SCARAMOUCHE PÉDANT
DIVERTISSEMENT Représenté par les Sieurs DOLET et LA PLACE.

M. DCC. XI.

APPROBATION. §

J’AI lu par ordre de Monsieur le Lieutenant Général de Police un manuscrit intitulé, Scaramouche Pedant et Arlequin Orphée, dont on peut permettre l’impression. A Paris ce 5. Septembre 1711.

PASSART.

PERMISSION.

VU l’Approbation du sieur Passart, permis d’imprimer. A Paris ce 5. Septembre 1711.

M. DE VOYER D’ARGENSON.

Registré sur le livre de la Communauté le 11 Septembre 1711. DE LAUNAY. Syndic.

De l’Imprimerie de G. VALLEYRE, rue S. Jacques, a la ville de Riom.

ACTEURS. §

  • SCARAMOUCHE, pédant.
  • LÉANDRE, écolier.
  • LE DOCTEUR.
  • COLOMBINE, fille du Docteur.
  • ISABELLE, fille du Docteur.
  • OCTAVE.
  • PIERROT, valet d’Octave.

PROLOGUE §

PIERROT annonce au Parterre la pièce nouvelle, et il le prie d’être favorable à Arlequin qui en est l’Auteur. Pierrot dit sur l’air de « Joconde ».

Arlequin vous donne aujourd’hui
Une pièce bouffonne,
Et quoi qu’elle vienne de lui
Elle peut être bonne :
5 Comme il est resté sans crédit
Il fait tout de sa tête ;
Heureux, s’il peut par son esprit
Remonter sur sa bête.
Scaramouche se joint à Pierrot, et après plusieurs jeux de théâtre, il dit ce couplet sur l’air : « Vous qui vous moquez par vos ris ».
Vous croyez régner cette fois,
10 Héros du Capitole,
Et qu’Arlequin est aux abois
Privé de la parole ;
Mais il a fait peindre sa voix
Pour soutenir son rôle.
Pierrot et Scaramouche dansent ; ce qui finit ce Prologue.

SCÈNE I. Octave, Pierrot. §

Octave arrive de Boulogne pour épouser Isabelle fille du Docteur qu’il a connu il y a fort longtemps. Il a pour rival Léandre écolier qui est aimé d’Isabelle ; Octave frappe à la porte du Docteur qui lui vient ouvrir, qui court embrasser Pierrot. Octave lui dit qu’il se trompe,et que celui qu’il salue n’est qu’un misérable valet ; le Docteur continue toujours à saluer Pierrot, et enfin Octave donne un coup de pied au cul de ce valet : le Docteur montre ce couplet, sur l’air : « Tout cela m’est indifférent ».

OCTAVE.

15 Je veux saluer ce laquais,
Pourquoi le trouvez-vous mauvais ?
Quand je lui fais la révérence
Ce n’est pas me mésallier ;
C’est le regarder par avance
1
20 Comme un apprentis Maltotier.
Octave témoigne au Docteur la joie qu’il avait d’entrer dans sa famille : le Docteur l’en remercie ; mais en même temps il a peur que sa fille Isabelle n’ait point de goût pour le mariage ; et il montre ce couplet, sur l’air : « Tu croyais en aimant Colette ».
Le mariage est une affaire
Qu’Isabelle a soin d’éviter,
Elle fera comme sa mère
Qui n’en a pas voulu tâter.

SCÈNE II. Octave, Pierrot. §

Le Docteur se retire, Pierrot contrefait tout ce qui vient de se passer dans cette scène. Octave se plaint d’aimer Isabelle et de n’en point être aimé, et il montre ce couplet, sur l’air : « Dirai-je mon Confiteor ».

OCTAVE.

25 Pour Isabelle mon amour
En mille endroits s’est fait connaître,
Et pour ses beaux yeux nuit et jour
J’ai soupiré sous sa fenêtre :
Elle se rit de mon ardeur,
30 D’autres chatouillent mieux son coeur.

SCÈNE I.I. Le Docteur, Isabelle et Colombine. §

Le Docteur dit en regardant Isabelle, qu’il la trouve fort changée, et qu’il croit que le sujet de ses pâles couleurs est l’amour. Isabelle lui répond ce Vaudeville, sur l’air : « L’amour me fait mourir ».

ISABELLE.

Votre raison est claire,
Mon teint est défleuri,
Pour me guérir, mon père,
Il me faut un mari.
35 L’amour me fait la la la,
L’amour me fait mourir.
Le Docteur s’informe de Colombine quel est l’amant d’Isabelle, et elle lui répond, sur l’air : « Tout cela m’est indifférent ».
Un écolier lui tient au coeur,
Un pédant cause ma langueur ;
Léandre est l’amant d’Isabelle ;
40 Mais s’il ne plaît pas a vos yeux,
Je vous promets, foi de femelle,
De les épouser tous les deux.
Isabelle avoue à son père l’amour qu’elle a pour Léandre, et elle lui déclare qu’elle abhorre Octave : le Docteur lui dit, qu’il va s’informer de la famille de Léandre, et qu’ensuite il verra à finir le mariage ; ce qui donne lieu à ce couplet.

SCÈNE IV. Léandre en écolier, Isabelle et Colombine. §

Léandre sort de la maison du Pédant avec des livres sous ses bras, et apercevant des femmes, il s’écrie comme s’il eût vu le Diable. Isabelle et Colombine se regardent, et se demandent le sujet qui la fait crier de la sorte ; et elles conjecturent qu’il n’a jamais vu de femmes ; ce qui donne lieu à ce couplet.
Léandre montre ce couplet, sur l’air : « Lampon ».

LÉANDRE.

