M. DCC. LXIII.
Par Mrs. le S***, et D’Or***.
ACTEURS. §
- MADAME THOMAS, riche Fermière.
- COLETTE, Fille de Madame Thomas.
- MATHURINE, Cousine de Colette.
- MONSIEUR GRIFFART, Procureur Fiscal, père de Valère.
- VALÈRE, Capitaine d’Infanterie, Amant de Colette.
- LUCAS, Valet de Madame Thomas.
- LE MAGISTER.
- ARLEQUIN, Tambour de Valère.
- TROUPE DE PAYSANS ET DE PAYSANNES DANSANTS.
SCÈNE PREMIÈRE. Colette, Mathurine. §
MATHURINE.
COLETTE.
MATHURINE.
Paix ma Cousine.
COLETTE.
MATHURINE
Il est vrai que cela coûte.
COLETTE.
Je vous en réponds.
Imite ma franchise, Cousine. Ne serais-tu pas bien-aise aussi d’être mariée ?
MATHURINE
Hé, mais...
COLETTE.
Tu fais la sotte. Achève.
MATHURINE
Je n’en serais pas fâchée.
COLETTE.
Tu t’imagines que c’est un grand bonheur, n’est-ce pas ?
MATHURINE
Sans doute.
COLETTE.
MATHURINE
Oh, oh ! C’est donc Valère que vous aimez ?
COLETTE.
N’en vaut-il pas bien la peine ?
MATHURINE
Oui vraiment.
COLETTE.
Il est déjà sous-lieutenant d’infanterie.
MATHURINE
Peste ! Il est bien avancé !
COLETTE.
C’est qu’il a de grands amis, voyez-vous.
MATHURINE
Mais il est fils du Procureur Fiscal, et vous fille de Madame Thomas.
COLETTE.
Ma Cousine, je vous entends. Je sais que le Procureur-Fifcal et ma mère sont brouillés. Peut-être ma mère ne voudra-t-elle pas que j’épouse Valére. Je vais prier le Magister Nicolas de les réconcilier.
MATHURINE
Le Magister est homme d’esprit : je compte beaucoup sur lui.
COLETTE.
Je vais le trouver pour le presser de faire cet accommodement... Ma mère vient. Je te laisse avec elle.
SCÈNE II. Mathurine, Madame THOMAS. §
MATHURINE
Bonjour, ma Tante.
MADAME THOMAS, d’un air chagrin.
Bonjour, ma Nièce.
MATHURINE.
MADAME THOMAS.
MATHURINE
Vous ne pleurez pas votre mari, peut-être ?
MADAME THOMAS.
Ah ! Ma chère nièce, tel que fût mon pauvre mari, il m’était d’un grand secours.
Oui. Ce garçon-là fait toute ma consolation.
MATHURINE
Oh ! Pour cela, il a bien du mérite !
MADAME THOMAS.
N’est-ce pas, ma nièce ?
MATHURINE
Oui, vraiment, ma tante.
MADAME THOMAS.
MATHURINE
MADAME THOMAS.
Tous les autres sont des fainéants ; lui seul est né pour le travail.
MATHURINE
C’est la pièce de résistance.
MADAME THOMAS.
Vous avez de l’esprit, ma nièce ; et je vous crois capable de me donner conseil sur une affaire importante. Je songe à me remarier.
MATHURINE surprise.
Ah, ah !
MADAME THOMAS.
MATHURINE, froidement.
Tout ce qu’il vous plaira, ma Tante.
MADAME THOMAS.
MATHURINE, d’un air mécontent.
C’est votre affaire, ma Tante.
MADAME THOMAS.
Mais, est-ce que tu n’approuves pas mon choix ?
MATHURINE
Si vous voulez que je vous parle naturellement, je ne vois pas qu’il soit nécessaire que vous l’épousiez, puisqu’il fait vos affaires avec zèle.
MADAME THOMAS.
MATHURINE
Quelle erreur !
MADAME THOMAS.
