ENDYMION
PASTORALE HÉROÏQUE EN CINQ ACTES
PAR L’ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE

M. DCC. XXXI

PRIVILÈGE DU ROI §

LOUIS, Par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos amés et féaux Conseillers, les gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils, et autres nos Justiciers qu’il appartiendra : SALUT. Les sieurs Besnier, avocat en Parlement, Chomat, Duchesne, et de la Val. S. Pour, Bourgeois de notre bonne Ville de Paris ; nous a fait remontrer, qu’en cons"quance de l’arrêt de notre conseil du 12 décembre 1732 du traité fait entre eux et les sieurs de Francine et Dumont, le 24 desdits mois et an, et de nos lettres patentes du 8 janvier ensuivant, confirmative du dit Traité ; ils auraient acquis le Privilège, de faire représenter les opéras durant le temps de vingt années, à compter du 20 août 1712 ainsi que le privilège de la ve,te des paroles des paroles desdits Opéras, lesquelles ils désireraient faire imprimer pour les donner au public, s’il Nous plaisait leur accorder nos lettres de privilège sur ce nécessaires : À CES CAUSES ; désirant favorablement traiter traiter les exposants, attendu les charges dont l’Académie Royale de Musique se trouve obérée, et des grandes dépenses qu’il convient de faire, tant pour l’impression que pour la gravure en taille-douce des planches dont ce livre sera orné ; Nous leur avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer et graver les paroles et la musique de tous lesdits opéras, qui ont été et seront représentés par l’Académie Royale de Musique, tant séparément que conjointement, en telle forme, marge, caractère, nombre de volumes et de fois que bon leur semblera, et de les vendre et débiter par tout notre Royaume pendant le temps de dix-neuf années consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes. Faisons défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles puissent être, d’en introduire d’impression étrangère dans aucun lieu de notre obéissance ; Et à tous imprimeurs, libraires, gravures et autres d’imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter ni contrefaire et par écrit desdits sieurs Exposants, et de ceux qui auront droit d’eux, à peine à confiscation des exemplaires contrefaits, de six mille livres d’amende contre chacun des contrevenants, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel Dieu de Paris, l’autre tiers aux dits sieurs exposants, et de tous dépens, dommages et intérêts, à la charge de ces présente seront enregistrées tout au long sur le registre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de Paris, et ce dans trois mois de la date d’icelles ; que le gravure et impression, desdits opéras sera faite dans notre royaume et non ailleurs, en bon papier et beaux caractères, conformément aux règlements de la Librairie, et qu’avant de les exposer en vente, il en sera mis deux exemplaires dans notre bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un autre dans celle de notre très cher et féal Chevalier Chancelier de France, le sieurs Phelypeaux, Comte de Ponchartrain, commandeur de nos ordres ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir lesdits sieurs exposants, ou leurs ayant-cause, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu’il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie desdites présentes, qui sera imprimée au commencement ou à la fin desdits opéras, soit tenue pour dûment faites ; et qu’aux copies collationnées par l’un de nos amés et féaux conseillers et secrétaires, foi soit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier notre huissier ou sergent, de faire pour l’exécution d’icelles tous actes requis et nécessaires, sans demander permission et nonobstant Clameur du Haro, Charte Normande et lettres à ce contraires. Car tel est notre plaisir, DONNÉ à Versailles le vingtième jour d’août l’an de grâce mille sept cent treize, et de notre règne le soixante-onzième, Par le Roi en son conseil.

Signé BESNIER, avec paraphe et scellé.

Registré sur le registre n°III de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, page 648, n°741 conformément aux règlements, et notamment à l’arrêt du 30 août 1703. Fait à Paris ce 12 septembre 1713. Signé L. JOSSE, Syndic.

Par Traité passé, DE L’ORDRE DU ROI, par devant notaires, le 22 novembre 1727, entre l’Académie Royale de Musique, et le sieur Ballard, Seul imprimeur du Roi, etc. Il est concessionnaire de la dite Académie, pour ce qui regard les livres mentionnés au privilège ci-dessus.

DE L’IMPRIMERIE De Jean-Baptiste-Christophe BALLARD, seule Imprimeur du Roi, et de l’Académie Royale de Musique.
1

AVERTISSEMENT. §

Cette pièce n’est pas entièrement celle que le public la voit depuis longtemps imprimée avec d’autres ouvrages de la même main. On en avertit, pour ne rien dérober à l’auteur de divers changements, quelquefois assez considérables où la musique a cherché ses avantages.

ACTEURS DE LA PATORALE. §

  • DIANE.
  • PAN.
  • ENDYMION, Berger.
  • ISMÈNE, Bergère.
  • LYCORIS, Confidente de Diane.
  • EURILAS, Confident d’Endymion.
  • UN BERGER.
  • UN SATYRE.
  • UNE NYMPHE.
  • PREMIÈRE BERGÈRE.
  • DEUXIÈME BERGÈRE.
  • UNE HEURE.
  • UNE DRYADE.
  • L’AMOUR.
  • DEUX AMOURS.

ACTE I §

Le théâtre représente un Bois.

SCÈNE PREMIÈRE. Pan, Lycoris, Un Satyre. §

LYCORIS, à Pan.

Cessez, cessez d’être amant d’une ingrate.

LE SATYRE.

Choisissez mieux l’objet de vos désirs.

LYCORIS.

Dans votre amour il n’est rien qui vous flatte.

LE SATYRE.

Ne perdez point de précieux soupirs.

LYCORIS.

5 Diane est belle et charmante,
Mais elle est indifférente ;
Sa froideur ne doit-elle pas
Vous la faire voir sans appas ?

LE SATYRE ET LYCORIS.

Cessez, cessez d’être amant d’une ingrate.
10 Choisissez mieux l’objet de vos désirs.
Dans votre amour il n’est rien qui vous flatte.
Ne perdez point de précieux soupirs.

