SCÈNE PREMIÈRE. Dynamis, Poliante. §
DYNAMIS.
J’ai vu d’un oeil constant et d’un coeur invincible,
Tout ce que la fortune avait de plus horrible,
355 J’ai vu sans me troubler tout mon État troublé,
J’ai vu trembler mon Trôner, et je n’ai pas tremblé.
Ni le Royaume en feu, ni le Royaume en cendre
D’un si noble degré ne m’a point fait descendre
J’ai toujours été Reine, et l’on m’a vu partout
360 Sur les débris d’un Trône et constante et debout.
Enfin lorsque le sort effroyable et funeste,
Faisait voir en tous lieux ma perte manifeste,
Mes plus grands ennemis, qu’il semblait contenter,
Voyaient toujours en moi de quoi me redouter
365 Ils craignaient mon courage, ils craignaient ma constance,
Quand ils ne craignaient plus ma force et ma puissance.
Ce pendant aujourd’hui qu’une profonde paix
Semble de tous ses biens assouvir mes souhaits,
Dans mon âme tremblante il se forme un orage,
370 Où se perd ma constance, où se perd mon courage ;
Et parmi cet effroi mon esprit abattu
Cherche et ne trouve pas sa première vertu.
POLIANTE.
Si mon bras combattant pour votre seule gloire,
A pour vous remporté victoire sur victoire,
375 Si je vous ai fait voir par un coeur enflammé
Que le sang qui m’anime est par vous animé,
Pensez-vous que la paix qui règne en cette terre
Nous ait fait oublier le métier de la Guerre ?
Si d’autres ennemis vous viennent sur les bras,
380 Commandez-moi de vaincre, et ne vous plaignez pas.
Il m’est, il m’est honteux et de voir vos alarmes,
Et de vous ouïr plaindre où reluisent mes armes.
Que n’obtiendrez-vous pas contre un plus grand tourment
Et du bras d’un Monarque, et du coeur d’un Amant ?
DYNAMIS.
385 Tout ; et ce que je crains, c’est que ton grand courage
Ne soit pas assez fort contre un dernier orage ;
Et que ton coeur surpris par de nouveaux combats
Ne puisse supporter un coup qu’il n’attend pas.
POLIANTE.
Je mourrais mille fois avec un oeil tranquille,
390 Si mille fois ma mort pouvait vous être utile.
Me croiriez-vous, Madame, et fort et généreux,
Si je n’avais aimé que pour me rendre heureux ?
Croiriez-vous mon amour et grande et véritable,
Si je puis aimer pour être misérable ?
395 Oui, l’Amour qui me dompte et qu’on ne peut dompter,
Estime les malheurs qui le font éclater ;
Et comme la Vertu l’Amour est incertaine,
Sans l’épreuve qu’en fait le péril et la peine.
Donnez, donnez ce coup.
DYNAMIS.
Donnez, donnez ce coup. C’est, c’est, sans te flatter,
400 Le dirai-je ?
POLIANTE.
Le dirai-je ? Achevez.
DYNAMIS.
Le dirai-je ? Achevez. C’est qu’il faut me quitter.
DYNAMIS.
Ô Dieux ! Ne te plains pas, et si je t’abandonne
Je ressens mieux que toi le coup que je te donne.
DYNAMIS.
Vous quitter ! Il le faut.
POLIANTE.
Vous quitter ! Il le faut. Et vous m’avez aimé !
DYNAMIS.
Il le faut, et je t’aime.
POLIANTE.
Il le faut, et je t’aime. Ô mot qui m’as charmé !
405 Ô mot que j’aurais seul acheté d’un Empire !
Mais il faut obéir, ma Reine le désire.
Ainsi sans murmurer contre vos volontés,
Je quitterai ma gloire et mes félicités :
Je fuirai de vos yeux, si c’est là votre envie,
410 Et si ce n’est assez je fuirai de la vie.
Heureux de faire voir qu’un Monarque amoureux
Sait pour vous obéir se rendre malheureux.
Madame, dès demain.
DYNAMIS.
Madame, dès demain. C’est bientôt se résoudre.
POLIANTE.
Si je devais périr par les flammes du foudre,
415 J’irais d’un pas superbe au-devant de ses feux,
Plutôt que de languir et de faire des voeux ;
Et si je ne pouvais éviter mon naufrage,
Mon naufrage du moins ferait voir mon courage.
