1694
REGNARD et DUFRESNY
AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS SUR LA NASSANCE D’AMADIS. [1823] §
Cette pièce a été représentée pour la première fois le 10 février 1694.
Les auteurs des Anecdotes dramatiques la donnent comme une parodie d’Amadis de Gaule, opéra de Quinault, qui a paru en 1684, dix ans avant que Regnard ait donné la Naissance d’Amadis. Cette parodie aurait été un peu tardive, et nous ne voyons d’ailleurs nul rapport entre l’intrigue de l’opéra et celle de la comédie.
Dans l’opéra, Amadis, fils de Périon, roi des Gaules, aime Orianne, fille d’un roi de la Grande-Bretagne. Florestan, frère naturel d’Amadis, aime Corisandre, souveraine de Gravesande. Ces amours, traversés par des jalousies et des enchantements, font le sujet de la pièce.
Dans la comédie, Périon, chevalier errant, aime Élizène, fille du roi des Gaules, et en est aimé. Cette intrigue, conduite par Dariolette, suivante de la princesse, est découverte par le roi, qui surprend sa fille avec son amant : il veut les faire brûler, suivant la coutume du pays ; mais dans l’instant que tout est préparé pour leur supplice, une Ombre sort du milieu du bûcher, et annonce la Naissance d’Amadis. Aussitôt le bûcher se change en une pyramide d’artifice, et le roi consent à l’union de Périon et d’Élizène.
Nous ne voyons point de traits de ressemblance entre ces deux pièces, et nous ne croyons point que l’une soit la parodie de l’autre.
Quoi qu’il en soit, on a reproché, avec raison, à Regnard, d’avoir écrit cette pièce avec trop de licence, et nous trouvons qu’il a un peu avili ses héros en les travestissant.
Cette pièce n’a point été reprise.
PERSONNAGES §
- CARINTHER, roi des Gaules. Pierrot.
- ÉLIZÈNE, fille du roi. Isabelle.
- PÉRION, chevalier errant. Arlequin.
- GALAOR, écuyer de Périon. Mezzetin.
- DARIOLETTE, suivante d’Élizène. Colombine.
- UNE OMBRE. Pasquariel.
- Gardes.
SCÈNE I. Périon, Galaor. §
GALAOR.
En vérité, seigneur, je vous trouve dans un bien triste et moult piteux état, depuis que vous êtes en ce diable de pays-ci. Pourquoi quitter votre royaume pour venir faire le juif-errant dans les Gaules, et ne vous occuper qu’à occire des géants et venger l’honneur des pucelles ? Vous n’aurez jamais fait à ce métier-là.
PÉRION, soupirant.
Ouf !
GALAOR.
Ouf ! Cela me met le coeur en grande componction et détresse, de voir que mon bon maître, le roi Périon, s’en aille comme cela le grand galop dans l’autre monde. Par la digne épée que vous portez, révélez-moi l’ennui qui vous malmène.
PÉRION chante.
GALAOR chante aussi.
PÉRION.
Ce n’est pas l’amour que j’ai ramassé dans les cabarets qui me secoue davantage... Hélas !
GALAOR.
Et depuis quand donc les princes poussent-ils de si grands soupirs ? Est-il quelque porte, tant verrouillée soit-elle, qui ne s’ouvre de prime-face à leur aspect ? Et ne trouvent-ils pas toujours en leur chemin donzelle prête à leur accorder la courtoisie ?
PÉRION.
Parbleu ! Tu en auras menti, petit truand d’amour ; et il ne sera pas dit que je t’hébergerai dans mon coeur, sans que tu paies ton gîte.
GALAOR.
Mais quelle est donc la petite carogne qui vous a si bien ajusté ?
PÉRION.
Tu connais la fille du roi chez qui nous demeurons depuis huit jours ?
GALAOR.
Qui ? Élizène ?
PÉRION.
Ah, malheureux ! Quel nom est sorti de ta bouche !
GALAOR.
Oh ! Consolez-vous. Si c’est là le poulet de grain dont votre coeur est en appétit, je vous promets, avant qu’il soit peu, que vous en aurez cuisse ou aile.
PÉRION.
Ah, mon cher ! Il faut que je t’embrasse par avance, pour le grand bien que tu me fais espérer. Mais, dis-moi, écuyer mon ami, ta promesse sera-t- elle sans fallace ? Crois-tu qu’Élizène m’accorde la passade amoureuse ?
