PAR MONSIEUR GILBERT,
Secrétaire des commandements de
La Reyne de Suede, & son
Resident en France.
Chez GUILLAUME DE LUYNE,
Libraire Juré, au Palais, en la Galle-
Rie des Merciers, à la Justice.
M. DC. LXIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Édition critique établie par Valérie Louchart dans le cadre d'un mémoire de master 1 sous la direction de Georges Forestier (2004)
Introduction §
Comme l’a si bien fait remarquer Eleanor J. Pellet1, Gabriel Gilbert n’est pour nous a priori qu’un dramaturge oublié de l’Histoire. Pourtant cet auteur semble avoir connu un certain succès au temps de Corneille, Racine et Molière. En outre, ses pièces de théâtre, représentées à l’Hôtel de Bourgogne, reflètent très souvent avec précision l’esprit de l’époque qui s’étend de 1640 à 1670. Nous tenterons donc ni plus ni moins de montrer l’intérêt de ressusciter cet auteur des abîmes du Léthé, à travers l’analyse d’une de ses pièces, Les Amours d’Ovide.
Cette dernière se distingue immédiatement des autres œuvres de Gilbert par l’ambiguïté de son titre : en effet celui-ci évoque explicitement l’œuvre d’Ovide intitulée Les Amours. Oralement, il est ainsi impossible de différencier l’œuvre du classique et l’œuvre du dramaturge du XVIIème. Ce procédé habile, qui repose sur l’ambivalence de la préposition « de », permet à Gilbert de jouer sur l’identité de l’auteur et ainsi de se présenter comme l’héritier du célèbre écrivain romain. On serait presque tenté – en risquant l’anachronisme ‒ de parler de « métalittérature », pour reprendre la notion de Genette. Ce jeu de mot savant en effet peut avoir été formé par l’auteur à l’intention des gens lettrés de l’époque mais aussi de ceux des siècles à venir. Ceci nous montre que Gabriel Gilbert ne concevait pas son art sans une certaine résonance à travers les siècles. Or une des caractéristiques d’un chef-d’œuvre littéraire – si tant est qu’on puisse en donner une définition exhaustive ‒ n’est-elle pas une certaine intemporalité, servie paradoxalement par diverses marques de temporalité ? Le titre évocateur de la pièce de Gilbert nous invite donc tout naturellement à procéder à un examen aussi minutieux et rigoureux que possible de l’œuvre elle-même, replacée dans tout le contexte historique, littéraire et social des années qui entourent sa date de publication.
Vie de l’auteur §
Il faut reconnaître que le nom de Gabriel Gilbert n’est à l’heure actuelle que très peu connu. Pourtant diverses sources attestent de son succès dans les années 1640-1670. Gilbert est mentionné en premier dans la liste établie par Lanson des « principaux auteurs de cette période peu étudiés ». Bédier et Hazard2 font également référence à cet auteur mais de manière générale, les allusions à Gilbert sont rares. On ne connaît d’ailleurs avec exactitude ni sa date de naissance ni sa date de décés. La date la plus ancienne que nous connaissons est à ce jour le mois de juillet 1640 : une lettre de Chapelain3 à Conrart4 y fait en effet référence, dans laquelle celui-là écrit : « Monsieur Gilbert eust bien souhaitté aussy que vous eussiés assisté à la représentation de sa Marguerite françoise… ». C’est lors de la première représentation de cette tragi-comédie, le 4 Juillet, que Gilbert fut introduit devant le public parisien comme dramaturge. La seule allusion de l’écrivain à son âge se trouve dans l’épître de L’Art de plaire des dames, dont le privilège a été accordé en Mars 1654 et dans lequel Gilbert fait allusion à « [sa] jeune Muse ». Comme l’explique Eleanor J. Pellet, on peut penser, selon toute logique, qu’il devait être âgé de vingt ans environ en 1640 et donc de moins de quarante ans quand il écrivit L’Art de plaire. La date de sa mort peut être présentée avec plus de précision : la publication de sa dernière œuvre, Les pseaumes en vers français, date de 1680 ; le premier permis d’imprimer est du 26 mai et l’attestation du 24, mais des additions ont été effectuées par Gilbert, comme en témoigne l’attestation du 23 juillet. Le second permis d’imprimer date du 25. Or l’attestation de l’addition du 23 juillet nomme l’auteur « feu M. Gilbert ». Il semble donc que Gilbert soit mort entre le 24 mai et le 23 juillet.
On considère généralement que Gilbert était de confession protestante5, mais nous ne disposons pas de preuves formelles à ce sujet. En outre, bien que le nom Gilbert soit commun en France, Eleanor J. Pellet affirme qu’il lui a été impossible de relier l’auteur à quelque famille que ce soit. Gilbert semble avoir reçu une très bonne éducation pour l’époque mais nous n’avons pas les moyens de savoir où il a pu l’acquérir. En effet, on sait que Gilbert avait appris le grec6 et sa connaissance de l’hébreu est attestée par la préface des Cinquante Psaumes (ce qui prouve que son œuvre n’est pas une nouvelle version d’une ancienne traduction mais bien une traduction).
La tragédie Sémiramis publiée en 1647 est dédicacée à la duchesse de Rohan ; or Gilbert écrit dans l’épître : « on sçavoit que j’avois l’honneur d’estre à vostre service ». Ce sont les premiers mots personnels de l’auteur. Cette dédicace est le fondement de la théorie selon laquelle l’auteur fut le secrétaire de la duchesse.
Cette théorie est d’ailleurs confortée par le fait que Gilbert rédigea l’épitaphe de Tancrède de Rohan. Ce dernier est le fils de la duchesse, il participa à la Fronde et fut tué à Vincennes à l’âge de dix-neuf ans. Sur l’ordre d’un décret du Parlement du 6 février 1646, Tancrède se vit interdit l’usage de son nom de famille7. Or les quelques vers de Gilbert représentent clairement le parti de la duchesse8 dans ce qu’on doit bien appeler « l’affaire Tancrède » :
Rohan qui combattit pour délivrer la France,Est mort dans la captivité :Son nom lui fut à tort, en vivant, disputé ;Mais son illustre mort a prouvé sa naissance.Il est mort glorieux pour la cause d’autrui ;C’est pour le Parlement qu’il entra dans la lice :Il a tout fait pour la Justice,Et la Justice rien pour lui.
En outre, il semble fort probable qu’un membre d’une fameuse famille protestante ait un secrétaire connu pour être protestant. Gilbert semble avoir servi la Duchesse jusqu’en 1657, date à laquelle il devint le secrétaire de la Reine Christine de Suède. On ne sait pas comment le dramaturge et poète la rencontra. Mais on sait qu’à l’époque « être appelé à la cour de Suède devenait le rêve de chaque poète français : Ménage, Scudéry, G. Gilbert, U. Chevreau, d’autres encore rimaient à qui mieux mieux en l’honneur de Christine »9.
Cependant Gilbert n’a probablement jamais servi la Reine en Suède même ; sinon le biographe de Christine, Arckenholtz, l’aurait sans doute mentionné ; or ce dernier fait référence à Gilbert en ces termes : « Gilbert devint son résident en France, où il l’étoit encore en 1657 » et « Le Sr Gilbert étoit résident de Christine auprès de la Cour de France à son arrivée à Paris ». En conclusion, Gilbert aurait été d’abord le résident de Christine jusqu’en 1657, puis son secrétaire. Goujet écrit d’ailleurs : « Il était attaché à la Reine de Suède, lorsqu’il donna en 1655 L’Art de plaire, qu’il dédia à cette Reine ». On doit noter également que Arckenholtz évoque une traduction de L’Art de plaire de Gilbert en anglais et écrit : « Le traducteur présume que l’Auteur de cette histoire a été autrefois au service du Marquis de Lavardin Ambassadeur de France à Rome, et ensuite à celui de Christine ». Lors de la « Cérémonie de la réception de Christine de Suède à Paris »10, un sonnet, intitulé Sur l’affection que sa Majesté porte aux Muses, fut écrit par un certain Sr G., il commence ainsi :
Etrange changement des fortunes du mondeApollon tout en feu passe aux glaces du Nord.
Ce poème fut sans doute récité devant Christine lors du 8 septembre 1656. La Reine quitta la Cour le 23 septembre et partit ensuite pour l’Italie. On peut penser que Gilbert ne resta pas en France en tant que « Résident », mais la suivit en Italie. En effet, une lettre de la Reine à la Comtesse espagnole Ebba Sparre, dans laquelle Christine invite cette dernière à venir à Pesaro, contient un madrigal de Gilbert. De plus Pesaro n’est pas très loin de Fano, qui est le décor de la pièce Le courtisan parfait. Il semble que Gilbert a été renvoyé en France dans le courant de l’année 1657 pour quelque mission diplomatique. Il est impossible de savoir si c’est à cette époque que Gilbert partit pour l’Angleterre et que ce soit dans le cadre de ce voyage que Ménage put raconter : « Les poëtes …ne sont pas natuellement fort hardis. M. Gilbert vouloit aller en Angleterre voir M. de Croissy qui y étoit alors notre Ambassadeur. Il fut un mois à Calais, ne trouvant jamais la mer assez calme pour hazarder le trajet. Tous les soirs il comptoit avec son hôte, mais dès qu’il étoit prêt à s’embarquer la crainte le prenoit, et il s’en retournoit à l’Auberge ». En 1660, Christine entreprit de rejoindre la Suède ; il est certain que Gilbert ne l’accompagna pas. D’après un madrigal adressé à la Reine que l’on trouve dans les Poésie diverses, Gilbert aurait servi Christine six ans :
En servant cette Reyne égale aux AmazonesJe n’auray pas perdu six ans :Car qui sçait donner des Couronnes,Sçait faire d’autres presens.