Je ne pense pas comme cela, moi. Je trouve que ce garçon-là est bien mon fait.
MATHURINE
Croyez-moi. Vous devriez plutôt penser à marier ma cousine.
MADAME THOMAS.
Oh ! Cela ne presse pas.
MATHURINE
Mais songez à ce que dira tout le village, si...
MADAME THOMAS.
MATHURINE
C’est fort bien fait à vous.
MADAME THOMAS, fièrement
Ne suis-je pas maîtresse de mes volontés ?
MATHURINE
Assurément. Tenez. Voilà votre Lucas. Je vous laisse libres.
Adieu, ma Tante.
MADAME THOMAS, s7chement.
Adieu, ma Nièce. Allez. On n’a pas besoin de votre consentement pour faire cette affaire-là.
Voyez un peu cette bégueule.
SCENE III. Madame Thomas, Lucas. §
LUCAS.
Qu’y a-t-il donc, notre Maîtresse ? Il semble que vous soyez en rogne.
MADAME THOMAS.
LUCAS.
MADAME THOMAS.
Pour cela, oui. Et dans le fond, je suis bien bonne de m’amuser à consulter une petite bête.
LUCAS.
C’est morgué bian dit. Vous ne devez consulter que vous-même, surtout dans la chose dont il s’agit.
MADAME THOMAS.
Comment donc, Lucas ! Sais-tu de quoi il était question entre nous ?
LUCAS.
Oh ! Pargué, je ne suis pas un sot. Tenez. Vous li parliez de çà.
MADAME THOMAS.
De quoi ?
LUCAS.
MADAME THOMAS.
Je t’entends à merveilles. Tu as fort bien deviné.
LUCAS.
Oh, dame ! Je devine les fêtes quand alles sont arrivées.
MADAME THOMAS d’un air attendri.
Que tu as d’esprit, Coquin !
LUCAS.
D’autres que moi en avont itout de l’esprit, je vous en avartis.
MADAME THOMAS.
Hé, qui donc ?
LUCAS.
Gros-Jean, Maître Piarre le Tavarnier et Blaise le Veigneron. Je les acoutis tous trois jaboter hier a soir au travars d’une haye. Tâtigué, comme il en dégoisiont !
MADAME THOMAS.
Que disaient ils ?
LUCAS.
Voyez-vous ste Madame Thomas, ce faisiont-ils : voyez-vous comme alle se redresse.
Je gagerais, ce disait Gros-Jean, qu’al’ne sera pas encor tras mois sans reprendre du poil de la bête.
Pargué, ce faisait Maître Piarre, est-ce qu’vous ne fsavez pas bian qu’aile lorgne son valet Lucas ?
Par ma foi, ce disait Blaise, ils se connaissont bian tous deux ; et si alle fait ce marché-là, al’n’achera pas chat en poche.
MADAME THOMAS.
Voyez un peu les médisants ! Mais je sais le moyen de les faire taire.
MADAME THOMAS.
C’est ce que je voulois dire, mon cher Lucas.
LUCAS, ôtant son chapeau.
C’est bian de l’honneur pour moi, dà. Mais il faudra que cela vase.
MADAME THOMAS.
Tu seras content. Mais, sais-tu bien, mon poulet, ce que j’ai fait pour toi ?
LUCAS.
MADAME THOMAS.
Si j’avais voulu écouter certaines propositions, je serais à l’heure qu’il est une grosse Madame de Paris ; mais j’aime mieux un bon paysan qu’un Monsieur.
LUCAS.
Vous avez raison. Les paysans avont l’amiquié plus farme.
MADAME THOMAS.
Cours vite t’aquitter de la commission que je t’ai donnée. Je vais t’attendre au logis!
LUCAS.
MADAME THOMAS.
SCÈNE IV. Colette, Le Magister. §
LE MAGISTER.
COLETTE.
LE MAGISTER.
COLETTE.
LE MAGISTER.
COLETTE.