DYNAMIS.
C’est bientôt se résoudre à cette dure loi ;
420 Un coeur n’est pas si fort, quand l’Amour est son Roi ;
Et l’Amour n’est pas grand et n’est jamais extrême,
Quand on demeure encore absolu sur soi-même.
J’ai consulté longtemps pour vous dire, partez,
Et sans même hésiter vos voeux y sont portés.
425 Si cette Amour est grande, ô qu’en cette aventure,
Ô qu’aujourd’hui l’Amour a changé de nature !
Mais pour tant de périls de soins et de travaux,
Par qui votre courage a surmonté nos maux,
Pourquoi, Prince, pourquoi voudrais-je que votre âme
430 Ne remportât chez vous que douleur et que flamme ?
Quoi, pour l’illustre prix de cette liberté
Que votre bras rendit à mon autorité,
Voudrais-je qu’un Monarque et si grand et si brave,
S’en retournât lié, s’en retournât esclave ?
435 C’est comme trop vouloir, avoir trop poursuivi,
De demander le coeur quand le bras a servi.
Remportez de ces lieux un coeur rempli de gloire,
Et capable à jamais de la seule victoire.
Si pour me consoler de votre éloignement,
440 Si pour me soulager d’un si fâcheux tourment,
Il ne m’est pas permis de me dire en moi-même,
Au moins si nous aimons, on nous aime, on nous aime ;
Enfin j’adoucirai des maux si rigoureux,
En me disant au moins ce que j’aime est heureux.
POLIANTE.
445 Ha ne me faites point par cet oeil en colère
Le reproche cruel que je pourrais vous faire.
Lequel brûle aujourd’hui d’un feu plus véhément
Ou celle dont la voix a banni son Amant ?
Ou l’Amant qui fait voir par son obéissance,
450 Qu’il veut vivre et mourir sous la même puissance ?
Oui, je vous ai fait voir un rayon apparent
D’un esprit peu sensible et presque indifférent ;
Mais j’ai cru vous laisser par cette indifférence
D’un amour véritable une ferme assurance.
455 Ainsi par votre amour ayant bien pu juger
Que mon éloignement vous devait affliger,
J’ai feint d’être insensible aux douleurs de ma Reine,
Pour vous donner sujet de me quitter sans peine,
Et pour emporter seul parmi tant de rigueurs
460 Et l’ardeur de deux feux, et le mal de deux coeurs.
Mais devant tant d’attraits cette feinte s’efface,
Et n’est contre un grand feu qu’un obstacle de glace.
Je le vois, je le sens, je l’éprouve à mon tour,
Qu’on ne peut longtemps feindre avec beaucoup d’amour,
465 Et que si cette feinte offense ce qu’on aime,
Celui qui la produit, en est blessé lui-même.
Mais pardonnez, Madame, à mon ressentiment,
Mon Amour est trop fort pour marcher règlement,
Il quitte la raison qui lui servait de phare,
470 Il se conduit lui-même, et sans doute il s’égare,
Il s’emporte, il m’emporte, et demande pourquoi
Une Reine refuse et veut bannir un Roi ?
Est-ce que vous craignez, ô chère, ô grande Reine,
De perdre avecque moi le nom de Souveraine ?
475 Mais ne serez-vous pas plus Reine que jamais
Si l’on voit un Monarque au rang de vos sujets ?
Est-ce, vous le dirai-je, et puis-je vous le dire
Sans montrer les transports que la fureur inspire ?
Est-ce que vous croyez contenter vos États,
480 En nous abandonnant aux passions d’Arcas ?
DYNAMIS.
Est-ce que vous voulez vous acquérir ma haine
Par une opinion si honteuse et si vaine ?
Est-ce pour obliger mon esprit furieux
À vous voir sans douleur éloigner de mes yeux ?
485 C’est le plus grand effort du feu qui me dévore,
D’entendre ce reproche et de brûler encore.
POLIANTE.
Hélas dans ce transport trop indigne du jour,
La fureur a parlé, mais non pas mon Amour ;
Et quand même l’Amour aurait commis ce crime,
490 Ne mérite-t-il pas un pardon légitime ;
Puisque malgré le Ciel qui me gêne à mon tour,
Les crimes de l’Amour sont des marques d’Amour ?