Le dramaturge mentionne encore en 1663 son statut de Résident sur la page de garde des Amours d’Ovide mais pas en 1664 lors de la publication des Amours d’Angélique et de Médor. De toutes évidences, Gilbert cessa d’être au service de la Reine dès son départ pour la Suède. À cette époque, Gilbert s’intéressait également aux productions littéraires parisiennes, aux dramaturges en vogue et aux comédiens célèbres. Le jeune poète lui retourna le compliment en écrivant un épigramme sur Endimion.
La carrière littéraire de Gilbert fut marquée de plusieurs ruptures : à trois reprises le dramaturge et poète devint totalement silencieux.
À partir de la représentation de Marguerite de France, six années très fécondes se sont écoulées : Gilbert écrivit quatre autres pièces de théâtre, deux tragi-comédies, Téléphonte et Rodogune, et deux tragédies, Hypolite ou le garçon insensible et Sémiramis. Il était très en faveur auprès de Richelieu qui lui aurait même fourni quelques vers de sa composition pour la pièce Téléphonte. Rodogune a été jouée l’année même où Corneille présenta sa pièce, Racine emprunta des idées à l’Hypolite de Gilbert pour Phèdre et la troupe de Molière joua nombre de ses pièces. L’auteur écrivit également une Ode à la Reine en 1643, adressée à Anne d’Autriche. Mais après ces années fastes où Gilbert semble être lié intimement aux figures de proue de la littérature de l’époque, l’auteur, qui avait la confiance du Cardinal Mazarin, se mure dans le silence dès 1648, comme la plupart des hommes de lettres, au moment de la Fronde qui opposa sous la Régence d’Anne d’Autriche le gouvernement de Mazarin aux Parlementaires puis aux princes menés par Condé. Eleanor J. Pellet considère que cette période de silence s’achève en 1657 avec la représentation de la tragédie Les Amours de Diane et d’Endimion. À cette date, en effet, le théâtre redevint le centre d’intérêt de Gilbert. Mais dès 1650, ce dernier publia le Panégyrique des Dames, œuvre en prose.
Puis en 1652, il écrivit des Vers liminaires intitulés A M. Beys sur ses Poésies, enfin en 1655 est publié L’Art de plaire, sur le modèle de l’œuvre d’Ovide. À partir de 1657, Gilbert connaît la période la plus féconde de sa carrière littéraire : il fait représenter trois tragédies, Arie et Pétus, en 1659, Les Amours d’Angélique et de Médor, en 1664 et Le courtisan parfait, en 1668, une tragi-comédie, Chresphonte ou le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, en 1659, une comédie, Les Intrigues amoureuses, en 1667, une pastorale héroïque, Les Amours d’Ovide, en 1663, plusieurs pièces perdues ou non publiées, comme La Vraye et fausse prétieuses, Huon de Bordeaux, Le Tyran d’Egypte, Théagène, Ero et Léandre. Gilbert écrivit aussi des poésies de toutes sortes telles que les Vers liminaires dans La Muse naissante du petit Beauchasteau, (Gilbert écrivit les Vers liminaires de l’œuvre intitulée La Muse naissante du petit Beauchasteau, écrite par le fils du comédien et de la comédienne Frédéric et Madeleine de Beauchasteau, tout deux membres de la troupe royale11), l’Ode à son Eminence, en 1659, et les Poésies diverses, en 1661. Ainsi, après la publication du Courtisan parfait, Gilbert semble avoir disparu de nouveau du monde des Lettres. En réalité, Le Courtisan parfait a été représenté dès 1665 et Les Intrigues amoureuses dès 1666 ; par conséquent la seconde période de silence de l’auteur débute en 1666. De nouvelles obligations en tant que secrétaire pourraient expliquer cette absence. Mais nous ne savons pas exactement pourquoi on n’entend plus du tout parler de Gilbert jusqu’en 1671.
À cette date, Perrin, qui introduisit le nouveau genre qu’était l’opéra, se tourna vers Gilbert. Il semble que ce dernier avait déjà composé pendant ces années d’absence Les Peines et les plaisirs de l’Amour. On sait que le rôle de l’héroïne fut assumé par la célèbre soprano Mademoiselle Brignolle, séduite par la charmante musique de Cambert12. En outre cet opéra eut suffisamment de succès pour conserver un moment dans les mémoires le nom de Gabriel Gilbert. D’après Eleanor J. Pellet, ce succès aurait été suivi de beaucoup d’autres si le monopole accordé à Lully par le Roi n’avait pas éliminé tous les concurrents potentiels. De nouveau, que ce soit en raison des alea de la célébrité, ou en raison de quelque intrigue de Cour, Gilbert se tut pendant dix ans jusqu’à la publication de sa traduction de cinquante psaumes en 1681. Ce dernier ne mentionna pas de raison particulière pour laquelle il aurait entrepris ce travail. Dans la Préface, l’auteur affirma vouloir fournir une version en français de ces textes sacrés afin que les croyants puissent communiquer avec le Ciel. Eleanor J. Pellet rapporte l’histoire selon laquelle Conrart aurait lui-même entrepris une nouvelle traduction des psaumes après une attaque de goutte. Il est possible ‒ mais cela peut être également faux ‒ que Gilbert ait connu la même aspiration à la contemplation religieuse que Conrart.
Bien que Gilbert ait connu un certain succès dans les années 1657-1666, on ne trouve que de rares allusions à sa personne ou à son œuvres. Loret le qualifie souvent de « docte » et lui fait un éloge particulièrement chaleureux dans sa notice sur Arie et Pétus : il loue
… la Plume immortelleDe l’excélent Monsieur Gilbert,Rare Ecrivain, Autheur expert,Qu’on prize en toute Compagnie,Et qui par son noble Génie,Poly, Sçavant, intelligent,De Christine est le digne Agent13.
Robinet le qualifie de « délicat » dans la lettre où il fait l’éloge d’Ero et Léandre, tout comme Chapelain14. Néanmoins ce dernier écrit aussi : « Il n’a pas une petite opinion de lui ». Le dictionnaire des Pretieuses de Somaize le qualifie de « bel esprit ». En raison de son succès, il est étonnant que Boileau n’ait rien écrit sur lui. C’est d’ailleurs la question que pose Boursault dans la Satyre des satyres :
D’où vient qu’il ne dit rien de cet Auteur galantQui compose à la glace et qui rime en tremblant ? […]C’est un Auteur galant …C’est G***.
Mais Boursault ne répond pas à cette question. Eleanor J. Pellet suppose qu’une amitié personnelle entre Gilbert et Boileau a pu inciter ce dernier à taire son opinion sur les œuvres de l’« auteur galant ».
Les dernières années de la vie de Gilbert semblent avoir été marquées par la misère. Chapelain mentionne notamment dans une lettre, que la Reine de Suède ne réglait pas les salaires de son « Résident » et secrétaire. Dans la préface des Amours d’Angélique et de Médor, Gilbert affirme avoir produit seize pièces de théâtre « sans en avoir tiré autre avantage que celui de les avoir présentées à ce que la France a de plus auguste et de plus éminent ». À cette époque, Gilbert fut recueilli chez lui par le protestant Hervart, contrôleur général des Finances. Tout comme La Fontaine, qui fut accueilli par Hervart quelques années plus tard, Gilbert mourut chez son hôte.
Gilbert semble avoir été moins démuni d’amis et de célèbres protecteurs que de ressources financières. Il jouissait du patronage du Roi, à qui il a dédié deux de ses œuvres, Les Amours d’Angélique et de Médor et les Poésies diverses, de celui du Duc d’Orléans, de Richelieu, de Colbert, de Mazarin, de Lionne et de Fouquet. Il fut également le protégé de nombreuses femmes de haut rang telles que bien sûr Christine de Suède, mais aussi telles que la Duchesse d’Aiguillon, la nièce de Richelieu, la Duchesse de Sully et de Rohan et la Grande Mademoiselle, la Duchesse de montpensier.
Les Amours d’Ovide §
Fortune de la pièce §
La pièce a été jouée d’après Loret le 1er juin 1663 à l’Hôtel de Bourgogne (cf. Le livre de la Muze historique, 2 juin v. 223-224). C’est donc cette date que reprend Deierkauf-Holsbœr dans Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne 1548-1680, t. 2), tout comme les frères Parfaict, dans leurs Mémoires et Pierre Mélèse dans le Répertoire analytique.
En outre, Blumenthal, dans ses mémoires parle des nuages portant les Grâces dans le ciel, c’est-à-dire des machines mises en œuvre par Gilbert, qu’il a pu observer lui-même lors de la représentation du 8 juin 1663. Aucune autre représentation n’est mentionnée nulle part.
