OISIVITÉ EST MÈRE DE TOUS LES VICES
PROVERBE

M. DC IC. Avec approbation et privilège du Roi.

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À PARIS, Chez PRAULT Père, Quai de Gêvres, au Paradis.
1

PRÉFACE §

J’ai déjà averti le Lecteur, en finissant mon premier tome, que les Proverbes que l’on a joints au second ne font pas de moi. Je crois, qu’ils en auront plus de réussite. On m’a priée d ajouter ici, qu’on ne mettra le mot de chaque Proverbe qu’à la fin de tous pour laisser au Lecteur le plaisir de les deviner

ACTEURS. §

  • MADEMOISELLE D’ALRANE.
  • CATOS, suivante de mademoiselle d’Alrane.
  • COLAS, Paysan.
La scène est dans un château.

SCÈNE PREMIÈRE. Mademoiselle d’Alrane, Catos. §

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Ah ! Ma pauvre Catos, que je m’ennuie ! Qu’il m’est cruel de passer mes plus beaux jours dans un vieux château de campagne, toujours seule, toujours triste, sans autre consolation que celle que tu me donnes ! Messieurs mes parents, vous me ferez faire quelque sottise ! Mais, au moins, ne vous en prenez qu’à vous. Il me prend quelquefois des tentations de me jeter par les fenêtres ; j’en vais ouvrir une, j’aperçois ces grands vilains fossés pleins d’eau bourbeuse ; un reste d’amour pour la vie me fait retourner dans mon fauteuil, et je me remets à pleurer.

CATOS.

2

Ma foi, mademoiselle, vous n’êtes pas seule à pester contre votre destinée ; j’y ai ma bonne part, comme vous savez. C’est une chose qui crie vengeance, qu’une belle et jeune personne comme vous, soit réduite, par la bizarrerie de ses parents, à une solitude d’anachorète, tandis que de petites bourgeoises de Paris sont tous les jours dans des divertissements : mais après tout, il faut prendre patience ; travaillez, Mademoiselle, c’est un exercice à quoi toute campagnarde doit s’employer.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Que je travaille, Catos ! Ne voudrais-tu point que je fisse comme dans les romans, des ouvrages d’or et de soie ? Encore si j’avais un chevalier, je pourrais lui broder des écharpes de mes propres mains, pour lui aider à gagner quelque bataille ; mais je n’en ai point, et c’est le comble à mon ennui.

CATOS.

Oui-dea, oui-dea ; je comprends bien qu’un amant vous consolerait un peu ; on ne s’ennuie guère avec ces gens-là : et si par quelque aventure conduite à la romanesque, il arrivait ici un beau chevalier qui vous demandât le couvert, et qui vous contât merveille de son amour et de ses exploits, vous pourriez ne lui être pas plus cruelle que de raison : et moi qui vous parle, j’y pourrais aussi trouver mon compte ; car ces honnêtes aventuriers ne marchent guère sans des écuyers presque aussi beaux qu’eux. Mais ne nous repaissons point de chimères : il est question de vous désennuyer ; occupez-vous, Mademoiselle ; lisez, au lieu de vous attrister ainsi : vous avez de l’esprit naturel, cela vous l’ornera considérablement.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Ah ! Tais-toi, Catos, tu me fais mourir ! Les livres de dévotion me font bâiller ; les histoires m’attristent, et les romans me feraient devenir folle : ce ne serait peut-être pas un grand mal ; je ne sentirais plus cette fureur qui m’agite : mais je t’avoue que la conversation des morts ne peut me dédommager de ce que je perds par la privation de celle des vivants.

CATOS.

Oh ! Pour cela, vous êtes très vivante : votre ennui même n’a rien de morne ; il ne vous fait dire et penser que des choses vives. Que ferons-nous donc ? Promenez-vous, mademoiselle ; l’agitation du corps réveille l’esprit : vous êtes toujours couchée dans un grand sofa ; les plus belles soirées du monde ne peuvent jamais vous attirer dans les jardins : on y entend des oiseaux , on y voit des fleurs, on y sent l’haleine des zéphyrs, on...

MADEMOISELLE D’ALRANE, l’interrompant.

Ma pauvre Catos ! Tu te jettes dans les descriptions poétiques ! Si j’étais assez sotte pour sortir de ma paresse, je trouverais tout ce bel étalage réduit à voir une mauvaise tulipe, des arbres chargés de chenilles mêlées avec les feuilles, un puits d’où, on tire de l’eau pour arroser les herbes du potager, quelque malotru d’oiseau, qui craint toujours qu’on ne rapproche, et un vent qui me gâterait le teint.

CATOS.

Il faut avouer, Mademoiselle, que vos peintures l’emportent sur les miennes : mais au moins, ne dira-t-on pas de vous, que vous, avez des idées riantes : vous seriez de ces peintres tristes, qui n’imiteraient jamais que les choses affreuses.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Ah, que je suis enragée mon enfant ! Je ne sais à qui m’en prendre ; et tu ne me propose que des occupations auxquelles je n’ai nul goût.

CATOS.

Ouais ! Que trouverions-nous donc bien pour vous tirer d’un état si violent ?

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Ne pourrais-tu point avoir du vin de champagne ? On dit que c’est une merveilleuse ressource contre l’ennui : je n’en ai jamais bu ; mais j’en boirais à l’heure que je te parle autant que le plus déterminé buveur.

CATOS.