PAN.

La froideur et l’indifférence
Ne sont qu’une fausse apparence
15 Qui ne doit pas décourager.
Près d’un amant fidèle,
Est-il une cruelle
Qui ne soit en danger ?

LYCORIS.

Quittez une vaine espérance.

LE SATYRE.

20 Du moins vous courez le hasard
De soupirer sans récompense.

LYCORIS.

Quittez une vaine espérance.

LE SATYRE.

Dussiez-vous être heureux, vous le seriez trop tard.

PAN.

Je ne sens point mon coeur effrayé des obstacles,
25 Pour les surmonter tous il est d’heureux moments ;
Mais quand l’Amour fait des miracles,
Ce n’est pas en faveur des timides Amants.
Pan sort avec le Satyre, et Lycoris demeure seule pendant quelques moments.

SCÈNE II. Diane, Lycoris. §

LYCORIS, à Diane qu’elle voit arriver.

Quel bonheur vous conduit dans ce bois solitaire,
Sans y trouver un amant odieux ?
30 Pan vient de sortir de ces lieux.
Malgré votre humeur sévère,
Le moins aimable des Dieux
A fait dessein de vous plaire,
Rien ne marque mieux
35 Que la raison ne tient guère,
Contre l’éclat de vos yeux.

DIANE.

Laissons à cet Amant une audace si vaine,
Elle aura le succès qu’elle peut mériter.
Mais que me veut Ismène ?
40 Il la faut écouter.

SCÈNE III. Diane, Lycoris, Ismène. §

ISMÈNE.

Déesse, à vos genoux qu’avec respect j’embrasse,
Puis-je espérer obtenir une grâce ?
Mon coeur s’est dégagé d’un malheureux amour ;
Souffrez que désormais je vous suive à la Chasse,
45 Recevez-moi dans votre Cour.
L’Amour n’ose sur vous étendre sa puissance,
Je connais ses rigueurs, je crains encor ses coups.
Je ne puis être en assurance
Si je ne suis près de vous.

DIANE.

50 Quels malheurs, quels destins contraires
De l’Amour pour jamais vous fait rompre les noeuds ?
Endymion toujours néglige-t-il vos voeux ?

ISMÈNE.

Il redouble pour moi ses mépris ordinaires,
Il renonce au projet qu’avaient formé nos Pères
55 De nous unir tous deux.
Trop funeste projet, où je crus tant de charmes,
Combien m’as-tu coûté de larmes !
Hélas ! tu n’as fait qu’exciter
Un feu qu’il faut éteindre ;
60 Tu me donnais, pour l’augmenter,
De vains sujets de me flatter,
Et le triste droit de me plaindre.

DIANE.

Quand l’Amour est en courroux,
Son courroux n’est pas durable.
65 Endymion est aimable ;
S’il revient jamais vers vous
Serez-vous inexorable ?
Vous ne répondez point, je vois votre embarras.

ISMÈNE.

Daignez me presser moins, il ne reviendra pas.

DIANE et LYCORIS.

70 Vous aimez, vous aimez encore.

ISMÈNE.

Non, non, mes liens sont rompus.

DIANE et LYCORIS.

Vous aimez, vous aimez encore.

ISMÈNE.

Si j’aime encor, hélas ! permettez que j’implore
Votre secours pour n’aimer plus.

DIANE.

75 Vous dont je suis la souveraine,
Nymphes, qui sur mes pas vous plaisez à chasser,
Recevez parmi vous Ismène,
À l’Amour comme vous elle veut renoncer.

SCÈNE IV. Diane, Ismène, Nymphes de Diane. §

CHŒUR DE NYMPHES.

Nous goûtons une paix profonde,
80 Venez, venez parmi nous :
Que l’Amour au reste du monde
Fasse ressentir ses coups,
Ils n’iront point jusqu’à vous.
Venez, venez parmi nous.
85 Nous goûtons une paix profonde,
Venez, venez parmi nous.
Danse des Nymphes.

UNE NYMPHE.

Les biens qui contentent nos coeurs,
Viennent s’offrir à nous sans nous coûter de larmes,
L’amour le plus heureux a toujours ses alarmes
90 Aux innocents plaisirs il ôte leurs douceurs,
Les chansons des oiseaux, les ombrages, les fleurs,
Les doux zéphyrs, ont pour nous tous les charmes.

DIANE, à Ismène.

Puisqu’enfin votre coeur persiste dans son choix,
Recevez de ma main et l’arc et le carquois.

CHŒUR DES NYMPHES.

95 Jouissez de l’heureux partage
Qui vous est présenté.

UNE NYMPHE.

L’Amour de toutes parts fait un affreux ravage,
Goûtez-en davantage
Le prix de la tranquillité.

LES NYMPHES.

100 Jouissez de l’heureux partage
Qui vous est présenté.

LA NYMPHE.

Quand tout gémit dans l’esclavage,
Qu’il est doux d’être en liberté !

ENSEMBLE.

Jouissons de l’heureux partage
105 Qui nous est présenté.
Elles sortent avec Ismène.

SCÈNE V. Diane, Lycoris. §

DIANE.

Que tu prends un soin inutile,
Ismène ! Quelle erreur conduit ici tes pas ?
Tu veux auprès de moi rendre ton coeur tranquille,
Et le mien ne l’est pas,
110 Tu fuis Endymion, hélas !
Que tu choisis mal ton asile !

LYCORIS.

Sans savoir de quel trait votre coeur est atteint,
Elle se plaint à vous d’une flamme fatale :
Avec plaisir on voit une Rivale
115 Qui souffre, et qui se plaint.

DIANE.

