EURIMEDON OU L'ILLUSTRE PIRATE
TRAGI-COMÉDIE

Par le Sieur DESFONTAINES

A PARIS,
Chez Antoine de Sommaville, au Palais,
dans la petite Sale, à l’Escu de France,
M. DC. XXXVII.
Avec Privilege du Roy.

Édition critique établie par Loraine Pierron dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2005)

Introduction §

Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. Deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. Cette espèce de prestige alloit même jusqu’à faire trouver beaux des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots. 

C’est par un commentaire aussi paradoxal que Les Anecdotes dramatiques1 rendaient compte de la production de l’auteur d’Eurimédon ou l’illustre pirate. Comment expliquer que sans talent, Desfontaines ait obtenu des « succès marqués » ? Sans doute les commentateurs du XVIIIe siècle ont-ils lu cette tragi-comédie avec un regard « classique ». Sans doute l’œuvre de Desfontaines n’eut-elle pas un fort retentissement dans les siècles qui suivirent. Mais elle participe à la richesse théâtrale du début du XVIIe siècle. Desfontaines, ayant été favorisé du public, comme contribuent à le prouver la dizaine de pièces qu’il a publiées et la traduction de celle-ci en hollandais2, fut en outre membre de l’Illustre Théâtre auquel il apporta vraisemblablement certaines de ses créations. Son œuvre reflète les principes esthétiques de son époque mais fait aussi preuve d’originalité. Cette première pièce notamment, met en scène un prince travesti, situation peu courante, et fait passer le thème de la piraterie du roman, dont il s’inspire3, au théâtre, peut-être pour la première fois. Notre édition se propose de montrer dans quelle mesure son théâtre suivait déjà les goûts et inflexions esthétiques de son époque et quels sont les principes dramaturgiques par lesquels Desfontaines a été formé, ou a débuté.

C’est vers l’imaginaire littéraire des corsaires qu’Eurimédon ou l’illustre pirate nous mène, mais nous y retrouvons aussi des situations communes aux tragi-comédies des années 1630. Le héros éponyme, pirate avide de réintégrer la civilisation, sauve Pasithée, fille du roi de la Troade, des mains d’un prince qui tentait de l’enlever. Le roi manifeste sa reconnaissance en promettant le pouvoir à ce jeune inconnu. Mais il ne tient pas parole, et s’oppose à la relation amoureuse qui se tissait entre sa fille et le pirate. Eurimédon est chassé, puis revient travesti en amazone, pour approcher la princesse, et sauver le pays. Le roi lui est de nouveau redevable, mais n’accepte le mariage qu’une fois l’illustre identité du corsaire révélée.

Desfontaines, sa vie : avocat, acteur, auteur (1610 ? – 1652) §

Les informations concernant la vie de Nicolas Mary, dit Desfontaines, sont assez restreintes et nous viennent surtout des actes notariés et de ses publications.

Identification §

D’après Chardon, il y aurait eu deux comédiens de ce nom. Les orthographes de « Marie » varient mais l’étude d’Alan Howe4 prouve que Nicolas Mary5, acteur et auteur, s’est fait appeler Desfontaines : « Que Desfontaines fût son nom de guerre et que Marie correspondît (avec une légère différence de graphie) à son nom de famille, voilà ce qui ressort de cinq actes […] ». Nous savons par ces travaux que Desfontaines multiplia les professions, fut avocat, acteur, auteur, et même directeur de sa propre troupe.

De l’étudiant à l’avocat 1610-1636 §

Sa date de naissance est inconnue, mais Alan Howe la situe vers 1610 car en 1627 sa signature au bas d’un acte d’obligation le déclare « écolier, étudiant en université ». Il vivait alors à Paris, rue Saint-Martin, dans la paroisse de Saint-Laurent où il logeait son frère, Jean Mary, cordonnier. En 1636, il était « avocat en parlement ». Il faisait donc partie du « groupe important de dramaturges du XVIIe siècle formés à la robe »6. C’est cette même année qu’il épousa Antoinette de Maudinier. Anecdote qui a pu jouer dans l’orientation dramaturgique de Desfontaines, le couple vivait alors rue de l’Arbre-Sec, près du pavillon des Singes, dans le quartier d’enfance de Molière « aux côtés duquel Desfontaines devait jouer à Paris en 1644-1646, et auquel il aurait pu servir de modèle en renonçant à une carrière au barreau pour se faire comédien et en mettant sa plume au service de la troupe. »7. À cette époque, il commençait également l’écriture théâtrale puisque fut représentée à Paris en 16358 sa première pièce Eurimédon ou l’Illustre Pirate.

Auteur, acteur 1635-1647 §

Desfontaines écrivit quinze pièces de théâtre et quelques textes en prose, dont une traduction. C’est l’année suivant son mariage, en 1637, qu’il commença à publier ces pièces. Eurimédon ou l’illustre pirate amorça cette période. Desfontaines était auteur d’un sonnet9 écrit en 1632 et d’un roman10 publié en 1636, avant de produire cette tragi-comédie. Sa production fut ensuite très continue, puisqu’il publia une pièce par an en moyenne. Le nombre de publications étant assez conséquent, certaines pièces ayant connu des réimpressions ou des traductions11, nous pouvons affirmer que Desfontaines eut un certain succès de son vivant. La vraie suite du Cid fut publiée en 1638, tout comme Orphise ou la beauté persécutée, puis Hermogène en 1639. En février 1640, Desfontaines joua avec Dufresne à Lyon. Puis Bélisaire fut représentée en 1640 à Paris et publiée en 1641. Les frères Parfait lui attribuent aussi Les Galantes vertueuses, histoire véritable et arrivée pendant le siège de Turin jouée en 1641 et publiée en 1642, l’année ou Alcidiane, ou les quatre rivaux fut jouée. En 1642, sa Perside ou la suite d’Ibrahim Bassa et Eustache ou le martyre de Saint Eustache furent représentés. Le Panégyrique à M. le cardinal de Richelieu (1642), dont nous n’avons retrouvé aucun exemplaire, date de 1642, comme la Paraphrase sur le Memento homo. En février 1643, Desfontaines se trouvait de nouveau à Lyon avec Dufresne12, car le 3 février il signait comme témoin au mariage de François de la Cour et de Madeleine du Fresne, parente de Charles du Fresne.

D’après Lancaster, il aurait également écrit L’Illustre Amalazonte (1643) dont l’auteur est l’abbé de Ceriziers, ce qui serait son pseudonyme13. Il traduisit un livre de Giacinto Nobili, Le Vagabond, ou l’histoire et le caractère de la malice et des fourberies de ceux qui courent le monde aux despens d’autruy, (1644) qui connut une réédition en 1867. 1644 fut une année riche en publication avec Perside, Saint Eustache, L’illustre Olympe ou le Saint Alexis. Cette dernière pièce, jouée en 1643, connut deux rééditions, l’une en 1648 et l’autre en 1721. L’Entretien des bonnes compagnies, publié en 1644, dut connaître aussi un certain succès puisqu’il a été réédité sous un autre titre, et avec ajout de commentaires, en 1736. 1644, c’est aussi l’année de l’Illustre Théâtre dans lequel il joua de juin à décembre14. Un seul titre en 1645, L’Illustre comédien ou le martyre de Saint Genest, pièce écrite alors que Desfontaines accompagnait à Bourbon « son Altesse Royale » Gaston d’Orléans.15 Les tragédies religieuses qu’il écrivit à cette période étaient vraisemblablement des commandes, sans doute de la troupe de l’Illustre Théâtre qui voulait satisfaire à la vogue hagiographique. C’est aussi en 1645 qu’est publié, en exergue des Hommes illustres grecs et romains de Plutarque16, un sonnet de Desfontaines dédié à « Louis de Bourbon Duc d’Enghien, Prince du sang et pair de France », c’est-à-dire au Grand Condé.17

Pourtant, l’année suivante, Desfontaines est endetté de 400 livres. En effet, le 18 décembre 1646, deux actes montrent ses difficultés financières. Le marchand libraire, Cardin Besongne, consentait à la mainlevée de la saisie qu’il avait fait faire sur deux de ses coffres pleins de hardes. Jean Mathée, dit Philandre, comédien du Marais, s’était constitué caution de la moitié de la dette. En outre, au paiement de la somme dont il était redevable et « des 25 livres de frais, le comédien affectait le prix que Besongne devait lui verser pour Semiramis » et « le privilège qu’il espérait obtenir avant la fête des Rois 1647 pour imprimer et débiter seul cet ouvrage »18. Cela nous permet de savoir que Desfontaines jouait en décembre « au jeu de paume du Petit Couvert » car c’est en cet endroit qu’eut lieu la saisie. On sait ainsi que Desfontaines se disait « comédien de Son Altesse Royale », donc il n’appartenait pas à la même troupe que Philandre. « Comédien de Son Altesse Royale », c’était le titre donné aux membres de l’Illustre Théâtre, mais la troupe était dissoute à cette date. Peut-être, comme le suggère Alan Howe, qu’« il faudrait en conclure que la troupe entretenue par Gaston d’Orléans, qui avait joué à Toulouse en mai 1645, à Narbonne en janvier 1646, et qui devait se trouver à Troyes en 164719, faisait un séjour dans la capitale vers la fin de 1646. ». Enfin ses deux dernières pièces furent publiées la même année, en 1647 : La Véritable Sémiramis, crée en 1646 au théâtre du Marais20 et Bellissante, ou la fidelité reconnue. Il écrivit plus tard un texte dont nous n’avons pas trouvé d’exemplaire, Le poète chrestien passant du Parnasse au Calvaire (1648).

Seules l’attribution de l’Illustre Comédien et de Bélissante ne sont pas sûres. En effet, elles lui sont attribuées seulement par les frères Parfaict21.

Directeur de troupe et acteur 1649-1651 §

Desfontaines fut membre de sa propre troupe, la « Troupe de Desfontaines » de 1649 à 1651, et qui ne survécut pas au départ de son fondateur.22 Elle comprenait sept acteurs : François de la Motte, embauché le 06 décembre 1649, tout comme Pierre Michel, dit Bellefourest ou Belleforest, Nicolas Lion dit de Beaupré, Etienne Munier, embauché le 15 novembre 1649, en même temps que son épouse Françoise Segui, Charles Perredoulz embauché aussi en novembre 1649. Le Mongrédien et Robert mentionne la présence de la femme de Charles Perredoulz dans la troupe.23 Il précise également que la troupe joua de novembre à décembre 1649 à Toulouse et sans doute à Carcassonne. C’est ce que nous apprend l’acte de baptême d’une fille d’Etienne Munier. Le nom mentionné est en effet Nicolas Marin de Fontaine, comédien.24

Nicolas Marie Desfontaines mourut le 4 février 1652 à Angers, et y fut inhumé le 7. 25 Il connut vraisemblablement une certaine notoriété puisqu’il servit de modèle au personnage de Roquebrune dans le Roman Comique de Scarron, comme l’affirme Antoine Adam dans les notes de son édition « Ce poète Roquebrune serait, à en croire la clef de l’Arsenal, M. de Moutières, bailli de Touvoy. Cette allégation est d’une évidente absurdité. Si l’on tient à mettre un nom sur Roquebrune, on se laissera persuader par les arguments d’H. Chardon26 qu’il représente Nicolas Desfontaines, acteur et auteur connu. »27. La description du personnage n’est pas flatteuse : « Ils avoient de plus un poëte ou plutôt un Autheur, car toutes les boutiques d’espiciers du royaume estoient pleines de ses œuvres tant en vers qu’en prose. Ce bel esprit s’estoit donné à la Trouppe quasi malgré elle; et, parce qu’il ne partageoit point et mangeoit quelque argent avecque les Comediens, on luy donnoit les derniers rôles dont il s’acquittoit tres-mal. On voyoit bien qu’il estoit amoureux de l’une des deux Comediennes ; mais il estoit si discret, quoy-qu’un peu fou, qu’on n’avoit pû decouvrir encore laquelle des deux il devoit suborner, souz esperance de l’immortalité. Il menaçoit les Comediens de quantité de pieces; mais il leur avoit fait grace jusqu’à l’heure. On sçavoit seulement par conjecture qu’il en faisoit une, intitulée Martin Luther, dont on avoit trouvé un cahier qu’il avoit pourtant desavoué quoy qu’il fût de son escriture ».28 Si nous ne pouvons nous baser sur une fiction pour en déduire quelle a pu être la personnalité de Desfontaines, et si les contemporains on eux-même deviné que la clé renvoie effectivement à lui, cet extrait nous permettrait de confirmer que Desfontaines connut une certaine notoriété au XVIIe siècle.

Représentation et réception de la pièce §

Représentation §

La représentation d’Eurimédon ou l’illustre pirate a vraisemblablement eu lieu en 1635 à Paris. Nous n’avons pas de documents à ce sujet. Nous supposons avec H. C. Lancaster qu’elle a été jouée en 1635 ou 1636 à Paris.29 Cette hypothèse est vraisemblable, car elle laisse pour un peu plus d’un an l’exclusivité de la représentation à la troupe. Le privilège de publication a en effet été accordé le 30 mai 1637.

Le décor à compartiments §

En l’absence d’informations précises sur le lieu de représentation, nous en serons réduits à des suppositions en ce qui concerne les conditions matérielles de la représentation. Il est néanmoins possible, compte tenu des indications de lieu, d’affirmer qu’Eurimédon ou l’illustre pirate a bénéficié d’un décor à compartiments. En effet, le relevé des lieux30 montre que l’action se déroule en des espaces différents au sein d’un même acte. Ainsi, le premier acte se passe au port, dans un palais, et dans des lieux extérieurs indéfinis. Le troisième acte présente le palais, un espace extérieur, et une prison. Les changements de lieux sont brusques et s’expliquent par cette disposition de la scène théâtrale que Lancaster présente dans son introduction au Mémoire de Mahelot31 : « La scène [de l’Hôtel de Bourgogne] se divise en compartiments, dont chacun fait un tableau complet. […] Quelquefois un côté de la scène a plus de compartiments que l’autre. Le fond donne presque toujours un seul tableau. L’espace imaginaire entre les compartiments varie d’à peu près rien à des centaines de lieues ». Cela confirme l’hypothèse selon laquelle la scène comprenait au moins quatre compartiments, à savoir le port, le palais, la prison, et un espace extérieur indéfini, champ ou route aux portes de Mitylene. Le palais, qui est le lieu le plus employé, occupait sans doute le fond de la scène, plus visible. Les acteurs jouaient certainement comme l’expliquait Rigal, dont nous donnons ici les propos repris par Lancaster : « Rigal explique que l’acteur se montrait dans un bois ou sous une tente ou au seuil d’un palais, puis allait au milieu de la scène où l’auditoire pouvait le voir et l’entendre facilement, tout en supposant qu’il était toujours dans le compartiment d’où il venait de sortir ». La représentation d’Eurimédon ou l’illustre pirate a dû se dérouler de cette façon.

Réception §

Concernant la réception de la pièce, nous n’avons aucun document contemporain. Nous pensons qu’elle a du connaître un certain succès puisqu’elle a été imprimée et traduite32. Elle est citée par un acteur dans Le Baron de la Crasse33 de Raymond Poisson. Puisque le comique de cette tirade réside dans l’énumération d’une liste de pièces anciennes là où le baron attend des pièces récentes, le fait de citer Eurimédon montre que cette pièce était assez connue pour pouvoir être située chronologiquement par les spectateurs. Cependant, nous n’avons pas de texte critique contemporain, nous nous intéresserons donc à la lecture qui en a été faite au siècle suivant. Nous disposons des courtes remarques qui ont pu être faites sur Eurimédon dans les histoires du théâtre écrites au XVIIIe siècle. Le plus souvent, seul le titre est mentionné, mais la pièce génère des développements un peu plus importants chez les frères Parfait ou chez Clément et Laporte.34

Ces commentaires, courts et acerbes, montrent que la pièce a été lue à l’aune des critères classiques, sans souvenir des caractéristiques de l’esthétique tragi-comique. Ainsi, les frères Parfait parlent-ils d’une pièce « pleine d’inutilités, et d’une invention peu noble. ». Les « inutilités » renvoient sans doute aux digressions, qui entrent pourtant parfaitement dans l’esthétique de la tragi-comédie. Une « invention peu noble » se souvient sans doute du roi tombant amoureux d’un homme déguisé en femme, ou de Tygrane, prétendant à la main de la princesse, qui se cache lâchement en attendant la sentence du roi, parce qu’il croit avoir tué Eurimédon. Ces éléments comiques portent préjudice à la noblesse des personnages. Mais ils amènent un contraste de tonalités caractéristique de ces pièces. Ces procédés sont d’ailleurs analysés par Hélène Baby dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, au chapitre 3. L’alliance d’un personnage noble et d’un langage familier ou d’un personnage familier et d’un langage noble est courante. « Ces deux procédés introduisent une forme de comique bien particulière à la tragi-comédie, faite d’emphase et de dérision. »35. La tragi-comédie joue du décalage des tons, et c’est cette source d’humour qui est bannie dans ces critiques. Quant au niveau de vocabulaire employé, « le Roy parle à sa fille Pasithée dans des termes qui ne dépareroient pas un Gorgibus36 », c’est encore la dimension comique du personnage du roi qui est critiquée. Le passage visé recelle en effet une liberté de parole peu attendue chez un roi : « Vous souffrez toutesfois que seul il vous cajolle, / Contre un Pere, pour lui, vous prenez la parole, / Il baise librement et la bouche et le sein, / Et tout cela chez vous passe pour bon dessein : / Sa conversation est la même innocence, / En parler seulement, c’est commettre une offense. », ou encore « Malgré ce beau mignon, qui cause tout ceci, / Vos discours changeront dans peu de temps d’ici. ». Les termes cajoller, baiser, sein, mignon ont paru quelque peu déplacés. Le roi se rapproche en effet dans ces passages du père des farces de Molière,37 souvent simple, bon bourgeois, parfois grossier38. C’est encore une fois d’après les critères de la tragédie classique que ce personnage a été jugé, un roi ne pouvant prêter à sourire. Dans les Anecdotes dramatiques, on peut lire que le prestige des acteurs était tel qu’il « alloit même jusqu’à faire trouver beaux, des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots. ». Les images basses peuvent nous faire penser au geste « déplacé » d’Eurimédon, qui embrasse le sein de Pasithée. Pourtant, un tel baiser était courant pour les amants dans les pièces de ce deuxième quart de siècle. Scherer nous apprend qu’« au théâtre comme dans le roman de la première moitié du siècle, il est assez fréquemment question d[’] embrasser ou de […] caresser »39 la poitrine. Sans qu’un tel geste perde sa valeur sensuelle, il n’était pas outrageant de le porter à la scène. Quant aux jeux de mots, c’est encore la frontière comique qui est critiquée dans cette pièce.

La conclusion de la pièce est dite mal amenée par les frères Parfait : « Mais le mariage racommode tout, et c’est par là que finit la Piéce, qui est assez mal conduite ». Or, le mariage succède à la reconnaissance, ce qui, même si la reconnaissance fait appel à un deux ex machina, est courant pour une tragi-comédie. Une fin un peu forcée ou qui se prolonge à loisir montre la réversibilité des choses, à laquelle les tragi-comédies de la première moitié du XVIIe siècle sont particulièrement sensibles.40

Ainsi, les histoires du théâtre du XVIIe siècle dressent un tableau fortement critique, ou effacent simplement de l’histoire littéraire les pièces de Desfontaines, en ne se contentant que de les nommer. D’après les Anecdotes dramatiques, « Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. ». Ce paradoxe n’a pas d’explication dramaturgique ou esthétique, puisque des critères anachroniques sont appliqués. L’explication qu’aborde les Anecdotes dramatiques explique le succès par le seul jeu des acteurs, disant que « deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. ». Le succès de toutes ces pièces viendrait donc d’un contexte général et les bonnes comme les mauvaises œuvres auraient eu la faveur du public. Mais pour mieux comprendre les causes de cette réussite, il faudrait étudier les raisons de l’essor de la tragi-comédie en ce début de siècle. Eurimédon ou l’illustre pirate a de nombreux points communs avec les créations de cette époque. Etudier cette pièce permettrait de voir en quoi elle a pû profiter du succès de la tragi-comédie, ou développer des caractéristiques spécifiques. Aborder une explication esthétique ou dramaturgique du succès de Desfontaines suppose donc une étude qui ne suivra pas les règles du théâtre classique.

Contexte théâtral §

Place d’Eurimédon dans l’essor de la tragi-comédie au début du XVIIe siècle, ou la venue des pirates §

La tragi-comédie est un genre en plein essor dans les années 1630, mais les attaques des théoriciens, la recherche de vraisemblance, et certaines créations – comme Cinna, sous-titrée tragédie, alors que la fin en est heureuse – vont progressivement la mettre à mal, et orienter l’écriture de dramaturges comme Desfontaines vers la tragédie. Lorsqu’Eurimédon est publiée, les premières critiques contre la « liberté » s’élèvent, mais elles étaient vraisemblablement moins retentissantes lorsque le jeune avocat prit la plume. Nous allons donc concentrer notre étude sur la place de cette pièce dans l’essor de la tragi-comédie, non en fonction de sa « liberté » par rapport au classicisme, mais sous un angle plus précis, celui de « l’illustre pirate ». Eurimédon s’inscrit dans le thème littéraire de la piraterie. Le goût pour ce sujet est sans doute dû à la part de fantasmagorie et de fascination que recèle ce qui était d’abord une pratique contemporaine. Mais très vite, les récits de voyage, ou les récits de flibustiers ont attisé l’imagination des romanciers, puis des auteurs de tragi-comédies. Le choix de ce thème s’explique chez Desfontaines par la source, Ariane de Desmarets. Vraisemblablement, c’est le roman qui a amené ce sujet. Nous étudierons le rapport qu’a pu entretenir la première pièce de Desfontaines avec L’illustre corsaire de Mairet et Le Prince Corsaire de Scarron. En effet, ces deux pièces montrent par leur existence même qu’Eurimédon appartient à un courant thématique du début du XVIIe siècle. Sans prétendre qu’il ait lui-même engendré ce courant, il est intéressant de noter, une fois de plus, combien Desfontaines fut sensible aux goûts et lectures de son temps. Cette pièce par le choix du genre et par le thème des corsaires suit les mouvements littéraires qui lui sont contemporains.

La pièce de Desfontaines est antérieure aux créations de Mairet (1640), Scudéry (1644) et de Scarron (1658). Son action suit un cours différent et on ne saurait dire qu’Eurimédon constitue une source pour ces pièces. Mais c’est une des premières tragi-comédies, voire une des premières pièces de théâtre41 à exploiter ce thème, jusqu’alors romanesque. Mettre en parallèle Eurimédon et les autres créations dramaturgiques permettra d’examiner quels sont les thèmes communs, quels sont les aspects de la piraterie qui intéressaient les dramaturges de l’époque, et dans quelle mesure Desfontaines se trouve en accord avec ce courant.

Vision rêvée du pirate. De la réalité au mythe de l’illustre corsaire §

La vision littéraire du pirate est très éloignée de sa réalité historique. L’imaginaire littéraire pense que la société pirate adopte un modèle aristocratique. Or il s’agissait au XVIIe siècle d’une société relativement démocratique et très peu hiérarchisée, comme le souligne Sylvie Requemora42 « Dans la société pirate, l’amitié est une vertu, la trahison le pire des crimes, le butin est réparti selon une équité révolutionnaire pour l’époque. ». Pourtant dans Eurimédon, la hiérarchie est assez fortement soulignée, et les pirates respectent le héros d’autant plus qu’ils le croient de sang royal. Eurimédon raconte ainsi son sacre :

Comme à leur souverain ils me firent hommage ;
Glorieux (disoient-ils) d’obeyr desormais
Au Prince le plus grand que le ciel vit jamais :

De ce point de vue, cette pièce ne s’écarte pas de la tradition littéraire. En revanche il est assez surprenant de lire le terme pirate pour un personnage comme Eurimédon. S. Requemora remarque que dans l’imaginaire tragi-comique le corsaire était civilisé, gentilhomme, à la différence du pirate, barbare et sanguinaire. Le titre de la pièce serait donc paradoxal et irait à l’encontre de la terminologie usuelle. Cela peut s’expliquer par le fait que Desfontaines est sans doute un des premiers à porter ce thème à la scène. Il utilise indifféremment les deux termes dans le cours de la pièce, sans que cela appelle des nuances différentes. Dans les définitions qu’en donnent les dictionnaires, ces distinctions ne sont pas très rigoureuses, puisque Furetière écrit que le corsaire « court les mers sans aucune commission pour voler les Marchands. ». Desfontaines ne dégrade pas son personnage par le titre de pirate, il exploite ce personnage alors que les désignations ne sont pas encore établies, et c’est par la suite que la tragicomédie va établir la dichotomie entre « affreux pirate » et « gentilhomme corsaire »43. Le personnage d’Eurimédon correspond tout à fait, par son sens de l’honneur, sa bravoure et sa générosité aux personnages des pièces de Mairet et Scarron. Si ces personnages constituent des figures aristocratisées et idéalisées de la réalité, ils conservent quelques traits communs avec les pirates de l’époque. Ainsi, les descriptions d’Œxmelin44 et de Raveneau de Lussan soulignent que la trahison est le pire des crimes. Or c’est bien la crainte de la trahison qui fait qu’Eurimédon peine à renoncer à son amitié pour Araxés.45 De même, dans l’Axiane de Scudéry, Leontidas dit qu’il aurait préféré la mort de sa fille à la trahison qu’elle lui a faite en partant avec son esclave Hermocrate. Nous reconnaissons avec Sylvie Requemora que l’importance de la fidélité correspond à une réalité historique dont Desfontaines comme d’autres auteurs ont pu avoir connaissance. Néanmoins il nous semble important de souligner que la fidélité est avant tout une qualité exigée par le code aristocratique ; nous n’avons donc pas la preuve que Desfontaines connaissait la réalité corsaire. Autre fait historique, les pirates avaient des îles pour repère. Que Desfontaines conserve ce trait réaliste lorsqu’Eurimédon mentionne le lieu de son repère :

Je devois faire esclave, et mener en Corcyre46
Celle qui doit un jour regner en ton empire ;

ne prouve pas qu’il cherche à être réaliste. Il s’agit en fait d’un lieu commun concernant les pirates.

Ainsi, les éléments réalistes ne sont pas à porter au compte d’une connaissance précise des mœurs des pirates. Ils peuvent s’expliquer par les lieux communs véhiculés sur les corsaires ou par le code aristocratique qui coïncide parfois avec celui des pirates, c’est le cas en ce qui concerne la trahison. Desfontaines transforme la réalité en faisant du corsaire un gentilhomme. Eurimédon est, par sa vision des pirates, conforme à l’imaginaire tragi-comique de son époque.

Du thème à la structure : les scènes se répondent §

Ce n’est pas seulement dans sa vision du pirate que le jeune dramaturge se rapproche des créations contemporaines. D’un point de vue structurel nous pouvons constater qu’il y a des schémas récurrents dans les pièces exploitant ce thème. Les pirates de Desfontaines et de Mairet ont tous deux une audace amoureuse ou une faute à se faire pardonner. Eurimédon a embrassé le sein de la princesse, et Lepante a embrassé Ismenie, et c’est pour cela qu’elle l’a chassé en lui demandant de ne plus reparaître devant elle. Le récit que fait Lepante de cette scène renforce la ressemblance avec la situation d’Eurimédon.

C’est qu’estant sur le point de me separer d’elle
(Helas ! voicy le bien d’où mon mal est venu)

Ce passage rappelle qu’Eurimédon embrasse le sein Pasithée en guise d’adieu.

Cet Esprit jusqu’alors toujours si retenu,
Oubliant la froideur qu’il nous avoit montrée
Nous permit dans sa chambre une secrette entrée,
Où seul sur le minuit je fus luy dire adieu
Malgré tous les soupçons, et de l’heure, et du lieu ;
C’est là que toute chose augmentant mon audace
En cherchant un baiser, je treuve ma disgrace,

De la même manière Eurimédon embrasse le sein de Pasithée lorsque le roi les surprend.

Ses yeux auparavant si calmes et si clairs
Me lancent des regards qui semblent des éclairs,
Et sa bouche offencée aux injures ouverte,
Me foudroye en ces mots, qui causerent ma perte :
Indiscret, me dit-elle, apres cet accident,
Ne me montre jamais ton visage impudent,
Meurs, et soüille la mer de tes flames impures.
[…]
Pleure, soupire, plaint, appelle sa Nourrice,
Et luy commande enfin de me mettre dehors :47

Ce passage serait à rapprocher de la scène 5 de l’acte IV où Pasithée, furieuse qu’Eurimédon ait tenté de dormir avec elle, pousse des cris qui font venir sa suivante, Alerine. Un tel parallèle montre que ces dramaturges s’intéressent aux mêmes motifs : piraterie, honneur féminin en danger, condamnation de l’homme n’ayant pas su maîtriser son élan amoureux. Dans ces deux pièces l’homme élevé par les pirates, ou qui va se mêler à eux, manifeste ses sentiments avec trop d’audace.

La jeune fille amoureuse du faux corsaire fait, chez Desfontaines comme chez Mairet, preuve d’un instinct infaillible. Elle accorde plus de confiance à la vertu qu’elle voit qu’à la naissance, ou au royaume. Ainsi, dans L’Illustre Corsaire, Ismene affirme à Lepante qu’elle l’aime sans son royaume48.

N’importe, il me suffit que vous estes né Prince,
Vostre moindre vertu vaut mieux qu’une Province,
Et sans gloire, et sans bien, l’amour que j’ay pour vous
Me rendra tout aysé vous ayant pour Espoux

Dans ce discours le fait d’être « né Prince » revient à parler de la « vertu » de l’homme aimé. Dans Eurimédon, le héros ignorant sa naissance, ce sont ses actes qui deviennent le signe de sa vertu. Ainsi, ces pièces qui jouent avec l’identité défendent la valeur intérieure aux dépens des signes extérieurs de vertu. La thématique du pirate noble se double d’un discours sur la noblesse intérieure. Ce ne sont ni les royaumes ni le nom qui font l’homme honnête, ce sont ses actions. Néanmoins, la réplique d’Ismene « il me suffit que vous estes né Prince, » et la réelle identité de ces deux pirates nous prouvent que les dramaturges ne montrent pas d’homme vertueux qui ne soit pas noble. La jeune fille sait reconnaître la noblesse, une jeune fille vertueuse peut reconnaître un homme d’honneur indépendamment de son nom ou de son titre. C’est ce thème qui est repris dans ces deux pièces, plus que l’idée que les actes honorables font l’homme honnête.

Un aspect assez étonnant est mis en scène chez Desmarets comme chez Mairet. La jeune fille consent à être enlevée par le pseudo corsaire. Elle se fie totalement au sens de l’honneur du corsaire. Ce comportement s’explique puisqu’elle reconnaît la noblesse de l’inconnu, mais il demeure peu convenable. Ces scènes sont comme des suggestions de transgressions, mais les personnages, comme les spectateurs, devinent d’emblée que l’honneur est sauf. Introduire un pirate ou un corsaire, c’est amener une figure audacieuse, qui perturbe quelque peu les convenances49 au niveau des personnages. Les dramaturges exploitent l’aspect subversif et séducteur du pirate, créant ainsi des scènes qui se répondent.

Le pirate se caractérise aussi par sa bravoure. La comparaison à Alcide50 que l’on peut lire dans Eurimédon :

Alcide avant sa mort estoit ce que nous sommes,
Ce Heros comme vous nasquit entre les hommes,

se retrouve pour désigner Lepante51. Dans Le Prince Corsaire de Scarron, Alcandre était reconnu pour sa vaillance, même sous l’identité usurpée d’Orosmane. La valeur guerrière du corsaire permet d’introduire un autre thème cher aux dramaturges. Le pirate défend ou a défendu le pays. Le roi lui est donc redevable, sa bravoure est exceptionnelle au point qu’elle lui permet d’atteindre le niveau militaire d’un Prince. Mais le héros des pièces de théâtre n’est pas nécessairement pirate pour voir sa valeur guerrière célébrée de la sorte. Alcionée de Du Ryer52 montre Alcionée qui, à la scène 3 de l’acte II, dit que son bras peut encore conquérir des couronnes, si c’est cela qui lui accordera le droit de prétendre à la main de la princesse. Tenter d’épouser une princesse au nom de la vertu guerrière n’est donc pas un thème spécifique à la piraterie. Mais le thème est traité avec encore plus d’audace, car dans celles-ci, le prétendant n’est pas même gentilhomme, il est théoriquement à l’écart de la société. D’où la figure contradictoire du « corsaire », qui devrait être « pirate », et se révèle gentilhomme. Le personnage paradoxal du pirate défenseur d’Etat, que l’on retrouve chez Desmarets et Scarron se trouve résolu par la reconnaissance. In fine, le pirate n’en est pas un, que ce soit chez Scarron, Mairet, ou Desfontaines. La noblesse que l’on peut observer dans les actions s’explique par la haute noblesse de fait. Eurimédon est frère de Melinte, Lepante est prince de Sicile, et Orosmane-Alcandre est fils de Nicamore. La bravoure du pirate est dans plusieurs pièces le signe d’un sang royal.

Le thème de la piraterie engendre des situations qui se ressemblent. L’esprit pirate appelle l’audace, la séduction, l’aventure ou la fuite, et la bravoure, qui, elle, demande la noblesse. Partant des mêmes caractéristiques, il est logique que les structures se répondent. Nous ne pouvons pas déterminer ici ce qui, de l’intertextualité ou des données thématiques, a été déterminant dans l’écriture des dramaturges qui ont choisi ce thème à la suite de Desfontaines. Néanmoins, ce thème et les structures qu’il appelle ont été appréciés car repris dans la première moitié du siècle. Desfontaines se trouve donc en accord avec, voire à l’origine des créations littéraires de son époque.

Place d’Eurimédon ou l’illustre pirate dans l’œuvre de Desfontaines §

Eurimédon ou l’illustre pirate est la première pièce de Desfontaines. Il débute par la tragi-comédie avant de s’orienter vers la tragédie après 1642. Tenter de situer une première pièce, c’est voir si les prémices d’une esthétique s’y ébauchent. L’œuvre de Desfontaines paraît suivre les évolutions des productions littéraires de son époque, car il opte pour la tragi-comédie à ses débuts, s’oriente par la suite vers la tragédie et participe au mouvement des tragédies hagiographiques. Nous allons comparer sa première pièce avec les quatre tragi-comédies qui suivront, La suite du Cid, création de 1637, Orphise ou la Beauté persécutée, qui date de la même année, Hermogène, créée en 1638 et Bélisaire en 1640. Nous pouvons nous demander si l’écriture de Desfontaines témoigne du débat sur les règles. En effet, les pièces suivantes satisfont toutes à la règle de l’unité de temps, mais elles s’éloignent plus ou moins de l’esthétique mise en œuvre avec Eurimédon. Ce qui est paradoxal, c’est que la pièce qui semble la plus régulière, La suite du Cid, n’est pas la plus tardive. Avec Orphise et Bélisaire, les événements venant de l’extérieur et s’enchaînant linéairement se retrouvent, le dramaturge conserve le même mode de construction de l’intrigue. Dans une certaine mesure, Hermogène utilise le même procédé. Dans Orphise, le prince multiplie les machinations et les obstacles pour s’attacher Orphise. Dans Bélisaire, c’est la reine Théodore qui cherche tous les moyens de tuer Bélisaire. Nous retrouvons dans ces deux pièces un cas de figure décrit par H. Baby, celui de « l’opposant unique » qui devient une « source permanente et continue d’oppositions ». Les multiples obstacles viennent tous d’un même personnage, la contingence devient donc flagrante dans le dénouement, où étonnamment l’opposant change d’avis. Ainsi Théodore affirme :

Ouy, mais auparavant que je t’oste la vie,
Je veux sçavoir, ingrat, en quoy tu m’as servie.

Puis, ayant laissé parlé Bélisaire, elle consent à l’épargner dans la réplique suivante :

Vis heureux, j’y consens, triomphe Belisaire,
Triomphe, ta vertu qui te rend mon vainqueur,
M'oste le fer des mains & la haine du coeur.
Ostons luy les liens.53

Le hasard s’incarne dans la figure de l’opposant. Nous retrouvons donc dans ces deux pièces une structure qui revient aux mêmes principes que ceux que nous observerons dans Eurimédon ou l’illustre pirate, en ce que le hasard, la contingence et la linéarité sont des moteurs de l’organisation dramaturgique. Néanmoins, faire venir les événements d’une seule et même personne, c’est tenter de rendre moins extraordinaire le déroulement tragi-comique. L’intrigue s’épure d’une certaine façon par rapport à sa première pièce où il y a plusieurs sources d’obstacles. Ainsi, ces deux pièces constituent une avancée vers la régularité, tout en se souvenant des principes dramaturgiques adoptés pour sa première tragi-comédie. Dans une certaine mesure, Hermogène suit ce modèle. La construction des quatre premiers actes voit le roi Poliante tendre une ruse pour prouver l’infidélité de son épouse Oriane. La machination échoue à la fin de l’acte IV devant l’honnêteté de la reine, Poliante regrette ses actes, tout pourrait s’achever là, mais il monte un deuxième stratagème dans l’acte V. Ainsi la structure de l’opposant, ici du jaloux, qui multiplie les intrigues se retrouve mais elle est moins systématique que dans Orphise et Bélisaire. La conclusion d’Hermogène demeure arbitraire : Poliante change d’avis en mourant, promettant la main de sa femme à Hermogène. En revanche, La suite du Cid se démarque de ce type d’écriture où les actes semblent gratuits, mais ceci peut s’expliquer par la source de cette pièce. Corneille donnait en effet des éléments qui ont pu appeler une écriture moins régie par l’arbitraire. Les événements ont lieu à cause des caractères des personnages, ils découlent donc des données initiales.

Ainsi, l’écriture d’Eurimédon ou l’illustre pirate montre que Desfontaines utilise des principes qu’il a conservé pour ses créations suivantes – gratuité des événements, extériorité, conscience de l’arbitraire – mais qu’il a tenté d’assagir, et ceci est net en ce qui concerne la question temporelle. Cela correspond aux analyses H. Baby54 qui relève un « assagissement » des unités de lieu et de temps, mais cela cache effectivement « l’éclatement d’une action qui ne s’adapte qu’en apparence aux impératifs de l’unification », du moins en ce qui concerne les pièces précitées.

Résumé de la pièce §

La pièce se passe sur l’île de Lesbos.

Acte I §

La rencontre des deux héros, Eurimédon et Pasithée, est antérieure au début de la pièce. Pasithée est la fille du roi de la Troade, Archelas. Eurimédon a sauvé la princesse des mains de son ravisseur Araxés et la ramène à son père. Mais il a épargné le traître, ce que Pasithée peine à comprendre (Scène 1). Le roi Archelas retrouve sa fille avec joie ; il remercie chaleureusement Eurimédon mais lui reproche sa clémence puis l’interroge sur ses origines. Eurimédon avoue les ignorer et raconte qu’abandonné dès son enfance, il a été recueilli par des corsaires qui lui ont affirmé qu’il était prince, tout en lui cachant son nom. Le roi lui offre de « Commande[r] en [sa] cour », en guise de remerciement (Scène 2). Tygrane, qui courtise Pasithée, apparaît (Scène 3). Il ignore que cette dernière est sauvée et déplore sa propre lâcheté car il n’a pas cherché à la secourir. En outre, il trompe une certaine Céliane. Dans la dernière scène de l’acte, (Scène 4) Tygrane apprend le retour de Pasithée et craint de rencontrer un solide rival en Eurimédon.

Acte II §

Eurimédon et Pasithée parlent seul à seule. Araxés reste introuvable. Eurimédon, pressé par la princesse, lui explique pourquoi il a laissé la vie sauve à un homme aussi ignoble. Il avait déjà rencontré et sauvé Araxés autrefois. Les pirates avec lesquels il vivait retenaient cet homme en prison, et c’est là qu’Araxés lui avait confié son amour pour une femme merveilleuse, Pasithée. Eurimédon l’avait libéré par compassion, ému par son histoire. En échange ce prince avait promis d’aider Eurimédon à rejoindre le monde civilisé. À la fin de la scène, les deux héros s’avouent leur amour (Scène 1) avant de se trouver confrontés au rival Tygrane qui laisse paraître ses soupçons (Scène 2), comprend les sentiments de Pasithée et veut tuer Eurimédon (Scène 3). C’est alors que Céliane, la jeune fille délaissée par Tygrane, s’approche de la ville, déguisée en cavalier, pour retrouver l’amour de Tygrane (Scène 4). Elle se fait passer pour Eurimédon auprès d’un page, afin d’obtenir des renseignements, et elle accepte le duel avec Tygrane, espérant que ce dernier la reconnaîtra (Scène 5), mais Tygrane la tue. Il l’a prise pour Eurimédon et croit avoir perdu toute chance de succès auprès de Pasithée. Il décide donc de se cacher en attendant le jugement du roi (Scène 6). Tygrane parti, Céliane revient de ce qui n’était qu’un évanouissement (Scène 7).

Acte III §

Eurimédon doit quitter Pasithée car le roi lui a conseillé de reprendre la route pour chercher d’autres aventures dignes de lui. Pasithée soupçonne une machination de Tygrane et veut en parler à son père. Eurimédon lui baise le sein en guise d’adieu (Scène 1) lorsque le père entre dans la pièce, et les surprend. L’illustre pirate doit fuir pour éviter sa colère tandis que Pasithée cherche à calmer sa fureur (Scène 2). Eurimédon s’éloigne en se lamentant et en couvrant le roi de reproches (Scène 3). Il croise la route de Céliane qui le reconnaît aux propos qu’il tient et décide de l’aider. Toujours travestie, elle l’encourage à poursuivre la lutte et lui révèle que Tygrane avait promis sa foi à une jeune femme, Céliane (Scène 4). Lysanor, écuyer d’Eurimédon, apporte alors de tristes nouvelles de Mitylène. Pasithée est en prison. Araxés attaque le pays, et Archelas promet sa fille en récompense à qui sauvera le royaume. Eurimédon va se déguiser en amazone pour lutter sans être reconnu du roi (Scène 5) tandis que Pasithée se lamente en prison (Scène 6).

Acte IV §

Falante, écuyer du roi, fait le compte-rendu de la situation militaire auprès de ce dernier. Une amazone, « Hermionne », sauve le pays. L’écuyer a noté une ressemblance avec Eurimédon, mais cela ne suscite pas d’interrogations chez le roi (Scène 1). « Hermionne » apporte la tête d’Araxés. Pour la récompenser, Archelas lui propose de l’épouser, ce qu’« Hermionne » paraît accepter, en formulant des propos qui sont en fait à double sens. Tygrane demande la libération et le mariage de Pasithée, espérant obtenir sa main. Mais Céliane est présente, elle se démasque et révèle la perfidie de Tygrane qui est forcé de reconnaître sa faute (Scène 2). Archelas a remarqué l’émotion d’« Hermionne », lorsque Tygrane parlait de Pasithée, il l’interroge à ce sujet mais l’amazone se justifie en prétextant qu’elle ignorait l’existence de Pasithée, et découvre donc que le roi était marié. Archelas explique pourquoi sa fille est en prison, ce qui permet à « Hermionne » de lui reprocher sa rigueur et de le pousser à plus de clémence (Scène 3). « Hermionne » annonce à Pasithée sa libération prochaine. Elle se fait passer pour la sœur d’Eurimédon et promet de refuser d’épouser le roi tant que Pasithée ne sera pas mariée à Eurimédon (Scène 4). Puisque le roi l’autorise, « Hermionne » passera la nuit auprès de Pasithée. Mais Eurimédon est si troublé de voir Pasithée qu’il est contraint de révéler le subterfuge. Pasithée se fâche car son honneur a été mis en danger (Scène 5) et ses cris attirent Alerine, sa suivante. Pasithée va passer la nuit auprès d’elle (Scène 6).

