M. DCC. XXIX. AVEC APPROBATION ET PRIVILÈGE DU ROI.
Par L. P. F. J.
PRIVILÈGE DU ROI. §
LOUIS PAR LA GRÂCE DE DIEU, ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE, à nos Amez et féaux Conseillers les Gens tenants nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs Sénéchaux ; leurs Lieutenants Civils et autres nos Justiciers qu’il appartiendra. SALUT ; Notre bien amé le P. F. J. Nous ayant fait remontrer qu’il souhaiterait faire imprimer et donner au public un livre qui a pour titre, Thémistocle Tragédie, par ledit P. F. s’il Nous plaisait lui accorder nos Lettres de Privilèges sur ce nécessaires, offrant, pour cet effet de le faire imprimer en bon papier et beaux caractères, suivant la feuille imprimée et attachée pour modèle sous le contre-scel des présentes. À ces causes, voulant favorablement traiter ledit Exposant, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes de faire imprimer ledit Livre ci-dessus spécifié ; en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, sur papier et caractères conformes à ladite feuille imprimée et attachée fous notre dit contre-scel, et de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre royaume, pendant le temps de six années consécutives, à compter du jour de la datte desdites présentes ; Faisons défenses à toutes fortes de personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangère dans aucun lieu de nôtre obéissance, comme aussi à tous libraires, imprimeurs et autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire ledit livre ci-dessus exposé, en tout ni en partie, ni d’en faire aucuns extraits sous quelque prétexte que ce soit, d’augmentation ou correction, changement de titre ou autrement, sans la permission expresse et par écrit dudit exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de quinze cents livres d’amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, l’autre tiers audit exposant, et de tous dépens dommages et intérêts ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impression de ce livre fera faite dans notre royaume et non ailleurs ; et que l’impétrant se conformera en tout aux règlements de la Librairie, et notamment à celui du 18. Avril 1725. Et qu’avant que de l’exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l’impression dudit livre sera remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, es mains de notre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin, et qu’il en sera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans notre Château du Louvre, et un dans celle de notre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l’exposant ou ses ayants cause pleinement et paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchements ; Voulons que la copie desdites présentes qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, soit tenu pour dûment signifiée, et qu’aux copies collationnées par l’un de nos amés et féaux conseillers et secrétaires, foi soit ajoutée comme à l’original ; commandons au premier notre huissier ou sergent de faire pour l’exécution d’icelles tous actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant Clameur de Haro, Charte Normande, et lettres à ce contraires ; Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le vingt-quatrième jour du mois de Mars, l’an de grâce 1719 et de notre règne la quatorzième. Par le Roi en son Conseil.
SAMSON.
Registre sur le Registre VII de la Chambre Royale et Syndicale de la Librairie et Imprimerie de Faris No. 331. fol. 2,78. conformément au règlement de 1723. qui fait défenses Art. IV. à toutes personnes de quelque qualité qu’elles soient autres que les imprimeurs et libraires, de vendre, débiter et faire afficher, aucuns livres pour les vendre en leurs noms, soit qu’ils s’en disent les auteurs ou autrement, et à la charge de fournir les exemplaires prescrits par l’Article CVIII. du même Règlement ;
À Paris le 1 Avril 1729.
J. B. COIGNARD, Syndic.
APPROBATION. §
J’ai lu par l’ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, la Tragédie de Thémistole , dont je crois que le Public verra l’impression avec plaisir. À Paris, le 16. Février 1725.
[1] Miltiade le jeune, fils du grand Miltiade.
[2] Xerxes
[3] Thémistocle
LETTRE DE L’AUTEUR §
À MONSIEUR DU LIEU, Chevalier d’honneur de la Cour des Monnaies et Présidial de Lyon.