La pièce de Gilbert a donc été créée par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne après les deux tragédies Nitétis de Melle Desjardins et la Sophonisbe de Pierre Corneille. Parallèlement, la troupe de Molière joua à partir du 1er juin La Critique de l’Ecole des Femmes. Les critiques de Donneau de Visé se déchaînerent sur Molière ; Visé écrivit et fit représenter alors Zélinde ou La Véritable Critique de l’Ecole des Femmes. Boursault s’attaqua aussi à Molière et écrit Le portrait du peintre ou La Contre-critique de l’Ecole des Femmes. À la demande de Louis XIV, Molière contre-attaqua avec L’Impromptu de Versailles, créé le 14 octobre à l’Hôtel de Bourgogne. Tout ce contexte de cabale peut nous laisser supposer que la pièce de Gilbert n’a pas fait beaucoup de bruit et s’est plutôt effacée devant la polémique concernant L’Ecole des Femmes.
Deierkauf-Holsbœr ne fait aucune allusion au succès de la pièce.
L’intrigue §
L’action se déroule en vingt-quatre heures, dans l’île de « Cypre », plus particulièrement dans les Jardins d’Adonis. L’unité d’action n’est, elle, pas tout à fait respectée car, comme le dit Lancaster15, d’une part plus de la première moitié de la pièce aurait pu être omise sans grande conséquence sur l’intrigue et d’autre part le fil de l’action n’est interrompu que par l’intervention merveilleuse d’un véritable deus ex machina.
Néanmoins les scènes sont toutes reliées entre elles et assurent la continuité de l’intrigue. La plupart des faits, qui par définition font avancer l’action, le drama, sont placés en arrière plan tandis que pour intéresser son public Gilbert met en avant les incessants débats entre les quatre personnages principaux.
En outre, conformément à l’allusion qu’y fait Loret, Gilbert semble avoir mis en œuvre des machines à plusieurs reprises. Des nuages devaient en effet descendre dans les airs durant le prologue et la dernière scène de l’acte V afin de transporter les Grâces, ainsi qu’à la fin de la pièce lorsque Corinne voient « de longs éclairs qui percent le nuage » et entend « dans les airs un son harmonieux » alors que descend « l’Amour dans le char de sa mère ».
D’après la classification de Lancaster cela ne suffit cependant pas pour qualifier la pièce de Gilbert de « pièce à machines ».
La pièce débute avec le prologue au cours duquel interviennent les trois Grâces, les « compagnes de Vénus, dont une seule est individuée, Talie. Celles-ci présentent le lieu, la situation, et les personnages principaux : Ovide, Corinne, Hyacinthe et Céphise sont à Cypre pour assister à des fêtes quinquennales qui célèbrent l’amour et les amants et au cours desquelles Vénus, l’Amour et elles-mêmes décernent un prix. En réalité deux prix seront décernés par la déesse de l’amour mais le prix adressé au meilleur amant n’est pas annoncé. Il constitue un rebondissement inattendu de l’action.
Le récit consiste ensuite en une invitation faite aux amants.
Acte I §
Scène 1 : Ovide, chevalier romain et amant de Corinne, avoue à Hyacinthe, amant de Céphise, qu’il éprouve des sentiments pour cette dernière. Il affirme l’aimer autant que Hyacinthe voire plus que lui ne l’aime bien que cette passion soit récente. Ils consentent pourtant à rester amis et conviennent dans ce but qu’ils ne doivent avoir aucune malveillance l’un envers l’autre. Après avoir fait avouer à Hyacinthe que Céphise ne cédait en rien à ses avances, Ovide affirme avoir offert à cette dernière, sans avoir essuyé de refus, son propre portrait caché derrière un miroir.
Scène 2 : Bien qu’Ovide lui ait demandé de rester discret, Hyacinthe laisse tout de suite entendre, en présence des deux femmes, qu’Ovide apprécie autant Corinne que Céphise. Corinne réplique qu’il ne peut exister qu’une seule maîtresse parfaite, que Hyacinthe décrit comme devant être la femme la plus belle et la plus accomplie. Céphise et Corinne récite alors un discours marqué par leur fausse modestie et leur mauvaise foi, selon lequel elles auraient toutes deux abandonner le prix à l’autre s’il n’y avait eu également en jeu la gloire de leur patrie. Ovide n’est pas dupe et les prévient que leur ambition se heurte à leur amitié ; Céphise oppose alors l’amour changeant d’Ovide à l’amitié solide qui les lie toutes les deux. Ovide leur dit avec franchise que leur amitié n’est que feinte et qu’elles se détestent en réalité l’une l’autre. Pour lui la solution est d’aimer ; il affirme qu’avant la fin du jour leur amitié disparaîtra. Il leur fait promettre qu’elles y réfléchiront, puis accepte d’accompagner Corinne à la fontaine.
Scène 3 : Céphise fait part à Hyacinthe de son admiration pour l’attitude attentionnée et galante d’Ovide à l’égard de Corinne, mais Hyacinthe lui laisse entendre que Corinne n’est pas la seule qu’Ovide aime. C’est l’occasion pour lui de rappeler qu’Ovide a laissé Julie pour Corinne et que depuis qu’il est à Amathonte, il en conte à plus d’une femme. Hyacinthe profite de cette entrevue pour vérifier si, comme lui a soufflé Ovide, Céphise garde derrière son miroir un portrait du chevalier romain. Céphise lui dit que le miroir est un présent du préteur, qu’elle a accepté par respect pour son père. Quand Hyacinthe découvre le portrait, Céphise affirme qu’elle ignorait sa présence.
Scène 4 : Céphise demande à Aminte d’aller chercher Ovide.
Scène 5 : Monologue de Céphise. Céphise veut se venger d’Ovide mais, étant donné que son père recherche l’appui de ce simple chevalier, elle ne peut le bannir. Elle décide donc d’exercer sa vengeance en lui ôtant une maîtresse.
Scène 6 : Céphise exprime sa colère à Ovide et lui demande si le portrait vient du préteur ou de lui. Ovide l’assure qu’il saurait être discret si elle voulait l’aimer. Il lui promet même d’abandonner ces amours romaines pour elle. Comme gage de son amour, Céphise lui demande d’abandonner seulement Corinne. Ovide décide d’écrire un billet, que Céphise exige de voir avant qu’il ne le fasse parvenir à Corinne.
Acte II §
Scène 1 : Céphise s’assure auprès d’Aminte que Corinne a reçu le billet et lui demande l’air qu’elle a eu à ce moment là. Elle lui demande également si elle a mis Hyacinthe au courant du tour que lui a joué Ovide ; celle-ci lui répond qu’elle en a parlé à Daphnis, le confident de Hyacinthe. Aminte interroge alors Céphise, curieuse de savoir lequel des deux hommes elle préfère, mais celle-ci la rabroue et affirme qu’elle ne veut pas se confier telle une faible amante.
Scène 2 : Corinne annonce à Céphise qu’elle a reçu un billet d’Ovide ; cette dernière feint de ne pas vouloir en savoir plus et, après que Corinne lui a lu, trouve le mot « fort peu galand ». Elle lui conseille même de se venger de lui. A la surprise générale, Corinne présente alors un second billet dans lequel Ovide avoue à Corinne avoir agi à la demande de Céphise et lui redonne son cœur. Les deux femmes décident de se venger du chevalier qui les a abusées toutes deux. Céphise propose de dissimuler leur colère et de lui demander tout bonnement de choisir entre elles deux.
Scène 3 : Ovide tente de se retirer en voyant les deux femmes ensemble, mais elles le retiennent. Elles le confondent, puis l’assurent qu’elles lui pardonnent, à la condition qu’il révèle sur-le-champ sa préférence. Ovide explique qu’il ne peut faire son choix avant de savoir laquelle des deux sera prête à l’aimer. Il les invite donc à se déclarer en premier. Mais pour Céphise, ce n’est pas aux femmes à faire la cour aux hommes. Ovide cède donc et promet d’aller visiter en premier dans son appartement celle qu’il aura choisie afin d’éviter un affront public à la seconde.
Scène 4 : Corinne pense qu’Ovide aime Céphise. Elle révèle alors à sa confidente qu’Ovide et elle avaient prêté des serments secrets. Elle avoue qu’elle l’aime malgré son caractère volage, et déclare que c’est la gloire qui pousse la femme à vouloir mille amants. Pour reconquérir Ovide, elle veut le « traiter mal », c’est-à-dire prendre un autre amant, Hyacinthe.
Scène 5 : Corinne se fait passer pour une messagère d’une « illustre beauté » auprès de Hyacinthe. Contre toute attente, celui-ci ne se montre pas impatient de connaître son identité. Tandis que Corinne se décrit implicitement, sans se nommer, Hyacinthe croit reconnaître les traits de caractère de Céphise. Corinne fuit alors, en avouant qu’elle se moquait de lui et qu’elle n’a rien à lui dire.
Scène 6 : Monologue de Hyacinthe. Hyacinthe n’est pas dupe et comprend que Corinne a essayé de le séduire. Il pense qu’il s’agit d’une ruse orchestrée par Ovide afin qu’il passe pour infidèle aux yeux de Céphise. Il attend la décision des Grâces et annonce qu’il se vengera d’Ovide si celui-ci « excite encore sa haîne ».
Acte III §
Scène 1 : Ovide croise Corinne qui l’accuse d’avoir rompu ses vœux. Ovide récrimine et, à la demande de cette dernière, lit ces serments qui se présentent sous la forme de six articles. Mais il oublie le sixième, ce que remarque aussitôt Corinne ; cet article stipule qu’elle doit toujours avoir sa préférence. Ovide jure que si elle perd le concours organisé par les Grâces, il se déclarera quand même pour elle, de même que si elle remporte la victoire sur Céphise.
