SCÈNE I. La Comtesse, Le Marquis, Le Chevalier, Le Vicomte, Virgine, La Montagne. §
LA COMTESSE.
Madame. Quoi, déjà de retour ?
LE VICOMTE.
Madame. Quoi, déjà de retour ? Ah ma foi
Nous allons bien ici nous divertir.
LA COMTESSE.
Nous allons bien ici nous divertir. De quoi ?
LE VICOMTE.
Hé ! Cela vaudrait mieux que votre Comédie,
Pour moi je n’ai rien vu de plus gai de ma vie,
740 Et vous en ferez cas sans doute à votre tour.
J’ai pris, en vous quittant, mon chemin par le bourg,
À dessein d’obliger notre troupe obstinée,
À nous tenir ce soir la parole donnée :
Mais à peine ai-je fait vingt pas, que j’ai trouvé
745 De quoi recevoir tous un plaisir achevé.
Une noce morbleu ; mais noce de village,
Plaisante au dernier point par chaque personnage ;
Et j’ai si bien prêché, qu’elle vient sur mes pas.
Que vous rirez voyant ce grotesque fracas !
LA MONTAGNE, s’en allant.
750 Il est de notre cru, nous y ferons figure.
LE VICOMTE.
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Ah morbleu, que ne puis-je en faire la peinture !
Vous en ririez d’avance, et diriez comme moi,
Que tout cet attirail est un plaisir de Roi.
Entre autres l’on y voit, outre la mariée,
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755 Qui suit en bel arroi la troupe conviée,
Un ramas d’animaux, qui des plus sottes gens
En différente espèce offre le passe-temps.
Un Suisse, un vieux bourgeois, des clercs, des villageoises,
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Des grisettes, un page, et de riches Bourgeoises,
760 Et deux badauds, dont l’un est aussi sot, et plus,
Que ne fut en son temps Thomas Diafoirus.
Ah, qu’en guerre un parti ferait là de ravages !
Ma foi les beaux habits resteraient pour les gages.
LA COMTESSE.
L’assemblée est risible, et c’est un raccourci…
LE VICOMTE.
765 Vous en aurez la vue en demeurant ici.
Si par quelque accident la noce n’est troublée,
J’ai fait de cet endroit le lieu de l’assemblée.
OLIMPE.
Ah, Madame, voyons.
LA COMTESSE.
Ah, Madame, voyons. Hé bien voyons.
LE MARQUIS.
Ah, Madame, voyons. Hé bien voyons. Comment ?
Parlez-vous tout de bon, Madame ?
LA COMTESSE.
Parlez-vous tout de bon, Madame ? Assurément.
LE MARQUIS.
770 La cohue, une noce aurait de quoi vous plaire ?
LE MARQUIS.
Oui. Vous n’y songez pas.
LA COMTESSE.
Oui. Vous n’y songez pas. Non ? À votre ordinaire
Vous êtes complaisant.
LE MARQUIS.
Vous êtes complaisant. Je ne m’oppose à rien ;
Mais tant de sottes gens vous ennuieront.
LA COMTESSE.
Mais tant de sottes gens vous ennuieront. Hé bien,
Je veux me divertir à m’ennuyer.
OLIMPE.
Je veux me divertir à m’ennuyer. Courage,
775 Tenez ferme.
LE VICOMTE.
Tenez ferme. Faut-il consulter davantage ?
Vous diriez qu’il s’agit de donner un assaut.
LA COMTESSE.
C’est que le Marquis sait…
LE MARQUIS.
C’est que le Marquis sait… Je sais ce qu’il vous faut.
LA COMTESSE.
Mais enfin je le veux.
LE MARQUIS.
Mais enfin je le veux. Je n’ai plus rien à dire.
LE VICOMTE.
Voici toute la bande, apprêtez-vous à rire.
La noce entre. La Comtesse, le Marquis, etc. s’assoient sur un banc à un côté du Théâtre ; et pendant que les violons jouent la Marche, tous les gens de la noce, deux à deux, font la révérence à la Comtesse en passant devant elle, et se vont ranger au fond du théâtre.
VIRGINIE, après qu’ils sont rangés au fond du théâtre, dit.
780 Ah, que la mariée est drôle !
LE VICOMTE.
Ah, que la mariée est drôle ! Dame, c’est
La perle du pays.
OLIMPE.
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La perle du pays. Et ce pauvre benêt
Que je vois auprès d’elle, est-ce l’époux ?
LE VICOMTE.
Que je vois auprès d’elle, est-ce l’époux ? Lui-même.
