AN VII.
Par MM. Dupaty, Luce, Salverte, Coriolis, Creuzé, Gassicourt, Legourd, Monvel, Longpérier, Alexandre et Chazet, d’après l’avis de l’éditeur.
AVIS DE L’ÉDITEUR. §
C’est en dînant ensemble, que les Auteurs de cette pièce eu conçurent le plan et l’exécutèrent. Les saillies et les calembourgs que faisait naître le vin de Champagne, rappelèrent M. de Bièvre, l’auteur de "Versingentorix, de la lettre de l’abbé-vue à la Contesse-tation", de "l’Histoire du bacha Bilboquet", et de tant d’autres folies si bien effacées par le Séducteur. On cita ses bons mots, ses pointes, on en rima quelques-unes, on les mit en situation ; les scènes se formèrent, et bientôt la pièce se trouva faite, sans que personne eût la prétention de s’en dire auteur. On l’annonça au public par ce couplet :
Le public indulgent reçut l’ouvrage en riant, et voulut en connaître les auteurs ; on lui répondit par cet autre couplet.
Air : En quatre mots...
PERSONNAGES, ACTEURS. §
- DE CHAMBRE, amant de Julie, Citoyen FRÉDÉRIC.
- DE BIEVRE, Citoyen BELFORD.
- JULIE DE LATOUR, Citoyenne AUGER.
- LAROCHE, femme de chambre de Julie. Citoyenne DELISLE
- DUBOIS, valet de M. de Bievre, Citoyen LÉGER.
- UN VALET.
SCÈNE PREMIÈRE. Julie, Laroche. §
LAROCHE.
Mademoiselle, voici l’instant décisif ; deux rivaux se disputent votre main, et c’est aujourd’hui qu’il faut choisir.
JULIE.
Je voudrais connaître les intentions de mon oncle.
LAROCHE.
Et moi, je voudrais bien connaître les vôtres.
JULIE.
Monsieur de Chambre me paraît avoir d’excellentes qualités.
LAROCHE.
Oui ; mais il est bien sérieux : un mari sérieux ! Ah ! Prenez-y garde, mademoiselle.
JULIE.
Tu as, je le vois, une grande idée de nos forces... Mais, dis-moi, as-tu découvert quelque chose sur l’inconnu qui prétend à ma main ?
LAROCHE.
Monsieur votre oncle ne dit que ce qu’il veut ; je sais seulement qu’on attend un homme célèbre dans l’art des Calembourgs, et qu’on m’a donné l’ordre de préparer son appartement.
JULIE.
Je suis bien impatiente de savoir qui c’est.
LAROCHE.
Modérez, croyez-moi, votre empressement, mademoiselle.
JULIE.
Trève de leçons, je n’aime point ta morale.
LAROCHE.
Je vous annonce Monsieur de Chambre ; la sienne vous plaira peut-être davantage.
SCÈNE II. Chambre, Julie, Mademoiselle Laroche. §
CHAMBRE.
Enfin, je puis vous trouver seule un instant.
JULIE.
Quel intérêt si puissant pouvait vous le faire désirer ?
CHAMBRE.
L’impatience de voir décider mon sort. Vous savez, belle Julie, que de vous dépend tout mon bonheur. J’aurais déjà sollicité le consentement de votre oncle, si je pouvais me flatter d’obtenir le vôtre.
JULIE.
CHAMBRE.
JULIE.
CHAMBRE.
JULIE.
CHAMBRE.
LAROCHE, finement.
CHAMBRE.
Ah ! Combien je me croirais heureux, si cette promesse était partie de votre cœur !
JULIE, avec sentiment.
Je pouvais la démentir.
CHAMBRE.
Julie !... Je vous connais trop généreuse pour me laisser un espoir que vous n’auriez pas dessein de couronner.
JULIE.
Suis-je maîtresse de mon sort ? Vous savez qu’un oncle a sur moi toute la puissance d’un père, et vous n’ignorez pas qu’il a déjà reçu les propositions d’un de vos rivaux.
CHAMBRE.
JULIE.
J’en accepte l’augure. Mais j’oublie que la santé de mon oncle réclame ma présence. Je vous quitte.