LE MAGISTER, s’en allant
SCENE V. §
COLETTE, seule.
Laissons agir Maître Nicolas ; et si par malheur il ne réussit point dans son entreprise, nous aurons recours à d’autres expédients.
SCÈNE VI. Colette, Valère. §
COLETTE.
VALÈRE.
COLETTE.
VALÈRE.
Un baiser, ma chère Colette.
COLETTE, le repoussant.
VALÈRE.
COLETTE.
VALÈRE.
Je vous le demande aussi. Allons, ne faites donc point la villageoise. Un peu moins de sévérité.
COLETTE.
VALÈRE.
Oh ! Je vais m’exposer à tout.
COLETTE.
Je prendrai mon sérieux.
VALÈRE.
Vous vous fâchez ! Cela ne vous convient point : un air enjoué vous sied mieux.
COLETTE.
VALÈRE.
Mais, je ne vous demandais que les arrhes du marché.
COLETTE.
Plus on donne de gages pour ce marché-là, et moins il tient.
VALÈRE.
Franchement, votre vertu sent le village.
COLETTE.
Je suis là-dessus Paysanne et demie.
VALÈRE.
Ah ! Belle Colette, connaissez mieux Valère à votre tour.
COLETTE.
Parlons sérieusement de nos affaires. Notre Magister s’est chargé de réconcilier nos parents.
VALÈRE.
Mais, s’il n’y réussit pas ?
COLETTE.
J’ai un autre moyen tout prêt.
VALÈRE.
J’en ai aussi imaginé un, qu’Arlequin mon Tambour est sur le point d’exécuter : mais si tous ces moyens deviennent inutiles, que ferons-nous ?
COLETTE.
Il faudra nous séparer.
COLETTE.
VALÈRE.
J’aperçois mon père avec Maître Nicolas. Retirons-nous.
SCENE VII. Le Magister, Monsieur Griffart, Procureur Fiscal. §
LE MAGISTER.
3Orsus, Monsieur le Procureur Fiscal, je crois vous en avoir assez dit pour vous persuader que vous devez, vous réconcilier avec Madame Thomas.
MONSIEUR GRIFFART.
Je me rends à vos raisons. Mon ressentiment s’éteint ; et je suis prêt à vivre en bonne union avec Madame Thomas, si elle le veut.
LE MAGISTER.
Oh ! Je vous réponds d’elle. La Voici. Tenez-vous un peu à l’écart. Je vais la prévenir.
SCÈNE VIII. Le Magister, Monsieur Griffart, Madame Thomas. §
LE MAGISTER.
MADAME THOMAS, brusquement.
MONSIEUR GRIFFART, à part
Elle fait la fâchée.
LE MAGISTER.
MADAME THOMAS.
LE MAGISTER.
MADAME THOMAS.
Ah ! Il veut se raccommoder tout de bon ?
LE MAGISTER.
Tout de bon.
MADAME THOMAS.
LE MAGISTER.
MADAME THOMAS.
LE MAGISTER, au Procureur Fiscal.
Monsieur Griffart, vous l’entendez. Madame Thomas est un petit coeur de femme. Allons, embrassez-vous.
MONSIEUR GRIFFART, après avoir salué Madame Thomas, lui présente la main, en disant :
MADAME THOMAS.
Malgré mon courroux, Monsieur Griffart, je n’ai jamais cessé de vous estimer.
LE MAGISTER.
J’en suis témoin.
MONSIEUR GRIFFART.
Quoique prévenu contre vous, Madame Thomas, je vous ai toujours regardée comme une femme de mérite.
LE MAGISTER.
Pour cela, oui.
MADAME THOMAS.
Quand j’ai rencontré des gens qui voulaient attaquer votre probité, je vous ai toujours rendu justice.
LE MAGISTER.
Elle est généreuse.
MONSIEUR GRIFFART.
Quand je me suis trouvé avec des médisants qui voulaient me rendre votre vertu suspecte ; oh ! Je leur ai bien dit ce que j’en pensais !