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Sa figure allongée est d’un vrai Nicodème.
LE VICOMTE.
Ah ! Savez-vous à quoi je le trouverais bon ?
785 À faire de sa tête un boulet de canon.
Qu’il ferait beau la voir rebondir en l’air !
LE MARQUIS.
Qu’il ferait beau la voir rebondir en l’air ! Je gage
Que vous vous ennuyez.
LA COMTESSE.
Que vous vous ennuyez. Vous ne seriez pas sage,
De hasarder beaucoup, vous perdriez.
LE MARQUIS.
De hasarder beaucoup, vous perdriez. Vos yeux
Font voir…
LA COMTESSE.
Font voir… Qu’on aurait peine à se divertir mieux.
790 Voyons, à cela près, ce qui suit.
LA MONTAGNE, représentant Gros-Jean.
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Voyons, à cela près, ce qui suit. Ça morguenne,
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Dansons de la gaillarde, et que l’on se démène.
PIERRETTE.
C’est parler de raison… Je vas pour commencer
Prendre un de ces Monsieux, et le faire danser.
Vous plaît-il…
En faisant la révérence au Marquis.
LE MARQUIS.
Vous plaît-il… Non, jamais je ne danse.
GROS-JEAN.
Vous plaît-il… Non, jamais je ne danse. Parrette,
795 Laisse-le là ; morgué ce n’est pas comme on traite.
PIERRETTE.
Parce qu’il est tout d’or, il fait bien le Signeur :
Oh si je sommes pauvres, au moins j’ons de l’honneur,
Et je craignons rian.
LE VICOMTE.
Et je craignons rian. Je vais prendre sa place,
C’est qu’il a du chagrin. Attendant qu’il se passe,
800 Voyons ce qu’à la danse un gentilhomme vaut.
Après avoir dansé.
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Hé bien ! N’est-ce pas trémousser comme il faut ?
J’en fais partout de même. À vous la mariée.
Il redanse la même Bourrée.
Elle est jolie. Un air, la taille déliée.
Allons, courage, ferme, à la recharge, bon.
805 Voilà s’en acquitter de la belle façon,
Je l’aime ; elle a les yeux tournés d’une manière…
LE VICOMTE.
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Hé, Monsieur. Voulez-vous être ma vivandière,
Si je vais à l’armée ? Ah, morbleu, je prétends
Vous faire vivre en Reine, et bien passer le temps.
810 Qu’en dites-vous ?
LA MARIÉE.
Qu’en dites-vous ? Oh rien ! Quand j’en serais bien aise,
Colin ne voudrait pas.
LE VICOMTE.
Colin ne voudrait pas. Ah ! Qu’il ne lui déplaise,
Serviteur à Colin. Hé ! Ne dans-t-il pas !
Monsieur Colin, allons ; debout et haut les bras.
À moins qu’un marié ne soit d’humeur gaillarde,
815 J’en dis fi.
GROS-JEAN.
J’en dis fi. Vas danser, Colin.
COLIN.
J’en dis fi. Vas danser, Colin. Oh ! Je n’ai garde.
COLIN.
Pourquoi ? Je sis honteux devant les grandes gens,
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Ils se gobargeriont.
GROS-JEAN.
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Ils se gobargeriont. Tatigué, tu te rends
Honteux ! Les grandes gens sont tout comme je somme,
Bâtis de chair et d’os, et tu fais si bien comme…
COLIN.
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820 S’il en faut débacler. Hé ! Va-t’en danser, toi.
Madame voudra bien.
DORIMÈNE.
Madame voudra bien. Ah ! S’il ne tient qu’à moi,
Volontiers.
GROS-JEAN.
Volontiers. Hé bian donc, pis que n’an m’y condamne,
Dansons. Brimbalez-nous queuque bonne Pavane.
Il danse.
LE VICOMTE.
Fort bien. Le volte face, et les jambes en l’air.
825 Ferme en avant, jamais il ne faut reculer.
Quel compère ! Ah, parbleu ! L’on ne peut mieux l’entendre.
Voyons ce grand nigaud.
VIGNOLET, en Thomas Diafoirus.
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Voyons ce grand nigaud. Vous venez donc me prendre,
Ça m’est beaucoup d’honneur, mais je suis en souci
Comme sans cheminée on peut danser ici :
830 Mais n’importe. Attendez. Au lieu d’une Courante,
Où je suis neuf encor, voulez-vous que je chante ?
Je sais bien mieux chanter que je ne danse.
DORIMÈNE.
Je sais bien mieux chanter que je ne danse. Ah ! Bon.
