M. DC IC. Avec approbation et privilège du Roi.
</enregistrement>
PREFACE §
J’ai déjà averti le Lecteur, en finissant mon premier tome, que les Proverbes que l’on a joints au second ne sont pas de moi. Je crois, qu’ils en auront plus de réussite. On m’a priée d’ajouter ici, qu’on ne mettra le mot de chaque Proverbe qu’à la fin de tous pour laisser au Lecteur le plaisir de les deviner.
ACTEURS. §
- MONSIEUR DE MONTIRE, amoureux de Mademoiselle Dupin.
- MADAME DE MONTIRE.
- MADEMOISELLE DUPIN, maîtresse de M. de Montire.
- LE CHEVALIER.
SCÈNE PREMIÈRE. Monsier de Montire, Mademoiselle Dupin. §
MONSIEUR DE MONTIRE.
Eh quoi ! Mademoiselle ; faudra-t-il toujours combattre une crainte frivole ? Elle vous arrête sur un penchant qui me paraît favorable pour moi ; et dans le temps que je crois vous avoir convaincue de mon ardeur, de ma fidélité, de mon dévouement ; que je suis charmé de voir dans vos yeux de douces dispositions ? Je les vois ces mêmes yeux se tourner vers le ciel et répandre des larmes.
MADEMOISELLE DUPIN.
Hélas ! Me demandez-vous ce qui fait le sujet de mes craintes ? Vous êtes marié, vous avez une jolie femme, en vain vous me jurez une amour éternelle. Qu’elle a de moments pour elle cette femme ! Et que je suis malheureuse de n’avoir fait toutes ces réflexions que quand je ne suis plus en état d’en profiter !
MONSIEUR DE MONTIRE.
C’est donc là ce qui vous empêche d’abandonner entièrement, votre cour à ma passion ? Ah ! Mademoiselle, qu’il est aisé de vous guérir ! C’est ma femme, ce mot emporte une satyre ; avez-vous vu bien des gens de mon âge et de mon humeur aimer leurs femmes ? On peut avoir quelque vivacité les premiers jours du mariage ; mais que le dégoût suit de près ! Qu’on est ennuyé d’une personne à qui on se voit lié pour toute sa vie ! Ce fatal engagement, loin de soumettre la raison, révolte tous les sens contre lui. Les heures qu’on est forcé de donner ; à quelque bienséance, paraissent d’une langueur insupportable, et ce qui met le comble à cet éloignement ; c’est d’adorer une aimable personne qui ne nous hait point, et auprès de qui on voudrait passer tous ces moments.
MADEMOISELLE DUPIN.
Le moyen de résister à vos raisons ? Mon cour me les garantit bonnes , et vous avez encore de votre côté le goût du public. Je suis ravie de voir qu’il s’accorde avec le vôtre ; peut-être serait-il plus délicat de souhaiter qu’aucun autre que vous n’eût pensé ainsi et que la force de votre passion vous fournit seule ses sentiments ; mais je me tiens au plus sûr, et je me dis à moi-même qu’étant faite comme je suis, il n’y a point d’apparence que vous fassiez l’exception de la règle générale.
MONSIEUR DE MONTIRE.
Que vous êtes adorable , de vouloir bien prendre, de la confiance en moi ! Il ne vous manquait que ce point, pour être parfaite. Mais que vous m’avez fait perdre de doux moments ! Que celui-ci augmente mon ardeur ! Permettez- moi de baiser votre belle main pour vous en rendre mille grâces.
SCÈNE II. Monsieur de Montire, Madame de Montire, Mademoiselle Dupin. §
MADAME DE MONTIRE.
Continuez, monsieur, je suis ravie de vous voir si galant : c’est un personnage dont je croyais que vous vous acquittiez mal ; mais selon les apparences, Mademoiselle Dupin a pris peine à vous apprendre ce grand art, et je dois l’en remercier.
MADEMOISELLE DUPIN.
Moi, Madame, de la peine ? Je crois que par ma figure on doit voir que je n’en dois pas trop prendre pour m’attirer de l’encens ; mais vous êtes chagrine et vous ne savez à qui vous en prendre.
MADAME DE MONTIRE.
Arrêtez, Mademoiselle, votre vanité vous fait tenir des propos assez étonnants. Votre figure dites-vous ? Ah ! Sans trop me flatter, je ne crois rien vous devoir là-dessus ; et si Monsieur de Montire n’a pas les mêmes manières pour moi, c’est que je lui suis acquise et qu’il espère vous acquérir.
MONSIEUR DE MONTIRE.
