l’être.
MONSIEUR SIMON.
Madame Simon ! Votre fille d’Opéra connaît ma femme, Monsieur le Diable ?
LE DIABLE.
J’en suis fâché, j’ai peur que Madame Simon ne me la gâte.
MONSIEUR SIMON.
Comment ? Qu’est-ce à dire ?
LE DIABLE.
Elle est bonne femme, Madame Simon : mais ses allures sont vives.
THÉRÈSE.
L’agréable Dame, Seigneur Asmodée ! Elle est toute aussi gracieuse, toute aussi charmante, qu’on dit que son mari était vilain.
MONSIEUR SIMON.
Vilain, moi ?
LE DIABLE.
Le confrère Pillardoc ne vous mettait pas en bonne réputation : mais nous réparerons tout cela.
THÉRÈSE.
Nous allons ce soir souper chez elle, il y a grande fête, bal, musique, quantité de Dames et de jeunes Officiers. Oh ! Cette Madame Simon-là fait une belle dépense.
MONSIEUR SIMON.
Miséricorde ! Elle me ruine, Seigneur Asmodée.
LE DIABLE.
Voilà comme à Paris on porte le deuil d’un mari avare, Monsieur Simon ; ne continuez pas de l’être.
THÉRÈSE.
Serait-ce là le mari de Madame Simon, celui qu’elle croit défunt, Monsieur Asmodée ?
LE DIABLE.
Oui, Madame Thérèse, c’est un Crésus, un Financier riche d’un demi million, quoiqu’il ne soit que Sous-Traitant.
THÉRÈSE.
Riche d’un demi million ! Ah ! L’aimable homme, la jolie figure ! Approchez, Sanchette, faites la révérence à Monsieur Simon, ne le trouvez-vous pas bien fait, bien agréable de sa personne ?
SANCHETTE.
Oui, ma bonne maman, je n’ai jamais vu de Seigneur dans ma vie qui eût aussi bonne mine que lui.
LE DIABLE.
Vous ne vous êtes jamais entendu dire rien de si flatteur, Monsieur Simon ?
MONSIEUR SIMON.
Voilà une jolie enfant, et une mère qui a bien de l’esprit, Monsieur le Diable.
LE DIABLE.
Je fais de bonnes écolières, comme vous voyez.
MONSIEUR SIMON.
Assurément. Ah ! Pourquoi n’ai-je pas été plutôt sous votre direction ?
LE DIABLE.
En cent ans, Monsieur Pillardoc ne vous eût pas donné de si gracieuses connaissances.
MONSIEUR SIMON.
14Lui ? Il ne me faisait voir que des Usuriers, des fesse-mathieux. J’ai bien du regret au temps passé, Seigneur Asmodée.
LE DIABLE.
Servez-vous bien de celui qui vous reste, Monsieur Simon : votre femme aime le plaisir, faites comme elle, vous vivrez heureux et elle aussi, vous jouirez de votre fortune, vous en ferez part à vos amis, et à mes écolières, surtout.
MONSIEUR SIMON.
Oh, pour cela oui ! De tout mon cœur je me sens les inclinations toutes changées : mais pour me déterminer tout à fait à suivre vos bons conseils, voyons un peu ce que fait ma femme, et de quelle manière on se gouverne chez moi, je vous prie.
LE DIABLE.
Allons, venez, je vais vous y conduire, et j’y donne rendez-vous à Madame Thérèse et à Sanchette.
ACTE I §
SCÈNE I. Lisette, Bertrand. §
LISETTE.
Oh, çà, Monsieur, voulez-vous que je vous parle franchement ? Vous êtes de trop dans la maison, nous n’avons que faire ici de Médecin ; et ma Maîtresse et les personnes qu’elle voit, sont trop occupées du plaisir, pour avoir le temps d’être malades.
BERTRAND.
Ah, ma chère Lisette !
LISETTE.
Vous soupirez, Monsieur Bertrand, vous êtes amoureux ?
BERTRAND.
Moi ?
LISETTE.
Oui, vous, je m’y connais.
BERTRAND.
Je t’avouerai, Lisette…
LISETTE.
Vous n’avouez rien, Monsieur, je ne veux rien savoir. Vous prendriez bien votre temps, vraiment, pour laisser voir dans cette maison-ci quelques symptômes d’amour ! Il ne faut point que des soupirants, comme vous, s’avisent de paraître au commencement de l’hiver sur notre horizon. Et depuis la chute des feuilles jusqu’au Printemps, ce logis est une espèce de Temple, où l’on ne reçoit que les gens de guerre, et où tout Amant de Ville est proscrit et regardé comme un profane.
BERTRAND.
Je m’en aperçois bien ; cependant, Lisette, il est vrai que le bruit de la mort de Monsieur Simon, que je ne crois pourtant pas encore tout à fait certaine, m’avait d’abord donné quelques vues ; mais la conduite extravagante de cette veuve, qui d’ailleurs me paraît aimable, m’en a terriblement dégoûté.