Vous souhaitez, MONSIEUR, que je vous rende raison de mon ouvrage : et que je réponde aux critiques bien ou mal fondées, qu’on m’a faites. Vous voulez voir si vos raisons seront les miennes. Sûrement, si les miennes sont vraies, elles se rencontreront avec les vôtres. Je connais la solidité de votre esprit, et la justesse de vôtre goût. Peu de personnes entendent mieux le Théâtre. Si la connaissance des règles vous est peut-être un peu moins familière, qu’à ceux du métier, vous avez le discernement de ce qui convient ou ne convient pas si prompt et si sûr, que vos décisions par sentiment valent mieux souvent que les réflexions les plus mesurées. Je l’ai éprouvé cent et cent fois, lorsque je vous ai consulté dans les progrès de mon travail ; et j’ai vu par expérience, qu’Aristote ne me guidait pas toujours aussi seulement par ses principes et par ses raisonnements, que vous, tantôt par vos répugnances, et tantôt par les salies d’une subite satisfaction. Je n’aimais rien tant, que de surprendre vos premiers mouvements : j’étais sûr que c’étaient ceux de le nature la plus heureuse ; et soit dit à la honte non de la raison, mais du raisonnement, je ne sais s’il y a de meilleure règle du Vrai et du Beau. Pardonnez-moi ce court témoignage, que l’estime et la reconnaissance m’arrachent malgré vous.
Je dirai peu de chose sur l’événement, qui sert de fond à cette Tragédie : c’est un trait de l’histoire Grecque , trop célèbre pour être ignoré par aucun de mes Lecteurs. Je m’expliquerai seulement, et sur l’occasion qui m’a déterminé à le traiter, et sur la manière dont je l’ai traité. L’un et l’autre pourront fournir quelques réflexions, qui peut-être ne seront pas tout-à-fait inutiles : seule raison, à mon avis, qui peut justifier les préfaces ; car la lettre, que je vous écris, en aura tout l’air.
I. Le sujet de Thémistocle, quoi qu’extrêmement riche pour le fond du tableau, m’avait toujours rebuté par un endroit fâcheux, qui seul dégradait sur la scène la majesté de cet événement : c’était le repentir du héros. Thémistocle, disent presque tous les historiens, retiré à Suze avait promis solennellement à Xerxés , qu’il prendrait les armes contre la Grèce sa patrie, et qu’il irait, à la tête des Perses, venger leurs affronts et les siens. Mais bientôt honteux et au désespoir d’une démarche si indigne de sa gloire, il s’en punit en se donnant la mort. Cette alternative de vice et de vertu, de lâcheté et de courage, quoiqu’elle ne soit que trop dans la nature, était pourtant peu convenable à la gravité du Théâtre ; qui veut les hommes, non pas tels servilement qu’ils sont en effet soit pour le bien soit pour le mal, mais comme ils doivent être imaginés dans un point de vue aussi élevé, que l’est de sa nature la scène tragique. Ce n’est pas que le repentir ne puisse réussir quelquefois ; mais quand on veut l’y mettre , il faut que la faute, surtout si elle est d’un certain caractère, soit antérieure à la représentation, et non du corps de la représentation même. Un héros peut y porter les regrets d’une faute, qu’il a faite précédemment : mais il n’y doit pas faire la faute, dont il va un moment après se repentir. Ce changement, quoique louable d’un côté, car il est toujours beau de se reconnaître, indispose pourtant contre le héros. Son passage sur la scène du bien au mal par sa chute, et du mal au bien par son repentir, fait dans l’esprit des spectateurs succéder l’horreur à l’estime, ce qui est tragique : et le mépris à l’horreur, ce qui ne l’est plus. Le scélérat qui se soutient est plus supportable encore, parce qu’il a la gravité, que la scène exige. Phèdre apporte sur la scène l’amour criminel qu’elle a conçu pour Hippolite, elle ne l’y prend pas ; et ensuite même, quand elle en a connu toute l’horreur, elle en témoigne bien plus de honte que de repentir, et de désespoir que de regret. Sa confusion ne tourne point au profit de ses moeurs. Elle veut obstinément le crime, qu’elle rougit de vouloir. Cela est dans le grand goût du Dramatique : et ce sage ménagement n’est pas une des moindres preuves du jugement sûr et exquis de Mr Racine. Cet exemple appuie fort ma réflexion, qui, toute nouvelle qu’elle est, n’en est pas moins vraie. Toutes les vérités ne sont pas dites : nous tenons les principes ; mais les conséquences particulières, ou les vérités de détail, sont infinies.
