LA PARISIENNE
COMÉDIE EN UN ACTE

M. DC. XCI, AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

De Mr DANCOURT

À Paris, chez le Veuve Coignard, sur le quai des Augustins, à l’in(...) Saint-Louis.

ACTEURS §

  • OLIMPE, mère d’Angélique.
  • ANGÉLIQUE, amante d’Éraste.
  • LISETTE, suivante d’Olimpe.
  • DAMIS, père d’Éraste.
  • ÉRASTE, amant d’Angélique.
  • L’OLIVE, valet d’Éraste.
  • LA VIGNE, valet de Damis.
  • LISIMON, amant d’Angélique.
  • DORANTE, amant d’Angélique.
La scène est à Paris.

SCÈNE I. Damis, La Vigne. §

DAMIS, toussant.

Hem, hem, hem.

LA VIGNE.

Voilà une mauvaise espèce de rhume.

DAMIS.

Quand cette toux me tient une fois, j’ai toutes les peines du monde à m’en défaire.

LA VIGNE.

Cependant vous êtes jeune, et la force du tempérament…,

DAMIS.

Oui, je suis jeune : mais je suis presque toujours enrhumé. Hem, hem.

LA VIGNE.

Cela n’est rien, Monsieur, et le mariage vous tirera d’affaire ; il faut qu’il emporte le rhume, ou que le rhume vous emporte, il n’y a pas de milieu. Entrez chez votre jeune maîtresse, puisque vous y voici ; sa présence seulement, peut-être, adoucira l’aigreur de votre rhume.

DAMIS.

Au contraire, il augmente encore quand je me trouve auprès d’elle ; et comme elle est simple, ingénue, innocente enfin, chaque fois que je tousse, elle me fait de grandes révérences, comme si j’éternuais ; j’ai beau lui dire, elle n’en démord point, et cela me fait enrager.

LA VIGNE.

C’est une fille qui sait vivre.

DAMIS.

Elle n’a pas d’esprit, et c’est ce qui me la fait épouser plutôt qu’une autre ; car enfin, il faut que je me marie. Hem, hem ; et je sens bien que je suis né pour la société.

LA VIGNE.

Vous avez raison. À votre âge, le moyen de demeurer veuf !

DAMIS.

Mon fils est à l’armée malgré moi, c’est un libertin, un évaporé, qui n’en reviendra pas ; et cela m’oblige en conscience de me marier, pour faire souche, et pour ne pas laisser périr la famille.

LA VIGNE.

Vos intentions sont bonnes, il en sera ce qui pourra.

DAMIS.

Va-t-en donner le bonjour de ma part à cette belle enfant.

LA VIGNE.

Venez le lui donner vous-même.

DAMIS.

Non, je vais achever de tousser chez mon Notaire. Dis à Madame Olimpe que je l’y attends, pour signer le contrat, ainsi que nous en sommes convenus. Hem, hem : va vite. Hem, hem.

SCÈNE II. §

LA VIGNE, seul.

Le pauvre bonhomme, avec son envie de faire souche ! Il est bien pressé de faire le voyage de l’autre monde. Tant pis pour lui, c’est son affaire, et la mienne est de pousser ma pointe auprès de la servante ; elle est jeune et jolie, et le mariage ne sera mortel ni pour elle ni pour moi.

ÉRASTE, derrière le Théâtre.

Quelle fatalité !

LA VIGNE.

J’entends quelqu’un : entrons, et voyons d’abord ma maîtresse ; j’aurai du temps de reste pour parler à celle de mon maître.

SCÈNE III. Éraste, L’Olive. §

L’OLIVE.

Le voilà bien fâché ?

ÉRASTE.

Ah que les enfants sont malheureux, dont les pères sont déraisonnables !

L’OLIVE.

Que les valets sont misérables, dont les maîtres sont amoureux !

ÉRASTE.

Quelle extravagance de m’être éloigné de Paris, pour m’en aller à l’armée !

L’OLIVE.

Quelle sagesse, d’avoir quitté l’armée pour revenir à Paris !

ÉRASTE.

Je suis né sous une planète bien malheureuse !

L’OLIVE.

L’affaire est touchante, je l’avoue.

ÉRASTE.

Fils d’un père puissamment riche…

L’OLIVE.

Il nous réduit par sa vilenie à vivre d’emprunt et de savoir faire.

ÉRASTE.

Oh ! Je lui passe son avarice.

L’OLIVE.

Quelle bonté !

ÉRASTE.

Mais pour le désespoir où il a réduit mon amour, je ne puis le lui pardonner.

L’OLIVE.

C’est une chose impardonnable, vous avez raison.

ÉRASTE.

En visitant une parente dans un couvent, j’y trouve une jeune personne toute charmante, toute adorable.

L’OLIVE.

Vous en devenez passionnément amoureux.

ÉRASTE.

Pouvais-je ne le pas devenir ?

L’OLIVE.

Bon, le moyen de s’en empêcher : j’en serais devenu fou, moi.

ÉRASTE.

Je lui rends des respects, et des soins.

L’OLIVE.

Y a-t-il rien de plus naturel ?

ÉRASTE.

Elle est sensible à ma tendresse, et j’obtiens d’elle la permission de la demander en mariage.

L’OLIVE.

Tout allait fort bien jusques-là.

ÉRASTE.

Je propose la chose à mon père.

L’OLIVE.

Ici, cela commence à mal aller.

ÉRASTE.

Il refuse d’y consentir.

L’OLIVE.

Il y a de la malice dans son fait : car de raison il n’y en a point.

ÉRASTE.

Désespéré de ses refus, je me jette aux pieds d’Angélique ; je la conjure de sortir du Couvent, et de m’épouser en secret.

L’OLIVE.

Sans la crainte de sa mère, c’était une affaire faite : mais ce sont d’incommodes personnes que ces mères, et surtout quand les filles sont timides.

ÉRASTE.

Enfin, outré de rage et de désespoir, je vais en Italie, attendre le moment favorable de pouvoir disposer de moi sans le consentement de mon père.

L’OLIVE.

Ce moment favorable est venu, vous voilà majeur ; et c’est grand dommage que vous ne trouviez plus votre maîtresse.

ÉRASTE.

Qu’est-elle devenue, mon pauvre l’Olive. ?

L’OLIVE.

Ne vous l’a-t-on pas dit ? Sa mère l’a fait sortir du couvent, sans lui donner le temps de dire adieu à personne. On l’a vue depuis dans ce quartier, et peut-être y demeure-t-elle.

ÉRASTE.

Je ne serai point assez heureux pour l’y rencontrer.

L’OLIVE.

Pourquoi non ? Il est bon de n’avoir rien à se reprocher. Çà voyons, par où commencerons-nous ?

ÉRASTE.

Demeure ici, promène-toi aux environs de ce quartier, et tâche d’apprendre des nouvelles, par le moyen de quelques personnes du voisinage.