LISETTE.
Hé ! Que trouvez-vous donc à redire à sa conduite, s’il vous plaît ?
BERTRAND.
Y a-t-il rien de plus condamnable ? Une femme d’une dépense prodigieuse, dont la maison ne désemplit pas de Colonels et de Capitaines, depuis la nouvelle de la mort de son mari ; qui se charge ouvertement du ridicule de loger chez elle un jeune Chevalier dans un appartement à côté du sien. N’a-t-elle point de honte ? La veuve d’un Sous-traitant des Aydes de Tours, faire de sa maison une Auberge d’Officiers ?
LISETTE.
Oh, doucement, Monsieur, s’il vous plaît, ma maîtresse peut loger celui-ci en tout bien et en tout honneur. C’est un homme à devenir bientôt son mari ; et du vivant du défunt, Madame le regardait déjà sur ce pied-là.
BERTRAND.
Du vivant du défunt ?
LISETTE.
Oui. Comme Monsieur le Sous-traitant était déjà vieux et infirme ; Madame la Sous-traitante prévoyait bien qu’elle ne le garderait pas longtemps, et elle était bien aise d’assurer la survivance des Aydes à un jeune homme, dont elle pût faire un époux dans la suite.
BERTRAND.
Fort bien, elle prétend en faire son époux : mais il n’en fera jamais que la trésorière, lui, et je gagerais bien qu’il ne la regarde que comme une aventure de quartier d’hiver, dont il ne songe qu’à tirer quelques plumes.
LISETTE.
À tirer quelques plumes, Monsieur ? Oh, Madame Simon n’est pas femme à de laisser plumer ; il est bien vrai que comme elle va jouir d’un gros revenu, le Chevalier en mangera une partie, et qu’il se servira de l’autre dans le besoin ; mais il n’entamera le fonds qu’au commencement de la campagne, tout au plutôt.
BERTRAND.
Au commencement de la campagne ? Elle sera ruinée avant qu’elle finisse.
LISETTE.
Hé, quand elle le ferait ? De la manière dont Monsieur le Chevalier fait les choses, il faudrait qu’elle eût l’esprit bien mal fait et bien mal tourné pour le trouver mauvais.
BERTRAND.
Comment donc, l’esprit bien mal fait, pour trouver mauvais qu’on la ruine ? Tu extravagues.
LISETTE.
15Je n’extravague point, c’est un homme qui lui fait faire la plus belle figure, qui lui donne les meilleures connaissances, tous gens de mérite, de plaisirs et de distinction, des femmes si jolies et si spirituelles, ils sont toujours huit ou dix à table : et pour divertir la veuve, et la consoler de la perte du défunt, ils fessent son vin de Champagne à la santé du mort. Oh ! Cela est bien consolant pour une jeune coquette, qui n’a perdu un vieux mari que depuis douze ou quinze jours.
BERTRAND.
Et si ce mari qu’elle croit mort, ne l’était pas ; car enfin, quelle certitude en a-t-on ?
LISETTE.
Quelle, Monsieur ? La joie de Madame ; elle a un instinct. Oh ! Si le mort n’était pas mort, je vous réponds qu’elle ne serait pas si gaie, et puis on a reçu des lettres, qui ne laissent pas lieu d’en douter, et Madame attend à toute heure un certificat dans les formes, pour épouser Monsieur le Chevalier.
BERTRAND.
L’extravagante ! La belle passion ! Est-elle au logis ?
LISETTE.
Oui, Monsieur ; mais il n’est pas encore jour.
BERTRAND.
Que veux-tu dire, il n’est pas encore jour ?
LISETTE.
Non, vraiment, il n’est encore que quatre heures après midi : elles ne se sont couchées qu’à neuf ce matin, elle et Madame la Présidente.
BERTRAND.
Quel dérèglement ! Quel désordre !
LISETTE.
Il n’y a point de dérèglement, c’est usage établi. Oh, dame, nous sommes ici comme aux Antipodes, Monsieur, il ne fait jour chez nous que quand il fait nuit partout ailleurs. Du temps de Monsieur Simon, pour se conformer à ses manières bourgeoises, on se couchait le soir, et on se levait le matin, à présent nous avons réformé tout cela : on se couche le matin, et on se lève le soir, c’est la règle.
BERTRAND.
C’est la règle ?
LISETTE.
Oui, une espèce d’habitude que nous avons prise. Nous ne méprisons rien tant que les choses communes, le Soleil n’a plus pour nous qu’une clarté roturière, dont nous laissons l’usage au peuple. Plaisirs, visites, affaires, promenades, tout se fait ici pendant la nuit ; et nos Dames se proposaient hier de faire avec des lévriers une partie de chasse aux flambeaux ; et s’il n’avait été grand jour quand elles sont sorties de table…
BERTRAND.