Or, pour revenir au repentir de Thémistocle, je l’approuvais dans l’histoire, et je le craignais sur la scène. Le héros n’avait, par ce changement, ni toute la vertu d’un citoyen, qui sacrifie ses ressentiments à son devoir ; ni tout l’emportement d’un ennemi, qui sacrifie son devoir à ses ressentiments. L’un aurait jeté sur la Scène un grand intérêt à l’Admiration : et l’autre un aussi grand intérêt de Terreur. Mais Thémistocle, par son repentir, étouffait l’un et l’autre : il n’était plus ni admirable, ni terrible, ni constamment vertueux , ni opiniâtrement irrité ; et par ce seul endroit il n’était plus digne de la Tragédie. Qu’on lise le Thémistocle de Mr Du Ryer. C’est une pièce fort médiocre, quoi qu’elle ait visiblement servi de plan à l’Alcibiade : mais son défaut dominant, c’est le repentir de Thémistocle. Ce héros commet sur le théâtre le crime de perfidie, et il s’en repent sur le théâtre. Il dément, aux yeux même des spectateurs, sa vertu et sa gloire, jusqu’à jurer la perte des Grecs : il dément sa promesse, jusqu’à se repentir d’avoir promis : coupable et repentant sans dignité, quel spectacle !
J’en étais à ces réflexions, et je n’osais aller plus avant, quand il me vint en pensée de revoir ce que Valére Maxime disait de Thémistocle. Quoique cet écrivain soit souvent un peu déclamateur, néanmoins il a ramassé les faits principaux sur de bons mémoires, et il pense quelque fois avec force. Je lus deux ou trois fois ces belles paroles, THEMISTOCLES, quem virtus sua victorem, injuria Patriae imperatorem persarum fecerat, ut se ab ea oppugnanda abstineret, ìnstituto sacrificio, exceptum paterâ tauri samguinem hausìt, et ante ipsam aram, quasi quaedam pietatis clara victima, concidit. Quo quidem tam memorabili ejus excessu, NE GRAECIAE ALTERO THEMISTOCLE OPUS ESSET, effectum est. Cette dernière pensée m’arrêta toujours, j’y entrevoyais quelque chose de particulier : et quoique la phrase en soit très nette, grammaticalement prise, elle était fort obscure quant au fait historique qu’elle suppose. Je ne pouvais y démêler la raison pourquoi, par la mort de Thémistocle, un second Thémistocle n’était plus nécessaire à la Grèce pour la défendre contre Xerxés. Ce Roi ne pouvait-il pas encore y porter ses armes ? Il n’avait plus de Thémistocle pour général, il est vrai ; mais aussi il n’en aurait point eu pour adversaire. On juge bien que les Commentateurs ne m’auraient pas tiré d’affaire ; il y avait là une véritable difficulté. Enfin, j’en découvris le vrai sens à la faveur d’une tradition particulière sur la mort de Thémistocle, que le seul Diodore de Sicile nous a conservée, et par laquelle on voit clairement, ce que Valére Maxime supprime. La raison que Diodore en apporte est dans le livre XI. N°. 12. Je ne la mettrai point ici, elle instruirait trop le Lecteur, et lui déroberait d’avance la douce inquiétude de la suspension, et le plaisir de la surprise. Cette rencontre fit cesser toutes mes répugnances pour un sujet, qui n’avait que ce défaut : Et ce qu’on appelle le repentir de Thémistocle se trouvant n’être plus qu’une heureuse adresse que l’amour de la patrie, la vertu la plus sublime et le génie de la nation avaient inspiré au héros grec, je me livrai à tout l’avantage de mon sujet, que n’altérait plus la faiblesse de la catastrophe. Car pour conclure cet article par une réflexion où je veux venir, parce qu’elle le rend utile : il ne faut jamais s’embarquer à traiter un sujet, qui a un défaut essentiel. Toutes les ressources de l’art et du génie n’y seront jamais employées qu’à pure perte. Que d’efforts inutiles n’ont pas faits et Corneille pour sa Théodore , et Racine pour sa Bérénice, l’un pour couvrir la honte de son sujet, et l’autre pour en relever la petitesse ?