Faites, faites-moi voir la raison véritable
Qui bannit de vos yeux un Prince misérable :
495 Si votre gloire veut que je quitte les Cieux ;
C’est-à-dire l’Empire où reluisent vos yeux,
J’ai le coeur assez fort pour me bannir moi-même,
Pour aimer sans espoir, pour quitter ce que j’aime ;
Et quand par cet exil on voudrait m’outrager,
500 J’ai même assez d’Amour pour ne me pas venger.
DYNAMIS.
Sache que tes vertus à mon âme si chères,
T’ont fait dans cet État de secrets adversaires,
Et que leur cruauté dont je crains les effets,
Prépare contre toi son poison et ses traits.
505 Ainsi pour éviter une autre violence,
Résous-toi maintenant aux douleurs d’une absence,
Tant que pour te venger le destin m’ait permis
De voir et de punir nos secrets ennemis.
Je les veux découvrir ces pestes de l’Empire.
510 Mais que voudrait Proclée, et que veut-elle dire ?
SCÈNE II. Proclée, Dynamis, Poliante. §
PROCLÉE.
Ha, Madame, il est temps de redouter Arcas ;
Pour venir jusqu’à vous il n’a qu’à faire un pas.
DYNAMIS.
Comment ! Que dites-vous ?
PROCLÉE.
Comment ! Que dites-vous ? Tout est rempli d’alarmes,
Il approche d’ici, mais il approche en armes.
DYNAMIS.
515 Un bruit faux et trompeur fait ton étonnement,
Il est sans apparence, il est sans fondement.
Verrait-on approcher des troupes de rebelles,
Sans que la renommée en eût dit des nouvelles ?
POLIANTE.
On peut secrètement par quelques conjurés
520 À quelque rendez-vous les avoir attirés.
PROCLÉE.
C’est ce qu’on dit, madame, et l’on dit davantage,
Mais le dirai-je ici sans vous faire un outrage ;
La crainte et le respect semblent m’en empêcher,
Mais où le mal est grand il ne faut rien cacher.
525 On dit qu’Arcas approche, et que l’Amour l’amène
Les armes à la main par l’aveu de la Reine,
Afin que les efforts de ce Prince insensé
Excusent votre hymen qui paraîtra forcé.
DYNAMIS.
Ô de tous mes malheurs le plus épouvantable !
530 Que peut-on ajouter à ce coup effroyable ?
DYNAMIS.
On dit... Que dirait-on de plus grand ou d’égal ?
PROCLÉE.
On achève l’injure, on confirme le mal.
On dit que sous couleur que la paix renaissante
Rendait de votre État la face plus riante,
535 Vous avez renvoyé le glorieux secours
Par qui ce Roi puissant rend le calme à nos jours ;
Mais que c’est en effet par un dessein contraire,
Pour ôter à l’État un appui nécessaire,
Pour rendre Arcas plus fort et plus autorisé,
540 Et lui tracer au Trône un chemin plus aisé.
DYNAMIS.
Qu’ai-je fait, justes Dieux, et par quelle apparence
Ai-je mis dans les coeurs cette indigne croyance ?
POLIANTE.
Ne vous affligez point de ces bruits différents,
Vous avez surmontés des ennemis plus grands.
DYNAMIS.
545 Non, non, je ne vois rien qui soit plus redoutable,
L’opinion publique est un monstre indomptable ;
Les Rois peuvent beaucoup avec leurs légions,
Mais ils ne peuvent rien sur les opinions,
Et ne triomphent point de ces monstres infâmes
550 Que les bruits faux ou vrais font naître dans les âmes.
POLIANTE.
Vos vertus les vaincront ces bruits injurieux,
Et j’ai pour vous encor un bras victorieux.
DYNAMIS.
Seigneur, reposez-vous, et laissez-moi la gloire
De remporter au moins cette seule victoire.
555 Ici pour étouffer des bruits trop inhumains,
Il faut, il faut agir avec mes seules mains ;
Il faut avec ce bras ou juste ou tyrannique,
Démentir hautement l’opinion publique.
SCÈNE IV. Dynamis, Trasile, Poliante, Proxène. §
TRASILE.
Mon Frère. Quoi ? Madame.
DYNAMIS.
Mon Frère. Quoi ? Madame. Avance-t-il Arcas ?