CHAMBRE.
Souffrez que je vous accompagne auprès de lui, et qu’en partageant vos soins, je m’efforce à le disposer en ma faveur.
SCÈNE III. §
MADEMOISELLE LAROCHE, seule.
Voilà bien les amants ; un seul mot, et ils se croient sûrs du succès.
SCÈNE IV. Mademoiselle Laroche, Dubois. §
LAROCHE.
Quelqu’un vient de ce côté... Un valet en livrée... Je ne reconnais point cet habit-là... Eh ! C’est monsieur Dubois.
DUBOIS.
Quelle est la jolie bouche qui décline aussi bien mon nom ? Oh ! La charmante rencontre ! Quoi ! C’est toi, mon adorable ?
LAROCHE.
Dubois est un peu familier. Il me parlait plus poliment avant de porter cet habit.
DUBOIS.
Tu as raison, ma chère ; mais alors je n’étais pas homme... de condition.
LAROCHE.
Monsieur veut dire en condition. Sais-tu qu’il y a cinq ans que nous ne nous sommes rencontrés, Dubois ?
DUBOIS.
Oui, vraiment. Depuis notre dernière entrevue, il nous est tombé à chacun un lustre sur la tête : cela ne m’a pas empêché de faire bien des métiers.
LAROCHE.
Voyons : lesquels ?
DUBOIS.
LAROCHE.
DUBOIS.
LAROCHE.
LAROCHE.
Est-ce tout ?
DUBOIS.
Oh ! Que non...
LAROCHE.
DUBOIS.
Et toi, ma belle, as-tu changé de condition ?
LAROCHE.
Moi ! J’ai fait aussi quatre maisons... D’abord.
DUBOIS.
LAROCHE.
DUBOIS.
LAROCHE.
DUBOIS.
Et tu fus en dernier ?
LAROCHE.
DUBOIS.
À propos, qu’est devenu Frontin, mon ci-devant rival ?
LAROCHE.
Ah ! Celui qui voulait emporter aux îles une cargaison de vin de Champagne ?
DUBOIS.
Sans doute pour que son vaisseau ne manquât pas de mousse.
LAROCHE.
Il ne m’a pas écrit.
DUBOIS.
Il n’a pas écrit ! C’est qu’en arrivant au port, il aura jeté l’ancre.
LAROCHE.
Je vois que tu es aussi mauvais sujet qu’autrefois.
DUBOIS.
Je pouvais jadis avoir des défauts ; mais maintenant je suis... Je suis un homme de qualité.
LAROCHE.
Tu le suis... Et tu le nommes ?
DUBOIS.
Monsieur de Bièvre, aimable courtisan, professeur de calembourgs, homme de lettres à la mode ; c’est pour le devenir que je suis entré chez lui.
LAROCHE.
Devenir homme de lettres ! Toi, Dubois....
DUBOIS.
Oui, je suis Dubois.... Dont on les fait ; d’ailleurs, cela n’est pas difficile à présent.
Près de mon maître, il ne faut que de la mémoire.
LAROCHE.
Est-il connu dans cette maison ?
DUBOIS.
Depuis un siècle ! Sans un maudit voyage que nous obligea de faire une vieille Comtesse...
LAROCHE.
Une ?...
DUBOIS.
Une vieille contestation sur des biens de famille, mon maître aurait tenu fidèle compagnie au cher oncle, qui, dit-on, se porte assez mal. Comment va-t-il ?
DUBOIS.
Et je compte bien boire à la noce de mon maître.
LAROCHE.
Et quelle est sa future ?
DUBOIS.
Ta maîtresse. Son oncle y consent, c’est un mariage arrangé.
LAROCHE.
Mais qui n’est pas fait.
DUBOIS.
Aurions-nous un rival ?
LAROCHE.
Cela se pourrait.
DUBOIS.
Il n’est pas à craindre.
LAROCHE.
Peut-être.
DUBOIS.
LAROCHE.
Entre nous, mon cher Dubois, ton maître fera bien de renoncer à ses prétentions ; son rival est aimé.
DUBOIS.