II. Cependant, malgré la précaution que j’ai prise, il semblera peut-être rester encore une occasion à un doute désavantageux à la vertu de Thémistocle : doute que sa réponse artificieuse fait naître dans les esprits. Il semble s’engager à la ruine de sa patrie, et s’y engager par une proposition équivoque. L’un fait tort à sa gloire, et l’autre à sa probité. Mais en examinant de près, ce prétendu doute et le double sens de la proposition qui le cause, je m’aperçus aisément que l’un et l’autre, loin d’affaiblir le dénouement, lui prêtaient une nouvelle force, parce qu’ils n’étaient rien moins en effet, que ce qu’ils paraissaient être. Car, pour commencer par l’ambiguïté de la réponse, cette ambiguïté n’est qu’un innocent artifice, dont l’obscurité ressemble bien plus au double sens des Oracles qui impose un pieux respect, qu’à une véritable équivoque qui révolte la probité. De plus cette ambiguïté est ici parfaitement dans le génie des Grecs, et elle caractérise la vertu de cette nation spirituelle, en la distinguant de la franchise romaine. Régulus, par exemple, aurait refusé nettement ; mais par sa réponse précise il n’aurait sauvé que sa vertu, sans sauver sa patrie. Aurait-il mieux fait ? Un Héros Grec, avec le même degré de vertu et de courage, a plus d’esprit et de cette adresse compatible avec la probité. La vertueuse Andromaque, dans la Tragédie de ce nom, use d’un déguisement pareil : et il lui sied bien, parce qu’il est dans le génie de son pays, même pour les femmes. Mr. Racine ne l’aurait pas mis dans la bouche d’une Emilie : il connaissait trop bien ces différences de la vertu dans les deux nations.
Quant au doute sur la vertu de Thémistocle, il s’en faut beaucoup, que ce ne soit un véritable doute : ce n’est qu’une simple, mais vive inquiétude, qui vient de la curiosité fortement excitée, et qui n’affirme rien contre l’honneur du héros : ce qui est le degré le plus haut peut-être, où puisse monter la suspension théâtrale. Car alors le spectacle s’empare de l’âme toute entière, et la livre en proie à mille émotions différentes. Dans cet état, elle n’ose soupçonner un héros, qu’elle admire : et pourtant elle est en peine pour sa vertu. L’âme revient sur le passé, elle examine la situation présente, elle court au devant de ce qui doit arriver : elle brûle de savoir, et n’ose douter. Tour à tour elle vole et revole rapidement du premier acte au dernier : c’est un flux et reflux de pensées et de sentiments opposés. Voilà ce que c’est que ce prétendu doute, quand on veut l’analyser. Ce qui m’a fait faire une réflexion propre à rendre plus retenus, s’il était possible, ces critiques plus décisifs qu’éclairés, c’est, qu’à parler en général, les grandes beautés sont d’ordinaire très voisines et comme à côté des grands défauts : alors l’ombre de de ceux-ci tombant, pour ainsi dire, sur celles-là , elle leur en donne une légère apparence, qui fait prendre le change à ceux surtout qui ont l’esprit prévenu de quelque intérêt. C’est ainsi que sur la fin du siècle passè une personne, qui avait infiniment de l’esprit, et qui par cet avantage était la gloire de son sexe, prit pour un insipide galimatias la plus belle Scène qui soit jamais sortie des mains de Mr. Racine, n’allons pas plus avant... C’est où la jeta, contre son propre goût, sa prévention en faveur de Pradon.