LE MAGISTER.
Il est charitable, Monsieur le Procureur Fiscal. Jarnicoton ! Je ne me sens pas d’aise d’avoir rapatrié deux esprits d’un si bon caractère. Que je vous embrasse.
MADAME THOMAS.
Il est vrai que ce jour-là Monsieur le Procureur Fiscal n’était pas de bonne humeur.
MONSIEUR GRIFFART.
De bonne humeur ! Oh ! Pardi, c’est vous qui prîtes un travers.
MADAME THOMAS.
Un travers ! Moi, prendre un travers ! Oh ! J’ai trop d’esprit pour cela. C’est vous qui n’entendez quelquefois ni rime ni raison.
LE MAGISTER.
Eh ! Laissons-là ce festin!
MADAME THOMAS.
Vous n’êtes qu’un bourru, qu’un brutal, qu’un emporté.
MONSIEUR GRIFFART, d’un ton menaçant.
Madame Thomas !
MADAME THOMAS du même ton.
Monsieur Griffart !
LE MAGISTER.
Que diable...
MADAME THOMAS en colère.
Allez. Si je vous jetai une assiette à la tête, vous le méritiez bien.
LE MAGISTER.
Eh ! Madame Thomas !
MONSIEUR GRIFFART.
Et vous, vous méritiez bien aussi tous les noms que je vous donnai.
LE MAGISTER.
Mais , mais , mais...
MADAME THOMAS criant de toute sa force.
Tous les noms ! Tous les noms ! Allez, mon ami, vous êtes un plaisant sot.
MONSIEUR GRIFFART, fort irrité.
Vous croyez parler encore à votre benêt de mari. Vous êtes une extravagante.
MADAME THOMAS voulant se jetter sur lui.
Ah ! Fripon, il faut que je te...
LE MAGISTER, arrêtant Madame Thomas.
Que voulez-vous faire ?
MADAME THOMAS
Le dévisager.
MONSIEUR GRIFFART, bouillant de colère.
Allez. Vous êtes une... Vous êtes une... Vous êtes une femme.
SCÈNE IX. §
LE MAGISTER, seul.
Voilà de la besogne bien faite ! Je les ai mis un peu plus mal ensemble qu’ils n’étaient.
SCÈNE X. Le Magister , Colette, Mathurine. §
COLETTE au Magister.
LE MAGISTER.
MATHURINE à Colette.
SCÈNE XI. Colette, Mathurine. §
COLETTE.
Oh, que non ! Puisque le Magister n’a pas réussi, je vais employer la ruse que je t’ai dite.
MATHURINE
Feindre de l’amour pour Lucas ?
COLETTE.
Justement. Cela donnera de la jalousie à ma mère.
MATHURINE
COLETTE.
MATHURINE bas.
Eh ! Le voilà, Lucas !
COLETTE.
Parlons de lui, sans faire semblant de l’apercevoir.
SCÈNE XII. Colette, Mathurine, Lucas à l’écart. §
COLETTE.
LUCAS, à part.
Oh, oh ! Alles parlont de moi ! Accoutons.
MATHURINE.
COLETTE.
MATHURINE
Non, vraiment.
LUCAS, à part.
Colette m’aime ! Qui diantre l’aurait deviné ?
COLETTE.
MATHURINE
LUCAS, riant.
Hé, hé, hé, hé, hé, hé.
COLETTE.
LUCAS, à part.
Fatigué ! Comme alle en tient !
COLETTE.
LUCAS, paraît et chante :
COLETTE feignant d’être surprise, pousse un grand cri.
Ah !
LUCAS.
Oh, oh ! Vous m’aimez donc, Mademoiselle Colette ? Eh ! Vous n’en sonniez mot.
COLETTE.
LUCAS.
COLETTE.
LUCAS.
COLETTE.
LUCAS.
Le grand malheur !
COLETTE.