GALAOR.
Si fera-t-elle, foi d’écuyer : je sais qu’elle vous trouve d’un fort bon aloi, et je connais moult très bien l’esprit des femelles, qui accordent plus volontiers leurs faveurs à un étranger qu’à un citadin.
PÉRION.
Va donc, cher ami, va opérer de manière que je puisse voir la princesse, et tâche à rechasser sur mes terres ce gibier amoureux.
SCÈNE II. Le Roi, Périon. §
LE ROI est poursuivi par un lion.
Au meurtre ! Au secours ! À la justice ?
Ah, preux chevalier ! C’est toi qui m’as recous des patTes de ce discourtois animal ; c’est toi qui m’as sauvé la vie.
PÉRION.
Ce n’est pas une affaire pour moi d’aller à la chasse aux lions ; j’en ai quelquefois une douzaine à mon croc, et on les sert par accolade sur ma table, comme des lapereaux.
LE ROI.
Je suis fâché que vous ne m’ayez pas donné le temps de le tuer ; je ne me suis jamais senti tant de courage.
PÉRION.
Oui, pour fuir et pour crier. Croyez-moi, allez vous mettre au lit.
LE ROI.
Voilà qui est fait : je n’irai jamais à la chasse contre des animaux qui n’ont ni foi ni loi.
SCÈNE III. §
PÉRION, seul.
Je me suis trouvé là bien à propos pour sauver la vie au père de ma maîtresse. Ah, cruelle fortune ! Pourquoi ne me donnes-tu pas l’occasion de faire pour la fille ce que je viens de faire pour le père ? Oui, je voudrais qu’elle eût cent lions à ses trousses. Je voudrais la voir au milieu des fournaises les plus enflammées ; qu’elle fût précipitée dans le fond des abîmes de la mer : le diable m’emporte si je l’irais requérir.
SCÈNE IV. Périon, Dariolette. §
PÉRION.
Mais je vois sa suivante. Bonjour, accorte et gente Dariolette ; quel bon vent a poussé la nef de tes appas à la rade de mes espérances ?
DARIOLETTE.
La princesse Élizène, ma tant bonne maîtresse, m’envoie vers vous, son seigneur ; elle est navrée à votre sujet, d’une blessure tant profonde qu’elle n’en guérira jamais, si vous n’y mettez la main.
PÉRION.
Qu’à cela ne tienne ; je les y mettrai plutôt toutes deux.
DARIOLETTE.
La pauvrette se plaint jour et nuit ; elle soupire, elle larmoie, et oncques elle ne vit jouvenceau de tant bonne affaire que vous.
PÉRION.
Je t’assure que si elle me trouve jouvenceau de très bonne affaire, je la trouve aussi jouvencelle de fort bon déblai.
DARIOLETTE, découvrant nue corbeille de fleurs.
Voilà des fleurs qu’elle vous envoie pour marque de sa bienveillance envers vous ; elle les a elle-même cueillies de sa main.
PÉRION.
Ah, Dariolette, ma mie ! Ce ne sont pas là les fleurs de son jardin que je convoiterais davantage.
DARIOLETTE.
Je vous assure qu’elle n’a rien réservé ; elle vous a tout envoyé.
PÉRION.
Ah, Dariolette ! Que je serais heureux si j’étais le jardinier d’une aussi jolie plante que ta maîtresse ! Je la cultiverais, je la labourerais, et devant qu’il fût un an, j’en aurais de la graine.
DARIOLETTE.
Ah, seigneur ! Ma maîtresse n’est point une fille à monter en graine ; on ne la laissera pas si longtemps sans lui donner un mari. Mais... là... parlez-moi franchement, est-il bien vrai que vous l’aimiez si fort ?
PÉRION.
Oui, l’amour s’est mis en embuscade sur le grand chemin de mon coeur, pour l’assaillir et le détrousser. Il est féru si très profondément, que je ne puis m’excuser de la mort, si dans bref l’emplâtre de ses faveurs n’i donne allègement.
DARIOLETTE.
1Il y a tout plein de ces agonisants-là qui tombent en pâmoison à l’aspect des jolies demoiselles. On sait bien ce qu’il faudrait pour les faire revenir ; mais la plupart sont des traîtres qui ne cherchent qu’à emprunter certaines choses qu’ils ne rendent jamais.