En écoutant ses maux, ma honte était extrême,
D’imposer à ses yeux par un calme apparent ;
J’ai bravé de l’Amour la puissance suprême,
Et l’on me croit toujours la même ;
120 Mais je ne jouis plus des honneurs qu’on me rend,
Et l’on me reproche que j’aime,
Quand on vient me vanter mon coeur indifférent.

LYCORIS.

Dégagez-vous, songez que vous êtes Déesse,
Et daignez voir quel choix vous avez fait.

DIANE.

125 Je rougis de ma tendresse,
Et non pas de son objet ;
L’aimable Berger que j’adore,
N’a pas besoin d’un rang qui s’attire les yeux,
Il a mille vertus que lui-même il ignore,
130 1Et qui feraient l’orgueil des Dieux.

LYCORIS.

Mais il ne sort jamais de son indifférence...

DIANE.

Je sais trop à quels maux je dois me préparer.
Un éternel silence
Cachera cet amour dont ma gloire s’offense :
135 En secret seulement j’oserai soupirer ;
Je languirai sans espérance,
Et craindrai même d’espérer.

ACTE II §

Le théâtre représente un Temple rustique que les Bergers ont élevé pour Diane ; et qui n’est pas encore consacré.

SCÈNE PREMIÈRE. Endymion, Eurilas. §

ENDYMION.

Quel jour, quel heureux jour, je vais voir célébrer !
Nos Bergers pour Diane ont secondé mon zèle ;
140 Ce Temple par mes soins est élevé pour elle,
Et nous allons le consacrer.
Jamais par des soupirs mon amour ne s’exprime ;
Du moins par des Autels je le marque sans crime.
Ce détour, ce déguisement
145 Convient à mon respect extrême ;
Et mon coeur, pour cacher qu’il aime,
Feint qu’il adore seulement.

EURILAS.

Cachez moins un amour fidèle ;
Vous n’êtes qu’un Berger,
150 Diane est immortelle :
Mais des appas d’une Belle,
Tous les yeux peuvent juger,
Et tous les coeurs ont droit de s’engager.

ENDYMION.

Si j’étais immortel, et Diane Bergère,
155 Je craindrais encor sa colère :
Mes feux n’osent paraître au jour,
Je gémis sous les lois que le respect m’impose ;
Mais sa Divinité n’en est pas tant la cause,
Que ses appas et mon amour.

EURILAS.

160 Que peut prétendre un Amant, dont la peine
Ne doit jamais se découvrir ?
Que n’avez-vous pris soin de vous guérir
Par l’hymen de l’aimable Ismène ?
Près d’un Objet dont on est adoré,
165 On oublie à la fin une beauté cruelle :
D’une funeste flamme un coeur n’est délivré,
Que par une flamme nouvelle ;
Et contre les Amours,
Les Amours seuls sont un secours.

ENDYMION.

170 Je meurs d’un feu trop bau pour le vouloir éteindre,
Je ne puis espérer, et je n’ose me plaindre :
Cependant un plaisir qui ne peut s’exprimer,
Adoucit en secret des peines si cruelles.
Au milieu de mes maux, je m’applaudis d’aimer
175 La plus fière des Immortelles.

EURILAS.

La Fierté plaît, lorsque l’on est flatté
Du doux espoir de la victoire ;
Mais vous ne pouvez croire
Que Diane jamais perde sa liberté ;
180 Quel charme a pour vous sa fierté ?

ENDYMION.

Elle redouble sa gloire,
Et le prix de sa beauté.
Je vois de nos Bergers la troupe qui s’avance.
Eurilas, il est temps que la fête commence.

SCÈNE II. Endymion, Troupe de bergers et de bergères. §

ENDYMION.

185 Écoutez ces Bergers, qui parlent par ma voix,
Déesse, daignez quelquefois
Visiter ce Temple rustique,
On vous élève ailleurs des Temples éclatants ;
Mais dans un lieu plus magnifique
190 On n’offre pas des voeux plus purs et plus constants.
Danse des Bergers.

PREMIER BERGER.

Brillant Astre des nuits, vous réparez l’absence
Du Dieu qui nous donne le jour :
Votre Char, lorsqu’il fait son tour,
Impose à l’Univers un auguste silence ;
195 Et tous les feux du Ciel composent votre Cour.

UNE BERGÈRE.

En descendant des Cieux, vous venez sur la terre,
Régner dans ces vastes Forêts,
Votre noble loisir sait imiter la guerre,
Les Monstres dans vos Jeux succombent sous vos traits.

UNE BERGÈRE, UN BERGER, EURILAS.

ENSEMBLE.
200 Jusque dans les Enfers votre pouvoir éclate ;
Les Mânes, en tremblant, écoutent votre voix :
Au redoutable nom d’Hécate,
Le sévère Pluton rompt lui-même ses lois.
On danse.

LE CHŒUR.

Que le Ciel, que la Terre, et le sombre Rivage,
205 Que tout rende à Diane un éternel hommage :
Que de voeux différents elle doit recevoir !
Chantons sa puissance suprême,
Le Maître des Dieux même,
N’étend pas si loin son pouvoir.

ENDYMION.

210 Vos éloges, Bergers, touchent peu la Déesse ;
Songeons plutôt à vanter
Son coeur exempt de faiblesse,
Et nos Chants pourront la flatter.
Faites-vous un effort pour elle,
215 Malgré l’Amour dont vous suivez la Loi ;
Célébrer la gloire immortelle
D’un coeur toujours maître de soi.

LE CHŒUR.

Un triomphe éclatant augmente votre gloire,
C’est en vain que l’Amour veut s’armer contre vous,
220 Votre insensible coeur a su braver ses coups ;
Et le vainqueur des Dieux vous cède la victoire.

SCÈNE III. Diane, Lycoris, Endymion, Bergers. §

Diane descend du Ciel.

DIANE.