[Il s’agit de la querelle des sonnets concernant Phèdre. PF]
III. Pour donner plus de variété à la Scène par le contraste des caractères, j’ai fait entrer dans mes personnages le fameux Aristide, surnommé le Juste, ennemi et rival éternel de Thémistocle : mais d’un ordre de vertu tout différent. Il fut de son temps le Caton des Grecs, tandis que Thémistocle en était le Scipion. J’ai fait d’Aristide l’Ambassadeur d’Athènes, et je le mène à Suze pour y demander la tête de Thermistocle, que la Grèce avait proscrit. C’est là peut-être l’unique chose qui soit de pure invention ; car pour Miltiade le jeune, il appartient en premier à Hérodote, qui me l’a fourni. Quant à la jalousie des deux Républiques d’Athènes et Sparte : elle était, au temps dont je parle, à son plus haut point d’aigreur du côté de Sparte. Elle avait même fort altéré dans les coeurs des Spartiates la droiture des moeurs anciennes et l’amour des vertus extrêmes. Comme l’envie est une passion basse, et qui porte à tout, parce qu’elle suppose dans ceux, dont elle s’est emparée, une âme déjà dégradée, je n’ai pas craint, malgré sa réputation d’austérité, de peindre Sparte moins vertueuse. Aussi fut-ce en ce siècle-là qu’éclatèrent dans cette sévère République les plus grands scandales. Pausanias, un de ses Rois, osa bien former l’indigne dessein de livrer la Grèce aux Perses. Et sans doute qu’il eut pour complices plus d’un de ces rigides républicains. Les Rois ne sont guère seuls, ni dans le bien, ni dans le mal qu’ils font.
J’ai changé quelques circonstances à la manière dont Thémistocle s’empoisonne dans l’histoire. Pour faire cet empoisonnement sans ministre et sans confident, et par là d’une façon plus propre à entretenir la suspension, je lui mets au doigt une de ces bagues si familières aux Anciens, dans le chaton desquelles ils avaient toujours du poison renfermé, qu’ils suçaient dans le besoin, ou qu’ils trempaient dans la coupe qu’on leur présentait. Cet usage est si connu que je mets ici, plutôt pour l’agrément que pour la nécessité de la preuve, le passage de Pline qui en fait mention, Alii, dit cet Historien de la Nature, sub gemmis venena cludunt, annulosque mortis gratià habent. C’est ainsi que s’empoisonnèrent, et le plus grand Capitaine, et le plus éloquent Orateur de l’Antiquité, Annibal et Démosthène. Je ne crains donc plus qu’on me fasse sur ce point de fait aucune nouvelle critique.
IV. On m’en a fait une autre, qui d’abord paraît mieux fondée : Elle est appuiée sur une des plus judicieuses règles du Théâtre. Thémistocle, dit-on, ne se trouve coupable d’aucune faute qui lui ait, du moins en partie, mérité son malheur. Je suis surpris que le plus heureux avantage attaché à mon sujet ait échappé à la pénétration de ceux, qui m’ont fait cette difficulté. Un instant de réflexion sur l’imprudence de la démarche que fait Thémistocle, en se retirant chez l’ennemi mortel de la Grèce qui pouvait si aisément se prévaloir et des chagrins et des talents de son prisonnier, eut fait sentir sans peine, que jamais faute ne fut plus heureusement dans l’espèce que demande le théâtre, pour faire d’un héros un coupable, sans en faire un criminel. Milieu aussi difficile à rencontrer, qu’à tenir. Qu’on y prenne garde, presque toutes les pièces passent à une des deux extrémités opposées, la vertu sans défaut, et le crime sans vertu. Le héros y est toujours ou entièrement innocent ou entièrement criminel : ou il n’y fait point de fautes, ou il y fait des crimes : OEdipe, par exemple, et Pompée, sans parler de bien d’autres, ne sont que malheureux : Athalie n’est que criminelle. Thémistocle ici est imprudent au degré nécessaire pour faire une véritable faute. Aussi se la reproche-t-il à la fin du quatrième acte, où sa situation, suite naturelle de son imprudence, le met dans le point de vue qu’il faut, pour la reconnaître.