Scène 2 : Ovide souhaite à Corinne de gagner le prix.
Scène 3 : monologue d’Ovide. Ovide avoue que seule Céphise règne sur son cœur ; celle-ci a en effet pour elle sa pruderie qui excite le désir d’Ovide. Contrairement à ce qu’il vient de dire à Corinne, il annonce qu’il suivra l’avis des Grâces.
Scène 4 : Hyacinthe vient rompre le lien d’amitié qui le liait à Ovide ; celui-ci se flatte d’être un trop grand rival pour l’amant de Céphise et lui conseille de ne plus rivaliser avec lui en vain. Tout en reconnaissant la renommée de L’Art d’aimer d’Ovide, Hyacinthe accuse le chevalier de n’être pas vertueux et de se montrer superficiel. Ovide, lui, accuse ceux qui veulent rendre les femmes vertueuses et, comme argument, affirme que même les femmes n’apprécient pas la raison. Pour Hyacinthe au contraire, la vertu est le plus précieux ornement des femmes.
Scène 5 : Ovide affirme qu’un vrai Romain soutient les vaincus et les malheureux. Maxime fait alors le récit du déroulement des jeux : Céphise a dansé, Corinne chanté en s’accompagnant de la lyre ; les deux ont ravi l’assemblée.
Scène 6 : Daphnis vient annoncer la victoire de Céphise. Ovide décide aussitôt d’aller rendre hommage à cette dernière, oubliant ses vœux pieux. Hyacinthe lui rappelle alors son engagement pour les vaincus, tandis qu’Ovide lui répond impudemment qu’un vrai Romain aime la plus parfaite et la plus glorieuse.
Acte IV §
Scène 1 : Contre toute attente, Corinne vient voir Céphise victorieuse … pour la consoler ! Selon elle, c’est par dépit que les Grâces ne l’ont pas couronnée et ont bien plutôt accordé la victoire à une femme qui ne les menacait pas par sa beauté. Elle déclare vouloir faire appel à la justice d’Auguste « pour convaincre les Grâces d’erreur ».
Scène 2 : Céphise est effarée par la vanité de Corinne, tandis que pour Aminte, il s’agit là d’un caractère bien romain.
Scène 3 : Ovide se déclare pour Céphise et affirme que Corinne n’a qu’à s’en plaindre aux dieux qui l’ont faite moins belle. Il affirme que les amants fidèles, qui pleurent ne sont plus à la mode. L’arrivée de Hyacinthe interrompt son hymne de la beauté.
Scène 4 : Ovide pousse Céphise à choisir entre Hyacinthe et lui mais celle-ci répond que c’est aux Grâces de se prononcer.
Scène 5 : joute verbale. Chaque amant se lance dans une grande tirade afin de défendre leur conception respective de l’amour. Ovide fait valoir qu’il a fait triompher l’amour à Rome et se déclare pour la satisfaction naturelle des désirs, qui évoluent en fonction de la diversité de la nature. Sa devise est celle-ci : « On doit aymer partout tout ce qu’on voit d’aymable », ou encore : « quand la nature change, il faut changer aussi ». A cela Hyacinthe réplique en disant qu’il existe autant de désirs différents que de beautés différentes et que chacune mérite de posséder un seul amant. Ovide répond que c’est limiter son plaisir que de choisir une seule beauté. Selon Hyacinthe, plusieurs désirs qui divisent un cœur s’affaiblissent eux-même, et « qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien ». De plus comment obéir à plusieurs amantes ? Ovide répond qu’on peut les aimer chacune à leur tour. Hyacinthe déclare que fuir la laideur n’est qu’un prétexte pour l’inconstant, d’autant que chez une femme l’esprit ne vieillit pas. Enfin il affirme que chacun ne doit aimer qu’une seule personne de même que chacun n’a qu’un cœur et qu’une volonté. Les trois Grâces remontent dans les cieux pour demander l’avis de Vénus.
Acte V §
Scène 1 : Stances de Céphise. La nymphe exprime combien peuvent s’opposer l’amour et la vertu. Elle avoue qu’elle aime Hyacinthe depuis longtemps mais que sa vertu l’obligeait à se taire : « c’est un grand mal que d’aimer sans le dire », dit-elle. Elle prie les dieux de faire couronner Hyacinthe afin de satisfaire à la fois son amour et son souci de gloire.
Scène 2 : Aminte annonce à Céphise que Hyacinthe a été couronné en croyant qu’il s’agit d’une déconvenue pour Céphise.
Scène 3 : Hyacinthe offre sa couronne à Céphise en l’assurant qu’elle reste libre d’accepter ou non son amour. Céphise se déclare à lui et lui offre et sa main et son cœur. Daphnis intervient pour annoncer qu’Ovide fait appel au jugement d’Amour, qui est d’après lui seul qualifié pour choisir le parfait amant, et qu’il veut être jugé à Rome. Or il veut emmener Céphise. Celle-ci tente de rassurer Hyacinthe en lui réaffirmant son amour et disant que la vertu est toujours victorieuse. Selon cette nouvelle héroïne, l’amour est plus fort que les lois des tyrans.
Scène 5 : Corinne révèle que le père de Céphise souhaite qu’Ovide épouse sa fille. Mais ce dernier considère « Hyménée » comme « le plus importun de tous les Immortels », qui rend fâcheux et jaloux et ne dure que trois jours. Hyacinthe promet de servir sa maîtresse et Ovide de prendre contre tous l’intérêt de Corinne qui veut remporter à Rome le prix qu’on lui a refusé à Cypre. Amour descend des cieux parmi les éclairs, dans le char de Vénus.
Scène 6 : Il fait venir du ciel Hyménée pour qu’il unisse Hyacinthe et Céphise des « liens plus doux que n’est la liberté ». Amour déclare alors solennellement que toute femme également est digne d’être aimée, que les amants ont le droit d’être libres, mais qu’Ovide doit savoir que la victoire revient aux plus constants et que « l’Hymen n’est pas fâcheux quand l’Amour est avec lui ».
Les sources §
Les sources auxquelles a recouru l’auteur sont diverses et variées ; on les présentera par souci de clarté dans l’ordre chronologique et en distinguant leur nature.
L’auteur a tout d’abord usé d’informations d’ordre historique qu’il a pu découvrir chez de nombreux auteurs de l’Antiquité. Ainsi le culte de Vénus dans l’île de Chypre était attesté par Athenæos, un auteur mentionné notamment par Thucydide dans La Guerre du Péloponnèse. Mais on trouve beaucoup plus de détails concernant les fêtes en l’honneur d’Adonis lui-même chez Platon (cf. Phèdre, 276 b) et surtout chez Théocrite (cf. en particulier l’idylle 15) : Platon évoque en effet la coutume selon laquelle des esclaves étaient chargés de semer des graines hors saison dans de petits vases et de les forcer, c’est-à-dire de les arroser d’eau chaude pour hâter leur éclosion, avant de les replanter dans les « Jardins d’Adonis ». Les fleurs ainsi cultivées étaient vite flétries ; elles symbolisaient la brève existence d’Adonis et désignaient proverbialement en grec tout plaisir illusoire ou fugace. Or ce thème correspond tout à fait à la problématique de la pièce, qui répond d’ailleurs en écho aux préoccupations des années 1650-1670 dans le domaine de l’amour.
Ovide fait lui-même référence aux Adonies, c’est-à-dire aux fêtes solennelles en l’honneur de l’amant d’Aphrodite, qui avaient lieu, selon lui, tous les ans dans l’île de Chypre. Il affirme que ce culte est d’origine phénicienne et s’est très vite répandu dans tout le monde grec (cf. Les Métamorphoses, X, v. 520-739). En outre, le nom qu’emploie Gilbert dans la pièce pour désigner l’île où se déroulent les cérémonies, « Cypre » au lieu de « Chypre » vient de l’adjectif « cypris », épithète de Vénus qui signifie « la Chypriote ». En effet, indépendamment d’Adonis, celle-ci était particulièrement vénérée à Paphos, dans l’île de Chypre. La première cité de Paphos fut en effet construite vers le Xème siècle avant J.-C. par les Phéniciens, puis colonisée par les Grecs qui célébrèrent la déesse de l’amour, identifiée à la déesse sémitique Ashtart et surnommée Paphia. La seconde cité aurait été fondée par le fils de Pygmalion, le sculpteur qui obtint de Vénus, grâce à sa piété, qu’une statue de femme qu’il avait lui-même crée fût douée de la vie et l’aimât en retour (cf. Les Métamorphoses, X, v. 244-298). Enfin, Gilbert fait à maintes reprises allusion aux réalités de l’Empire romain sous Auguste : par exemple, il fait référence aux gouverneurs des provinces romaines, appelés préteurs, ainsi qu’à la propre fille d’Auguste : son père lui fit d’abord épouser son neveu Marcellus, puis, à la mort de ce dernier, Agrippa, dont elle eut deux fils. De nouveau veuve en 12 avant J.-C., elle fut mariée par sa belle-mère Livie, épouse de l’Empereur, au fils de celle-ci, Tibère qui se voyait ainsi assurer le trône. Elle fut bannie par Auguste pour son inconduite et fut exilée dans l’île de Pandateria en -2, puis à Rhegium où elle mourut en 14. Ovide16 fut, lui, exilé en l’an 8 à Tomes, sous prétexte d’avoir fait preuve d’immoralité dans L’Art d’aimer dont les livres I et II avaient pourtant été publiés en l’an 1 et le livre III en l’an 3. L’Art d’aimer étant mentionné par Ovide lui-même, à l’heure où il parle de Julie (cf.v.205 et 314), celle-ci est sans doute déjà exilée, peut-être d’ailleurs pour avoir été l’une des nombreuses maîtresses d’Ovide. Il se peut qu’Ovide n’en parle pas par galanterie, mais il serait plus logique de penser que Gilbert lui-même a occulté cet aspect de l’Histoire, pour éviter d’assombrir l’image du héros galant.