Acte V §

Tygrane est encore attiré par Pasithée mais va rendre hommage à Céliane (Scène 1) qui lui promet d’être moins dure s’il se montre à nouveau constant. La jeune fille, seule, avoue lui pardonner dans son cœur (Scène 2). Archelas reçoit Melinte, roi de Thessalie, qui cherche Eurimédon, son frère (Scène 3). Pendant ce temps, l’évasion se prépare : Pasithée consent à fuir avec le héros (Scène 4) mais Melinte reconnaît Eurimédon en « Hermionne ». Archelas, de colère, veut tuer le jeune pirate, mais, raisonné par le roi de Thessalie, il accepte le mariage, tandis que Tygrane est pardonné par Céliane (Cinquième et dernière scène).

Du roman au théâtre : la source, Ariane de Desmarets §

Desfontaines et l’imitation §

Les sources de Desfontaines se trouvent souvent dans les pièces et romans contemporains55. Un certain nombre de ses pièces constituent la suite d’une pièce à succès, la plus célèbre étant Le Cid de Corneille. Ainsi, Perside, ou la suite d’Ibrahim Bassa invente une suite à Ibrahim ou l’illustre Bassa, de Georges de Scudéry. Eustache ou le martyre de Saint Eustache reprend le thème du Saint Eustache de Balthazar Baro, créé en 1639. Enfin, la source d’inspiration de la Sainte Catherine que lui prêtent Leris, Maupoint ainsi que Clément et Laporte reprend le thème de la Sainte Catherine de Saint Germain, qui date de 1644. L’autre source privilégiée de Desfontaines, le roman, se retrouve dans la tragédie Alcidiane, ou les quatre rivaux et dans la tragi-comédie Eurimédon ou l’Illustre Pirate. Le sujet d’Alcidiane provient d’un extrait des Harangues ou discours académiques du Manzini, auteur italien traduit par Georges de Scudéry. Quant à Eurimédon, il s’inspire d’un des récits enchâssés de l’Ariane de Desmarets56. Les sources d’inspiration de Desfontaines semblent avant tout être littéraires. Il faut noter que la pratique des suites est courante, de même que la reprise de roman. Ce récapitulatif des sources montre que Desfontaines était sensible aux productions de son époque. C’est ainsi qu’il se détourne de la tragi-comédie après 1642, et suit la mode des tragédies hagiographiques. Il satisfait donc aux goûts de son public en reprenant des thèmes en vogue.

Du roman à la tragi-comédie §

Que la source d’une tragi-comédie soit un roman est chose courante. Nous tenterons de voir dans quelle mesure une telle inspiration amène une structure narrative, des rebondissements et modes d’enchaînements baroques. Comment l’écriture romanesque mène-t-elle à l’irrégularité dramaturgique, à la tragi-comédie ? Ariane de Desmarets adopte la structure d’un roman d’aventures, dans lequel s’insèrent de nombreux récits enchâssés, procédé caractéristique des romans baroques. L’histoire d’Eurimédon vient d’un de ces récits.57 Ce roman est représentatif de la création romanesque de l’époque, comme l’énonce Jean Baptiste de Boyer d’Argens, dans ses Lettres juives (1736), à la lettre XXXV : « Autrefois les romans n’étaient qu’un ramas d’aventures tragiques qui enlevaient l’imagination et déchiraient le cœur. ». Et il cite en exemples « Le Polexandre de Gomberville, l’Ariane de Desmarets, etc. ». Quels aspects Desfontaines a-t-il privilégiés dans cette transposition, quelles influences le roman a-t-il pu exercer sur les structures dramaturgiques ?

Situation de l’histoire d’Eurimédon dans Ariane §

Le héros du roman, Melinte, veut rejoindre à Corinthe la jeune fille qu’il aime, Ariane. Mais une fois en mer (tome 2), il rencontre des pirates et décide de les attaquer, pour les empêcher de s’en prendre à d’autres bateaux. Surpris, ceux-ci perdent la bataille lorsque Melinte est « arresté par la valeur d’un jeune Corsaire extremément beau [… ayant] de la fierté et de la grace », qui se révèle être Eurimédon, le chef des pirates. Vaincu, ce dernier se soumet à Melinte, et c’est la première fois qu’il se voit contraint de cesser un combat. À la demande de Melinte, Eurimédon narre son aventure amoureuse avec Pasithée, fille du roi de la Troade. Melinte décide de l’aider et les personnages d’Eurimédon et de Pasithée seront suivis jusqu’à la fin du roman, où l’on découvre que Melinte et Eurimédon sont frères.

Choix pour l’adaptation théâtrale §

Nous présenterons ici les différences de diégèse entre la pièce et le roman, car les éléments communs sont nombreux. Malgré une grande fidélité au roman, les variations peuvent nous indiquer quels thèmes et structures intéressaient Desfontaines à ses débuts de dramaturge. En outre, cette comparaison montrera comment l’inspiration romanesque peut mener à l’esthétique tragi-comique. Nous suivrons le cours de la narration ou de l’action pour analyser les variations amenées par Desfontaines car les modes d’adaptations – développement, suppression, création et synthèse, appellent peu de commentaires. Ils se déduisent des exigences naturelles de la scène et s’expliquent aussi par le goût du public de l’époque, notamment en ce qui concerne la chaîne amoureuse. Nous réunirons les procédés de modifications tant que cela ne nuira pas à l’entente de l’intrigue d’Ariane.

Enfance et éducation : des débuts rapidement évoqués §

Le roman développe les débuts d’Eurimédon plus longuement qu’il ne le fait lui-même dans le récit de sa propre vie sur la scène. Cela se comprend aisément dans la mesure où tous les événements de sa formation ne sont pas indispensables à la compréhension de l’action, centrée sur la relation amoureuse, et risqueraient de rendre trop long le temps de récit.

Dans le roman comme dans la pièce, le premier trait de bravoure du héros se manifeste lorsque, encore enfant, il prit la défense d’un pirate qui luttait seul contre deux autres. Mais le roman laisse à Eurimédon le temps de renouveler ses exploits, et ne le fait roi qu’à la mort du précédent, tandis que sur scène il affirme que c’est ce premier exploit de jeunesse qui lui valut son titre de roi des pirates.

Des lors tous estonnez de ce trait de courage,
Comme à leur souverain ils me firent hommage.58

Toutes les manifestations de sa vaillance sont résumées en une seule, mais la plus magistrale. Cette présentation semble avoir été adoptée pour gagner du temps sans nuire aux qualités exceptionnelles du héros, qualités essentielles en ce qu’elles constituent, pour Pasithée comme pour le spectateur, un signe de sa haute noblesse. Dans Ariane, son sens des valeurs ne se forge pas naturellement. Il dut faire un séjour de six mois en Grèce, et c’est là qu’il apprit les mœurs civilisées. Néanmoins, le désir de découvrir cette civilisation était spontané chez le jeune pirate, et ceci met plus son instinct du bien au compte de sa naissance que de son éducation. Ces détails, s’ils trouvent légitimement leur place dans le roman, Desfontaines les a sans doute jugés trop longs à porter à la scène, d’autant qu’ils auraient été redondants avec les manifestations de vertu d’Eurimédon. Le thème de la formation a une faible importance dans la valeur d’Eurimédon, et l’évoquer compliquerait un des débats soulevés par sa pièce. Desfontaines insiste en effet sur la question de l’origine de la vertu. Sont-ce les actions ou la naissance d’un homme qui la révèle ? La notion d’éducation viendrait complexifier ce débat. Enfin, ne serait-ce pas toucher à la magnificence du héros que de laisser à l’éducation ce qui pourrait venir de lui seul ? Ainsi, l’enfance et l’éducation d’Eurimédon sont résumées pour satisfaire à des exigences de durée et peut-être pour clarifier le débat sur la vertu.

Conversion au « bien » extrêmement résumée §

Eurimédon déclare vouloir se rendre sur terre, rejoindre le monde civilisé. Toute la « conversion » d’Eurimédon au « bien » est fortement développée dans Ariane. Le roman insiste aussi sur la relation d’Eurimédon et d’Araxés. Nous y apprenons que, si Eurimédon rendit les pirates très riches, il changea d’opinion sur le bon comportement à tenir car « il [lui] sembloit plus glorieux de pardonner aux vaincus, que de les tuer cruellement ». Un jour, Eurimédon laissa la vie sauve au chef d’un bateau, « Prince Armenien, lequel s’en alloit Ambassadeur à Rome, de la part de Vologese, roi des Parthes, et de Tyridate, roi d’Armenie. ». C’était Araxés. Eurimédon procéda à un marché des plus honnêtes. Il libéra Araxés, lui demandant en échange de l’aider à rejoindre le monde civilisé. Dans le roman, Eurimédon apprit son projet à quelques-uns de ces hommes et les détails des préparatifs et du départ sont exposés. Ici, la version romanesque et la version théâtrale correspondent en tous points. Mais la pièce résume cela en quelques vers seulement, v. 381 à 388. Le roman cultive davantage le personnage de l’homme repentant que la pièce, qui favorise l’histoire amoureuse. Desfontaines ne peut se résoudre à montrer tous les éléments antérieurs à la rencontre des amants. Centrant son action sur la possibilité d’une relation amoureuse entre les deux héros, détailler à l’infini tous les événements antérieurs exigerait un trop long récit. Si Desfontaines ne rejette pas totalement la technique du récit, on voit ici qu’il ne le prolonge pas à loisir, et que son esthétique se tourne vers l’action. Comme précédemment, il a conscience que cette intrigue est d’une moindre importance et qu’elle apporte peu à son action.

Identité du ravisseur : une synthèse source de confusion §

Les détails de l’enlèvement donnés par Ariane lèvent certaines ambiguïtés de la pièce. Les pirates approchaient de Lesbos, dans la Troade quand ils virent un vaisseau qui s’en éloignait et entendirent ces cris « sauvez la Princesse, mes amis, sauvez la Princesse ». Les différences s’amorcent par la suite. Dans le roman, après avoir sauvé Pasithée, les corsaires apprennent qu’un deuxième bateau s’approche, ayant à son bord l’organisateur de l’enlèvement. Celui-ci projetait de faire croire à la fille du roi qu’il venait la secourir pour se la rendre redevable.59 Il s’agissait d’Araxés. C’est ainsi que s’explique une des obscurités de la pièce. Il y a deux ravisseurs, le pirate, homme de main d’Araxés, et le commanditaire, Araxés lui-même. Dans la pièce, cela reste très confus.

En effet, Pasithée et Eurimédon parlent entre eux sincèrement du véritable auteur de l’enlèvement, Araxés. Mais ils cachent son identité au roi, afin « Que sans crainte Araxés retourne à Mitylène », comme l’accepte Pasithée, à la demande d’Eurimédon. Le mensonge n’est pas expliqué aux spectateurs, aussi l’identité du ravisseur est-elle confuse. Est-il Prince, est-il pirate, est-ce Araxés ? Pour Eurimédon, parlant à Pasithée v. 5 à 10, c’est un prince :

Et vostre ravisseur a fleschy sous mes armes,
Qui n’ont pû consentir qu’une divinité
Servist de recompense à l’infidelité.
Mais que cette bonté qui vous rend adorable
Espargne à mon sujet un Prince miserable,60

Puis, lorsque Pasithée parle à son père, c’est un pirate cruel :

Je serois maintenant pour comble de misere
Peut estre le joüet d’un horrible Corsaire ;61

Eurimédon et Pasithée parlent d’Araxés en disant qu’il est vivant mais Eurimédon prétend devant le roi, vers 113 à 116, que les ravisseurs sont morts.

Enfin de ces brigands la deffaite est entiere,
La mer fut leur refuge, elle est leur cimetiere,
Et l’onde a tellement prèvenu mes efforts
Qu’ils ont esté plustot ensevelis que morts.

Cette dissimulation permet d’accentuer les différences de cœur entre le roi et Eurimédon, car, alors que ce dernier a laissé la vie sauve au ravisseur, le roi juge que la mort est encore un châtiment trop doux et lui reproche sa clémence. Il aurait fallu les soumettre à la torture publique. Ainsi, la confusion vient d’une ellipse narrative et non d’une synthèse. Il n’est pas explicitement dit que les deux héros mentent au roi. Le spectateur ignore qu’il y a deux ravisseurs. De même, dans le roman, Araxés, blessé, est laissé dans son bateau et on lui demande de rejoindre la côte. Eurimédon envoie donc ses gens pour avertir Araxés que personne ne le soupçonne et pour qu’il ne revienne pas blessé à la Cour. Dans la pièce, la raison pour laquelle Eurimédon cherche Araxés n’est pas clairement expliquée, et rien ne dit ce qu’il advient effectivement de lui au début de la pièce.

Création de la chaîne amoureuse et adaptation aux courants théâtraux §

Dans le roman, les courtisans de Pasithée sont très nombreux, car tout homme l’ayant rencontrée ne parvient plus à s’éloigner d’elle. C’est ainsi qu’une foule de prétendants est présente à la Cour. Tygrane est le plus susceptible d’obtenir sa main. Mais il est présenté comme un homme très lâche, au comportement peu noble. Ce trait de caractère correspond à ce qui est montré dans la pièce dans la mesure où Tygrane est un perfide qui délaisse Céliane. Cette trahison est créée par Desfontaines pour décrédibiliser Tygrane par ses actions, qui n’ont pas la noblesse que dégagent celles d’Eurimédon. La dramaturge n’a pas à créer l’histoire parallèle qui le fait mourir dans le roman, et peut ainsi amener une chaîne amoureuse. Dans Ariane, le mystère de ce caractère inattendu chez un prince s’éclaircit rapidement au cours d’un tournoi. Eurimédon avait disparu un moment, mais était revenu et avait brillamment remporté le tournoi. Cet épisode qui accroît sa gloire n’est pas représenté dans la pièce. À l’issue de cette joute, Tygrane est tué par deux Arméniens, et les lamentations d’un vieillard font apprendre que Tygrane n’était pas de sang royal. Dans la pièce de théâtre, si Tygrane montre sa perfidie en trahissant Céliane, il est néanmoins de sang royal et ne meurt pas. Au contraire, Desfontaines synthétise les multiples amants en Tygrane, qui à lui seul représente un obstacle. Cette concentration permet à Desfontaines de créer la chaîne amoureuse. Il invente complètement le personnage de Céliane, jeune fille d’Arménie délaissée par Tygrane. Ainsi, on trouve le schéma « Céliane aime Tygrane qui aime Pasithée qui aime et est aimée par Eurimédon ». Ce type de relation actancielle révèle que Desfontaines travaille sous l’influence de l’esthétique de la pastorale. Il s’inspire des créations romanesques ou théâtrales récentes, et cette réécriture d’Ariane tend à le confirmer. La création de la chaîne amoureuse relèverait d’un goût pour l’esthétique théâtrale contemporaine. Pourtant, une autre explication est possible. Pour qu’Eurimédon et Pasithée soient mariés, il faut que tous les obstacles créés au début de la pièce soient levés. Dans le cours de la pièce le roi s’oppose à ce mariage, d’autant qu’Eurimédon n’est pas d’origine royale. L’autre obstacle est Tygrane, qui était le plus proche d’obtenir la main de Pasithée car il plaisait au roi. Faire mourir Tygrane appellerait la création d’une intrigue parallèle complexe car il ne peut pas être tué par Eurimédon, qui perdrait son statut de héros généreux, à moins qu’il ne s’agisse d’une méprise. Mais créer une méprise demanderait également la création d’une seconde intrigue parallèle complexe. La création du personnage de Céliane se serait donc présentée comme la solution la plus économique. Annoncée dès le premier acte, il suffit qu’elle se dévoile pour anéantir les espoirs du volage Tygrane. Cette dernière solution, en ce qu’elle évite les rebondissements excessifs ou la multiplication des récits, contribue en outre à la vraisemblance de l’intrigue, d’autant plus qu’elle correspond à un schéma souvent représenté au théâtre, donc peu déroutant pour le spectateur. Le souci de vraisemblance, doublé d’un contexte théâtral apprécié, a sans doute conduit Desfontaines à créer ce schéma. Étonnamment, dans la construction de sa première tragi-comédie, Desfontaines paraît privilégier la synthèse et la vraisemblance, il ne veut pas accentuer à l’extrême le foisonnement de son intrigue.

Les insolences d’Araxés : résumé elliptique §

Le roman développe les insolences d’Araxés vis-à-vis de Pasithée, par son entêtement, ou à l’égard de Tygrane, par son mépris affiché. Ces comportements incitent le héros à renoncer à cette amitié qui le dégrade. Mais ce portrait qui accentue les défauts d’Araxés serait redondant dans la pièce où l’enlèvement et la guerre suffisent à caractériser le personnage. Si pour la crédibilité du roman, Eurimédon ne peut renoncer aussi rapidement à une amitié, sous peine d’être trop semblable à un traître (et à un inconstant), cette rapidité est admise au théâtre où la nécessaire concentration des événements rend le changement d’amitié tolérable.

La relation d’Eurimédon et du roi-barbon, un thème conservé §

Eurimédon reste plusieurs jours à la cour, il assiste au lever du Roy, est fort bien accueilli, le roi le conduit au lever de la Princesse, qu’ils surprennent à moitié nue. Une double correspondance thématique peut donc s’établir avec la pièce. D’abord, ce sont bien les suggestions du roi qui encouragent Eurimédon à s’autoriser cette intimité avec la princesse « Le Roy me laissa avec elle, luy ordonnant de m’entretenir ». Ensuite, c’est dans ce passage que l’on trouve l’allusion à la gorge : « elle avoit toute la gorge descouverte », transposée en un audacieux baiser dans la pièce. Ainsi l’amitié que le roi manifeste pour Eurimédon est plus longuement développée dans le roman, mais elle correspond bien aux promesses du roi à la scène 2 de l’acte I. Dans le roman comme dans la pièce, les revirements du roi semblent être dus à son caractère fantasque. Après avoir placé Eurimédon à un haut degré d’intimité, Archelas n’apprécie pas dans Ariane que Pasithée lui montre un peu trop son affection. Il aimerait qu’Eurimédon parte, car il ne voit pas en lui un homme digne de sa fille. Mais c’est notre héros qui retarde son départ.

La colère d’Archelas est mieux préparée chez Desmarets, et encore une fois, le théâtre précipite les événements. Pourtant, dans le dialogue des deux amants, il aurait pu être question de la demande réitérée de ce départ par le roi. Or ce n’est pas ce qui a été choisi pour la version théâtrale où la requête du roi paraît étonnante, à tel point que Pasithée soupçonne une perfidie de Tygrane. Dans le roman l’incident s’accentue lorsque le roi surprend Eurimédon en train d’embrasser simplement la main de Pasithée, et ceci alimentant sa colère, Eurimédon doit s’enfuir en pleine mer. En rendant plus subite la colère du roi, Desfontaines paraît aussi vouloir faire de ce personnage un barbon qui ne tient pas ses promesses, est fantasque, incapable de faire preuve de générosité ni de reconnaissance, et surtout, veut quelqu’un de haut rang pour sa fille. Ce dernier point ne rend pas le personnage comique, car il est impensable que l’infante n’épouse pas un prince ou un roi. Mais pour le spectateur, comme pour Pasithée, tous les indices tendent à prouver que le pirate est noble, et Archelas devrait manifester autant d’estime envers le pirate qu’il en montre au début, et soupçonner chez Eurimédon des origines royales. En outre, même quand il connaîtra ces origines, il persistera dans son désir de le tuer à la fin de la pièce. Desfontaines crée bien un roi-barbon. Reste le problème du baiser sur le sein, et non sur la main comme dans le récit, qui pourrait être porté à la décharge d’Eurimédon. Le dramaturge aurait-il cherché à atténuer le ridicule du roi ? Ce geste peut être compris comme une réminiscence de l’intimité dans laquelle Archelas avait institué Eurimédon. Ainsi nous pouvons conclure que si la colère d’Archelas est moins justifiée dans la pièce, c’est parce qu’elle correspond au désir du dramaturge d’exploiter la dimension comique du roi-barbon.

Autre constante, la place du débat sur la vertu, déjà importante dans le roman :

Au début du récit des aventures des deux amants, Eurimédon annonce que sa vie est un objet de réflexion sur le thème suivant : « combien la rencontre que l’on fait pour estre nourry et eslevé, est importante à la vie des hommes ». Le roman insiste davantage sur le rôle de l’éducation pour former un individu vertueux. Pasithée, après que le roi a exprimé son désaccord sur cette union, promet à demi-mot une union à Eurimédon, parce qu’elle place ses actions au-dessus de ses origines. Le thème de la vertu recoupe donc, dans le roman, comme dans la pièce, celui de l’être et du paraître. Faut-il se fier au nom ou aux actes pour s’assurer de la vertu d’Eurimédon ? Cette réflexion ne saurait donc être attribuée uniquement à Desfontaines.

La guerre ou la synthèse des dangers §

Dans la version romanesque, lorsqu’Eurimédon est chassé de la Cour, il y envoie un de ses hommes en observateur. Celui-ci lui apprend que Pasithée est enfermée dans un château, uniquement entourée de femmes, les murs étant gardés par des barbares. Ces derniers ne doivent pas la voir, car Archelas craint qu’ils n’en tombent amoureux et ne la fassent évader. Tous les Princes amoureux de Pasithée sont partis avec le projet de revenir armés pour la délivrer. Araxés est mort auparavant. Eurimédon décide alors de faire appel aux pirates. Un épisode annexe se développe alors sans être repris par la pièce, car il n’influe pas sur la suite de l’action. Eurimédon rejoint Melinte qui lui promet son aide pour délivrer Pasithée et explique la similitude de sa propre situation puisqu’Ariane est retenue à Corinthe. Eurimédon reste avec Melinte pour l’assister, et ce dernier l’aidera à son tour. Tous les Corsaires se réjouissent du retour d’Eurimédon et s’empressent de l’aider. Ils abordent Lesbos, non au port mais sur les côtes, le lieu semble désert. Ils apprennent que des Scythes attaquent l’île. Comment Eurimédon peut-il se retrouver dans la bataille sans être reconnu du roi ? Il se fait passer pour « Hermionne », fille du « Roy de Colchos ». Se faire passer pour une femme lui permettra en outre d’être autorisé à approcher Pasithée, enfermée dans une prison où seules les femmes ont accès62. Ainsi, Desfontaines a remarquablement synthétisé tous ces rebondissements en imaginant qu’Araxés, qu’il ne fait pas mourir, revient attaquer le royaume pour reprendre Pasithée. Tous les dangers que court le roi sont donc résumés en la personne d’Araxés. Cette synthèse donne une figure duelle à Araxés, celle du rival allié63.

Victoire et récompense : conservation de l’ambiguïté discursive §

Dans le roman, le roi est sur le point de perdre la bataille lorsqu’Eurimédon et ses amis, tous déguisés en femmes, arrivent et le sauvent. Ce dernier prend « Hermionne » pour Pallas64. Mais une différence est notable, c’est Eurimédon qui, dans le roman, demande « une retraitte dans [les] Estats, et qu['il] puisse tenir auprés de [lui] un rôle digne de [s] a naissance. » Eurimédon fait promettre au roi de lui donner la plus haute position possible dans son royaume, ce qui, là aussi, est à double sens. Eurimédon dit au roi qu’« il souhaittoit l’honneur de son alliance autant ou plus que luy-mesme. Dequoy le Roy le remerciait, n’entendant pas le sens des paroles d’Eurimédon, qui vouloit parler de l’alliance qu’il desiroit faire avec luy en espousant sa fille. ». Les deux conversations sont donc presque identiques. Puisque c’est le roi lui-même qui demande à Eurimédon de demeurer dans la pièce, la réécriture semble bien se faire dans le même sens que précédemment, c’est-à-dire en accentuant le ridicule d’Archelas, qui demande un homme en mariage. Archelas promet en outre à « Hermionne » de libérer Pasithée avant huit jours, le temps plus court au théâtre correspond encore à un désir de vraisemblance. Bien que l’on soit dans une tragi-comédie, il est remarquable que Desfontaines ne cherche pas à souligner la durée de l’action. Nous sommes loin d’une pièce qui se déclarerait « en deux journées ». Un roi plus ridicule et une réécriture qui recherche une certaine crédibilité, nous retrouvons les mêmes principes de transposition que précédemment.

Pasithée retrouvée §

Les retrouvailles d’Eurimédon et de Pasithée suivent à peu près le même déroulement au théâtre et dans le roman, à une différence près. Eurimédon se rend au château-prison avec ses « femmes » qui sont en fait les pirates travestis. La scène du baiser déposé sur le sein de la princesse se trouve à cet endroit du roman, et les seuls témoins de ce baiser sont les femmes de Pasithée. La promesse d’« Hermionne », « Mais je ne luy accorderay jamais ce qu’il souhaitte que vous ne soyez mariée à Eurimedon. », a un sens différent pour la prisonnière et pour le messager. Cette duplicité de paroles est reprise dans la pièce. Desfontaines était donc intéressé par cette figure du dédoublement de la parole qu’il a rencontrée dans Ariane. Le texte de théâtre reprend en effet le propos romanesque :

Mais qu’il n’espere pas la faveur qu’il souhaitte
Qu’Hermionne ne soit de tout poinct satisfaite,    1410
Qu’il ne m’ayt de mon frere accordé le pardon,
Et que vous ne soyez femme d’Eurimedon.

Enfin, les femmes mettent Pasithée et Eurimédon au lit, avant d’entendre des cris. Eurimédon est également contraint dans le roman d’avouer sa véritable identité. Pourtant, Pasithée n’a pas révélé devant ses femmes la véritable identité d’« Hermionne », et là c’est le narrateur qui rassure Eurimédon en lui affirmant que si elle avait été fâchée, elle l’aurait trahi. Le texte de la pièce suit encore de très près le roman. Le lendemain, Pasithée accepte toutes les excuses et se dit prête à l’enlèvement, mais ne veut pas qu’il tente quoi que ce soit sur elle « qu’ils ne fussent mariez ensemble sur le consentement de son pere ». Le roman pousse plus loin l’audace des actes d’Eurimédon, qui n’hésite pas à s’introduire dans le lit de la jeune fille, ce qui rendrait non crédible le mariage dans le temps réduit de la représentation. Mais il est remarquable que dans ce passage, le détail des actions est sensiblement le même dans les deux versions.

Puis, le jeune couple a des nouvelles des héros, Melinte et Ariane, qui demandent de l’aide. Pasithée accepte qu’Eurimédon l’enlève pour les rejoindre en Thessalie. Le passage à la scène de cette action pose quelques problèmes. Comment comprendre cette scène qui évoque l’enlèvement de Pasithée sans le faire aboutir ? Cette scène ne débouche sur rien, puisque l’enlèvement est aussitôt avorté. Dès lors, on peut se demander pourquoi Desfontaines prend la peine de créer une scène qui ne s’insère pas dans son action. Est-ce pour suivre le roman au plus près ? Ou bien Desfontaines recherche-t-il un effet de surprise ou de suspension ?65

Dernier épisode effacé, mais une fin heureuse §

Dans la version de Desmarets, Eurimédon, après l’enlèvement consenti de la princesse, va porter secours à ses amis, ce qui permet la rencontre d’Ariane et de Pasithée. Le narrateur rétablit la hiérarchie des personnages en expliquant que Pasithée est bien inférieure à Ariane en beauté. Si Pasithée a plus de succès, c’est grâce à sa façon d’allumer « aussitost tous les desirs, faisant naistre l’espoir par cette complaisance generale », tandis qu’Ariane, majestueuse, appelle l’admiration. L’ascendance royale de Melinte, qui devient roi de Thessalie est découverte. Un Corsaire explique ensuite l’identité d’Eurimédon, qui descend de « Pyrrhe et d’Achille ». Le récit de l’Aigle et du laurier est conforme à celui de la pièce. Ces symboles sont placés au début de la pièce, vraisemblablement pour que le public comprenne d’emblée l’identité du pirate inconnu, et la possibilité d’une histoire d’amour entre lui et la princesse. Les pirates auraient dû tuer Eurimédon. Melinte, héros de l’histoire d’Ariane, est donc le frère d’Eurimédon. C’est bien Melinte qui apprend au roi Archelas les origines d’Eurimédon, et le monarque se résout à tout accepter « considerant que s’il tesmoignoit encore de la colere, cela ne tourneroit qu’à sa confusion ». Le livre s’achève donc sur deux mariages et sur le couronnement de Melinte et d’Ariane. La phrase qui conclut le livre, « comme si les Dieux eussent destiné aux plus belles, et aux plus vertueuses personnes du monde, les plus agreables lieux de la Terre », rappelle le dénouement heureux de la pièce.

Allons doncq mes Amis celebrer ce beau jour
Qui vous doit couronner des Myrthes de l’amour,
Et donner quelque jour à ces belles Provinces
Par vos embrassemens des Reynes, et des Princes.

Cette dernière partie est totalement supprimée, ce qui est logique puisqu’elle correspond à l’action principale du roman. Desfontaines conserve la résolution des obstacles par la reconnaissance, et la fin heureuse.

Une adaptation fidèle à Desmarets et aux attentes du public §

La reprise prend une autre forme dans Eurimédon, celle de la citation. Des phrases sont précisément issues du roman de Desmarets. Ce calque était-il remarqué du public, constituait-il une forme de renvoi respectueux à la source romanesque ? Comme le signalent C. Bourqui et S. de Reyff66, le « phénomène, en ce qui concerne le théâtre de Desfontaines, est demeuré jusqu’ici inaperçu dans son ampleur. De manière générale, au reste, l’étendue de la pratique de reprise textuelle dans la littérature dramatique du XVIIe siècle s’avère difficile à évaluer, en l’absence d’études spécifiques. » Nous ne pourrons donc pas déterminer l’originalité de Desfontaines en la matière, mais nous étudierons les formes de reprise textuelle que nous pouvons établir entre le texte-source et la pièce. Certains vers emploient un vocabulaire ou des formules fortement similaires au roman. C. Bourqui et S. de Reyff 67 distinguent trois procédés de « reprise textuelle ». La retractatio, ou « reprise de vers et de passages provenant des œuvres antérieures de Desfontaines », l’excerptio minor, ou « reprise de vers ou de distiques isolés d’œuvres allogènes », et l’excerptio major, ou « reprise de passages volumineux provenant d’œuvres allogènes ». Dans sa première pièce, Desfontaines pratique l’excerptio minor sans pour autant conserver in extenso les citations. L’exigence de la versification amène des modifications, mais le parallèle demeure évident dans la plupart des cas. Desfontaines cherche à recréer en vers des phrases qui correspondent souvent à des moments clefs du roman. Il est difficile de déterminer si ces reprises à peine modifiées (cf. tableau en annexe) illustrent la déférence au romancier, sont une constante dans les reprises de l’époque, ou constituent sa propre technique d’écriture.

Desfontaines suit de très près l’action établie par Desmarets, allant jusqu’à calquer ses vers sur ses phrases. Les modifications semblent au prime abord dictées uniquement par les impératifs de la scène de théâtre, qui imposent une restriction du temps et de l’espace. Il semblait donc logique que, ces quelques modifications apportées, l’esthétique de la pièce soit dans la lignée de l’esthétique romanesque. D’ailleurs, l’enchaînement même des rebondissements et revirements vient du roman source. Autrement dit, la source romanesque amènerait l’irrégularité dramaturgique, qui serait recherchée par cet auteur qui s’est d’abord illustré dans le genre tragi-comique. Pourtant, quelques points viennent nuancer cette observation.

Tout d’abord, la question de la durée. Les notions de temps sont vagues, réduites ou effacées, sauf en ce qui concerne la nuit qu’Eurimédon aurait pu passer aux côtés de Pasithée. Cette scène n’a pas été supprimée, elle a pu sembler utile au dramaturge à plusieurs titres. Elle met en péril l’honneur de la princesse, elle constitue l’aboutissement de toute l’entreprise déguisée d’Eurimédon, et peut-être est-ce aussi par respect envers l’intrigue romanesque que Desfontaines n’a pas opté pour sa suppression. Mis à part cette scène, les longs développements du roman sur le départ d’Eurimédon qui va préparer le tournoi, ou sur l’enlèvement de Pasithée par Eurimédon, sont supprimés, de même que le délai de cinq jours que le roi fixe avant de libérer sa fille. Desfontaines a donc porté une certaine attention à diminuer la durée fictive de la pièce. Il aurait pu procéder autrement et souligner ces périodes temporelles. L’esthétique que l’on appellera plus tard « irrégulière » ne correspondait sans doute pas à une revendication du dramaturge, qui a pu ainsi réduire la durée fictive de la pièce. Autre point étonnant de l’adaptation, la concentration des personnages. Hélène Baby68 mentionne que le nombre moyen de personnages était supérieur à treize. Cette pièce comporte dix personnages, dont quatre serviteurs qui participent très peu à l’action. Le personnel dramatique est assez important, mais il est réduit par rapport au nombre des personnages romanesques. Pourquoi les femmes de Pasithée se résument-elles à « Alerine » ? Pourquoi Pasithée n’a-t-elle plus qu’un seul prétendant ? Pourquoi Eurimédon est-il seul, sans les pirates qui devraient l’accompagner ? Cela pourrait suggérer que la pièce a été écrite pour une troupe précise. Dans deux scènes néanmoins les didascalies indiquent la présence de la « suite » des rois. Mais cela ne signifie pas que la troupe était plus grande, la suite pouvait être constituée par des figurants. Il est donc difficile d’affirmer catégoriquement que le dramaturge recherchait une esthétique plus sobre, mais il est remarquable qu’il aurait pu exploiter davantage l’abondance de personnel que lui permettait le roman. Dernier point, la recherche d’une certaine crédibilité semble se dégager de cette réécriture d’Ariane. Le personnage de Céliane permet de revenir au schéma de la pastorale, bien connu du spectateur. Tygrane résume la succession des prétendants, quelque peu outrée dans le roman. Mais la scène de la reconnaissance fait appel à un deus ex machina « laïcisé »69 qui est plus inattendu dans la pièce que dans le roman. L’apparente vraisemblance ne découlerait alors pas de la volonté du dramaturge, mais plutôt de la création de la chaîne amoureuse. Desfontaines adopte ce modèle certainement en fonction du contexte théâtral de l’époque. La structure de la pastorale, alors en vogue, l’a influencé lors de l’écriture de la pièce. Les modifications qu’il fait dans le sens de la vraisemblance sont plus à mettre au compte de son attention aux créations de l’époque, aux souhaits de son public qu’au compte d’une recherche de vraisemblance ou de crédibilité.

Ainsi, les modifications que Desfontaines amène ne sont pas unidirectionnelles. Des détails de l’adaptation – effacement de la durée, concentration des personnages – montrent que Desfontaines n’a pas choisi d’accentuer l’irrégularité de l’intrigue. Mais d’autres points, comme la scène de reconnaissance, créent des effets de surprise. L’adaptation épure sans effacer les rebondissements. Desfontaines paraît adopter une attitude relativement neutre, ou indifférente envers cette esthétique spectaculaire et irrégulière que lui offre la source romanesque. Vraisemblablement, c’est une histoire, un sujet, ou les jeux sur l’ambiguïté du langage qui l’intéressent. Il n’accentue ni n’efface l’irrégularité du roman. L’adaptation s’attache à restituer assez fidèlement une œuvre tout en l’infléchissant en fonction des goûts du public. Le choix du roman ne signifierait pas ici une revendication de l’irrégularité. Pourtant, les structures dramatiques, qui se caractérisent par l’extériorité et la réversibilité des événements, sont conditionnées par l’écriture du roman. Si le romanesque est en grande partie responsable de l’enchaînement et du choix des événements, appelant une esthétique spectaculaire et riche en rebondissements, il semble que la fidélité à la source et l’attention aux goûts du siècle, visible par le schéma de la pastorale, soient les principes ayant guidé le dramaturge dans cette création.

Étude de la pièce §

« Tragi-comédie », le choix du sous-titre §

L’étude Eurimédon ou l’illustre pirate se mènera au travers des notions d’extériorité et de réflexivité mises en évidence par H. Baby70. Mais ce ne sont peut-être pas ces caractéristiques qui ont incité Desfontaines ou Anthoine de Sommaville à sous-titrer « tragi-comédie » cette pièce. Dans un premier temps, nous examinerons les raisons qui ont pu leur faire choisir ce sous-titre. Nous reprendrons pour mener cette analyse les propos de G. Forestier dans Passions tragiques et Règles classiques, essai sur la tragédie française71.

G. Forestier cite la description que fait Guarini dans Pastor fido de la tragi-comédie :

Celui qui compose les tragi-comédies emprunte à l’une [la tragédie] ses illustres personnages, et non pas son action, une fable vraisemblable et non pas vraie, les émotions violentes mais retenues [dominées], la plaisir et non la tristesse, le péril et non la mort ; à l’autre [la comédie], le rire et non la vulgarité, les plaisanteries modestes, le faux obstacle, le dénouement heureux et surtout l’ordre comique.

Eurimédon correspond assez bien à cette définition qui constitue presque une justification du sous-titre. Cependant, la tragi-comédie de Desfontaines diffère de cette description en ce qui concerne « le rire et non la vulgarité, les plaisanteries modestes ». Certains passages de la pièce ont une tonalité farcesque qui a été d’ailleurs critiquée par les commentateurs du XVIIIe siècle72. Un roi colérique et fantasque, qui tombe amoureux d’un homme travesti qu’il vient de chasser, qui épie ces attitudes, cela ne semble pas être des « plaisanteries modestes ». Le rire est parfois provoqué par ces scènes de farce, mais il est fait aussi de dérision, de sourires du dramaturge à l’égard de ses personnages, comme dans les scènes de courtoisie où la maladresse d’Eurimédon prête à sourire, et le rire correspond en cela à l’évolution du genre comique lui-même. Il prend une forme assez originale, non univoque, dans cette tragi-comédie. Les autres aspects de la pièce rejoignent la définition de Guarini. Le personnel dramatique comprend des rois, des princes et une princesse, il y a péril sans qu’il y ait mort. Le péril est atténué par sa durée, relativement courte, dans le cas du duel, ou lorsqu’Eurimédon fuit les coups du roi. Le sujet de la pièce, l’amour, ressortit à l’esthétique de la comédie et la pièce s’achève en outre par un double mariage. Il y a des obstacles faux et artificiels que nous étudierons dans les parties suivantes. En observant le personnel dramatique, nous pouvons considérer que la pièce se rapproche de la définition que Plaute donne de la tragi-comédie. Rois et valets sont présents, mais un personnage passe d’un registre – le tragique – à un autre – le comique. Archelas est-il roi, barbon, ou matamore ? Cette tragi-comédie rend ses personnages ambivalents. La première pièce de Desfontaines peut ainsi suivre la définition que Plaute présente dans son Amphitryon. « Car faire d’un bout à l’autre une comédie d’un pièce où paraissent des rois et des dieux, c’est chose, à mon avis malséante. Alors, que faire ? puisqu’un esclave y tient aussi son rôle, j’en ferai, comme je viens de le dire, une tragi-comédie. »73. Enfin, Guarini parle d’« ordre comique », ce que G. Forestier explicite par le fait que la tragi-comédie a un « système de disposition dramatique qui emprunte à la comédie (la comédie à l’italienne) son mode de déroulement ab ovo. Quand commence l’action d’une comédie italienne, tout reste à faire »74. En effet, tout reste à faire, puisque le début de la pièce coïncide avec la rencontre d’Eurimédon et de Pasithée, et avec la naissance des sentiments.

Eurimédon doit sans doute sa dénomination de tragi-comédie aux caractéristiques mentionnées ci-dessus, mais il est d’autres principes dramaturgiques et esthétiques, l’extériorité et la réflexivité, qui rendent bien compte de la construction de la première pièce de Desfontaines comme du genre tragi-comique dans son ensemble.

Extériorité ou la tragi-comédie « à volonté » §

Le principe d’extériorité peut-il être considéré comme régisseur de l’action de cette pièce ? L’action d’Eurimédon s’organise-t-elle linéairement sans découler de la situation initiale ni des caractères des personnages ? Ce sont les termes employés par Hélène Baby dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault que nous reprendrons ici. Le chapitre 2 de la partie intitulée « Principes dramaturgiques » s’intitule en effet « Une dramaturgie de l’extériorité ». La typologie dressée par J. Morel, qui distingue tragi-comédie « de palais » et « de la route » correspond en fait, d’après Hélène Baby, à une même structure linéaire. Le palais revient à superposer dans un même lieu les événements qui se présentent successivement dans la tragi-comédie de route. H. Baby souligne l’importance des notions d’extériorité et de linéarité dans la construction. En effet, l’action tragi-comique a une structure linéaire ou contingente, les événements sont souvent extérieurs, gratuits, et ne viennent pas de l’intériorité des personnages. H. Baby distingue trois types de tragi-comédies. La tragi-comédie qui s’organise linéairement, ou tragi-comédie de route, la tragi-comédie d’intrigue, rare, qui combine les obstacles, et la tragi-comédie « à volonté ». Cette dernière catégorie, majoritaire, mêle les principes structurels de la route à l’unité spatiale. Eurimédon semble ressortir à ce dernier type, mais plusieurs scènes se passent sur une route : suivre un classement absolu est donc impossible. L’étude des principes dramaturgiques régissant l’organisation de la pièce nous montrera néanmoins de nombreux aspects de la tragi-comédie « à volonté », telle qu’elle est présentée par H. Baby. L’avancée de l’action est-elle due à la succession des événements ou à des enchaînements nécessaires ?

Route ou palais ? §

Sur les vingt-huit scènes, dix-neuf ont lieu à l’intérieur. Cette tragi-comédie serait donc plus de palais que de route. Une telle distinction est-elle pertinente lorsque les deux lieux sont représentés ? Des critères structurels ne seraient-ils pas plus judicieux pour rendre compte d’Eurimédon ? Pour cela, nous allons voir si l’organisation des actions diffère selon le lieu, si le palais favorise les enchaînements logiques des événements.

L’espace extérieur présenté dans la pièce ressemble bien à la route décrite par J. Morel. Elle permet une succession de rencontres et événements. Des scènes 3 à 5 de l’acte III, la pièce suit en effet le chemin d’Eurimédon. Il va découvrir Céliane dans cet espace indéfini, et tous deux y verront l’arrivée de Lysanor. H. Baby analyse ce lieu comme un espace neutre qui se substitue à la route. Il n’est pas explicitement dit que l’on se situe sur la route car les mentions géographiques restent floues. Ainsi, Céliane ne parvient pas à deviner d’où vient Lysanor : « D’où vient cet homme que je voy ? ». D’après H. Baby, « le lieu de la rencontre n’est pas précisé, il s’agit bien de cet espace neutre où convergent miraculeusement les chemins de tous les personnages. »75. Cet espace similaire à la route s’oppose sémantiquement, et non structurellement à la ville. Eurimédon est forcé de « s’en all[er] », chassé par le roi. Ce lieu fonctionne comme un espace de fuite de Mitylene et de la Cour. Eurimédon est banni du Palais, Lysanor en apporte des nouvelles et Céliane hésite à y entrer.

He bien cruel Amour que fera Celiane ?
Porteray-je l’enfer dans le ciel de Tygrane ?76

L’opposition route / palais se trace dans cette pièce du point de vue du signifiant. La route, c’est la liberté, l’espace où se retrouvent les victimes des injustices, tandis que la Cour correspond à l’autorité despotique du roi, à l’injustice. Ainsi la Cour est-elle « le ciel » de Tygrane, en d’autres termes, d’un traître. Pourtant, la liberté que procure ce lieu en dehors des murs de Mitylène permet aussi le duel et la mort, la route est donc ambivalente. Si ceci est vraisemblable et correspond à la situation contemporaine des spectateurs77, il s’ensuit néanmoins que l’espace extérieur peut être chargé négativement. L’antagonisme liberté / légalité ne peut se restreindre à une différence bien / mal. Cependant, le contraste de ces deux lieux paraît être plus sémantique que dramaturgique. En effet, si dans cet espace si semblable à la route, les rencontres sont dues au hasard et se présentent successivement, nous devons nous demander si la situation est différente à la Cour.