L’OLIVE.

Laissez-moi faire.

ÉRASTE.

Pour moi, je retourne au couvent m’informer de quelques particularités que mon trouble et mon chagrin m’ont fait oublier de demander.

L’OLIVE.

Vous attendrai-je ici ?

ÉRASTE.

Si tu découvres quelque chose, viens au plus vite me le dire.

SCÈNE IV. §

L’OLIVE, seul.

Il est à plaindre, et je conçois que c’est une triste occupation que celle de courir après sa maîtresse. Il n’en est pas de même d’une femme ; et plût au Ciel que pendant notre voyage d’Italie, la mienne, qui ne sait ce que je suis devenu, se fut mis en tête de quitter Paris ! Je ne la chercherais pas où je croirais la pouvoir trouver. Mais qu’est-ce ci ? Voilà, je crois, le valet du père de mon Maître. D’où sort-il, et que cherche-t-il dans un quartier si éloigné ?

SCÈNE V. La Vigne, L’Olive. §

LA VIGNE.

Pense que c’est l’Olive !

L’OLIVE.

Il m’a vu, tenons bonne contenance.

LA VIGNE.

Hé bonjour, Monsieur de l’Olive. Et depuis quand de retour ? Je te croyais dans le fond de l’Italie !

L’OLIVE.

Paix, ne fais pas semblant de me voir, je suis ici incognito.

LA VIGNE.

Que diantre veux-tu dire, avec ton incognito ?

L’OLIVE.

Ah, mon pauvre garçon, que la jeunesse est extravagante !

LA VIGNE.

La vieillesse ne l’est pas mal aussi.

L’OLIVE.

Assurément ; et le bonhomme, surtout, est un étrange personnage.

LA VIGNE.

C’est le plus beau fou qu’on ait jamais vu.

L’OLIVE.

Il ne lui manquait plus, quand nous partîmes, que de devenir amoureux, pour être un petit modèle de perfection.

LA VIGNE.

Il est donc parfait, rien ne lui manque.

L’OLIVE.

Est-il possible !

LA VIGNE.

Que ton Maître n’apprenne rien de ceci, au moins.

L’OLIVE.

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Fi, est-ce ce que je lui dis jamais ce que je ne veux pas qu’il sache ? Ne crains rien.

LA VIGNE.

Son père a pris le temps de son absence pour se marier.

L’OLIVE.

Ah le débauché, qui contracte un mariage clandestin ! Et quelle malheureuse veut être la femme d’un homme de soixante et quatre ans, infirme, goutteux, avare, et de mauvaise humeur, comme lui ?

LA VIGNE.

C’est une petite personne, qui n’a pas encore apparemment l’esprit de réfléchir sur ce qu’on lui fait faire, et qui dépend d’une mère qui la force à ce mariage.

L’OLIVE.

Ah ! Quel meurtre ! Et tu souffres cela, toi ? Tu n’as pas de conscience.

LA VIGNE.

La chose n’est pas encore conclue. Il y a dans le logis une certaine fille de chambre, qui n’est pas contente d’un assortiment si bizarre, et qui prendra soin des intérêts de la petite fille en dépit d’elle-même.

L’OLIVE.

Ma foi, je lui en sais bon gré. Il faut que ce soit une fille d’honneur que cette fille-là. C’est ta maîtresse à toi, apparemment ?

LA VIGNE.

Belle demande ! Cela peut-il être autrement ?

L’OLIVE.

Elle est éprise de ton mérite ?

LA VIGNE.

Je t’en réponds. Nous attendons, pour nous épouser, le certificat de la mort d’un mari qu’elle avait. S’il vient, à la bonne heure ; s’il ne vient pas, on s’en passera.

L’OLIVE.

Cela est de fort bon sens. Et est-ce là le logis ?

LA VIGNE.

Justement. Demeure ici quelque temps, tu pourras y voir entrer notre vieil Adonis.

L’OLIVE.

Non, je craindrais qu’il me vît, et nous ne voulons pas mon Maître et moi qu’il nous sache ici.

LA VIGNE.

C’est-à-dire qu’il y a quelques amourettes en campagne.

L’OLIVE.

Ne va pas nous trahir, au moins.

LA VIGNE.

Je n’ai garde. Ne parle pas de ce que je t’ai dit.

L’OLIVE.

N’ayez point d’inquiétude.

LA VIGNE.

Allons avertir le bonhomme que son fils est à Paris.

L’OLIVE.

Courons apprendre à mon Maître l’extravagance de son père.

SCÈNE VI. Lisette, L’Olive. §

LISETTE, l’arrêtant et l’amenant jusqu’au bord du Théâtre.

Ah double chien ! C’est toi ; je te trouve à la fin, après t’avoir si longtemps cherché ?

L’OLIVE.

On ne peut éviter son malheur : c’est ma femme.

LISETTE.

Qu’as-tu fait, infâme, depuis que tu as tout déménagé de chez moi ?

L’OLIVE.

Hé bien ! Qu’est-ce mon enfant ? De quoi s’agit-il ? Si tu prétends crier, je m’en vais.

LISETTE.

Non, traître, tu ne m’échapperas pas.

L’OLIVE.

Parlons donc sans nous emporter, je vous prie.

LISETTE.

Comment, coquin, sans nous emporter ?

L’OLIVE.

Oui, j’aime le sens froid, moi.

LISETTE.

Je ne sais qui me tient…

L’OLIVE.

Oh, oh, oh, si nous ne parlons doucement, la conversation finira mal, je vous en avertis.

LISETTE.

Abandonner ainsi sa femme !

L’OLIVE.

Me voilà retrouvé ; de quoi te plains-tu ?

LISETTE.

Me laisser sur le pave, comme une malheureuse !

L’OLIVE.

Hé bien, ai-je une meilleure fortune ? Qu’as-tu à dire ?

LISETTE.

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Me réduire à la nécessité de me mettre en condition !

L’OLIVE.

Le grand malheur ! Est-ce que je ne sers pas aussi ? Où demeures-tu ? Çà, voyons, il faut faire une fin, et je suis las du libertinage.

LISETTE.

Tu fais le railleur, mais…

L’OLIVE.

Non, je te parle de bonne foi. Où demeures-tu, te dis-je ? Es-tu dans tes meubles ?

LISETTE.

Où je demeure ? Je sers dans ce logis, où j’ai de la peine et du chagrin tout ce qu’on en peut avoir.

L’OLIVE.

Où dis-tu ?

LISETTE.

Dans cette maison.

L’OLIVE.

Oui ? Ah, ah ! Par ma foi, j’en suis fort aise. Et Monsieur de la Vigne, comment le gouvernez-vous, je vous prie ?

LISETTE.

Monsieur de la Vigne !

L’OLIVE.

Vraiment, ma petite femme, ma mie, vous êtes une jolie personne.

LISETTE.

Que veux-tu dire ?