Tu le protèges, je gage ?
LAROCHE.
Un peu.
DUBOIS.
C’est trop. Son nom ?
LAROCHE.
Monsieur de Chambre.
DUBOIS.
Monsieur de Chambre, dis-tu ? Mais tu n’y penses pas. Nous devons tous deux être contre lui.
LAROCHE.
Pourquoi cela ?
DUBOIS.
Ne sommes-nous point par état voués à l’antichambre ?
LAROCHE.
Je vois bien que toutes les bêtes ne sont pas à Montmartre.
DUBOIS.
Très heureusement, car cela ferait un sot mont.
LAROCHE.
Mon pauvre Dubois, qui te montre ce jargon ?
DUBOIS.
Voici mon maître.
SCÈNE V. Monsieur de Bièvre, Dubois, Mademoiselle Laroche. §
BIÈVRE.
Mademoiselle de Latour n’est point ici ?
LAROCHE.
Pardonnez-moi, monsieur.
BIÈVRE.
DUBOIS.
Oui, et bien suspendue encore ; la voiture allait si vite, que les cailloux battaient la caisse. Aussi avons-nous failli verser.
BIÈVRE.
Eh bien, le grand malheur ! On nous aurait relevés avec un cric. Mais... Ne perdons point de temps, va vite, mon enfant, avertis ta maîtresse que je demande la permission de la voir, et dis-lui que si elle veut bien se rendre ici de bonne heure...
DUBOIS.
Elle sera le nôtre.
BIÈVRE.
Le coquin me l’a volé !
LAROCHE.
J’obéis.
SCÈNE VI. Monsieur de Bièvre, Dubois. §
BIÈVRE.
4À présent, Monsieur Dubois, il faut faire marcher de front l’Amour et Thémis, et cela doit être, parce qu’ils n’y voient pas mieux l’un que l’autre. Il faut aujourd’hui gagner ma maîtresse et mon procès. Pour cela, tandis que je vais intéresser en ma faveur l’oncle et la nièce, tu iras faire ma cour à certain homme de loi dont les bonnes grâces me sont aussi très chères.
DUBOIS.
Oh ! Oui, très chères ; mais cela ne doit pas vous étonner.
BIÈVRE.
Prends mon cheval... Le coureur, celui auquel on a mis hier les fers aux pieds, et qui n’en va que plus vite.
DUBOIS, à part.
Il est bon celui-là.
Mais, monsieur, j’aime mieux prendre le mien ; le vôtre est si rétif, il fait des pointes.
BIÈVRE.
Mon cheval fait des pointes ? Le charmant animal ! Eh bien ! Prends mon petit cheval de selle.
DUBOIS.
Un cheval de sel, vous n’y pensez pas, monsieur ; s’il venait à pleuvoir, je jouerais au cheval fondu.
BIÈVRE.
Comment ! Point d’éperons, toujours étourdi, toujours négligent !
DUBOIS.
Et vous, toujours grondeur.
BIÈVRE.
Cette fois-ci, je conviens que c’est à propos de bottes...
Mais laissons cela ; prends cette lettre, et qu’elle soit remise avant deux heures.
DUBOIS, réfléchissant.
Avant deux heures ? Remise !.... Que cette lettre soit remise !
BIÈVRE.
Eh bien ! Qu’attends-tu ?
DUBOIS.
Un petit moment, monsieur ; une lettre.... Remise.... Ma foi, monsieur, je n’entends pas celui-là. Je me rends. Cependant je devine assez facilement comme monsieur peut voir.
BIÈVRE.
5L’imbécile ! Il lui faut toujours de l’esprit. Tiens-t-en à la lettre, maraud !
DUBOIS.
Ah ! Pour le coup j’y suis, je vais la porter.
BIÈVRE.
Et moi, je vais chez Monsieur de Latour.
DUBOIS.
Monsieur n’a pas d’autres commissions à me donner ?
BIÈVRE.
6Non... Ah ! Tu passeras chez mon banquier pour toucher cette lettre de change, et tu iras aux Français pour savoir si l’on donnera demain ma pièce.
DUBOIS.
Je serai ici dans une heure.