Il semble que le palais appelle une même structure dramaturgique. Les actions se succèdent, et les rares enchaînements logiques sont en fait des successions temporelles. Ainsi, l’arrivée de Tygrane à la scène 2 de l’acte II est certes une conséquence de l’acte I, où il a appris que Pasithée était sauvée. Son entrée vient interrompre la conversation des héros, mais rien n’indique que cela soit intentionnel. Il cherche avant tout à se faire pardonner son retard, et vient après avoir appris la libération de la princesse. L’arrivée de Falante, à la première scène de l’acte IV, est comparable. Elle est assez logique puisqu’il doit faire le compte-rendu de la bataille au roi, mais l’enchaînement est strictement temporel. La scène suivante, dans laquelle « Hermionne » amène la tête d’Araxés, suit ce même ordre chronologique. Ces enchaînements sont temporels. Trois rencontres sont surprenantes au Palais parce qu’elles relèvent de la coïncidence ou paraissent purement arbitraires. En cela, elles sont comparables aux rencontres qui se produisent sur la route. Un événement s’ajoute à l’action en cours, il n’en découle pas. Ainsi l’arrivée du roi se superpose au baiser des héros (III, 3), Céliane entre sur scène au moment où Tygrane en sortait (V, 2) et l’arrivée de Melinte (V, 3) amène un nouvel élément à l’action. La coïncidence ou le deus ex machina montrent combien les avancées de l’action sont dues à des éléments arbitraires, que ce soit dans le Palais ou sur la scène.

De la route au palais, les événements se succèdent sans être plus liés en un lieu que dans l’autre. L’usage de cette classification paraît rendre difficilement compte de la spécificité de cette pièce, d’autant que les deux lieux sont bien représentés.

Une structure linéaire : des actions coordonnées par le hasard §

Extériorité des événements §

Les événements qui structurent la pièce sont-ils combinés ou ont-ils lieu successivement ? Se déduisent-ils les uns des autres ou sont-ils inattendus ? L’esthétique de cette tragi-comédie se détache radicalement des critères qui s’établissent dans la deuxième partie du siècle. Aristote, dans la Poétique écrit qu’« il y a une grosse différence entre le fait que ceci ait lieu à cause de cela et le fait que ceci ait lieu à la suite de cela. »78, et il préfère le premier mode d’enchaînement, qui sera favorisé dans les créations classiques. Nous allons étudier les péripéties de l’intrigue, au sens de « retournement de l’action en sens contraire » pour voir si elles se produisent « selon la vraisemblance ou la nécessité » ou si, au contraire, c’est l’ajout d’un événement extérieur qui permet les revirements.

Nous allons utiliser les termes d’événement extérieur et d’événement intérieur pour comprendre comment les péripéties se positionnent les unes par rapport aux autres. Nous comprendrons par événement intérieur tout ce qui peut découler de la situation initiale et des caractères des personnages, l’événement extérieur désignant tout élément s’ajoutant à cette situation. Cette première définition de l’événement extérieur est assez restreinte et nous pourrons l’élargir à tout ce qui est simplement annoncé dans la situation initiale sans que cela prête nécessairement à conséquence. À quoi sont dus les péripéties et revirements ? S’ils ont lieu à cause d’un événement extérieur, doit-on en déduire qu’ils sont combinés ? Il conviendrait d’observer avant cela si les événements extérieurs ont lieu à la suite d’un événement intérieur ou à cause de celui-ci. L’intervention d’un élément inattendu constitue en soi un élément d’extériorité qui, même s’il permet une suite logique d’actions, demeure arbitraire.

Si l’on prend la notion d’événement extérieur au sens strict, c’est-à-dire « tout élément s’ajoutant à la situation initiale », ce type d’action se trouve en nombre assez réduit. En effet, nous pouvons placer la limite finale de l’exposition à la fin de l’acte I car c’est à ce moment que l’identité de tous les personnages principaux est connue et que le schéma de la chaîne amoureuse est élaboré. Considérant que tout l’acte I donne la situation initiale, les péripéties surprenantes et inattendues se trouvent être l’attaque d’Araxés et l’arrivée de Melinte. Araxés revenant pour enlever Pasithée par les armes, voici un épisode qui constitue bien une péripétie. Pour l’illustre pirate, cette action constitue un passage du malheur de la séparation au bonheur du rapprochement. Pour le roi, c’est le mouvement inverse qui se produit. L’annonce que fait Lysanor montre combien cette péripétie arrive ex abrupto. Le roi et Pasithée retournent à une situation identique à ce qui a précédé le début de la pièce puisque la fille du roi est menacée et Eurimédon hors course. Ce revirement qui ramène au début est fortement souligné par les termes de Lysanor.

Sçachez que d’Archelas les malheurs redoublez
Ont rendu le cahos à ses Estats troublez :
Depuis vostre depart l’Infante est prisonniere,
Araxés animé de sa flame premiere,
Avec mille Guerriers dans l’Isle descendu79

Concernant Araxés, il est vrai que l’existence de ce personnage est connue, de même que sa malveillance. Mais rien ne laissait prévoir qu’il serait suffisamment armé pour pouvoir attaquer l’île de Lesbos, ni même qu’il projetterait d’attaquer le royaume. Ce rebondissement entraîne à sa suite, logiquement, un certain nombre d’actions, mais s’il est intégré a posteriori dans l’action, il ne l’est pas auparavant, et constitue en cela un remarquable élément d’extériorité. L’arrivée de Melinte est certainement le revirement le plus surprenant de la pièce. Il évite la mésalliance, favorise une conclusion heureuse, est partiellement responsable du passage au bonheur final.80 Il n’est pas annoncé dans la situation initiale. Tout au plus, le spectateur, connaissant les rouages dramaturgiques de l’époque, aura-t-il reconnu le prince sous l’habit du pirate, mais rien n’annonce la forme que prendra la révélation de la noblesse d’Eurimédon. Melinte, deus ex machina « laïcisé » selon la formule de J. Scherer81, est complètement étranger à l’action de la pièce, son arrivée n’a pas lieu à cause d’un événement intérieur, il surgit du néant pour permettre le mariage final. Deux événements dont dépend le devenir de l’action sont strictement extérieurs.

Le sens strict de la notion d’événement extérieur nous empêcherait d’y inclure l’arrivée de Céliane. En effet, le spectateur connaît son existence dès la fin du premier acte. Devinant que le schéma de la pastorale va s’établir, la venue de Céliane ne constitue pas pour lui une surprise proprement dite. Mais cette apparition est bien un renversement de situation dans la mesure où la présence de Céliane va à terme anéantir l’obstacle que constitue Tygrane, et, dans un premier temps, éviter un duel à Eurimédon. C’est cet événement qui nous incite à considérer plus largement la notion d’extériorité. Si Céliane est annoncée, son arrivée ne s’explique pas à cause de l’action de la pièce. Sa venue est due à l’abandon de Tygrane, donc elle se produit à cause d’un élément antérieur à l’action. La cause de sa venue ne s’insère donc pas dans l’action dans la pièce : Céliane vient donc de l’extérieur si l’on se réfère à la situation d’Eurimédon. En outre, son arrivée se place à la suite du monologue de Tygrane et non à cause de ses propos. La notion d’extériorité caractérise la plupart des revirements de cette pièce dans la mesure où les causes des renversements de situation viennent de personnages inconnus comme Melinte ou inattendus comme Céliane et Araxés.

Une autre cause des renversements de situation est le hasard qui se manifeste à plusieurs reprises dans cette pièce sous la forme de la coïncidence. Le hasard constitue un agent qui ne dépend ni des actions précédentes ni des caractères des personnages. Il contribue à faire de cette écriture une dramaturgie de l’extériorité et de la gratuité. Premiers faits relevant du hasard et non de la coïncidence, les deux victoires d’Eurimédon sur Araxés. Elles lui permettent d’obtenir la confiance de Pasithée et du roi, l’action se retourne par deux fois en la faveur d’Eurimédon en vertu du hasard. Néanmoins cette affirmation est à nuancer car le statut de héros ne lui permet pas de perdre une bataille. Une multitude de faits plus ou moins importants sont dus au hasard. L’action rebondit et démarre par des coïncidences. La plus dramatique a lieu à la scène 3 de l’acte III, lorsque le roi surprend le baiser qu’Eurimédon déposait sur le sein de Pasithée. Ici, la coïncidence amène un renversement durable de l’action, puisque le roi va bannir Eurimédon et enfermer Pasithée. Mais toutes les rencontres sont le fait de coïncidences. Ainsi, Eurimédon s’approche de la côte au moment où Pasithée est enlevée, le roi s’achemine vers le rivage au moment où sa fille débarque, Céliane se trouve sur le chemin d’Eurimédon, tous deux rencontrent Lysanor sans qu’un rendez-vous ait été fixé, Céliane rencontre le page qui cherche Eurimédon avant que celui-ci ne le trouve, et elle a la chance de ressembler à Eurimédon, Tygrane sort d’une salle au moment où Céliane y entre, ce qui fait croire à celle-ci qu’il la fuit. Les coïncidences sont donc multiples et sont des vecteurs de l’avancée de l’action. Desfontaines souligne le caractère inexplicable de l’arrivée du roi sur le rivage par ces vers que le roi prononce lui-même :

Falante : je ne sçay quelle secrette joye
Avecque ce vaisseau la fortune m’envoye ;
Mais je me sens forcé malgré mon desespoir
De l’aller dans le port moy-mesme recevoir.82

Ces vers qui mettent ce déplacement au compte d’une joie mystérieuse l’expliquent-ils ou en soulignent-ils le caractère incongru ? Les autres rencontres ne sont pas justifiées, si ce n’est celle de Lysanor à la scène 5 de l’acte III. Eurimédon explique cette arrivée en disant qu’elle était prévue :

C’est mon cher Lysanor qui vient de Mitylene
Où je l’avois laissé pour sçavoir de ma Reyne
Ce que de mon amour je devois esperer,
Et s’il m’estoit permis de vivre, ou d’expirer.83

Cette précision pourrait laisser penser que déjà dans la première scène, Desfontaines justifiait l’incongruité de la rencontre. Néanmoins, en l’absence d’un nombre d’exemples important, il est difficile de l’affirmer. La surprise de Céliane et l’étonnement du roi face à son propre comportement nous permettent même, au contraire, de renforcer l’idée que l’extraordinaire et le hasard, agissent ici sur les personnages et l’action.

L’action évolue donc au gré d’éléments extérieurs, qu’il s’agisse de personnes ou plus abstraitement du hasard. L’esthétique de Desfontaines suit en cela l’esthétique de la tragi-comédie de la première moitié du siècle. Les événements de la pièce semblent adopter la structure suivante : un événement extérieur à l’action suit chronologiquement un événement de l’action – ou événement intérieur – et l’événement extérieur permet ensuite pendant quelque temps des enchaînements logiques de cause à conséquence. C’est bien une dramaturgie de l’extériorité qui se déploie dans Eurimédon.

Les rares enchaînements logiques §

Dans la partie précédente, nous avons cherché à établir de quelle manière les actions étaient coordonnées. Il en résultait le schéma suivant : Événement intérieur → succession temporelle → Événement extérieur → relation de cause à conséquence → Événements suivants, intérieurs. Des enchaînements logiques ont ainsi parfois lieu, mais ils restent assez rares. Nous allons restreindre notre étude aux changements de scènes, puisque une scène correspond la plupart du temps à une unité d’action, et nous tâcherons de mesurer la part de logique dans ces enchaînements.

Lorsque le lieu ne change pas, les enchaînements paraissent logiques. Les scènes sont alors justifiées par les entrées et personnages. Avant cela, il convient d’observer que le changement de lieu entre deux scènes se produit à six reprises84, autrement dit, les transitions rompent six fois la logique fictionnelle. La scène 3 de l’acte III suit le chemin d’un personnage, ce qui amène nécessairement un changement de lieu, mais, c’est un cas unique dans la pièce85, sans provoquer de rupture. Nous observons ensuite que dans un même endroit les changements de scènes sont dus à la venue ou au départ d’un ou plusieurs personnages. Ces mouvements sont, comme nous l’avons montré ci-dessus, souvent dus à des coïncidences. Ainsi, les transitions qui semblaient logiques sont en fait chronologiques, ou dues au hasard. Restent les huit cas où un personnage en cherche un autre86. Là, une scène semble avoir lieu à cause de la précédente.

Donc la logique n’est pas absente, mais elle n’est pas nécessaire. Les scènes peuvent se succéder sans aucune logique, changer de lieu, de personnages, et peut-être même de temps. En effet, sommes-nous sûrs que l’arrivée de Céliane se produit après la rencontre de Tygrane et d’Eurimédon ? Pouvons-nous affirmer que Pasithée accepte l’enlèvement après que Melinte a rencontré le roi ? Le dramaturge n’est pas soucieux de justifier les ruptures de scènes87 et crée délibérément des contrastes forts.

Eurimédon utilise donc une structure linéaire dans laquelle l’enchaînement des actions est temporel, arbitraire. Cette pièce relève d’une dramaturgie qui exploite l’événement extérieur. Est-ce une façon de mettre en scène l’arbitraire même ?

Célébration de l’arbitraire §

Les invraisemblances §

Les nombreuses invraisemblances sont-elles à mettre au compte d’une esthétique qui célébrait l’arbitraire et le spectaculaire ? L’invraisemblance la plus magistrale a lieu lorsque les personnages ne reconnaissent pas Eurimédon sous l’apparence d’Hermionne. Ils remarquent une légère ressemblance avec Eurimédon mais les explications de ce dernier suffisent à effacer leurs doutes. Ainsi, Falante prévient le roi de la ressemblance frappante de l’amazone avec Eurimédon, mais cela n’inquiète pas le roi, puisque « Hermionne » prétend n’avoir jamais entendu parler d’Eurimédon. Même Pasithée est mystifiée parce que « Hermionne » affirme être la sœur d’Eurimédon. C’est précisément ce type d’invraisemblance que La Mesnardière va critiquer dans sa Poétique88. Comment une jeune fille ne reconnaîtrait-elle pas son amant sous un costume ? Il est pourtant impossible de porter cela au nom d’une négligence de Desfontaines. Le déguisement était une convention que les critiques de La Mesnardière ne sont pas parvenues à défaire, comme le signale G. Forestier dans l’Esthétique de l’identité89, puisque cette règle n’a pas été reprise par d’Aubignac. Certes, de telles scènes sont totalement invraisemblables, d’autant plus que la seule personne à reconnaître Eurimédon sous son déguisement est son frère, qu’il n’a pas vu et qu’il n’est pas censé connaître dans la pièce.90 Mais ces invraisemblances montrent le degré de convention qui régissait la représentation théâtrale à l’époque. Le costume est un signe qui suffit pour que les autres personnages ne pensent pas avoir Eurimédon sous leurs yeux. Le déguisement fonctionne par convention, l’invraisemblance ressortit à une esthétique qui connaît, reconnaît, et joue avec les règles de la représentation théâtrale. Tout le déguisement de Céliane appelle le même commentaire.91

Autre point sujet à caution, Pasithée accepte d’être enlevée par Eurimédon qui n’est officiellement qu’un pirate. Cette pratique est courante dans le roman de Desmarets puisqu’Ariane procède de même avec Melinte. Si l’on se tenait du point de vue des bienséances, un tel comportement serait très surprenant de la part d’une fille honnête et de sang royal. Du point de vue de la logique même, cette décision amène une fuite et non une résolution de l’obstacle. Et la princesse en a conscience puisqu’elle déclare :

Mon honneur ne sçauroit se sauver en ma fuitte,
Et quand bien je serois hors des terres du Roy
J’aurois tousjours en suitte et l’horreur et l’effroy.92

L’argument d’Eurimédon, « le temps adoucira la colère de votre père », paraît ici un peu faible. Dans cette pièce, on voit à quel point les invraisemblances de la tragi-comédie viennent des schémas romanesques en vigueur, puisque c’est effectivement du roman que vient l’idée de l’enlèvement.

La pièce multiplie les invraisemblances, et relève d’une esthétique du spectaculaire. Nous n’en avons analysé que deux, mais nous aurions aussi pu observer les victoires aisées du pirate, le deus ex machina, Tygrane abandonnant aisément Pasithée… La part d’arbitraire que comportent ces incohérences ne saurait être inconsciente, puisqu’elle découle du choix du sujet et de la source. Choisir un roman et écrire une tragi-comédie, c’est accepter l’invraisemblance et l’arbitraire.

Un personnage décide pour l’ensemble §

Un seul personnage décide du devenir des héros. L’obstacle qui s’oppose à leur bonheur est double. D’une part, Pasithée a déjà un prétendant en la personne de Tygrane, et en outre la naissance d’Eurimédon empêche au roi de lui accorder sa main. Pourtant, ces deux obstacles levés, le roi étant engagé par deux promesses envers Eurimédon, il refusera toujours d’autoriser le mariage. Le bonheur des héros ne dépend donc ni des conventions sociales ni de l’absence de rival, mais du bon vouloir d’un seul personnage, le roi Archelas. Le roi étant ridiculisé dans la pièce, il n’y incarne pas la Raison ou la Justice. Le sort des amoureux dépend d’une volonté arbitraire. C’est donc l’aspect hasardeux du devenir, du destin et du bonheur qui est mise en scène ici. En suivant le cours de la pièce, il est remarquable que le bonheur ou le malheur des amants est tributaire de ce personnage.

Nous allons relever tous les changements de l’équilibre des adjuvants et opposants, qui mettront en évidence que, quels que soit les faits et personnes jouant en faveur des héros, ces derniers sont tributaires de la volonté du roi.

Acte I scène 5 : situation initiale, pas d’obstacle, la tension s’élève à la fin de l’acte avec l’apparition de Tygrane, mais la situation reste favorable aux héros.


Personnages Faits
Adjuvants Archelas
Araxés
Eurimédon a sauvé Pasithée
Opposants Tygrane Naissance d’Eurimédon
Pasithée fiancée à Tygrane ?

Acte III Scène 2 : le baiser surpris par le roi est un prétexte à sa colère. Ce soudain revirement sépare les amoureux.


Adjuvants Céliane
Araxés
Eurimédon a sauvé Pasithée
Opposants Tygrane
Archelas
Naissance d’Eurimédon
Pasithée fiancée à Tygrane ?
Eurimédon a embrassé Pasithée

Acte IV Scène 2 : le renversement possible – Eurimédon ayant gagné la main de Pasithée par sa bravoure – est anéanti par le déguisement d’Eurimédon car le roi ignore son exploit, et, s’il est favorable à Hermionne, il ne l’est pas à Eurimédon.


Adjuvants Céliane
Araxés
« Hermionne »
Eurimédon a sauvé Pasithée
« Hermionne » a sauvé le pays
Opposants Tygrane
Archelas
Naissance d’Eurimédon
Pasithée fiancée à Tygrane ?
Eurimédon a embrassé Pasithée
Eurimédon déguisé en femme, donc le roi ignore qu’il a sauvé le pays

Acte IV Scène 2 : l’obstacle « Tygrane » est évincé car il se révèle avoir été parjure et être déjà engagé auprès de Céliane. Un obstacle est levé, mais Archelas s’oppose toujours au bonheur des héros.


Adjuvants Céliane
Araxés
Eurimédon a sauvé Pasithée
« Hermionne » a sauvé le pays
Tygrane est fiancé
Opposants Tygrane
Archelas
Naissance d’Eurimédon
Eurimédon a embrassé Pasithée
Eurimédon déguisé en femme

 

Acte V Scène 5 : Archelas hésite, et l’issue heureuse est suspendue à sa décision. Le déguisement a été dévoilé, ce qui est à double tranchant : le roi sait qu’il est une deuxième fois redevable à Eurimédon, mais celui-ci l’a trompé et ridiculisé par ce travestissement. L’illustre extraction d’Eurimédon lui ôte tout argument, mais sa volonté hésite encore quelque peu.


Adjuvants Céliane
Araxés
Tygrane
Melinte
(Archelas)
Eurimédon a sauvé Pasithée
Eurimédon a sauvé le royaume
Tygrane est fiancé
Eurimédon est prince
Opposants (Archelas) Pasithée fiancée à Tygrane ?
Eurimédon a embrassé Pasithée
Eurimédon s’est déguisé en femme

L’obstacle de la naissance levé, rien ne devrait laisser Archelas s’opposer au mariage. En effet, si les audaces du jeune pirate peuvent encore justifier sa colère, d’autant qu’il est risible qu’un roi soit tombé amoureux d’un homme travesti, le roi ne peut néanmoins pas compter pour portion négligeable le fait que le jeune pirate – maintenant roi – lui a par deux fois rendu service. La générosité d’un roi ne devrait pas permettre un refus, qu’Archelas se permet sur quelques vers. Comment expliquer cette obstination ? Desfontaines a pu vouloir ridiculiser davantage le roi, faisant de lui un barbon têtu. Ce personnage contribue à développer la dimension comique de la pièce, présente dans cette tragi-comédie à la différence d’Orphise ou de La suite du Cid. Mais ce choix dramaturgique renforce encore le sentiment que les actions sont arbitraires, ou dues au hasard. Cette volonté vacillante et fantasque, détachée de la réalité des faits, contribue largement à faire de la dramaturgie de cette pièce un sensible exemple d’une écriture consciente de son caractère arbitraire.

Le cas particulier du dénouement §

Le dénouement renforce encore la gratuité des événements de cette tragi-comédie. L’invraisemblance de la reconnaissance finale, le deus ex machina à peine voilé, et les deux issues suggérées sont autant de signes de l’artificialité des actions et des rebondissements.

La reconnaissance finale est manifestement invraisemblable. En effet, comment Melinte peut-il reconnaître, sous un déguisement de femme, son frère qu’il n’a jamais vu ? Pourquoi Eurimédon ne renouvelle-t-il pas son discours qui contribuait si bien à le dissimuler ? On pourra objecter que la lecture d’Ariane lève ces invraisemblances. Pourtant, Desfontaines n’a pas choisi de faire figurer sur la scène les informations qui rendraient ce dénouement vraisemblable. Nous ne pouvons trancher et affirmer s’il s’agit d’une négligence ou d’une volonté expresse du dramaturge. Nous soulignons simplement le fait qu’effacer ces explications revient à utiliser la technique du deux ex machina « laïcisé »93. Certes, Melinte justifie sa venue en prétextant qu’« Eurimedon n’ayme rien que la guerre, » aussi il a « creu le rencontrer en cette heureuse terre ». Mais rien dans la pièce n’annonce qu’Eurimédon ait un frère. Le dénouement au sens strict se présente comme purement arbitraire et obéissant aux lois de la fiction. Roi fantasque et frère inconnu sont les personnages permettant la résolution, laquelle ne doit rien aux manœuvres ni aux caractères des héros. Mais cette conclusion paraît plus encore procéder d’un libre choix du dramaturge, indépendant des actions qui précèdent, si l’on observe le cinquième acte dans son intégralité.

Car ce n’est pas un dénouement, mais bien deux issues que Desfontaines offre à son public. La scène de l’enlèvement de Pasithée, seulement projeté sans être réalisé, propose une autre conclusion. Mais à quoi attribuer cette digression ? Est-ce une volonté de « coller » le plus possible au roman ou est-ce pour créer un effet de surprise ? En effet, l’arrivée du frère est antérieure à ce passage, donc on devine que la reconnaissance va avoir lieu, d’autant qu’une fin de ce type est courante. Placer cette scène dans le déroulement du vrai dénouement, ce peut être une manière de rappeler, de citer et de rendre hommage au roman. Pourtant, la conclusion de la pièce n’est pas l’enlèvement mais la reconnaissance de l’identité illustre d’Eurimédon, ce qui crée, dans une certaine mesure, de la surprise. Et l’analyse des dénouements établie par H. Baby, dans La Tragi-comédie de Corneille à Quinault94, montre que la tragicomédie revendique la liberté de prolonger le dénouement artificiellement. Le vrai dénouement est déjà connu mais il est retardé par un autre dénouement possible. Pourtant, ce retard ne permet qu’une scène supplémentaire. Mais il est vrai que le cinquième acte est déjà le plus court, et qu’il aurait été extrêmement mince sans cet ajout. Un effet de surprise ou de suspension est recherché, le prétexte étant le roman.

Le dénouement, par son effet de suspension, par le deus ex machina, et par son invraisemblance démontre donc à quel point cette dramaturgie se présente comme une mise en scène de l’arbitraire.

Eurimédon ou l’illustre pirate célèbre donc l’arbitraire de la création artistique, le met en scène et en joue avec dérision. Ainsi, cette pièce exploite le thème de la réversibilité des choses.

La psychologie des personnages est secondaire §

L’intériorité n’influe pas sur action §

Les revirements de l’action sont-ils dus aux pensées intérieures des personnages ? Nous avons décrit cette dramaturgie comme une dramaturgie de l’extériorité, mais il convient, pour affirmer et poser ce propos, de considérer les sentiments des personnages et de mesurer leur portée sur les péripéties.

Les héros, par leur constance et leur fidélité, ne semblent pas susceptibles de provoquer des bouleversements de l’action. Tendant toujours vers le même but, leur attitude est constante et leurs actions contribuent à l’avancée, à la réalisation de leur projet. Du moins en ce qui concerne Eurimédon, car la figure féminine de Pasithée ne lui permet pas d’être active. C’est donc la valeur seule d’Eurimédon qui provoque des avancées. En effet, gagnant les deux batailles qui lui sont proposées, il se rapproche de la princesse. Ce n’est pas son intériorité qui provoque ces rebondissements. Ces décisions, ses réflexions sont univoques et n’influent sur le cours de l’action qu’en ce qu’il est d’une détermination sans faille pour se rapprocher de la princesse. Il est donc possible d’affirmer que l’intériorité des héros est indépendante des rebondissements de l’action parce que les rebondissements, passage du malheur au bonheur ou réciproquement, ne peuvent être causés par des être constants. Ce sont les actions des autres personnages qui peuvent influer négativement. En outre, le fait qu’Eurimédon, par ses actions, favorise son amour, est plus à porter au compte de ses qualités – courage, force – que de son intériorité. Les pensées d’Eurimédon ne varient pas. Un passage s’accorde moins à cette description, celui où Céliane exhorte le pirate à reprendre courage et à persister pour obtenir la main de Pasithée (III, 4).

Au contraire cherchez le chemin de la gloire
Plustost que d’offencer vostre illustre memoire,
Et ne permettez pas que les traicts du malheur
Demeurent triomphans d’une insigne valeur,95

Mais il s’agit là d’un lieu commun romanesque, le héros désespère et souhaite mourir plutôt que d’être séparé de son amante. Il n’a pas changé de sentiments, son intériorité n’est pas atteinte, il correspond toujours à la définition de l’amoureux. Qu’une femme pousse l’homme au courage et à la bataille ajoute une dimension comique au passage, et fait d’Eurimédon une sorte d’anti-héros sur quelques vers. Ce n’est pas un revirement des sentiments mais un revirement dans l’ardeur belliqueuse qui est mis en scène, et on voit bien, par la présence même du personnage de Céliane, que les changements de décisions – fuir ou revenir – sont dus à des personnages extérieurs, le roi ou Céliane. Les pseudo conversions sont en fait mues par des forces extérieures, par des personnages extérieurs, ce qui prouve encore que l’intériorité des personnages n’est pas une source de rebondissements. Les pensées des héros ne semblent pas être indépendantes de l’action, au contraire, elles semblent être poreuses. Elles n’ont pas une consistance assez solide pour constituer à elles seules le socle de l’action, elles se laissent moduler par elle, mais les sentiments, eux restent fermes et ne peuvent pas, non plus, être source de rebondissements pour l’action. Aussi l’intériorité des héros ne peut-elle constituer l’action de la pièce. Dès lors, le dramaturge doit faire appel à des mobiles d’action indépendants.

Tygrane, le rival, a des sentiments qui varient. Il passe de l’opposition à la neutralité. Son attitude de rival était celle d’un opposant passif puisque rien ne spécifiait qu’il était favori auprès du roi. La seule démarche active qui faisait effectivement de lui un opposant était le projet de duel, qui échoua puisqu’il se trompa de cible. Son revirement sentimental provoque une péripétie mais elle est due à un élément extérieur, la venue de l’amante délaissée, Céliane. Il est forcé de reconnaître sa faute et d’abandonner Pasithée. Il devient donc neutre, ou, pour reprendre l’analyse d’H. Baby, il passe d’« un schéma actanciel à un autre : il devient sujet dans une autre relation amoureuse. ». Nous retrouvons un schéma fort utilisé dans lequel « le change dépend de la rencontre avec autrui, c’est-à-dire encore une fois d’un élément extérieur ».96 Ce revirement sentimental n’empêche pas l’extériorité. C’est aussi ce qu’on observe avec le roi. Archelas, inconstant et fantasque, provoque lui aussi des péripéties. Pourtant, ces changements ne sont pas dus à un parcours intérieur ni à une réflexion ou à des déchirements internes. Ce sont des événements extérieurs associés à son caractère fantasque qui le mènent à la fureur comme à l’amour. En l’aidant, Eurimédon gagne par deux fois sa sympathie, et, se permettant d’embrasser sa fille, il obtient la haine. Le caractère entier du roi ne permet pas de le montrer en délibération ni en hésitations. Ces changements d’avis sont brusques, ils ne viennent pas de ses hésitations. Les revirements de situation sont dus à des mouvements d’humeur du roi, aussi il n’y a pas à proprement parler « intériorité », puisqu’il n’y a pas de « progression intérieure »97. C’est la nature du roi qui l’amène à changer constamment d’avis, et sa volonté est dirigée par son caractère.

Aussi, force est de conclure, avec H. Baby, que les revirements qui paraissent intérieurs incombent en fait à des événements extérieurs, aux actions des autres personnages ou aux faits. L’intériorité des personnages ne gouverne donc pas l’action.

Valeur lyrique des sentiments ? Étude des stances et monologues §

Si les sentiments des personnages ne servent pas l’action, leur valeur est peut-être à chercher dans l’émotion esthétique qu’ils visaient à susciter dans le public. Les stances et monologues sont les lieux privilégiés de l’expression des sentiments, c’est pourquoi nous nous appuierons sur ces passages pour comprendre quelle peut être la place des sentiments dans cette tragi-comédie. En observant les monologues et les passages de stances, nous remarquons que les stances seules n’ont pas de rôle dans l’action. En effet, les monologues ont souvent une valeur explicative, ou servent à révéler les intentions cachées ou les caractères réels des personnages, ou servent, pour le monologue de Céliane (II, 5), à la délibération et à rendre crédible la venue d’un autre personnage. Ainsi, le premier monologue de Tygrane (II, 3) a pour but de lui faire formuler le projet de tuer Eurimédon et ce passage montre également son orgueil extrême, le spectateur se rend compte que le rival est plus blessé dans son amour-propre que dans son amour. Les propos que Céliane se tient avant d’arriver à Mitylène (II, 4) permettent d’expliquer qu’une femme se cache sous cet habit masculin, le monologue s’attarde un peu sur ses sentiments pour Tygrane, mais ce n’est pas la seule fonction de ce discours, qui par sa valeur explicative, permet d’annoncer l’action. En revanche, les stances ne font que reprendre des éléments de l’action déjà mentionnés et constituent dans cette pièce le lieu privilégié de la déploration. Les stances d’Eurimédon (III, 3) en sont un exemple, elles lui permettent d’exprimer sa colère contre l’injustice et l’ingratitude, incarnées ici par le roi. Eurimédon s’illustre dans le maniement de l’ironie et du double sens si bien qu’il abandonne les stances au profit d’un monologue ironique contre le sens des valeurs du roi.

Que Tygrane a bien faict ! que sa valeur est rare !
Qu’il a bien merité l’honneur qu’on luy prepare !
Qu’il a diligemment suivy le ravisseur
De l’objet dont on veut le rendre possesseur !

Ce passage des stances à l’alexandrin montre que les stances ne peuvent recevoir de critiques aussi mordantes et que Desfontaines les réservaient à l’expression de la tristesse. Eurimédon fait état de sa lassitude de voir que le sort s’acharne sur lui. Son propos est assez général des vers 789 à 800, c’est-à-dire sur trois des cinq strophes. Puis il fait allusion à l’injustice au vers 802, et se fait plus précis dans les vers suivant. Dans la dernière strophe, sa déploration rappelle avec plus de précision le rôle de la rigueur d’un père dans son malheur, et son amour pour Pasithée. C’est ce souvenir qui alimente une colère qui l’amène à parler avec ironie du roi en dehors des stances. Ainsi, la colère l’amène à abandonner les stances. La déploration de Pasithée (III, 6) fait plus précisément le compte-rendu des faits, et les détaille, ce qui est de nature à appeler l’émotion et la pitié. Ses stances pourraient avoir quelque lien avec l’action dans les deux dernières strophes où Pasithée se résout à mourir, mais retarde sa mort en espérant un miracle. Le lien à l’action est donc annulé par cette précaution, puisque le spectateur sait qu’Eurimédon est « de la partie », et gagnera donc la bataille. Ainsi les deux passages de stances sont réservés au héros, les autres personnages n’ayant que des monologues. Ces discours ne sont indépendants de l’action que dans les stances, où l’aspect lyrique de la déploration domine. Les sentiments exprimés dans les stances ne servent pas à faire progresser l’action, ils n’apportent aucune nouvelle information. Les stances sont un passage attendu du public, en ce qu’elles sont le lieu de l’expression pure des sentiments malheureux. Ces derniers sont exploités pour leur lyrisme et non pour leur capacité à faire avancer l’action, ce qui est assez logique, puisque, comme nous l’avons vu, les sentiments des héros sont constants.

L’autre lieu d’expression des sentiments, c’est le dialogue amoureux. Il est ici univoque, et indépendant de l’action, ce qui montre que Desfontaines a choisi d’exploiter l’aspect poétique des sentiments. Une scène constitue réellement un dialogue amoureux, celle de la déclaration, (II, 1). Cette scène est liée à l’action, puisque sans l’amour de Pasithée, Eurimédon ne peut chercher à poursuivre son but. Ce passage insiste sur l’émotion d’Eurimédon qui met par contraste en relief la litote de Pasithée « Esperez ». En effet, le vers se fragmente, les vers 401 à 404 se divisent en 9 répliques qui sont le vecteur des paroles hésitantes d’un héros troublé. La venue de Tygrane (II, 2) contrarie ensuite ce duo d’amoureux. Eurimédon a une réplique étrange. Après que Pasithée ait affirmé qu’elle sait ses défauts, Tygrane en profite pour glisser un compliment,

Si c’est par le miroir apprenez qu’il est faux,
Et qu’inutilement vous consultez sa glace
S’il ne vous y fait pas remarquer votre grace.98

Ce à quoi Eurimédon répond :

Il a pour ses attraits trop de fidelité.

Ce vers est bivalent. Il peut parler de la beauté de Pasithée en signifiant que le miroir est trop fidèle pour ne pas lui laisser voir sa beauté, ou, par le biais de l’adjectif « trop » montrer que la princesse est quelque peu fière de son physique. C’est ce dernier sens que Pasithée comprend, et elle s’en étonne avec ironie :

Et vous pour me flatter trop de civilité :

Puis avec animosité :

Quoy donc apres la paix, vous me donnez la guerre ?
Vous me sauvez en mer, et m’attaquez en terre ?
Desirez-vous encore un triomphe nouveau ?

Nous pouvons nous interroger sur le sens des propos d’Eurimédon. Pourquoi Desfontaines lui fait-il prononcer une phrase si ambiguë ? Peut-être est-ce un moyen de montrer qu’il lui reste de son éducation des fragments de maladresse et de naïveté. Ce héros n’est pas rompu aux règles de la courtoisie ni aux jeux d’esprits d’une cour qui est plus contemporaine de l’auteur que des personnages. L’illustre pirate demeure quelque peu sauvage. Cette réplique pourrait être comprise comme un trait d’ironie du dramaturge qui porte un regard amusé sur le héros parfait malgré son absence d’éducation. La méprise et les jeux sur l’ambiguïté se poursuivent avec la réponse du corsaire :

Non je veux ma deffaite en un combat si beau.

Là encore, deux sens en un vers. Eurimédon veut être blessé par l’amour de Pasithée tandis que celle-ci lui reproche :

Vous ne prendrez donc pas le soin de vous défendre.

La princesse exprime sa déception à voir Eurimédon peu soucieux de remporter son cœur. Ainsi, l’irruption du rival amène l’ironie, les pointes, la stichomythie, de la vivacité d’esprit là où l’émotion était présente à son état naturel. Ces deux scènes, séduction dans l’intimité et le naturel, séduction en public et par l’esprit, donne deux versions de l’intelligence amoureuse et de l’expression des sentiments. Cependant, elles ne sont pas coupées de l’action puisque la déclaration d’amour, comme la révélation de l’amour aux yeux du rival lui sont nécessaires. L’expression des sentiments par des scènes dialoguées a un rôle dans l’action dans la mesure où elle permet de poser la situation initiale. Ces scènes expriment et posent le sentiment amoureux en visant à faire ressentir l’émotion ou l’admiration face aux jeux d’esprit. Ainsi l’intériorité des personnages est un plus un objet esthétique qu’un outil dramaturgique.

Réflexivité §

Les événements étant mus par des forces extérieures, leur indépendance ou leur autonomie amène à présenter le destin sous un jour arbitraire. Les personnages sont malmenés par des forces sur lesquelles ils ont peu d’emprise. Ce théâtre a donc conscience de son aspect arbitraire. Les actions sont voulues par un démiurge – le dramaturge. Ayant conscience de l’artificialité des enchaînements, des décisions, des révélations, cette dramaturgie l’exhibe, la met en scène, et la tourne en dérision. L’extériorité des actions se rit d’elle-même, le théâtre est réflexif et se regarde, c’est précisément un des points capitaux de la tragi-comédie d’après H. Baby.

Les personnages contraires à la convention « sérieuse » §

Plusieurs personnages divergent de ce que devrait être leur attitude d’après les normes sociales de l’époque de la création ou d’après la convention des caractères. Certes la convention des caractères a été formulée plus tard. Ainsi, La Mesnardière décrit-il les caractères dans sa Poétique en 1639, mais cette rédaction résulte d’une conscience et de goûts que Desfontaines ne pouvait ignorer lorsqu’il écrivait son Eurimédon. Pouvait-il en effet ignorer qu’un roi ne tenant pas ses promesses ne respecte pas son propre honneur, et que si la scène se produit deux fois, il ne risque pas de passer pour un tyran, mais pour un fantasque risible ? Ainsi les personnages contraires à la convention sérieuse attirent-ils les rires. Et rire des conventions, n’est-ce pas les mettre en scène pour s’en jouer, n’est-ce pas regarder le théâtre qui se fait, pour parfois mieux le déconstruire ?

Le roi-barbon §

Le roi refuse de marier sa fille, il est dur avec elle et il tombe amoureux. Le personnage du roi est celui qui tourne le plus la convention en dérision. Comme nous l’avons évoqué plus haut, il ne tient pas ses promesses, et en outre il refuse de marier sa fille à un roi, adoptant ainsi le comportement du barbon de la farce, d’autant plus ridicule que lui-même tombe amoureux, et amoureux d’un homme déguisé en femme.

Voyons tout d’abord les passages concernant les promesses. La première promesse (I, 2) sied à la grandeur royale, le rythme, parfaitement binaire appuie la parole en lui donnant la solennité et la majesté qui s’accordent au statut royal.

Je vous offre le bien / que vous nous avez faict,
Partagez nos plaisirs, / regnez dans mes provinces,
Faites vous (s’il vous plaist) / des sujets de mes Princes,
Je feray tout pour vous, / ayant tout faict pour moy,
Vous m’avez rendu pere / et je vous feray Roy.99

Ce passage ayant été repris par Desfontaines dans Le Saint Alexis en 1644100, nous pouvons penser que le dramaturge appréciait ce ton sentencieux, donc que ce passage était particulièrement soigné, ce qui prouve le sérieux de cette parole. Une promesse, a fortiori royale, a une valeur performative, qui n’est pas niée ici. Mais le propos, légèrement elliptique, pourrait pousser à contester cette appréciation. Par exemple, le roi utilise simplement le terme « bien », qui peut désigner Pasithée rendue à la Cour ou le bonheur créé par ce retour. Rien n’affirmerait alors que le roi accorde la main de Pasithée à Eurimédon. Ces formules sont-elles simples politesses ? La structure laisse penser que se produit ici un acte solennel, certes sans témoins, puisque le roi est venu avec peu de pompe, mais qui, étant formulé par un roi, ne perd pas sa dimension performative. Ce passage est tout à fait crédible, et le roi est ici conforme à la tradition. Cette promesse, qu’elle soit effective ou source de malentendu, est un premier point qui permet de déconstruire le personnage du roi. En effet, il ne la respectera pas, au mépris de l’honneur, et hâtera le départ d’Eurimédon, ce que la princesse juge par avance contre l’honneur « Et vous devez penser qu’il ayme assez l’honneur / Pour ne vous pas oster un si foible bon-heur. ». La promesse non tenue, c’est une manière de faire de ce roi un personnage antinomique, et de déconstruire le personnage : ainsi la promesse pose le roi à la scène II de l’acte 1, puis elle le défera par la suite, avant même de devenir source de comique à l’acte IV. La scène 2 de l’acte IV voit le roi renouveler sa promesse, mais envers « Hermionne ». Mais cette scène a une autre utilité, elle ridiculise le roi au profit du héros qui se permet les plus vives critiques sans qu’Archelas ne saisisse la portée des propos qu’il croit désigner un autre. Aussi, les termes d’« inconstant »101 et de « traistre » ne sont-ils pas relevés, ce qui permet au spectateur d’assister à une scène de farce où un personnage est insulté sans qu’il s’en rende compte. L’ironie d’Eurimédon souligne la contradiction du roi : « Que je regne et triomphe ! / Ah Dieux quelle apparence / Que l’object du mespris et de l’indifference / Osast à ce degré de grandeur aspirer, ». Eurimédon ne disant que la vérité, notamment lorsqu’il proclame « J’ay suivy du depuis sous l’habit d’Amazone / L’exercice sanglant de la fiere Bellone », tout l’effet comique de la scène est porté aux dépens du roi, dont la figure se trouve ridiculisée, voire inversée, par son inconstance et son manque de perspicacité.

L’autre point qui fait d’Archelas un anti-roi est proche du premier. Ce roi n’est pas généreux. À la différence d’Eurimédon qui pardonne aux vaincus, Archelas ne semble pas connaître le pardon. Dès la scène 2 du premier acte, leur antagonisme est exposé. Le roi condamne la clémence du pirate : « La mort que le bourreau pouvoit rendre execrable / La gloire de vos coups l’a renduë honnorable, / Et vous avez donné par des trespas si beaux / À des infames corps des illustres tombeaux. ». Cette figure du roi moins généreux que celui qui le sert, et est dit n’être même pas noble, peut faire songer à l’Alcionée de Du Ryer. Alcionée tient un rôle comparable à celui d’Eurimédon, et des propos similaires, comme à la scène 3 de l’acte I, où il proclame « Quoy, n’aimerois-je pas, où l’on me l’a permis ? / Quoy n’aymerois-je pas où le Roy m’a promis ? ». Ce parallèle ne permet pourtant pas d’établir une des deux œuvres comme une source de l’autre, puisque les histoires sont très nettement différentes, voir à ce sujet la quatrième note du chapitre « du roman à la tragi-comédie », et puisqu’elles ont deux sources distinctes. Alcionée s’inspire en effet d’un épisode du Roland furieux de l’Arioste. Le roi qui ne tient pas ces promesses, et qui ne connaît pas le pardon, voilà qui est contraire aux valeurs attendues d’un roi.