V. Je voudrais pouvoir répondre aussi solidement au juste reproche qu’on pourra me faire, de m’être trop hâté d’imprimer. La perfection de détail et l’élégance soutenue sont l’ouvrage du loisir. Tant qu’on se souvient encore trop qu’on est auteur, on ne saurait être son lecteur désintéresse. Cependant ce n’est que quand on en est venu à ce point, qu’on peut sentir ses fautes. On a beau dire que dans tous les Arts il y a un terme, par de-là lequel on n’avance plus : Cela est vrai, quand on s’est habitué à son ouvrage, et qu’à force de l’avoir sans interruption sous les yeux, on le voit, pour ainsi dire, sans le voir. Mais quand on se donne le temps de perdre de vue des idées trop familières, on peut penser à nouveau frais, et partir du degré, où l’on s’était comme fixé, pour aller bien au delà. L’esprit a des ressources, pourvu que vous le laissiez respirer. L’appliquer sans discontinuation à la même chose, c’est le forcer à se désappliquer.
Je sens la vérité de ces réflexions, et je les aurais très volontiers mises en pratique. Je ne me suis jamais su mauvais gré de n’avoir pas imprimé, et je me suis repenti de l’avoir fait. Mais aujourd’hui je me vois entraîné par les circonstances. Le sort d’une de mes Tragédies m’y engage malgré moi : je n’ai garde de la revendiquer : l’état où l’on l’a mise m’ôte le droit, ou du moins l’envie, de l’avouer. On l’a presque aussi changée pour le fond et pour la versification que pour le titre. Et elle a trop coûté de soins aux mains qui l’ont dénaturée, pour leur en disputer la propriété. D’ailleurs quand elle serait pour moi moins méconnaissable, je ne fais pas assez de cas de la gloire poétique, pour l’acheter en jetant dans l’embarras qui que ce soit ; eh, y a-t-il quelque autre gloire que celle des bonnes moeurs ; Je ne me serais pas même permis le peu que je viens d’en dire, si on ne m’avait accusé de m’être entendu avec ceux qui m’ont si fort déguisé. Quelques lettres anonymes remplies d’injures, ( style de ces sortes de lettres ) et que j’ai encore entre les mains, m’obligent à me disculper de cette accusation : quoique peut-être on ne soit redevable d’aucun égard à ces écrivains ténébreux, qui vrais assassins du Parnasse, viennent l’épigramme à la main, attaquer en lâches un auteur, qu’ils voient et qui ne les voit point.
Je donne donc cette tragédie de Thémistocle, telle que je l’ai faite ; il n’y aura de fautes que les miennes : c’est bien assez sans doute et trop même , pour ne pas le laisser dire à d’autres, avant moi. Mais enfin nous sommes ainsi faits, sinon pour notre bien, du moins pour notre repos, que nous ne voulons pas à nos fautes tout le mal, que nous voulons à celles d’autrui. Comme ces premières sont notre ouvrage, elles se sentent de notre indulgence.
Je finis ces réflexions par une analyse singulière de Thémistocle ; Analyse, à laquelle j’ai cru devoir mettre comme à l’épreuve la conduite de mon action dramatique. C’en est là comme la pierre de touche. Je dois cette nouvelle méthode à un auteur, dont le mérite en garantirait la solidité et l’excellence, si d’elle-même elle ne menait au vrai par la voie la plus sûre et la plus courte.
1°. L’arrivée de Thémistocle à Suze produit sa reconnaissance avec Miltiade.