Mon maître a fait un bouquet
Vous allez avoir le fouet,
45 Venir avec violence
Corrompre mon innocence.
Le fouet, le fouet,
Vous allez avoir le fouet.
Isabelle s’approche de Léandre et se met à ses genoux ; enfin Léandre qui ressent la puissance de l’amour, jette ses livres. Cette scène ne se peut décrire qu’imparfaitement, elle consiste dans un grand jeu de théâtre, c’est celle où le Sieur Dolet s’est surpassé, et tout Paris est convaincu qu’il y est inimitable. Les lazzi finis, Isabelle dit ce couplet, sur l’air : « De l’Inconnu ».
Pour vous Léandre aujourd’hui je soupire,
50 Abandonnez votre coeur à l’amour ;
Sans vous j’expire,
Si dans ce jour
Nous n’allons faire ensemble quelque tour :
Enlevez moi c’est ce que je désire.

SCÈNE V. Scaramouche, Léandre, Isabelle et Colombine. §

Scaramouche voyant Léandre baiser la main d’Isabelle, entre en fureur contre elle et contre son écolier ; et après plusieurs réprimandes à l’un et l’autre, il montre ce couplet, sur l’air : « Vous m’entendez bien ».

SCRAMOUCHE.

55 Nymphes dont les traits dangereux
Font partout tant de malheureux,
Chercheuses de pratique,
Hé bien,
Vous sentez l’Amérique,
60 Vous m’entendez bien.
Scaramouche montre ce couplet à Léandre, sur l’air : « Tout cela m’est indifférent ».
Fuyez la femme et ses appas
Croyez-moi, ne la voyez pas :
On est presque toujours la dupe
Des douceurs qu’elle fait sentir,
65 Plus on s’approche de la jupe,
Plus on est prêt du repentir.
Il lui dit encore sur le même air.
La femme ressemble aux ardents
Qui nous égarent dans les champs :
Elle brille, mais sa malice
70 Met qui la suit, en grand danger
De tomber dans un précipice
Dont on ne peut se dégager.
L’écolier représente à son Maître qu’il a tort de tant parler contre le sexe, et qu’il ne croit pas que les femmes soient si mauvaises, et qu’il a envie de voir l’Histoire des femmes illustres. Le Pédant lui répond sur l’air : « Quand Moïse fit défense d’aimer la femme d’autrui ».

SCRAMOUCHE.

Quoi vous voulez voir l’histoire
Des femmes de tous les temps,
75 C’est un ténébreux grimoire
Qui vous gâterait le sens.
Des hommes lisez la vie
Vous perdrez la sotte envie
De suivre l’affreux chemin
80 Qui conduit au féminin.
Le même dit, sur l’air : Allons gai.
La femme est venimeuse
Cent fois plus qu’un serpent,
Sa main est dangereuse
À celui qui lui prend
85 D’un air gai, etc.
Scaramouche remontre toujours à son écolier qu’il doit fuir les femmes, Léandre lui reproche qu’il en voit tous les jours. Ils conviennent ensemble que celui qui parlera le premier à des filles, aura vingt coups de bâton ; et cette convention faite, le Pédant se retire.

SCÈNE VI. Isabelle, Colombine et Cléandre. §

Ces deux filles viennent accoster l’écolier qui les rebute, et qui leur dit sur l’air De Joconde.

L’ÉCOLIER.

J’ai le pauvre cul tout en sang
Vous en êtes la cause,
Cherchez quelqu’autre courtisan,
De vous aimer je n’ose.
90 Mon maître et moi nous convenons,
Que qui verra la fille
Aura mille coups de bâton
Et quelques coups d’étrille.

SCÈNE VII. SCARAMOUCHE, ET LES Acteurs de la Scene precedente. §

Scaramouche voit son écolier parlant à des femmes, nonobstant la convention, il lui donne quelque coups de bâton, et l’écolier se retire et sa belle.

SCÈNE VIII. Scaramouche et Colombine. §

Cette scène est très divertissante, et jouée parfaitement par le Pédant, qui devient amoureux à son tour de Colombine. D’abord il lui donne un mouchoir pour cacher sa gorge ; mais incontinent il se laisse entraîner au pouvoir de l’amour. L’écolier survient qui voit le Pédant embrasser Colombine : il lui rend avec usure les coups de bâton ; ce qui finit la scène.

SCARAMOUCHE.

Couplet du Pédant en donnant le mouchoir à Colombine pour cacher sa gorge, sur l’air : « Morguienne de vous ».
Cachez votre
95 Soyez plus modeste,
Je n’ai pas dessein
D’en tâter, ni du reste,
Morguienne de vous,
Quelle fille,
100 Quelle fille,
Morguienne de vous,
Eh fis cachez vous.

SCÈNE IX. §

Octave vient donner une sérénade à Isabelle, le Docteur met la tête à la fenêtre et jette son pot de chambre sur la tête d’Octave qui se retire.

SCÈNE X. §

Scaramouche et l’écolier sortent chacun d’un côté, et n’osent se rapprocher que très doucement. Ils se demandent pardon des coups de bâton qu’ils se sont donnés.

SCÈNE XI. Scaramouche, Léandre, Isabelle et Colombine. §

Ces filles viennent trouver leurs amants, Scaramouche et Léandre les rebutent, et après plusieurs jeux de théâtre convenables dans cette scène, ils se radoucissent et conviennent de parler au Docteur pour conclure le mariage.

SCÈNE XII. Le Docteur, Isabelle, Colombine, Léandre et Scaramouche. §

Le Docteur arrive qui consent au mariage de Léandre avec Isabelle; et de Scaramouche avec Colombine, et on présente ce couplet. Léandre danse avec Isabelle, et Scaramouche avec Colombine, et les danses finies montre un couplet. Le Docteur danse une entrée grotesque, ce qui finit le divertissement du Pédant.