Et pour nous enlever marche-t-il sur vos pas ?
TRASILE.
565 Il faut auparavant que ses mains inhumaines
Aient versé tout le sang que vous gardent mes veines.
Non, non, la passion qui vous le rend suspect,
N’a pas entièrement étouffé son respect.
Il paraît seulement pour vous mettre en mémoire,
570 Combien à son Amour vous promîtes de gloire ;
Et qu’il n’espère rien qu’un peu d’affection
N’ait permis d’espérer à son ambition.
DYNAMIS.
Qu’un peu d’affection...
TRASILE.
Qu’un peu d’affection... C’est ce qu’il faut entendre.
DYNAMIS.
Qu’un peu d’affection ne lui fasse prétendre.
575 Le traître éprouvera par sa punition
Ce qu’il peut espérer de cette affection.
Le traître éprouvera que l’Amour ne l’amène
Que pour le voir bientôt immoler à ma haine.
TRASILE.
Arcas n’est pas si fort qu’il puisse faire peur ;
580 Mais il faut s’opposer contre un autre malheur.
Seigneur, il vous regarde. Il est venu nouvelle
Que votre État en feu se trouble et se rebelle.
POLIANTE.
Ô Dieux ! Que dites-vous ?
DYNAMIS.
Ô Dieux ! Que dites-vous ? J’annonce malgré moi
Le plus grand des malheurs que doive craindre un Roi.
POLIANTE.
585 Ce mal n’est pas si grand qu’un faux bruit le veut rendre,
J’en sais déjà la source et le cours qu’il doit prendre.
DYNAMIS.
Quoi, Seigneur ?
POLIANTE.
Quoi, Seigneur ? Oui, je sais par des avis certains
Qu’un tas de mécontents ont fait quelques desseins.
DYNAMIS.
Allez sans différer avec votre présence
590 À la rébellion imposer le silence.
Hâtez-vous, armez-vous de foudres éclatants,
La révolte est un feu qui croit en peu de temps,
Mais quelques grands malheurs que l’on en puisse craindre,
La présence des Rois sait aisément l’éteindre.
595 Vous savez ce que peut votre bras glorieux,
Allez donc éprouver ce que peuvent vos yeux.
POLIANTE.
J’ai prévu dès longtemps ce désordre funeste,
Et le remède est prêt qui vaincra cette peste.
TRASILE.
Seigneur, votre présence est le meilleur secours
600 Qui d’un mal si soudain puisse arrêter le cours.
Ceux en qui vous avez le plus de confiance,
Peut-être à ce tumulte ont donné la naissance.
Que ne peut-on pas craindre en une occasion
Où la facilité tente l’ambition.
605 Un État sans Monarque est un vaisseau qui flotte
À la merci des vents sans guide et sans Pilote,
Tout le monde y commande, et l’absence d’un Roi
Y fait toujours régner le désordre et l’effroi.
Comment aux bons sujets vous rendrez-vous aimable,
610 Comment aux révoltés serez-vous redoutable,
Si vous laissez trembler un Trône juste et saint ?
Et par qui l’on vous aime, et par qui l’on vous craint ?
Mais enfin croiriez-vous qu’une Reine si grande
N’eût pas les sentiments que l’honneur lui demande ?
615 Qu’elle voulût pour soi retenir votre bras
Lorsque vous le devez au bien de vos États ?
DYNAMIS.
Non, non, à votre bien ma fortune sensible
Ne veut point d’un secours qui vous serait nuisible,
Je fuirais de la gloire où je prétends monter,
620 Si par votre infortune il fallait l’acheter.
Allez, allez pour vous obtenir la victoire,
Votre gloire consiste à sauver votre gloire,
Et le plus beau travail des Monarques parfaits
C’est d’établir chez eux le repos et la paix.
POLIANTE.
625 Quand j’aurai fait pour vous, ô Princesse adorable,
Tout ce que je dois faire en amant véritable,
Alors déjà vainqueur j’entreprendrai pour moi
Tout ce que je dois faire en véritable Roi.
On saura que pour vaincre, et calmer cet orage
630 Je suis Roi par la force, amant par le courage,
Et qu’on porte bien loin la victoire et l’effroi
Quand le coeur d’un amant pousse le bras d’un Roi ?