L’auteur a également puisé dans l’Antiquité l’existence de célèbres personnages mythologiques. Ainsi de nombreux personnages présents ou cités dans la pièce portent un nom lourd de tout un passé mythique ; l’histoire de chacun d’entre eux est racontée par Ovide dans le livre X des Métamorphoses (X, v.163-219, v.504-559) ; c’est le cas d’Adonis, le fils de Myrrha, et l’amant de Vénus/Aphrodite, tué par un sanglier alors qu’il était parti seul à la chasse ; c’est en son honneur que Vénus a inauguré des fêtes rituelles tous les cinq ans. Hyacinthe est également un personnage célèbre de la mythologie : il fut aimé d’Apollon et se tua accidentellement alors qu’il s’entraînait au lancer du disque avec le dieu. De même, Gilbert évoque les Grâces, qui sont trois filles de Zeus formant le cortège de la déesse de l’amour, ainsi que le dieu du mariage, les nymphes, les vents Eole et Zéphyr. L’histoire de ces personnages célèbres est racontée en détails aux notes 4, 6, et 8 à 13 du texte.
En outre, de nombreux thèmes érotiques de la pièce sont fortement inspirés des œuvres d’Ovide. On peut à juste titre supposer que Gilbert connaissait bien Les Amours, Les Métamorphoses et surtout L’Art d’aimer. En effet c’est en référence à Ovide que Gilbert a écrit en 1655 L’Art de plaire. Dans cette œuvre Ovide décrit les moyens dont doivent user les hommes pour séduire les femmes (livre I), et garder la faveur de leur(s) maîtresse(s). Or les avis d’Ovide sont ceux là même que met en pratique le personnage de la pièce du même nom. On développera plus amplement ce thème didactique dans la partie IV, consacrée aux influences convergentes de l’héritage ovidien et de la mondanité galante dans les années 1650-1670 sur les personnages de la pièce de Gilbert. De manière générale, le dramaturge se base sur l’ensemble des œuvres d’Ovide pour dresser un portrait de l’écrivain qui corresponde au mythe que ce dernier avait créé de sa propre personne de son vivant. L’auteur fait ainsi justement allusion au succès de L’Art d’aimer qui fut publié à Rome entre 1 avant JC et 3 après J.-C. et fut considéré par les contemporains d’Ovide comme très libre de ton. Certes Ovide décrivait dans cet ouvrage didactique la société de son temps, encline au badinage et à l’oisiveté (désormais Auguste détient l’ensemble des pouvoirs entre ses mains ; la politique n’est plus le fait du peuple romain et c’est à cette époque que disparaît l’engouement pour les grands orateurs) ; mais le ton de cette œuvre fut trouvée trop libre par un certain nombre de ses contemporains. L’empereur exila d’ailleurs Ovide en Décembre de l’an 8 après J.-C. sous le prétexte de restaurer la moralité publique et de sanctionner ce poète trop licencieux. De plus Ovide décrit Rome comme la ville de l’amour. Dans la pièce, Ovide accorde la préséance à Chypre, par politesse ou par galanterie, au tout début mais reconnaît à la fin que seule Rome aurait été digne de les juger lui et Corinne, pour la simple raison que les critère de beauté et ceux de l’amour parfait de l’île sont complètement contraires aux leurs. Pour les amants galants, tels que Corinne et Céphise, Rome, qui symbolise Paris, est bien le seul port où ils peuvent trouver refuge et appui. Ovide écrivait : « […] la mère des Amours a fixé sa demeure dans la ville de son cher Enée ». Ovide affirme également dans son œuvre didactique que l’art est nécessaire pour conserver la faveur des ses conquêtes féminines : plutôt que des tours de magie, des filtres (cf. v.97-106), et à défaut d’argent, l’amant doit posséder un solide pouvoir oratoire ; or Ovide correspond au type même du séducteur galant doué d’un esprit affûté et usant d’une rhétorique amoureuse basée nottamment sur l’hyperbole, les antithèses, les jeux de mots, les métaphores « tendres » entrées dans la langue courante, la flatterie, et surtout l’enjouement si à la mode dans la deuxième moitié du XVIIe, mais que mentionnait déjà Ovide en parlant de « bon tempérament », de « paix » et de « badinage ». On pourrait dire que le personnage de Gilbert met exactement en pratique l’art d’Ovide. Enfin Ovide prônait en son temps les jeux de l’amour et les multiples conquêtes ; il invitait les jeunes gens à profiter de leur jeunesse, à « cueillir la fleur » avant qu’elle ne flétrisse (« carpite florem », les exhorte t-il. Cf. III, v.58-80).
Il faut également mentionner que l’égérie d’Ovide dans le recueil de poèmes Les Amours s’appelle Corinne, comme la maîtresse d’Ovide dans la pièce. Dans cette œuvre, Ovide affirme se rendre, face à la puissance du dieu Amour, et accepter d’écrire des élégies plutôt que d’entreprendre comme il le désirait une grande épopée. Il fait très souvent référence à son expérience personnelle, créant ainsi son propre mythe de son vivant et se faisant passer pour un Don Juan avant l’heure. De plus, la parenté entre l’œuvre d’Ovide et celle de Gilbert ne repose pas seulement sur des ressemblances thématiques mais aussi sur une écriture très semblable ; Ovide lui-même rapproche son œuvre de la comédie (I, 6, v. 74) et il faut bien reconnaître que Les Amours sont plus les fragments d’un discours sur l’amour que d’un discours amoureux ; en effet, bien que pendant des siècles on ait cru en la sincérité de l’auteur, le ressort le plus efficace de l’œuvre est la place de premier choix accordé par ce dernier au jeu, qu’il soit amoureux ou littéraire : Ovide n’a sans doute fait que parodié l’amour « courtois » et fidèle, et n’a sans doute jamais eu de femme appelée Corinne ; on peut vraisemblablement penser que celle-ci représente, derrière la figure de « la » femme idéale, la muse du poète, c’est-à-dire la poésie. Comme on le verra plus amplement dans la quatrième partie de l’introduction, la conception des relations amoureuses qu’Ovide décrit dans ses œuvres est très proche de l’idéologie galante qui se développe, sous l’influence de nombreux écrivains, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Comme le dit Montesquieu, dans « Spicilège » (in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, II, p.1270) :
De tous les anciens poètes, Ovide est celui qui a découvert les plus beaux secrets de la nature. Il instruit les hommes à pousser le soupir juste et les femmes à le recevoir, les hommes à prendre l’heure du berger et les femmes à l’offrir. Comme c’était l’homme du monde qui savait le mieux aimer et qui aimait le plus mal, il a si bien humanisé la vertu que la pudeur s’est trouvée d’accord avec la galanterie.
Montesquieu fait ici allusion à la profonde ambiguïté de la galanterie, que les œuvres d’Ovide dépeignent déjà en quelque sorte : tout en usant du discours « précieux » d’un amant transi, qui feint de se consoler en écrivant des élégies, l’homme galant se joue de cette conception morne et triste de l’amour.