Enfin, dernier aspect surprenant chez Archelas, il tombe amoureux. Il s’éprend d’« Hermionne ». Le fait de voir un roi amoureux, qui plus est d’un homme, plus jeune que lui, et qu’il a renvoyé avec violence, dégrade le personnage et annihile presque sa valeur royale. Un roi ne respectant pas ses promesses pourrait être un tyran, mais amoureux dans de telles circonstances, c’est un personnage de comédie. En effet, le roi amoureux n’est ici plus tyran, il paraît pitoyable et accède à toutes les demandes de son « amazone ». Il est plus homme, plus père que roi. La façon dont se manifeste ses sentiments montre une passion qui fait fréquemment sourire au théâtre chez un homme mûr102. Dès qu’il voit l’amazone103, il s’écrie :

Ah Dieux quelle merveille !
Cette grave douceur et cette Majesté,
Sont les visibles traits d’une Divinité.

Puis, voulant hâter leur union :

Je vous ayme (Madame) et ce delay me tuë.

Aussi cette figure qui devrait inspirer le respect devient-elle cocasse, et nous avons montré que les modifications apportées au roman favorisaient cette figure. Le roi ressortit à l’esthétique comique de la pièce, c’est le personnage théâtral du roi qui est tourné en dérision. Cette tragi-comédie tourne en dérision un rôle traditionnel et joue avec les conventions.

La princesse, fille, mais libre §

Il est étonnant de voir une jeune fille honnête, ayant le sens de l’honneur et une certaine pudeur, accepter que l’homme qu’elle aime l’enlève. Cette scène 4 de l’acte V pourrait mettre en scène une princesse déchirée entre son sens de l’honneur et son amour. C’est ce qui est fait ici mais nous pouvons nous demander si le débat n’est pas quelque peu abrégé, de sorte que les hésitations de Pasithée paraissent être de pure forme. Nous observerons tout particulièrement sa dernière réplique :

Hé bien, puis qu’il le faut, j’y consens : mais bons Dieux !
Qu’un extreme malheur m’arrache de ces lieux !
Puisque pour un Amant qui cause mon martyre
Il faut que j’abandonne et mon pere, et l’Empire ;
Mais (cher Eurimedon) Je ne conteste plus,
Aussi bien les regrets sont icy superflus,
Je suy tes volontez, ma raison rend les armes. 104

La puissance des arguments évoqués dans les caractères romains est évacuée aisément dès que la princesse décide d’abandonner sa raison. L’argument d’Eurimédon qui est censé convaincre Pasithée est faible : le temps devrait apaiser la colère du père qui risque d’être violente lorsqu’il découvrira qu’il a été trompé. Ce ne sont donc pas les arguments mais les sentiments qui décident Pasithée. Ce revirement en une suite de sept vers pour des sujets aussi graves semble rendre risible la réflexion et les débats argumentés. Passer du oui au non puis de nouveau au oui en quelques vers montre le peu de profondeur d’un tel débat. Pasithée est en cela semblable aux héroïnes tragi-comiques qui finissent toujours par se rendre. Cette attitude nous permet de mieux comprendre quelle fut la révolution apportée par Chimène105 pour qui l’honneur constitue un vrai obstacle. Dans une autre scène, la jeune fille se comporte en amoureuse, et non en princesse. C’est la scène de déploration lorsqu’elle est en prison avec sa suivante Alerine. Alerine sermonne Pasithée : « Ah Madame ! ces pleurs, et ce cœur abatu / Sont indignes de vous et de vostre vertu, », et lui rappelle que « Le desespoir […] est pour ces ames basses ». S’ensuivent les stances de Pasithée. La suivante joue ici le rôle d’une gouvernante qui éduque la jeune princesse et essaye de lui rappeler qu’elle doit maintenir son rang. Le personnage de la princesse est conforme aux héroïnes tragi-comiques qui, au lieu d’incarner les valeurs d’une jeune fille : respect du père, sens de l’honneur et de la pudeur, se caractérisent par une forme d’audace.

Les personnages du roi et de la jeune fille sont construits sur le patron habituel de ces personnages de tragi-comédies. Le roi se présente rarement comme un roi et la fille agit en amoureuse. Par exemple, dans Laure persécutée de Rotrou, le roi est aussi ridiculisé, par ses propos qui signalent un caractère capricieux et colérique, en témoigne la réplique « Je veux ce que je veux parce que je le veux. »106, mais aussi parce qu’il se fait abuser par un déguisement et tombe ainsi amoureux de Laure dont il souhaite la mort. Le personnel tragi-comique renverse des figures potentiellement « sérieuses ».

Mise en scène du vocabulaire ou des formules de politesse §

Eurimédon ou l’illustre pirate met-il en scène le vocabulaire et les formules propres au théâtre ? Nous allons nous attacher aux méprises d’identité dans lesquels un personnage prend l’autre pour une divinité. Cette scène se produit trois fois. Par deux fois, Archelas prend celui qui vient lui rendre service – Eurimédon ou « Hermionne » – pour un émissaire divin, voire pour un dieu. Nous remarquons que ce roi ne prend pas même les armes comme dans le roman, et qu’il semble se caractériser par sa couardise. Dès lors, il remercie chaleureusement qui vient lui porter secours, en établissant systématiquement une comparaison avec une divinité, appelant son sauveur « Alcide » ou l’amazone « déesse ». Ces comparaisons montrent aussi combien le roi se croit estimé des dieux, ce qui peut porter à sourire au vu de ses actes. Mais Eurimédon lui-même croit voir en Céliane une image divine venue lui porter chance. La divinité volant au secours des héros rappelle les deus ex machina. Ainsi, ces interventions divines ne sont peut-être pas uniquement le rappel des interventions divines de la mythologie. Il est possible d’y voir le souvenir des conventions théâtrales qui autorisent la matérialisation du divin. Les personnages paraissent être empreints des conventions théâtrales et les attendent. Les protestations d’Eurimédon, ou de Céliane « Non, non, je ne suis pas du rang des immortels, » exploitent l’aspect risible de ces propos. Autre exemple, dans la scène de confrontation, entre l’illustre pirate, Pasithée et Tygrane (II, 2), le langage de cour semble mis en scène et ses subtilités paraissent mener le héros à commettre quelques erreurs que nous avons analysées dans la partie « Valeur lyrique des sentiments ? » dans le chapitre sur l’extériorité.

C’est bien une mise en scène, discrète et quelque peu ironique et critique, du théâtre lui-même qui s’opère dans un mouvement réflexif.

Déconstruction du péril de mort §

Desfontaines paraît employer le terme de tragi-comédie pour signifier que les personnages sont des rois, mais que le sujet, sentimental, mène au mariage. Nous avons vu dans la partie « tragique et comique » que la part de « tragique », au sens de péril, restait faible. Cette borne de la tragi-comédie semble peu exploitée. Au contraire, elle est même tournée en dérision. Le péril de mort devient source de rire. L’objet tragique est au centre d’un mouvement réflexif du théâtre.

Comment comprendre, en effet, que Céliane meure à la scène 6 de l’acte II et réssuscite à la scène suivante ? En effet, elle se croit morte : « Je meurs contente (ingrat.) », dit-elle, tandis que Tygrane affirme « S’en est faict il est mort. », puis, au début de la scène 7, les didascalies affirment qu’elle revient « de son esvanoüissement ». Cette mort et cette renaissance subite comportent une certaine ironie vis-à-vis de la fatalité. Les personnages sont manipulés par une instance supérieure et arbitraire, et Céliane en a conscience. Le vers

Me reffuse-t’on place en l’empire des ombres ?107

emploie un impersonnel pour désigner ce que Céliane a déjà nommé : « Astre », « Demon » et ce qu’elle appellera «  Dieux ». Or le Dieu responsable de ce revirement, c’est bien le créateur de la pièce, et l’impersonnel comme les multiples dénominations de cette instance supérieure montrent qu’il y a une conscience de l’arbitraire, mais peu de soupçon de l’origine de ce pouvoir. Deux discours se croisent donc ici. Celui qui veut que le sort des hommes dépende des Dieux ou de Dieu, et celui qui se sert du prétexte de la vie dirigée par des instances arbitraires pour rappeler le principe même de la construction dramatique. Il est difficile de déterminer laquelle des deux réflexions – arbitraire de la vie ou du théâtre – domine ce discours, sans doute parce que l’arbitraire du théâtre prétend reproduire l’arbitraire de la vie. Ainsi, le péril de mort est évoqué sans être traité, puisque la mort survient et disparaît très rapidement. De même, tous les périls concernant le héros sont évacués : le rival veut le tuer, mais se trompe de personne, et le pirate remporte toute les batailles. Jamais on ne craint que sa valeur défaille. Ainsi, Pasithée ne doute pas que si Eurimédon pouvait lutter contre Araxés, il emporterait la bataille devant tous les nobles de ce royaume. Le héros se trouve plusieurs fois en danger de mort mais ce risque est totalement déconstruit par sa valeur, par les erreurs de l’adversaire ou par la fuite, quand le roi le menace de son épée. Jamais nous ne pouvons craindre sa mort. Dernier exemple, lorsque Pasithée envisage le suicide (III, 6), c’est pour repousser ce projet dans la strophe suivante. Cette idée dure si peu de temps que la menace qu’elle aurait pu constituer est défaite, d’autant plus que le public sait qu’Eurimédon va participer à la bataille, donc très certainement en remporter l’enjeu, c’est-à-dire Pasithée.

Il y a bien allusion à la possibilité de la mort, mais sur un mode assez léger car les apparitions sont tout à fait ponctuelles. Pas de péril proprement dit, mais des allusions à cette possibilité, tout autant dans la réalité de la fiction que dans sa création. La source tragique est ainsi dédramatisée et mise à distance.

Les déguisements : mise en scène de l’art de jouer et des ambiguïtés du jeu §

Le déguisement est une figure fort employée au XVIIe siècle, c’est même un « thème majeur de la littérature de l’époque de Louis XIII108 ». De 1620 à 1660, les déguisements sont souvent employés, particulièrement au début de la période pour les tragi-comédies. Desfontaines s’inscrit dans ce courant, car trois déguisements sont mis en œuvre dans Eurimédon, un inconscient – le jeune pirate ignore qu’il est prince – et deux travestissements qui constituent des moyens d’approche amoureuse. L’emploi du déguisement amène nécessairement à faire jouer un personnage, et appelle dans une certaine mesure à mettre en abyme le processus théâtral lui-même, il participe de ce mouvement réflexif qui s’opère dans la première pièce du dramaturge. Les deux déguisements concernant Eurimédon ont été inspirés par le roman de Desmarets. Desfontaines souhaitait-il ne pas trahir Ariane, ou bien a-t-il apprécié ce schéma ? Il est difficile de trancher en l’absence de documents sur ce sujet, mais il a suivi ce moyen de faire avancer l’action en créant le personnage de Céliane, elle aussi travestie. Nous nous baserons pour cette étude sur les analyses de Georges Forestier, reprises dans L’Esthétique de l’identité dans le théâtre français, (1550-1680), Le déguisement et ses avatars109. Nous étudierons séparément chaque déguisement car ils n’ont pas la même forme et concernent des personnages différents.

Déguisement inconscient du personnage principal §

Le déguisement qui occupe le plus grand espace temporel est le déguisement inconscient puisqu’il n’est révélé qu’à la dernière scène de la pièce. Le personnage principal, Eurimédon, est un pirate. L’apparition de son frère au dernier acte permet la révélation de son illustre « identité ». Il y a donc un déguisement inconscient du héros qui s’accompagne d’un mouvement social descendant.

Ce type de déguisement inconscient est assez courant, car il présente l’utilité de créer un obstacle artificiel, celui de la mésalliance. G. Forestier cite les différents modes de création du mystère d’identité : « pour les disparitions, l’arbitraire du dramaturge se dissimule-t-il derrière les coups de la fortune, qui revêtent principalement deux formes : enlèvement de l’enfant (tribut de guerre, pirates, bohémiens) […] ou disparition de l’enfant de la famille à laquelle, pour une raison plus ou moins claire, il avait été confié. »110. Ainsi, ce mystère d’identité bloque l’action et constitue un obstacle capital au mariage des héros. Il est en quelque sorte une marque de la présence du dramaturge. La situation finale étant un mariage, le dramaturge crée un faux obstacle, aisé à résoudre par une reconnaissance qui formera une ultime péripétie.

Ce déguisement est-il bien opaque ? De nombreux faits viennent troubler l’image du pirate sauvage et cruel que le héros pourrait avoir s’il était véritablement ce qu’il pense. Tout d’abord, le récit qu’il fait de sa vie constitue un premier signe de son extraction royale. Les pirates lui ont caché son nom, mais pas son origine. Ensuite, son attirance pour le « bien », son désir de « conversion », sa générosité, sa valeur et son courage sont autant de caractéristiques attendues chez un roi. Le déguisement n’est donc opaque ni pour les spectateurs ni pour les personnages. Ils sont plongés dans un système qui repose souvent sur les mêmes chaînes actancielles et les personnages devinent la noblesse du héros. Reste que le père, en tant que père et aussi parce qu’il s’approche du vieillard de comédie, ne veut pas se fonder sur des suppositions. Mais nous avons vu qu’une fois ce motif levé, il persiste dans son refus, et qu’il s’agit plus d’un personnage fantasque que d’un roi soucieux des mœurs. Les spectateurs devinent quelle est l’identité réelle du pirate. Aussi, suivrons-nous H. Baby en disant « que la reconnaissance n’intervient pas « in extremis » mais d’emblée, relativement aux spectateurs. »111. Ainsi, relativement aux spectateurs, les bienséances sont respectées. La pièce ne semble pas prôner la mésalliance et se résoudre à l’abandonner par la suite, elle cherche un moyen de se conclure par un mariage qui était impossible auparavant. Certes, cette tragi-comédie exploite d’autres obstacles, mais celui-ci s’étend sur l’ensemble de la pièce.

Ce déguisement contribue moins au mouvement réflexif d’Eurimédon que les deux autres.

Déguisement conscient du personnage principal §

Le héros se travestit sur les deux derniers actes pour s’approcher de la princesse. Le déguisement lui permet de combattre sans être reconnu du roi, de s’attirer son amour, effet imprévu, et de s’approcher de Pasithée qui est en prison. Le travestissement se justifie surtout en référence au roman dans lequel la fille du roi ne pouvait être approchée que par des femmes lorsqu’elle était en prison. Ceci n’est pas mentionné dans la pièce, le travestissement se présente comme un déguisement quelconque qui a en outre le mérite de donner au héros l’espoir de dormir aux côtés de son amante.

Quels sont les instruments concrets de cette métamorphose ? La féminisation du personnage a été préparée pour les spectateurs par le dialogue avec Céliane et par le compte-rendu militaire du conseiller du roi. Les personnages semblent aisément trompés par le déguisement grâce au costume car les didascalies précisent que le pirate apparaît « en amazone »112. Le costume est un des éléments permettant de masquer le personnage, mais il est renforcé par le nom. G. Forestier souligne l’« importance de la valeur sémiotique du nom » dans la feinte d’identité. Le costume et le nom sont bien entendu des déguisements qui ne devraient pas suffire à créer l’illusion surtout chez l’amante. Cette invraisemblance a été soulignée par La Mesnardière dans sa Poétique113, ce qui montre que cette pratique était courante. Le dramaturge avait assurément conscience du caractère arbitraire de cette transformation. Nous avons vu que sa pièce renforce et souligne les artifices de l’écriture dramatique. Aussi le costume et la dénomination ne prétendent pas à la perfection de l’illusion, ils relèvent de la convention et sont compris comme tels.

Ce costume permet au héros de tenir au roi et à la princesse un discours à double sens dans lequel il se plaît à manier l’ironie et à formuler des griefs. Desfontaines reprend ce thème esquissé par Desmarets. Dans Ariane, Eurimédon dit qu’« il souhaittoit l’honneur de son alliance autant ou plus que luy-mesme. Dequoy le Roy le remerciait, n’entendant pas le sens des paroles d’Eurimédon, qui vouloit parler de l’alliance qu’il desiroit faire avec luy en espousant sa fille. ». Ce type de dialogue est exploité par Desfontaines qui permet même à son héros d’appeler le roi « inconstant » ou « traistre114 ». Toute la scène 2 de l’acte IV joue sur ces ambiguïtés. Ainsi le héros, caché sous des vêtements de femme, ne ment-il jamais, même lorsqu’il promet à Pasithée115 qu’il n’épousera le roi que si celui-ci satisfait une condition préalable, le mariage de la princesse et d’Eurimédon. En effet, le mariage d’Hermionne et du roi ne pourra dès lors plus avoir lieu. Le héros s’illustre brillamment dans le maniement des formules à double sens, et c’est un des attraits de ce costume.

La fonction principale d’un tel costume est de créer une « action médiatisée », c’est-à-dire, en l’occurrence, de permettre d’approcher la femme aimée. Le déguisement d’un rôle principal masculin a cette fonction dans « 35% » des cas. Le déguisement est un moyen de l’approche et de la conquête amoureuse. L’emploi d’un travestissement dans une telle intention vient de l’influence de L’Astrée d’Honoré d’Urfé. G. Forestier dénombre six travestissements de ce type de 1629 à 1640, tous d’origine romanesque, où le prince se travestit, et il mentionne « l’influence considérable sur la génération de Corneille de L’Astrée, dans laquelle le travestissement de Céladon en « Alexis » tient une place énorme. ». Ainsi l’écriture de Desmarets se souvient de cet héritage, et Desfontaines le porte à la scène. Ce thème est également présent dans Agésilan de Colchos, pièce de Rotrou publiée en 1635116, que nous pouvons rapprocher du roman de Desmarets puisque ce dernier introduit le nom de Colchos qu’il attribue à « Hermionne ». Dans la tragi-comédie de Rotrou le personnage éponyme se déguise en femme afin de pouvoir « servir Diane et tromper Sidonie ». La jeune fille dont Agésilan s’est épris était en effet maintenue « en une tour » par sa mère Sidonie qui la promettait en récompense à quiconque lui permettrait de se venger du père de Diane, Florisel. La muraille matérialise l’interdit. Desmarets s’inspire comme Rotrou du chapitre XV du livre XI du roman Amadis de Gaule.117 Le déguisement est dans ces deux romans et dans ces deux pièces un moyen d’approche d’une jeune fille interdite, il est un moyen d’action. Le déguisement joue donc un rôle dans l’intrigue, mais il n’est pas un élément de résolution. Le héros peut ainsi satisfaire à son désir de voir la jeune fille, mais cela ne résout pas la différence de rang qui, dans la pièce de Desfontaines, les sépare. Au contraire, cela complique même la résolution des conflits car Eurimédon s’est joué du roi et a tenté de porter atteinte à l’honneur de la princesse.

L’autre fonction de ce costume est de créer des scènes jouant sur les ambiguïtés sexuelles. Le roi tombant amoureux d’un homme déguisé en femme, Pasithée se laissant entretenir par les douces paroles d’« Hermionne », ces scènes laissent penser que le choix de l’île de Lesbos est peut-être motivé. Le jeu sur les allusions sexuelles renforce l’aspect comique de la pièce et confine le roi dans son rôle de vieux barbon. Les paroles de compliment qu’« Hermionne » prononce envers Pasithée sont un peu trop poussées, elle lui parle de ses yeux comme des « plus beaux yeux du monde », aussi celle-ci répond-elle « Icy vostre vertu m’impose le silence ». Plus loin, l’enthousiasme de la fausse amazone grandit encore, frôlant l’indécence :

Ah que sur ce beau sein je voy de belles choses !
Son teint ressemble aux lys, et vostre bouche aux roses,

Nous pouvons nous demander quelle est la part de plaisir et la part de stratégie dans l’emploi du déguisement auprès du roi.

Le travestissement d’Eurimédon ne se limite pas à un rôle dans l’intrigue, il permet au dramaturge de jouer sur les ambiguïtés du discours et sur les ambiguïtés sexuelles. Desfontaines développe une esthétique de la transgression qui paraît justifier seule les scènes où Eurimédon feint d’accepter les déclarations d’amour du roi. Mais il est vrai que cette scène peut aussi se justifier dans la mesure où il cherche à rester en faveur auprès du roi pour tenter d’influencer ses décisions et pour voir Pasithée. Ce déguisement amène l’acteur à jouer un double rôle particulièrement exploité dans la scène où il se trouve seul avec la princesse, car alors il est tiraillé d’une part par son rôle qui l’oblige à une certaine distance, à parler au féminin et d’autre part par ses sentiments, dont il lui faut contrôler l’ardeur afin de ne pas se trahir. C’est bien le rôle de l’acteur qui est mis en abyme par ce déguisement, et tout particulièrement dans cette scène où le voile tombe parce que l’acteur s’est montré.

Déguisement conscient d’un personnage secondaire §

Céliane a opté pour le même mode de déguisement que celui d’Eurimédon. C’est travestie qu’elle va tenter de poursuivre son infidèle amant. En ce qui concerne les seconds rôles féminins, G. Forestier remarque le « passage de la reconquête au premier rang (25, 3 %), très nettement devant la fuite (16, 4 %), et surtout devant l’approche » qui totalise 9 % des cas. Ce schéma est donc assez courant. Ce schéma actanciel, dans lequel le rival est éliminé par la présence d’une ancienne maîtresse, qui conduit à un double mariage est assez employé à l’époque. Le costume est encore le mode de signalisation employé. Mais, comme Céliane fait sa première apparition « en habit de Cavallier », il faut que le déguisement soit signalé au public, et c’est ce qu’elle fait dans son premier monologue. Pour la compréhension du costume, il faut que la parole double le physique, tant pour les spectateurs que pour Tygrane. Car Céliane ôte son casque et se nomme au moment de la reconnaissance. La fonction de ce déguisement est encore de médiatiser l’action. Un autre personnage, cavalier fictif, entre dans la ville, cachant sous ses vêtements Céliane, ainsi le déguisement est un moyen de reconquête amoureuse. Céliane tente d’abord de favoriser les amours d’Eurimédon et de Pasithée, puis elle se démasque devant Tygrane et le roi, ce qui force celui-ci à reconnaître qu’il ne peut pas légitimement prétendre à la main de Pasithée. Ce déguisement met aussi en scène le rôle même de l’acteur puisque Céliane est contrainte à jouer un rôle pour lequel elle n’est pas faite. C’est ainsi qu’elle se bat en duel contre Tygrane et perd au premier assaut. La rapidité de ce duel dédramatise une scène qui pourrait être tragique, tourne en dérision un homme qui ne s’étonne pas d’un triomphe aussi aisé, et fait sourire des difficultés que son costume occasionne à Céliane.

Le déguisement est une convention attendue qui contribue ici à mettre en abyme le rôle de l’acteur et ses difficultés. Ce théâtre a pleinement conscience de son caractère conventionnel, il l’observe, et en joue.

Réversibilité des choses §

Cette tragi-comédie met en scène, illustre et symbolise la réversibilité des choses. Tout et son contraire peuvent se produire. La tragi-comédie effectue sans cesse des rappels de la réversibilité des événements, se souvenant ainsi de leur caractère fictif. Elle s’inscrit en cela dans une esthétique baroque.

Ainsi, la pièce s’ouvre apparemment sur une conclusion. Une aventure, celle de Pasithée enlevée, s’achève lorsque débute la pièce. Construire ainsi l’entrée en scène, n’est-ce pas un moyen de rappeler la circularité des choses, et l’absence de fin strictement conclusive ? D’ailleurs, l’arrivée au port constitue à elle seule un symbole du « va-et-vient du malheur au bonheur »118. Comme l’écrit H. Baby, « Tout indique ici le mouvement de repli de l’action : les personnages quittent le navire, symbole des aventures, pour un lieu de repos, le port. […] Pourtant, le retour des héros se situe au début d’une action qui va recommencer : la figure initiale est donc celle de l’inversion, puisque le port est une fausse promesse de paix ». Utiliser le rivage pour faire la transition entre l’histoire passée et celle à venir constitue un topos du changement. Mais cette image est aussi celle des allers et retours, du cheminement d’un contraire à l’autre. La pièce se dote également d’un personnage capable de dire tout et son contraire, le roi Archelas. Il vénère Eurimédon, lui promet son royaume et l’en chasse sans égards pour ses actes de bravoure. Puis il l’aime à nouveau sous un autre costume, avant de vouloir le tuer lorsqu’il se rend compte de la supercherie. La dernière scène accélère le processus. Le roi porte la main à l’épée, reproduisant un schéma antérieur. En effet, à la scène 2 de l’acte III, il avait déjà fait ce geste envers Eurimédon, et les paroles des protagonistes l’avaient déjà empêché d’accomplir son projet. Ici, il affirme que son « ressentiment effacera [s] a honte. », et quelques répliques tard, proclame : « Ma fille je vous donne à ce Prince adorable. » La volonté du roi étant celle qui fait le bonheur ou le malheur des amoureux, ce personnage incarne l’arbitraire dans la pièce. Dans Eurimédon, l’arbitraire est fantasque, ces décisions sont révocables. Plusieurs schémas se reproduisent deux fois dans l’ensemble de la pièce. Le roi remercie Eurimédon sous deux costumes différents. Il menace de le tuer à deux reprises. Deux personnes projettent l’enlèvement de Pasithée, à savoir Araxés et Eurimédon, et elle veut ou ne veut pas être enlevée. Les personnages même semblent ressentir le caractère fluctuant des choses, en témoignent ces deux vers prononcés par Céliane « Qui m’a faict r’encontrer dans l’oragele port ; / Et m’a donné la vie, où je cherchois la mort. »119. La structure chiasmique met en relief les aléas de la vie, et semblent exprimer le statut de ces personnages qui ne sont maîtres ni ne pressentent leur destin. L’image de la dualité infiltre donc cette construction dramatique comme pour suggérer que tout événement peut se reproduire et varier, ou se défaire. Les événements sont aléatoires ou arbitraires, ils peuvent faire et défaire. Ce mouvement de « va-et-vient » se retrouve aussi dans les changements d’identités. Les personnages prennent et ôtent leurs costumes avec la même facilité. Une situation qui serait impossible à réaliser si Eurimédon était un homme, devient possible lorsque celui-ci est femme. Il peut s’introduire auprès de Pasithée et revenir en faveur auprès du roi. Le travestissement favorise les renversements de situation.

Les événements sont réversibles, on passe du malheur au bonheur, et réciproquement, les actions se dédoublent et se multiplient, les événements sont prolifiques. C’est la gratuité de l’événement qui s’exprime dans ces multiples figures de réversibilité. L’orchestration des faits dans cette pièce correspond bien à celle des tragi-comédies du début du siècle. Les actions sont gratuites, spontanées, orchestrées par le hasard et les rencontres. Elles peuvent se faire et se défaire. Cette dramaturgie signale en cela le caractère arbitraire des événements, elle a conscience de leur caractère fictif et le souligne. L’écriture d’Eurimédon ou l’illustre pirate se regarde elle-même, en se faisant.

Étude thématique §

Le thème du pardon en politique : un thème chrétien ? §

Tu sçay comme à Lesbos j’ay rendu Pasithee,
Que je l’ay comme Reyne avec respect traittee ;
Tu me chasses pourtant, et tu souffres chez toy
Ceux qui t’ont tesmoigné moins d’amour que d’effroy,
Lors que par Araxés leur Princesse ravie
Devoit estre sauvee aussi-tost que suivie.120

C’est en ces termes que le héros s’adresse fictivement au roi, lui reprochant d’oublier ce qu’il lui doit. Archelas le chasse pour un baiser, et oublie les œuvres passées du jeune homme. Ce roi est ingrat, sans générosité, et ne sait pas pardonner. C’est ce point qui oppose radicalement le jeune pirate et le père de Pasithée. Eurimédon, lui, fait preuve d’une clémence qui est incompréhensible pour Archelas. Desfontaines se sert-il de l’antagonisme de ces personnages pour développer ce qu’est un « bon » roi ?

Desfontaines a exploité le thème du pardon pour en faire un point de divergence entre le héros et le père. Leurs opinions contraires se manifestent à des moments clefs de la pièce : leur rencontre, puis lorsque Eurimédon est chassé par le roi, enfin lorsque ce dernier apprend le subterfuge du costume. Lors de leur première entrevue, le roi reproche déjà à Eurimédon sa trop grande clémence, croyant que celui-ci a tué les ravisseurs de sa fille. Il aurait fallu, selon lui, leur réserver une torture exemplaire. Or, leurs points de vue sont encore plus opposés que ne le croit le roi, puisque Eurimédon n’a même pas tué Araxés. Il s’en explique en disant que « La grandeur des illustres courages / Se remarque bien mieux dans l’oubly des outrages », et en affirmant qu’ayant perdu tout espoir de s’attacher la princesse, le prince est déjà puni. Eurimédon croit et pratique le pardon en roi généreux, aussi le thème est-il révélateur de sa noblesse. Lorsque le roi chasse le corsaire, Eurimédon rappelle qu’il oublie ses bienfaiteurs, ce qui est contraire aux qualités royales :

Prince dont l’ame ingrate autant que desloyale,
Represente si mal la qualité Royale,

Le roi devrait se souvenir des bienfaits passés, ce qui devrait favoriser son pardon. Eurimédon revient sur ce sujet lorsqu’il est déguisé en amazone et se trouve devant un Araxés amoureux :

Excusez doncq Seigneur ces Innocentes flames,

Le roi cède, mais c’est ici pour plaire à « Hermionne » et non par conviction. Lorsqu’il devra pardonner à la dernière scène, à la fois le déguisement et le baiser, il parlera de la vengeance comme d’un devoir :

Plustost à me vanger je suis un peu trop lent ;

À trois moments clefs de la pièce, l’opposition du roi et du pirate sur le thème du pardon se manifeste. Ce qui renforce la justesse de l’entreprise du pirate, ce sont les propos de Pasithée qui abonde dans son sens. Elle demande en effet à Archelas « la clemence d’un Juge, et la bonté d’un pere ». Le roi paraît donc indigne lorsqu’il proclame « Comme Juge je dois chastier son offence ». Les valeurs sont inversées, et le plus cruel, le plus prompt à faire couler le sang n’est pas celui que nous pourrions attendre. Cette inversion contribue à mettre en valeur le héros et à légitimer son entreprise.

Nous retrouvons ce thème dans l’Alcionée de Du Ryer121. Le roi refuse en effet de pardonner à Alcionée toutes les batailles que celui-ci a menées contre lui, même s’il lui a permis de reconquérir des territoires. Les deux situations sont donc parallèles dans la mesure où le héros prétend obtenir la main de la princesse en vertu de son aide, espère le pardon de ses fautes, tandis que le roi ne voit que les fautes, l’absence de sang royal, et refuse toute grâce. Nous avons vu que ces deux œuvres ne peuvent pas être des sources l’une pour l’autre. Mais cet exemple montre d’une part l’importance accordée à cette qualité royale à l’époque, d’autre part que dans deux pièces indépendantes, la question du pardon est liée à celle de la noblesse. Ce serait donc l’aspect chrétien du pardon, prégnant à l’époque, qui serait mis en scène.

Ce thème qui est fortement souligné dans cette pièce, montre, en parallèle avec une pièce contemporaine, que le thème du pardon est lié à celui de la noblesse et de la valeur. Quel pardon y aurait-il pour un vrai pirate ? La réponse diverge selon son auteur, Eurimédon étant une figure de clémence aux côtés de l’impitoyable Archelas.

L’origine de la vertu §

Y a-t-il dans cette pièce un débat sur l’importance de la noblesse intérieure ? Pasithée accorde plus de mérites aux actes qu’au nom. Elle considère que les faits renseignent plus sûrement sur la valeur d’un être que son nom. Elle fait donc confiance au pirate, quoiqu’elle ignore tout de sa naissance. Les actes lui font augurer de sa noblesse. Ainsi le fait montre l’homme. La question de la vertu rejoint la dialectique de l’être et du paraître, qui est d’ailleurs développée dans le roman de Desmarets. Le personnage de Tygrane occasionne dans le roman un débat sur la vertu. Son nom ne garantit pas sa valeur. Ses actions semblent dénoter un manque de noblesse, ce qui sera confirmé par la suite. Eurimédon raconte sa rencontre avec celui-ci « Je remarquay à son port et à ses discours, que c’estoit un homme comme Araxés me l’avois dépeint, qui paroissoit plustost né pour servir que pour commander ». Nous pourrions penser que le paraître est ici en adéquation avec l’être, or les personnages de Desmarets, comme ceux de Desfontaines, font la distinction entre les actes et le nom. Ceux qui se laissent abuser par le nom ne parviennent pas à bien juger les personnes qu’ils ont en face d’eux. En revanche, ceux qui se fient aux actes devinent l’essence de leurs interlocuteurs. C’est donc le nom qui relève du paraître, tandis que les actes sont en corrélation avec l’être. Pasithée se fie à l’être d’Eurimédon dont son père ne voit que le paraître. Bien évaluer la vertu c’est donc se fier aux actes, et le thème de la vertu recoupe la dialectique de l’être et du paraître.

Le thème de la vertu engendre d’autres questions. Qu’est-ce qui, de la naissance ou de l’éducation est plus responsable de la vertu d’un être ? La naissance primerait sur l’éducation pour constituer la valeur d’un homme, puisqu’Eurimédon critique ceux qui l’ont éduqué. Chez Desmarets, la part accordée à l’éducation est plus importante. C’est en effet au cours d’un séjour en Grèce que le jeune pirate a pu apprendre les moeurs civilisées. Mais Tygrane qui a été placé dans la haute noblesse ne parvient pas à atteindre sa grandeur. Eurimédon, mal éduqué, a néanmoins le sens des valeurs du monde civilisé. C’est bien la naissance qui détermine la vertu de l’être dans cette pièce.

Ainsi, Desfontaines ne développe pas ce thème de façon révolutionnaire. L’attention portée aux actes plus qu’au nom pourrait faire penser que la vertu peut se retrouver en tout homme. Mais puisqu’elle s’accorde à une naissance, nous rejoignons donc une idée assez classique.

Conclusion générale §

La première pièce de Desfontaines témoigne d’une forte sensibilité à son époque, par son inspiration, qu’il puise dans Ariane de Desmarets, et par le choix du genre tragi-comique. Son intérêt pour les pièces et romans contemporains sera confirmé par les sources de ses autres œuvres. Eurimédon ou l’illustre pirate développe les caractéristiques propres à la tragi-comédie telle qu’elle se présentait au début du siècle. Elle n’est pas réduite à l’association de personnages nobles avec une intrigue sentimentale et une fin heureuse. La pièce reprend les principes dramaturgiques et esthétiques qui constituent l’essence de ce genre. Les actions ont des causes extérieures, elles sont enchaînées linéairement, font se succéder les rebondissements, et paraissent quelque peu arbitraires. Une telle gratuité événementielle, associée à des schémas dramaturgiques récurrents à l’époque, révèle le caractère particulièrement conventionnel de ce théâtre. Ceci n’est pas à porter au titre du conformisme ou de l’innocence de l’auteur puisque nous avons vu que cette écriture se regarde avec ironie et va jusqu’à se mettre en scène. Desfontaines, par ce premier essai, a en outre fait preuve d’originalité en apportant le thème des « illustres pirates » au théâtre. Il est difficile d’affirmer qu’il a engendré lui-même ce courant qui s’attache à mettre en scène les histoires sentimentales de ces aventuriers, mais il semble avoir participé à l’association de ce thème avec des scènes et structures particulières. Etablir une édition critique de cette pièce permet donc de comprendre par l’exemple ce que fut la création tragi-comique à son apogée et de saisir cette esthétique qui exploite l’arbitraire et la gratuité de la construction dramaturgique.

Notes sur la présente édition §

Description de l’édition §

Il n’existe qu’une seule édition d’Eurimédon ou l’Illustre Pirate, réalisée en 1637 par Antoine de Sommaville. Quelques recueils factices ont été réalisés à partir de cette édition. Voici la description de cette édition :

[8] -103-[1] p. ; in-4°.

(I) : EURIMEDON / OU / L’ILLUSTRE PIRATE, / Par le Sieur DESFONTAINES. / vignette représentant un écusson sur lequel se trouvent trois fleurs de lys / Chez Anthoine de Sommaville, au Palais, / dans la petite Sale, à l’Escu de France. / filet / M. DC. XXXVII. / Avec Privilège du Roy.

(II) : Page blanche.

(III-V) : Epitre à Madamoiselle de Vertus signé Desfontaines.

(VI-VII) : Sonnet à Madamoiselle de Vertus signé Desfontaines et liste d’erreurs « AU LECTEUR ».

(VIII) : « LES ACTEURS » : liste des personnages.

103 pages : le texte de la pièce, précédé d’un bandeau et d’un rappel du titre en haut de la première page.

(I) Extraict du Privilege du Roy.

Exemplaires consultés pour l’établissement du texte §

Exemplaires de la Bibliothèque nationale de France §

Site Tolbiac Rez-de-Jardin §

L’exemplaire utilisé pour établir la version de ce texte est l’exemplaire Res-Yf-384 de la BNF, numérisé sous la côte NUMM-72636.

Res-Yf-384 : Exemplaire ayant servi à l’établissement du texte.

Res-Yf-1382 : Cet exemplaire est identique à celui choisi pour l’établissement du texte.

Res-Yf-676 : Tampon « Bibliothèque Impériale ». La reliure est marquée d’un G, elle indique le titre des trois pièces et « trag ». Recueil factice contenant :

Eurimédon, avec une mention manuscrite qui ajoute dix ans à la date de publication.

Josaphat, tragicomédie, de M. Magnon, Paris, Anthoine de Sommaville, 1647, coupée juste pour entrer dans la reliure. Incohérence : seul le grand titre porte la mention « tragédie ». Le titre interne, le titre filant, bandeau porte la mention de tragi-comédie.

Seianus, tragédie, de M. Magnon, Paris, Antoine de Sommaville, 1647.

Res-Yf-219 : Volume contenant les cotes 215 à 221. Reliure « Théâtre de div. auteurs, Tome III » Les livres sont de différentes tailles, mais ceci est dû à des découpages artificiels. Ce recueil contient :

La Clarimonde, de Baro dediee à la Reyne, Paris, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1648.

Le Capitan, ou le milles gloriosus, comedie de Plaute. Dediée à Monsieur d’Emanville, Paris, Augustin Courbé, 1639.

Les pescheurs illustres, Paris, Guillaume Sassier, 1648.

Les innocens coupables, comedie, Paris, Augustin Courbé, sans date car le privilège n’est pas daté, sans page de garde.

Eurimédon ou l’Illustre Pirate, tragicomédie, par le sieur Desfontaines, Anthoine de Sommaville, 1637

La Balance d’estat, tragicomedie, sans page de garde.

Le Martyre de Saint Eustache, tragédie, Paris, Toussaint Quint et Nicolas de Sercy, 1644.

L’exemplaire d’Eurimédon a été découpé indépendamment de la reliure, et les bas de page (contenant notamment les numéros de cahiers et les côtés contenant les didascalies) sont parfois coupés. Exemplaire incomplet, ne va que jusqu’à la page 102, mais identique aux autres.

Yf-572 : Cet exemplaire est hors d’usage et non communiquable.

Site Richelieu-Arts de spectacle §

8-RF-5988 : Cet exemplaire est une édition séparée identique à la version utilisée pour l’établissement du texte.

Site Arsenal §

4-BL-3492 (1) Pièce n°1, recueil factice « Théatr de Desfont. tom 1. », contenant : Eurimédon ou l’illustre pirate, même édition que précédemment, exemplaire identique à l’exemplaire utilisé pour établir le texte ; La vraye suitte de Cid, tragi-comédie, représentée par la Troupe Royale, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638 ; Orphise ou la beauté persécutée, tragi-comédie, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638.

Exemplaire de la Bibliothèque inter-Universitaire (BIU) de la Sorbonne §

Côte RRA8=424. Cet exemplaire était identique à l’exemplaire utilisé pour l’établissement du texte. Il a fait l’objet de corrections manuscrites non datées mais assez anciennes (plume). En voici la liste :

p.2 « Et ma direction ne rendra pas suspect » discretion

p.6 : « Mesla leur sang brutal à mes prodigues pleurs. » prodigieux

p.32 : « Commandent à mes maux » mains

p.67 : « Perfide, osez-vous bien paroistre en cette lice ? » devient « Perfide, oses-tu bien paroistre en cette lice ? »

p. 81 : « Car c’est d’elle qu’on peut dire avec* raison » *avecque v. 1499

Exemplaires de la Bibliothèque Sainte-Geneviève §

Le premier, 4 Y (2) INV (P.4) ex. 2, est un recueil factice comprenant :

Au dos de la couverture, une feuille découpée et collée sur la couverture, portant des armoiries et le nom de Jean Nicolas de Fralage. Puis nous avons une page de blanc et les pièces suivantes, toutes paginées individuellement :

Panthée, tragédie, par Durval (cette mention est portée à la main), chez Gardin Besongne, Paris, 1639.

Iphis et Iante, comédie, par Bensserade, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.

L’Innocente Fidelité, tragi-comédie, de Rotrou, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.

Eurimédon ou l’illustre pirate, tragi-comédie, de Desfontaines, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1637.

Le railleur ou la satyre du temps, comédie, par A. Mareschal, chez Toussainct Quinet, Paris, 1638.

Alcimedon, tragi-comédie, par P. du Ryer, Secrétaire de Monseigneur le Duc de Vendosme, chez Anthoine de Sommaville, Paris, 1635.

Les Vendanges de Suresne, comédie, par P. du Ryer, Secrétaire de Monseigneur le Duc de Vendosme, Anthoine de Sommaville, Paris, 1636.

Anaxandre, trage-comédie, de P. du Ryer, Anthoine de Sommaville, Paris, 1655.

Hermenigilde, tragédie, par Gaspar Olivier, docteur en Théologie, d’après une mention manuscrite, Nicolas Billiard, Auxerre, imprimeur du Roy, avec permission, 1650.

Les Illustres fous, comédie, de Beys, Olivier de Varennes, Paris, 1653.

L’exemplaire d’Eurimédon est identique à celui qui a été utilisé pour l’établissement du texte.

Deuxième exemplaire :

Delta 15220 (1) FA (P.3), ex. 1.

C’est un recueil factice car chaque pièce a sa propre pagination. L’exemplaire est identique à celui utilisé pour l’établissement du texte. Le titre du recueil factice est « Théâtre complet de Desfontaines, t. 1 », mais son nom n’est pas porté sur toutes les pièces.

Mention manuscrite sur la première feuille (blanche) : « il y a dans cet ouvrage quelques transpositions. mais il est bien complet. » Tampon de la Bibliothèque du roi, Compiègne sur la page de couverture de La Vraye Suite du Cid. Ce recueil contient :

La vraye suite du Cid, tragi-comédie, représentée par la Troupe Royale, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638. Le haut de la pièce est parfois coupé, ceci est dû au découpage réalisé pour faire entrer la pièce dans la reliure ; Hermogene, tragi-comédie, Paris, Toussaint Quinet, 1639 ; Eurimédon ou l’illustre pirate, tragi-comédie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Anthoine de Sommaville, 1637. Mention manuscrite dans le titre : en/er Suelas/Quelasr aulneus/r ; Orphise ou la beauté persécutée, tragi-comédie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Anthoine de Sommaville, 1638 ; L’Illustre Olympe ou le St-Alexis, tragedie, par le Sieur Desfontaines, Paris, Pierre Lamy, 1645 ; La véritable Semiramis, tragédie, par le Sieur Desfontaines, paris, Pierre Lamy, 1647. Cette pièce a des feuilles plus petites que les autres, mais la dimension de la presse semble être la même.

La pièce Eurimédon est identique à la version choisie pour l’établissement du texte. À la fin de la pièce, sur l’achevé d’imprimer, est portée une mention manuscrite illisible (aquesard, aquetard ou aulnou).

Ces précisions nous permettent de conclure que, d’après les exemplaires présents à Paris, l’unique édition d’Eurimédon n’a pas fait l’objet de correction sous presse. L’auteur a pourtant relu la version imprimée, comme le montre l’avis au lecteur, mais la presse n’a pas été refaite.

Liste des corrections §

Nous avons effectué quelques corrections nécessaires à une bonne compréhension du texte.