Je n’ai rien fait pour vous qui m’ait pu satisfaire
Puisqu’à votre grandeur je laisse un adversaire,
635 Et la gloire où j’aspire, et que je veux gagner
Ce n’est pas de régner, c’est de vous voir régner.
Si je vous laisse en paix, à la main le tonnerre,
Je trouverai la paix au milieu de la guerre.
Enfin en étouffant vos rebelles domptés,
640 Je commence à dompter mes peuples révoltés.
Enfin en vous aidant à vaincre vos rebelles,
Je gagne et du pouvoir, et des forces nouvelles,
Car le plus grand secours d’un Prince glorieux
Est d’avoir bien souvent été victorieux.
645 Ainsi lorsque vos jours seront devenus calmes,
Et que je prendrai part à l’honneur de vos palmes,
Alors mes révoltés sans coeur et sans espoir
Craindront votre secours autant que mon pouvoir,
Et cette juste crainte et leur propre impuissance
650 Remettront le devoir où régnait l’insolence.
DYNAMIS.
Ce remède est douteux, suivez le plus certain,
Allez, et paraissez les armes à la main.
De quelque grand remords qu’une âme soit atteinte
L’aspect du châtiment est plus fort que la crainte ;
655 Et jamais criminel ne se repentit mieux,
Que quand il voit le fer éclater à ses yeux.
Enfin à quelque but que vous puissiez prétendre,
Ne me disputez pas l’honneur de me défendre.
Si l’Amour vous abaisse au rang de mes sujets,
660 Rendez obéissance aux ordres que je fais.
POLIANTE.
Oui, j’ai toujours fait gloire, ô Reine incomparable,
D’être de vos sujets le plus inébranlable ;
Mais je fais gloire aussi dans un mal si pressant
D’être pour vous servir le moins obéissant.
DYNAMIS.
665 Est-ce paraître Roi, qui veut se faire craindre,
De voir son Trône en flamme et de ne pas l’éteindre !
Est-ce paraître Roi digne de son bonheur,
Que d’écouter l’Amour plutôt que son honneur.
Ainsi puisque l’Amour nous met tous deux en peine
670 Je le chasse avec vous, et je veux votre haine.
POLIANTE.
Ainsi je ferai voir un Amour plus parfait,
Lorsque je combattrai pour un coeur qui me hait.
DYNAMIS.
Songez, songez au moins qu’il n’est rien sur la terre
Qui soit plus incertain que le sort de la guerre.
675 Si le traître triomphe et de vous et de moi,
S’il est votre vainqueur, sera-t-il pas mon Roi ?
Et si pour me sauver de sa fureur extrême,
Il faut qu’en un cercueil je me jette moi-même,
Voulez-vous que mon sang que mes mains verseront
680 Vous accuse du coup que vos yeux pleureront.
POLIANTE.
C’est faire au bon parti de trop grandes injures,
Que de vous figurer ces tristes aventures.
On ne perd point sa cause et ses noms glorieux,
Quand on a le bon droit, et pour Juges les Dieux.
DYNAMIS.
685 Enfin vous me forcez d’achever un ouvrage
Qu’un glorieux mépris inspire à mon courage,
Qui me met à couvert des poursuites d’Arcas,
Qui vous ouvre un chemin pour revoir vos États,
Qui tarit des faux bruits la source envenimée,
690 Et du mal que je crains sauve ma renommée.
J’ai longtemps éprouvé que le Trône a des maux
À qui ses plus grands biens ne sont jamais égaux,
Et que c’est se tromper de chercher des délices
Dans un vaisseau flottant parmi des précipices.
695 Ainsi j’ai résolu de me donner la paix
Que les plus puissants Rois ne possèdent jamais,
Et pour me la donner telle qu’elle doit être,
Je sortirai d’un trône où le sort est mon maître.
Ainsi quand j’aurai mis en de plus fortes mains
700 Et la Grandeur Royale et les droits souverains,
Arcas qui veut mon Sceptre et non pas ma personne,
Ne me poursuivra plus si je suis sans Couronne ;
Et par cette retraite où je vois mon bonheur,
J’étoufferai les bruits qui blessent mon honneur.
705 Ce n’est point trop donner en pareille victoire,
De donner sa Grandeur pour conserver sa gloire.
Au moins quand le pouvoir ne sera plus à moi,
Je n’occuperai plus les forces d’un grand Roi.