Bergers, jusqu’en ces lieux votre hommage m’attire,
De sincères respects savent charmer les Dieux ;
Mais je viens arrêter des chants audacieux,
225 Que trop de zèle vous inspire.
Il suffit de fuir les Amours,
Et d’éviter leur esclavage ;
Mais par de superbes discours,
Il ne faut point leur faire outrage.
230 Il suffit de fuir les Amours,
Il ne faut point leur faire outrage.
Retirez-vous, c’en est assez :
Vos encens et vos voeux seront récompensés.
Tous les Bergers se retirent.

SCÈNE IV. Diane, Lycoris. §

LYCORIS.

Ciel ! Quel étonnement de mon âme s’empare !
235 Quoi ! Votre noble orgueil se dément en ce jour ?
Diane hautement déclare
Qu’elle est moins contraire à l’Amour !

DIANE.

Endymion ordonnait cette Fête,
Lui ; dont mon coeur est la conquête ?
240 En outrageant l’Amour il croyait me flatter.
Excuse ma faiblesse,
Son erreur blessait ma tendresse,
Et je n’ai pu la supporter.

LYCORIS.

Ne me déguisez rien, vous lui voulez apprendre
245 Que jusqu’à vous il peut lever les yeux :
Vous prenez pour parler un tour mystérieux ;
Mais vous voulez qu’il ose vous entendre.

DIANE.

Pourrais-je le vouloir ? Ciel ! quelle honte, hélas !
Du moins, si je le veux, ne le pénètre pas.

ACTE III §

Le théâtre représente un Lieu champêtre.

SCÈNE PREMIÈRE. Pan, Endymion, Eurilas, Un Satyre. §

PAN.

250 Bergers, croirai-je un bruit qui vient de se répandre.
Diane a-t-elle protégé
L’Amour par vos chants outragé ?

ENDYMION et EURILAS.

Elle-même a paru pour venir le défendre.

PAN.

Ah ! J’obtiendrai le prix que mérite ma foi.
255 À l’Amour désormais Diane est moins rebelle,
J’ose seul soupirer pour elle,
Ce changement ne regarde que moi.
Avec bien de l’amour on est toujours aimable ;
La beauté que je sers était impitoyable ;
260 Je sais que je dois peu compter sur mes appas ;
Mais mon coeur m’assurait d’un succès favorable,
Je l’ai cru sur sa foi, je ne m’en repens pas.
Avec bien de l’amour on est toujours aimable.

LE SATYRE.

Aimez, aimez, j’approuve enfin vos feux,
265 Puisqu’ils vont être heureux.

PAN.

Je veux, je veux marquer ma joie à la Déesse :
Que les Faunes s’assemblent tous ;
Qu’ils viennent remplis d’allégresse
L’applaudir dès ce jour d’un changement si doux.

ENDYMION.

270 Quoi ! Séjà votre amour s’apprête
À faire éclater sa conquête ?

EURILAS.

L’Amant d’une fière Beauté
Doit ménager sa vanité ;
S’il fait des progrès, il doit feindre
275 De ne pas s’en apercevoir ;
Il faut qu’il ait l’art de se plaindre,
Au milieu du plus doux espoir.

PAN.

Eh bien, sans montrer que j’espère,
Rendons hommage à ses attraits,
280 Et par des soins qui ne peuvent déplaire,
Contentons-nous des transports qu’il faut tenir secrets.

SCÈNE II. Endymion, Eurilas. §

ENDYMION.

Quel coup affreux quel coup terrible
Vient combler tous les maux qui déchiraient mon coeur !
Je me flattais d’aimer une Insensible,
285 Je ne puis conserver un si cruel bonheur.
Que la fierté de Diane était belle !
Mais, qu’Elle a fait un choix indigne d’elle !
Si ses appas me faisaient soupirer,
Sa gloire me charmait plus que ses appas mêmes ;
290 Et je perds le plaisir extrême,
Que je sentais à l’admirer.
Vengeons-nous, vengeons-nous d’une injure mortelle,
Il en me reste plus que ce funeste bien ;
Ôtons à l’Infidèle, un coeur tel que le mien.

EURILAS.

295 Quelle fidélité Diane vous doit-elle ?
Vos coeurs n’ont pas été dans un même lien.

ENDYMION.

Elle devait m’être fidèle,
Du moins en n’aimant jamais rien.
Toi-même, Tu m’as dit qu’en épousant Ismène,
300 Et son amour et mon devoir
Se seraient opposés au penchant qui m’entraîne ;
Je veux essayer leur pouvoir.
Je veux redemander Ismène à la Déesse,
Heureux, si de ses mains je pouvais recevoir
305 Ce qui doit venger ma tendresse !

EURILAS.

C’est assez de se guérir,
La vengeance est inutile ;
Pourvu que vous soyez tranquille,
Qu’importe qu’une Ingrate ait peine à le souffrir ?
310 La vengeance est inutile,
C’est assez de se guérir.

ENDYMION.

Si je ne suivais pas ce conseil salutaire,
Tous les Dieux devraient m’en punir.
La Déesse paraît, je vais te satisfaire,
315 À mon repos Ismène est nécessaire,
Je vais tâcher de l’obtenir.

SCÈNE III. Diane, Endymion. §

ENDYMION.

Déesse, mon audace est peut-être trop grande,
D’avoir le droit d’implorer vos bontés.
Si je mérite peu ce que je vous demande,
320 Les bienfaits des Divinités
Ne peuvent être mérités.

DIANE.

Parlez, vous me verrez répondre à votre attente.

ENDYMION.

Ismène a le bonheur d’être de votre Cour,
Je ne sais cependant si son âme est contente ;
325 Daignez souffrir son retour,
Si j’obtiens qu’Elle y consente,
Daignez la rendre à mon amour.

DIANE.