SCÈNE VII. Dubois, Mademoiselle Laroche. §
LAROCHE.
Tu sors, Dubois ; où vas-tu donc ?
DUBOIS, déclamant.
LAROCHE.
Je ne t’entends pas.
DUBOIS.
Je te plains.
LAROCHE.
Mais, monsieur Dubois, je vous trouve bien merveilleux. Savez-vous que vous visez à l’impertinence ?
DUBOIS.
J’espère bien l’avoir attrapée.
LAROCHE.
Croyez-vous qu’elle vous réussisse ?
DUBOIS.
Sans doute !
LAROCHE.
DUBOIS.
Diable, Mademoiselle Laroche !
LAROCHE.
Encore une équivoque.
DUBOIS.
Pour te l’expliquer,
LAROCHE.
DUBOIS.
Inhumaine ! Barbare !
LAROCHE.
Laisse-moi, ma maîtresse vient.
DUBOIS.
Et moi, je me sauve.
SCÈNE VIII. Julie, Mademoiselle Laroche. §
JULIE.
Quel est ce valet ?
LAROCHE.
C’est celui de Monsieur de Bièvre, que vous connaissez sans doute à présent pour le rival de Monsieur de Chambre.
JULIE.
Oui, mon oncle vient de m’ordonner de lui accorder un moment d’entretien. Tu connais donc ce valet ?
LAROCHE.
Oui, mademoiselle.
JULIE.
Tu semblais lui parler familièrement.
LAROCHE.
Je l’ai vu autrefois à Paris ; mais il est devenu si fou, que je ne le reconnais plus : son maître et lui ne parlent qu’en pointes ou en calembourgs.
JULIE.
Quelle manie !
LAROCHE.
JULIE.
Que ce travers me déplaît !
LAROCHE.
Y pensez-vous, mademoiselle ? Il doit vous servir.
JULIE.
À quoi ?
LAROCHE.
À éconduire Monsieur de Bièvre.
JULIE.
Explique-toi.
LAROCHE.
C’est tout simple. Vous exigez de lui le sacrifice de son goût dominant, il vous le doit, il vous le promettra ; mais l’habitude sera plus forte, et manquant à sa parole, il vous laissera maîtresse de la vôtre.
JULIE.
L’idée est heureuse et j’en profiterai.
LAROCHE.
Vous n’attendrez pas longtemps pour le mettre à l’épreuve : le voici lui-même.
SCÈNE IX. Bièvre, Julie. §
BIÈVRE.
Mademoiselle, je sors de chez monsieur votre oncle ; je dois à son amitié la permission de vous présenter mon hommage.
JULIE.
Je suis flattée, monsieur....
BIÈVRE.
JULIE.
Votre nom, monsieur, votre réputation préviennent en votre faveur ; mais avant de répondre à des intentions qui ne peuvent que m’honorer, vous conviendrez que la connaissance du caractère...
BIÈVRE.
Vous avez raison, mademoiselle, sans caractère on ne peut faire impression. Mais il suffit de vous voir, pour vous rendre le tribut qui vous est dû.
JULIE, à part.
Changeons de conversation.
L’attachement que vous avez pour mon oncle, Monsieur, vous retiendra sans doute quelques jours ici.
BIÈVRE.
Monsieur de Latour m’a permis d’y attendre le résultat de vos réflexions.
JULIE.
Mon oncle, Monsieur, doit en être le premier instruit.
BIÈVRE.
JULIE.
Monsieur !...
BIÈVRE.
JULIE.
On ne m’a point trompée, Monsieur, en me parlant de votre esprit ; mais permettez à ma franchise un aveu que le vôtre rend nécessaire. Je déteste les calembourgs, c’est un tort sans doute à vos yeux ; mais si vous mettez quelque prix à mon opinion, vous me ferez le sacrifice d’un goût trop frivole pour que vous y attachiez de l’importance.
BIÈVRE.
Mademoiselle.
JULIE.
BIÈVRE, après un peu de réflexion.
Vous êtes bien sévère, mademoiselle ; mais s’il faut, pour vous plaire, renoncer à un genre d’amusement que je croyais innocent, je prends ici l’engagement solennel de ne jamais faire de calembourgs.