L’imprimeur utilisait encore l’italique, nous avons changé la typographie et transcrit le texte en romain. Nous avons ainsi appliqué les modifications typographiques d’usage pouvant gêner le lecteur contemporain. Ainsi, nous avons distingué i voyelle de j consonne et u voyelle de v consonne. La ligature & a été systématiquement déliée en et. Nous avons remplacé les voyelles nasales surmontées d’un tilde par la voyelle et la nasale correspondante. D’autres signes typographiques, comme pour ss, 9 pour us (vers 126) et aa pour â ont été actualisés. De même, les accents diacritiques ont été rétablis pour distinguer la conjonction ou du pronom relatif , ainsi que la préposition à du verbe avoir a. Ces modifications ont également été effectuées sur les citations des textes de l’époque.

Correction de où / ou et à / a §

Avis au lecteur : ou tu verras / v. 51 Ou sont-ils ? / v. 194 Où bien ce grand esprit / v. 231 Ou courez-vous Tygrane ? / v. 562 Mais aveugle fureur ou portes-tu […] / v. 1140 la Thrace à reveré les loix / v. 1243 Où bien pour avoir faict ce genereux duël / v. 1244 où plustost si cruel / v. 1256 Punissent tost où tard / v. 1528 Où que vostre pitié / v. 1585 Ou va Tygrane / v. 1723 crime, où bien-faict / v. 1744 Où que comme un ingrat / v. 1780 Je possede le trosne ou regnoient / / v. 108, 124, 194, 375, 462, 494, 548, 580, 645, 762, 789, 849, 868, 1089, 1212, 1226, 1320, 1629, 1838 et entre v. 534 et 535, didascalie « Cartel a Tygrane » : A / v. 547 ce page a mon habit / v. 742 Te va faire servir a mon bras / v. 756 a vostre Majesté / v. 773 Qu’à faict ce Chevalier

Liste des coquilles de l’imprimeur, avant correction §

Sonnet : A MADAMOISELLE DE VERTU. On a unifié l’orthographe de ce nom écrit « Vertu » ou « Vertus ». Le dictionnaire de Moreri orthographie Vertus le nom d’une famille de Bretagne, à laquelle Mademoiselle de Vertu semble appartenir (cf. introduction). / v. 7 du sonnet : Ont doit à tes attraits les plus beaux mouvemens / v. 10 du sonnet : Si j ose descouvrir à la posterité / v. 23 Et ma direction / v. 78 a faict ma recompense / v. 106 la renduë honnorable, / v. 131 Eurimedon / v. 170 n’ay / v. 207 l’ascheté / v. 278 commence a me desplaire, / v. 328 pour vostre repos / v. 352 tant / v. 357 Pasitée / v. 358 leus / v. 374 Qu’a regret / v. 426 Qui ma mis à propos / v. 527 que cherche-tu ? / v. 582 à mes maux / v. 591 ton dessein / v. 607 S’en / v. 615 Alors quelle sçaura / v. 616 Celuy quelle / v. 712 D’ont vous avez / v. 740 de se voir consommé / v. 815 Celuy d’ont / v. 845 Eurimedon, / v. 937 Dymoy / qu’à t’on faict / v. 1010 Ny qu’elle occasion / v. 1016 coup de ma mort. / v. 1096 vous vangè / v. 1128 Et contraint / v. 1148 d’éployer / v. 1246 essez proche / v. 1249 t’a rage / v. 1262 l’a malheureuse / v. 1265 m’a peine / v. 1298 ma surprise / v. 1335 Et s’est mal / v. 1363 Alors quelle commande / v. 1364 Et ce quelle cherit, / v. 1371 a pareil / v. 1508 Qu’il alors qu’il / v. 1515 Les graces / v. 1535 S’en / v. 1553 a d’estruit de delices / v. 1557 t’on audace / v. 1569 cette impor-ne Idee (- correspond au retour à la ligne) / v. 1577 d’y moy que Celiane, / v. 1800 m’est entrè / v. 1810 Vous sçavez quelle fut / v. 1851 mon devoir. / p. 51 et 54 : erreur de numérotation des scènes, les deux dernières scènes de l’acte III portaient les numéros : « SCENE QUATRIEME » et « SCENE CINQUIESME ». / Dans les noms de personnages acte V scène 2 : l’exemplaire que j’ai consulté nommait TYGRANE le premier personnage prenant la parole, au lieu de CELIANE.

NB : Nous avons conservé l’orthographe en fin, que Furetière écrit enfin, car elle était unifiée dans ce texte, et correspond à la formation du mot.

Erreurs signalées par Desfontaines §

Desfontaines, dans l’avis au lecteur, signale que l’imprimeur a fait des coquilles telles que doncque pour doncq, ou encore pour encor, ou avec au lieu d’avecque :

v. 1257 Ne demande doncque pas un salaire Prophane : / v. 1345 Excusez doncque Seigneur ces Innocentes flames, / v. 1499 Car c’est d’elle qu’on peut dire avec raison / v. 1741 Quoy donque, aymez-vous mieux que la rigueur d’un pere

Corrections concernant la ponctuation §

Nous avons conservé la ponctuation de l’époque, qui servait de repère pour la prononciation. Nous avons néanmoins modifié le vers 401 qui s’achevait par « crainte. ». En effet, Dolet, dans La punctuation de la langue Francoise, Paris, Dolet, 1540, désigne le point comme marque de fin de sentence et rappelle qu’il n’est « jamais […] en aultre lieu ». Furetière, en 1690, signale que le point s’inscrit lorsque le « sens [est] complet », la « période achevée ». De plus, ce point en milieu de phrase ne peut désigner une pause longue puisqu’il y a enjambement.

EURIMEDON
OU
L’ILLUSTRE PIRATE,
TRAGI-COMEDIE. §

A
MADEMOISELLE
DE VERTUS,122 §

MADAMOISELLE, [A ; 2]

Voicy des Estrangers qui viennent des extremitez de la Grece, et qui attirez par la reputation de vos merites, souhaittent de s’acquitter des hommages qu’on doit à vostre vertu. Si vous daignez prester l’oreille au recit de leurs advantures, vous ne les estimerez pas indignes de vostre entretien ; et je m’asseure que vous leur ferez un favorable accueil quand vous sçaurez qu’ils sont Princes, et que par des actions qui ne degenerent point de leur naissance, ils vous auront faict voir dans le Tableau de leur vie, les Images de tant de Heros que vostre Illustre Maison a donnez à la France. Je parlerois de vos augustes devanciers, François123, Odet124, et Charles de Bretaigne125 qui sortis des anciens Ducs de cette belle Province, se sont montrez dignes surgeons d’une tyge si glorieuse, et en ont conservé la gloire dans vostre famille, qui en porte encore des marques aussi durables, que celebres ; Je parlerois des notables services qu’ils ont rendus à l’Estat par les effets de leur fidelité, et de leur courage, si ce n’estoit publier des choses qui ne sont incognuës qu’aux barbares, et vouloir comprendre dans une lettre ce qui merite des volumes entiers ; Je diray seulement que ces deux grands Roys Charles huict126 et Louys douze ont honnoré vos ancestres du glorieux tiltre de frere, et qu’en mille occasions ils ont confirmé cette qualité advantageuse qu’Anne de Bretaigne127, digne Espouse de ces deux Monarques leur avoit legitimement acquise. Cette consideration (Madamoiselle) et celle de vostre merite particulier ont faict resoudre deux Roys de venir aussi vous rendre les honneurs que vos Ayeulx ont autrefois receus, et admirer en vous une Majesté qui leur faisant oublier la leur, les force d’avoüer que vous seriez incomparable, si le Ciel ne vous avoit donné une sœur128 qui partage avecque vous les inclinations de tout le monde. La Renommee qui a remply l’Univers de cette verité, a donné de la jalousie aux plus belles de vostre sexe, et de l’admiration aux plus parfaites, mais vous donnerez de l’estonnement à nostre Eurimedon et à sa Pasithee, quand vous leur ferez cognoistre que la beauté, et la gentillesse des Dames de France emportent le prix sur celles de Grece, et de toutes les nations de la Terre ; Aussi n’est-ce pas leur dessein de vous disputer cét advantage, mais seulement d’avoir l’honneur de vous entretenir, afin qu’apres cette faveur ils puissent estre les Paranymphes* de vos merveilles, par la voix de celuy qui a pris la hardiesse de vous les presenter ; et qui desire estre toute sa vie,

MADAMOISELLE,

De vostre Grandeur.

Le tres-humble et
tres–obeïssant serviteur

Desfontaines.

A MADEMOISELLE DE VERTUS. SONNET. §

Beauté par qui Venus void la sienne effacee
Mes vers pour te loüer ont trop peu d’ornemens,
Et je crains, te faisant ces foibles complimens
Que ta rare vertu n’en soit interessee*.
5 Ta gloire ne sçauroit estre plus rabaissee
Qu’alors que le commun en a des sentimens,
On doit à tes attraits les plus beaux mouvemens
D’une ame que le Ciel ayt tousjours caressee :
Pardonne toutesfois à ma temerité
10 Si j’ose descouvrir à la posterité
Ce qui te faict paroistre avec tant d’advantage ;
Qu’on sçache que par toy le vice est abbatu
Et que tes actions mieux qu’un noble heritage
Te donnent aujourd’huy le beau nom de VERTU.

DESFONTAINES.

AU LECTEUR §

Lecteur je croirois offencer ton jugement si je ne le croyois capable de discerner les fautes qui se sont glissees en l’Impression de cét ouvrage, et je ferois tort à ta courtoisie si je ne croyois que tu les excuseras ; c’est pourquoy sans m’arrester à t’en faire le denombrement, je te supplieray seulement de remarquer qu’en deux ou trois endroits où tu verras que les vers manqueront en leur mesures, la faute vient de ce que l’Imprimeur a escrit doncque pour doncq, encore au lieu d’encor, et une fois avec, au lieu d’avecque pour le reste je le laisse à ta discretion.

LES ACTEURS §

  • ARCHELAS Roy de la Troade pere de Pasithee.
  • MELINTE Roy de Thessalie et frere d’Eurimedon.
  • EURIMEDON Amant* de Pasithee.
  • TYGRANE Prince d’Armenie129 et Rival d’Eurimedon.
  • FALANTE Escuyer d’Archelas.
  • LYSANOR Escuyer d’Eurimedon.
  • PASITHEE Infante de la Troade.
  • CELIANE Princesse d’Armenie, et Amante* de Tygrane.
  • ALERINE Suivante de Pasithee.
  • AGRAMOR Page de Tygrane.
La Scene est en l’Isle de Lesbos.
[A ; 1]

ACTE I §

SCENE PREMIERE. §

EURIMEDON, PASITHEE.

EURIMEDON sortant d’un navire et mettant PASITHEE au port.

En fin (belle princesse)130 apres beaucoup d’orages*
Vous revoyez encor ces aymables* rivages,
Neptune131 partizan des ambusches d’amour
S’est montré favorable à vostre heureux* retour,
5 Son perfide* element a respecté vos charmes*, [p. 2]
Et vostre ravisseur a fleschy sous mes armes,
Qui n’ont pû consentir qu’une divinité
Servist de recompense à l’infidelité.
Mais que cette bonté* qui vous rend adorable*
10 Espargne à mon sujet un Prince miserable*,132
Puis qu’Amour est l’autheur du mal qu’il a commis,
Et que vos yeux (Madame) ont fait vos ennemis :
Pardonnez à l’offence en faveur des complices,
La vie est quelquesfois le plus grand des supplices ;
15 Car la mort finissant les jours d’un Criminel
Finit un chastiment qu’ils rendoient eternel.

PASITHEE.

Grand Prince à qui je dois et l’honneur* et la vie
Je tiens puis qu’il vous plaist ma vengeance assouvie,
Et s’il me reste encor quelque ressentiment*
20 C’est pour vous obeïr que j’en ay seulement :
Que sans crainte Araxés retourne à Mitylène
Un secret repentir fera toute sa peine,
Et ma discretion133 ne rendra pas suspect
Celuy qui pour moy-mesme a manqué de respect.

EURIMEDON.

25 Madame : La grandeur des illustres courages*
Se remarque bien mieux dans l’oubly* des outrages,
Qu’alors que134 la rigueur de leurs justes arrests*
Sur quelque Criminel vange leurs interests.
Ce n’est pas que je vueille authorizer sa faute, [p. 3]
30 Ou prendre le party d’une audace si haute ;
Mais desja son supplice à son crime est uny,
Et s’il est sans espoir il est assez puny.

PASITHEE.

Eh bien qu’il soit ainsi : mais je ne puis comprendre
D’où vous vient pour ce traistre un sentiment si tendre,
35 Et je ne sçay comment un cœur si genereux*
A pour son amitié fait ce choix malheureux* ?

EURIMEDON.

Madame, Ce discours est de trop longue haleine
Une autre occasion vous tirera de peine,
Cependant s’il vous plaist, allons rendre à la Cour
40 Au lieu de la tristesse et la joye, et l’amour.135
Mais j’aperçois le Roy, si mon œil ne se trompe,
Et bien que je le voye avecque peu de pompe*136
Toutesfois de son front l’auguste* majesté
Mieux qu’un sceptre Royal faict voir sa qualité.

SCENE DEUXIESME §

[p. 4]
ARCHELAS, EURIMEDON, PASITHEE, FALANTE.

ARCHELAS.

45 Falante : je ne sçay quelle secrette joye
Avecque ce vaisseau la fortune* m’envoye ;
Mais je me sens forcé malgré mon desespoir
De l’aller dans le port moy-mesme recevoir.137

FALANTE.

Sire, ces estrangers qui viennent du rivage
50 Vous pourront esclaircir de cét heureux presage.

ARCHELAS.

Où sont-ils ?

FALANTE.

        Les voilà qui viennent droit à vous,
Pour avoir le bon-heur d’embrasser vos genoux.

ARCHELAS.

Ah ma fille ! Est-ce toy que je revois encore ?
Est-ce toy Pasithee ? ô grands Dieux que j’adore    
55 Je crains que dans l’excez de mon contentement    
Mon trespas ne succede à ce ravissement ! [p. 5]
Mais n’est-ce pas aussi l’effect de quelques charmes*
Qui veut tromper mes yeux affoiblis de mes larmes ?

PASITHEE.

Non Sire, vous voyez celle que le malheur*
60 Avoit fait le butin d’un infame voleur :
Voicy cette Princesse indignement ravie,
Et qui perdoit l’honneur* aussi bien que la vie
Si l’invincible bras de ce liberateur
N’eut empesché ma perte, en perdant son autheur.

ARCHELAS.

65 Chevalier, Je sçay bien que ma recognoissance
Est plus en mes desirs que dedans ma puissance,
Et que pour bien payer cette belle action
Mon sceptre est au dessous de l’obligation :
Il est vray qu’un exploit si digne de memoire
70 Trouve ordinairement son salaire* en sa gloire ;
Mais de peur d’estre ingrat à ce rare bien-faict
Je vous offre le bien que vous nous avez faict,138
Partagez nos plaisirs, regnez dans mes provinces,
Faites vous (s’il vous plaist) des sujets de mes Princes,
75 Je feray tout pour vous, ayant tout faict pour moy,139
Vous m’avez rendu pere et je vous feray Roy.

EURIMEDON.

Ah Sire ! mon secours ne vaut pas qu’on y pense
Et ce qui fit ma peine a faict ma récompense,140
J’ay suivy seulement les loix de mon devoir. [p. 6]
80 Pour servir Pasithee, il ne faut que la voir ;
Et puisque je cherchois cette belle contree
Je benis le sujet qui m’en donne l’entree,
Heureux si les faveurs d’un auspice si doux
Me permettent l’honneur de vivre aupres de vous.

PASITHEE.

85 C’est pour moy seulement que je dois dire heureuse*
La mesme occasion* qui vous fut dangereuse :
Car quand vous n’auriez pas à mes yeux combattu,
Cette Cour est tousjours ouverte à la vertu :
Mais si vostre valeur* m’eust lors* abandonnee,    
90 Je serois maintenant la plus infortunee*
Qui jamais icy bas ayt respiré le jour,
Et je ne verrois pas cet aymable* sejour :
Je serois maintenant pour comble de misere
Peut estre le joüet d’un horrible Corsaire* ;
95 Ou bien pour eviter ce servage* inhumain
Contre mon propre cœur j’aurois armé ma main :
Mais au triste moment de cette violence
La vostre a prévenu leur crime, et mon offence,
Et le coup qui finit leur trame*, et mes malheurs    
100 Mesla leur sang brutal à mes prodigues141 pleurs.

ARCHELAS.

Il falloit reserver à de honteux supplices
L’autheur de ce projet, ou du moins ses complices,
Pour donner un exemple à la posterité [p. 7]
Du juste traictement qu’ils avoient merité ;
105 La mort que le bourreau pouvoit rendre execrable
La gloire* de vos coups l’a renduë honnorable,
Et vous avez donné par des trespas si beaux
À des infames corps des illustres tombeaux.

EURIMEDON.

Sire, Le Dieu des eaux les a dans ses entrailles,
110 Un perfide*142 comme eux a faict leurs funerailles,
Et comme partizan de ce traistre dessein
Il en cache l’autheur dans son humide sein :
En fin de ces brigands la deffaite est entiere,
La mer fut leur refuge, elle est leur cimetiere,
115 Et l’onde a tellement prèvenu* mes efforts
Qu’ils ont esté plustot ensevelis que morts.

ARCHELAS.

Finissons avec eux cette tragique Histoire
Perdons-en s’il se peut jusques à la mémoire,
Craignant que par le bruit des discours superflus,
120 Nous ne ressuscitions ceux qui ne vivent plus ;
Que la joie en nos cœurs succede à la tristesse,
Bannissons desormais cette importune* hostesse,
Et sans nous arrester aux soucis des mortels
À ce Dieu tutelaire143 erigeons des Autels.

EURIMEDON.

125 Ah grand Roy ! Cet honneur plus grand que ma naissance
Au lieu de m’obliger*, me chocque et vous offence : [p. 8]
Car cette vanité me rendant odieux
Reproche en mesme temps une erreur à vos yeux :
Bien loing de m’eslever à ce degré supréme
130 La rigueur du destin m’a mis à l’autre extreme,
Pour toute qualité je suis Eurimedon.144
La fortune* en naissant me mit à l’abandon,
Et pourtant de mon sort l’admirable advanture
Peut passer pour miracle à la race future145 :
135 En un point seulement je le trouve assez beau
Puisque j’eus pour le moins un illustre berceau,
Un Aigle146 me voyant estendu sur la poudre*,
Soit qu’il me voulut mettre à couvert* de la foudre,
Ou bien faire de moy quelque fameux guerrier
140 Porta mon petit corps à l’ombre d’un laurier147 :
Du depuis le destin lassé de me bien faire148
Me mit entre les mains d’un barbare Corsaire*
Qui m’ayant dans un bois sous cet arbre trouvé
Parmy ses compagnons m’a tousjours eslevé.
145 Cent fois il m’a juré que j’estois né d’un Prince
Et m’a tout dit, hormis mon nom, et ma province,
Car de peur de me perdre il m’a tousjours caché
Cet important secret qu’en vain j’ay tant cherché.
Je n’avois que douze ans que desja mon courage
150 Ne pouvoit plus souffrir* la paresse de l’âge,
Et bien que j’eusse horreur de leurs traits inhumains
Il falloit que je fisse un essay de mes mains. [B ; 9]
Un jour l’occasion s’en montra toute preste
Trois Pyrates venus fraischement de la queste*
155 Ne purent sans debat partager leurs butins,
Le lucre* les rendant esgalement mutins*
Ils passerent en fin des discours, à l’espée ;
Et la valeur* d’un seul contre deux occupee
Dans l’inegalité l’alloit faire perir
160 Si je l’eusse pû voir sans l’ozer secourir.
Contre ces lasches cœurs j’entrepris sa deffence,
Et comme l’un des deux mesprisoit mon enfance
Il donnoit à mes coups tant de facilité,
Que sa mort fut le prix de sa temerité.
165 Deslors tous estonnez* de ce trait de courage,
Comme à leur souverain ils me firent hommage ;
Glorieux (disoient-ils) d’obeyr desormais
Au Prince le plus grand que le ciel vit jamais :
Du depuis leur respect pouvoit servir de marque149
170 Que j’estois en effet* nay de quelque Monarque :
Mais je suis incertain de ma condition.

PASITHEE.

Vous estes trop modeste en vostre ambition,
Et si mon ame encor doute en150 vostre origine,
C’est qu’au lieu d’estre humaine, elle la croit divine.

EURIMEDON.

175 Ah ne me flattez pas, un si mal-heureux* sort
Avec le rang des Dieux a trop peu de rapport. [p. 10]

ARCHELAS.

Alcide151 avant sa mort estoit ce que nous sommes,
Ce Heros comme vous nasquit entre les hommes,
Il fut leur protecteur, et cette qualité
180 Luy fraya le chemin de l’immortalité :
Ainsi cette vertu qui vous faict adorable*,152
Et qui rend vostre gloire* à son nom comparable,
Malgré les vains efforts d’un sort injurieux
Vous reserve une place à la table des Dieux.

EURIMEDON.

185 Mon cœur n’affecte pas ces dignitez hautaines
Dont la presomption bouffit les ames vaines,
Je prefere grand Roy, l’honneur de vous servir
Aux grandeurs qui pourroient dans le Ciel me ravir.

ARCHELAS.

De grace* (Eurimedon) quittez cette eloquence,
190 Laissez-vous une fois vaincre à ma bien-vueillance
Commandez153 en ma Cour, mais en ce juste point154
Pour me favoriser ne vous deffendez* point155 :
Ou bien ce grand esprit qui tout autre surmonte156
À l’obligation* adjoustera la honte,
195 Et sa grace* conjointe aux offices du bras157
Nous fera confesser que nous sommes ingrats.

SCENE TROISIESME §

[p. 11]

TYGRANE.

Destin, Neptune, Amour, Dieux cruels*, tristes Astres*
Ne deliberez plus, achevez mes desastres,
Et vous foudres grondans en d’inutiles mains,
200 Que ne punissez-vous les crimes des humains ?
Souffrez-vous qu’un mortel brave vostre vengeance ?
Sans doute* on vous croira de son intelligence,
Et si contre mon chef* vos couroux sont si lens
De mon impunité naistront mille insolens ;
205 Trop pitoyables* Dieux vangez-vous de Tygrane,
J’ay trahy Pasithee et trompé Celiane,
L’une en mon changement*, l’autre par lascheté :
Celiane ressent mon infidelité,
Et faute de secours, la belle Pasithee
210 Est par ses ravisseurs indignement traictee,
Cependant sur le point qu’elle s’en va perir158
Je suis les bras croisez et la laisse mourir.
Ah ! c’est trop endurer un ingrat sur la terre,
Cieux achevez mon sort par un coup de Tonnerre :
215 Ce tragique accident* ne sera pas nouveau, [p. 12]
Le deluge du feu suivra celuy de l’eau,
Et mes membres espars sur cet humide empire
Auront en mesme temps l’un et l’autre martyre.
Mais qu’en vain pour avoir un remede à mes maux
220 J’importune* les Dieux puis qu’ils sont mes rivaux :
Vaste mer qui retiens mon ame et mes delices
Ouvre au moins à mon corps tes affreux precipices,
Puisque desja ma vie est sur ton Element,
Prens ce qui reste encor d’un malheureux Amant*.
225 Ah plustost par mes cris ta colere irritee
Emporte ma parole avecque Pasithee !
Je la suivray pourtant, et mes tristes vaisseaux
Feront si promptement le grand tour de tes eaux,
Que je te forceray de me rendre ma Reyne,
230 Ou d’achever ma vie en achevant ma peine.

SCENE QUATRIEME §

FALANTE, TYGRANE.

FALANTE.

Où courez-vous Tygrane ? Et quel aveuglement
Vous oblige à revoir ce perfide* Element, [p. 13]
Cependant que159 la Cour retentit d’allegresse,
Et benit le retour de sa chere Princesse.

TYGRANE.

235 De qui ?

FALANTE.

De Pasithee.

TYGRANE.

            O rare invention !
Croy-tu par ce moyen calmer ma passion ?
Non (Falante) sa perte est par trop veritable
Pour cesser mes transports* au recit d’une fable.

FALANTE.

Tygrane, mon discours a tant de verité
240 Qu’il peut vaincre aisément vostre incredulité,
Si pour rendre à vos yeux la nouvelle certaine
Il vous plaist seulement d’entrer à Mitylene,160
Là vous verrez l’objet*161 qui vous fit amoureux*
Et le liberateur qui vous a faict heureux.

TYGRANE.

245 Quel est ce Chevalier, est-il de cognoissance ?

FALANTE.

Non, c’est un estranger, mais d’illustre naissance,
On le traite de Prince, et son port gracieux
Ne degenere point de ce nom glorieux,
Cet auguste* guerrier singlant162 devers cette Isle
250 Se venoit r’afraischir à la premiere ville, [p. 14]
Quand il a rencontré le funeste vaisseau
Qui mettoit vostre espoir et l’Infante au tombeau :
Comme il s’en approchoit d’une163 extreme vitesse,
Il oüit cette voix (sauvez une Princesse)164
255 Aussi-tost abordant ce traistre Galion*
Il s’eslança dedans plus hardy qu’un Lyon,
Malgré ses ravisseurs delivra Pasithee,
Et mit à fonds la nef qui l’avoit emportee.
Ce genereux* heros apres ce grand effort
260 S’offrit incontinent* de la remettre au port,
Mais avec tant de grace*, et tant de bien-vueillance165
Qu’il rendit son respect esgal à sa vaillance,
Et l’Infante advoüa* qu’une telle action
Fit voir moins de valeur* que de discretion*.

TYGRANE.

265 Dieux que je suis confus ! Et que cette nouvelle
Me semble en mesme temps agreable, et cruelle* !
Deux mouvemens divers tyrannizent mon cœur,
J’ayme bien ce retour, mais je crains son autheur.
Son merite, son port, sa valeur* esprouvee*,
270 Cette discretion* de ma Reyne approuvee
Sont autant de Devins qui predisent mon mal,
Et d’un liberateur me feront un rival :
Ainsi mes sentiments divisez* en moy-mesme
Emportent mon esprit de l’un à l’autre extreme.    
275 Quand je songe au bon-heur qu’il nous a procuré [p. 15]
Aussi-tost je conclus qu’il doit estre adoré :
Mais apres combatu d’un mouvement contraire
L’objet* que j’ay flatté commence à me desplaire,
Et si quelque devoir m’oblige à le cherir    
280 Je croy baiser la main qui me fera perir.

FALANTE.

Deliurez vostre esprit de cette fantaisie
Permettez à l’Infante un peu de courtoisie*,
Vous aurez son amour, luy sa civilité ;
Cet honneur est un prix qu’il a bien merité,
285 Et mesme vous devez (au moins par complaisance)
De quelque complimens honnorer sa presence.

TYGRANE.

Hé bien (Falante) allons luy rendre ce devoir,
Et vous mes tristes yeux preparez-vous de166 voir167
L’Astre de mon amour, et l’object de ma crainte ;
290 Toutesfois insolents dedans cette contrainte
Que vos jaloux regards ne me trahissent pas,
Mais lisez en riant l’arrest* de mon trespas.

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE.

EURIMEDON.

Madame, excusez-moy si voyant tant de grace* [p. 16]
J’ayme vos ennemis et cheris leur audace,
295 Puisque les mesmes traits* qui vous ont fait trahir
Ne me permettent pas de les pouvoir haïr ;
Cette rare douceur, ces apas, et ces charmes*,
Contre un foible mortel sont de trop fortes armes,
On ne peut eviter l’atteinte de leurs coups,
300 Le cœur qui les reçoit mesme les trouve doux :
Et quoy que la raison à nos desirs oppose
Vous voir et vous aymer n’est qu’une mesme chose.
De la sorte Araxés se sentant consommer*,
Pour esteindre ses feux eut recours à la mer, [p. C ; 17]
305 Mais vos yeux plus puissans que le flambeau du monde168
Brulent esgalement sur la terre, et sur l’onde ;
Et son cœur amoureux* par ce tour imprudent
Eust sans moy sur les eaux fait un naufrage ardent :
En fin mon sentiment* contre vous se rebelle*,169
310 Je pardonne aux transports* d’une faute si belle,
Et ne me puis resoudre* à blasmer un effect*
Qui me permet de voir un object* si parfaict.

PASITHEE.

Je suis (Eurimedon) trop peu considerable
Pour vous rendre envers luy170 de beaucoup redevable :
315 Et quand j’aurois assez de grace* et de beauté
Pour toucher un guerrier de vostre qualité,
Vostre vertu vous donne assez de privilege
Pour n’avoir pas besoin d’un Prince sacrilegé*171.
Mais qu’est-il devenu depuis vostre retour,
320 Je croy qu’il n’oseroit se monstrer à la Cour,
Mon abord* luy faict peur ou bien sa conscience
Luy conseille de vivre en cette deffiance
Mais il craint vainement.

EURIMEDON.

            Je ne sçay si le sort
Ou sa timidité* l’ont esloigné du port [p. 18]
325 Mes gens pour le trouver ont tourné* toute l’Isle172
Mais sa fuitte a rendu leur recherche inutile.

PASITHEE.

Que les Dieux pour jamais173 l’exilent de Lesbos
Pour mon contentement, et pour vostre repos.174
Mes yeux n’ont que trop veu ce Prince abominable
330 Dont la rage a pensé me rendre miserable,
Et vous n’avez vangé mon honneur* qu’à demy
Si vous n’abandonnez un si perfide* amy.

EURIMEDON.

Vos vœux seront suivis de mon obeïssance,
Mais (Madame) apprenez que nostre cognoissance
335 Venant plus du hazard que de mes volontez
Je ne prens point de part en ses meschancetez*.
Un jour aux environs des costes de l’Epyre175
Il fut pris, et mené prisonnier en Corcyre176,
Mais lors* qu’il attendoit le prix de sa rançon
340 Ma pitié le sauva.

PASITHEE.

        Dieux ! de quelle façon ?

EURIMEDON.

Je cognus par l’excez de la melancolie
Où l’ame de ce traitre estoit ensevelie,
Qu’une forte douleur agitoit son esprit,
Comme par ce discours sa bouche me l’apprit :
345 Grand Prince (me dit-il) ne trouvez pas estrange [p. 19]
Si dans cette prison où le destin me range
J’ose faire paroistre un extreme soucy
Malgré tant de faveurs que je reçois icy :
Je ne souffre pas seul, tout un peuple souspire,
350 Et le sort d’Araxés est celuy de l’Empire,
Encore que ce point soit assez important
Ce n’est pas toutesfois ce qui m’afflige tant.
Un mal-heur plus pressant attaque ma fortune*,
Amour voulant trahir est trahy par Neptune177 ;    
355 Et la mesme prison qui me tient arresté
Me ravit ma maitresse* avec ma liberté.
Cet objet* (reprit-il) s’appelle Pasithée,
Je l’aymay des l’instant que je l’eus visitée*,
Et nous sommes unis par de si doux accords
360 Que vous n’avez de moy seulement que le corps :
Cette princesse en a la meilleure partie ;
Sa parolle à ces mots en souspirs convertie
Parut plus esloquente en son affection,
Et porta mon esprit à la compassion.

PASITHEE.

365 Ah ! que favorisant cette ame criminelle,
Vostre pitié me fut rigoureuse, et cruelle !

EURIMEDON.

Il est vray : mais aussi mon bras a reparé
Le mal que mon esprit vous avoit preparé,
Et si lors* je faillis*, ce fut par innocence* ; [p. 20]
370 Comme je le croyois d’une illustre naissance178
Je creus que son amour, et ses intentions
Avoient quelque rapport à vos perfections,
Outre que je voulois renoncer à la vie
Qu’à regret ma jeunesse a trop long-temps suivie.
375 À cette occasion je luy dis le dessein
Que la gloire* et l’honneur* m’avoient mis dans le sein179,
Et que mon cœur pressé d’un plus noble genie
Vouloit me delivrer de cette tyrannie,
Où ma valeur* rebelle à ses propres effets
380 Plaignoit le plus souvent ceux qu’elle avoit deffaits ;
Luy pour me tesmoigner une amitié parfaite
M’offrit dans ses estats une seure retraitte,
Et moy pour obliger* ce malheureux* amant*
J’accompagnay de dons son eslargissement* :     
385 Nous prismes rendez-vous ; Apres son ambassade180
Il devoit dans deux mois m’attendre en la Troade181
Où mon navire alloit heureusement ancrer,
Quand mon sort et le sien me l’ont fait rencontrer.
Mais que je fus d’abord* confus en cet orage*,
390 Quand son casque levé me montra son visage,
Il le faut advoüer, mon esprit incertain
Ne pouvoit approuver les efforts de ma main,
Je plaignois son malheur, je blasmois mon courage,
Mon bras se repentoit d’avoir fait cet outrage182, [p. 21]
395 Et si vostre pitié n’eust signé son pardon,
J’eusse lavé son crime au sang d’Eurimedon.

PASITHEE.

Le sien ne fut jamais digne de ce meslange183
Ne le regrettez point vous gaignerez au change*,
Vous m’avez secouruë, et le Ciel l’a permis
400 Pour vous donner icy de plus nobles amis.

EURIMEDON.

Madame,

PASITHEE.

Poursuivez.

EURIMEDON.

            Je ne puis.

PASITHEE.

                Quelle crainte184
Vous faict aupres de moy vivre en cette contrainte ?

EURIMEDON.

Permettez moy Madame.

PASITHEE.

            Achevez.

EURIMEDON.

            D’esperer.

PASITHEE.

Esperez.

EURIMEDON.

Ah Madame ! Il vous faut adorer. [p. 22]
405 Car pourveu que le cœur à la bouche responde
Je me tiens desormais le plus heureux du monde ;
Mais à ce grand bon-heur Tygrane espere aussi.

PASITHEE.

N’importe (Eurimedon) laissez moy ce soucy,
Si votre amour est grand comme vostre courage
410 Je sçauray bien aussi vous donner l’advantage.

ALERINE.

Madame parlez bas, j’entends venir quelqu’un.

PASITHEE.

Sans doute* (Eurimedon) c’est ce Prince importun*185.

SCENE SECONDE §

EURIMEDON, PASITHEE, TYGRANE.

TYGRANE.

Depuis vostre retour (divine Pasithee)
Si je ne vous ay pas aussi-tost visitee*,
415 Ne vous figurez point que l’oubly du devoir
M’ay rendu moins ardent au desir186 de vous voir :
Si j’avois sceu plustost cette heureuse* nouvelle [p. 23]
Vous auriez de mes soins* une preuve fidelle,
Que je vous suis toujours par inclination*,
420 Ce que je vous seray par obligation187.
Se tournant vers Eurimedon.
Grand Heros si jamais le destin plus propice
M’offre l’occasion de vous rendre service.188

EURIMEDON.

Seigneur, je ne suis pas digne de cet honneur
Puisque ce que j’ay faict se doit à mon bon-heur*189 ;
425 Je beny toutesfois mon heureuse* fortune*
Qui m’a mis à propos sur le sein de Neptune190,
Pour punir les autheurs de son191 enlevement
Et faire de leur sang vostre contentement.

PASITHEE.

Grands Princes : je vous suis à tous deux obligee*,
430 Et les soins* de tous deux m’ont si fort engagee,
Que je devrois rougir de donner seulement
Pour de si bons effets un mauvais compliment ;
Toutesfois en ce point cette raison me flatte,
Qu’il vaut bien mieux paroistre ignorante, qu’ingratte.

TYGRANE.

435 Pour souffrir* ce reproche, et l’esprit et le corps
Font en leurs qualitez de trop charmans accords.

PASITHEE.

Si j’avois plus d’orgueil, et moins de modestie,
Je pourrois advoüer* l’une et l’autre partie, [p. 24]
Mais Tygrane apprenez que je sçay mes deffaux.

TYGRANE.

440 Si c’est par le miroir apprenez qu’il est faux,
Et qu’inutilement vous consultez sa glace
S’il ne vous y fait pas remarquer votre grace*.

EURIMEDON.

Il a pour ses attraits trop de fidelité.

PASITHEE.

Et vous pour me flatter trop de civilité :
445 Quoy donc apres la paix, vous me donnez la guerre ?
Vous me sauvez en mer, et m’attaquez en terre ?
Desirez-vous encore un triomphe nouveau ?

EURIMEDON.

Non je veux ma deffaite en un combat si beau.

PASITHEE.

Vous ne prendrez donc pas le soin*192 de vous defendre.

TYGRANE.

450 On se defend en vain quand le cœur*193 se va rendre.

PASITHEE.

Il est vray, mais je tiens un triomphe à mespris
Si la difficulté n’en augmente le prix.

TYGRANE.

Vous aymeriez pourtant cette riche conqueste,
Quelque facilité qui vous la rendist preste.

PASITHEE.

455 Tygrane, vous jugez de mon intention [p. D ; 25]
Selon la belle humeur de vostre passion

TYGRANE.

Mon sentiment plustost parle selon la gloire*194
Que vous pourra donner cette belle victoire

PASITHEE.

Quelle ?

TYGRANE.

D’Eurimedon, qui vous donne son cœur.

PASITHEE.

460 Veid-on jamais vaincu triompher du vainqueur ?

EURIMEDON.

Ou vainqueur ou vaincu souffrez que je sois vostre,
À qui vit sans espoir qu’importe l’un ou l’autre.

TYGRANE.

En amour, toutesfois l’esperance est l’aymant.

EURIMEDON.

Ouy pour vous qui portez la qualité d’Amant*,
465 Mais mon affection à bien moins se limite,
Et je suis sans desir, ainsi que sans merite.

PASITHEE.

Puis qu’en tous ces debats j’ai beaucoup d’interest195
Nous en pourrons donner une autrefois l’arrest*,
Cependant je veux bien que l’un et l’autre espere
470 Pour moy je m’en vay voir ce que fait le Roy mon pere.

SCENE TROISIEME. §

[p. 26]

TYGRANE.

Dieux que viens-je d’oüyr : mais helas qu’ay-je veu ?
Il se peut faire aussi que je me sois deçeu*
Ou qu’un enchantement* qui me trouble l’oüye    
Par de mesmes effets ayt ma veuë esbloüye :
475 Sans doute* tout cecy n’est qu’une illusion
Qui remplit mon esprit de sa confusion* :
Mais Prince infortuné* que ton mal est extréme !
As-tu quelque advantage à te tromper toy-mesme ?
Apres avoir esté present à leur discours
480 Cherches-tu dans la feinte un frivole secours ?
Non, non, ne flatte plus les mespris de ta Reyne,
Tu cognois maintenant la cause de sa hayne,
Elle destine ailleurs son inclination*,
Et tu seras l’objet de son aversion.
485 Ne venois-je en ce lieu qu’à dessein que j’y visse
Qu’un rival me ravit les fruits de mon service* ?
Et que celle qui tient mon esprit en langueur,
Garde pour luy l’amour, et pour moy la rigueur ?
Ah que le sentiment d’un si visible outrage [p. 27]
490 Excite dans mon cœur un violent orage196 !
Et qu’à regret mes yeux verront un incognu
Tenir icy le rang que Tygrane a tenu !
Mais que ma bouche employe une foible allegeance*
À des maux qui ne l’ont que dedans la vengeance,197
495 Mon rival doit mourir, et mon contentement
Ne doit estre tiré que de son monument198.

SCENE QUATRIEME §

CELIANE en habit de Cavallier.

He bien cruel* Amour que fera Celiane ?
Porteray-je l’enfer dans le ciel de Tygrane ?
Dois-je craindre, esperer, ou voir que ton flambeau
500 Esclaire en mesme temps son lit, et mon tombeau ?
Seray-je plus heureuse* en ce bel equipage* ?
Crois-tu qu’en cet habit je plaise d’avantage ?
Ne me faits point languir, acheve mon dessein,
Puisque c’est ton pouvoir qui me l’a mis au sein :
505 Mon cœur pour t’obeïr n’a point trouvé d’obstacle
N’en trouve pas aussi pour produire un miracle,
C’est toy qui m’as reduitte en cette extremité.
Fais donc voir un effect de ta Divinité. [p. 28]
Ce perfide* autrefois vivoit sous mon empire,
510 Moy seule je faisois sa joye et son martyre,
Et je reglois si bien ses inclinations*,
Que mes desirs estoient toutes ses passions ;
Cent fois il m’a juré de donner à sa flame*
Un aussi long destin que celuy de son ame :
515 Mais depuis quelque temps en cet objet* vainqueur199
L’esloignement des yeux a faict celuy du Cœur ;
Maintenant Pasithee est la beauté divine,
Qui bastit son espoir dessus cette ruyne,    
Et destruit une amour200 dont la sincerité
520 N’avoit à desirer que l’immortalité.
Mais contre tant d’attraits il n’a pû se deffendre,
Sa princesse a le feu dont je n’ay que la cendre201,
Et toutesfois jamais l’excez de sa froideur
N’esteindra qu’en mon sang mon amoureuse* ardeur,202
525 Ah pour un lasche cœur trop magnifique offrande !

SCENE CINQUIESME. §

[p. 29]
CELIANE, ARGAMOR.

ARGAMOR.

Voyla comme je croy celuy que je demande.

CELIANE.

Page que cherches-tu ?

ARGAMOR.

            Je cherche Eurimedon.

CELIANE.

Feignons pour sçavoir tout que je porte ce nom.203

ARGAMOR.

Ce Prince Monseigneur vous ressemble à l’extréme.

CELIANE.

530 Tu ne trompes point Page : car c’est moy-mesme.

ARGAMOR.

Luy donne le Cartel.
Ce mot donc (s’il vous plaist) en cette occasion
Vous dira le sujet de ma commission.

CELIANE.

Voyons ce qu’il contient : Ah qu’en ses caracteres
Mes yeux vont descouvrir d’agreables mysteres !204

CARTEL DE TYGRANE À EURIMEDON. [p. 30]

535 En vain Eurimedon tu me penses ravir
L’incomparable Pasithee,
Mais la gloire* de la servir
Te sera si bien disputee.
Que si je te puis voir avant la fin du jour,
540 Nous perdrons l’un ou l’autre, ou la vie, ou l’amour.
Ouy Page il peut me voir ; s’il veut prendre la peine
De sortir promptement des murs de Mitylene,
Il receuvra de moy la satisfaction
Qu’on doit donner à ceux de sa condition.

ARGAMOR s’en allant.

545 Seigneur dans peu de temps vous y verrez Tygrane.

CELIANE.205

Et pour Eurimedon il verra Celiane.
Ce Page à mon habit m’a pris pour ce rival
À qui ce Prince ingrat prepare tant de mal,
Mais n’importe je veux m’exposer à sa rage,
550 Et qu’il fasse le coup qu’auroit faict mon courage,
Le Ciel n’est à mes vœux contraire qu’à demy
Si je meurs de la main d’un si cher ennemy,
Mon cœur à son amour autrefois si propice
Au lieu d’estre l’Autel sera le Sacrifice,
555 Et le coup que son bras luy va faire sentir
Fera d’un Idolatre un amoureux* martyr : [p. 31]
Mes yeux pour ce cruel* ont trop versé de larmes,
Il est temps que mon sang soit tiré par ses armes,
Et que par ses boüillons mes desirs innocens
560 Mesme au point de la mort luy donnent de l’encens.
Mais aveugle fureur où portes-tu mon ame ?
Pourquoy faut-il mon sang pour esteindre ma flame* ?
Pour estre mal-heureuse, est-ce un point important
Qu’il me faille sauver en me precipant ?    
565 Non, non, quittons l’erreur qui trouble ma pensee
Et repoussons les traits* d’une amour insensee,
Evitons les appas* de ce subtil poison
Mettons au front d’amour les yeux de la raison206,
Et ne permettons pas qu’une passion feinte
570 Donne à mon noble Cœur une si vile atteinte.
Toutesfois c’est en vain que je veux reculer,
Le traict desja lancé ne se peut rappeller :
Il faut, il faut franchir constamment* la carriere,
Et ne point perdre cœur* en perdant la lumiere :
575 Lors* que nous esprouvons* le destin malheureux*
L’ennemy qui nous tuë est le moins rigoureux.
Amour voy que la mort me donne peu d’alarmes
Puisque pour l’irriter je mets la main aux armes,
Regarde cet habit, voy dessous cet armet
580 À quelle extremité ton pouvoir me sous-met,
Et comme tous les traits qui sont en mon visage, [p. 32]
Commandent à mes mains207 d’assister mon courage ;
Depuis que je sentis les destins ennemis,
Je creus absolument que tout m’estoit permis,
585 Que l’espee à ma main estoit mesme decente
Pour maintenir les droits d’une flame* innocente,
Sous cette passion mon esprit abbatu
Se mocque des advis que donne la vertu,
Et croiroit meriter d’estre au rang des infames,
590 Si je suivois les mœurs du vulgaire* des femmes ;
Courage Celiane, acheve ton dessein,208
C’est folie en amour que d’avoir l’esprit sain,
Suy tes nobles transports* tu seras satisfaite,
Et tu triompheras mesme par ta deffaite :
595 Car Tygrane privant Celiane du jour
Fera de son tombeau celuy de son amour ;
Mais je le vois venir, songeons à nous deffendre.