Ho, les folles, les folles ! Ce qui m’étonne le plus, c’est que leur santé ne soit pas aussi dérangée que leur cervelle.
LISETTE.
Oh ! Que Madame n’a garde de tomber malade, elle craint trop d’avoir besoin de vous. Mais, qu’entends-je ? C’est le Major et la Présidente, il faut que Madame soit éveillée, j’entends sa voix, elle s’est levée sans moi ; ils pourraient bien venir ici, et je serais fâchée qu’on nous vît ensemble.
BERTRAND.
Je ne veux pas te faire de peine, je sors.
LISETTE.
Vous les rencontrerez par là, sortez par le petit escalier dérobé.
SCÈNE II. Madame Simon, Vivarez, La Présidente, Le Major, Lisette. §
MADAME SIMON.
Voilà comme vous êtes, Madame la Présidente, vous ne vous déterminez point, vous faites cent propositions, vous ne décidez pour aucune. Monsieur le Major, par complaisance, est aussi incertain que vous, et je vois bien que nous ne conclurons rien, que nous n’ayons ici le Chevalier. Holà quelqu’un, qu’on aille un peu… Ah, te voilà, Lisette ? Va voir si le Chevalier est éveillé ; mais non, ne bouge, voici son valet de chambre. Vivarez, que fait ton maître ?
VIVAREZ.
Il fait ce qu’il faisait hier, Madame, ce qu’il fera demain, toute la semaine, tout le mois, toute l’année, toute sa vie. Il pense à vous, il vous aime, il vous adore.
LA PRÉSIDENTE.
Ah, que Vivarez est galant ! Te serais-tu attendu à cette tirade d’honnêtetés de la part de Vivarez, ma toute bonne ?
MADAME SIMON.
Il sert le Chevalier, cela ne suffit-il pas pour lui donner de l’esprit et de la politesse, ma chère ?
LE MAJOR.
16 17Oh, ventrebleu il en a, je vous en réponds ; je me donne au Diable s’il y a dans les troupes un plus joli valet que celui-là, c’est lui qui fait toutes les chansons grivoises que son maître vous chante quelquefois. C’est le Poète du Camp, le Pont-neuf de l’armée. Tiens, Vivarez, en faveur du joli compliment que tu as fait à Madame, voilà un demi-louis que je te donne pour boire. Je n’ai pas d’esprit, Mesdames ; mais par la tête-bleu je fais grand cas de ceux qui en ont.
VIVAREZ.
Et moi je ne suis pas libéral ; mais j’aime les gens qui le sont, à la fureur.
LISETTE.
L’argent te rend tendre, à ce que je vois ?
VIVAREZ.
Oui ; as-tu de quoi te faire aimer ? Tu n’as qu’à dire.
LA PRÉSIDENTE.
Mais que ferons-nous aujourd’hui ? Savez-vous bien qu’il est près de six heures ?
MADAME SIMON.
Oui, grâces au Ciel, le jour finit. C’est une nouveauté pour moi de l’avoir vu. Il y a longtemps que je ne me suis levé si matin. Ho, laquais, qu’on donne des bougies. Va chercher ton maître, toi, Vivarez.
VIVAREZ.
Il va venir, Madame, il achève de s’habiller.
MADAME SIMON.
Il s’habille sans toi ? Cela m’étonne.
VIVAREZ.
Oui, Madame, ce sont ses laquais qui font mes fonctions aujourd’hui.
MADAME SIMON.
Pourquoi donc cela ?
VIVAREZ.
18Il m’a chassé de sa chambre parce qu’il s’est mis de mauvaise humeur, et qu’il s’est imaginé que je lui avais mis de travers son gras de jambe.
LE MAJOR.
Ah, ah, son gras de jambe de travers ! Oh, palsambleu, c’est celui qui lui fut emporté, il y a trois ans, par un boulet de canon. Il n’en vaut pas moins pour cela, Mesdames, et il n’a jamais reçu que cette seule blessure ?
LISETTE.
Voilà un valet de chambre bien discret.
VIVAREZ.
19Autant que toi. Ne me dis-tu pas l’autre jour que Madame t’a querellée, parce que dans le retroussis de son manteau, on avait oublié de mettre une de ses fesses ?
MADAME SIMON.
Cela est bien impertinent, est-ce que j’ai des fesses postiches ? Vous m’avez vue en jupon, Monsieur le Major ?
LE MAJOR.
Oui, Madame, et je ne crois pas que depuis ce temps-là le canon vous les ait emportées.
MADAME SIMON.
Vous êtes une plaisante créature, Mademoiselle Lisette.
LISETTE.
Mais ne vous fâchez donc point, Madame, voici Monsieur le Chevalier, il va vous rendre votre bonne humeur.
SCÈNE III. Le Chevalier, La Présidente, Madame Simon, Le Major, Vivarez, Lisette. §
LE CHEVALIER.