Assurément, c’en est un ; car tu l’iras peut-être dire à ma mère.
LUCAS.
Nennin, nennin, je ne li dirai pas. Al’ne sait morgué pas tout ce que je fais : Queuque sot. Après tout, quand al’le sauroit , est-ce qu’al’ me r’abattroit ça sur mes gages ?
MATHURINE
Tu la connais. Elle ferait un beau vacarme.
LUCAS.
Hé ! Palsanguié, qui s’en soucie ? Acoutez, Mademoiselle Colette. Il gn’ya qu’un mot qui sarve. Si vous vlez je l’enverrai au barniquet.
MATHURINE
C’est parler net.
COLETTE.
LUCAS.
MATHURINE à Colette.
Te voilà ravie, ma Cousine.
LUCAS.
COLETTE.
LUCAS.
COLETTE, se défendant.
LUCAS.
MATHURINE
Quel drôle !
COLETTE.
Tu prends un mauvais parti.
LUCAS.
COLETTE.
LUCAS.
Serpedié ! Vous ne chassez pas de race !
COLETTE.
Que veux-tu dire par-là.
LUCAS.
Je veux dire que votre mère n’aime pas tant la poulitesse que vous.
SCÈNE XIII. Colette, Maturine, Lucas, Madame Thomas derrière eux, sans en être aperçue. §
MADAME THOMAS, à part.
Ah, ha ! Lucas avec ma fille !
LUCAS, riant.
Hé , hé, hé, hé, hé.
COLETTE.
Qu’as-tu à rire ?
MATHURINE
Pourquoi ris-tu?
LUCAS.
Je ris de ce que...
Hé, hé, hé, hé, hé.
COLETTE.
Explique-toi donc.
LUCAS.
Je ris de ce que votre mère...
Hé, hé, hé, hé, hé.
MATHURINE
Hé bien ?
LUCAS.
Aile croit bonnement que je l’épouserai ; mais, prrr.
MADAME THOMAS à part.
Qu’entends je !
LUCAS.
A l’a déjà fait avartir les ménêtriers pour note noce. Alle payera les violons ; mais jarnonbille , je danserons pour elle.
MADAME THOMAS à part
Le Coquin !
COLETTE.
Diantre ! Cela est déjà bien avancé.
LUCAS.
Le bon de l’affaire, c’est qu’al’ ne sait pas que Colette m’aime, et que j’aime itout Colette.
MADAME THOMAS, à part,
Le traître !
LUCAS.
MADAME THOMAS, en furie, se montrant tout-à-coup, et continuant l’Air :
COLETTE contrefaisant l’épouvantée.
Ah !
MATHURINE
Ô Ciel !
LUCAS étonné, et achevant l’Air:
Oh ! La voilà.
MADAME THOMAS, à Colette.
MATHURINE
MADAME THOMAS à Colette et à Mathurine
LUCAS, à part.
MADAME THOMAS se jettant sur Lucas,
MATHURINE
LUCAS.
SCÈNE XIV. Lucas, Madame Thomas. §
MADAME THOMAS, toujours en colère.
LUCAS.
MADAME THOMAS.
LUCAS.
Si vous me nourrissez bian, je travaille de même. La besogne est forte cheux vous.
MADAME THOMAS.
Hé bien, petit inconstant, petit scélérat, j’y consens. Va. Épouse Colette. Mais tu n’auras pas le sou, je t’en avertis.
LUCAS, à part.
Ce n’est pas-là mon compte.
MADAME THOMAS.
Tu mourras de faim.
LUCAS, à part.
Malepeste ! Serviteur à Colette. Tenons-nous au gros de l’arbre.
MADAME THOMAS.
Grand-Jacques profitera de ta folie ; je l’épouserai.
LUCAS, haut.
Ah ! Voyez donc comme alle se fâche !
MADAME THOMAS.
Je n’en ai pas sujet, n’est-ce pas ?
LUCAS.
Bon. Allez. Tout ce que j’ai dit à Colette n’était que pour rire.