Pour de bon vin du pays, je vous en trouverais bien ; mais il faut, s’il vous plaît, vous passer de celui de champagne ; on ne connaît point ces choses-là dans notre village.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Eh ! Cours, Catos, apportes-en dix bouteilles ; fusses-tu déjà revenue.

Catos s’en va, mademoiselle d’Alrane continue.

Catos, que tu es sotte ! Ne connais-tu rien qui pût me désennuyer ? S’il pouvait venir quelque passant !

CATOS.

Peste, quelle éveillée ! Du vin et des passants ! Oh, ma foi, Mademoiselle, je ne vais pas à votre ceinture pour imaginer des consolations !

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Ah ! Les passants n’arrivent pas toutes les fois qu’on les désire ! Va toujours quérir le vin.

Catos s’en va. Mademoiselle Alrane la rappellant.

Catos, que ton esprit est obscur ! Si tu avais été à la place de Prométhée, l’homme n’aurait jamais été fait. Comment appelles-tu ce grand garçon qui joue si bien aux quilles ?

CATOS.

Ha ha ! Colas : il est bien bâti, oui, ce grand gars-là ! Comme je m’ennuie aussi bien que vous, j’ai quelquefois voulu tenter de quoi il était capable : je lui ai proposé de jouer aux quilles avec lui et de me laisser perdre ; mais le dadais n’a jamais voulu mordre.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Il n’importe, Catos, il aura du respect pour la fille de son seigneur : il ríous cueillera des fruits, il nous donnera à boire , il nous servira à mille choses. Catos, va le quérir , améne-le-moi ; mes yeux seront toujours amusés par la figure d’un homme.

SCÈNE II. §

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Voilà à quoi me réduit la cruauté qu’on exerce sur moi ! Voilà ce qu’on gagne à me laisser seule à mon âge, dans un désouvrement capable de rendre folle ! Je vais donc voir Colas ; ce nom n’est pas noble, mais il me faut de d’occupation : je n’ai point dessein de blesser mon innocence ; mais je ne sais à quoi il tient que je n’épouse Colas, pour faire enrager mes parents ! La petite vie que je vais mener avec lui , dont les apparences seront très équivoques, ne les punira pas assez : mais je l’aperçois avec Catos.

SCÈNE III. Mademoiselle d’Alrane, Catos, Colas. §

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Approchez, Colas, approchez ; voulez-vous bien venir demeurer: avec nous dans ce château ? Vous serez mon valet de chambre, vous aiderez à Catos à m’habiller.

COLAS.

Palsangué, Mademoiselle, je ne sais point tout ce trantran-là ; mais je l’aurai bientôt appris, car je le ferai de bon coeur.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Oui, Colas ; voilà qui va bien ; et les quilles que deviendront elles ? On dit que vous y jouez à merveille.

COLAS.

Oh pargué je n’en crains parsonne : je gagne toujours Piarrot, qui est un grand drôle bien découplé aussi bien que moi ; et Piarrot gagne tous les garçons du village : mais qu’importe, je vous rendrai sarvice tout de mon mieux, et je jouerai à quelque autre jeu avec mademoiselle Catos.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Non pas, Colas, s’il vous plaît ; non pas ; je veux que vous me donniez tout votre temps et tous vos soins ; nous jouerons quelquefois ensemble. Mais n’avez-vous point quelque maîtresse ? Car voyez-vous, Colas, je prétends que vous quittiez tout pour moi.

COLAS.

Et mais, la grosse Phlipote vient quelquefois lantarner autour de moi : elle a toujours quelque niche à me faire ; Piarrot en est un tantai jaloux , car il l’aime bien ; mais que...

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Oui, Colas, la grosse Phlipote ? Et est-elle jolie cette lanterneuse ?

COLAS.

C’est une camuson qui a le nez tourné à la friandise : si je l’avais aimée comme alle m’aime, le diable s’y serait peut-être bouté ; mais, Dieu marci, je l’y avons résisté.

MADEMOISELLE D’ALRANE, riant.

Tant mieux, Colas, tant mieux ; il ne faut pas que le diable dispose de vous auprès de Phlipote : mais me trouvez vous plus jolie qu’elle ? Regardez-moi bien.

COLAS, baissant les yeux.

Oh ! Pargué, Mademoiselle, je ne sommes pas digne de vous regarder.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Je veux que vous me répondiez, Colas ; levez les yeux.

CATOS, à Colas.

Et réponds, animal : pourvu que Piarrot me réponde aussi, tout ira bien ; car franchement, je ne suis pas d’humeur moins sociable que ma maîtresse.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Je te promets Pierrot, ma chère Catos, pieds et poings liés, pourvu que Colas me trouve belle.

CATOS.

Oh ! Mademoiselle, je ne demande pas Pierrot lié ; il faut, s’il vous plaît, qu’il ait la liberté de son corps. Parle donc, Colas, au plus vite.

COLAS, riant.

Jarnigué je sis tout honteux ; Mademoiselle est belle comme un petit angelot, mais je n’ouserais quasi la regarder. Je ne serai pas toujours si niais, non, Catos ; quand alle m’aura un peu apprivoisé, alle vara, alle vara.

MADEMOISELLE D’ALRANE.

Comment, Colas est un éveillé ! Voilà comme je le demande : qu’il aille quérir Pierrot, et mettons-nous aussitôt à table ; un peu de vin inspire la liberté. Ah ! Catos ; je commence à me désennuyer ! Je sais bien que cette manière de vivre trouvera des censeurs ; mais que m’importe. 1l faut remonter à la source, et s’en prendre à ceux qui me réduisent à cette extrémité.