Ah, par ma foi, Mesdames, vous me surprenez. J’allais faire un tour à l’Opéra. Je vous croyais encore au lit : vous êtes aujourd’hui bien diligentes, pour vous être couchées si peu matin.
LA PRÉSIDENTE.
Nous n’attendons que vous, Chevalier, pour nous déterminer sur le choix des plaisirs que nous pourrons prendre aujourd’hui.
LE CHEVALIER.
Oh ! Ne me consultez point là-dessus, Madame la Présidente, ne me parlez point de plaisirs, je n’en trouve qu’à voir, qu’à adorer votre charmante amie. Hors cela, Madame je suis rassasié, fatigué, dégoûté de tout ce qui peut flatter les sens. Hé ! Le moyen ? Nous ne faisons tous les jours autre chose, que de songer à nous divertir, toujours des fêtes, de grands repas…
MADAME SIMON.
À propos de repas, que pourrais-je vous donner ce soir, que nous n’ayons point encore eu ? Car pour moi, j’ai le goût tellement usé…
LA PRÉSIDENTE.
Et moi donc, je ne sais si vous remarquâtes hier que je fis mon souper de jambon de Bayonne, de saucissons de Boulogne, et de mortadelles, que je trouvai si fades, si fades.
MADAME SIMON.
Nous parlons tous, et nous ne concluons rien.
LA PRÉSIDENTE.
Mais nous sommes en peine de ce que nous ferons, n’est-ce pas aujourd’hui notre jour de bal, ma charmante ?
MADAME SIMON.
Oui, ma chère : mais il y a si longtemps qu’on brise nos meubles, allons à notre tour briser ceux des autres : masquons-nous, courons ce soir, et nous viendrons faire réveillon au cabaret en sortant du bal.
LA PRÉSIDENTE.
Oui, et nous passerons, en revenant chez le Major, et nous tâcherons d’amener avec nous son épouse ; j’ai une si grande envie de la connaître.
LE MAJOR.
Hé morbleu, fi, Madame, vous n’y songez pas, vous verrez une jeune innocente, qui vous ennuiera, une stupide, une petite créature qui ne sait pas le monde, et qui n’ose regarder un homme sans rougir.
MADAME SIMON.
C’est une marque qu’elle y entend finesse.
LE MAJOR.
Hé, pourquoi diable courir le bal ? C’est une fatigue. Faut-il tant de façons ? Mettons-nous à table, restons-y jusqu’à demain, j’ai un nouveau recueil de chansons bachiques.
LA PRÉSIDENTE.
Il a de la voix, Monsieur le Major, et il fait la Musique.
LE CHEVALIER.
Le joli caractère d’homme, Madame la Présidente !
LA PRÉSIDENTE.
Il se fait aimer, je vous l’avoue, ce n’est pas par sa figure, mais je le trouve tout à fait amusant.
LE MAJOR.
24Palsambleu, je ne m’ennuie jamais ; mais je ne réponds pas de ne point ennuyer les autres.
MADAME SIMON.
Mais à propos de gens ennuyeux ; devineriez-vous bien une idée qui me passe par la tête ?
LA PRÉSIDENTE.
Quelle ?
MADAME SIMON.
Divertissons-nous aujourd’hui à nous ennuyer.
LA PRÉSIDENTE.
Comment ?
MADAME SIMON.
Si nous rappelions pour ce soir seulement, quelqu’une de nos connaissances d’été, quelque amant de la Porte Saint Bernard, quelque soupirant des Tuileries ?
LE CHEVALIER.
Vous nous proposez là une mauvaise compagnie, mais il n’importe.
LA PRÉSIDENTE.
Mauvaise compagnie, Monsieur le Chevalier ? Il faut bien que nous nous en accommodions la moitié de l’année. Si j’envoyais chercher l’Abbé Poupardin, ma bonne ?
MADAME SIMON.
C’est fort bien dit, l’Abbé Poupardin, sa grosse figure me réjouit ; mais ne le retenons pas à souper, il tient lui seul la moitié de la table, et nous n’aurions pas assez de place pour nous autres.
LE CHEVALIER.
Parbleu, nous le ferons tenir debout, Madame, il nous versera à boire, et rincera nos verres.
LA PRÉSIDENTE.
Faire rincer ses verres par un Abbé, Monsieur le Major ?
LE MAJOR.
25 26Par un Abbé, Madame ? Fi donc, il est Abbé comme moi, Monsieur Poupardin. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je le connais, c’est le neveu d’une Dame qui a été de mes amies, bon garçon, peu d’esprit, grande ignorance, beaucoup de paresse ; qui avec du goût pour le plaisir et pour le monde, se trouvant sans bien et sans talent pour s’y soutenir, a pris sans droit et sans aveu un petit collet, pour n’être point enrôlé, et un manteau noir pour cacher ses vices. Ne voyons point cet homme-là, je vous en prie, Mesdames.