Sans voir la cheminée on peut prendre son ton.
VIGNOLET, chante.
Si Claudine,
835 Ma voisine,
S’imagine
Sur ma mine,
Que je ne suis bon à rien,
Qu’en cachette
840 La follette
Me permette
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La fleurette
Elle s’en trouvera bien.
LE VICOMTE.
La galante chanson !
VIGNOLET.
845 C’est sur moi qu’on l’a faite.
COLIN.
Hé, Thomas, Grand François, Dubois, Lubin, Paquete,
Morgué, je vais danser d’ici jusqu’à demain.
Est-ce que je dormons ? Pis qu’on m’a mis en train,
Excusez si j’osons…
Il fait la révérence à la Comtesse.
LA COMTESSE.
Excusez si j’osons… Vous voulez que je danse ?
LE MARQUIS.
850 Allez, Madame, allez faire la révérence,
Danser une pavane avec Monsieur Colin.
LA COMTESSE.
Quand je la danserais, le grand malheur !
LE MARQUIS.
Quand je la danserais, le grand malheur ! Enfin,
Vous faites vos plaisirs d’une noce.
COLIN.
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Vous faites vos plaisirs d’une noce. Oh jarnie,
Pis qu’an est si longtemps sur la çarimonie,
855 Je vais danser tout seul. Du plus gaillard, allons.
Il danse.
LE VICOMTE.
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Peste, par haut voilà s’escrimer des talons !
LE VICOMTE.
À votre avis ? Il est très souple, sur mon âme.
Vous avez bien choisi, la mariée.
OLIMPE.
Vous avez bien choisi, la mariée. Oh dame,
Quoique nés dans les champs, j’ons appris les cinq pas,
860 Et j’ons des qualités que bian d’autres n’ont pas.
LE VICOMTE.
Qu’en dites-vous ?
OLIMPE.
Qu’en dites-vous ? Pour moi j’en suis très satisfaite.
LE VICOMTE.
Mais à quoi rêvez-vous, aimable friponnette ?
LUBINE.
Tout doux, Monsieur, tout doux.
LE VICOMTE.
Tout doux, Monsieur, tout doux. Quittez le sérieux,
Ma belle, et comme moi prenez un air joyeux ;
865 Je veux vous mettre en train.
LUBINE.
Je veux vous mettre en train. Hé dame, est-ce pour rire,
Monsieur ?
LE VICOMTE.
Monsieur ? Non, vous avez et beau faire et beau dire,
Je vous déroberai, deux baisers seulement.
LUBINE.
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Nannin, nannin. Queu patineux ! Vraiment
Vous êtes tout drôle. Ah !
LE VICOMTE.
Vous êtes tout drôle. Ah ! Tout cela bagatelle,
870 Je les aurai, parbleu. La petite cruelle !
LUBINE, chante.
Ne fripez pas mon bavolet,
C’est aujordy Dimanche,
Je vous le dis tout net,
J’ai des éplingues sur ma manche,
875 Ma main pèse autant qu’alle est blanche,
Et vous gagneriais un soufflet.
Ne fripez pas mon bavolet,
C’est aujordy Dimanche.
Attendez à demain que je vase à la Ville,
880 J’aurai mes vieux habits ;
Et les Lundis
Je ne sis pas si difficile ;
Mais à présent
Tout franc
885 Si vous faites l’impertinent,
Si vous gâtez mon linge blanc,
Je vous battrai comme il faut de la hâte,
Je vous battrai,
Pincerai,
890 Piquerai,
Je vous mordrai,
Grugerai,
Pillerai,
Menu, menu, menu comme la chair en pâte ;
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895 Hon, voyez-vous, j’avons un tarrible tâte,
Que je cachons sous notre bonnet.
Ne fripez pas mon bavolet,
C’est aujordy Dimanche.
OLIMPE.
Et ce bon Gentilhomme ?
LE VICOMTE.
Et ce bon Gentilhomme ? Il a vécu, Madame.
MONSIEUR DE SOTTENVILLE.
900 J’ai bien valu mon prix autrefois, sur mon âme.
Il chante.
J’étais jeune Coq autrefois,
Et mon chant réveillait les plus sages Poulettes ;
J’ai vieilli depuis, et ma voix
Endort même les plus Coquettes.
Toutes les personnes de la Noce dansent un branle, et Monsieur Sallé chante.
MONSIEUR SALLÉ, chante.
905 À la santé de Colin,
L’heureux mari de Colette ;
Outre qu’il est mon voisin,
C’est qu’il aime le vin,
C’est qu’il aime le vin.