SCENE SIXIESME §

[p. 33]
TYGRANE, CELIANE

TYGRANE.

Chevalier excusez, Je vous ay faict attendre.

CELIANE.

Tygrane vostre sang signera ce pardon.

TYGRANE.

600 Ce sera bien plustost celuy d’Eurimedon.

CELIANE.

C’est où vostre valeur* sera bien occupee.

TYGRANE.

C’est où je tremperay maintenant mon espee.

CELIANE.

Tu mentiras perfide*.

TYGRANE.

            Ah c’est trop discourir.
Quand Mars209 et tous les Dieux te viendroient secourir,
605 Ce propos insolent te coustera la vie.

CELIANE tombant.

Ah Dieux ! ce coup mortel seconde son envie, [p. 34]
Je meurs contente* (ingrat.)

TYGRANE.

                C’210en est faict il est mort.
Et ce fameux Guerrier en espreuve un plus fort.
Mais que me sert d’avoir vaincu ce grand courage
610 S’il a mesme en sa mort dessus moy l’avantage :
Triste ressentiment*, inutile valeur*
Vous triomphez de tout hormis de mon malheur,
Mon rival perd la vie, et je pers Pasithee
Qui sera par ce sang justement irritee,
615 Alors qu’elle211 sçaura que j’ay privé du jour
Celuy qu’elle avoit faict l’object* de son amour :
Mais afin d’eviter un visible naufrage
Mettons nous pour un temps à couvert* de l’orage*,
Et fuyant les abords de l’Infante et du Roy,
620 Sçachons ce qu’ils auront deliberé de moy.212

SCENE SEPTIESME. §

[p. 35]

CELIANE revenant de son esvanoüissement.

Donne encore à mes yeux sa lueur importune* ?
Quel funeste Demon apres tant de douleurs
Faict avecque mon corps revivre mes malheurs ?
625 Pluton me chasse-t’il de ses demeures sombres,
Me reffuse-t’on place en l’empire des ombres ?
Ouy : parce que la mort a pour moy des appas*,
Les Dieux pour m’affliger ne me l’accordent pas.
Viens doncque lasche vainqueur, viens perfide* Tygrane
630 Au lieu d’Eurimedon achever Celiane ;
Ta cruelle* pitié prolonge ma langueur,
Et tu m’obligerois* d’avoir plus de rigueur :
Mais je t’appelle en vain, tu n’entens pas ma plainte,
Vivons, mon cœur le veut, et je m’y vois contrainte,
635 Attendant que le Ciel plus esmeu de pitié
Lance le dernier traict de son inimitié ;
J’iray dans le sejour de quelque solitude
Chercher allegement à mon inquiétude.
[p. 36]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

EURIMEDON, PASITHEE.

EURIMEDON.

C’en est faict, Pasithee, il faut ceder au sort
640 Qui contre nos amours faict son dernier effort,
Il faut prendre congé de ses cheres delices
Qu’un soudain changement* convertit en supplices ;
Je ne m’y puis resoudre*, et pour me secourir
Le Ciel me feroit grace* en me faisant mourir :
645 À mes plus justes vœux la fortune* s’oppose,
Et vous perdant helas ! Je perdray toute chose ;
Esloigné de vos yeux tout me fasche, et me nuit ;
Je tiens indifferends et le jour, et la nuit,213
C’est par vous seulement que mon ame respire,
650 Mais quoy sa Majesté veut que je me retire.
Ah trop severe arrest* ! triste commandement [E ; 37]
Qui ne differez plus ma mort que d’un moment
Satisfaictes le Roy, contentez son envie,
Je consens librement qu’on m’arrache la vie,
655 Pourveu qu’en vous disant ces funestes adieux,
On m’accorde l’honneur de mourir à vos yeux.

PASITHEE.

Eurimedon, le Roy hait trop l’ingratitude
Pour faire à ses amis un traictement si rude,
Et vous devez penser qu’il ayme assez l’honneur*
660 Pour ne vous pas oster214 un si foible bon-heur.

EURIMEDON.

Madame, pleust aux Dieux que ce fut un mensonge
Qu’auroient faict seulement les chimeres d’un songe,
Mais mon malheur est vray : Falante ce matin
Par ce triste discours a marqué mon destin.
665 Eurimedon, le Roy jaloux* de vostre gloire*,
Craint de vous desrober quelque insigne* victoire,
Et pour vostre interest touché de ce soucy
Il veut bien (s’il vous plaist) que vous partiez d’icy
Pour vous bien employer ses Etats sont trop calmes
670 Et vous pouvez ailleurs arracher mille palmes,
Au lieu que la grandeur d’un courage indompté
Se destruit tous les jours dedans l’oysiveté.

PASITHEE.

Sans doute* (Eurimedon) que c’est un stratageme
Que Tygrane a joué croyant215 que je vous aime ; [p. 38]
675 Mais à ce compliment qu’avez-vous respondu ?

EURIMEDON.

Ce que pouvoit alors un esprit esperdu,
J’ay promis d’obeïr, quoy que pour m’y resoudre*
Il faille auparavant que216 je sente la foudre.

PASITHEE.

Mon Prince relevez vostre esprit abbatu,
680 Contre elle vos lauriers*217 ont assez de vertu,
La volonté du Roy n’est pas irrevocable,
Je rends (quand il me plaist) son humeur plus traitable,
Et si quelque envieux vous a desobligé
Vous aurez le plaisir d’estre bien-tost vangé.

EURIMEDON.

685 Ah Madame ! si j’oze esperer cette grace*
Ne blasmerez vous l’excez de mon audace ?

PASITHEE.

Mais si je vous laissois en cette extremité
N’accuseriez vous pas mon cœur de lascheté ?

EURIMEDON.

Non, j’en accuserois seulement la fortune*.

PASITHEE.

690 Vous n’en aurez jamais qui ne me soit commune,
En cette occasion le Roy par sa rigueur
Peut beaucoup sur mon corps, et rien dessus mon cœur. [p. 39]

EURIMEDON.

Cette faveur (Madame) augmente mes souffrances,
Pour oster mes regrets, ostez mes esperances,
695 Que vos yeux contre moy soient armez de couroux,
Vos regards plus cruels* me seront les plus doux ;218
Et puisque ma blessure est un coup de leur flame,
Qu’avecque leurs mespris ils guerissent mon ame.

PASITHEE.

Si Tygrane lassé d’estre ingrat et jaloux,
700 Me faisoit aujourd’huy les mesmes vœux que vous,
Cette requeste auroit quelque juste apparence,
Et je le traitterois avec indifference,
Mais plustost que d’user envers vous de rigueur
J’ayme mieux qu’on m’arrache et les yeux, et le cœur.

EURIMEDON.

705 Il est vray qu’à present que mon malheur ordonne
Pour obeïr au Roy que je vous abandonne,
Vous feriez conscience en mon esloignement
D’adjouster à mes maux un mauvais traitement ;
Mais si d’oresnavant ma presence importune*
710 Veut que je quitte Amour pour suivre la fortune*
Dequoy vous servira le triste souvenir
Dont vous avez dessein de vous entretenir ? [p. 40]

PASITHEE.

Cet agreable objet* de merite, et de gloire*,
Conservera ce bien au moins à ma memoire
715 Que tenant occupez mon cœur, et mes espris
Il les empeschera d’estre jamais surpris,
Dez que d’un courtizan je seray regardee :
Aussi-tost consultant cette divine Idee,
Je luy tesmoigneray qu’apres des feux si beaux
720 Je ne sçaurois brusler pour de moindres flambeaux :
Si quelqu’un me pretend* par le nom de fidele,219
Je diray : Mon Amant* en estoit le modele ;
Et pour oster l’espoir aux plus ambitieux
Vostre gloire* sera la honte de leurs yeux ;
725 Je leur proposeray vos vertus pour exemples,
Vos rares qualitez qui meritent des Temples,
Vos faits*, vostre valeur*, vostre discretion*,
Et sur tout vostre amour, et mon affection.

EURIMEDON.

Que mon destin (Madame) a d’estranges caprices !
730 Voyez combien de fiel altere mes delices,
Au point du desespoir il me veut resjoüir,
Et m’offre des faveurs quand je n’en puis joüir.

PASITHEE.

L’amour (Eurimedon) faict de plus grands miracles,
Pour sçavoir vos ayeux consultez les oracles,
735 Et si je manque alors à ce que j’ay promis, [F ; 41]
Je consens que les Dieux soient tous mes ennemis.

EURIMEDON.

Pour arres* de ce bien dont mon ame est ravie,220
Ma Reyne permettez que je laisse ma vie
Eurimedon se panche pour luy baiser le sein 221
740 Sur ce superbe* Autel où mon cœur enflammé
N’attend que le bon-heur de se voir consummé*222.

SCENE DEUXIESME. §

EURIMEDON, PASITHEE, ARCHELAS, FALANTE.

ARCHELAS mettant la main à l’espee.

Insolent bien plustost mon courroux legitime
Te va faire servir à mon bras de victime.

FALANTE.

Ah Sire !

ARCHELAS.

Laisse moy punir ce suborneur,
745 Qui faict de mon Palais le tombeau de l’honneur*.

PASITHEE à Eurimedon.

Seigneur au nom des Dieux evitez sa colere.

EURIMEDON s’en allant.

Ah de tant de bien-faits trop indigne salaire* ! [p. 42]

ARCHELAS.

Mais d’un acte insolent juste punition.

PASITHEE.

Si vous examiniez quelle est sa passion
750 Elle vous feroit voir beaucoup de modestie.

ARCHELAS.

Vous voulez contre moy vous rendre aussi partie
Madame : et vous croyez que son impunité
Authorise à present vostre temerité ?

PASITHEE.

Non Sire ; Mais en vous le Ciel veut que j’espere
755 La clemence d’un Juge, et la bonté* d’un pere ;
Afin de m’excuser si ma civilité
A despleu maintenant à vostre Majesté.

ARCHELAS.

Comme Juge je dois chastier son offence,
Et comme pere aussi corriger la licence,
760 Qui vous a faict donner à ce jeune effronté
Tant d’injustes faveurs et tant de privauté.

PASITHEE.

Sire je ne pouvois à moins d’estre incivile
À mon liberateur estre plus difficile,
Si ce Prince a receu quelque chose de moy
765 Vous m’avez le premier imposé cette loy,
Et sa propre vertu me forçoit de luy rendre [p. 43]
Les devoirs que l’honneur* ne me pouvoit deffendre* :
Tantost vous admiriez ce Prince genereux*,
Pour le mesme à present vous estes rigoureux ;
770 Je dois à ce Guerrier le jour que je respire,
Vous voulez toutesfois qu’il sorte de l’Empire,
Et trompant son espoir avec un faux accueil
Vous promettez un throsne, et donnez un cercueil.

ARCHELAS.

Qu’a faict ce Chevalier ? Et que doit-il pretendre* !223 
775 Si ce qu’il a sauvé luy-mesme il le veut prendre,
Et ne vous a renduë à la Cour seulement
Que pour pescher icy plus magnifiquement,
Vous souffrez toutesfois que seul il vous cajolle,
Contre un pere pour luy vous prenez la parole,
780 Il baise librement et la bouche, et le sein,
Et tout cela chez vous passe pour bon dessein :
Sa conversation est la mesme innocence224,
En parler seulement c’est commettre une offence :
Croyez que si le faict se passe impunément
785 Je n’ay plus de memoire ou de ressentiment*,
Et que ne pouvant pas vous porter à me craindre
Pour vous persuader je sçauray vous contraindre ;
Malgré ce beau mignon qui cause tout cecy
Vos discours changeront dans peu de temps d’icy.

SCENE TROISIESME. §

[p. 44]

EURIMEDON s’en allant.225

790 À quel point m’a reduit la cruauté des Astres*
Qui m’affligent tousjours,
Que je ne puis trouver parmy tant de desastres
La fin de ma misere, et celle de mes jours.
Sans cesse le malheur me livre ses atteintes,
795 Et mon mal sans pareil
M’arrache chaque jour plus de cris et de plaintes
Qu’on ne void de moments marquez par le Soleil.
Quoy qu’à ces rudes coups je fasse resistance
Je suis sans guerison :
800 Et lors* que je m’en plains, si j’ay peu de constance
On n’en peut avoir moins avec plus de raison.
Je souffre injustement, et mon ame incapable
De plus d’affliction,
Pour meriter ces maux ne se trouve coupable
805 Qu’en peu de prevoyance, et trop d’affection,
Un pere toutesfois avec ses artifices*
    L’a renduë un escueil,
Où mes vœux innocens et tous mes bons offices [p. 45]
En recherchant le port, ont trouvé le cercueil.    
810 Prince dont l’ame ingrate autant que desloyale,
Represente si mal la qualité Royale,
Sçache que quelque jour ton propre repentir
Te punira des maux que tu me faits sentir.
Lasche Roy quelle gloire* as-tu de cet outrage ?
815 Crois-tu faire passer pour un traict de courage
Celuy dont ta rigueur afflige Eurimedon ?

SCENE QUATRIEME. §

CELIANE en sa solitude.

Dieux que je suis surprise et confuse à ce nom !
Tirons-nous à l’escart, et sçachons par sa plainte
Toutes les passions dont son ame est atteinte.

EURIMEDON se promenant.

820 Je devois, Archelas, mieux user du destin
Qui m’avoit envoyé ta fille pour butin,
Je devois faire esclave, et mener en Corcyre226
Celle qui doit un jour regner en ton empire ;
En ce cas ton couroux auroit du fondement
825 Et tu me hayrois, mais legitimement.
Tu sçay comme à Lesbos j’ay rendu Pasithee, [p. 46]
Que je l’ay comme Reyne avec respect traittee ;
Tu me chasses pourtant, et tu souffres chez toy
Ceux qui t’ont tesmoigné moins d’amour que d’effroy,    
830 Lors* que par Araxés leur Princesse ravie
Devoit227 estre sauvee aussi-tost que suivie.

CELIANE à part.

Voyla le Chevalier pour qui228 j’ay combatu,
Et de qui ma foiblesse a trahy la vertu*.

EURIMEDON.

Que Tygrane a bien faict ! que sa valeur* est rare !
835 Qu’il a bien merité l’honneur qu’on luy prepare !
Qu’il a diligemmment suivy le ravisseur
De l’objet* dont on veut le rendre possesseur !
Ah le lasche ! il ne mit jamais la main aux armes,
Et je tirois du sang quand il versoit des larmes,
840 Toutesfois son bon-heur* le va mettre en un rang
Qui me fera verser et des pleurs et du sang.

CELIANE.

Le sens de ce discours marque ma destinee,
Celiane empeschons ce funeste hymenee*,
Donnons à ce Guerrier de nouveaux mouvemens,
845 Et joignons nostre droict à ses ressentimens.

EURIMEDON.

Le Ciel

CELIANE l’abordant.

[p. 47]
    Eurimedon, vous sera plus propice229
S’il ouvre quelque jour l’oreille à la Justice

EURIMEDON.

Je l’espreuve* desja plus clement et plus doux
S’il m’a donné l’honneur d’estre cogneu de vous.

CELIANE.

850 À peine je fus mise au port de Mitylene
Et j’imprimois encor mes pas sur son arene230,
Que je sçavois desja par la voix du renom
Vos rares qualitez, et vostre illustre nom,
Je sceus que par un rapt la Troade affligee
855 Estoit à vostre bras puissamment obligee*,
Et que le Roy touché de ce traict de valeur*
Vouloit faire de vous.231

EURIMEDON.

            L’exemple du malheur,
Ouy Seigneur, apprenez que son ingratitude
M’a rendu vagabond en cette solitude,
860 Où pour mieux obeyr aux rigueurs de mon sort
Je cherche le chemin qui conduit à la mort.

CELIANE.

Au contraire cherchez le chemin de la gloire*
Plustost que d’offencer vostre illustre memoire,
Et ne permettez pas que les traicts du malheur
865 Demeurent triomphans d’une insigne* valeur*,
Que le sort contre vous arme toute sa rage, [p. 48]
Un grand cœur* est tousjours au dessus de l’orage*,
Et malgré ses fureurs un genereux* effort
À travers les écueils se fait passage au port.

EURIMEDON.

870 Lorsque mon desespoir vous parle de la sorte,
Ce n’est pas (Chevalier) la fureur qui m’emporte
Mais plustost de la mort un mespris genereux*
M’oblige d’abreger un destin malheureux* ;
Si je voyois encore quelque foible apparence
875 De conserver ma vie avec mon esperance,
J’employrois tous mes soins à prolonger mes jours,
Et ce bras à mon cœur presteroit son secours ;
Mais puis qu’un Prince ingrat m’a banny comme infame
Qu’il m’a cruellement separé de mon ame ;
880 Et que pour m’affliger avec plus de rigueur
Pour contenter Tygrane on m’arrache le Cœur ;
En fin puisqu’à mes vœux Pasithee est ravie
N’est-ce pas lascheté d’aymer encor ma vie,
Me conseilleriez-vous de respirer le jour    
885 Apres avoir perdu ce bel astre d’amour ;
Non sans doute*, mourons avant qu’on la possede,
Et que ma mort plûtost que mon amour la cede.

CELIANE.

Pour la mesme raison vous devez tout souffrir*
Plustost que de songer au dessein de mourir, [G ; 49]
890 Quand le combat est grand la victoire est plus belle
Vivez pour Pasithee, et combattez pour elle.

EURIMEDON.

Encor que ce projet soit genereux* et beau,
Que peut contre un grand sceptre un debile roseau ?
Que peut un estranger, dont la foible puissance
895 N’a pour tout son secours que la seule innocence ?
Contre qui les mortels et les Dieux conjurez
Descochent tous les jours mille traits* acerez
Qui n’a pas seulement une seure retraite,
Pour empescher le coup qui marque sa deffaite,
900 Et qui de toutes parts rudement combatu,
N’a plus pour se parer qu’un reste de vertu*.

CELIANE.

Quoy doncque vous laisserez la victoire à Tygrane ?
Vous souffrirez* l’Infante en sa couche prophane ?
Et sans luy disputer ce Myrthe* glorieux
905 Il aura Pasithee en ses bras odieux ?
Ah cette lascheté seroit trop apparente ?    
R’animez (Chevalier) vostre vertu* mourante,
Afin de restablir l’esclat de vos lauriers*,
Mes Estats ont pour vous d’assez braves guerriers.

EURIMEDON.

910 Ah qui que vous232 soyez, ou l’honneur des Monarques,
Ou plustost (si je crois à ces divines marques,
Dont les puissans rayons esboüissent mes yeux) [p. 50]
Le plus grand et plus beau de la troupe des Dieux,
Ordonnez de mon sort, et s’il faut que je vive,
915 Mes jours seront heureux pourveu que je vous suive.

CELIANE.

Non, non, je ne suis pas du rang des immortels,
Et je n’aspire pas à l’honneur des Autels,233
C’est assez que le Ciel m’ayant faict naistre Prince,
M’ayt aussi faict Seigneur d’une belle Province ;
920 Où mes sujets vivroient sous de paisibles loix,
Si l’aveugle Tyran qui triomphe des Rois,
Et qui faict aujourd’huy nostre commun martyre,
N’avoit dedans ma Cour estably son empire :
Ouy (brave Eurimedon) je suis interessé
925 En l’amour qui vous rend de Tygrane offencé ;
Et si vous secondez ma fureur irritee
Je l’empescheray bien d’espouser Pasithee.

EURIMEDON.

Quoi ? l’Infante est aussi vostre inclination* ?

CELIANE.

J’ay pour ce haut dessein trop peu d’ambition :
930 Mon desir seulement est de punir Tygrane
Et de vanger le tort qu’il faict à Celiane,    
Cette pauvre Princesse avoit receu sa foy.

EURIMEDON.

Ah le traistre !

CELIANE.

[p. 51]
        D’où vient cet homme que je voy ?

SCENE CINQUIESME. §

EURIMEDON, CELIANE, LYSANOR.

EURIMEDON.

C’est mon cher Lysanor qui vient de Mitylene
935 Où je l’avois laissé pour sçavoir de ma Reyne
Ce que de mon amour je devois esperer,    
Et s’il m’estoit permis de vivre, ou d’expirer :
Dy moy donc Lysanor qu’a t’on faict de l’Infante ?
L’amour de mon rival est elle triomphante ?
940 Dit-on que Pasithee ayme ce bel Amant* ?
Que le Roy soit content de mon esloignement ?
Ay-je par mon depart sa colere appaisee ?
Sa Cour n’est-elle plus de soucis divisee* ?
En fin, void-on regner dans ce noble Palais
945 La concorde, l’amour, le repos, et la paix ?

LYSANOR.

Je ne sçay si je dois ou parler, ou me taire :
Mais puisque sur ce point il vous faut satisfaire,
Sçachez que d’Archelas les malheurs redoublez
Ont rendu le cahos à ses Estats troublez : [p. 52]
950 Depuis vostre depart l’Infante est prisonniere,
Araxés animé de sa flame* premiere,
Avec mille Guerriers dans l’Isle descendu
Rend*234 d’horreur et d’effroy tout ce peuple esperdu :
Le Roy pour resister à ce subit orage*,
955 Dont l’horrible fureur esbranle son courage,
De crainte en mesme temps, et de rage interdit
Vient de faire par tout publier cet Edict.
Que quiconque pourroit empescher sa deffaite,
Emportant d’Araxés l’abominable teste,
960 Pour prix de sa valeur* et de son action
Il auroit Pasithee et son affection.

CELIANE.

Chevalier (s’il vous plaist) soyons de la partie,
Immolons au trespas cette coupable hostie.

EURIMEDON.

Ce perfide* Araxés par mes coups adverty
965 Esprouveroit* le bras qu’il a desja senty,
Si je ne le cedois à la valeur* du vostre.

CELIANE.

J’ay destiné mon bras à la perte d’un autre,
Tygrane occuppe seul tous mes ressentiments*,
Ainsi nostre dessein fera deux chastimens.

EURIMEDON.

970 Il est vray : mais je crains qu’une rigueur extreme
Ne fasse revolter ce Roy contre moy-mesme, [p. 53]
Et que si j’ose encor me montrer à ses yeux,
Mesme plus qu’Araxés je ne sois odieux.

LYSANOR.

Chassez, Eurimedon, cette inutile crainte
975 Cette hayne à present par une autre est esteinte
Et puis vous pouvez bien par un deguisement,
Eviter les transports* d’un premier mouvement.

EURIMEDON.

Icy la volonté d’un puissant Dieu raisonne,
J’iray dans Mitylene en habit d’Amazonne,
980 Et puisqu’icy le Myrthe* est conjoint aux lauriers*
J’auray pour moy Venus et le Dieu des Guerriers.

CELIANE.

Puisque ma passion est de mesme nature
Je suivray (Grand Heros) vostre illustre advanture,
Non pas pour m’adjouster au rang de vos rivaux,
985 Mais bien pour vous ayder à finir vos travaux*.

EURIMEDON.

Puisque vous partagez cette loüable envie,
Allons Prince adorable* où l’honneur* nous convie.

SCENE SIXIESME. §

[p. 54]
PASITHEE, ALERINE dans la prison.

ALERINE.

Ah Madame ! ces pleurs, et ce cœur* abatu
Sont indignes de vous et de vostre vertu,
990 Essuyez, essuyez ces inutiles larmes,
Et n’ayez pas recours à de si foibles armes ;
La tristesse sied mal sur un front genereux*,
Il doit paroistre esgal bien qu’il soit malheureux,
Et mesme tesmoigner au plus fort de l’orage*,
995 Qu’il peut changer de sort, mais non pas de courage.

PASITHEE.

En l’estat où je suis, il est bien mal-aisé
D’avoir le front esgal et l’esprit appaisé,
Mes larmes toutesfois arresteront leur course,
Mais je veux aussi-tost ouvrir une autre source,
1000 Et puisque c’est trop peu que de verser des pleurs,
Mon sang fera mieux voir l’excez de mes malheurs.

ALERINE.

Le desespoir (Madame) est pour ces ames basses,
Qui ne sçauroient souffrir* un moment les disgraces*, [p. 55]
Aussi bien que vos pleurs espargnez vostre sang,
1005 Et faictes voir un cœur* esgal à vostre rang,
Le malheur* est souvent la source de la gloire*,
L’Astre* qui faict le jour sort d’une couche noire,
Et le pompeux esclat de ce divin flambeau
Paroit apres l’orage et plus clair, et plus beau ;
1010 Et puis je ne voy pas le sujet de vos craintes,
Ny quelle occasion* authorise vos plaintes,
Car encor que ce lieu ne soit pas un Palais
Digne de recevoir l’honneur de vos attraits,
Puisque pour vous ravir on attaque cette Isle,
1015 C’est moins une prison que non pas un Azile.235

PASITHEE.

    Voy le triste estat de mon sort,
    Et me voyant si mal traitee
Juge si differer l’heureux coup de ma mort,
    Ce n’est pas trahir Pasithee.
1020     Par un prodige tout nouveau
    Mon propre pere est mon bourreau ;
Ma partie* est mon Roy, mon Juge est mon complice ;
    Mon Palais une triste tour,
    Mon esperance, mon supplice,
1025 Ma vertu c’est mon vice, et mon crime l’amour.
    Ma beauté cause ma douleur
    Au lieu de me rendre adorable*, [p. 56]
Et les traicts qui devroient establir mon bon-heur
    Me rendent plustost miserable :
1030     Je suis un object de mespris
    Que les destins ont faict le prix                    1030
Et l’espoir incertain d’une insolente armee ;
    Où je me voy reduite au poinct
    D’estre Espouse avant qu’estre aymee,
1035 Peut-estre de celuy que je n’aymeray point.
    Encor si mon Eurimedon
    Pouvoit estre de la partie,
Sans doute* je serois son prix, et son pardon
    Et j’espererois ma sortie :
1040     Mars, et l’Amour qui de mon cœur
    L’ont desja rendu le vainqueur,
Luy donneroient encor cette heureuse* victoire ;
    Et mon sort devenu plus beau
    Feroit le trosne de ma gloire*,
1045 Sur les mornes apprets de mon triste tombeau.
    Mais au poinct où mon sort est mis
    En vain ce doux penser me flatte,
Les Dieux pour m’obliger* sont trop mes ennemis
    Et la terre m’est trop ingratte :
1050     Pour m’oster de cette prison
    Usons du fer, ou du poison. [H ; 57]
Et sortons de nos maux, en sortant de la vie,
    Cette genereuse action
    Rendra ma mort digne d’envie,
1055 Autant que mon malheur l’est de compassion.
    Toutesfois avant cet effort
    Attendons la fin de l’orage,
Souvent les malheureux sont jettez dans le port
    Sur le debris de leur naufrage :
1060     Avant que de perdre le jour
    Voyons à qui Mars, et l’Amour
Reservent aujourd’huy la fatale Couronne,
    Nous mourrons tousjours bien aprez,
    Et si dans le champ de Bellonne236
1065 Il cueille le Laurier*, Je prendray le Cyprez*.237
[p. 58]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

ARCHELAS, FALANTE.

ARCHELAS.

Falante en quel Estat as-tu veu mon armee ?
Est-elle puissamment au combat animee ?
Ne dissimule point, descouvre moy mon sort,
Je verray d’un mesme œil le naufrage, et le port.

FALANTE.

1070 Sire, jamais le Ciel ne veit un tel orage*,
L’un et l’autre party sont de mesme courage,
Et comme un mesme espoir faict leurs ambitions,
Une pareille ardeur marque leurs actions ;
Le moindre des soldats combat en Capitaine,
1075 Leur emulation rend leur gloire* incertaine,
Et les tient tour à tour l’un sur l’autre advancez, [p. 59]
Tantost victorieux, et tantost repoussez.

ARCHELAS.

En fin tu ne sçais pas de quelle destinee
Ma fortune* aujourd’huy se verra terminee ?

FALANTE.

1080 Sire, cette inconstante a cessé son couroux,
Les Dieux visiblement se declarent pour nous,
Et s’ils ont tant laissé la victoire douteuse,
La perte d’Araxés en sera plus fameuse.

ARCHELAS.

Quel tesmoignage as-tu de cet Evenement ?

FALANTE.

1085 Un prodige (grand Roy) digne d’estonnement* :
J’ay veu (Sire) j’ay veu dans le champ de Bellone    
Une auguste* Deesse en habit d’Amazone,
Aux plus fiers ennemis arracher des Lauriers*,
Et donner l’espouvante aux plus braves guerriers ;
1090 À chaque mouvement son courage se montre,
Tout faict jour à ses coups, tout fuit à sa rencontre ;
Où sa fureur l’emporte, on void à chaque rang
Des cadavres noyez dans des fleuves de sang,
Et l’infame Araxés ne seroit plus qu’une ombre
1095 S’il n’estoit protegé de la force du nombre ;
Sans cela le combat serait desja finy,
Vous vangé, nous vainqueurs, et le traistre puny.

ARCHELAS.

[p. 60]
Les Dieux ont de tout temps protegé ma Couronne.

FALANTE.

Aussi n’est-ce pas là le sujet qui m’estonne*,
1100 Un miracle plus grand confond* mon jugement.238

ARCHELAS.

Ne m’entretiens pas tant, et parle clairement.

FALANTE.

Cette belle Amazone a comme le courage
Du Prince Eurimedon, le port et le visage ;
Mesme ces deux objets se ressemblent si fort
1105 Qu’elle a trompé mes yeux à son premier abord.

ARCHELAS.

Mais peut-estre Falante est-ce Eurimedon mesme.

FALANTE.

Non Sire : bien qu’entre eux le rapport soit extreme,
Elle m’a protesté* n’avoir jamais cogneu
Ce Prince dont je l’ay long-temps entretenu,
1110 Hermionne est son nom, son pays est la Thrace.239
Et Mars asseurement est l’autheur de sa race ;
Au lieu qu’Eurimedon ne sçait en quel sejour
Le Ciel ouvrit ses yeux à la clarté du jour :
Et quand cette raison tromperoit ma creance,
1115 Je sçay bien que le sexe en faict la difference.

ARCHELAS.

Qui que tu sois Deesse acheve tes bien-faits
Et rends à mon Estat le repos et la paix : [p. 61]
Mais quel estrange bruit vient frapper mon oreille ?

FALANTE.

Sire c’est l’Amazone.

ARCHELAS.

            Ah Dieux quelle merveille !
1120 Cette grave douceur et cette Majesté,
Sont les visibles traits d’une Divinité.

SCENE DEUXIESME. §

ARCHELAS, FALANTE, EURIMEDON, TYGRANE, CELIANE déguisee.

EURIMEDON en Amazone tenant la teste d’Araxés.

En fin (Sire) voila ce superbe* Encelade240
Dont la temerité menaçoit la Troade,
Voila de vos sujets la terreur, et l’effroy,
1125 Et le vain poursuivant des Couronnes d’un Roy ;
En un mot, vous voyez l’usurpateur infame,
Si bien humilié par la main d’une femme [p. 62]
Que son coupable chef* à vos pieds abbatu,
Est contraint de baiser les pas de la vertu*.

ARCHELAS.

1130 Ah divine guerriere ! apres cette victoire
Combien je dois d’encens à vostre illustre gloire !
Que je suis redevable à mon propre malheur*
De m’avoir aujourd’huy procuré cet honneur,
Qu’une divinité si puissante, et si belle,
1135 Ayt voulu prendre part en ma juste querelle*,
Et malgré la fureur d’un perfide* attentat
Sauver d’un coup heureux* mon Sceptre et mon estat.

EURIMEDON.

Sire, Je ne suis pas immortelle, ou divine,241
C’est assez que je sois d’une illustre origine ;
1140 Et qu’entre mes ayeux je puis compter des Rois
Dont autresfois la Thrace a reveré les loix :
J’en pouvois justement esperer la couronne,
Si le sort eut voulu mieux traitter Hermionne ;
Mais lors* que l’inconstant m’eust mis le Sceptre en main
1145 Le traistre me l’osta du jour au lendemain :242
J’ay suivy du depuis243 sous l’habit d’Amazone244
L’exercice sanglant de la fiere Bellone,
Et pour me signaler je cherchois les hazars,
Quant j’ay veu déployer vos heureux estendars ; [p. 63]
1150 Dez que j’ay recogneu par ces augustes* marques
Les vaillans escadrons du plus grand des Monarques,
Et qu’infailliblement un traistre usurpateur
Estoit de cette guerre et le Chef, et l’Autheur ;
Aussi-tost ma fureur justement animee
1155 Chercha cet insolent parmy toute l’armee,
Afin de luy ravir par un coup solemnel,
Le prix qu’il attendoit d’un dessein criminel.

ARCHELAS.

Puis qu’on vous a ravy le Sceptre qui fut vostre,
Daignez belle Princesse en recevoir un autre,245
1160 Et si vous agreez les hommages d’un Roy
Regnez dans mon empire et triomphez de moy.

EURIMEDON.

Que je regne et triomphe ! Ah Dieux quelle apparence
Que l’object du mespris et de l’indifference
Osast à ce degré de grandeur aspirer,
1165 Qu’à peine une Deesse oseroit esperer !
Mais puis que vostre rang vous permet toute chose,
Je ne reffuse pas ce qu’un Roy me propose ;
Sire (puis qu’il vous plaist) j’accepte cét honneur,
Que vostre Majesté presente à mon bon-heur,
1170 Et la conjure icy d’avoir en sa mémoire
L’offre qui me doit mettre au comble de ma gloire. [p. 64]

ARCHELAS.

Je n’en perdray jamais l’aymable* souvenir,
Ma promesse pour vous est facile à tenir,
Il me tarde desja que je ne l’effectuë,
1175 Je vous ayme (Madame) et ce delay me tuë.

EURIMEDON.

Cét amour pour durer est un peu violent,
J’aymerois mieux ce feu s’il paroissoit plus lent :
Sire moderez-vous, et donnez à vostre ame
Le loisir de pouvoir examiner sa flame*,
1180 L’esprit blasme souvent ce que l’œil a voulu.

ARCHELAS.

On delibere en vain sur un point resolu :
Cette rare verty* dont vostre ame est pourveüe
Surprend en mesme temps et l’esprit et la veüe,
Et donne dés l’abord des transports* si puissans,
1185 Quelle est en un moment maistresse* de nos sens,
En fin si vos rigueurs trompent mon esperance,
Vous ne me verrez mettre aucune difference
Entre aymer, et mourir pour un objet* si beau.

EURIMEDON.

Grand Roy j’atteste icy le celeste flambeau,
1190 Que j’ayme tant l’honneur de vostre bien-vueillance
Que je meurs du desir d’estre en vostre alliance,246
C’est un bien que mon cœur souhaitte plus que vous,
Et je ne vivrois pas sans un espoir si doux ; [p. I ; 65]
Mais la fureur encor possede trop mon ame
1195 Pour faire si-tost place à l’ardeur de ma flame*,
Il faut donner à Mars le temps de respirer
Auparavant qu’247Amour le fasse retirer.

ARCHELAS.

Ma Reyne je le veux pourveu que mon attente
Conserve en vostre cœur une flame constante.

EURIMEDON.

1200 Mon Prince, Je consens qu’on me prive du jour,
Si je change jamais l’objet* de mon amour.

ARCHELAS.

Hé bien ! Tygrane : en fin ma gloire est sans seconde ;
Cognois-tu quelque Roy plus heureux dans le monde ?
Possedant cette Reyne est-il sous le Soleil
1205 Un Monarque honnoré d’un triomphe pareil ?

TYGRANE.

Non Sire : Ce bon-heur comme vostre merite
Ne reçoit point d’esgal, non plus que de limite,
Et je croy que les Dieux quand vous serez unis
Vous combleront encore de plaisirs infinis :
1210 Mais puis que de ce bien vostre ame est si contente*,
Finissez (grand Monarque) une importune* attente,
Vous sçavez bien le prix que vous avez promis
À celuy qui pourroit chasser vos ennemis,
Il est vray qu’Hermionne a faict nostre victoire, [p. 66]
1215 Et qu’on doit à son bras une immortelle gloire ;    
Mais puisqu’aupres de vous elle a desja son prix
Que le nostre (grand Roy) ne soit pas un mespris,
Comme elle nous avons montré nostre courage,
Et nous avons senty nostre part de l’orage* ;
1220 Encore qu’Araxés soit par elle abbatu,
En cela son bon-heur* seconda sa vertu* ;
Mais en tout le combat nous l’avons assistee,
Voyez doncque qui de nous merite Pasithee.
Grand Prince disposez de ce prix glorieux,
1225 Et finissez l’espoir de mille ambitieux.

ARCHELAS.

Puis qu’aujourd’huy je dois l’appuy de ma Couronne,
À la seule valeur* de la belle Hermionne,
Il est juste qu’elle ayt toute seule l’honneur
Qu’on doit à sa vertu* bien plus qu’à son bon-heur* :
1230 C’est pourquoy je la rends de ces lieux Souveraine,
Je veux que mes sujets la reverent en Reyne,
Et comme mon Estat ne se peut separer
Seule elle aura le prix qu’on devoit esperer.

TYGRANE.

Qu’Hermionne (grand Roy) possede vostre Empire,
1235 Ce n’est pas à ce prix que mon courage aspire,
Que cette Deïté regne dans vostre Cour,
Mais ne reffusez point Pasithee à l’amour. [p. 67]

CELIANE ostant son casque.

Perfide*, osez-vous bien paroistre en cette lice*248 ?
Crois-tu que la vertu recompense le vice ?
1240 Et que le Ciel honteux des crimes que tu faits,
Au lieu de te punir t’accorde des bien-faits ?
N’est-ce pas pour avoir abusé Celiane
Qu’on te doit Pasithee, infidele Tygrane ?
Ou bien pour avoir faict ce genereux duël,
1245 Où tu fus si vaillant, ou plustost si cruel ?
Si tu ne te souviens de ce juste reproche
Retournons sur les lieux : le champ est assez proche
Où sur Eurimedon tu creus estre vainqueur,
Mais ce fut moy qui fus l’objet de ta rigueur,
1250 Avecque tes mespris je ressentis ta rage,
Tu surmontas ma force, et non pas mon courage ;
Et quoy que mon dessein ne fut que de perir,
Ton fer me blessa bien, mais je ne pûs mourir.
Tu rougis infidele, et tu croyois peut-estre
1255 Que l’on devoit icy recompenser un traistre :
Non, non, le Ciel est juste, et les Dieux irritez,
Punissent tost ou tard les infidelitez,
Ne demande doncq pas un salaire* Prophane :
Mais recognois icy ton crime, et Celiane.249

TYGRANE.

1260 Je recognois (Madame) et mon crime et vos yeux
Ils sont en mesme temps mes Juges, et mes Dieux ; [p. 68]
Qu’ils me punissent doncque et que leur vive flame
Abrege de mes jours la malheureuse* trame*,
Il est vray j’ay failly*, vostre rare beauté
1265 Meritoit plus d’amour, et de fidelité,
Mais ce qui me console au milieu de ma peine
Vous fustes tousjours belle, et jamais inhumaine :
Toutesfois si je suis indigne de pitié
Sacrifiez Tygrane à vostre inimitié,
Il luy presente son espee.
1270 Tenez voila de quoy contenter vostre envie,
Vangez-vous Celiane, arrachez-moy la vie,
Et par mon sang coupable à vos pieds respandu
Payez-vous de celuy que vous avez perdu.

CELIANE.

La mort pour un ingrat seroit trop favorable
1275 Et le coup de ma main un peu trop honnorable
Tes regrets feront mieux cét office que moy.

EURIMEDON.

Madame revocquez cette severe Loy,
Il n’est point de pechez qu’un repentir n’efface.

ARCHELAS.

Je veux qu’en ma faveur il obtienne sa grace*
1280 Qu’il vive sous vos loix, mais à condition
Qu’il sera plus fidele en son affection.

CELIANE.

Sire (puis qu’il vous plaist) Celiane est contente*,
De regler son amour sur cette heureuse attente. [p. 69]

ARCHELAS.

C’est assez Celiane, on verra quelque jour
1285 Si ce Prince sera digne de vostre amour.

SCENE TROISIESME. §

ARCHELAS, EURIMEDON déguisé.

ARCHELAS.

Oseray-je esperer qu’il vous plaise (Madame)
Sur un point curieux satisfaire à mon ame,
Et ne tiendrez-vous pas pour incivilité,
Si je vous faits sçavoir ma curiosité ?

EURIMEDON.

1290 Sire à vous obeïr me voyla toute preste.

ARCHELAS.

D’où provenoit tantost cette rougeur honneste,
Qui m’a faict remarquer vostre alteration
Quand Tygrane a parlé de son affection,
Et sur tout quand ce Prince a nommé Pasithee ;
1295 Ma veue estoit alors dessus vous arrestee :
Ne dissimulez point, dites moy franchement [p. 70]
Ce qui vous a causé ce soudain mouvement.

EURIMEDON.

Quand Tygrane a parlé de sa belle entreprise
Vous croyant sans enfans ce propos m’a surprise,
1300 Et si j’ay faict paroistre un peu d’emotion,
J’avois pour l’exciter assez de passion.

ARCHELAS.

Des fruicts de mon amour je n’ay que cette fille,
Elle seule aujourd’hui faict toute ma famille,
Encore maintenant suis-je reduit au point
1305 De m’estimer heureux si je ne l’avois point.250

EURIMEDON.

Quel mescontentement avez-vous receu d’elle
Dont la faute aujourd’huy la rend si criminelle ?

ARCHELAS.

Naguere251 un estranger en cette Isle arrivé
A si soudainement son esprit captivé,
1310 Que pour mieux estouffer cette flame* naissante
Qui dans leurs jeunes cœurs se rendoit trop puissante,
Je me suis veu contraint de la mettre en prison,
Afin d’en retirer son cœur et sa raison ;
Son Amant* par sa fuitte evita ma colere.

EURIMEDON.

1315 Vrayement cét Estranger eut tort de vous desplaire ;
Mais Seigneur avoit-il son honneur* assailly [p. 71]
Au poinct que vous croyez que l’Infante ayt failly* ?

ARCHELAS.

Non : elle ne s’est pas tellement oubliee,
Et je croy seulement qu’elle s’estoit liee
1320 Avecque moins d’amour que d’obligation
À ce nouvel object* de son affection,
Je cogneus toutesfois leurs flames*indiscrettes*,    
Je sceus qu’ils se donnoient des visites secrettes,
Et comme Pasithee aydoit à son dessein
1325 Je le surpris un jour qu’il luy baisoit le sein ;
Mon ame à cét object de colere enflammee
Voulut perdre d’un coup et l’amant*, et l’aymee,
Mais

EURIMEDON.