JULIE.
Ô ciel !
Vous me le promettez !
BIÈVRE.
JULIE.
Je respire.
Un dés faux !
BIÈVRE.
Ah ! Dieu ! Je suis perdu... L’habitude m’a emporté : mais croyez, belle Julie.
JULIE, d’un air piqué.
L’habitude, Monsieur, est une seconde nature ; je sens que j’avais trop exigé : ne soyez pas étonné que je ne joigne point mon consentement au choix de mon oncle.
SCÈNE X. §
BIÈVRE.
Je ne pourrai jamais la faire revenir sur mon compte. Je ne puis pourtant pas l’abandonner à mon rival ; je ne dois pas souffrir qu’elle devienne femme de Chambre.... Au reste, que sais-je ? Peut-être m’en trouverai-je mieux. Vraiment, je ne suis pas assez raisonnable pour me marier.
Ah ! J’aperçois Monsieur de Chambre.
SCÈNE XI. Chambre, Bièvre. §
CHAMBRE.
On vient de me prévenir, Monsieur, que vous étiez dans cet appartement, et j’ai pensé que vous voudriez bien y recevoir ma visite sans cérémonie.
BIÈVRE.
Je suis flatté que Monsieur de Chambre ne me fasse pas une visite de cour.
CHAMBRE.
Je prie Monsieur de Bièvre de me prêter l’oreille.
BIÈVRE.
Monsieur, je ne me la fais jamais tirer.
CHAMBRE.
Trêve de plaisanterie, s’il vous plaît ; les pointes, à la longue...
BIÈVRE.
Je vois que Monsieur préfère les courtes pointes.
CHAMBRE.
Votre intention, sans doute, est de m’aigrir ?
BIÈVRE.
Point du tout, Monsieur, je ne me trouve pas trop gras comme cela.
CHAMBRE.
Je croyais mériter plus d’égards.
BIÈVRE.
Monsieur, en doutez-vous ?
CHAMBRE.
Vous êtes homme d’honneur, je compte sur votre franchise ; quelles sont ici vos vues ?
BIÈVRE.
Les plus élevées. Je n’aime pas les vues basses.
CHAMBRE.
De grâce, parlons sérieusement, ou je croirai que vous m’insultez. Voulez-vous vous asseoir ?... Mademoiselle Latour ?...
BIÈVRE, s’asseyant.
Au nom de Latour, je sens que c’est le cas d’un siège...
CHAMBRE, vivement.
Monsieur, vous voulez me pousser à bout.
BIÈVRE, feignant de se mettre en garde, et prenant sa tabatière.
CHAMBRE.
Il me semble, Monsieur, que vous ne savez faire que du bruit.
BIÈVRE.
Vous me dites cela, parce que je viens de tirer une boîte.
CHAMBRE.
Vous défendez-vous, monsieur ?
BIÈVRE.
Vous le prenez au sérieux. Eh bien ! Malgré cela, nous allons faire des parades : mais, je vous en préviens :
SCÈNE XII. Les Précédents, Julie les séparant. §
JULIE.
BIÈVRE.
Nous séparer !
JULIE.
Ah ! Monsieur, chez mon oncle !
Venez, monsieur, suivez-moi, je l’exige.
CHAMBRE, à l’oreille de Bièvre.
Au revoir, monsieur.
BIÈVRE.
Je vous entends, Monsieur.
SCÈNE XIII. §
BIÈVRE, seul.
Je ne puis m’empêcher de rire quand je songe à la fureur de Monsieur de Chambre ; il n’aime pas les pointes ; je ne conçois pas cela.
SCÈNE XIV. Monsieur de Bièvre, Dubois. §
BIÈVRE.
Te voilà, Dubois ? Eh bien ! Qu’as-tu donc qui te chagrine ?
DUBOIS.
Hélas ! Monsieur, en traversant Paris, une paille m’est entrée dans l’œil : j’ai répandu la larme dans tout le quartier.
BIÈVRE.
Ce ne sera rien. As-tu reçu ma lettre de change ?
DUBOIS.