On peut également observer des sources de la pastorale héroïque de Gilbert dans l’ensemble de la production littéraire du XVIIe siècle. L’auteur fait ainsi explicitement écho dans sa « pastorale héroïque » à toute la tradition pastorale qui a marqué fortement la première moitié du siècle. D’après J. Marsan, l’apogée de la pastorale s’est située autour des années 1624-1631. Les comédies pastorales, qui figurent la jonction des pastorales avec le classicisme, ouvrent la voie à des comédies moins bouffonnes et moins bruyantes que la farce. Elles sont au contraire toute de grâce et de délicatesse, doucement émouvantes et humaines. Elles ont toutes des intrigues qui reposent sur les jeux de l’amour et de la fortune, sur les angoisses des amants contrariés par des volontés étrangères ou mieux par leurs propres scrupules. Le mérite de la pastorale est d’avoir montré que la comédie était capable de quelque tenue et même d’une certaine élégance. Pour Hardy, auteur de très célèbres pastorales, ce genre « sait émouvoir plus doucement et peut joindre à ses invraisemblances une peinture fidèle des sentiments vrais ». Corneille a lui même affirmé : « celle-ci faisait son effet par l’humeur enjouée de gens d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence qui n’étoient que des marchands » (Théâtre, III, p.605). Entre 1620 et 1630, « elle est l’unique genre qui sur la scène française propose l’étude du coeur humain, le seul par conséquent qui malgré ses conventions puisse prétendre à quelque vérité », affirme J. Marsan ; puis pour faire d’une pastorale une comédie, il a suffit ensuite de remplacer les stances par les monologues plus classiques. À la fin du siècle, c’est l’opéra qui reprendra le flambeau de la pastorale. La pièce de Gilbert constitue donc un jalon dans l’histoire littéraire : elle se situe à égale distance de la pastorale et de l’opéra et elle représente une nouvelle sorte de comédie. En outre c’est en référence au genre de la pastorale qui a joué un rôle majeur dans l’étude des différents « arts d’aimer » que Gilbert a qualifié sa pièce de « pastorale héroïque ». La pièce de Gilbert présente un certain nombre de traits communs avec le genre de la pastorale. Son cadre bucolique, ce « séjour charmant » centré sur les « Jardins d’Adonis », n’a rien à envier à celui des pastorales de la première moitié du XVIIe siècle. De plus il s’agit de l’histoire de beaux bergers et de belles bergères - même si dans la pastorale ce n’est dû qu’à un déguisement de circonstance - qui ne sont pas cependant des « nécessiteux » selon les termes de d’Urfé, mais des gens de qualité n’ayant choisi « cette condition que pour vivre plus doucement et sans contrainte », c’est-à-dire s’adonner à tous les raffinements de l’esprit et du cœur ; c’est ce que veut dire Ovide, outre la connotation libertine, quand il affirme « l’habit que nous portons donne quelque licence » (cf. I, 1, v.81). Les personnages sont ainsi décrits alors qu’ils jouissent de cette oisiveté, cet « otium » dont parle Cicéron et qui consiste à ne pas se mêler de politique, soit des affaires du pays et des questions proprement matérielles. Ces personnages sont en contact avec des êtres relevant du merveilleux au XVIIe siècle, tels que des nymphes, des divinités, des demi-dieux de même que dans toute pastorale ; ils sont situés dans un contexte pacifié qui rappelle l’âge d’or. Ils forment des couples qui se font et se défont au gré de la Fortune, avant le triomphe de l’amour vertueux, représenté par le fils de Vénus, Cupidon, sur le désir charnel, symbolisé par Pan, le dieu des bergers d’Arcadie célèbre pour son appétit sexuel toujours insatiable, et le refus de l’amour, qui est le propre de Diane, déesse de la chasse ; en effet, dans Les Amours d’Ovide, bien que le personnage d’Ovide, le parangon de l’inconstance galante, soit le personnage largement dominant (c’est lui qui a le plus souvent la parole), Hyménée descend de l’Olympe pour consacrer le mariage de Céphise et de Hyacinthe, c’est-à-dire selon le code amoureux galant, la précieuse et le « pousseur de bons sentiments ».
Plus précisément, Gilbert s’inspire de L’Astrée d’Honoré d’Urfé ; il reprend surtout la double opposition Hylas/Silvandre – Stella/Diane qui devient l’opposition Ovide/Hyacinthe – Corinne/Céphise. En effet Hylas est le seul personnage de l’œuvre à prôner la théorie de l’inconstance (cf. I, VIII) ; il affirme ainsi :
Lorsque j’aime, je vais dépendant cet amas d’amour, et quand je l’ai tout employé au service de celle pour qui je l’avais amassé, il ne m’en reste plus pour elle. Et faut, si je veux aimer, que j’aille ailleurs chercher une nouvelle beauté pour faire un autre amas d’amour, si bien qu’en cela mon argent et mon amour se ressemblent bien fort. (III, VII)
Il entre d’ailleurs verbalement en conflit avec Silvandre, qui représente, lui, l’adoration mystique, tout comme Ovide et Hyacinthe se livrent à une sorte de joute verbale à la scène 5 de l’acte IV. De plus, Hylas et Stella avaient, tout comme le chevalier romain et la fière Romaine, passé un contrat secret qui les liait de manière assez superficielle (cf. III, IX). Hylas s’engage à donner la préférence à Stella, sans oublier de mentionner sa volonté d’être libre et de pouvoir « entreprend[re] d’aimer une dame » quand il n’a plus d’amour pour celle qu’il courtisait précédemment. Sa devise est :
Une heure aimer c’est longuementC’est assez d’aimer un moment.
La Fontaine considérait d’ailleurs que l’originalité de ce personnage galant anachronique, de ce défenseur du désir capricieux, de ce stratège amoureux en faisait « le véritable héros du roman ».17 En outre il faut noter que Gilbert s’est sans doute inspiré du portrait caché derrière un miroir présent dans la deuxième partie de l’œuvre de d’Urfé, et au livre IV, qui est identique à celui que décrit Ovide au tout début de la pièce et qui suscite le dépit de Hyacinthe. Par ailleurs, Hylas, bien que sincèrement amoureux de Florice, dont les parents souhaitent le mariage avec Téombre, refusent de l’épouser, de la même manière qu’Ovide refuse d’épouser Céphise.
Dans la pièce de Mareschal, L’Inconstance d’Hylas, l’auteur reprend ce qui est désormais un type (et a donc toute sa place dans une comédie), à savoir cet inconstant dont le public ne se lasse, qui représente la gaîté, et comme le sourire de toutes les pièces. Celle-ci fut d’ailleurs un triomphe. Hylas est un jeune homme « insouciant, pimpant, léger, toujours en quête de nouvelles victoires, suivant le rire aux lèvres les joyeux chemins de la vie et séduisant surtout peut-être par ses défauts », selon les propos de J. Marsan. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ressemble fort à son cadet Ovide.
En outre, Gilbert a sans doute beaucoup étudié, comme tous les auteurs dits « galants », le roman de Mademoiselle de Scudéry, Clélie. Les Amours d’Ovide présentent certains points communs flagrants avec cette œuvre qui est moins éloignée de l’esprit galant que L’Astrée. Dans le roman, l’équivalent d’Hylas, qui n’était qu’un marginal chez Honoré d’Urfé, devient un maître à penser et suit ainsi l’évolution des mœurs. Il faut bien avouer que dès 1657, comme le dit J-M Pelous18, Melle de Scudéry dépeint le conflit de deux morales amoureuses symétriques représentées d’un côté par Térame, de l’autre par Mélicrate. Une des maximes de Térame ressemble fort aux convictions d’Ovide :
I. Il faut aimer tout ce qui paroist aimable, pourvu qu’il y ait quelque apparence de trouver plus de plaisir que de peine à la conqueste que l’on veut faire.
On peut citer encore comme une œuvre « phare » ayant inspiré Gilbert la comédie de Thomas Corneille L’Amour à la mode, qui date de 1651. Tout au long de la pièce, le jeune Oronte donne à son valet Cliton une série de leçons sur le nouvel art d’aimer que représente la galanterie. Ces principes sont simples : « il faut prendre le contre-pied de l’éthique romanesque, être inconstant, infidèle, insincère »19. La coquette Dorothée est la maîtresse du galant Oronte, n’a que mépris pour Eraste, l’un de ses soupirants, qui a le défaut infamant d’aimer à l’ancienne mode.
De l’avis de Lancaster, Gilbert a repris également certains aspects de sa tragédie intitulée Les Amours de Diane et d’Endimion, représentée en 1657 ; on peut citer surtout le lieu où se déroule l’intrigue et l’emploi de machines pour faire apparaître dans le champ de l’action dramatique des êtres venus des cieux.
Les divers arts d’aimer §
Symbolique de chaque personnage de la pièce §
À partir de 1650 environ, apparaît dans les cercles mondains de la capitale une nouvelle conception des relations amoureuses qui tranche avec l’idéologie du « Royaume du Tendre ». Comme l’affirme l’abbé d’Aubignac dans son Histoire du Royaume de coquetterie, en 1655, « le pays de Tendre n’est plus qu’un petit canton isolé de l’Empire amoureux où une poignée de fidèles s’enferment dans un culte nostalgique ». Le début du règne de Louis XIV coïncide avec l’avènement d’une approche plus riante et plus libre de la quête amoureuse. D’après J-M Pelous20, « l’itinéraire qui passe par Constance, Soumission, Obéissance et autres lieux semblables, dont on pouvait croire jusqu’alors qu’il était le grand chemin de l’amour, sera de plus en plus délaissé au profit d’autres routes plus avenantes ». Ainsi, le caractère vertueux et sévère des amants de l’époque précédente est considéré comme suranné. Un sentiment d’agacement est perceptible dans l’opinion mondaine vis-à-vis de grandes et exceptionnelles vertus qu’elle ne se sent plus l’envie d’imiter.
La caractéristique majeure de la Galanterie naissante est de se développer négativement, par rapport à une ancienne manière d’aimer qu’elle tourne désormais en ridicule. J-M Pelous parle ainsi de « schisme galant ». C’est la raison pour laquelle, les œuvres qui fustigent la timidité des amants de jadis sont très nombreuses : « il est de bon ton de moquer leurs lenteurs larmoyantes et l’excessive soumission qui les paralyse »21.
Il faut ajouter qu’il existe un lien étroit entre la diffusion de ce nouvel « art d’aimer » galant, qui prend justement Ovide pour exemple et précurseur, et l’état d’esprit qui règne à la Cour, dans l’entourage immédiat du roi. Les grands seigneurs aux mœurs assez libres, tels que Vardes, Guiche, Villeroy, ou Lauzun font tour à tour figure de favoris. Le roi lui-même s’émancipe et semble disposé à jouir librement des plaisirs de la vie. L’existence que les nobles mènent à la Cour est toute faite de bals, de carrousels, de divertissements variés et d’intrigues amoureuses, sous la houlette du Duc de Saint-Aignan. Mais cette « jeune » cour se heurte à l’hostilité véhémente d’une « vieille » cour, fidèle aux principes de l’amour « courtois » dont le Royaume du Tendre était l’héritier, et désapprouvant fortement cette nouvelle conduite qu’elle a tôt fait de qualifier de « licencieuse » ou d’« impie ». Cet antagonisme est si marqué qu’il explique une grande part des cabales qu’a subies Molière, à propos de Tartuffe mais aussi des Précieuses Ridicules ou encore plus tard de Dom Juan. Tant que le roi soutiendra cet idéal galant, il pourra s’affirmer sans avoir trop à craindre les critiques ; néanmoins, même après que la galanterie se fut bien implantée dans les mœurs parisiennes, l’opinion et le roi ne purent jamais cautionner vraiment le libertinage le plus effronté, d’où certaines disgrâces retentissantes. En effet les hérauts de cette évolution soudaine de la conception des rapports amoureux ne peuvent faire encore l’économie d’un certain respect, fût-il de pure forme, vis-à-vis de l’être aimé.