Vous avez puny trop rigoureusement
L’Amour d’une Princesse, et les vœux d’un Amant*
1330 Qui n’estoit pas peut-estre indigne de sa flame*.

ARCHELAS.

En cette occasion je confesse (Madame)
Que ce jeune estranger avoit des qualitez,
Capables de fleschir les plus rares beautez,
Et mesme il nous avoit rendu quelque service.

EURIMEDON.

[p. 72]
1335 Vous luy rendiez pourtant un tres-mauvais office,
Et c’est mal s’acquitter d’une obligation,
De donner pour un prix une punition :
Mais encor estoit-il d’une illustre naissance ?

ARCHELAS.

Il ne sçavoit sur quoy fonder cette esperance,
1340 Et pretendoit* pourtant sans mon consentement
Un rang que je reserve à des Roys seulement.

EURIMEDON.

Advoüez* que l’amour est un crime agreable,
Qu’on devroit appeler une erreur excusable,
Et si ceux qui le font meritent le trespas
1345 Ils ne doivent mourir qu’au milieu des appas* :
Excusez doncq Seigneur ces Innocentes flames*,
Elles ne logent point que dans les belles ames,
Et le mespris d’amour est plustost un effect
D’une arrogante humeur que d’un esprit bien fait.
1350 En fin en ma faveur delivrez Pasithee,
Sinon le trosne auguste* où je suis invitee,
Me plaira beaucoup moins que ne faict le tombeau.

ARCHELAS.

Pour ne me pas fleschir l’Orateur est trop beau,
Ma Reyne j’y consens, et promets à cette heure
1355 De la tirer demain de sa triste demeure,
Pourveu que vostre Esclave, et de plus vostre Amant*
Puisse esperer de vous un pareil traitement. [K ; 73]

EURIMEDON.

Je m’en vay luy porter cette heureuse* nouvelle.
Il sort.

ARCHELAS.

Allez. Que cette Reyne est pitoyable*, et belle !
1360 Que les traits* de ses yeux mes superbes* vainqueurs
Ont des charmes* puissans pour captiver les cœurs !
Il n’est point de dépit* qui ne cede à sa grace*,
Point de ressentiment* que sa bouche n’efface,
Alors qu’elle commande il luy faut obeïr,
1365 Et ce qu’elle cherit, on ne le peut haïr.

SCENE QUATRIEME. §

EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE dans la prison.

EURIMEDON en Amazone.

Digne objet* de pitié, mais beaucoup plus d’envie
Qui tiens mesme d’Amour la liberté ravie,
Se peut-il que je voye en ces funestes lieux
Celle dont la beauté peut captiver les Dieux ?
1370 Non, non : Je ne sçaurois souffrir* cette injustice,
Tout le monde prend part en ce rude supplice, [p. 74]
Et sans vos doux regards son destin est pareil
Aux lieux qui sont privez des clartez du Soleil.
Il est temps que la Cour dissipe sa tristesse,
1375 Qu’on luy rende sa joye avecque sa Princesse,
Et que de la prison vous veniez au Palais,
Gouster avecque nous les douceurs de la paix.

PASITHEE.

Madame : Les prisons sont des champs Elisees,
Quand vos divins regards les ont favorisees,
1380 Au lieu que les Palais où vos yeux ne sont pas,
Ne sont que des Enfers où regne le trespas.
Mais par quelle faveur, et de quel bon Genie
Ay-je aujourd’huy receu cette grace* infinie
Qu’un Astre dont l’esclat est si doux à mes yeux
1385 Vienne luire, où jamais ne luit celuy des Cieux ?

EURIMEDON.

C’est le flambeau d’Amour qui finira vos peines.

PASITHEE.

Ah ce tyran (Madame) est l’autheur de mes chaisnes !

EURIMEDON.

Ainsi le mesme traict qui fit vostre tourment
Fera d’oresnavant vostre contentement,
1390 Si vous favorisez sa prudente conduitte.

PASITHEE.

[p. 75]
Ah Dieux ! à cét object je suis toute interdite,
Et j’ay dans mon esprit tant de confusion*,
Que tout ce que je voy me semble illusion.

EURIMEDON.

Ne vous souvient-il pas quand nous sommes ensemble
1395 D’avoir jamais cogneu quelqu’un qui me ressemble ?
Ne craignez point (Madame) advoüez* le secret,
J’ay pour en bien user l’esprit assez discret ;
Outre que j’ay beaucoup d’interest en l’affaire,
Elle concerne encore le salut de mon frere,
1400 Qui vivement touché des traicts de vostre amour
Ne void plus qu’à regret la lumiere du jour ;
Ouy (Madame) j’entray dedans cette Province,
Afin de secourir ce miserable Prince,
Ce cher Eurimedon qui vous ayme si fort,
1405 Et que le desespoir va reduire à la mort :
Ma valeur* a rendu la paix à Mitylene,
Et je puis esperer la qualité de Reyne,
Puis que j’ay pû donner assez d’amour au Roy
Pour me faire l’honneur de me donner sa foy :
1410 Mais qu’il n’espere pas la faveur qu’il souhaitte
Qu’Hermionne ne soit de tout poinct satisfaite,
Qu’il ne m’ayt de mon frere accordé le pardon,
Et que vous ne soyez femme d’Eurimedon.

PASITHEE.

[p. 76]
Madame, Je croyrois que vous voudriez surprendre
1415 Cét esprit innocent qui vient de vous entendre,
Si le Ciel en naissant ne vous avoit faict don
Des plus aymables* traits de mon Eurimedon :
Mais puisque vous portez de si visibles marques
De celuy que j’honnore au dessus des Monarques,
1420 Je recognois assez que vous estes sa sœur ;
Il a les mesmes yeux et la mesme douceur,
Cette bouche, ce front, cette grave apparence,
En fin le sexe seul en faict la difference.

EURIMEDON.

Tout le monde a de nous la mesme opinion.

PASITHEE.

1425 Puisque vous estes joints d’une telle union,
Et que pour son repos vous veillez de la sorte,
J’advoüray* librement l’amour que je luy porte :
Oüy je l’ayme, Madame, et ma captivité
Trouve parmy mes fers de la felicité,
1430 Il calme ma douleur, Il faict tarir mes larmes,
Lors* que mon souvenir m’entretient de ses charmes*,
Et si par fois je fais des projets inhumains,
Son beau nom faict tomber les armes de mes mains.

EURIMEDON.

Que mon frere (Madame) auroit l’ame ravie
1435 Et que j’estimerois son sort digne d’envie,
S’il oyoit ces propos pleins d’amour, et de foy, [p. 77]
Où plustost s’il pouvoit vous baiser comme moy.

PASITHEE.

Au poinct où je vous vois aupres du Roy mon pere,
Vous pouvez tout Madame.

EURIMEDON.

            Hé bien ! laissez-moy faire.
1440 Quand vous m’aurez donné vostre consentement
Il ne manquera rien à son contentement :
Mais c’est assez parlé de l’interest d’un autre,
Il est temps desormais que nous pensions au nostre :
Voudriez vous maintenant me faire une faveur ?

PASITHEE.

1445 Vous obeïr (Madame) est mon plus grand honneur,
Commandez seulement et vous serez servie.

EURIMEDON.

Dans ce cher entretien mon ame est si ravie,
Que je ne voudrois pas m’en separer jamais.
Madame trouvez bon que j’envoye au Palais,
1450 Pour supplier le Roy qu’il m’accorde une chose.

PASITHEE.

Quelle ?

EURIMEDON.

Qu’aupres de vous cette nuict je repose,
Si je ne vous suis pas importune* ;

PASITHEE.

[p. 78]
                Vrayment
Vous pouviez employer un autre compliment.
Importune* bons Dieux ! Me croyez-vous si vaine,
1455 Que vous considerant pour ma mere et ma Reyne
J’abuse de l’honneur, et de l’affection
Que vous me témoignez en cette occasion ?
Non, non, je ne suis pas à ce poinct arrogante,
Vous devez autrement traitter vostre servante :
1460 Vous avez sur mon ame un absolu pouvoir,
Et vous devez penser que je sçay mon devoir.

EURIMEDON.

De ces sousmissions je suis toute confuse,
Mais avec ce respect pourtant on me refuse.

PASITHEE.

Nullement : Alerine allez trouver le Roy,
1465 Dites luy que Madame est encore chez moy,
Et que pour me parler d’un soucy qui la touche
Elle souhaitte fort de partager ma couche ;
Mais avecque l’adveu* de son consentement.

ALERINE.

J’y vay Madame.

PASITHEE.

        Allez : Et venez promptement
1470 Pour me deshabiller ; Il est tard ce me semble,
Nous aurons tout loisir de deviser ensemble,
Si la bonté* du Roy s’accorde à nos desirs. [p. 79]

EURIMEDON.

Desja ce doux espoir me comble de plaisir,
Mais je crains que l’effet de cette courtoisie*
1475 Ne donne à nostre Amant* un peu de jalousie,
S’il apprend quelque jour le bon-heur où je suis :
Cependant que son cœur est parmy les ennuis*,
Et dedans les langueurs d’une fascheuse absence
Faict d’un excez d’amour l’injuste penitence.

PASITHEE.

1480 Si jusque icy l’amour a mal traité nos vœux,
Le mesme quelque jour nous ravira tous deux,
Et par nostre union finissant nos supplices
Versera sur nos maux ses plus cheres delices.

EURIMEDON.

Pour la mesme raison vous devez croire aussi
1485 Que le mal de mon frere est beaucoup adoucy,
Et quelque desplaisir* qui trouble sa pensee,
La cause de son mal rend sa peine effacee :
Mais bons Dieux ! qu’Alerine est longue en son retour !

PASITHEE.

Madame : la voicy.

EURIMEDON.

        J’en rends grace* à l’amour.

SCENE CINQUIESME. §

[p. 80]
EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE.

EURIMEDON.

1490 He bien qu’a dit le Roy ?

ALERINE.

            Que la belle Hermionne
Pour suivre ses desirs n’a besoin de personne,
Et que ses volontez sont d’assez fortes loix
Pour ne pas relever de la faveur des Roys,
En un mot Archelas s’accorde à vostre envie.
Elle se retire.

EURIMEDON.

1495 Il me faict trop d’honneur.

PASITHEE.

            Et moy j’en suis ravie.

EURIMEDON.

Certes voilà des traicts d’une extréme bonté*.

PASITHEE.

Mais plustost du credit de vostre Majesté,
Dont la grace* est unique ainsi que sans pareille.

EURIMEDON.

[L ; 81]
Exceptez-en la vostre (adorable* merveille,)
1500 Car c’est d’elle qu’on peut dire avecque raison
Que ses charmes* divins sont sans comparaison.

PASITHEE.

Vous me forcez pourtant d’advoüer à ma honte
Que vostre courtoisie* aujourd’huy me surmonte*.252

EURIMEDON.

Pour estre un digne objet* à vostre affection
1505 Je veux bien vous laisser en cette opinion,
Mais le peu de merite où mon espoir se fonde
Accusera d’erreur les plus beaux yeux du monde,
Et fera reprocher à vostre jugement
Qu’il a lorsqu’il me flatte un peu d’aveuglement.

PASITHEE.

1510 Icy vostre vertu m’impose le silence,
Mais l’admiration sera mon esloquence.

EURIMEDON.

Brisons là ce discours, Madame.

PASITHEE.

                Je le veux.

EURIMEDON.

Que le Ciel (ma Princesse) est propice à mes vœux !
Ah que sur ce beau sein je voy de belles choses !
1515 Son teint ressemble aux lys, et vostre bouche aux roses,
Les Graces* dedans l’une ont choisy leur sejour, [p. 82]
L’autre d’un beau rocher faict le trosne d’Amour,
Et comme ils sont tous deux de visibles miracles,
L’un reçoit tous nos vœux, l’autre rend des Oracles ;
1520 En fin je vois icy comme dans un tableau
Tout ce que la nature a de rare et de beau.
Mais que j’ay de regrets parmy ces belles choses !
Que je voy de soucis au milieu de ces roses !
Et que je suis confuse en ce dernier effort
1525 Où peut-estre ma nef fera naufrage au port.

PASITHEE.

Vous souspirez (Madame) et vostre teint se change,
D’où vous vient si soudain cette palleur estrange ?
Dieux ! vous trouvez-vous mal ?

EURIMEDON.

                Madame il faut mourir.
Ou que vostre pitié s’offre à me secourir.

PASITHEE.

1530 Ce n’est pas un devoir que ma main vous reffuse,
Mais ce nouveau discours me rend toute confuse,
Parlez moy clairement.

EURIMEDON.

            Ah Madame ! pardon.
C’est trop vous abuser, Je suis Eurimedon.

PASITHEE.

[p. 83]
Eurimedon bons Dieux !253

EURIMEDON.

            Luy-mesme ma Deesse.

PASITHEE.

1535 O miserable fille ! ô chetive Princesse.
C’en est faict, ton malheur arrive au dernier poinct.

EURIMEDON.

Madame parlez bas, et ne vous faschez point.254

PASITHEE.

Quoy meschant tu voudrois apres cette impudence
Que ma voix fust encore de ton intelligence ?
1540 Apres avoir tendu ce piege à mon honneur*,
Tu veux que je me taise insolent suborneur ?
Non, non, traistre, je veux que ma douleur esclatte.

EURIMEDON.

Madame.

PASITHEE.

C’est en vain que ton amour me flatte,
Ne m’importunes plus de tes vœux indiscrets*,
1545 Mais permets à la mort destouffer mes regrets.
O sensible malheur !

SCENE SIXIESME. §

[p. 84]
EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE.

ALERINE.

        He qu’avez-vous Madame ?

PASITHEE.

Un mal qui m’a surprise, et qui m’arrache l’ame.

ALERINE.

Vostre voix a d’abord* troublé tous mes esprits.

PASITHEE.

L’excez de ma douleur m’a fait jetter ces cris.

ALERINE.

1550 Ce mal est bien soudain, et j’en suis fort en peine.

PASITHEE.

Alerine de peur d’incommoder la Reyne,
Je vay passer la nuict dans vostre appartement.
Elles sortent.

EURIMEDON seul.

Ah deplorable Prince ! ô malheureux* Amant* !
Que ton impatience a destruit de delices !
1555 Et prepare à ton cœur de sensibles supplices ! [p. 85]
Mais ne murmure point contre cette beauté
Que tu viens d’offencer par ta temerité,    
Tu sens un chastiment moindre que ton audace,
Et malgré son couroux la pitié t’a faict grace*.
1560 Vange plustost le tort que ton amour a fait,
Offre toy pour victime à cét object* parfaict,
Et par ton propre sang effaçant ton offence
N’espargne pas tes jours quand tu pers l’innocence :
Esperons toutesfois : Mes services passez
1565 Ne sont pas tout à faict de son cœur effacez,
Puisque dans sa douleur sa bouche s’est contrainte,
Et n’a pas descouvert le sujet de sa plainte,
Ce silence discret montre qu’asseurément
Son amour est plus fort que son ressentiment*.
[p. 86]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

TYGRANE.

1570 Amour oste à mes sens cette importune* Idee
Dont mon ame est encore malgré moy possedee,
Rompts les fers orgueilleux où je suis engagé :
Et rends par mon repos mon esprit soulagé :
N’entretiens plus mon cœur des charmes* de l’Infante,
1575 Fay paroistre à mes yeux sa beauté moins puissante,
Et pour rendre aujourd’huy mon mal moins rigoureux
Forme la moins aymable*, ou fay moy plus heureux :
Si tu veux m’obliger* dy moy que Celiane,
Surpasse en ses attraits et Venus, et Diane ;
1580 Vante à tout l’Univers sa generosité, [p. 87]
Et les nobles effets de sa fidelité ;
Mais plustost de ce pas allons luy rendre hommage,
Et demander pardon d’avoir esté volage,
Mes yeux preparez-vous d’adorer ses apas,
1585 Puis qu’elle a dans ses mains ma vie, et mon trespas,
Allons.

SCENE DEUXIESME. §

CELIANE, TYGRANE.

CELIANE.255

Où va Tygrane ?

TYGRANE.

            Où son devoir l’appelle.    

CELIANE.

Perfide* dy plustost où t’attend une belle.
Il est vray que j’ay tort de blasmer ton devoir,
Et de te regarder lors* que tu vas la voir ;
1590 Pasithee a des traits* qui font que Celiane
N’oseroit esperer l’entretien de Tygrane.

TYGRANE.

[p. 88]
Ah Madame ! espargnez un malheureux Amant*,
Je bornois mes desseins à vous voir seulement.

CELIANE.

As-tu mise en oubly la Reyne de ton ame ?

TYGRANE.

1595 Je ne puis l’oublier puisque c’est vous (Madame)
Dont l’absolu pouvoir regne sur mes esprits.

CELIANE.

Et tu n’es plus pour moy qu’un objet de mespris.

TYGRANE.

Oubliez* mon erreur, oubliez* mon offence,
Et voyez mon amour apres mon inconstance ;
1600 Comme l’Astre du jour alors* qu’il sort de l’eau,
Mon feu sera plus net et paroistra plus beau,
Pourveu qu’en ma faveur quelque pitié vous touche.

CELIANE.

Depuis quand cette amour loge-t’elle en ta bouche ?
Sans doute* desloyal tu ne te souviens pas
1605 Combien ta Pasithee a de grace* et d’apas.

TYGRANE.

Ah belle Celiane !

CELIANE.

        Hé bien Prince volage ?    

TYGRANE.

[p. M ; 89]
Serez-vous sans pitié ?

CELIANE.

            Seras-tu sans courage ?

TYGRANE.

Il en faut bien avoir pour souffrir* vos discours.

CELIANE.

Il faut trop de pitié pour te donner secours.

TYGRANE.

1610 Il est vray la faveur d’une grace* est trop grande
Et ce n’est pas aussi ce que je vous demande,
Non, je n’invoque plus icy vostre pitié,
Mais j’ay plustost recours à vostre inimitié ;
Oüy qu’elle fasse au moins cét honneur à ma vie
1615 De la croire aujourd’huy digne d’estre ravie,
Pour reparation du crime que j’ay faict
D’avoir ozé trahir un objet* si parfaict.

CELIANE.

Tygrane c’est assez, mon ame moins cruelle*
Veut attendre de vous une amour plus fidelle :
1620 J’approuve vos devoirs, et la suitte du temps
Si vous perseverez nous peut rendre contens,
Allez : retirez-vous avec cette esperance.

TYGRANE.

Et vous vivez (Madame) avec cette asseurance,
Que je conserveray mesme apres le trespas
1625 L’amour que j’ay voüee à vos divins apas.
Il sort.

CELIANE seule.

[p. 90]
En fin ma passion triomphe de Tygrane,
Ce superbe* vainqueur se rend à Celiane,
Et les traits* de mes yeux plus forts que ses desdains
Reparent la foiblesse et l’affront de mes mains :
1630 À ces nobles efforts ma raison rend les armes,
Je trouve que son crime est moindre que ses charmes*,
Et de quelque dépit* dont mon cœur soit touché
Je croy le repentir plus grand que le peché ;
Apres cette faveur (Amour) je te rends grace*
1635 De m’avoir inspiré la genereuse audace
Qui m’a faict r’encontrer dans l’orage* le port ;
Et m’a donné la vie, où je cherchois la mort.

SCENE TROISIEME. §

ARCHELAS, MELINTE et leur suite.

ARCHELAS.

Grand Monarque, il est vray : l’insolence d’un Prince
A troublé depuis peu cette heureuse Province,
1640 Mais cet Eurimedon que vous cherchez icy [p. 91]
Ne nous a pas osté ce penible soucy.
Quand le traistre Araxés descendit dans cette Isle,
Desja ce Chevalier avoit quitté la ville,
Et parmy le danger de ce soudain malheur*
1645 Son absence m’eust faict regretter sa valeur*,
Si les Dieux par le bras d’une auguste* Amazone
N’eussent puny le traistre, et rasseuré mon trosne ;
Je ne laisse pourtant de vous estre obligé*
D’avoir voulu deffendre un Estat affligé.

MELINTE.

1650 Le devoir mutuel qui nos sceptres allie
M’a faict pour ce sujet partir de Thessalie256,
Où j’appris que Bellonne257 exerçoit son couroux
Sur cette nation qui releve de vous ;
Et comme Eurimedon n’ayme rien que la guerre,
1655 J’ay creu le rencontrer en cette heureuse terre :
Mais à ce que je voy le sort malicieux
L’a contre mon espoir esloigné de ces lieux.

ARCHELAS.

Ce fut plustost l’effect de ma juste colere.

MELINTE.

Quoy, vous l’avez chassé ?

ARCHELAS.

            Sans doute*.

MELINTE.

[p. 92]
                    Ah c’est mon frere !

ARCHELAS.

1660 Vostre frere bons Dieux !

MELINTE.

            Oüy, mon frere.258

ARCHELAS.

                    Grand Roy.
J’ay regret de l’avoir si mal traicté chez moy
S’il m’avoit declaré son illustre naissance,
Je n’aurois pas commis envers luy cette offence,
Au contraire j’aurois contenté ses desirs,
1665 Et par un bon accueil finy ses desplaisirs*.

MELINTE.

Luy-mesme ne sçait pas qu’il soit de nostre race,
Il veid avec ses jours commencer sa disgrace*,
Et l’Astre* qui premier esclaira son berceau
Pensa d’un mesme temps esclairer son tombeau :
1670 Toutesfois si le sort fut ingrat, et barbare,
Le Ciel de ses tresors ne luy fut pas avare ;
Car il fit esclatter en des lieux escartez
Parmy de viles gens de nobles qualitez ;
Moy-mesme je le vis, et sa seule vaillance
1675 Sans que je le cogneusse, acquit ma bien-veillance :
Mais depuis que je suis en cét illustre rang
Un Pyrate259 m’a dit qu’il estoit de mon sang,
Et que ses compagnons l’avoient pris à Messine260 [p. 93]
Entre les foibles bras de ma mere Euphrosine,
1680 Lors* que par Dicearque261 en ces lieux attirez
Ils luy firent les maux qu’ils avoient conspirez
Ah que je fus content d’oüir cette nouvelle !
Mais que je treuve icy son absence cruelle* !
Et que mon cœur saisy de son esloignement
1685 Garde pour son malheur un vif ressentiment* :
Où pourray-je trouver ce miserable Prince,
Il erre maintenant de Province en Province,
Il court cét Univers de l’un à l’autre bout,
Et ne possedant rien il croit posseder tout :
1690 Mais encore quel sujet excita vostre hayne ?

ARCHELAS.

L’excez de son amour qui me mit fort en peine :
Car comme je croyois que son ambition
N’avoit point de rapport à sa condition,
Je trouvois fort mauvais qu’il eust pris l’asseurance
1695 De regarder l’Infante avec de l’esperance,
Si bien que redoutant la fin de ce projet,
Je separay d’ensemble et l’un, et l’autre objet*.

MELINTE.

Ainsi doncques l’amour a produit son contraire :
Et ce qui faict aymer a faict haïr mon frere,
1700 Ah miserable Prince où t’a reduit le sort ?

ARCHELAS.

[p. 94]
Si jamais son destin le rendoit à ce bord.
Je traitterois si bien ce genereux* courage
Que je le forcerois d’oublier* mon outrage,
La main qui l’a blessé gueriroit sa douleur,
1705 Ce qui fit mon couroux, finiroit son malheur ;
Et l’espoir de mon sceptre avecque Pasithee
Rendroit dans ce pays sa course limitee :
Mais puisque les destins ne le permettent pas,
En vain ma passion luy promet ces apas ;
1710 Attendons que les Dieux à nos vœux plus propices,
Fassent par son retour renaistre nos delices ;
Cependant s’il vous plaist d’entrer dans le Palais,
Vous y verrez l’objet* à qui je dois la paix,
Et qui d’oresnavant doit partager mon trosne,

MELINTE.

1715 Je le veux bien, voyons cette belle Amazone.

SCENE QUATRIEME. §

[p. 95]
EURIMEDON, PASITHEE, CELIANE.

CELIANE.

Madame : Je vous ay tant d’obligation
De vous estre fiee à ma discretion*
Qu’il n’est point de moyens, ny de traicts de courage,
Qu’à vostre occasion* je ne mette en usage ;
1720 Je sçavois desja bien tout ce deguisement
Et que sous cét habit vous aviez un Amant*,
Je fus le Conseiller de la belle Hermionne,
Quand elle fit dessein de se faire Amazone :
Et que cette action soit un crime, ou bien-faict,
1725 Mon cœur est partizan de tout ce qu’elle a faict.
Souffrez donc qu’aujourd’huy j’acheve mon ouvrage,
Souffrez que je vous mette à couvert* de l’orage*,
Et comme cèt Estat m’a tiré de soucy,
Permettez que le mien vous en retire aussi.

PASITHEE.

[p. 96]
1730 Ce conseil seroit bon genereuse Princesse
Si mon esprit timide* avoit moins de foiblesse :
Mais mon cœur* interdit de crainte, et de respect
Me faict irresoluë, et me rend tout suspect :
Car quelque invention que vostre esprit medite,
1735 Mon honneur* ne sçauroit se sauver en ma fuitte,
Et quand bien je serois hors des terres du Roy
J’aurois tousjours en suitte262 et l’horreur et l’effroy.

EURIMEDON.

S’il est de la terreur c’est ce bras qui la donne,
Et s’il sçait appuyer le faix* d’une Couronne,263
1740 Il pourra bien aussi vous sauver de la peur
Qui loge indignement dans un si noble cœur* :
Quoy doncq, aymez-vous mieux que la rigueur d’un pere
Fasse d’une Princesse un objet de misere ?
Voulez-vous que ma teste attende son couroux,
1745 Ou que comme un ingrat je m’esloigne de vous ?
Quand il aura cogneu mon sexe ; et ma personne,
Qu’il sçaura que je n’ay que le nom d’Hermionne,
Croyez-vous eviter la noire impression
Qu’il doit avoir alors* de nostre affection ?
1750 Non, non, nostre retraitte est un coup qu’il faut faire,
Et vostre enlevement est un mal necessaire.
Quand vous ne serez plus en ses barbares mains [N ; 97]
Le temps adoucira ses projets inhumains,
Mais si nous ne quittons ce funeste rivage
1755 Il nous faut disposer aux effets de sa rage.

PASITHEE.

Hé bien, puis qu’il le faut, j’y consens : mais bons Dieux !
Qu’un extreme malheur* m’arrache de ces lieux !
Puisque pour un Amant* qui cause mon martyre
Il faut que j’abandonne et mon pere, et l’Empire ;
1760 Mais (cher Eurimedon) Je ne conteste plus,
Aussi bien les regrets sont icy superflus,
Je suy tes volontez, ma raison rend les armes.

EURIMEDON.

Ma Reyne essuyez doncq ces inutiles larmes,
Et de peur d’eventer ce genereux dessein
1765 Estouffez vos souspirs au fonds de vostre sein,
Fiez vous cependant dessus ma prevoyance
Je vay tout preparer.
Il fait semblant de s’en aller.

SCENE CINQUIESME ET DERNIERE. §

[p. 98]
ARCHELAS, MELINTE, TYGRANE, PASITHEE, CELIANE, et leur suite.

ARCHELAS.

        La voyla qui s’advance.

MELINTE.

Je vay la saluër. Miracle des beautez,
Mais quel charme* puissant tient mes yeux enchantez* ?
1770 Je voids, ou je me trompe, Eurimedon mon frere.

EURIMEDON.

Ah Dieux ! que vous m’auriez obligé* de vous taire,
Vous me perdez Melinte.264

MELINTE.

            Ah mon frere ! pardon,
Je ne me sçaurois taire aupres d’Eurimedon ;
Mon bon-heur est trop grand, et ma joye est trop forte,
1775 Pour demeurer muet, et feindre de la sorte : [p. 99]
Je suis vostre Melinte, et vous trouvez en moy
L’affection d’un frere, et le support d’un Roy ;
Un de vos ravisseurs m’a dict vostre origine,
Et nous sommes tous deux les enfans d’Euphrosine ;
1780 Nostre pere Hermocrate estant avec les Dieux
Je possede le trosne où regnoient nos ayeux,
Mais comme je vous tiens de cette illustre race,
Je veux aupres de moy vous y faire une place,
Mon Sceptre, et mes estats suffiront à nos vœux,
1785 Et la mesme Couronne en couronnera deux.

ARCHELAS.

Quoy donc en mesme temps je voids en cette Reyne
L’objet* de mon amour, et celuy de ma hayne ?
Et le feu dont ses yeux ont mon cœur enflammé
Sera par elle esteint aussi-tost qu’allumé ?
1790 Quoy, mon affection de la sorte abusee
Servira laschement à vos yeux de risee ?
Et ce perfide* ira se vanter desormais
Qu’il m’est venu braver dans mon propre Palais ?
Ah ! mon ressentiment* effacera ma honte.
Il met la main à l’espee.

TYGRANE.

1795 Ne souffrez pas (grand Roy) que l’ire vous surmonte,
Appaisez ce couroux un peu trop violent.

ARCHELAS.

[p. 100]
Plustost à me vanger je suis un peu trop lent ;
Quoy seduire une fille, et se jouer du pere
Ce n’est pas (dites-vous) un sujet de colere ?

EURIMEDON.

1800 Ah Sire ! si jamais un si lasche dessein
En ce déguisement m’est entré dans le sein,
Si manque de respect265, l’honneur* de Pasithee
A senty les efforts d’une audace effrontee,
Si son corps n’est encor aussi pur que ma foy
1805 Je consens que le Ciel esclatte contre moy :
Il est vray : J’ay chery cette belle Princesse,
Mais je l’ay respectee ainsi qu’une Deesse ;
Et quoy quelle ayt esté deux fois en mon pouvoir,
Jamais ma passion n’a trahy mon devoir ;
1810 Lors* que vostre ennemy vous l’avoit enlevee
Vous sçavez qu’elle fut par mes armes sauvee,
Et que sans me servir de la faveur du sort
Ma generosité vous la rendit au port :
Donnez doncq (s’il vous plaist) un pardon à ma flame*
1815 Puis quelle est sans reproche aussi bien que sans blame,
En mon déguisement vous n’avez rien perdu,
Car ce qu’on vous ostoit mon bras vous l’a rendu.

MELINTE.

Monsieur, si pour vous rendre à ses vœux favorable,
La priere d’un Roy vous est considerable, [p. 101]
1820 Mon frere aupres de vous obtiendra son pardon,
Et vous vous resoudrez* d’aymer Eurimedon :
Encor qu’il ne soit pas du sexe d’Hermionne
Sa teste n’est pas moins digne d’une Couronne,
Et le Sceptre Royal qu’on luy refuse en vain
1825 N’aura pas moins de grace* en son auguste* main ;
Pasithee est son prix selon vostre ordonnance
Puis qu’il a d’Araxés reprimé l’insolence,
Et quand il n’eust pas faict cette belle action
Il la meriteroit par sa condition :
1830 Changez, changez (Monsieur) cette hayne obstinee,
Desgagez cette foy que vous avez donnee,
Et qu’un heureux Hymen* laisse dans le repos
Les champs Thessaliens, la Troade, et Lesbos.

ARCHELAS.

Melinte : vos vertus vous rendent trop auguste*,
1835 Et vous me demandez une chose trop juste
Pour souffrir* de ma part un superbe* refus ;
Excusez seulement si mon esprit confus
A tardé si long-temps d’accorder* Pasithee
À celuy dont l’amour l’a si bien meritee,
1840 Et si j’ay faict paroistre une injuste fureur,
Songez que cette feinte a causé mon erreur.
Ma fille je vous donne à ce Prince adorable*.

PASITHEE.

[p. 102]
Sire, cette faveur rend mon sort honorable,
Et les commandemens sont doux à recevoir
1845 Où vostre volonté s’accorde à mon devoir.

EURIMEDON.

Par ce commandement, et cette obeïssance,
Que je reçois (Amour !) une ample recompence !
Et que je dois benir l’atteinte de tes traits*,
Puisque tu la gueris avecque tant d’attraits.

TYGRANE.

1850 Et moy voyant les biens que le Ciel leur envoye
Verseray-je des pleurs sur la commune joye ?
Apres tant de rigueur, et de travaux soufferts,
Voulez-vous que je meure accablé de mes fers ?
Ne vous lassez vous point de me voir miserable ?

ARCHELAS.

1855 Madame, c’est assez faire l’inexorable,
Puis qu’une heureuse nuict doit suivre un si beau jour
Vous devez ce bon-heur à son fidele amour.

CELIANE.

Je voulois plus long-temps faire l’experience
Et de sa passion, et de sa patience,
1860 Mais puis qu’un si grand Roy me prescrit mon devoir,266
Je veux vous obbeïr, et le vay recevoir*. [p. 103]

TYGRANE.

Puisque par vous j’obtiens ce bien incomparable
Que je vous suis (Seigneur) aujourd’huy redevable.

ARCHELAS.

Allons doncq mes Amis celebrer ce beau jour
1865 Qui vous doit couronner des Myrthes* de l’amour,
Et donner quelque jour à ces belles Provinces
Par vos embrassemens des Reynes, et des Princes.

FIN.

EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. §

Par grace et Privilege du Roy donné à Paris le 30 jour de may 1637. Signé par le Roy, en son Conseil de Monsseaux il est permis àAntoine de Sommaville, Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer où faire Imprimer, vendre et distribuer en tel Volume et caractere que bon luy semblera une tragi-comedie intitulee Eurimedon ou l’Illustre Pirate du Sieur Desfontaines, durant le temps de sept ans finis et accomplis à commencer du jour que ladite Tragi-comedie sera achevee d’Imprimer : Et deffences sont faictes à tous autres de l’Imprimer où faire Imprimer, vendre ny distribuer sans le consentement dudit Sommaville, ou de ceux ayant droit à luy, à peine aux contrevenans de trois mille livres d’amendes, et de tous ses despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par les lettres cy-dessus dattees.

Achevé d’imprimer le 6 juin 1637.

Lexique §

Nous avons intégré dans ce glossaire tous les termes dont le sens s’écarte de l’usage actuel.

Abord
Accueil, « accès que l’on donne aux personnes qui ont à faire à nous »
V. 321.
Le sens de contact, rencontre, correspond au sens actuel, nous ne le relevons donc pas.
Abord (d’)
« Dès le premier instant » (A.), aussitôt
V. 389 et 1548.
Accident
Coup du sort, « cas fortuit, ce qui arrive par hasard » (A.) « hasard, coup de fortune » (F.)
V. 215
Accorder
« Acccorder une fille en mariage, quand les parents donnent une fille à celui qui la leur demande » (F.)
V. 1838.
Adorable
« Qui mérite le plus profond des respects. […] Se dit aussi abusivement et hyperboliquement des choses du monde. Les amans trouvent leur maitresse adorable » (F.) Adorable est courant dans le lexique amoureux, où il est employé hyperboliquement pour qualifier la personne aimée. C’est une dérivation du vocabulaire religieux vers le vocabulaire amoureux.
Dans le sens digne d’amour, v. 9, 1027, 1499 et dans un sens laudatif moins fort, v. 181, 987, 1842.
Adveu
« Reconnoissance, confession » (F.)
V. 1468.
Advoüer
« Reconnoître la verité » (F.), sans que cet aveu coûte à celui qui l’accomplit
« Reconnoître pour sien, proteger » (F.)
V. 438.
Allegeance
« Soulagement d’un mal » (F.)
V. 493.
Alors
Lors et alors ont le même sens. Furetière renvoit à lors pour le sens d’alors.
Alors est utilisé vers 27, 615, 676, 735, 1295, 1364, 1600, 1749 et lors v. 89, 339, 369, 575, 800, 830, 1144, 1431, 1589, 1680, 1810. Les deux termes sont donc utilisés par Desfontaines.
Amant, amante
« Celui qui aime d’une passion violente et amoureuse. » (F.)
Liste des personnages, v. 224, 940, 1356, 1475, 1553, 1592 et 1721.
Désigne aussi celui qui aime et est aimé
Liste des personnages, v. 464, 1314, 1327, 1329, 1721 et 1758.
Le terme d’amant n’avait pas sa connotation péjorative actuelle. Comme le fait remarquer A. Sancier-Château267, amant connaît des fluctuations de sens et désigne parfois celui qui aime sans retour.
Amour
Substantif masculin et féminin pour Furetière.
Amoureux, euse
Qui aime sans être obligatoirement aimé
V. 243, 307, 556.
Appas
« Ce dit figurément en choses morales de ce qui sert à attraper les hommes, à les attirer, à les inviter à faire quelque chose. La vie solitaire a ses appâts, et ses charmes. En ce sens on a accourci le mot, et on dit appas, au lieu d’appâts. » (F.) Attraits, charmes.
V. 567, 627, 1345.
Arrest
« Jugement ferme et stable d’une puissance souveraine. » (F.)
v. 27, 292, 468, 651, 737
Artifice
Tromperie
V. 806.
Astre
L’astre symbolise le destin
V. 197, 621, 790, 1007 et 1668.
Auguste
« Majestueux, venerable, sacré » (F.)
Aymable
« Qui a des qualités qui attirent l’amour ou l’amitié de quelqu’un » (F.)
V. 2, 92, 1172, 1417, 1577.
Bonheur
Chance
V. 424, 840, 1221 et 1229.
Bonté
« Attribut de la Divinité, quand on la considèrre souverainement bonne à cause de sa clémence, de sa miséricorde, de ses graces. En morale chrétienne, se dit de la vertu, et particulièrement de la charité, de la douceur, des mœurs, de l’inclination à assister son prochain, de la patience à souffrir les afflictions, les injures. » (F.)
V. 9, 755, 1472 et 1496.
Changement, change
Changement des sentiments amoureux « un inconstant aime le change » (F.)
V. 207, désigne par extension le changement d’amitié, v. 398, et le changement d’avis inattendu, v. 642.
Charme
« Puissance magique par laquelle avec l’aide du Démon les Sorciers font des choses merveilleuses, au dessus des forces, ou contre l’ordre de nature. Se dit figurément de ce qui nous plaist extraordinairement, de ce qui nous ravit en admiration. » (F.) Sens très fort, magique de « charme »
V. 5, 57297, 1361, 1431, 1501, 1574, 1631, 1769.
Chef
Tête
V. 203, 1128
Cœur
« Vigueur, force, courage, intrepidité » (F)
V. 450, 574, 988, 1005, 1731 et 1740.
Confondre
« Troubler » (A.)
V. 1100.
Confusion
« Embrouillement » (F.)
V. 476 et 1392.
Consommer
Parfois confondu avec Consumer : « destruire, dissiper » (F.), employé pour le temps ou le feu, et par métonymie, pour l’amour
V. 303 et 741.
Furetière distingue bien ces deux verbes, tandis que L’Académie fustige cet emploi : « Plusieurs confondent mal à propos consommer avec consumer »
Constamment
« Avec fermeté » (F.)
V. 573.
Content, e
« Qui n’a point de besoins, qui ne désire rien » (F.)
V. 607, 1210, 1282.
Corsaire
« Pirate, Escumeur des mers, celuy qui court les mers avec un vaisseau armé sans aucune comission pour voler le Marchands », ce terme est donc aussi péjoratif que pirate
V. 94 et 142.
Courtoisie
« Gracieux accueil » (F.)
V. 282
« Plaisir qu’on rend volontairement à quelqu’un sans y estre obligé » (F.)
V. 1503 et 1474.
Cruel
« Se dit des choses qui sont simplement fascheuses » (F.)
V. 197, 266, 497, 557, 631, 696, 1618 et 1683.
Cyprez
« Nom d’arbre assez connu, qui est le symbole de la mort »
V. 1065.
Decevoir
« Tromper adroitement » (F.)
V. 472
Deffendre
« Interdire l’usage de quelque chose »
V. 192, 767.
Dépit
Violente irritation, profonde rancœur
V. 1362, 1632.
Desplaisir
« Chagrin, tristesse » (F.)
V. 1486, 1665.
Discretion
« Prudence, modestie qui sert à conduire nos actions et nos paroles » (F.) « Judicieuse retenue, circonspection dans les actions et dans les paroles » (A.), idée de discernement plus présente qu’en français moderne
V. 264, 270, 727, 1717.
Disgrace
Malheur
V. 1003, 1667.
Diviser
« Separer, mettre à part »
V. 273
« Mettre en trouble » (F.)
V. 943.
Enchanter
« User de magie, d’art diabolique pour osperer quelque merveille qui arreste le cours de la nature » (F.)
V. 473, 1769.
En effet
En réalité, en vrai
V. 170.
Ennui
Douleur, souffrance
V. 1476.
Eprouver
« Experimenter, essayer la bonté d’une chose » (F.)
V. 269, 575, 848 et 965.
Equipage
« Provision de tout ce qui est nécessaire pour voyager » (F.), donc les habits
V. 501.
Eslargissement
« La liberté qu’on donne à un prisonnier qu’on tire hors des prisons » (F.), ou la libération d’un otage
V. 384.
Estonner
« Se dit des emotions du corps qui sont ébranlez et attaquez par quelque violence » (F.)
V. 165, 1085, 1099.
Faillir
« Pécher, manquer à son devoir » (F.)
V. 369, 1264, 1317.
Faits
Hauts faits, exploits
V. 727.
Faix
« Corps pesant qui porte sur quelquechose et qui le charge » (F.)
V. 1739.
Flame
Amour
Fortune
« C’est […] la providence divine qui agit par des voyes inconnuës, et au dessus de la prudence des hommes » ou « ce qui arrive par hasard » (F.)
V. 46, 132, 353, 425, 621, 645, 689, 710, 1079.
Galion
« C’est un grand vaisseau de haut bord, qui a trois ou quatre ponts, et qui ne va qu’à voile » indique Furetière qui ajoute que l’emploi est très restreint à son époque
V. 255.
Genereux
« Qui a l’ame grande et noble, et qui prefere l’honneur à tout autre intérêt. » (F.)
V. 35, 259, 768, 868, 872, 892, 992 et 1702.
Gloire
Honneur
Réputation
V. 182, 457, 665, 713, 724, 1075
Fierté
V. 814.
Grace
« Faveur qu’un supérieur fait à un inférieur sans qu’il l’ait méritée. »
V. 644, 685, 1383
« Se dit aussi de la faveur, de la bienveillance, de l’amitié de quelqu’un. Etre dans les bonnes graces d’une dame »
V. 1279
« Signifie aussi, remerciement »
V. 1489 et 1634
« Agrément, beauté, charme » (F.)
Grace (de)
« Par faveur, par pitié, par courtoisie » (F.)
V. 189.
Graces
« Du temps des payens, étoient trois Divinitez fabuleuses, qu’on peignoit toutes nuës, et qu’on feignoit être de la suitte de Venus. » (F.)
V. 1516.
Heur et ses composés
La graphie décompose parfois les termes mal-heur et bon-heur. Cela vient de la formation de ses mots. Heur vient du « latin classique augurium « présage (favorable ou non), d’où « chance, bonne ou mauvaise ». ».
Heureux
« Chanceux, à qui le hasard est favorable » (F.)
V. 85, 425 et 501
« Se dit figurément en choses spirituelles et morales » (F.)
V. 1358
« Ce qu’on croît être cause de quelque bonheur, de quelque avantage »
V. 4, 417, 1042, 1137.
Honneur
« S’applique plus particulierement à deux sortes de vertus, à la vaillance pour les hommes, et à la chasteté pour les femmes. » (F.)
V. 17, 62, 331, 376, 659, 745, 767, 987, 1316, 1540, 1735, 1802.
Hymen, hyménée
Mariage
V. 843, 1832.
Importun, e
« Qui est incommode, qui est à charge, qui apporte quelque ennui » (F.)
V. 122, 412, 622, 709, 1211, 1452 et 1454.
Importuner
« Se rendre importun » (F)
V. 220.
Inclination
« Se dit […] de l’amour, de la bonne volonté qu’on a pour quelqu’un » (F.)
V. 419, 483, 511, 928.
Incontinent
« Sur l’heure, dans un moment » (F.)
V. 260.
Indiscret
« Celuy qui agit par passion, sans considerer ce qu’il dit ni ce qu’il fait » (F.)
V. 1322 et 1544.
Infortuné, ée
Malheureux, se
V. 90 et 477.
Innocence (par)
« Sans dessein de nuire » (F)
V. 369.
Insigne
« Remarquable, excellent, qui se fait distinguer de ses semblables » (F.)
V. 666, 865.
Interessee
« Porter quelque prejudice a quelqu’un » (F.)
Sonnet.
Jaloux, se
« Ceux qui possedent une chose et craignent de la perdre » (F.) d’où, être particulièrement attaché à, être soucieux de
V. 621, 665.
Laurier
« La gloire d’un triomphe, d’une conquête », (F.)
V. 680, 908, 980, 1065, 1088.
Lice
« Se dit […] d’une simple carrière à courre la bague, et à disputer le prix de la course » (F.)
V. 1238, entrer en lice signifie prétendre à la main de Pasithée, concurrencer les autres chevaliers qui la demandent.
Lors
Voir Alors
V. 89, 339 et 369.
Lucre
« Gain, profit » au XVIIe siècle, ce terme avait déjà « peu d’usage » d’après Furetière
V. 156.
Maitresse
« On le dit particulièrement d’une fille qu’on recherche en mariage. » (F.)
V. 356, 1185.
Malheur
« Accident, rencontre fâcheuse, dommageable. Se dit aussi des coups du hasard. » (F.)
V. 59, 1006, 1132, 1644 et 1757.
Malheureux
« Meschant, scelerat » (F.)
V. 621
« Se dit de celuy à qui tout ce qu’il entreprend succede mal, soit par son peu d’adresse, soit par le hasard, par la mauvaise conjoncture des affaires » (F.)
V. 175, 383, 575, 873
« Ce quicause du malheur, ou qu’on croit le causer »
« Tout ce qui est mauvais en son genre » (F.)
V. 36, 621, 1263.
Meschancetez
« Sceleratesse, malignité », donc sens très fort car le Malin, c’est le diable
V. 336.
Mettre à couvert
Mettre à l’« abry », dans un « lieu à l’ombre » (F.), d’où protéger
V. 138, 618 et 1727.
Misérable
« Vil, meprisable » (F.)
V. 10.
Mutin
« Qui se révolte contre l’autorité légitime » ou contre « la raison » (F.)
V. 156
Myrthe
« Arbrisseau fort estimée des curieux », qui est aussi le « symbole de l’amour » (F.)
V. 904, 980, 1865.
Objet
Se dit « poëtiquement des belles personnes qui donnent de l’amour. » (F)
Obligation
« L’engagement qui vient de quelque plaisir, de quelque bon office qu’on a receu » (A.) la reconnaissance
V. 194.
Obliger
« Faire quelque faveur, civilité, courtoisie », (F.)
V. 126, 383, 429, 632, 855, 1048, 1578, 1648 et 1771.
Occasion
« Rencontres particulières » (F.)
V. 86
« Cause, sujet » (F.)
V. 1011, 1719.
Orage
« Malheur passager » (F.)
V. 1, 389, 618, 867, 954, 994, 1070, 1219, 1636, 1727.
Oubly
« On dit oublier une injure, une offence, pour dire, ne garder plus de ressentiment d’une injure, d’une offence » (F.)
V. 26, 1598, 1703.
Paranymphes
« C’étoit autrefois celuy qui conduisoit par honneur l’épousée, qui assistoit à ses nopces. » (F.), d’où, celles qui accompagnent
Épître.
Partie
« En termes de Palais, se dit de tous les plaideurs » (F.), partie désigne donc la partie adverse dans un procès
V. 1022.
Perfide
« Qui manque de foi, qui trahit, qui manque à sa parole »
V. 5, 110, 232, 332, 509, 603, 629, 964, 1136, 1238, 1587, 1792.
Pirate
« Corsaire, Escumeur des mers, qui fait des courses sur mer sans aveu ni autorité de République. ». Furetière ne distingue donc pas le pirate du corsaire, et Desfontaines utilise le terme seulement dans le titre.
Pitoyable
« Se dit de celuy qui a des sentimens de compassion pour les miseres d’autruy » (F)
V. 205, 1359.
Pompe
Cortège solonnel, magnificience, « despense magnifique qu’on fait pour rendre quelque action recommandable » (F.)
V. 42
Poudre
Poussière
V. 137.
Pretendre
Aspirer à, vouloir
V. 721, 774, 1340.
Prevenir
« Estre le premier à faire la mesme chose », devancer
V. 115.
Protester
« Promettre » (F.)
V. 1108.
Querelle
« Combat »
V. 1135.
Queste
Recherche, demande. La quête désignait pour les corsaires le piratage
V. 154.
Rebeller (se)
Sens fort, « Se revolter, mespriser l’autorité des loix et du Prince, tirer l’espée contre luy » (F.)
V. 309.
Recevoir
« Faire un bon ou mauvais acceuil » (F.), bon accueil
V. 1861.
Resoudre
« Se déterminer à faire » (F.)
V. 311, 643, 677 et 1821.
Ressentiment
« Se dit figurément en morale, des sentiments de l’ame quand elle est émeuë de certaines passions » (F.)
V. 19, 611, 785, 968, 1363, 1569, 1685, 1794.
Sacrilegé
« Se dit aussi de la personne qui commet un sacrilege » (F.)
V. 318
Salaire
Récompense
V. 70, 747, 1258.
Sans doute
Assurément, sans aucun doute
V. 202, 412, 475, 673, 886, 1038, 1604, 1659.
Sentiment
« Se dit figurément en choses spirituelles. Ce mot étant seul, signifie toujours au singulier, Avis, opinion, pensée, jugement. » (F.)
V. 309.
Servage
« Vieux mot qui signifioit autrefois esclavage, servitude, et qui s’est employé pour marquer la captivité, l’attachement d’un amant à une maitresse » (F.)
V. 95, c’est le sens premier, déjà désuet, qui est employé.
Service
« Assistance, bon office qu’on rend à quelqu’un. » (A.), par extension, Tygrane l’emploie pour désigner la cour qu’il a faite à Pasithée
V. 486.
Soin
« Attache particuliere qu’on a auprés d’un maistre, ou d’une maitresse, pour les servir, ou leur plaire. » (F.)
V. 418, v. 430
Se « dit aussi des soucis, des inquiétudes qui émeuvent, qui troublent l’âme » (F)
V. 449, soin envisage les différents sens possibles.
Souffrir
« Ne se pas opposer à une chose, y consentir tacitement » (F.)
V. 150, 435, 888, 903, 1003, 1370, 1608 et 1836.
Surmonter
« Vaincre, avoir l’avantage sur quelqu’un »
V. 1503
Superbe
« Vain, orgueilleux, qui a de la presomption, une trop bonne opinion de luy-même. » (F)
Ou « qui marque la magnificence, la somptuosité. » (F)
V. 740, 1360
Timidité
« Qualité qui rend timide, peureux, poltron » (F.)
V. 324, 1731.
Tourné cf. Tourner
« Se mouvoir circulairement » (F.) ou « se mouvoir à droite et à gauche, ou en arriere, quoy que le mouvement ne se fasse pas tout à fait en rond » (A.).
C’est ce dernier sens qui paraît plus approprié au v. 325.
Trait
« Se dit particulièrement de la flesche qui se tire avec l’arc ordinaire » « se dit […] figurément et poëtiquement des regards, et des blessures qu’ils font dans les cœurs, quand ils y inspirent de l’amour » (F.)
Trame
« Cours de la vie » (F.)
V. 99 et 1262
« Complot secret » (F.)
V. 99.
Transport
Effet violent de la passion
V. 238, 310, 593, 977, 1184.
Travaux
« Se dit au pluriel des actions, de la vie d’une personne, et particulièrement des gens héroïques » (F.)
V. 985.
Valeur
« Grandeur de courage, ardeur belliqueuse. » (F)
V. 89, 158, 264, 269, 379, 601, 611, 727, 834, 856, 865, 960, 966, 1227, 1406 et 1645.
Vertu
« Force, vigueur, tant du corps que de l’âme » (F.)
Visiter
« Faire une visite. » (F.) d’où rencontrer
V. 358 et 414.
Vulgaire
« Commun, trivial, ordinaire » (F.)
V. 590