SCÈNE IV. Madame Simon, Le Major, La Présidente, Le Chevalier, Lisette. §
LISETTE.
Il faut, malgré vous, que vous ayez ici le bal cette nuit, Madame ; il y a là-bas vingt laquais qui viennent savoir à quelle heure il commencera. Si vous n’en donnez point, il ne sera pas sûr de rester à la maison, on enfoncera la porte, et on fera du désordre ; ce sont de rudes joueurs que les masques.
MADAME SIMON.
Mais cela est étrange, je ne serai pas la maîtresse chez moi ?
LA PRÉSIDENTE.
Non, et je vois bien que nous aurons les violons malgré nous : nous avions bien de la peine à choisir notre occupation cette nuit, le goût du Public nous détermine, je n’en suis pas fâchée.
MADAME SIMON.
Ni moi non plus : mais déguisons-nous, si nous voulons nous bien divertir.
LE CHEVALIER.
Vous avez raison, on est plus libre.
LE MAJOR.
Oui, le masque donne une certaine hardiesse, façon d’insolence qui ne me déplaît pas, et qui est assez dans mon caractère.
MADAME SIMON.
Comment nous mettrons-nous ?
LA PRÉSIDENTE.
Moi, je me mettrai comme j’étais l’autre jour, avec un rideau. On n’a pas renvoyé chez moi ces rideaux de mon lit, dis, Lisette ?
LISETTE.
Non, Madame, je les ai fait plier, ils sont dans ma chambre.
LA PRÉSIDENTE.
Nous nous en servirons, Monsieur le Major.
LE MAJOR.
Volontiers, c’est la mascarade la plus commode.
LE CHEVALIER.
Je vous baise les mains, je suis pour la robe de chambre.
MADAME SIMON.
Prenez celle de feu Monsieur Simon, Monsieur le Chevalier, j’en ai une qu’il n’avait encore jamais mise, servez-vous-en, je vous en prie, je vous la donne.
LE CHEVALIER.
Vos prières sont des lois pour moi, Madame.
LISETTE.
Quelle complaisance ?
MADAME SIMON.
Et moi, je me servirai d’un manteau, ou de mon habit de chasse, je me mettrai en Diane.
MADAME SIMON.
Quoi ? Que dis-tu Vivarez ?
VIVAREZ.
Rien, Madame, je songe à un déguisement pour moi.
SCÈNE V. La Présidente, Madame Simon, Le Chevalier, Le Major, Lisette, Vivarez, un Laquais, Thérèse, Sanchette. §
UN LAQUAIS.
Voilà Madame Thérèse, et la petite Sanchette.
THÉRÈSE.
Comme c’est aujourd’hui jour de Bal chez vous, Madame, nous avons cru pouvoir y venir toutes déguisées
MADAME SIMON.
Vous avez fort bien fait, et nous nous disposons à en faire autant. Allez nous préparer nos hardes, Lisette.
LA PRÉSIDENTE.
Et qu’on cherche Marton, pour nous habiller. Ne t’en fâche point : mais elle est plus adroite que toi, ma pauvre Lisette.
LISETTE.
Je ne me chagrine point de la préférence.
MADAME SIMON.
En attendant que tout soit prêt, il faudrait que Madame Thérèse et Monsieur le Major nous fissent le plaisir de chanter ensemble une petite Scène très courte, que j’ai ici toute notée, dont je veux que Monsieur le Chevalier me dise son sentiment. Voilà votre partie à vous, Monsieur le Major, et voici la vôtre, Madame Thérèse.
LE MAJOR.
Me faire chanter à livre ouvert, moi ? Vous m’embarrassez fort, Madame, je suis un mauvais Musicien, et vous entendrez une étrange musique.
LA PRÉSIDENTE.
La beauté de la voix de Madame Thérèse nous dédommagera du peu d’agrément de la vôtre.
LE MAJOR.
C’est elle qui commence, elle me donnera le ton. Allons Madame Thérèse.
THÉRÈSE, chante.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
MADAME SIMON.
Hé bien ! Qu’en pensez-vous, Monsieur le Chevalier ? Dites ?
LE CHEVALIER.
Je dis, Madame, que voilà une Scène qui est tout à fait dans le goût du Major. On a fort bien attrapé son caractère dans ce Dialogue.
MADAME SIMON.
Ah ! Chevalier, je crains bien que ce ne soit le vôtre.
LE CHEVALIER.
Le mien, Madame ?
MADAME SIMON.
Et je n’ai fait chanter ces paroles, que pour vous mettre sur ce chapitre, pour avoir occasion de vous faire expliquer, Monsieur le Chevalier.
LE CHEVALIER.
Quelle explication faut-il, Madame ? Je vous adore.
MADAME SIMON.
Donnez-moi donc la main, Chevalier, promettez-moi devant vos amis, qu’aussitôt que le certificat que j’attends sera arrivé…
LE CHEVALIER.