MADAME THOMAS.
Pour rire !
LUCAS.
Vous croyez donc que je ne vous ai pas apparçue ? Eh non ! J’ai dit comme çà, à part moi : Vla Madame Thomas qui vient à pas de loup, pour nous accouter ; baillons-li un peu la venette.
MADAME THOMAS.
Quoi, Lucas, il n’est donc pas vrai que tu aimes Colette ?
LUCAS.
Fi donc ! Vla encore une plaisante morveuse. Vous m’avez dégoûté, Madame Thomas, vous m’avez dégoûté de la jeunesse.
MADAME THOMAS.
LUCAS.
MADAME THOMAS lui tendant la main.
Attend-moi ici. Je vais parler au Tabellion. Je reviendrai te joindre.
SCÈNE XV. §
LUCAS, seul, riant.
Comme les femmes qui aimont baillent dans le pagniau.... Ah, ah ! Voici le Tambour de la Compagnie de Monsieur Valére.
SCÈNE XVI. Lucas, Arlequin, Tambour. §
ARLEQUIN, chante en battant le tambour.
4LUCAS.
Courage, courage, Monsieur Arlequin. Vous êtes toujours un drôle de corps.
ARLEQUIN.
LUCAS.
Pardi ! Vous n’engendrez point de mélancolie, Monsieur Arlequin.
ARLEQUIN.
6Non, vraiment. Ni vous non plus, Monsieur Lucas ; vous qui êtes la coqueluche de Nanterre, et le factoton de Madame Thomas.
LUCAS.
Je ne suis encore que le garçon de la Farme ; mais , entre nous, j’en serai biantôt queuqne chose de plus, dà.
ARLEQUIN, sautant au cou de Lucas.
LUCAS, sautant et répétant les deux derniers vers.
Oui.
ARLEQUIN.
Je l’en estime d’avantage. C’est une brave femme. Il faut boire à sa santé.
LUCAS.
Tope.
ARLEQUIN, ayant donné un verre à Lucas, et lui ayant versé du vin.
LUCAS.
Morgué ! Vla de bon vin. Varsez-m’en encore. À vous et à moi présentement.
ARLEQUIN, choquant avec lui.
Allons, à nous deux.
LUCAS, après avoir vidé son verre.
Hoçà, à st’heure, à qui boirons-je ? Pargué, à votre amoureuse, Monsieur Arlequin.
ARLEQUIN, lui versant encore du vin.
Je vous remercie, mon ami.
LUCAS.
ARLEQUIN.
Tu crains la mort, parce que tu n’y ès pas fait. Tiens. Si tu avais seulement deux Campagnes par devers toi, tu écouterais ronfler le canon comme une flûte douce,
ARLEQUIN.
Tu t’y accoutumeras, te dis-je...
LUCAS.
J’aimerais à ne sarvir que dans les Revues.
ARLEQUIN.
Sur ce pied-là tu peux t’engager à présent. Nous sommes en paix ; il n’y a rien à risquer. Buvons un coup : un verre de vin porte conseil.
LUCAS, apres avoir bu.
ARLEQUIN.
Cela va sans dire. Allons, mon Brave, à la santé du Roi.
LUCAS, choquant le verre.
Allons, oui. Vive la guerre pendant la paix.
SCÈNE XVII. Lucas, Arlequin, Valère. §
ARLEQUIN, à part.
Bon. Voici Monsieur Valére.
VALÈRE, à part.
Je ne sais si Arlequin aura réussi.
ARLEQUIN, à Lucas.
Camarade saluez votre Officier.
Monsieur, vous voyez dans ce garçon-là un des meilleurs soldats de votre Compagnie.
VALÈRE.
Cela me fait plaisir. Lucas est un bon enfant. Ça, mes amis, j’ai ordre de partir demain pour aller joindre le Régiment en Flandres. Nous allons apparemment recommencer la guerre.
LUCAS.