L’OLIVE.

Et le certificat, ma Princesse, quand deviez-vous l’avoir ?

LISETTE.

Il faut qu’il soit sorcier.

L’OLIVE.

Je vous en dois de reste, vraiment, et c’était à bonne intention que vous cherchiez de mes nouvelles.

LISETTE.

Oh, sans emportement, je vous prie ; j’aime le sens froid aussi bien que vous.

OLIMPE, derrière le Théâtre.

Lisette ?

LISETTE.

On m’appelle : tu es bienheureux que je n’aie pas le temps de te faire expliquer.

L’OLIVE.

Hé, va, va, nous aurons du temps de reste, il suffit que je sache où te trouver.

SCÈNE VII. Olimpe, Lisette. §

OLIMPE.

À qui parlais-tu là, Lisette.

LISETTE.

C’est un de mes cousins, Madame, qui m’est venu dire des nouvelles de ma tante.

OLIMPE.

Que fait ma fille ? Et pourquoi n’es-tu point auprès d’elle ?

LISETTE.

Elle m’a dit de la laisser seule. Elle est triste ; et je crois que pour la réjouir un peu, il lui faudrait une autre compagnie que la mienne.

OLIMPE.

Non, tout le monde lui déplaît, c’est le couvent qui lui a donné cet engourdissement de cœur et d’esprit, qui la rend insensible à tout.

LISETTE.

Cela pourrait être ; mais, elle court risque d’être longtemps engourdie, et ce ne sera pas le mari que vous lui destinez, qui la tirera de son engourdissement, sur ma parole. Un homme de soixante et cinq ans épouser une fille de seize ! Et où est la symétrie, Madame ?

OLIMPE.

Il ne s’en donne que cinquante, Lisette.

LISETTE.

C’est un fripon, Madame, il s’en dérobe plus d’une douzaine. Mais, quand il ne s’en volerait point, de bonne foi, est-ce à une fille comme elle qu’il faut donner un homme comme lui ? Que diantre voulez-vous qu’elle en fasse ?

OLIMPE.

Eh, que veux-tu qu’elle devienne ? Je l’aime, et je ne cherche point à la contraindre ; mais, je n’ai point de bien à lui donner ; et cette inégalité d’âge, qui se trouve entre Monsieur Damis et elle, lui fera d’autant moins de peine, qu’elle n’a point encore assez d’esprit pour faire des réflexions.

LISETTE.

Oui ; mais l’esprit vient aux filles, comme vous savez : elle réfléchira dans la suite, et ces réflexions tardives mènent quelquefois à de très dangereuses conséquences. Et qui sait si elle n’a point déjà quelque secrète inclination ?

OLIMPE.

Cela ne se peut ; elle sort d’un Couvent où elle n’a jamais vu personne.

LISETTE.

Elle soupire, elle pleure, et ne dit mot ; ce sont de grands préjugés.

OLIMPE.

Mais, qui pourrait l’empêcher de me découvrir ses pensées ?

LISETTE.

Les jeunes filles ne sont point libres avec leurs mères, Madame ; et la crainte de paraître quelquefois un peu trop formées pour leur âge, gâte toutes leurs affaires.

OLIMPE.

Ma fille est encore si simple et si fort innocente, que le nom même de l’Amour est un terme inconnu pour elle. Elle n’a pas d’esprit, te dis-je.

LISETTE.

Et, mort de ma vie, Madame, ce n’est pas l’esprit qui donne de l’amour, c’est l’amour qui fait venir de l’esprit. Ne précipitez point les choses, Madame ; on vous attend chez le Notaire, allez-y, mais ne signez rien. La voici ; laissez-moi seule avec elle, je la ferai parler, ou elle aura perdu la parole.

OLIMPE.

Hé bien, tâche de pénétrer ses pensées, et songe à mon retour à m’en rendre compte.

SCÈNE VIII. Angélique, Lisette. §

LISETTE, à part.

Dans quelle rêverie la voilà plongée ! Je suis toujours pour ce que j’en ai dit ; elle a quelque amourette en tête.

ANGÉLIQUE, à part.

Que je suis malheureuse ! Je n’ose confier mes chagrins à personne, et je serai peut-être la victime de ma timidité.

LISETTE, à part.

Sa cervelle est plus embarrassée que la mienne.

ANGÉLIQUE.

Ah, Lisette, que fais-tu là ?

LISETTE.

Je vous regardais en pitié ; car, je suis fort humaine, moi ; et je ne puis souffrir les personnes, que je n’aie une passion extraordinaire de les soulager.

ANGÉLIQUE.

Ah, Ciel !

LISETTE.

Vous allez pleurer ; je m’en vais. Et de quoi vous sert-il de gémir, de soupirer ? On ne sait point au juste ce que cela veut dire. Parlez, on vous entendra ; et je répondrais quasi, moi, de donner bon ordre à ce qui vous chagrine.

ANGÉLIQUE.

Et que veux-tu que je te dise ?

LISETTE.

Ce que vous pensez.

ANGÉLIQUE.

Je ne pense rien.

LISETTE.

Ce sont des contes : à votre âge, il n’y a point de filles qui ne pensent quelque chose.

ANGÉLIQUE.

Je ne suis pas comme les autres.

LISETTE.

Ouais ; mais voici un étrange endurcissement ! Vous me soupçonnez apparemment d’être indiscrète, c’est ce qui vous empêche de me déclarer vos petits sentiments ; mais je vous avertis que je les devine, et qu’il ne tient qu’à moi…

ANGÉLIQUE.

Si tu les devines, Lisette, pourquoi me les demandes-tu ?

LISETTE.

Pour en avoir l’aveu de votre propre bouche, et pour être en droit de vous offrir mes petits services.

ANGÉLIQUE.

Et quels services me voudrais-tu rendre, Lisette ?

LISETTE.

Tous ceux dont vous auriez besoin.

ANGÉLIQUE.

Mais encore ?

LISETTE.

Mais, par exemple…

ANGÉLIQUE.

Quoi, par exemple ?

LISETTE.

Si ce mariage bizarre que votre mère s’est mis en tête vous faisait peine, on trouverait des moyens pour le rompre.

ANGÉLIQUE.

Et quels moyens pourrait-on trouver ?

LISETTE.

Mais par exemple, si vous avez quelque autre vue, et que vous m’en fissiez confidence…

ANGÉLIQUE.

Hé bien, que ferais-tu pour moi ?

LISETTE.

Voulez-vous encore un exemple ?

ANGÉLIQUE.

Oui, oui, tes exemples sont tout à fait justes.

LISETTE.

D’accord ; mais les choses mêmes sont plus sensibles. Allons, ne craignez point de m’ouvrir votre cœur, j’aime mieux vous interroger. Vous aimez quelqu’un apparemment, et ce serait une chose honteuse que vous n’aimassiez personne à votre âge ; je me moquerais de cous la première, si vous ne saviez pas ce que c’est que l’amour.