PÉRION.
Oh, diable ! Mes intentions sont dans l’équilibre de la pudeur. Si je pourchasse ta maîtresse, c’est en toute loyauté et droiture. Je ne voudrais que lui dire deux mots.
DARIOLETTE.
Parler à ma maîtresse ! Ah, seigneur ! Cela est impossible.
PÉRION, lui donnant une bourse.
Tiens, tiens, cela rendra peut-être la chose plus facile.
DARIOLETTE.
Il faudrait donc que ce fût la nuit, afin de n’être vu de personne. Car il y a une loi dans ce pays furieusement sévère contre une fille qu’on rencontre avec un garçon ; et le bûcher est toujours tout prêt pour les brûler tous deux sans autre forme de procès. Dame ! Dans les Gaules, on est terriblement roide sur l’honneur.
PÉRION.
On traite les filles plus humainement en mon pays, et si on brûlait toutes celles qui ont délinqué, le bois y manquerait tous les hivers. Mais tu n’as rien craindre ; dès à présent j’épouse ta maîtresse.
DARIOLETTE.
Bon ! On voit tant de ces épouseux-là qui amusent les filles avec des promesses banales de mariage ! Ils n’ont pas plus tôt obtenu quelques gracieusetés, que tout le mariage s’en va à vau-l’eau. Pendant ce temps-là, une pauvre fille en a pour son compte.
PÉRION.
Comment ! Tu doutes encore de ma fidélité ? Écoute.
DARIOLETTE.
Or, maintenant réjouissez-vous ; je vais tâcher de mettre fin à tant glorieuse entreprise ; et envers la minuit, je vous ferai ébattre en propos joyeux avec votre maîtresse.
SCÈNE V. §
PÉRION, seul.
SCÈNE VI. Élizène, Dariolette, portant une lanterne. §
DARIOLETTE.
Allons, ma bonne maîtresse, la nuit est bien noire, et favorise notre marche clandestine.
ÉLIZÈNE.
Ma pauvre Dariolette, je tremble comme la feuille. Mais dis-moi, un homme n’est-il pas bien fort, quand il est seul avec une personne dont il est aimé ?
DARIOLETTE.
Mais, c’est selon. Quelquefois c’est l’homme qui est le plus fort, quelquefois aussi c’est la femme. Je ne sais pas bien les règles du tête-à-tête, et je n’en ai encore reçu que deux ou trois leçons.
ÉLIZÈNE.
Mais est-il bien sûr que tu m’aies véritablement mariée avec le roi Périon ? Car, sans cela, je me garderais bien de me trouver cap-à-cap avec lui.
DARIOLETTE.
Hé ! Ne craignez rien, je connais mille femmes qui n’ont jamais été le quart autant mariées que vous.
ÉLIZÈNE.
Je ne saurais que te dire, ce mariage-là me paraît un peu précipité.
DARIOLETTE.
Il ne s’en fait plus autrement ; et dans ce temps-ci, il faut brusquer la noce, et ne pas donner le temps à un homme de se reconnaître, ni de faire trop d’informations de vie et moeurs de sa future.
ÉLIZÈNE.
Au moins, Dariolette, tu me promets que la comédie se passera en simples récits et menus propos ?
DARIOLETTE.
Hé ! Fiez-vous à ma parole.
ÉLIZÈNE.
Ma pauvre Dariolette, n’y aurait-il pas moyen de remettre la partie à demain ?
DARIOLETTE.
Bon, bon ! Demain, ne serait-ce pas la même chose ? Les nouvelles mariées demandent toujours des lettres de répit, et elles seraient au désespoir qu’on les leur accordât. Allons.
SCÈNE VII. Périon, Galaor. §
PÉRION, chante.
GALAOR chante.
SCÈNE VIII. Périon, Galaor, Élizène, Dariolette. §
PÉRION, à Élizène.
Ah ! Vous voilà, infante de mon âme ! Vous arrivez comme de cire ; il y a longtemps que je vous attendais ; je commençais à me morfondre.
ÉLIZÈNE.
Valeureux chevalier, à votre aspect je deviens toute perplexe.
DARIOLETTE.
Ma maîtresse n’est encore qu’une petite novice.