Quoi ! Vous l’aimez, vous dont l’indifférence
Rejetait ses voeux et ses soins ?

ENDYMION.

330 Quand on y pense le moins,
Souvent l’amour prend naissance.
La pitié, le repentir ?
Tout vers Ismène me rappelle ;
Sa retraite m’a fait sentir
335 Combien je perdais en elle.

DIANE.

Berger, ce que vous souhaitez
N’est pas une légère grâce.

ENDYMION.

Si jamais des Mortels les voeux vous écoutez...

DIANE.

Allez, je résoudrai ce qu’il faut que je fasse,
340 Et vous saurez mes volontés.

SCÈNE IV. §

DIANE.

Où suis-je ? Endymion pour Ismène soupire,
Et moi, je me livrais au charme qui m’attire.
Déjà je trahissais le secret de mon feu.
Après une faiblesse inutile et honteuse,
345 Après avoir en vain commencé cet aveu,
Quelle vengeance rigoureuse...
Mais, quoi ? Ne dois-je pas me croire trop heureuse,
Que l’Ingrat m’entende si peu ?
En me causant une douleur extrême,
350 Il met du moins ma gloire en sûreté :
S’il ne m’eût soutenue, hélas ! contre lui-même,
J’oubliais toute ma fierté.
Mais qu’il ne pense pas que je lui rende Ismène :
Qu’il n’attende pas mon secours,
355 Pour former une indigne chaîne ;
Je redeviens Diane, et veux l’être toujours,
Je reprends ma première haine
Pour tous les coeurs esclaves des Amours.
Je vois le Dieu des Bois, faut-il que je l’entende ?
360 Ma peine, ô Ciel ! N’est-elle pas assez grande ?

SCÈNE V. Diane, Pan, Faunes, Sylvains et Dryades. §

PAN.

Déesse, souffrez qu’en ce jour
Tous les demi-Dieux de ma Cour
Se soumettent à votre Empire :
Mes soins ne peuvent seuls suffire,
365 A vous marquer tout mon amour.
Que les Forêts, que les Monts applaudissent
Au choix qu’a fait le Dieu des Monts et des Forêts ;
Que les Antres les plus secrets,
Sans cesse retentissent
370 De Diane et de ses attraits ;
Que tous les autres chants finissent.
On ne doit célébrer qu’un Objet si charmant
Dans tous les lieux où règne son Amant.

LE CHŒUR.

Que les Forêts, que les Monts applaudissent
375 Au choix qu’a fait le Dieu des Monts et des Forêts ;
Que les Antres les plus secrets,
Sans cesse retentissent
De Diane et de ses attraits ;
Que tous les autres chants finissent.
380 On ne doit célébrer qu’un objet si charmant
Dans tous les lieux où règne son amant.
Danse des Faunes.

UNE DRYADE.

Dans nos forêts tout plaît, tout enchante,
Souvent l’Amour
Y conduit sa Cour ;
385 De ses bienfaits la douceur constante,
Loin des Amants,
Bannit les tourments.
Quand sous ses lois ce Dieu nous engage,
Sans s’alarmer,
390 Il suffit d’aimer.
De ce Vainqueur l’aimable esclavage
Nous offre des noeuds,
Au gré de nos voeux.
Que ses traits ont de charmes !
395 Qu’on lui rende les armes :
Devrait-on seulement
Perdre un moment.
Dans nos Forêts tout plaît, tout enchante,
Souvent l’Amour
400 Y conduit sa Cour ;
De ses bienfaits la douceur constante,
Loin des Amants,
Bannit les tourments.
Quittez nos bois, Beautés inhumaines,
405 Ne troublez pas d’heureux soupirs,
Ici nos chaînes,
Au lieu de peines,
Ne présentent que des plaisirs.
Douce Espérance,
410 Tu prends naissance
Presqu’aussitôt que les désirs.
Dans nos Forêts tout plaît, tout enchante,
Souvent l’Amour
Y conduit sa Cour ;
415 De ses bienfaits la douceur constante,
Loin des Amants,
Bannit les tourments.

PAN.

Régnez, régnez sur nous, adorable Immortelle,
Faites-vous une Cour nouvelle ;
420 Sur les Faunes, sur les Sylvains,
Étendez désormais vos ordres souverains.

LE CHŒUR.

Régnez, régnez sur nous, adorable Immortelle,
Faites-vous une Cour nouvelle ;
Sur les Faunes, sur les Sylvains,
425 Étendez désormais vos ordres souverains.
On danse.
Une dryade, alternativement avec le Choeur.

LA DRYADE.

Chantons dans ces Retraites :
Échos de ces bois,
Répondez à nos voix ;
Du Dieu qui les a faites,
430 Chantons mille fois,
Les aimables Lois.

LE CHŒUR.

Chantons dans ces Retraites :
Échos de ces bois,
Répondez à nos voix ;
435 Du Dieu qui les a faites,
Chantons mille fois,
Les aimables Lois.

LA DRYADE.

Regards, soupirs, silence,
Tout parle d’amour,
440 Tout l’exprime à son tour ;
Jamais l’indifférence,
Jamais le mépris
N’en devient le prix.

LE CHŒUR.

Chantons dans ces Retraites :
445 Échos de ces bois,
Répondez à nos voix ;
Du Dieu qui les a faites,
Chantons mille fois,
Les aimables Lois.

LA DRYADE.

450 Tout plaît, tout rit, tout charme,
Les coeurs volent tous,
Au devant de ses coups,
Il règne dès qu’il s’arme ;
Les moindres faveurs
455 Sont des traits vainqueurs.

LE CHŒUR.

Chantons dans ces Retraites :
Échos de ces bois,
Répondez à nos voix ;
Du Dieu qui les a faites,
460 Chantons mille fois,
Les aimables Lois.

PAN.