ANGÉLIQUE.

Oh, je le sais, ne t’en moque point.

LISETTE.

Ah, bon cela, voilà qui me plaît. J’aime les personnes de bonne foi : expliquez-moi donc bien toutes choses, et ne me cachez rien surtout.

ANGÉLIQUE.

Mais, interroge-moi donc, Lisette, si tu veux que je réponde.

LISETTE.

Il n’y a rien de plus juste ; c’est un grand secours pour la pudeur, au moins. Premièrement, vous aimez quelque jeune homme, je gage ?

ANGÉLIQUE.

Tu l’as deviné. C’est Éraste.

LISETTE.

Fort bien, Éraste ! Voilà d’abord un nom qui m’intéresse : Éraste, il a de l’esprit cet Éraste !

ANGÉLIQUE.

Je n’en ai point assez pour m’y connaître.

LISETTE.

Il vous en viendra, donnez-vous patience.

ANGÉLIQUE.

Ah, si j’en puis avoir, je m’en servirai bien, je t’en réponds.

LISETTE.

Vous ne manquerez point de matière. Revenons à Éraste, vous l’aimez beaucoup ?

ANGÉLIQUE.

Oui, je l’aime ; mais je n’ai point de ses nouvelles.

LISETTE.

Comment ?

ANGÉLIQUE.

Il est à l’armée. Et pour n’être point la femme de Monsieur Damis…

LISETTE.

Hé bien ?

ANGÉLIQUE.

Tu ne m’interroges point sur ce que j’ai de plus pressant à te dire ?

LISETTE.

Est-ce que pendant son absence vous avez fait quelque autre amant ?

ANGÉLIQUE.

Tu devines encore ; mais je suis bien embarrassée, ma pauvre Lisette.

LISETTE.

Çà, de quoi s’agit-il ? Voyons.

ANGÉLIQUE.

J’ai donné ici un rendez-vous à Dorante.

LISETTE.

Ah ! L’heureux petit naturel. Et qu’est-ce que Dorante ? Est-il de robe, officier, ou courtisan ? Car, il faut qu’un amant soit quelque chose.

ANGÉLIQUE.

Il n’est de robe que les matins ; et les soirs, il porte une épée.

LISETTE.

Fort bien.

ANGÉLIQUE.

Sa sœur était avec moi dans le couvent, et c’est elle qui m’a priée de l’aimer.

LISETTE.

Quand deux filles sont bonnes amies, elles ont peine à se refuser.

ANGÉLIQUE.

Non, sans l’absence d’Éraste, je ne l’aurais jamais aimé.

LISETTE.

Les absents ont toujours tort, elle a raison. Mais enfin, que puis-je faire pour vous ?

ANGÉLIQUE.

J’ai aussi fait dire à Lisimon qu’il pouvait venir.

LISETTE.

Encore un rendez-vous ? Les belles dispositions de fille !

ANGÉLIQUE.

C’est ce qui m’inquiète, et je crains qu’ils ne viennent tous deux en même temps.

LISETTE.

Et pourquoi ne leur pas marquer des heures différentes ?

ANGÉLIQUE.

Que veux-tu ? Je n’y ai pas songé ; et la crainte d’être Madame Damis me trouble si fort l’imagination, que je ne sais ce que je fais. Mais le temps et les réflexions m’empêcheront dans la suite de faire de fausses démarches.

LISETTE, à part.

Voilà une petite personne qui ira loin, sur ma parole.

ANGÉLIQUE.

Que dis-tu ?

LISETTE.

Moi ? Je dis que je vous servirai de tout mon cœur, et que je vous en donne ma parole.

ANGÉLIQUE.

Je ne serai pas malheureuse, si tu ne m’abandonnes pas.

LISETTE.

Vous abandonner ? Vous valez trop ; et je ne vous quitterai de ma vie.

SCÈNE IX. Angélique, Éraste, Lisette, L’Olive. §

L’OLIVE.

Oui, votre père va se marier, ce n’est point un conte.

ÉRASTE.

Hé, qu’il se marie mille fois ; que m’importe, pourvu que je retrouve ce que j’ai perdu ?

ANGÉLIQUE.

Voici quelqu’un, rentrons au logis.

LISETTE.

C’est peut-être Dorante ?

ANGÉLIQUE.

Non, ce n’est pas lui. Mais, que vois-je ?

ÉRASTE.

Mon pauvre l’Olive, c’est Angélique !

L’OLIVE.

Hé, parbleu oui, c’est elle-même.

ANGÉLIQUE.

Ma chère Lisette, c’est Éraste !

LISETTE.

Éraste ! Et qu’allons-nous faire des deux autres ?

L’OLIVE.

Qu’avez-vous donc ? Êtes-vous muet ?

ÉRASTE.

Donne-moi le temps de respirer.

LISETTE.

Est-ce que vous avez perdu la parole ?

ANGÉLIQUE.

Je me meurs, soutiens-moi.

L’OLIVE.

3

Morbleu, voilà des gens qui s’aiment.

LISETTE.

Tu es un bon traître, toi ; et tu m’aimes d’une belle manière.

L’OLIVE.

Je t’aimais autrefois ; mais le certificat m’a corrigé.

ANGÉLIQUE.

Hé, d’où venez-vous, Éraste ? Qui vous a mandé qu’on m’allait marier ?

ÉRASTE.

On va vous marier, Madame ! Ah, juste Ciel ! Quelle aventure met le comble à mon désespoir.

L’OLIVE.

Attendez, attendez, Monsieur, ne nous pressons point de nous désespérer, l’aventure n’est point si terrible. Premièrement, c’est Monsieur votre père qui est votre rival.

ÉRASTE.

Mon père !

L’OLIVE.

Lui-même. La Vigne m’a tout conté ; il allait épouser ma femme, lui.

LISETTE.

Que veux-tu dire ?

ANGÉLIQUE.

Lisette est ta femme ?

L’OLIVE.

Oui, Madame. Et si elle peut faire en sorte que vous deveniez celle de mon Maître, je lui pardonnerai d’avoir eu dessein de n’être plus la mienne. Vous voyez ce que je fais pour votre service.

ÉRASTE.

Ma chère enfant, ne nous abandonne pas !

ANGÉLIQUE, bas.

Dorante et Lisimon vont venir, Lisette.

L’OLIVE.

Songe à m’apaiser ; car, selon toutes les règles, je dois être fort en colère.

LISETTE.

Suivez-moi dans le logis, et reposez-vous sur mon petit savoir-faire.

ÉRASTE.

Mais enfin, que résolvez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Faites ce qu’elle vous dit, et me laissez seule disposer de certaines choses qui achèveront de me déterminer.

À Lisette.

Enferme-les dans mon cabinet, et viens me retrouver ici.

ÉRASTE.

Mais, que je sache…

LISETTE.