PÉRION.
Oh ! Laissez-moi faire, je lui montrerai tout ce qu’il faudra.
GALAOR.
Hé bien, la belle, que dites-vous de notre musique ?
ÉLIZÈNE.
Excusez, seigneur, si la pudeur m’empêche de parler.
PÉRION.
GALAOR, chante.
PÉRION prend Élizène par le bras, et chante.
SCÈNE IX. Les Personnages de la scène précédente ; §
LE ROI.
J’ai entendu du bruit dans mon palais ; je crains qu’il ne soit arrivé quelque mal-engin à l’entour de ma fille. Mais que vois-je ? Ma fille avec Périon ! Ah, traître ! Après t’avoir reçu chez moi comme un mien frère, tu viens honnir ma fille !
PÉRION.
LE ROI.
Tu veux encore me vilipender par des propos injurieux, double coquin !
PÉRION.
LE ROI.
Il faudra donc que ma fille soit brûlée ! Mais ce qui me console, c’est que tu seras grillé avec elle. Allons, gardes qu’on le saisisse, et qu’on me l’amène pieds et mains liés. Je veux que justice en soit faite.
SCÈNE X. §
LE ROI, seul.
SCÈNE XI. Le Roi, Périon, Élizène, Dariolette, Galaor, Gardes. §
PÉRION chante.
LE ROI.
Te voilà donc, méchant suborneur, qui violes, comme un Sarrazin, les droits de l’hospitalité !
PÉRION.
Que voulez-vous que j’y fasse ? Les filles ont toujours eu de l’ascendant sur moi ; et, quand je le puis, je prends ma revanche.
LE ROI, à Élizène.
Et toi, fille déloyale, me faire cet affront à la fleur de mon âge !
Pour toi, chienne de pendarde, s’il n’y avait point de bourreau, je t’étranglerais moi-même. C’est toi qui as mené ma fille à la boucherie.
DARIOLETTE.
Quant à moi, je l’ai fait à bonne intention : j’ai cru que quand on s’était donné la foi on pouvait se parler nuit et jour, sans rien craindre.
LE ROI.
Va, va, tu seras brûlée. Allons, officiers, faites votre charge ; qu’on fasse l’opération.
PÉRION.
Qu’appelez-vous l’opération ? Je ne suis pas malade. À cette heure, je vous avertis que je ne vaux rien rôti.
SCÈNE XII. Les Personnages précédents, Une Ombre. §
L’OMBRE chante.
PÉRION.
Comment ! D’Élizène et de moi il doit naître un fils qu’on nommera Amadis, et vous voulez me faire brûler ! Ah, vieux penard ! Je veux te faire mettre à ma place. Allons, qu’on le saisisse.
LE ROI.
Ah, seigneur ! Je vous demande pardon ; puisque vous m’avez sauvé la vie tantôt contre un lion, je consens que vous épousiez ma fille.
PÉRION.
Allons, je vous pardonne ; et puisque les destins l’ordonnent, j’épouse votre fille.
Mais écoutez, la belle, voilà un oracle qui me lanterne les oreilles : il dit que j’aurai bientôt un, fils ; je vous avertis que je n’aime pas les enfants précoces.
ÉLIZÈNE.
J’aimerais mieux être morte que d’avoir failli et prévariqué.
DARIOLETTE.
Seigneur, il ne faut pas que l’oracle vous étonne ; les filles dans les Gaules sont fort expéditives.
PÉRION.
C’est à peu prés la même chose chez nous ; et souvent les pères et mères sont plus tôt avertis de la multiplication de leur famille, que de la noce de leurs filles.
LE ROI.
Allons, qu’en faveur de ce mariage, ce triste appareil de funérailles se change en des marques de réjouissance.
GALAOR.
Seigneur, puisque vous êtes en train de marier, voilà Dariolette : tandis que vous jouez gros jeu avec la princesse, ne pourrais-je pas carabiner avec la soubrette ?
DARIOLETTE.
Est-ce que tu perds l’esprit ? Crois-tu que je voulusse d’un carabin comme toi ?
GALAOR chante.
DIVERTISSEMENT. §
UN BERGER chante sur un air de menuet.
UN GAULOIS chante.
UN GAULOIS chante.
GALAOR.
DARIOLETTE.
PÉRION, au parterre.