Les partisans de l’art d’aimer galant commencent à affirmer de manière schématique que sous Louis XIII, les hommes et les femmes aimaient encore à l’ancienne mode tandis que leur nouvel art d’aimer est l’apanage du siècle du roi Soleil ; la galanterie tend même à devenir une affaire nationale, une prérogative des Français. La première des Loix de la galanterie de Charles Sorel posait déjà en 1644 ce principe :
Nous, Maistres souverains de la Galanterie, (…) avons arresté qu’aucune autre Nation que la Françoise ne se doit attribuer l’honneur d’en observer excellemment les préceptes, et que c’est dans Paris, ville capitale en toutes façons, qu’il en faut chercher la source.22
Tous les auteurs galants annoncent donc à partir de 1650 l’apparition d’une ère nouvelle, et même un retour à l’âge d’or, qui fait succéder, dans les intrigues amoureuses, l’épanouissement à la contention, la joie d’aimer aux souffrances qu’enduraient les martyrs de l’amour, l’immoralisme galant au puritanisme tendre.
Mais en réalité, de 1650 à 1670, on ne cesse d’annoncer la fin d’un ancien amour qui renaît à chaque fois de ses cendres ; les deux arts d’aimer vont cohabiter longtemps. Comme le dit J-M Pelous, « au ʺmonismeʺ de la tradition romanesque l’ère galante substitue un ʺdualismeʺ qui durera autant que la galanterie elle-même »23. La galanterie n’impose en effet que lentement sa philosophie de l’amour qui proclame que l’inconstance joyeuse n’est pas incompatible avec l’élégance la plus raffinée. L’esprit galant est un compromis entre une certaine liberté d’allure et de langage et les exigences de la politesse mondaine. Si le Royaume du Tendre est mis au ban des salons et des « ruelles », les galants vont se heurter néanmoins, dès la naissance de la galanterie, aux Précieuses : même si à partir de 1650 environ le scepticisme galant devient l’idéologie dominante en matière amoureuse, ces dernières continuent d’incarner un art d’aimer triste et rétrograde qui équivaut presque à un refus de l’amour. Elles reprennent à leur compte la foi en la vertu de la femme, c’est-à-dire, la croyance que le fait d’éconduire « sévèrement » tout prétendant, en ne lui laissant plus comme marge de manœuvre que de se lamenter et de consumer ses jours « dans la mélancolie d’une servile adoration »24, est la source de la gloire féminine. « Apologistes attardées du vieux système tendre, elles entrent en contradiction avec la tendance dominante de la sensibilité de leur temps ». Ainsi la même opposition reparaît constamment dans la littérature sous les formes les plus diverses. Jusqu’à la résurrection d’Ovide par Gilbert, Hylas reste « le porte-parole le plus autorisé de l’hérésie galante »25. Il se crée une littérature marginale qui coexiste à la grande littérature et revendique une dignité qui lui sera par la suite refusée en raison de sa frivolité. En effet, la plaisanterie et l’humour font partie intégrante de la littérature galante, ce sont là les ficelles de la rhétorique de tout héros galant. Entre 1650 et 1670, s’installe un modus vivendi entre le badinage galant et les autres modes d’expression littéraire ; la « fine raillerie » qui caractérise la galanterie est considérée comme ce qu’il y a de plus rare et de plus accompli dans les ouvrages de l’esprit. Cette excellence de l’ « enjouement », terme majeur de la dialectique galante, n’est remise en cause qu’à partir de la découverte de Longin par Boileau et des attaques de Méré contre Voiture, ce dernier étant reconnu comme le premier et le plus grand écrivain galant du siècle par tous ses disciples. Dans le dictionnaire de Richelet de 167926, au mot « original » qui a pour définition « qui est le premier par l’excellence en une sorte de choses », on peut lire comme exemple, « Voiture est l’unique original des choses galantes ».
Tout ce contexte littéraire et mondain sous-tend Les Amours d’Ovide de Gilbert. C’est pourquoi il est intéressant de montrer précisément, en se basant toujours sur la pièce elle-même, comment les quatre personnages principaux, Ovide, Hyacinthe, Corinne, et Céphise, représentent avant tout des types caractéristiques de l’époque, qui symbolisent à merveille chacune des attitudes possibles vis-à-vis de l’amour, que recensaient les salons mondains entre 1650 et 1670. En d’autres termes, Les Amours d’Ovide apparaît comme une casuistique amoureuse. Mais de ce point de vue, l’œuvre de Gilbert n’est pas seulement le parfait reflet de son époque et de ses interrogations ; en elle convergent sans aucun doute les deux influences des cercles mondains et du corpus ovidien. Il s’agit de démontrer que toute l’originalité de la pièce réside dans « l’alliage » délicat de ces deux substrats et que les œuvres d’Ovide présentaient déjà, pour ainsi dire, une idéologie érotique très proche de la galanterie du XVIIe siècle sans toutefois présenter une typologie aussi schématique que celle des divers traités d’amour du XVIIe siècle et sans employer évidemment le terme « galant ». En d’autres termes, on montrera que les enseignements galants, en matière amoureuse, de celui qui se considérait comme « le précepteur de l’amour libertin »27 ont été reçus comme tels par le XVIIe siècle.
Tout d’abord le personnage central, Ovide, représente avec brio et précision le parfait homme galant tel que le concevaient les contemporains de Gilbert ainsi qu’Ovide bien des siècles auparavant qui se dépeint comme le prophète de l’amour. Le chevalier romain ne se contente plus, au début de la pièce, de sa maîtresse romaine, Corinne et avoue à Hyacinthe qu’il a des sentiments pour Céphise (cet aveu n’est pas étonnant dans la mesure où, d’une part selon la déontologie galante, l’indiscrétion est presque devenue un devoir, et d’autre part Hyacinthe aime lui-même Céphise, ce qui rend l’entreprise d’Ovide d’autant plus « hazardeuse » et d’autant plus excitante). En réalité, comme nous l’apprend plus tard Céphise, Ovide « en [a] cont[é] » à plus d’une depuis qu’il est dans l’île. Ovide se dit le plus pieux serviteur du dieu Amour et conformément à cette mission qu’il dit vouloir assumer en tous temps, il est toujours prêt à céder aux circonstances qui lui font rencontrer des futures conquêtes. Selon lui, il ne fait que s’adapter aux aléas de la vie et se montre simplement disponible ou ouvert d’esprit. Il affirme ainsi :
Et tout homme galant malgré vos feux constants,Veut ce que veut l’Amour et s’accomode au temps (III, 6, v. 1005-1006).
Néanmoins, il ne faut pas être dupe de ses manœuvres – qui sont plus verbales que pratiques ; Ovide ne se contente pas de laisser faire la Fortune, il recherche sans cesse le changement ; c’est d’ailleurs pour cela que Céphise lui plaît :
Céphise a pour me plaire une grace nouvelleEt ce qu’elle a d’aymable avec la nouveautéEst un charme assez grand pour en estre tenté (III, 3, v.752-754).