Allons, passez vite, nous n’avons point de temps à perdre.

L’OLIVE.

Songe à expier l’affaire du certificat, au moins.

LISETTE.

Bon, bon, voilà une belle bagatelle, tu es bienheureux que j’aie eu la patience de l’attendre.

SCÈNE X. §

ANGÉLIQUE, seule.

En vérité, c’est pourtant une chose embarrassante, que plusieurs amants à la foi ; et si j’avais pu compter sur le retour d’Éraste, je n’aurais point donné de rendez-vous à Dorante et à Lisimon. Une fille d’esprit ne tomberait point dans ces inconvénients ; mais, il me semble, pour moi, que dans l’incertitude, il est toujours bon de ne pas manquer faute de précaution. Hé bien, Lisette ?

SCÈNE XI. Angélique, Lisette. §

LISETTE.

Ils sont dans votre cabinet.

ANGÉLIQUE.

Les as-tu enfermés ?

LISETTE.

4

Ils ne peuvent sortir sans mon congé. Mais, pourquoi les tenir sous la clef, je vous prie ? Craignez-vous qu’ils vous échappent une seconde fois ?

ANGÉLIQUE.

Dorante va venir, et je suis bien aise d’être sûre qu’Éraste ne pourra rien entendre de notre conversation.

LISETTE.

Quoi ! Vous prétendez les ménager…

ANGÉLIQUE.

Nullement. Je ne songeais à Dorante que depuis l’absence d’Éraste. Éraste est de retour, il m’aime, je n’ai plus que faire de Dorante.

LISETTE.

Avec tout cela, il y a une espèce de fidélité dans cette manière d’inconstance. Et Lisimon, que deviendra-t-il ?

ANGÉLIQUE.

Fi, c’est un Gascon, un extravagant, que je ne souffrais que parce que je ne comptais pas trop sur Dorante.

LISETTE.

Voici quelqu’un.

ANGÉLIQUE.

C’est Dorante : tâchons de nous en débarrasser avant que Lisimon survienne.

LISETTE.

Hé, dites-lui naturellement les choses : faut-il tant de ménagement pour un soupirant du Palais ?

ANGÉLIQUE.

Non, Lisette ; Fais la Gouvernante incommode, c’est un moyen sûr pour faire bientôt finir la conversation.

LISETTE.

Ma foi, vive Paris : l’esprit ne vient point si vite aux filles de Province.

SCÈNE XII. Angélique, Dorante, Lisette. §

DORANTE.

Enfin, Madame, je m’arrache aux affaires les plus importantes, pour ne pas perdre le moment favorable de vous exprimer.

ANGÉLIQUE.

Je suis exacte, comme vous voyez ; mais ne parlez pas devant cette fille, elle redit tout à ma mère.

DORANTE.

Quelle contrainte ! Toujours obsédée d’une mère ou de ses surveillants.

Angélique est le locuteur suivant dans l’édition originale, manifestement il s’agit de Lisette.

LISETTE, passant entre eux.

Monsieur, si c’est Madame Olimpe que vous demandez, c’est à moi qu’il faut parler, s’il vous plaît ; si c’est Mademoiselle, c’est encore à moi.

DORANTE.

On ne peut donc manquer en s’adressant à vous ? Et je suis ravi d’avoir occasion…

Il tire sa bourse.

LISETTE.

Ah ! Fort bien, j’entends votre affaire : il n’est pas besoin de me dire à qui des deux vous en voulez. Mademoiselle, prendrai-je la bourse ?

ANGÉLIQUE.

Garde-toi bien de le faire.

DORANTE.

Que dites-vous ?

ANGÉLIQUE.

Que vous me perdez, Dorante.

DORANTE.

Ma chère enfant ! Soyez discrète, je ne vous demande pas autre chose.

LISETTE, à Angélique.

Elle paraît fort bien garnie.

DORANTE.

Plaît-il ?

ANGÉLIQUE.

Cette fille n’est point traitable, Dorante.

LISETTE.

Le Ciel me préserve de l’être, j’aimerais mieux mourir ; c’est à mes soins qu’on vous a confiée, et je ne prétends pas qu’il soit dit dans le monde…

DORANTE.

Hé, ne faites point de bruit, je vous en conjure, et gardez cela pour l’amour de moi.

LISETTE.

Il m’en prie de si bonne grâce…

ANGÉLIQUE.

Es-tu folle ?

LISETTE.

Fi, Monsieur, cela n’est ni beau ni honnête à un homme de robe, de vouloir séduire de jeunes personnes. Pour les gens d’épée, encore passe. Mais, vous autres ! Des défenseurs de la vertu, des protecteurs de l’innocence, sont les premiers à la corrompre ! Allez, encore une fois cela n’est pas bien, et le Justice est injuste de n’en pas faire quelque punition exemplaire.

DORANTE.

Mais vraiment, c’est une espèce de folle que votre gouvernante.

LISETTE.

Comment folle ! Je suis un dragon de vertu, entendez-vous ?

ANGÉLIQUE.

Adieu, je trouverai moyen de vous donner de mes nouvelles.

DORANTE.

Vous me le promettez.

LISETTE.

Oh, finissons donc. Adieu. Adieu, Monsieur, adressez-vous mieux une autre fois, et souvenez-vous que Lisette est une petite personne incorruptible.

DORANTE.

L’incommode chose qu’une fille de chambre honnête fille ! On est bien heureux qu’elles soient rares.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Lisette, je crains que voici Lisimon. Dorante et lui vont se rencontrer, et je tremble qu’ils ne se querellent.

LISETTE.

Il faut faire entrer Dorante au logis, jusqu’à ce que vous ayez congédié Lisimon.

ANGÉLIQUE.

5

St, st, Dorante ?

LISETTE.

Hé la, la, revenez. Je ne suis pas si mauvaise que je pensais l’être.

DORANTE.

En vérité, vous êtes bien méchante.

LISETTE.

Ce n’est pas en faveur de la bourse, au moins.

DORANTE.

Elle est à vous.

LISETTE.

Je ne la prends pas ; mais, je vous la garde. Entrez vite dans le logis, et montez tout en haut de l’escalier, on ira bientôt vous en faire des cendre. Ce sont de bonnes gens que ces Messieurs de la Justice, les femmes en font tout ce qu’elles veulent.

SCÈNE XIII. Angélique, Lisette. §

ANGÉLIQUE.

As-tu perdu l’esprit, Lisette, d’avoir accepté la bourse de Dorante ?

LISETTE.

Je ne sais comment cela s’est fait. Mais, votre Lisimon ne vient point ; apparemment, c’est la crainte de le voir qui vous a fait croire l’avoir vu.

ANGÉLIQUE.

Non, le voici, je ne me trompe point, c’était lui-même.

LISETTE.

6

Mort de ma vie ! Celui-ci n’a pas la physionomie si traitable que l’autre.