Vos jugements sont justes, Madame ; connaissez-vous bien des maris qui s’amusent à courtiser leurs femmes ? Ma foi, digérez vos petits chagrins toute seule. Vous vous préparez des soins et des embarras, si vous examinez ainsi mes actions. Mais, qu’attendons-nous, Mademoiselle ? Votre amie s’impatientera de notre retardement ; laissons à Madame de Montire le temps de calmer sa colère, et n’en perdons point lorsqu’il est question de nous divertir.
SCÈNE III. §
MADAME DE MONTIRE, seule.
Allez, volage époux, je ne serai pas longtemps en reste avec vous ; le chevalier me fait des mines gracieuses, je pourrais bien y avoir répondu involontairement ; mais ce fera de propos délibéré à l’avenir.
SCÈNE I.. Madame de Montire, Le Chevalier. §
MADAME DE MONTIRE.
Ah ! Vous voilà, Chevalier ; je vous souhaitais aussi bien ; vous êtes arrivé tout à propos.
LE CHEVALIER.
Serais-je assez heureux pour vous rendre service ? Je n ai jamais rien tant souhaité.
MADAME DE MONTIRE.
Oui, chevalier, un très considérable ; mais prête à vous le dire, je sens que je m’embarrasse. Pourquoi cette modestie à contretemps ? La vengeance est douce, la voie que je prends pour me venger n’est pas rude ; franchissons le pas. Le service que vous me pouvez rendre, Chevalier, c’est de m’aimer avec ardeur, avec fidélité, et surtout sans aucun de ces ménagements que les hommes ont inventés par un prétendu raffinement de discrétion, mais en effet pour être plus libres et pour partager leur temps entre trois ou quatre maîtresses.
LE CHEVALIER.
Ah ! Madame, qu’il me sera aisé de vous servir à votre mode ! Mais est-ce un songe que ce que j’entends ; est-ce vous qui me parlez ? Depuis un an que je vous adore ; à peine croyais-je que vous vous en fussiez aperçue, et je suis assez heureux pour... Non , il faudrait que j’eusse perdu la raison pour vous croire ; certain mot de vengeance a frappé mes oreilles : vous en êtes occupée à l’heure qu’il est ; tout vous paraît permis dans le premier mouvement : vous avez sans doute, trouvé votre mari en faute ; la jalousie a fait prendre des résolutions dont vous vous repentirez bientôt, et vous me haïrez des mêmes ouvertures de cour dont vous m’honorez à présent.
MADAME DE MONTIRE.
Non, non, c’est un dessein confirmé ; je me défais des préjugés de mon sexe , et je ne me crois point obligée de conserver mon cour à mon mari, quand il donne le sien à une autre que moi : tant que je ne l’ai crû qu’indifférent, je me suis fait un point de vertu d’étouffer les sentiments que j’avais pour vous ; mais je me trouve aujourd’hui en droit de le punir lorsqu’il m’offense, et de vous abandonner un cour qui ne cherchait que les occasions de se rendre : ne craignez point de changement ; plus je vous ai résisté, moins vous devez vous défier de moi.
LE CHEVALIER, en se jetant aux pieds de Madame de Montire.
Ah ! n Madame, que je suis heureux ! Souffrez que je meure à vos pieds, pour vous rendre mille grâces de la félicité où vous me faites parvenir. Que j’aime mademoiselle Dupin que monsieur de Montire a raison de vous la préférer ! Il s’en faut bien qu’elle ne soit si aimable que vous ; mais peut-être sans elle aurais-je langui toute ma vie inutilement dans vos chaînes.
SCÈNE V. Monsieur de Montire, Madame de Montire. §
MONSIEUR DE MONTIRE.
Le chevalier à vos pieds, Madame ! De quelles bontés vous rendait-il grâces ? Il a raison d’éviter ma fureur par sa fuite : vous ne vous contentez pas de me tourmenter par vos jalousies, vous me déshonorez encore par votre conduite ? Votre famille va être instruite de vos déportements.
MADAME DE MONTIRE.
Doucement, monsieur ; croyez-moi, nous ne vivons point dans un siècle si favorable aux maris ; vous ferez un éclat : je me tirerai d’intrigue ainsi que mille autres ont fait ; il vous en restera la honte ; et une bonne séparation me rendra maîtresse de mes actions : voilà le fruit que vous pouvez espérer de votre vacarme ; au lieu que si vous me permettez de voir Le Chevalier qui est un très honnête homme, je vous passerai Mademoiselle Dupin , et nous vivrons dans une union apparente, qui éblouira le public sans que nous soyons obligés à nous gêner.
MONSIEUR DE MONTIRE.
Vous marquez de la résolution et de l’esprit ; laissez-moi donc en repos, ne traversez plus mes plaisirs, et vivons comme tant d’autres font.
MADAME DE MONTIRE.
C’est parler avec raison , il serait curieux, vraiment, que je fusse toute ma vie spectatrice de vos amours, et que comme une innocente, je n’osasse vous rendre le change.