Approuvez une ardeur que rien ne peut éteindre,
Déesse, sous vos lois l’Amour m’a su ranger.

DIANE.

À recevoir vos soins j’ai voulu me contraindre,
465 Peut-être en les fuyant j’aurais paru les craindre :
Quand on est trop sévère, on se croit en danger ;
Je veux vous annoncer d’une âme plus tranquille,
Que votre amour est inutile,
Et qu’il faut vous en dégager.
Elle sort.

SCÈNE VI. Pan, Faunes, Sylvains, Le Satyre. §

PAN.

470 Ai-je bien entendu cet orgueilleux langage ?
Elle me brave impunément,
Et je demeure ici frappé d’étonnement !
Non, ce n’est pas ainsi, Cruelle, qu’on m’outrage,
N’attendez plus les respects d’un Amant,
475 N’attendez que l’emportement
D’un coeur qui se livre à la rage.

LE SATYRE.

Les transports les plus furieux
Ne punissent point une Ingrate ;
Le dépit, le courroux la flatte ;
480 Jamais on ne punit mieux,
Que lorsqu’à ses superbes yeux
Une nouvelle ardeur éclate.

PAN.

J’approuve tes conseils, j’éteins d’indignes feux.

ENSEMBLE.

Par un amour nouveau, par de plus tendres noeuds?
485 Abaissez, confondez l’orgueil de l’inhumaine
Abaissons confondons l’orgueil de l’inhumaine
Qu’elle gémisse, qu’elle apprenne,
Que sans elle on peut être heureux.

ACTE IV §

Le théâtre représente une Forêt agréable.

SCÈNE PREMIÈRE. §

ISMÈNE.

Sombres Forêts qui charmez la Déesse,
490 Doux asile où coulent mes jours,
Plaisirs nouveaux qui vous offrez sans cesse,
Pourquoi ne pouvez-vous surmonter ma tristesse ?
Ah ! J’attendais de vous un plus puissant secours.
Qui peut me rendre encor incertaine, inquiète ?
495 J’aimais un Insensible ; et ce que j’ai quitté
Ne doit pas être regretté :
Cependant, sans savoir ce que mon coeur regrette,
Je le sens toujours agité.
Sombres Forêts qui charmez la Déesse,
500 Doux asile où coulent mes jours,
Plaisirs nouveaux qui vous offrez sans cesse,
Pourquoi ne pouvez-vous surmonter ma tristesse ?
Ah ! J’attendais de vous un plus puissant secours.

SCÈNE II. Diane, Lycoris, Ismène. §

DIANE.

Ismène, parlez-moi sans feinte :
505 Endymion vous redemande à moi ;
D’une tendre douleur, j’ai vu son âme atteinte :
Ismène, parlez-moi sans feinte :
Voulez-vous renoncer à vivre sous ma loi ?

ISMÈNE.

Ô Ciel ! Que ma surprise est grande !
510 Quoi ? Cet Ingrat... Non, non, je ne le puis penser.

DIANE.

À son amour naissant il veut que je vous rende,
Répondez, je vous le commande :
À vivre sous ma loi, voulez-vous renoncer ?

ISMÈNE.

Vous savez qu’à jamais je m’y suis asservie,
515 Rien ne peut ébranler ma foi.
A suivre d’autres lois si l’amour me convie,
L’Amour sans votre aveu ne peut plus rien sur moi.

DIANE.

J’entends ce que vous m’osez dire :
J’userai bien de mon empire,
520 Je verrai votre Amant, allez, attendez-vous
A recevoir les ordres les plus doux.

SCÈNE III. Diane, Lycoris. §

LYCORIS.

Ainsi, vous permettez qu’Ismène soit contente,
Votre coeur à jamais reprend sa liberté ;
J’ai vu par son amour ce grand coeur agité,
525 Mais la gloire a vaincu, Diane est triomphante.

DIANE.

Cesse de présenter ce triomphe à mes yeux,
Il me coûte trop cher pour être glorieux.

ENSEMBLE.

Qu’on est faible, quand on aime ;
Qu’il est difficile, hélas !
530 De vaincre un amour extrême !
Après la victoire même
On rend encor des combats.

LYCORIS.

C’est une peine affreuse
De rendre une Rivale heureuse,
535 C’est un effort cruel pour un coeur amoureux ;
Mais lorsque la gloire est contente,
Songez quelle douceur charmante
Doit goûter un coeur généreux.

DIANE.

Endymion dans ces lieux va paraître,
540 Mon dessein va s’exécuter.
Je vais... mais, quoi ? Je sens mon coeur se révolter,
Je sens ma faiblesse renaître ;
Par de nouveaux efforts faut-il la surmonter ?
Dans quel désordre je retombe !
545 Que je crains qu’à la fin ma raison ne succombe !
Cruel Amour ; es-tu content ?
Seule je te bravais dans la Troupe céleste,
Mais sur mon coeur enfin ton Empire s’étend :
Tu vois ce coeur si fier, interdit et flottant ;
550 Le peu de force qui me reste
Peu me quitter en un instant ;
Suis-je pour toi dans cet état funeste
Un triomphe assez éclatant ?
Cruel amour, es-tu content ?

LYCORIS.

555 Je vois Endymion : paraissez plus tranquille,
Prononcez un aveu qui vous fait soupirer :
Plus cet effort est difficile,
Moins vous devez le différer.

SCÈNE IV. Diane, Endymion. §

DIANE.

Venez, Endymion, tout vous est favorable,
560 J’accorde Ismène à vos désirs.

ENDYMION.

Ah ! Que mon sort est déplorable !

DIANE.

Que dites-vous ? D’où naissent ces soupirs ?

ENDYMION.

Jusque dans vos bontés, le destin m’est contraire,
Que ne rejetiez-vous des voeux trop mal conçus.

DIANE.