2°. Sa reconnaissance avec Miltiade produit celle de Xerxés et de Thémistocle.
3°. La reconnaissance de Xerxés et de Thémistocle produit pour Thémistocle le péril de sa vie.
4°. Le péril de sa vie produit le péril pour sa vertu.
5°. Le péril pour sa vertu produit la résolution du héros ; et la résolution produit la catastrophe.
Horace :
ERRATA. §
Page i. lig. dernière, Xercés, lisez, Xerxés, et partout de même.
p. 5. lig. 6 aventure lisez avanture.
p. 13. vers 4 vanger, lisez venger.
p. 14. vers 8. genoux, lisez genou.
p. 45. vers 13. atend lisez attend.
p. 91. lig. 10. salies, lisez sailies.
p. 96. lig. 11. par, lisez pas.
ACTEURS. §
- THÉMISTOCLE, Géneral des Athéniens.
- XERXÈS, roi de Perse.
- MILTIADE, dit le jeune, fils du grandt Miltiade et Favori de Xerxès.
- ARISTIDE, dit le juste, Ambassadeur d’Athènes.
- PARMENIS, Ambassadeur de Sparte.
- ARTABAN, Ministre du Roi de Perse.
- ROXANE, fille de Xerxès.
- THÉMIRE, suivante de Roxane.
- HYDASPE, officier d’Artaban.
ACTE I §
SCÈNE PREMIÈRE. Miltiade, suite d’Officiers. §
MILTIADE.
SCÈNE II. Miltiade, Thémistocle. §
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE, en se couvrant.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
SCÈNE III. §
THÉMISTOCLE, seul.
SCÈNE IV. Thémistocle, Artaban, Miltiade. §
MILTIADE, à Artaban.
ARTABAN.
THÉMISTOCLE.
ARTABAN.
THÉMISTOCLE.
ARTABAN.
MILTIADE.
ARTABAN.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
ARTABAN.
MILTIADE.
ARTABAN, d’un ton fier.
MILTIADE.
SCÈNE V. §
ARTABAN.
SCÈNE VI. Artaban, Hydaspe. §
HYDASPE.
ARTABAN.
HYDASPE.
ARTABAN.
ACTE II §
SCÈNE PREMIÈRE. Xerxès, Miltiade. §
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
SCÈNE II. Xerxès, Miltiade, Artaban. §
ARTABAN.
XERXÈS.
ARTABAN.
XERXÈS.
SCÈNE III. Xerxès, Miltiade, Thémistocle, Artaban. §
ARTABAN, conduisant Thémistocle.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS, d’un ton irrité.
SCÈNE IV. Xerxés, Miltiade. §
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
MILTIADE.
XERXÈS.
SCÈNE V. Xerxès, Miltiade, Artaban, les Satrapes. §
XERXÈS, aux Satrapes prosternés.
MILTIADE.
XERXÈS.
SCÈNE VI. Xerxès, Thémistocle, Miltiade, les Satrapes. §
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
SCÈNE VII. Xerxès, Artaban. §
XERXÈS.
ARTABAN.
XERXÈS.
ARTABAN.
XERXÈS.
ARTABAN.
XERXÈS.
ARTABAN.
XERXÈS.
SCÈNE VIII. Roxane, Suite, Artaban. §
ROXANE.
ARTABAN.
ROXANE.
ACTE III §
SCÈNE PREMIÈRE. Artaban, Hydaspe. §
ARTABAN.
HYDASPE.
ARTABAN.
HYDASPE.
ARTABAN.
HYDASPE.
SCÈNE II. Artaban, Parmenis. §
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
SCÈNE III. Aristide, Artaban, Parmenis. §
ARISTIDE.
ARTABAN.
ARISTIDE.
ARTABAN.
ARISTIDE.
ARTABAN.
ARISTIDE.
ARTABAN.
ARISTIDE.
ARTABAN.