Abréviations utilisées §

F. : Dictionnaire de Furetière ; A. : Dictionnaire de l’Académie ; R. : Dictionnaire historique de la langue française Le Robert.

Bibliographie §

Académie française, Dictionnaire, Paris, J-B Coignard, 1649 (2 vol.)

Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les Termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, 1690, rééd. SNL-Le Robert, Paris, 1978 (3 vol.)

REY (Alain), TOMI (Marianne), HORÉ (Tristan), TANET Chantal, Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’Alain Rey, édition enrichie par Alain Rey et Tristan Hordé, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1992-1998, 3 tomes, 4304 p.

Annexe 1 : Tableau des présences §


ARCHELAS MELINTE EURIMEDON TYGRANE FALANTE LYSANOR PASITHEE CELIANE ALERINE ARGAMOR
I 1 X X
I 2 X X X X
I 3 X
I 4 X X
II 1 X X X
II 2 X X X
II 3 X
II 4 X
II 5 X X
II 6 X X
II 7 X
III 1 X X
III 2 X X X X
III 3 X
III 4 X X
III 4 X X X
III 5 X X
IV 1 X X
IV 2 X X X X X
IV 3 X X
IV 4 X X X
IV 5 X X X
IV 6 X X X
V 1 X
V 2 X X
V 3 X X
V 4 X X X
V 5 X X X X X X

Total :     9    2    16    7    5    1    12    10    5    1

Annexe 2 : Chronologie des représentations et publications des œuvres de Desfontaines §


Date Représentation Publication
1632 Sonnet liminaire aux Passions égarées, de Richemont-Banchereau, TC.
1636 Les Heureuses Infortunes de Celiante et Marilinde veuves pucelles
1635 Eurimedon ou l’Illustre Pirate n/a Paris Tragi-comédie
1636
1637 La vraie suite du Cid n/a Paris Tragi-comédie
Orphise ou la beauté persécutée n/a Paris Tragi-comédie
Eurimedon ou l’Illustre Pirate
1638 Hermogène n/a Paris Tragi-comédie Orphise ou la beauté persécutée
La vraie suite du Cid
1639 Hermogène
1640 Bélisaire n/a Paris Tragi-comédie
1641 Les Galantes vertueuses n/a Paris Tragi-comédie Bélisaire
1642 Alcidiane, ou les quatre rivaux n/a Paris Tragédie
Perside ou la suite d’Ibrahim Bassa n/a Paris Tragédie
Eustache ou le martyre de Saint Eustache n/a Paris Tragédie
Les Galantes vertueuses
Panégyrique à M. le cardinal de Richelieu
Paraphrase sur le Memento homo
Eustache ou le martyre de Saint Eustache
1643 L’illustre Olympe ou le Saint Alexis n/a Paris Tragédie L’Illustre Amalazonte ? citée par Lancaster
1644 Alcidiane, ou les quatre rivaux
Le Vagabond (traduction) *Perside ou la suite d’Ibrahim Bassa
L’illustre Olympie ou le Saint Alexis*
Entretien des bonnes compagnies*
1645 L’Illustre comédien ou le martyre de Saint Genest n/a Tragédie L’Illustre comédien ou le martyre de Saint Genest*
Sonnet dédié au Grand Condé
1646 La Véritable Sémiramis théâtre du Marais (ancien) Tragédie
Bellissante, ou la fidelité reconnue n/a Tragédie
1647 La Véritable Sémiramis théâtre du Marais (ancien) La Véritable Sémiramis
Bellissante, ou la fidelité reconnue
1648 Le poète chrestien passant du Parnasse au Calvaire

Avertissement : ne sont mentionnées ici que les dates de première édition.

Les dates de représentations sont celles données par le site www.cesar.org.uk.

Légende : en italique, les pièces de théâtre ; en caractères romains, les autres textes

*textes ayant connu plusieurs publications.

Annexe 3 : Tableau comparatif. Extraits d’Ariane et d’Eurimedon ou l’illustre pirate §

Ce tableau dresse une liste non exhaustive des reprises que Desfontaines a effectuées à partir du texte de Desmarets. Les citations mentionnées ci-dessous sont celles qui reprennent au plus près le roman.


Ariane Eurimedon ou l’illustre pirate
sauvez la Princesse, mes amis, sauvez la Princesse Il oüit cette voix (sauvez une Princesse)
(I, 4)    
Archelas me demanda s’il n’y avoit point moyen de sçavoir à qui ils avoient une si grande obligation. Je luy dis que l’on me nommoit Eurimedon  Pour toute qualité je suis Eurimedon
(I, 2)
Le roi « m’asseura que je pouvois disposer de tous ses Estats ». De grace (Eurimedon) quittez cette eloquence,
Laissez-vous une fois vaincre à ma bien-vueillance    190
Commandez en ma Cour, mais en ce juste point
Pour me favoriser ne vous deffendez point : (I, 2)
Voila, luy dit-elle, en me montrant, celuy à qui je dois l’honneur et la vie, que sa valeur m’a conservez. Voicy cette Princesse indignement ravie,
Et qui perdoit l’honneur aussi bien que la vie
Si l’invincible bras de ce liberateur
N’eut empesché ma perte, en perdant son autheur.
(I, 2)    
Eurimedon garde le lit et est visité par Pasithée : « permettez-moy, Madame. La voix me faillit alors : dequoy elle sousrit, et m’ayant regardé quelque temps, elle me dit : Vous pouvez continuer. Je repris la parole mais en tremblant ; et lui dis. Permettez-moy, Madame, d’esperer. Ma langue s’arresta pour la seconde fois ; et elle sousriant encore, me dit. Je ne veux point que vous acheviez ; car je vous promets d’esperer toutes choses. » PASITHEE.
Le sien ne fut jamais digne de ce meslange
Ne le regrettez point vous gaignerez au change,
Vous m’avez secouruë, et le Ciel l’a permis
Pour vous donner icy de plus nobles amis.
EURIMEDON.
Madame,
PASITHEE.
Poursuivez.
EURIMEDON.
Je ne puis.
PASITHEE.
Quelle crainte
Vous faict aupres de moy vivre en cette contrainte ?
EURIMEDON.
Permettez moy Madame.
PASITHEE.
Achevez.
EURIMEDON.
D’esperer.
PASITHEE.
Esperez.    (II, 1)
« Je ne crois pas, reprit le Roy, qu’elle se soit tellement oubliée : mais je la surpris un jour lors que ce jeune homme, qui se nommoit Eurimedon, luy baisoit la main. »
« Il se disoit Prince à la verité, respondit le Roy, et avoit beaucoup de belles qualitez : mesme nous luy avions quelque obligation ma fille et moi ».
Non : elle ne s’est pas tellement oubliee,
Et je croy seulement qu’elle s’estoit liee
Avecque moins d’amour que d’obligation 
À ce nouvel object* de son affection,    1320
Je cogneus toutesfois leurs flames* indiscrettes, 
Je sceus qu’ils se donnoient des visites secrettes,
Et comme Pasithee aydoit à son dessein
Je le surpris un jour qu’il luy baisoit le sein ; 
[…]
En cette occasion je confesse (Madame)
Que ce jeune estranger avoit des qualitez,
Capables de fleschir les plus rares beautez,
Et mesme il nous avoit rendu quelque service.
(IV, 3)
Eurimedon dit au roi qu’« il souhaittoit l’honneur de son alliance autant ou plus que luy-mesme. Dequoy le Roy le remerciait, n’entendant pas le sens des paroles d’Eurimedon, qui vouloit parler de l’alliance qu’il desiroit faire avec luy en espousant sa fille. » EURIMEDON.
Grand Roy j’atteste icy le celeste flambeau,
Que j’ayme tant l’honneur de vostre bien-vueillance 
Que je meurs du desir d’estre en vostre alliance, 
C’est un bien que mon cœur souhaitte plus que vous, 
Et je ne vivrois pas sans un espoir si doux ;
Mais la fureur encor possede trop mon ame
Pour faire si-tost place à l’ardeur de ma flame, 
Il faut donner à Mars le temps de respirer
Auparavant qu’Amour le fasse retirer. 
(IV, 2)
Eurimedon, déguisé en Hermionne dit à Pasithée : « Mais je ne luy accorderay jamais ce qu’il souhaitte que vous ne soyez mariée à Eurimedon. » EURIMEDON, déguisé en Hermionne, dit à Pasithée :
Mais qu’il n’espere pas la faveur qu’il souhaitte 
Qu’Hermionne ne soit de tout poinct satisfaite,    1410
Qu’il ne m’ayt de mon frere accordé le pardon, 
Et que vous ne soyez femme d’Eurimedon.
(IV, 4)
« Dans la mer Ionienne il y a une Isle nommée Corcyre, à l’un des costez de laquelle regardant l’Epire, est une retraite de Pirates, où il est impossible de les aller attaquer. » Il268 fut pris, et mené prisonnier en Corcyre,
Mais lors qu’il attendoit le prix de sa rançon 
(II, 1)

Annexe 4 : texte des commentaires du XVIIIe siècle §

Histoire du théâtre français de puis son origine jusqu’à présent, Parfait, P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, pour les tomes 3, 4 et 5. Tome 5 p. 338 §

Eurymédon ou l’illustre pirate, tragi-come’die, de M. Desfontaines.

Eurymedon, célèbre pirate, délivre Pasithée, fille d’Archelas, Roy de la Troade, des mains d’un ravisseur appelé Araxés, et la remet entre les mains de son pere. Ce Prince lui fait tout l’accueil possible, mais comme il le surprend baisant la main de Pasithée, il le chasse de la Cour. Cependant Araxés, à la tête d’une armée considerable, entre dans les Etats du Roy Archelas, et est prête de s’en emparer. Eurymedon apprend cette nouvelle, et en même tems que le Roy de la Troade a fait publier

Que quiconque pourroit empêcher sa défaite,
En portant d’Araxés l’abominable tête,
Pour prix de sa valeur, et de son action,
Il auroit Pasithée, et son affection.

Une promesse si flatteuse engage Eurymedon : il se deguise en Amazone, combat Araxé, lui coupe la tête et la présente au Roy. Archélas devient subitement amoureux de cette prétendue Amazone, et lui propose de l’épouser. Sur ces entrefaites, Mélinthe, Roy de Thessalie, aborde à Lesbos pour y trouver un frere qui avoit été enlevé par des Pirates, dès sa plus tendre enfance. Ce frere est Eurymedon. La reconnoissance des deux freres fache un peu le Roy, parce qu’Eurymedon profitant de son travestissement, a passé la nuit avec Pasithée. Mais le mariage racommode tout, et c’est par là que finit la Piéce, qui est assez mal conduite, pleine d’inutilités, et d’une invention peu noble. Les Vers y repondent assez. Par exemple, le Roy parle à sa fille Pasithée dans des termes qui ne dépareroient pas un Gorgibus, en lui reprochant le peu de bienséance qu’elle garde avec Eurymedon.

Vous souffrez toutesfois que seul il vous cajolle,
Contre un Pere, pour lui, vous prenez la parole,
Il baise librement et la bouche et le sein,
Et tout cela chez vous passe pour bon dessein :
Sa conversation est la même innocence,
En parler seulement, c’est commettre une offense.
…………………………………………………..
Malgré ce beau mignon, qui cause tout ceci,
Vos discours changeront dans peu de temps d’ici.

Clément J.M.B. et Laporte J. de, Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris, Veuve Duchesne, 1775 §

« Desfontaines n’avoit reçu de la Nature ni goût, ni talent pour le théâtre ; et cependant toutes ses Pieces ont eu des succès marqués. Deux principales causes concoururent à cette réussite ; le goût naturel de la nation pour le spectacle dramatique, et les talens des Acteurs. Leur jeu, quoiqu’un peu forcé, et soutenu d’une déclamation ampoulée, mais pleine d’art, donnoit de l’éclat à des Pieces mediocres. Cette espèce de prestige alloit même jusqu’à faire trouver beaux, des vers remplis d’images basses, et de jeux de mots. »

Annexe 5 : Repères spatio-temporels §

Ce relevé a pour but de mettre en évidence le fait que les soucis d’unité de lieu et de temps étaient alors indifférents à Desfontaines.

Repères temporels §

Acte II, scène 2

Tygrane :

Depuis vostre retour (divine Pasithee)    

Si je ne vous ay pas aussi-tost visitee,

Acte II, scène 5

ARGAMOR s’en allant.

Seigneur dans peu de temps vous y verrez Tygrane.

Acte II, scène 7

TYGRANE.

Chevalier excusez, Je vous ay faict attendre.

(…)

Mettons nous pour un temps à couvert de l’orage,

Et fuyant les abords de l’Infante et du Roy,

Sçachons ce qu’ils auront deliberé de moy.

Acte III, scène 4

Rapport fait à Eurimedon par Lysanor :

Sçachez que d’Archelas les malheurs redoublez

Ont rendu le cahos à ses Estats troublez :

Depuis vostre depart269 l’Infante est prisonniere,    

Araxés animé de sa flame premiere,

Avec mille Guerriers dans l’Isle descendu

Rend d’horreur et d’effroy tout ce peuple esperdu :

Acte IV, scène 1

Compte-rendu de la bataille au roi, Hermionne progresse donc le temps s’est écoulé pendant l’entracte.

Acte IV, scène 2

Eurimedon retarde le moment de son union avec le roi.

Acte IV, scène 3

Archelas à Eurimedon :

Ma Reyne j’y consens, et promets à cette heure

De la tirer demain de sa triste demeure,

Archelas :

Naguere270 un estranger en cette Isle arrivé

A si soudainement son esprit captivé,

Acte IV, scène 4

Eurimedon à Pasithée :

Qu’aupres de vous cette nuict je repose,

Si je ne vous suis pas importune ;

Acte IV, scène 6

Pasithée à Alerine :

Alerine de peur d’incommoder la Reyne,

Je vay passer la nuict dans vostre appartement.

Acte V, dernière scène

Archelas à Celiane :

Puis qu’une heureuse nuict doit suivre un si beau jour

Vous devez ce bon-heur à son fidele amour.

Repères spatiaux §

Didascalies initiales

La Scène est en l’Isle de Lesbos.

De ce point de vue, l’unité de lieu est respectée.

Acte I, 1

Arrivée au port de Mitylene

EURIMEDON sortant d’un navire et mettant PASITHEE au port.

Pasithée dit plus bas « Que sans crainte Araxés retourne à Mitylène »

Acte I, scène 3

TYGRANE.

Lieu non spécifié, mais nécessairement différent de celui de la scène précédente.

Acte I, scène 4

Falante à Tygrane :

Il vous plaist seulement d’entrer à Mitylene

La scène précédente se passait donc sur le rivage, ou dans un autre lieu extérieur à la ville.

Acte II, scène 1

Mentions du lieu à diverses reprises, scène vraisemblablement dans le Palais :

Je croy qu’il n’oseroit se monstrer à la Cour,     

[…]

Mes gens pour le trouver ont tourné toute l’Isle    

Que les Dieux pour jamais l’exilent de Lesbos

Acte II, scène 4

CELIANE en habit de Cavallier.

He bien cruel Amour que fera Celiane ?

On a ici un changement de lieu qui s’opère vers un lieu anonyme, espace neutre comme le caractérise Hélène Baby. Elle se trouve certainement près de Mitylène, puisqu’elle va devoir agir, et rencontre les habitants de la ville : Agramor, Tygrane, Eurimedon.

Ouy Page il peut me voir ; s’il veut prendre la peine

De sortir promptement des murs de Mitylene,

Nous avons là un deuxième ou troisième lieu extérieur, que nous conservons jusqu’à la fin de l’acte II.

Acte III

Retour au palais.

Acte III, scène 3

Eurimedon « s’en allant » donc on va vers un espace hors de la ville mais proche, un espace indéfini, une route où il rencontre Céliane. On rejoint donc un espace qui a déjà reçu l’action.

Acte III, scène 4

Celiane dit à Eurimedon :

A peine je fus mise au port de Mitylene 

Donc cet espace indéfini est vraisemblablement proche du port.

Acte III, scène 6

Pas de transition, on passe « en prison », avec Pasithée et Alerine.

Acte IV, scène 1

Dans le palais, mais pas en prison, auprès du roi. L’action demeure en ce lieu jusqu’à la scène 4.

Acte IV, scène 4

Eurimedon va voir Pasithée en prison :

Et que de la prison vous veniez au Palais,

Acte V

L’acte débute avec Tygrane qui est au Palais et va voir Céliane. On a donc un changement de lieu, à l’intérieur du palais même entre l’acte IV et l’acte V.

Tout pourrait se passer dans le palais, pourtant, plus loin, Archelas dit :

Cependant s’il vous plaist d’entrer dans le Palais,

Acte V, scène 4

Scène dans le Palais car discussion entre Céliane, Eurimedon et Pasithée. Puis arrivée du roi et d’Archelas, donc scène finale dans le Palais sans changement de lieu.

Annexe 6 : sonnet liminaire aux Hommes Illustres de Plutarque §

Sonnet servant de dédicace à Louis de Bourbon Duc d’Engvien, pour l’édition suivante : Les hommes illustres grecs et romains, de Plutarque de Cherone’e, Paris, Antoine Robinot, 1645.

ROME ne vente plus tes illustres CESARS,
GRECE, ne parle point de ton jeune ALEXANDRE,
Un Heros plus Illustre, en un âge plus tendre
A franchy de plus grands et plus nobles hazars.
En vain L’AIGLE au LION se joint de toutes pars,
Son fer met tout en sang, son couroux tout en cendre,
Et soit qu’il faille en fin attaqué, ou deffendre,
La victoire tousjours est sous ses estendars.
En l’âge de vingt ans plus vaillant qu’un Achille
Il delivre ROCROY, fait rendre THIONVILLE
Et rend à PHILISBOURG nos ennemis domptez ;
Vous GRECS, et vous ROMAINS parlez-moi sans envie,
Ce que ce jeune PRINCE a fait en deux ESTEZ
Vos HEROS l’ont-ils fait en trente ans de leur vie.

Desfontaines.

Bibliographie §

Sources §

Éditions d’Eurimédon ou l’Illustre Pirate §

Il n’existe qu’une seule édition, réalisée en 1637 par Anthoine de Sommaville. Eurimédon ou l’Illustre Pirate, tragicomédie, par le sieur Desfontaines, Anthoine de Sommaville, 1637, in 4° VIII-103p. Les exemplaires sont parfois insérés dans des recueils factices. Dix exemplaires sont présents à Paris :

Bibliothèque Nationale de France, site Tolbiac : Yf 572 non accessible, Rés Yf 384, Rés Yf 676, recueil factice, Rés Yf 1382, ainsi qu’un exemplaire incomplet : Rés Yf 219, recueil factice ; site Richelieu : 8-RF-5988 ; site de l’Arsenal : 4-BL-3492 (1), recueil factice.

Bibliothèque Sainte-Geneviève : la pièce est insérée dans deux recueils factices : 4 Y (2) INV (P.4) ex. 2, delta 15220 (1) FA (P.3), ex. 1.

Bibliothèque InterUniversitaire de la Sorbonne : RRA8=424.

Autres œuvres de Desfontaines §

Œuvres dramatiques §
Tragi-comédies §
La Vraie Suite du Cid, écrite en 1637, tragi-comédie représentée par la troupe royale, dédiée à messire François de Roftaing, comte de Burry, in-4° et in-12, 1638, Paris, Antoine de Sommaville, achevée d’imprimer le 1er décembre 1637. [NUM Gallica]
Orphise ou la beauté persécutée, écrite en 1637, tragi-comédie dédiée à messire Jacques de Sainctyon, écuyer sieur de Grizeaux, in-4°, 1638, Paris, Antoine de Sommaville, achevée d’imprimer le 17 mars 1638, Privilège du Roy du 7 février 1637. [BIU Sorb RRA 8=426]
Hermogène, écrite en 1638, tragi-comédie dédiée à monseigneur Servien, in-4°, 1639, Paris, Toussaint Quinet, achevée d’imprimer le 15 avril, Privilège du Roy du 14 mai 1638. [NUM Gallica]
Bélisaire, écrite en 1640, tragi-comédie dédiée à monseigneur de Roftaing, comte de Burry, avec un sonnet au même, in-4°, 1641, Paris, Toussaint Quinet, Privilège du Roy du 20 juin, achevée d’imprimer le 6 juillet. [NUM Gallica]
Tragédies §
Saint Eustache ou le martyre de Saint Eustache, écrite en 1642, tragédie, in-4°, 1644, Paris, Toussaint Quinet, Privilège du Roy du 13 janvier 1643, achevée d’imprimer pour la seconde fois le 30 décembre 1644, Privilège du Roy du 13 janvier 1643. [BIU Sorb : RRA 8 = 432] ; réed. dans Tragédies hagiographiques, textes établis et présentés par Claude Bourqui et Simone de Reyff, STFM, 2004.
L’illustre Olympie, ou le Saint Alexis, écrite en 1643, tragédie dédiée à très-généreuse, très-noble, et très-vertueuse dame madame de Talmant, avec une épigramme à la même, et des arguments, in-4°, 1644, Paris, Pierre Lamy, Privilège du Roy du 7 mai, achevée d’imprimer le 4 décembre. [BIU Sorb : RRA 8 = 429 + NUM] ; réed. dans Tragédies hagiographiques, textes établis et présentés par Claude Bourqui et Simone de Reyff, STFM, 2004.
L’Illustre Comédien ou le martyre de Saint Genest, date de création inconnue, tragédie, avec un avis au lecteur, in-4°, 1645, Paris, Cardin Besogne, Privilège du Roy du 30 avril, achevée d’imprimer le 8 mai. [BIU Sorbonne : RRA 8 = 423. NUM Gallica] ; réed. dans Tragédies hagiographiques, textes établis et présentés par Claude Bourqui et Simone de Reyff, STFM, 2004.
La Véritable Sémiramis, écrite en 1646, tragédie dédiée à messire françois de Beauvilliers, comte de S. Aignan, in-4°, 1647, in-4° Paris, Pierre Lamy , achevée d’imprimer le 11 mai, Privilège du Roy du 17 avril.
Romans, poésies, traductions §
Les Heureuses Infortunes de Celiante et Marilinde veuves pucelles, Paris, Trabouillet, 1636.
Panégyrique à M. le cardinal de Richelieu P., 1642, in-4°
Paraphrase sur le Memento homo P., 1642, in-12, [Ars : 8-BL-10807]
Traduction d’un livre de Giacinto Nobili, Le Vagabond, ou l’histoire et le caractère de la malice et des fourberies de ceux qui courent le monde aux despens d’autruy, 1644, in-8°, 192-194p. ; réédité en 1867 par M. P-L Jacob, Genève, 1867, in-12, XII-130 p. [Ars : 8-BL-19576 ; Tolbiac : Y2-12564]
L’Inceste innocent, histoire véritable, P., roman, (1639­-1644), in-8°, VIII-475 p. [Ars 8-BL-20345 ; 8-BL-20346. Tolbiac : Y2-7732]
Entretien des bonnes compagnies P., 1644, in-8, 144p. ; réédité sous le titre L’entretien des bonnes compagnies, nouvellement lu, corrigé et augmenté de plusieurs beaux discours pour contenter les curieux, Troyes, 1736, in-8°, 61 p. [Ars : 8-BL-32638, 8-BL-32639]
Un sonnet liminaire à l’édition de Plutarque, Les Hommes illustres, 1645, [Tolbiac J-727]
Le Poète chrestien passant du Parnasse au Calvaire, in-8°, Caen, 1648.
Attributions incertaines §
Alcidiane, ou les quatre rivaux, écrite en 1642, tirée du Manzini, dédiée en vers à mademoiselle de Châteauneuf, in-4°, 1644, Paris, Toussaint Quinet, achevée d’imprimer le 18 septembre 1643, Privilège du Roy du 13 janvier 1643. [Tolbiac : Rés Yf 575, BIU Sorb : RRA 8 = 430]
L’IllustreAmalazonte (1643) dont l’auteur est l’abbé René de Ceriziers, ce qui serait, d’après certaines sources, pseudonyme de Desfontaines.
Les Galantes vertueuses, histoire véritable et arrivée pendant le siège de Turin, écrite en 1641 et dédiée à M. Imbert, avec un avis au lecteur, tragi-comédie, in-12, 1642, Avignon, J.Piot.
Perside ou la suite d’Ibrahim Bassa, écrite en 1642, tragédie dédiée à monseigneur le duc de Guise, in-4°, 1644, Paris, Toussaint Quinet, achevée d’imprimer le 24 mai, Privilège du Roy du 16 avril.
Bellissante, ou la fidelité reconnue, écrite en 1646, tragédie dédiée par le libraire à messire François Dugué, maître des requêtes, in-4°, 1647, Paris, Pierre Lamy, Privilège du Roy du 17 avril.

Œuvres de l’Antiquité §

Aristote, Poétique, texte établi et traduit par J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1965. 
Plaute, Comédies, éd. Albert Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1932, rééd ; 1976
Plutarque, Hommes illustres grecs et romains, Paris, Antoine Robinot, 1645

Ouvrages des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles §

L’onziesme Livre d’Amadis de Gaule, Jean Longis et Robert Le Mangnier, Paris, 1560.
Corneille, Le Cid, tagi-comédie, Paris, Augustin Courbé, 1637.
D’Aubignac, Pratique du théâtre, Paris, Jean Frédéric Bernard, 1715.
Desmarets de Saint-Sorlin, Ariane, 2 volumes, Paris, Veuve Mathiteu Guillemot et Mathieu Guillemot, 1632. [BIU Sorbonne : R6=1308-1 et R6=1308-2.]
Du Ryer, L’Alcionée, Anthoine de Sommaville, Paris, 1640
Gougenot, La Fidèle Tromperie, tragi-comédie, Paris, Anthoine de Sommaville, 1633 ; éd. critique établie par Magali Rabot, www.crht.org, 2003.
L’Arioste, Roland Furieux, traduction de Francisque Reynard, Folio classique, Gallimard, Paris, 2003 ; première édition 1516.
La Mesnardière Jules de, Poétique, Paris, Anthoine de Sommaville, Paris, 1640.Tome 1, seul édité. [BIU Sorb RRA8=510]
Mairet,L’Illustre Corsaire, tragi-comédie, Paris, Augustin Courbe, 1640, avec épître à Madame la duchesse d’Esguillon, privilège accordé en février 1639, achevé d’imprimer 20 février 1640.
Molière, Œuvres complètes, tomes 1 et 2, édition établie par Maurice Rat, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 1947.
Poisson Raymond, Le Baron de la Crasse, comédie, Paris, Guillaume de Lvyne, 1662 ; réed. établie par Charles Mazouer, Paris, STFM, 1987.
Scarron, Le Prince Corsaire, dans Œuvres de Paul Scarron, Paris, Jean-François Bastien, 1786.
Scarron,Roman Comique, in Romanciers du XVIIe siècle, éd. Antoine Adam, Pléiade, NRF, 1968.

Instruments de travail §

Ouvrages sur la langue §

Ouvrages du XVIIe siècle §
Académie française, Dictionnaire, Paris, J-B Coignard, 1649 (2 vol.)
Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les Termes de toutes les sciences et des arts, La Haye et Rotterdam, 1690, rééd. SNL-Le Robert, Paris, 1978 (3 vol.)
Ouvrages récents §
Greimas Algirdas Julien et Keane Teresa Mary, Dictionnaire du moyen français, La Renaissance, Paris, Larousse, 1992.
Fournier Nathalie, Grammaire du français classique, Paris, collection Belin Sup-Lettres, Belin, 1998
Haase A., Syntaxe de la langue française du XVIIe siècle, Paris, Didier, 1923. [BIU : L6=949.a]
REY Alain, TOMI Marianne, HORÉ Tristan, TANET Chantal, Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’Alain Rey, édition enrichie par Alain Rey et Tristan Hordé, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1992-1998, 3 tomes, 4304 p.
Sancier-Château Anne, Introduction à la langue française du XVIIe siècle, Paris, Nathan, 1993 (2 vol.).

Bibliographies §

Beauchamps P-F Godart de, Recherches sur les théâtres de France, 3 tomes, Paris, Prault, 1735
Brunet Ch., Table de Soleinne, New York, Burt Franklin, 1914
Clément J.M.B. et Laporte J. de, Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris, Veuve Duchesne, 1775
Léris A. de, Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres, Paris, Jombert, 1763.
Maupoint, Bibliothèque des théâtres, Paris, Prault, 1733
Mongrédien Georges et Robert Jean, Les Comédiens français au XVIIe siècle, Paris, CNRS, 3e édition, 1981.
Parfaict Claude et François, Dictionnaire des théâtres de Paris, Paris, Lambert, 1756, 7 tomes.

Ouvrages techniques §

Corvin Michel (dir.), Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Paris, Bordas, 1990 [BSG usuel 792 COR]
Chevalier Jean et Gheerbrant Alain, Dictionnaire des symboles, collection Bouquins, Robert-Laffont-Jupiter, Paris, 1969, réed revue et augmentée 1982.
Dolet Estienne, La Punctuation de la langue Francoise, Paris, Dolet, 1540 ; réed. Obsidiane, in La Maniere de bien traduire d’une langue en une aultre, 1990
Drillon Jacques, Traité de ponctuation française, collection tel, Gallimard, Paris, 1991
Forestier, Georges, Introductionà l’analyse des textes classiques, Nathan, (coll. 128), 1993
Moreri Louis, prêtre, docteur en Théologie, Grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et prophane, Paris, les libraires associés Le Mercier, Desaint et Saillant, Jean-Thomas Herissant, Boudet, Vincent, Le Prieur, 1692.

Études §

Ouvrages et articles de littérature, d’esthétique et d’histoire §

Ouvrages §
Adam Antoine, Histoire de la littérature française du XVIIe siècle, Domat, 1948-1952 ; réed. Del Duca, 1962 ; réed. Albin Michel, 1996.
Foisil Madeleine, La Vie quotidienne au temps de Louis XIII, Paris, Hachette, 1992.
Conférence en ligne §
Requemora Sylvie, L'Imagerie littéraire du "Tiran de la mer" au 17e siècle : des récits pirates, corsaires, flibustiers aux traitements romanesques et dramaturgiques, 13e Colloque International du CRLV : L'Aventure maritime, pirates, corsaires et flibustiers. Figures littéraires de l’aventure maritime aux 17e et 18e siècles, conférence disponible sur www.crlv.org/outils/encyclopédie.
Sites utilisés §

Cartographie : http://grenier2clio.free.fr/grec/carte/b.htm

Ouvrages et articles sur le théâtre §

Ouvrages §
Baby Hélène, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Klincksieck, Paris, 2002.
Bauwens Johannès, La Tragédie française et le théâtre hollandais au XVIIe siècle, Amsterdam, A. H. Kruyt, 1921.
Chardon Henri, Nouveaux Documents sur la vie de Molière. M. de Modène, ses deux femmes et Madeleine Béjart, Paris, Picard, 1886.
Chardon Henri, Scarron inconnu et les types de personnages du « Roman Comique », Paris, Champion, 1904.
Deierkauf-Holsboer S. Wilma, Histoire de la mise en scène dans le théâtre français de 1600 à 1673, Genève, Slatkine Reprints, 1976 [Tolbiac 4-Yf-454]
Dotoli Georges, Temps de préface (1624-1637), Paris, Klincksieck, 1997.
Forestier Georges, Esthétique de l’identité dans le théâtre français (1550-1680), Le déguisement et ses avatars, Paris, Droz, 1988
Forestier Georges, Passions tragiques et Règles classiques, essai sur la tragédie française, Perspectives littéraires, Puf, 2003.
Guichemerre Roger, La Tragi-Comédie, Paris, PUF, 1981.
Hilgar Marie-France, La Mode des Stances dans le théâtre tragique français 1610-1687, Paris, Librairie A. G. Nizet, 1974, [Tolbiac libre accès : 409 HILG m salle V]
Howe Alan, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649, Documents du minutier central des notaires de Paris, Paris, Centre historique des Archives nationales, 2000 [Tolbiac libre accès 842.409 HOWE t]
[Jomaron, Jacqueline], Le Théâtre en France, Paris, A. Colin, 1992
Lancaster Henry Carrington, A History of French Dramatic literature in the Seventeenth Century, Baltimore, the Johns Hopkins press, 1929-1942.
Lancaster Henry Carrington, The french Tragi-comedy. Its Origin and Development from 1552 to 1628, J.H. Furst Company, Baltimore, 1907. [Tolbiac : 8-Yf-1573]
Larthomas Pierre, Le Langage dramatique, Paris, Colin, 1972
Mahelot Laurent, Le Mémoire de Mahelot Laurent et autres décorateurs de l’hôtel de bourgogne et de la Comédie-Française au XVIIe siècle, éd. établie par Henry Carrington Lancaster, Paris, Honoré Champion, 1920.
Parfaict, Histoire du théâtre français de puis son origine jusqu’à présent, Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1735, pour les tomes 1 et 2 ; P. G. Le Mercier et Saillant, 1747, pour les tomes 3, 4 et 5.
Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Nizet, s. d. [1950].
Ubersfeld Anne, Lire le théâtre, Paris, Editions Sociales, 1977
Ubersfeld Anne, Lire le théâtre II, Paris, Belin, 1996
Ubersfeld Anne, Lire le théâtre III, Le dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996
Article §
Baby-Litot Hélène, « Le rire et les enjeux esthétiques de la tragi-comédie : Le Galimatias de Deroziers », in Rires et sourires littéraires, études réunies par Alain Faure, n° 16 nouvelle série, Centre de Recherches Littéraires Pluridisciplinaires, Université de Nice, Sophia Antipolis, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Nice, 1994, p. 203-222. [BIU Sorb : Z 8 = 3420-18.a]
Revue §
Le Moliériste, revue mensuelle par Georges Monval, Paris, 1880-1889

Ouvrages et articles sur l’œuvre de Desfontaines §

Ouvrages §
Chaineaux Claire, édition critique de Belisaire de Desfontaines, mémoire de maîtrise de Lettres Modernes, sous la direction de Monsieur G. Forestier, septembre 1997.
Bourqui Claude et Reyff Simone de, édition critique des Tragédies hagiographiques de Desfontaines Nicolas Mary, Paris, STFM, 2004.
Lyonnet Henry, Dictionnaire des comédiens français (ceux d’hier), Genève, Slatkine reprints, 1969. [Paris 3, GB : HB 1186 (1-2). ma et FER.ff]
Scherer Colette, Comédie et société sous Louis XIII, Corneille, Rotrou et les autres, Nizet, 1983
Articles en ligne §
Teulade Anne, La Réception de l’effet théâtral mise en spectacle dans deux pièces de Desfontaines, extrait du colloque « Modalités et enjeux de l’inscription du spectateur dans les textes dramatiques » organisé par le Centre de Recherche sur l’Histoire du Théâtre, www.crht.org.
Requemora Sylvie, L’Imagerie littéraire du tyran de la Mer au XVIIe siècle : des récits de voyage et des histoires de flibustiers aux traitements romanesques et dramaturgiques, extrait du colloque international « L'aventure maritime : pirates, corsaires et flibustiers », du Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages, www.crlv.org. Article également disponible dans Les tyrans de la mer. Pirates, corsaires et flibustiers, textes réunis par Linon-Chipon Sophie et Requemora Sylvie, Celat, Presses de l’université Paris-Sorbonne, Imago Mundi n°4, Paris, 2002, p. 297-314.

Nous avons mentionné entre crochets la localisation des livres en utilisant les abréviations suivantes : BIU Sorb : Bibliothèque inter-universitaire de la Sorbonne ; Tolbiac : site Tolbiac de la Bibliothèque Nationale de France ; Ars : site de l’Arsenal de la Bibliothèque Nationale de France ; BSG : Bibliothèque Sainte-Geneviève ; Paris 3, GB : Bibliothèque Gaston Baty de l’université Paris III ; NUM Gallica : version numérisée en ligne sur le site Gallica de la BNF.