SCÈNE XIV. Angélique, Lisimon, Lisette. §

LISIMON.

Diantre soit fait des importuns ! Deux petits collets, maltraités du Lansquenet, Madame, qui depuis un quart d’heure m’arrêtent à cent pas d’ici, et pour quoi. Pour de l’argent, que je suis fat de leur prêter ; mais, il n’importe.

À Lisette.

Vous y perdez autant que moi, la belle. Ils vous ont volée ; et sans savoir vous trouver ici, je vous avais destiné ma bourse.

LISETTE.

Oh, Monsieur…

LISIMON.

7

Je dis vrai, la peste m’étouffe. Hé bien, Madame, me voilà, que devenons-nous ? J’ai du bien, je suis d’une noblesse distinguée, et d’une profession à mériter quelque jour des emplois très considérables, apprentif Maréchal de France. Je vous adore ; vous m’aimez ! Eh, croyez-moi, déclarons-nous. Il faudrait que votre maman eût perdu l’esprit pour ne pas consentir à ce mariage.

LISETTE.

Il n’a pas mauvaise opinion de sa petite personne.

ANGÉLIQUE.

Lisette, ma mère va bientôt rentrer, prends garde à ne point nous laisser surprendre.

LISETTE.

Ma foi, Mademoiselle, je ne réponds de rien. Le plus sûr serait de vous séparer, et de prendre le temps d’une plus longue absence, pour vous entretenir avec plus de loisir.

ANGÉLIQUE.

Elle a raison, je rentre ; vous avez trop tardé, je crains que ma mère ne nous surprenne ensemble.

LISIMON.

Hé ; fi ; les mères d’aujourd’hui ne sont pas si à craindre que vous le dites.

LISETTE.

8 9

Oh ; il y a des mères et des mères, Monsieur ; et la seule vue d’un plumet, ou d’un justaucorps rouge, ferait prendre à celle-ci des résolutions terribles contre sa fille.

LISIMON.

10

La pauvre Dame : elle n’est donc pas de ce monde ? Juger des gens par les habits ! Hé, cadédis, les plus modestes ne sont pas les moins dangereux. Mais, parlons net ; car, je suis homme de réflexion ; cette mère que l’on craint tant, on ne la craint pas sans sujet. Dites, ai-je quelque rival qui se serve du pouvoir maternel, pour se faire épouser par force ? N’hésitez point à me le dire, il n’en mourra pas, je vous en réponds. Je suis prudent, et je n’aime pas les affaires : ses deux oreilles me suffiront.

LISETTE.

Il n’y a rien de plus honnête, et vous jugez bien qu’après une assurance de la sorte, on ne vous ferait pas mystère de la chose.

ANGÉLIQUE.

Ah ! Qu’il y a dans le monde des personnages dangereux, Lisette !

LISETTE.

Ce n’est que l’expérience qui apprend à les connaître.

LISIMON.

Vous hésitez à me répondre, et vous allez aux opinions. Le vent du bureau n’est pas bon pour moi ; mais je n’ai qu’une bagatelle à représenter. Je suis endiablé d’amour pour vous, et je ne suis pas seul, sans doute. Dans quelque moment de dépit contre un plus fortuné que moi, vous avez tantôt reçu mon message, et vous avez dit, oui, qu’il vienne. Ce dépit est passé, vous enragez d’avoir topé. Je comprends la chose à merveille ; mais, je le connaîtrai, ce fortuné : et il me sera garant de tout, sur mon honneur.

LISETTE.

Voilà Monsieur Damis.

ANGÉLIQUE.

Ah, Ciel !

LISIMON.

Quoi ? Qu’est-ce ? Qu’avez-vous ?

SCÈNE XV. Damis, Angélique, Lisette, Lisimon, La Vigne. §

DAMIS.

Un jeune homme avec Angélique !

LA VIGNE.

Ne toussez pas, vous les effaroucheriez.

ANGÉLIQUE.

Ma pauvre Lisette !

LISIMON.

Mon ressentiment vous émeut, c’est quelque chose. Adieu, Madame, je vous abandonne à vos réflexions. Je porte une épée, et le pistolet quelquefois. Tombe sur moi, le Firmament, si le drôle ne meurt de ma main.

SCÈNE XVI. Damis, La Vigne, Angélique, Lisette. §

LA VIGNE.

Rassurez-vous, ce ne sont point des douceurs qu’il lui dit.

LISETTE.

Il a entendu toute la fin de la conversation.

ANGÉLIQUE.

À la bonne heure. Ah, Monsieur, vous voilà ! Si vous étiez venu quelque moment plutôt, vous auriez eu, comme moi, une frayeur épouvantable.

DAMIS.

Que vous est-il donc arrivé ? Parlez.

ANGÉLIQUE.

Donnez-moi le temps de me remettre, je vous prie.

DAMIS.

Comment ? Qu’est-ce que cette aventure, Lisette ?

LISETTE.

Ce que c’est ? Demandez, demandez-lui à elle-même, elle vous contera mieux la chose que je ne pourrais faire.

DAMIS.

Hé bien ?

ANGÉLIQUE.

Je viens de sauver la vie à un jeune homme qu’on a pensé tuer à mes yeux.

DAMIS.

Comment diantre ?

LISETTE, bas.

Où ceci nous mènera-t-il ?

ANGÉLIQUE.

Heureusement, j’ai eu le temps de le faire sauver dans le logis.

DAMIS.

Vous avez fort bien fait.

LISETTE, bas.

La petite rusée !

ANGÉLIQUE.

Sans mon secours, c’était un homme mort infailliblement.

LISETTE.

Il était impossible qu’il en réchappât.

ANGÉLIQUE.

Le ciel vous a conduit ici bien heureusement pour achever ce que nous avons commencé.

DAMIS.

Comment ?

ANGÉLIQUE.

Il faut, s’il vous plaît, Monsieur, que vous serviez d’escorte à ce pauvre garçon, et que vous ne le quittiez qu’il ne soit en lieu sûr ?

DAMIS.

En lieu de sûreté ?

ANGÉLIQUE.

Oui, Monsieur, je vous en conjure.

LISETTE, bas.

La fourberie est bien naturelle aux filles.

DAMIS.

Lieu de sûreté ? Mais, puisqu’il est chez vous, qu’il y demeure : à quoi bon s’exposer mal à propos ?

ANGÉLIQUE.

Comment, Monsieur, qu’il y demeure ! Ah, Ciel ! Un homme caché dans le logis sans l’aveu de ma mère ! Non, Monsieur, et je vous prie bien fort qu’elle ne sache rien de tout ceci.

DAMIS.

La pauvre enfant, sa simplicité me charme !

LISETTE.

Elle est sur toutes ces bagatelles, d’un scrupule qui surpasse l’imagination.

DAMIS.

Allez, allez, mignonne, il n’y a point de mal à cela, et je rendrai compte à votre mère de l’innocence de votre procédé.