SCÈNE IV. Aristide, Miltiade, Parmenis. §
MILTIADE, à Aristide.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
SCÈNE V. Thémistocle, Aristide, Parmenis, Miltiade. §
ARISTIDE.
THÉMISTOCLE.
SCÈNE VI. Thémistocle, Miltiade. §
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
SCÈNE VII. Xerxès, Miltiade, Artaban, Les Ambassadeurs, Thémistocle. §
XERXÈS, aux ambassadeurs
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
ARISTIDE.
XERXÈS.
SCÈNE VIII. Roxane, Xerxès, Ambassadeurs, Thémistocle, Miltiade, Artaban. §
ROXANE, en deuil, aux Ambassadeurs.
XERXÈS.
ROXANE.
XERXÈS.
ROXANE.
XERXÈS.
ACTE IV §
SCÈNE I. Artaban, Parmenis. §
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
SCÈNE II. Miltiade, Artaban. §
MILTIADE.
ARTABAN.
MILTIADE.
ARTABAN.
MILTIADE.
ARTABAN.
SCÈNE III. Miltiade, Artaban, Aristide. §
ARISTIDE, à Miltiade.
MILTIADE.
ARTABAN.
ARISTIDE.
MILTIADE.
ARISTIDE.
SCÈNE IV. Artaban, Parmenis. §
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
PARMENIS.
ARTABAN.
SCÈNE V. Aristide, Parmenis. §
ARISTIDE.
PARMENIS en voyant Aristide.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
PARMENIS.
ARISTIDE.
SCÈNE VI. Les Ambassadeurs, Thémistocle, Roxane, Militade, Artaban. §
ROXANE, amenant Thémistocle.
ARTABAN.
ROXANE.
ARTABAN.
ROXANE.
SCÈNE VII. Aristide, Miltiade, Parmenis, Thémistocle, Artaban. §
THÉMISTOCLE.
ARISTIDE.
SCÈNE VIII. Xerxès, Thémistocle. §
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
SCÈNE IX. §
THÉMISTOCLE, seul.
ACTE V §
SCÈNE PREMIÈRE. §
THÉMISTOCLE.
SCÈNE II. Xerxès, Miltiade, Thémistocle. §
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
XERXÈS.
SCÈNE III. Xerxès, Miltiade, Thémistocle, Hydaspe. §
HYDASPE.
XERXÈS.
SCÈNE IV. Thémistocle, Miltiade. §
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
THÉMISTOCLE.
SCÈNE V. Thémistocle, Aristide. §
ARISTIDE.
THÉMISTOCLE.
ARISTIDE.
THÉMISTOCLE.
ARISTIDE.
SCÈNE VI. Xerxès,Thémistocle, Aristide, Miltiade, Artaban, les prêtres. §
XERXÈS, à Aristide.
ARISTIDE.
SCÈNE VII. Parmenis, Aristide, Miltiade, Xerxès, Thémistocle, Artaban, les prêtres. §
XERXÈS.
PARMENIS.
ARISTIDE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE, à Xerxès.
XERXÈS, à Miltiade.
THÉMISTOCLE, la main sur l’autel.
XERXÈS, aux prêtres.
THÉMISTOCLE, après avoir bu la coupe.
XERXÈS.
ARTABAN.
ARISTIDE.
THÉMISTOCLE.
ARISTIDE.
XERXÈS.
PARMENIS.
XERXÈS.
ARISTIDE.
THÉMISTOCLE.
XERXÈS.
THÉMISTOCLE, à Aristide.
SCÈNE VI.I. Roxane, Miltiade, Thémistocle, Aristide, Xerxès, Artaban, les prêtres. §
THÉMISTOCLE.
MILTIADE.
ROXANE.
THÉMISTOCLE, à Miltiade.
MILTIADE en se jetant à ses genoux.
THÉMISTOCLE, apercevant Roxane.
ROXANE.
THÉMISTOCLE.
ROXANE.
MILTIADE.
XERXÈS.