565 Quelle plainte osez-vous me faire ?
Quoi ? C’est ainsi que mes dons sont reçus ?
Que devient dès ce jour cette flamme nouvelle,
Qu’Ismène en vous fuyant a su vous inspirer ?

ENDYMION.

Hélas ! Pouvez-vous ignorer
570 Que je suis sans amour pour elle ?
Mon trouble, mes voeux incertains,
Ces soupirs échappés, mes bizarres desseins,
Tout ne vous dit-il pas qu’un autre amour m’enflamme ;
Que j’ai voulu l’arracher de mon âme,
575 Et que tous mes efforts sont vains ?

DIANE.

Vous voulez sortir d’esclavage,
Suivez votre projet avec plus de courage.
On ne surmonte pas d’abord
Le doux penchant qui nous entraîne,
580 Ce n’est pas un premier effort
Qui brise une amoureuse chaîne.

ENDYMION.

Non, je veux conserver un malheureux amour ;
Que vous importe-t-il que j’en perdre le jour ?

DIANE.

Je veux dans tous les coeurs, autant qu’il m’est possible,
585 Établir la tranquillité ;
Il n’est rien de plus doux pour une âme insensible,
Que de voir en tous lieux régner la liberté.

ENDYMION.

Pourquoi, Déesse impitoyable,
A combattre mes feux voulez-vous m’engager ?
590 Je sais que je ne suis qu’un mortel, qu’un berger ;
Mais lorsque j’ose aimer un Objet adorable,
Du moins je ne suis pas coupable
D’un téméraire aveu, qui devrait l’outrager.
De mon crime secret la peine est assez grande,
595 J’étouffe mes soupirs et mes gémissements ;
Déesse, par pitié, laissez-moi mes tourments,
C’est tout le prix que je demande.

DIANE.

Qu’entends-je ? Quoi ! Berger...

ENDYMION.

Qu’ai-je dit ? Quel transport ?
600 Ciel ! Ai-je rompu le silence ?
L’Amour à mon respect a-t-il fait violence ?
Ah ! Vos yeux irrités m’instruisent de mon sort ;
J’y vois tout mon malheur et toute mon offense,
Mon feu est découvert, j’ai mérité la mort.

SCÈNE V. Diane, Endymion, Les Heures. §

UNE DES HEURES, à Diane.

605 Du grand Astre des jours la mourante lumière,
Va dans quelques moments s’éteindre au fond des Mers ;
Commencez votre carrière,
Et consolez l’Univers.

DIANE.

Que mon char en ces lieux descende ;
610 Vents, partez, je vous le commande.

DANSE DES HEURES.

Tandis que le char descend.

CHŒUR DES HEURES.

Répandez Répandez votre douce clarté
Dissipez de la nuit l’obscurité profonde ;
Vous devez la lumière au monde,
615 Lorsque le Soleil l’a quitté.

UNE DES HEURES.

Quand la nuit dans les airs répand ses voiles sombres,
Vous recommencez votre cours ;
D’un seul de vos regards vous dissipez les ombres
Qui favorisent les Amours.
On danse.

UNE DES HEURES.

620 Du Dieu qui règne dans Cythère,
Vous troublez les soins les plus doux,
Vous en bannissez le mystère,
Vous éclairez les yeux jaloux.

UNE DES HEURES.

Et le Choeur alternativement.
625 Que l’ardeur de servir une aimable Immortelle,
Fasse nos soins les plus charmants :
Si nous avons d’heureux moments,
Ne les employons que pour Elle ;
Ne servons jamais les Amants.
Diane monte dans son char.

SCÈNE VI. §

ENDYMION.

630 Elle part ! Et me laisse en ce lieu solitaire !
Elle ne daigne pas m’exprimer sa colère.
Il lui suffit de me livrer
Au désespoir mortel qui doit me déchirer.
Fatal égarement, transport que je déteste,
635 Tout est perdu pour moi, vous m’avez fait parler ;
J’ai rendu criminel par un aveu funeste
Le plus beau feu dont on puisse brûler.
Cachons-nous pour jamais aux beaux yeux qui m’enchantent,
Je faisais de les voir mon bonheur le plus doux ;
640 Mais il redoubleraient les maux qui me tourmentent,
Je verrais leur juste courroux.
Allons finir nos jours dans d’éternelles larmes ;
Déserts, qui pouvez seuls avoir pour moi des charmes,
Ouvrez vos antres ténébreux,
645 Pour recevoir un malheureux.

ACTE V §

Le théâtre représente un Antre du Mont Latmos, au fond duquel Endymion paraît endormi.

SCÈNE PREMIÈRE. Endymion endormi, troupe d’Amours. §

TROUPE D’AMOURS.

Prêtez votre secours à ce Berger aimable ;
Dieu du Sommeil, rendez-lui le repos.
Il cède au tourment qui l’accable ;
Dieu du Sommeil, rendez-lui le repos,
650 Un amant misérable
A besoin de tous vos pavots.

DEUX AMOURS.

Quelle est cette clarté naissante
Au milieu de l’obscurité !
Peut-être une Déesse Amante
655 Descend dans cet Antre écarté.

DEUX AUTRES AMOURS.

C’est Diane ; Elle vient revoir ce qu’elle adore,
Cachons-nous à ses yeux ;
Taisons-nous ; il faut qu’Elle ignore
Que les Amours sont en ces lieux.

SCÈNE II. §

DIANE.