ANGÉLIQUE.

Hé, de grâce, si vous m’aimez, ne me refusez point ce que je vous demande. J’ai mille raisons pour le souhaiter.

LISETTE.

Allons, Monsieur, un peu de complaisance pour elle ; les jeunes filles des choses les plus innocentes. Je vais le faire sortir.

DAMIS.

Allons donc, puisqu’il faut que j’en passe par là.

LA VIGNE.

Tu nous en donnes furieusement à garder.

LISETTE.

Tais-toi, sur les yeux de ta tête.

LA VIGNE.

Je suis bon Prince. Et le certificat ?

LISETTE.

Il est arrivé ; mais sois sage.

SCÈNE XVII. Angélique, Damis, La Vigne. §

ANGÉLIQUE.

Vous voilà devenu rêveur, qu’avez-vous ?

DAMIS.

Moi ? Je n’ai rien. Mais, je songe que vous me faites faire une corvée bien inutile, et un personnage qui ne convient guères à mon âge. Moi ! Servir d’escorte à un jeune homme !

LA VIGNE.

Il serait plus naturel qu’il vous en servît ; mais, à la pareille. La première fois qu’on voudra vous tuer…

DAMIS.

La Vigne ?

LA VIGNE.

Monsieur.

DAMIS.

Ne me quitte pas, au moins.

LA VIGNE.

Je n’ai garde. J’escorte l’escorte, moi.

SCÈNE XVIII. Angélique, Lisette Damis, La Vigne, Dorante. §

LISETTE.

Au moins, en chemin faisant, n’allez pas oublier qu’elle vous a sauvé la vie, et que vous êtes avec un Oncle qui n’entend point de raison sur le chapitre de sa nièce.

DORANTE.

Mais, quand puis-je espérer…

LISETTE.

Laissez-moi faire.

DORANTE.

Je ne sais, Madame, comment reconnaître l’important service…

LISETTE.

Encore ? Hé, trêve de cérémonie. Emmenez-les, Monsieur de la Vigne, ils se complimenteront en chemin.

LA VIGNE.

Elle a raison ; puisque c’est une chose qu’il faut faire, dépêchons d’en être quittes. Que Monsieur marche le premier, vous le suivrez ; et moi, je ferai l’arrière-garde.

DORANTE.

Adieu, Madame.

DAMIS.

Ne t’éloigne pas.

LA VIGNE.

Ne vous mettez pas en peine. Voilà un bel ordre de bataille.

SCÈNE XIX. Angélique, Lisette. §

LISETTE.

Enfin, nous voilà débarrassées de tous nos importuns. Mais, Madame votre mère ne tardera pas à revenir, que ferons-nous de nos prisonniers ? Il faut se déterminer à quelque chose.

ANGÉLIQUE.

C’est ici que j’ai besoin de tes conseils, ma chère Lisette. Tu sais…

LISETTE.

Oui, je sais bien les conseils qu‘il vous faut. Madame votre mère est bonne personne, déclarez-lui la tendresse que vous sentez pour Éraste, pleurez, priez, embrassez ses genoux, elle n’aura jamais la force de résister à vos larmes.

ANGÉLIQUE.

Et moi, je n’aurai jamais celle de lui faire un pareil aveu.

LISETTE.

Hé bien, je parlerai : avouez-moi de ce que je lui dirai seulement. Elle vient : voilà la clef de votre cabinet, allez entretenir votre amant, et me laissez le soin de vos affaires.

SCÈNE XX. Olimpe, Lisette. §

LISETTE.

Vivat, Madame ! J’ai pénétré les secrets de Mademoiselle votre fille, je sais la cause de ses chagrins ; et si vous êtes toujours dans les sentiments de ne la point contraindre, vous en ferez la plus heureuse personne du monde.

OLIMPE.

Tu dis, Lisette ?

LISETTE.

Qu’elle hait Monsieur Damis en perfection, et que si jamais elle est sa femme, elle a, Dieu merci, tout l’esprit pour le punir terriblement de l’avoir épousée par force.

OLIMPE.

Tu me dis là des choses de ma fille !…

LISETTE.

Oh, Madame, c’est en tout bien et en tout honneur, qu’elle a de l’esprit. Qu’on lui donne un mari qu’elle aime, je suis caution de sa vertu ; mais, avec Monsieur Damis, je ne répondrais, ma foi, pas de la mienne.

OLIMPE.

Fais-la descendre, Lisette, je veux savoir ses sentiments de sa propre bouche.

LISETTE.

Mais, Madame, malgré tout son esprit, elle aura peine à s’expliquer, si vous ne l’enhardissez un peu.

OLIMPE.

Qu’elle vienne, je ferai ce qu’il faudra faire.

LISETTE.

Les choses sont en bon chemin.

SCÈNE XXI. §

OLIMPE, seule.

La résolution en est prise : je n’autoriserai point ma fille à manquer à ce qu’elle doit ; et si quelque jour elle n’est pas contente, elle ne m’accusera pas du moins d’avoir sacrifié son repos à mon entêtement, ou à l’avarice.

SCÈNE XXII. Damis, La Vigne, Olimpe. §

LA VIGNE.

Hé bien, Monsieur, nous en voilà revenus, et nous avons fait une bonne action à peu de frais, comme vous voyez.

DAMIS.

Tais-toi, voici Madame Olimpe. Je vous ai longtemps attendu chez mon notaire, Madame ; mais, l’impatience…

OLIMPE.

Vous sortiez de chez lui quand j’y ai passé ; mais, ce que je viens d’apprendre me console de ne vous y avoir pas trouvé.

DAMIS.

Et qu’avez-vous appris, Madame ?

OLIMPE.

Vous allez tout savoir. Vous êtes un galant homme, et vous prendrez les choses du bon côté.

LA VIGNE.

Voilà un discours qui veut dire quelque chose, et qui ne veut rien dire de bon.

SCÈNE XXIII. Olimpe, Damis, Lisette, Angélique, La Vigne. §

LISETTE.

Vous n’avez qu’à parler, vous dis-je.

ANGÉLIQUE.

Mais, Lisette.

OLIMPE.

Approchez, Angélique, et ne me déguisez rien, vous n’avez point à vous plaindre de mes manières, et je ne vous faisais violence que parce que je ne croyais pas la faire.

ANGÉLIQUE.

Avant que je réponde à toutes vos bontés, permettez-moi, Madame…

DAMIS.

Qu’est-ce que cette cérémonie, Madame ? Je regarde, j’écoute, et je n’y comprends rien.

ANGÉLIQUE.

Monsieur, c’est que je ne vous aime point, et Madame a la bonté de vouloir bien que je vous le dise.

DAMIS.

Quoi, Madame, vous autorisez un discours de la sorte dans les termes où nous sommes ?

ANGÉLIQUE.