Alors vous emploierez votre illustre courage
710 À dissiper chez vous et le trouble et l’orage ;
Alors à mon repos j’ajouterai ce bien,
De sauver votre Sceptre en méprisant le mien.
POLIANTE.
C’est donc pour me chasser que vous...
DYNAMIS.
C’est donc pour me chasser que vous... C’est pour contraindre
La fortune à gémir, elle qui me fit plaindre.
715 Hé quoi ! Si vous m’aimez trouverez-vous mauvais
Qu’après tant de travaux je me donne la paix ?
Enfin de la Grandeur je veux quitter les marques,
Et vous mettre, mon frère, au nombre des Monarques.
TRASILE.
Moi ! Madame, non, non, je suis trop satisfait
720 Du titre glorieux de fidèle sujet.
DYNAMIS.
Un Prince bon sujet donne une belle marque
Que s’il avait un Trône il serait bon Monarque.
TRASILE.
Ha ! Madame, le Sceptre est bien entre vos mains.
DYNAMIS.
Craignez-vous de paraître au rang des Souverains ?
725 Craignez-vous les soucis que la Couronne excite ?
La craignez-vous enfin parce que je la quitte ?
Non, non, en acceptant mon pouvoir et mes droits
Obéis aujourd’hui pour la dernière fois ;
Que ce commandement que je te fais sans peine,
730 Soit enfin le dernier que nous ferons en Reine.
TRASILE.
Puisque vous le voulez je prendrai ce fardeau,
Que je trouve déjà plus pesant qu’il n’est beau.
Nous recevrons un Trône afin de le défendre,
Et nous le défendrons afin de vous le rendre.
735 Oui, je vous le proteste en présence des Dieux,
Qu’aujourd’hui je n’accepte un Trône glorieux
Qu’afin de vous le rendre en frère incomparable,
Par la perte d’Arcas plus puissant et plus stable.
POLIANTE.
Ô frère généreux et digne de sa soeur !
740 Lequel, ô justes Dieux, fait voir un plus grand coeur,
Lequel est plus Illustre, ou bien celle qui donne,
Ou bien celui qui rend le Sceptre et la Couronne ?
Ce sont là des vertus que n’inspirent les Cieux
Qu’à ceux qu’ils veulent mettre au nombre de leurs Dieux.
745 Mais que sans y penser je tire d’avantage
Et de votre action et de votre courage.
Au moins je ferai voir qu’un Sceptre fortuné
N’a point produit l’amour que vos yeux m’ont donné.
Vous quittez vos Grandeurs et votre Diadème,
750 Vous quittez un Empire, et pourtant je vous aime.
Au lieu que mon Amour, dont le vôtre est le bien,
Souhaite votre Trône, il vous donne le mien.
Et si quelque ennemi veut murmurer encore
Contre la pureté du feu qui me dévore,
755 Le Trône après mes voeux fera voir à son tour
Que l’Amour qui le donne est le parfait amour.
Recevez donc ici le coeur et la Couronne
Que d’une même main l’Amour même vous donne.
Souffrez qu’un Roi qui suit la gloire et ses appas,
760 Imite votre exemple, et marche sur vos pas ;
Et pour une alliance et plus noble et plus chère
Que j’offre ici ma soeur à votre illustre frère.
PROXÈNE.
Sa soeur ! Qu’entends-je ?
DYNAMIS.
Sa soeur ! Qu’entends-je ? J’accepte et je reçois
Ce glorieux présent que me fait un grand Roi.
765 Mais puisque par un don si grand et si sublime
Aujourd’hui votre Sceptre est mon bien légitime,
Allez d’un pas léger et d’un bras fortuné
Défendre ce grand bien que vous m’avez donné.
Je n’ai plus rien ici qu’Arcas puisse prétendre,
770 Votre Trône est mon Trône, allez donc le défendre.
POLIANTE.
Où me réduisez-vous ?
PROXÈNE.
Où me réduisez-vous ? Elle sort, il la suit.
TRASILE.
Puis-je de mes desseins espérer plus de fruit ?
PROXÈNE.
Il passe sans me voir, et son âme inconstante
Semble déjà goûter l’offre de Poliante.
775 Prends garde, Ambitieux, qu’un Amour irrité
Ne fasse un précipice à ta prospérité.