660 Puis-je encor me reconnaître ?
L’Amour du haut des Cieux me force à disparaître ;
Je refuse aux Mortels saisis d’un juste effroi,
La lumière que je leur dois.
Le Berger que renferme un Antre si sauvage,
665 Par sa vive douleur a trop su m’alarmer.
Nobles soins, que le sort ma donnés en partage,
N’attendez rien de moi ; je ne sais plus qu’aimer.
Je puis en liberté voir ici ce que j’aime,
Le sommeil suspend son ennui.
670 Ce temps m’est précieux, puisqu’il ne peut lui-même
Savoir ce que je fais pour lui.
Mais quoi ! Faut-il toujours soupirer et me taire ?
Ses vertus, son respect sincère,
Ses tourments, et tous mes combats,
675 Pour me justifier ne suffiraient-ils pas ?
Qu’il sorte d’un sommeil où sa douleur mortelle
Peut-être encor agite ses esprits ;
Qu’il sache.... Ô Ciel !... Quel dessein ai-je pris ?
Non, reprenons mon cours, l’Univers me rappelle.
680 Quel charme me retient ? Fuyons. Quoi ? Je ne puis ?
Ah ! Fuyons ; je sens trop le péril où je suis ;
Mais, hélas ! Qu’ai-je fait ?

SCÈNE III. Diane, Endymion. §

ENDYMION, qui s’éveille.

Que vois-je ? Quoi, Déesse ?
Vous venez pour punir un amour qui vous blesse ?
685 Ah ! Mon trépas était certain ;
Il fallait vous venger de ma coupable audace :
Je tiendrai pour une grâce,
Que de si justes coups partent de votre main.

DIANE.

Comment dans mes regards voyez-vous de la haine !

ENDYMION.

690 Contentez le courroux qui vous guide en ces lieux.

DIANE.

Ne me pouvais-je pas venger du haut des Cieux ?

ENDYMION.

Par ce discours obscur vous redoublez ma peine?
Je ne veux que mourir, et mourir à vos yeux.

DIANE.

Il faut, il faut enfin cesser d’être incertaine.
695 Apprenez votre sort, je ne puis plus cacher
Que mon superbe coeur soupire.
Vos vertus m’avaient su toucher,
Votre respect me contraint à le dire.

ENDYMION.

Qu’ai-je entendu ? Non, non, mes sens sont abusés,
700 Et ce songe va disparaître.

DIANE.

Quoi ? mon amour me fait-il méconnaître
Par vous-même qui le causez ?

ENDYMION.

Déesse, est-il donc vrai ? Quelle ardeur... Quel hommage...
Tout mon coeur... De mon trouble entendez le langage,
705 Je ne suis pas digne d’un sort si doux,
Si je ne meurs à vos genoux.
Pardonnez aux soupirs qu’un Berger vous adresse,
Du moins je ne sens point mon coeur se partager ;
Ce sont vos charmes seuls qui savent m’engager ;
710 Je ne vois point que vous êtes Déesse.

DIANE.

A vos seules vertus j’ai donné ma tendresse ;
Je ne vois point que vous êtes Berger.
Mon coeur se croyait invincible,
Mais vous l’avez désarmé.

ENDYMION.

715 Sans vous, j’étais insensible ;
Sans vous, je n’eusse point aimé.

ENSEMBLE.

Mon coeur se croyait invincible,
Mais vous l’avez désarmé.
Sans vous, j’étais insensible ;
720 Sans vous, je n’eusse point aimé.

DIANE.

Aimable Endymion, cet Antre désormais
Sera le seul témoin de notre intelligence,
La nuit et le silence.
Y conduiront mes pas sous leurs voiles épais.

SCÈNE IV. L’Amour, Diane, Endymion. §

L’AMOUR.

725 Non, je ne consens point à perdre ainsi ma gloire.

DIANE.

Que vois-je ! et qui l’aurait pu croire ?

L’AMOUR.

Antre disparaissez, fuyez, obscure nuit ;
Que tout l’Univers soit instruit
De ma plus brillante victoire.
Le théâtre se change, et devient un Jardin délicieux.

DIANE.

730 C’est trop contre Diane exercer tes rigueurs.
A de moindres Vainqueurs
D’un éclat odieux laisse la gloire vaine ;
N’effarouche point d’autres coeurs,
Qui voudraient en secret porter ta douce chaîne.

L’AMOUR.

735 Je me rends : calme tes regrets ;
Tes voeux seront comblés, que tes craintes finissent ;
Les Amours quelquefois savent être discrets :
Mais de ma gloire au moins que ces lieux retentissent.

SCÈNE V et DERNIÈRE. L’Amour, Diane, Endymion, Troupe d’Amours, de Jeux, et de Plaisirs. §

L’AMOUR.

Formez les plus aimables jeux
740 Pour le Dieu de Cythère.

CHŒUR DES AMOURS.

Formons les plus aimables jeux
Pour le Dieu de Cythère.

L’AMOUR.

De ces tendres Amants favorisez les feux.

LE CHŒUR.

Formons les plus aimables jeux
745 Pour le Dieu de Cythère.

L’AMOUR.

L’Amour veut qu’en ces lieux tout conspire à leur plaire ;
De ces tendres Amants favorisez les feux.

LE CHŒUR.

Formons les plus aimables jeux
Pour le Dieu de Cythère.
On danse.

DIANE.

750 Dieu favorable,
Dieu secourable,
Dieu des Amants,
Que tes biens sont charmants !
Ta douce flamme
755 Bannit d’une âme
Le souvenir de ses tourments.
Si dans tes chaînes
Il est des peines,
Que de plaisirs
760 Succèdent aux soupirs !
Douceur extrême,
Bonheur suprême,
Tu vas plus loin que mes désirs.
Dieu favorable,
765 Dieu secourable,
Dieu des Amants,
Que tes biens sont charmants !
Ta douce flamme
Bannit d’une âme
770 Le souvenir de ses tourments.

L’AMOUR.

Régnez, Plaisirs, brillez dans ces Retraites ;
Tout s’embellit dans les lieux où vous êtes,
Volez jeunes Zéphyrs, faites naître les fleurs,
Enchantez les yeux et les coeurs.