Oui ; Je demande donc mon congé. Je ne me suis engagé qu’à condition que je ne sarvirois point pendant la guerre.
VALÈRE, prenant Lucas par l’épaule.
Allons, allons. Point tant de raisons. Tu es engagé, tu marcheras.
SCÈNE XVIII ET DERNIÈRE. Valère, Arlequin, Lucas, Madame Thomas, Colette, Mathurine, Troupe de Paysans et de Paysannes dansants. §
MADAME THOMAS, effrayée.
Qu’y a-t-il donc, Lucas ! Que t’a-t-on fait ?
LUCAS, pleurant.
Ce sont ces vendeurs de chair humaine, qui m’avont enroullé pour la guerre.
MADAME THOMAS, à Valére.
VALÈRE.
Madame, vous me connaissez mal. La fuite vous désabusera.
LUCAS, d’un ton piteux.
Oui ; mais il faudra donc toujours que je marche à bon compte ?
ARLEQUIN.
Sans doute ; et c’est trop perdre de temps. Partons.
LUCAS, pleurant.
Eh ! Madame Thomas !
MADAME THOMAS.
Tout beau, Messieurs. J’ai de quoi le racheter. Combien vous faut-il ?
ARLEQUIN.
Cent pistoles.
MADAME THOMAS.
Mais, cent pistoles !
MADAME THOMAS.
Puisqu’il n’y a rien à rabattre, je vais vous compter les cent pistoles.
Heu ! L’étourdi ! Vois ce que tu me coûtes.
LUCAS.
VALÈRE.
Votre argent ne me tente point, Madame ; la possession de l’aimable Colette peut seule me toucher. Ce n’est qu’à cela que la liberté de Lucas est attachée.
ARLEQUIN.
Vous voyez bien que nous nous mettons à la raison.
MADAME THOMAS, regardant Colette.
COLETTE.
LUCAS.
C’est bian dit.
MADAME THOMAS à Valére.
Monsieur, j’ai des raison pour vous refuser ma fille.
VALÈRE.
Madame, j’ai aussi les miennes pour vous refuser Lucas.
MADAME THOMAS.
Ma fille demeurera auprès de moi.
ARLEQUIN.
Lucas demeurera dans le Régiment.
Allons, marche.
LUCAS, pleurant.
Madame Thomas !
VALÈRE.
Vous avez pris votre parti, Madame. Adieu.
ARLEQUIN à Lucas, lui donnant un coup de poing dans l’estomac.
Marche.
LUCAS, pleurant.
Vous m’abandonnez donc, Madame Thomas.
MADAME THOMAS à Valère.
Arrêtez, Valére. J’aime mieux vous donner deux cens pistoles.
COLETTE.
Ma chère mère, épargnez votre argent.
VALÈRE.
Madame, cela est inutile.
ARLEQUIN.
Non, non. Nous allons joindre le Régiment !
Marche, Gueux, marche.
LUCAS, criant de toutes ses forces.
Madame Thomas. Eh ! Bâillez-li votre fille !
MADAME THOMAS, à Valére.
Monsieur, voulez-vous mille écus ?
VALÈRE.
Madame, vous m’en offririez cent mille inutilement.
ARLEQUIN.
Il n’en démordra pas.
MADAME THOMAS, poussant un grand soupir.
Puisqu’on ne peut s’en tirer autrement, je vous accorde donc ma fille.
COLETTE transportée de joie.
Ma chère mère !...
VALÈRE, embrassant Madame Thomas.
Madame, vous me rendez le plus heureux de tous les hommes.
LUCAS sautant.
Vivat. Mon enroullement a fait marveilles.
ARLEQUIN, présentant Lucas à Madame Thomas.
Et moi, par reconnaissance, je vous donne Lucas.
MADAME THOMAS.
Que tous ceux que j’avais invités à mes noces viennent célébrer ce double mariage.
MATHURINE, après la danse, chante l’Air suivant.
ARLEQUIN, à Madame Thomas,