Je serai votre époux, Madame, et c’est un titre qui fera toute ma félicité, toute ma gloire.
LA PRÉSIDENTE.
Il n’y a rien à dire à cela ; voilà qui est dans les formes.
VIVAREZ.
Vous voilà remariée, Madame, il n’y manque plus que la cérémonie.
SCÈNE VI. Madame Simon, La Présidente, Le Chevalier, Le Major, Lisette, Thérèse, Vivarez, un Laquais. §
LE LAQUAIS.
Vos hardes sont prêtes, Mesdames, et Mademoiselle Marton vous attend pour vous habiller.
MADAME SIMON.
Allons, dépêchons-nous. Madame Thérèse, qui est toute habillée, voudra bien aussi nous aider.
THÉRÈSE.
Volontiers, Mesdames.
ACTE II §
SCÈNE I. Lisette, Sanchette. §
LISETTE.
Écoutez, écoutez, Mademoiselle Sanchette.
SANCHETTE.
Que me voulez-vous ? Laissez-moi retourner auprès de Madame, je veux aussi lui aider à s’habiller. Je l’aime bien, au moins, c’est une bonne Dame.
LISETTE.
Elle vous aime bien aussi, Sanchette ; et qui ne vous aimerait pas, vous êtes si jolie, si aimable ?
SANCHETTE.
Oh ! Je ne le suis pas encore tant que je le deviendrai. Vous verrez dans trois ou quatre ans, Mademoiselle Lisette, je veux rendre tout le monde amoureux ; et nous avons un bon ami, ma bonne maman et moi, qui me donnera de bons secrets pour cela.
LISETTE.
Des secrets pour vous faire aimer ! C’est donc un habile homme ? Et qui est-il, s’il vous plaît, ce bon ami-là ?
SANCHETTE.
Ce n’est point un homme, Mademoiselle Lisette, c’est le Diable.
LISETTE.
Comment donc ! Le Diable est votre bon ami ! Ah, la vilaine petite Sorcière !
SANCHETTE.
Ah ! Que vous êtes sotte, Mademoiselle Lisette ! Ce Diable-là n’est pas comme vous croyez, c’est le plus agréable génie de tout l’enfer, le plus poli, le plus obligeant, le plus honnête : il faut que je vous en donne la connaissance.
LISETTE.
La connaissance du Diable, à moi ! Je vous en remercie.
SANCHETTE.
Allez, allez, quand vous l’aurez connu, et qu’il sera de vos amis, vous me remercierez bien davantage.
LISETTE.
Voilà une petite fille qui extravague.
SANCHETTE.
Il est ici mon bon ami, il nous y a donné rendez-vous.
LISETTE.
Le Diable ici ! Mais que vois-je ! Le mari de Madame, Monsieur Simon en robe ? La petite fille avait raison, c’est bien le Diable.
SCÈNE II. Le Diable, Monsieur Simon, Sanchette, Lisette. §
LE DIABLE.
Hé bien, que dites-vous de tout ce que vous avez vu, Monsieur Simon ?
MONSIEUR SIMON.
Je dis que je n’en veux pas voir davantage, Monsieur le Diable, et que pour rompre le cours de toutes ces parties de plaisirs, il est temps que je me fasse connaître, et que je remette un peu l’ordre dans la maison. Je suis ruiné, pour peu que cela continue.
LE DIABLE.
Ne vous pressez point, je vous prie, attendons que le Bal soit commencé. J’ai mes raisons pour cela.
LISETTE.
Soyez le bienvenu, Monsieur. Que l’on va être aise de vous revoir ! Madame commençait à ne vous plus attendre.
MONSIEUR SIMON.
Ma femme me croit mort, à ce qu’il me paraît, Lisette ?
LISETTE.
Vous voyez bien que oui, Monsieur, elle est de l’autre côté, qui en prend le deuil.
MONSIEUR SIMON.
Non, non, je ne le suis pas, je me porte bien ; et je lui ferai bien voir à elle, et à son Chevalier.
LISETTE.
28Oh ! Pour le Chevalier, Monsieur, ce n’est pas sa faute. Madame l’avait déjà retenu quelque temps avant votre voyage, pour devenir son mari, s’il venait faute de vous.
MONSIEUR SIMON.
Ma femme l’avait retenu pour être son mari ?
LISETTE.
Oui, Monsieur ; mais je ne crois pas qu’elle lui eût encore donné des arrhes.
LE DIABLE.
Oh ! Pour cela non, je vous en réponds, Monsieur Simon.
MONSIEUR SIMON.
C’est une étrange caution que la vôtre, Monsieur le Diable.
LE DIABLE.
Vous pouvez m’en croire. Ne parle point encore à ta maîtresse du retour de Monsieur Simon, entends-tu, Lisette ?
LISETTE.
Vous me le défendez, je n’ai garde de le faire.
SANCHETTE.