Non, monsieur, la voilà. Elle est impayable.
BIÈVRE.
Pourquoi donc ?
DUBOIS.
BIÈVRE.
Oh ! Je lui ferai bien voir qu’il me faut de l’argent.
DUBOIS.
Certainement, quand ce ne serait que pour prêter à Monsieur de Saint-Far, qui est venu vous demander cent louis.
BIÈVRE.
Non, en vérité, je ne veux plus être utile qu’au Mont-de-Piété : au moins celui-là est-il rempli de reconnaissances.
BIÈVRE.
Tant mieux, il faut jouer le Séducteur en roué... Au moins, mon procès est-il jugé ?
DUBOIS.
Oui, Monsieur ; il est même gagné.
BIÈVRE.
J’ai gagné mon procès !
DUBOIS.
Non, Monsieur, il est gagné par votre partie adverse ; mais ce qui doit vous consoler, c’est que vous l’avez perdu par votre faute.
BIÈVRE.
Comment ?
DUBOIS.
Votre avocat ne vous a point défendu ; il m’a rendu la lettre que vous lui aviez envoyée, à laquelle il n’a rien compris.
BIÈVRE.
Elle est pourtant bien claire ; il s’agit d’un pré, il fait partie d’un héritage qui m’est échu ; mes titres sont en règle, il ne faut que les présenter : voici ce que dit ma lettre, écoute.
« MONSIEUR, Je vous envoie les pièces ; tenez-vous-en au texte, et nous aurons le pré ; car mon procès n’est qu’un pré-texte. Quoique l’objet en litige ne soit pas éloigné, je le crois précaire. »
DUBOIS à part.
C’est en Égypte.
BIÈVRE.
« Cependant, si vous le voulez, vous emporterez le pré par votre talent pré-dominant, et je suis caution de votre succès, si vous prenez toutes vos pré-cautions.» Je suis, etc. D. B. Dans le fait, ce n’est pas là précisément le style du Palais. Mais quoi ! La sottise est faite, et l’on ne peut pas revenir sur le pré-jugé.
DUBOIS.
Il est incurable !
BIÈVRE.
Comment ! Incurable ?
DUBOIS.
Certainement, Monsieur. Vous avez fait aujourd’hui cinquante calembourgs, au moins, il n’y en a pas trente neufs.
BIÈVRE.
Qu’y a-t-il de nouveau à Paris ?
DUBOIS.
Il y a bien des choses, Monsieur. D’abord, j’ai traversé les Tuileries, et j’ai trouvé tous les arbres en allées.
BIÈVRE.
Après ?
DUBOIS.
J’ai passé chez votre libraire. Oh ! Monsieur, c’est un bien brave homme que votre libraire.
BIÈVRE.
Je te l’ai toujours dit.
DUBOIS.
Il m’a donné trois livres pour quarante-cinq sols.
BIÈVRE.
Peste !
DUBOIS, saluant avec mignardise.
Enfin, Monsieur, ce qui sans doute vous sera fort agréable... Ma femme est sur le point d’accoucher.
BIÈVRE.
Tu as raison, cela me fait grand plaisir, et je t’en félicite. Tu vas avoir un nouveau-né.
DUBOIS.
Enfin tout est nouveau, Monsieur, tout.
Mais vous n’écoutez pas mes nouvelles, monsieur.
BIÈVRE.
Je réfléchissais. J’admire ma journée ! De pointes en pointes : j’ai perdu ma maîtresse, mon procès, et j’ai manqué de gagner un coup d’épée.
DUBOIS.
Voilà de l’esprit bien employé !... Comment ! Monsieur de Chambre...
BIÈVRE.
Il faut que je te conte cela. Tu étais à peine parti...
SCÈNE XV. Monsieur de Bièvre, Dubois, Un Valet. §
BIÈVRE.
Qui vient nous interrompre ? Oh ! Je te vois venir, messager de malheurs ; c’est un congé que tu m’apportes.
LE VALET.
Monsieur, c’est de la part...
BIÈVRE.
9Oh ! C’est de la part de l’oncle, de la nièce... Ce poulet-là contient des politesses, et les adieux de toute la famille.