Que voulez-vous, Monsieur ? J’ai cru les sentiments de ma fille conformes aux miens, et je me suis trompée. Voudriez-vous la rendre malheureuse en forçant son inclination ?

DAMIS.

Le serait-elle en m’épousant ?

ANGÉLIQUE.

Oh pour cela oui, Monsieur, et je vous jure que nous ne serions contents ni l’un ni l’autre.

LISETTE.

Elle a de l’esprit, au moins, cette petite personne ; et si vous l’épousez, je vous garantis qu’il lui en viendra cent fois davantage.

DAMIS.

Hé bien, à la bonne heure, elle m’en aura obligation.

LISETTE.

Oui ; mais, gare la reconnaissance. Les filles de Paris la poussent loin quelquefois.

OLIMPE.

Vous voyez, Monsieur, que ma fille…

ANGÉLIQUE.

Moi, Madame, je ferai tout ce que vous me commanderez ; mais, je ne conseille pas à Monsieur de souhaiter que vous me commandiez d’être sa femme.

DAMIS.

La Vigne ?

LA VIGNE.

Ma foi, Monsieur, si j’étais en votre place, je ne m’y fierais que de la bonne manière.

ANGÉLIQUE.

Je satisferais au devoir de fille, en vous obéissant, Madame ; et je remplirais les devoirs de femme, en donnant à Monsieur tous les chagrins imaginables.

LA VIGNE.

Monsieur, vous auriez beau tousser, elle ne vous ferait plus de révérences.

LISETTE.

Vous vouliez une femme sans esprit, celle-ci n’est point votre affaire.

ANGÉLIQUE.

Pourquoi, Lisette ? Ce n’est pas par esprit, c’est par antipathie naturelle que j’ai de la répugnance pour Monsieur.

LA VIGNE.

De toutes les bonnes qualités, il ne lui est demeuré que de l’ingénuité.

OLIMPE.

Après cela, Monsieur, vous voyez bien qu’il n’y a pas d’apparence…

DAMIS.

Quoi, Madame ?...

LISETTE.

Croyez-moi, Monsieur, ne nous réduisez point à la nécessité de vous tromper. Vous croiriez n’être que le mari de Mademoiselle, et vous seriez le plus souvent son Maître de cérémonies. Par exemple, ce jeune Monsieur que vous venez de conduire si bonnement…

DAMIS.

Hé bien, ce jeune homme que je viens de conduire ?

LISETTE.

C’est un de vos rivaux, l’auriez-vous cru ?

OLIMPE.

Comment donc ?

LISETTE, à Olimpe.

Ne vous effarouchez point, il n’en est rien.

DAMIS.

Quoi, ce jeune homme est amoureux de vous ?

ANGÉLIQUE.

Oui, Monsieur, et je vous suis fort obligée de la peine que vous avez bien voulu prendre.

DAMIS.

Ah, je suis enragé, quelle hardiesse !

LISETTE.

Oh, ne vous fâchez point, Monsieur, vous n’y êtes pas encore. Ce justaucorps rouge qui vous a paru si brutal.

DAMIS.

Hé bien ?

LISETTE.

Autre soupirant de Mademoiselle.

ANGÉLIQUE.

Ne l’auriez-vous pas aussi ramené chez lui, Monsieur, si je vous en avais prié ?

LISETTE.

Belle demande ! C’est le meilleur homme du monde que Monsieur Damis.

DAMIS.

11

Oh, parbleu, je vous ferai bien voir le contraire dans la suite.

LISETTE.

Il nous reste encore dans le cabinet de Mademoiselle un jeune homme avec son valet de chambre.

OLIMPE.

Quoi, ma fille ! Un homme dans votre cabinet ?

ANGÉLIQUE.

Elle ne sait ce qu’elle dit, Madame.

DAMIS.

Il faut approfondir cette affaire, Madame, et voir un peu…

LISETTE.

Vous verrez un jeune homme, vous dis-je, nouvellement arrivé de l’armée, qui n’a point encore de logis arrêté, à qui Monsieur aura la bonté de donner un appartement chez lui, s’il lui plaît.

DAMIS.

Qu’est-ce à dire, un appartement chez moi ?

LISETTE.

Oui, Monsieur, puisque vous reconduisez les autres, vous ne pouvez moins faire pour celui-ci. C’est le véritable, au moins, je vais vous l’amener.

LA VIGNE.

Cette pièce de cabinet sera quelque chose de fort curieux à voir apparemment.

SCÈNE XXIV. Olimpe, Damis, Angélique, La Vigne. §

OLIMPE.

Serait-il possible, ma fille, que vous vous fissiez oubliée jusqu’au point…

ANGÉLIQUE.

Ne me condamnez point avant que de m’entendre, Madame, deux mots suffiront pour me justifier.

DAMIS.

La peste, quelle innocente ! Où diantre m’étais-je fourré ?

SCÈNE XXV. Damis, Éraste, Olimpe, Angélique, Lisette, L’Olive, La Vigne. §

ÉRASTE.

Mon père, ce n’est qu’en tremblant que j’ose paraître.

OLIMPE.

Son père !

DAMIS.

Hé vraiment oui, Madame, c’est mon fils.

LA VIGNE.

Je vous l’avais bien dit, qu’il était revenu.

OLIMPE.

Que deviendra tout ceci, Monsieur ?

DAMIS.

Ce que cala deviendra ?

LA VIGNE.

Monsieur, vous ne vouliez vous remarier que pour faire souche, et Monsieur votre fils fera mieux souche que vous.

OLIMPE.

Quelle est votre résolution, Monsieur ?

DAMIS.

Ma résolution, Madame, est qu’on les marie, et tout au plus vite, ils seront fort bien ensemble, il n’y aura du moins qu’un ménage de gâté.

ÉRASTE.

Ah, mon père, que je suis redevable !

DAMIS.

Ne vous pressez point de me remercier, Monsieur mon fils.

LISETTE.

Oh, il ne sait pas si bien vivre que vous, et il ne reconduira personne.

DAMIS.

Tais-toi, insolente. On te mettra dehors, toi, et je veux que ce soit le premier article du Contrat.

ÉRASTE.

Puis-je me flatter, Madame…

OLIMPE.

Ma fille vous aime, cela me suffit : puissiez-vous être longtemps heureux !

L’OLIVE.

Et nous, Lisette ; à quand la noce ?

LISETTE.

Voilà le certificat qui m’est venu, il n’y a rien à faire.

L’OLIVE.

Comment ?

LA VIGNE.

Oui, mon cher Monsieur de l’Olive, je vous certifie, que grâces au Ciel, je me porte bien ; et que pour mes péchés, c’est là ma femme.

L’OLIVE.

Quoi ? C’est ta femme ?

LA VIGNE.

Oui, mon enfant, et je voudrais bien qu’il me fût permis de m’en défaire en ta faveur, je ferais volontiers les frais de la noce ; je crois ma foi que j’y gagnerais encore.