C’est une fort bonne personne, que Mademoiselle Lisette, Monsieur le Diable ; Et je lui ai bien promis que vous seriez de ses amis.
LE DIABLE.
Il y a déjà du temps que j’en suis, et que je lui rends service, sans qu’elle le sache. Je suis le patron de toutes les jolies soubrettes, c’est moi qui les fournis d’expédients et de discrétion.
LISETTE.
J’entends nos Dames, les voilà qui reviennent, elles sont habillées. Entrez pour quelque temps dans ce cabinet, si vous ne voulez pas encore qu’on vous voie.
LE DIABLE.
Nous ne sommes visibles que pour qui bon nous semble.
SCÈNE III. Thérèse, La Présidente, Le Major, Madame Simon, Le Chevalier, Lisette, Sanchette. §
MADAME SIMON.
Je n’ai pris qu’un manteau, je suis moins gênée.
THÉRÈSE.
Vous êtes à merveilles, Madame.
LA PRÉSIDENTE.
Les masques ne se pressent pas de venir, que feront-nous en attendant l’heure ?
THÉRÈSE.
Si vous voulez pour vous amuser que je vous dise la bonne aventure.
LE MAJOR.
Je ne vous crois pas une fort habile devineresse.
LE CHEVALIER.
Elle pourrait faire le bonheur de quelqu’un. Pourquoi ne voulez-vous pas qu’elle le sache prédire ?
THÉRÈSE.
Je ne sais pas si peu pénétrante que je le parais, et vous en jugerez par les événements.
MADAME SIMON.
30Mais vraiment, voilà un enthousiasme de prédictions, qui vaut un almanach tout entier, et j’ai beaucoup de foi pour tout ce qu’elle me dira. Tenez, voilà ma main, belle Bohémienne, voulez-vous que je mette la croix dedans ?
THÉRÈSE.
Non, Madame, je ne suis pas intéressée… Ah, Ciel ! Que de signes de veuvage !
MADAME SIMON.
De veuvage, Chevalier !
LISETTE.
Il n’y a pas lieu d’en douter à présent.
THÉRÈSE.
Il ne sera pas long, ce veuvage-là.
MADAME SIMON.
Oh, pour cela non, je vous en réponds, j’y mettrai bon ordre.
LISETTE.
L’habile bohémienne ! À quoi connaissez-vous cela, Madame Thérèse ?
THÉRÈSE.
À cette ligne coupée que vous voyez, qui va se rejoindre avec cet autre rameau. La coupure marque le veuvage, et le rameau le second mari.
MADAME SIMON.
Ah, Chevalier, vous serez le rameau, et moi je suis la ligne coupée.
LE CHEVALIER.
Qu’est-ce que c’est que cette grande ligne-là, Madame Thérèse ?
THÉRÈSE.
Cette ligne fourchue, c’est celle qui marque les suites du veuvage, Monsieur le Chevalier.
LE MAJOR.
On lit ta bonne aventure dans la main d’autrui, Chevalier.
LISETTE.
Et cet autre-là qui forme comme un chemin, que dénote-t-elle, Madame Thérèse ?
THÉRÈSE.
C’est la ligne de Mercure, qui marque les bonnes ou mauvaises nouvelles. Mais vraiment, vous me faites remarquer aujourd’hui, oui, aujourd’hui, justement…
MADAME SIMON.
Hé bien ?
THÉRÈSE.
À huit heures trente deux minutes et quatre secondes, vous recevrez une grande nouvelle du côté de la Touraine.
MADAME SIMON.
Du côté de la Touraine, une grande nouvelle ! C’est le certificat, Lisette.
LISETTE.
Oui, Madame, c’est le certificat, vous l’aurez ce soir, et j’en suis aussi sûre que s’il était déjà dans votre cabinet. Cette Bohémienne-là en sait long, Mesdames.
LA PRÉSIDENTE.
Elle ne me lira point dans la main.
THÉRÈSE.
Qu’en ai-je à faire ? Je sais lire partout, je lis dans vos yeux, sur votre visage ; dans votre déguisement même.
LA PRÉSIDENTE.
Dans mon déguisement ?
THÉRÈSE.
Oui, vous avez là des rideaux de lit qui ne sont pas discrets, ils vous feront aujourd’hui quelques affaires
LA PRÉSIDENTE.
Oh, je ne crains point l’indiscrétion de mes rideaux, Madame Thérèse, ils n’ont rien à dire.
THÉRÈSE.
Nous en saurons bientôt des nouvelles. Les masques commencent à venir, et voilà le reste de votre meuble qui entre, Madame.
LA PRÉSIDENTE.
Que veut dire ceci ? Monsieur le Président est à Versailles pour affaires.
THÉRÈSE.
Tel qu’on croit en Cour pour affaires, est souvent en Ville pour ses plaisirs.