910 Sa femme aime peu la diète.
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Fessons notre vin,
Buvons à Colette,
Fessons notre vin,
Buvons à Colin.
915 Vive Colette et Colin,
Et les enfants qu’ils vont faire.
Comme je suis bon voisin,
J’en serai le Parrain,
J’en serai le Parrain.
920 Colin prendra bien l’affaire.
S’il n’est pas certain
D’en être le père,
Il sera certain
D’avoir bon voisin.
Les Violons continuent de jouer le même Branle, et les gens de la noce se retirent en dansant.
LA COMTESSE.
925 En vérité, Marquis, ils m’ont bien divertie.
LE VICOMTE, arrêtant Gros-Jean.
Un mot, mon cher, ô çà, parlons sans raillerie.
GROS-JEAN, voulant s’échapper.
Morgué, laissez-moi là.
LE VICOMTE, lui ôtant sa fausse barbe.
Morgué, laissez-moi là. Non, non, restez ici.
Voilà le Pèlerin qui nous met en souci.
LE VICOMTE.
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L’Inconnu ? Le Grosset.
LE CHEVALIER.
L’Inconnu ? Le Grosset. Quand il a fait son rôle,
930 Le Vicomte d’abord a remis sa parole.
OLIMPE.
Ce n’est point l’Inconnu.
LE VICOMTE.
Ce n’est point l’Inconnu. Ce l’est assurément,
Madame. Parlez donc, Sieur Grosset, autrement.
Vous saurez ce que c’est qu’un Vicomte en colère.
LE CHEVALIER.
Mais quoi… Sur ce sujet, il faut nous satisfaire,
935 Et de force ou de gré nous prétendons savoir…
LA MONTAGNE.
Regardez ce portrait, vous saurez mon pouvoir,
Et quel est l’Inconnu.
OLIMPE, à la Comtesse.
Et quel est l’Inconnu. Si rien ne le déguise,
Vous y verrez des traits… Vus en êtes surprise ?
Hé bien, a-t-il l’air bon ; qu’en dites-vous ?
LA COMTESSE.
Hé bien, a-t-il l’air bon ; qu’en dites-vous ? Je dis…
940 Voyez.
LE CHEVALIER, regardant le portrait.
Voyez. C’est le Marquis.
OLIMPE.
Voyez. C’est le Marquis. Le Marquis !
OLIMPE.
Le Marquis ! Juste Ciel !
LA COMTESSE, au Marquis.
Quoi, c’est vous dont l’adresse cachée
Cherchait à m’engager ?
LE MARQUIS.
Cherchait à m’engager ? En êtes-vous fâchée ?
Les soins de l’Inconnu pourront-ils vous toucher,
LA COMTESSE.
945 Qui l’aurait cru, qu’en vous il l’eût fallu chercher ?
LE MARQUIS.
Non, ne m’en croyez pas : mais, aimable Comtesse,
Croyez-en ce présent que m’a fait la Jeunesse.
LA COMTESSE.
C’est là mon diamant. Vous étiez destiné
À recevoir enfin la main qui l’a donné ;
950 Il est juste, et j’en fais le prix de votre flamme.
LE MARQUIS.
Ô bonheur, qui remplit tous mes vœux ! Mais, Madame,
Vous souvenez-vous…
OLIMPE.
Vous souvenez-vous… Oui, je ne puis oublier
Que je vous ai promis d’aimer le Chevalier ;
Vous avez de l’honneur, c’est assez vous en dire.
LE CHEVALIER.
955 Doux et charmant aveu, qui finit mon martyre ?
Madame, je puis donc prétendre à votre foi ?
OLIMPE.
Si ma mère y consent, je vous réponds de moi.
LE VICOMTE.
Je vous vois là tous quatre en bonne intelligence,
Et moi, que devenir ?
LA COMTESSE.
Et moi, que devenir ? Vous prendrez patience.
LE VICOMTE.
960 Oui, de mes pas pour vous c’est donc là le succès,
Se charge qui voudra du soin de vos procès.
Adieu.
LA COMTESSE.
Adieu. Le prendrez-vous, Marquis ? Il vous regarde.
LE MARQUIS.
Que ne ferais-je point ?
LE CHEVALIER.
Que ne ferais-je point ? La retraite est gaillarde.
OLIMPE.
C’est un extravagant dont nous sommes défaits.
LE MARQUIS.
Allons. Puisse l’Amour ne nous quitter jamais.
Fin du Divertissement du cinquième Acte.