LE VALET.
Monsieur...
BIÈVRE.
On s’imagine que je vais me désespérer : mais si j’ai perdu d’un côté, j’ai gagné de l’autre.
DUBOIS.
Belle consolation !
BIÈVRE.
Enfin, lisons... « Monsieur de Latour vient de m’accorder son aimable nièce : soyons donc amis, puisque nous ne sommes plus rivaux. J’espère que vous voudrez bien m’en donner une preuve, en accédant à la première demande que je prends la liberté de vous faire au nom de mon oncle et de mon épouse.»
Monsieur de Chambre est très honnête.
DUBOIS, riant aux éclats.
Quelle fortune !
BIÈVRE.
Qu’as-tu à rire ?
DUBOIS.
Comment, Monsieur, vous n’appréciez pas tout votre bonheur !
BIÈVRE, relit.
Ah ! Battu ! Morbleu ! Battu avec mes propres armes ! Un mal-adroit !
DUBOIS.
Pas si bête, pourtant.
BIÈVRE.
Qui n’a jamais fait un calembourg.
DUBOIS.
C’est bien commencer.
BIÈVRE.
Il me passe au travers du corps la première pointe, peut-être, qu’il ait faite de sa vie : après un coup comme celui-là, il ne m’est plus permis de dire rien de plaisant.
DUBOIS.
C’est ce que beaucoup de gens disent : mais, croyez-moi, Monsieur, c’est par jalousie. Avec un jeu comme le vôtre, et un valet de cœur comme moi, vous gagnerez toujours la partie.
BIÈVRE.
Que vois-je ! Julie avec Monsieur de Chambre ?
SCÈNE XVI. Les Précédents, Monsieur de Chambre, Julie, Mademoiselle Laroche. §
BIÈVRE.
Ah ! Monsieur, ce n’est point assez pour vous de l’emporter sur moi : voulez-vous encore ajouter à mes regrets, en m’offrant le spectacle de votre bonheur ?
JULIE.
J’aime à croire, Monsieur, qu’un amour aussi subit n’a pas fait encore de grands progrès : les sujets de consolation dont vous êtes environné, vos talents, une fortune considérable...
BIÈVRE.
Ah ! Madame, ma fortune d’aujourd’hui ne sera certainement pas une bonne fortune.
LAROCHE.
Je crois que vous pouvez vous rassurer sur les jours de Monsieur de Bièvre, il fait de l’esprit, il n’en mourra pas.
BIÈVRE.
Voilà ce qui vous trompe, Mademoiselle Laroche, j’en mourrai, mais il me faudra du temps.
CHAMBRE.
BIÈVRE.
CHAMBRE.
Nous nous flattons que vous resterez, Monsieur ; vous êtes attendu chez Monsieur de Latour.
BIÈVRE.
CHAMBRE.
BIÈVRE.
Pas mauvais ! Si je pouvais riposter.
Je suis désolé de vous refuser ; mais....
CHAMBRE.
Je le demande comme un ami, et Madame comme une Grèce.
BIÈVRE.
Encore ! Et rien ne me vient....
À ce titre, je dois céder.
JULIE, à Bièvre.
Nous ne vous retiendrons que le temps nécessaire pour signer le contrat.
BIÈVRE.
Je suis donc à vos ordres.
JULIE.
10Cela ne sera pas long. Vous savez que les notaires font beaucoup de choses.... dans une minute.
BIÈVRE.
Julie aussi !
Ah ! Je vois que vous voulez me combattre avec mes propres armes.
DUBOIS.
Une minute.... Je n’aurais pas deviné celui-là.
LAROCHE.
C’est que tu n’as pas l’esprit devin.
BIÈVRE.
Nous sommes perdus, tout le monde s’en mêle.
CHAMBRE.
À votre école on profite.
Allons, ma chère Julie, retournons près de votre oncle, et méritons, par nos soins, les bontés dont il nous comble aujourd’hui.
VAUDEVILLE. §
CHAMBRE.
TOUS.
BIÈVRE.
TOUS.
JULIE.
TOUS.
DUBOIS.
TOUS.
LAROCHE.