SCÈNE IV. Lisette, Sanchette, Thérèse, Le Président, La Présidente, Le Major, Le Chevalier, Madame Simon, La Major. §
LE PRÉSIDENT.
Oh, oh ! Voilà la moitié de mon lit ! Serait-ce ma femme ? On a dit à mon valet de chambre qu’elle était malade.
MADAME SIMON.
Qu’et-ce que cet incident, ma bonne ?
LA PRÉSIDENTE.
C’est mon mari, je n’en saurais douter.
LE CHEVALIER.
Voici une aventure de bal.
LE PRÉSIDENT.
C’est elle assurément. Masque, je vous connais, vous êtes au bal de bonne heure ?
LA PRÉSIDENTE.
C’est que je ne viens pas de loin, je n’arrive pas de Versailles, moi, Monsieur.
LE PRÉSIDENT.
Non, vous avez vos coteries à Paris, je vois bien cela. Comment, Madame, partager mon lit avec vos galants ?
LA PRÉSIDENTE.
Je vous trouve admirable, faire part du mien à vos maîtresses ?
LE PRÉSIDENT.
Cela n’en demeurera pas là, Madame.
LE MAJOR.
Oh, par la ventrebleu ! Doucement, Monsieur, point d’incartades.
LE PRÉSIDENT.
Monsieur, Monsieur…
LA MAJOR.
Ah ! C’est mon mari ! Monsieur le Président, si vous faites de l’éclat, je suis perdue.
LA PRÉSIDENTE.
Mais je saurai qui est ma rivale.
LE PRÉSIDENT.
Comment donc, Madame ? Holà, Madame.
LA PRÉSIDENTE.
La petite personne est fort jolie ; allez Monsieur le Président, je vous le pardonne.
LE MAJOR.
Comment ! Palsambleu, c’est ma femme, à moi ? Je tombe des nues.
MADAME SIMON.
Quoi ? C’est là cette petite innocente, qui n’ose regarder un homme sans rougir ?
LE MAJOR.
Ah ! Petite coquette.
LA MAJOR.
Je vous le conseille, vraiment, Monsieur, de me quereller. Vous me laissez toute seule au logis, vous n’y demeurez point, je vous aime, je vous cherche où vous êtes.
LE MAJOR.
Qu’est-ce à dire, où je suis ? Ah ! Je vous apprendrai… Et vous, mon petit Monsieur…
LE CHEVALIER.
Point de bruit, Messieurs.
LISETTE.
Voilà des rideaux de lit qui vont se déchirer chez vous, Madame.
SCÈNE V. Les mêmes Acteurs, Monsieur Simon, Le Diable. §
LE DIABLE.
Non, non, ne craignez rien. Je suis ici pour empêcher le désordre.
MADAME SIMON.
Qu’est-ce que ce masque-là qui vient au bal avec des béquilles ?
LISETTE.
Ce n’est point un masque, ils disent que c’est le diable Boiteux, Madame.
TOUS ENSEMBLE.
Le Diable Boiteux !
LE DIABLE.
Oui, Mesdames, fort à votre service, et je vous amène une façon de Commissaire qui rendra justice à tout le monde.
MONSIEUR SIMON.
Il faut commencer par me la rendre à moi-même. Voilà une robe de chambre qui m’appartient, Monsieur le Chevalier.
MADAME SIMON.
C’est Monsieur Simon ? Quel contretemps !
LISETTE.
Il faut qu’il soit huit heures trente-deux minutes et quatre secondes, Madame. Voilà le certificat qui arrive de Touraine.
THÉRÈSE.
Mes prédictions ne sont-elles pas justes ? Vos rideaux sont des indiscrets, Madame la Présidente.
MADAME SIMON.
Que je suis malheureuse !
LE DIABLE.
Oh ! Ne vous plaignez point, Madame, je vous ramène Monsieur Simon plus raisonnable et moins avare qu’il ne l’était. Il ne dérangera point vos plaisirs, et vous serez contente. Sans rancune, Messieurs les troqueurs, vous n’avez rien à vous reprocher, vivez bien ensemble. Et vous, Monsieur le Chevalier, soyez toujours des amis de la maison, mais à moins de frais, et associez tous à vos plaisirs et à vos fortunes, ma bonne amie Madame Thérèse et la petite Sanchette.
MONSIEUR SIMON.
Vous me le conseillez, je le veux bien, Monsieur le Diable : mais que Monsieur le Chevalier ne s’avise pas d’épouser ma femme de mon vivant.
LE DIABLE.
Non, soyez tranquille là-dessus, je vous avertirai si cela arrive. Çà, tandis qu’on dansera dans l’autre salle, que l’on apporte ici la collation. Donnez-nous quelque petit plat de votre métier, Madame Thérèse, et que Monsieur le Major vous seconde, et mette en train la Compagnie.
DIVERTISSEMENT. §
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
THÉRÈSE.
LE MAJOR.
LE PRÉSIDENT.
THÉRÈSE.