Dans L’Art d’aimer, Ovide emploie des termes très explicites qui analysent en quelque sorte le psychisme de l’inconstant et qui correspondent exactement à celui du personnage gilbertien :
… on trouve toujours du plaisir à une volupté nouvelle, et … l’on est plus séduit par ce qu’on n’a pas que par ce qu’on a …. La moisson est toujours plus riche dans le champ d’autrui, et le troupeau du voisin a les mamelles plus gonflées. ( I, v.348-351)
Sur la scène, il est vrai qu’il n’essaye de conquérir que la nymphe Céphise ; cette situation est directement inspirée du poème 10 du livre II des Amours dans lequel Ovide parle seulement de deux femmes :
Oui : j’aime deux femmes à la fois et j’en rougis. Toutes deux sont belles ; elles sont également préoccupées de leur élégance et il est difficile de dire si c’est la première ou la seconde qui a le plus de talents. La première est plus jolie que la seconde, mais de son côté, la seconde est plus jolie que la première. C’est tantôt la première, tantôt la seconde qui me plaît davantage. Mon cœur, tel une légère barque à voiles poussée par des vents opposés, flotte incertain entre ces deux amours qui se le partagent. (v. 1-10)
Néanmoins, Ovide évoque lui-même une liste de conquêtes féminines à la scène 3 de l’acte IV. On pourrait dire qu’il aime « la » femme et non les femmes, ce qui sous-entendrait qu’on peut les dénombrer ; c’est la raison pour laquelle il ne peut absolument pas choisir entre Céphise et Corinne : le galant est confronté à l’aporie la plus complète quand les deux femmes, qui en sont conscientes, se liguent contre lui pour le sommer de se déclarer pour l’une d’entre elles (cf. II, 3)
Au XVIIe siècle, la croyance selon laquelle le cœur de celui qui aime et l’âme qu’il contient passaient tout entiers dans la personne aimée par la grâce de quelque don mystérieux était universellement répandue. Réciproquement, la place laissée vacante par cette transfusion d’âme, sans doute en vertu du principe qui veut que la nature a horreur du vide, se trouve remplie par l’image de l’être aimé, qui n’est pas virtuelle mais pour ainsi dire matérielle. « L’amant dépouillé de lui-même est hanté par ce simulacre qui s’insinue en lui »28. Or, bien loin d’être arrêtés par ce fait quasiment considéré comme scientifique, les galants parviennent à défendre leurs positions en affirmant qu’un amant galant a un cœur plus vaste, une capacité d’aimer plus importante et peut tout à fait « se donner » à plusieurs femmes en même temps. Ovide explique tout bonnement aux deux femmes qu’il peut remplir le rôle de deux amants en même temps. Ovide se vante ainsi à la scène 2 de l’acte II :
Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble,Et j’ayme plus moi seul, que deux constans ensemble ;Je sçay m’accommoder à divers sentimens,Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans
Pour pouvoir à loisir jouer le rôle de deux amants, minimum, Ovide met en œuvre toute une stratégie de séduction. Comme l’écrivain romain, il considère que « faire l’amour » ressemble fort au service militaire : l’amant, comme le soldat, est « d’astreinte » tous les jours, obéit uniquement à son chef, c’est-à-dire au dieu Amour, connaît des victoires et des défaites, doit être endurant et patient, et faire preuve à chaque instant d’héroïsme. Se consacrer à ses maîtresses est en quelque sorte un service rendu à la société. Au livre II de L’Art d’aimer, Ovide s’adresse ainsi aux jeunes gens :
[…] bientôt de son pas silencieux, viendra la vieillesse qui vous courbera. Fendez la mer de vos rames, ou la terre de votre charrue, ou bien chargez vos mains belliqueuses d’armes meurtrières, ou bien consacrez aux femmes votre vigueur virile et vos soins. Ce dernier parti est aussi un service militaire ; Ce dernier parti rapporte aussi des richesses. (v. 670).
Tout d’abord, l’attitude même du personnage est toujours savamment maîtrisée et calculée : il prend soin d’être à tout moment d’humeur charmante et de ne rien dire qui puisse être désobligeant pour une femme. Alors que les deux femmes lui demandent de se déclarer en faveur d’une d’entre elles, il rétorque :
Si je preferois l’une en presence de l’autre,Et si j’osois luy faire un affront* esclattant,Je serois incivil* pour paraistre constant (v. 530-532).
Il loue ce qu’il appelle la « civilité » des constants, et l’oppose au caractère méprisant des constants (cf. v. 1204-1210). Pour Ovide, il est bien plus grave de manquer de respect à Corinne en paroles que de la tromper, « en actes », avec Céphise. C’est pour cette raison qu’il ne se résout pas à envoyer un billet à Corinne qui lui apprenne l’évolution de ses sentiments :
Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy,Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage. (v. 332-333)
Or être constamment d’humeur agréable est précisément un conseil qu’Ovide donne aux amants dans L’Art d’aimer :
Ce qui gagne surtout les cœurs, c’est une adroite condescendance : la rudesse engendre la haine et les guerres cruelles. […] Loin de nous les discussions et les combats d’une langue mordante : de douces paroles, voilà l’aliment du tendre amour. […] l’amie, elle, doit toujours entendre les mots qu’elle souhaite […] Présente-toi avec de tendres caresses et des mots qui charment l’oreille (II, v. 145-177).
Ce « bon tempérament », selon l’expression d’Ovide, doit aussi s’exprimer à travers de nombreux compliments ; c’est une leçon de comédien que le personnage galant de Gilbert est loin d’avoir oubliée :
Il te faut jouer l’amant, et dans tes paroles, te donner les apparences d’être blessé d’amour […] c’est le moment de gagner furtivement les cœurs par des mots caressants … N’hésite pas à louer le visage, les cheveux, les doigts fuselés et le pied mignon. (I, v.605-612).
De même, Ovide met en pratique la recommandation de l’écrivain romain d’avoir la promesse facile ; pour conquérir Céphise par exemple il n’hésite pas à lui promettre d’abandonner ces autres maîtresses dans l’île pour elle, alors qu’il sait bien qu’il n’en fera rien. Le héros galant n’est à la recherche que du plaisir, qui ne va cependant pas sans une certaine courtoisie, certes de mauvaise foi et purement formelle. C’est pourquoi, il ne se contraint absolument pas à respecter ces promesses. Il promet ainsi à Corinne de venir la soutenir après le concours, même si elle échoue, et au lieu de cela, il s’empresse de rejoindre Céphise. Alors que Hyacinthe lui rappelle cet engagement, Ovide s’en sort avec une pirouette, qui démontre en outre que le cœur et l’âme d’un galant ne battent pas à l’unisson :
HIACINTE.Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne,Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux.OVIDE.Il est d’un vrai Romain, & d’une ame genereuse,D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse (v.1000-1004)
Comme le dit Ovide, ses serments faits à maintes reprises devant les dieux ne comptent pas :
… promets hardiment : ce sont les promesses qui entraînent les femmes ; prends tous les dieu à témoins de tes engagements. Jupiter, du haut des cieux, voit en riant les parjures des amants et ordonne aux autans, sujets d’Eole, de les emporter et de les annuler.
Comme le conseille également Ovide, le personnage de Gilbert prend soin d’occuper tout son temps selon le bon vouloir de sa maîtresse ; comme le dit Céphise, il « fait [toujours] fort l’empressé » vis-à-vis de Corinne, et la mène par exemple où elle le souhaite à l’acte I. On peut citer en regard ce passage significatif de L’Art d’aimer des « deux » Ovide :
Se lève -t-elle, lève-toi, tant qu’elle reste assise, reste assis ; suivant la volonté de ta maîtresse, sache perdre ton temps. (L’Art d’aimer, I, v.500-502)
Enfin, L’Art d’aimer d’Ovide mentionne aussi que l’amant doit savoir se faire un ami d’un rival, afin de feindre d’instaurer une relation d’amitié, qui pourra se révéler avantageuse par la suite. Or l’amitié entre Ovide et Hyacinthe est justement le thème de la première scène de l’acte I et c’est en vertu de cette relation qu’Ovide parvient à obtenir des confidences de Hyacinthe. Ovide décrit à merveille cette stratégie machiavélique au livre I :
Désire plaire également à l’amant de ta belle ; il vous sera plus utile, devenu ton ami. Si le sort t’accorde la royauté du festin, cède-lui cette royauté ; donne-lui la couronne posée sur ta tête ; même s, i par sa place au festin, il est ton inférieur ou ton égal, laisse le toujours se servir avant toi et en néglige pas de dire comme lui. C’est un moyen sûr et fréquent de tromper en se cachant sous les dehors de l’amitié… (v.577-587).
Outre les moyens employés pour séduire, Ovide reprend strictement à son aîné, certains arguments par lesquels il justifie l’inconstance, tout comme il avance des raisons conformes à l’idéologie galante : en premier lieu, il affirme ainsi que « les amoureux transis ne sont plus à la mode » (IV, 3, v. 1085) ; or on a vu qu’au XVIIe siècle, toute la légitimité de la galanterie est fondée sur le caractère suranné et par conséquent ridicule du modèle tendre. C’est là justifier l’inconstance de manière négative, en rejetant son contraire et non pas en la valorisant pour elle-même. Mais déjà sous l’Empire d’Auguste Ovide se considère comme le parangon d’un nouvel art d’aimer qui se déploie dans les milieux mondains désoeuvrés par l’accaparement des pouvoirs par Auguste. Dans les deux cas, l’inconstance galante présente une dimension millénariste. D’ailleurs Gilbert emploie plusieurs fois l’expression d’âge d’or. En second lieu, Ovide, comme tous les galants de l’époque, fait également appel au vieux phantasme qui consiste à suivre la nature en toutes choses. Un long passage est consacré à cet argument (cf. IV, 5) ; Ovide y décrit les femmes telles des champs qui changent de couleur avec la lumière (on pourrait presque penser aux meules de foin de Monet qui méritaient toutes elles aussi que le peintre les immortalise quelque fût la luminosité et l’heure de la journée) ou les saisons :
Il faut dans les desirs imiter la nature,Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture,Et par ses changements & ses diversitez,Fait briller à nos yeux differentes beautez.L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace,L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint délicat,L’une a de l’agrément, l’autre beaucoup d’éclat,Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place,L’une a la majesté, l’autre a la bonne graceL’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat,L’une a de l’agrément, l’autre beaucoup d’éclat,Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le MondeLa belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ;Mais jusques à present nul n’a peu decider,Entre tant de beautez laquelle doit ceder.Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est raisonnable,On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’aymable (v.1187-1200)
Cet argument est naturellement en vogue dans la deuxième moitié du XVIIe siècle ; on le trouve par exemple formulé de manière toute scientifique dans une œuvre de P. B. Lamy intitulée La Rhétorique ou l’Art de parler :
Ce n’est pas le seul caprice qui rend la variété nécessaire : la nature demande le changement […] Dans toutes les actions la diversité est nécessaire ; parce que le travail estant partagé, chaque partie d’un organe est moins fatigué29
Mais la source la plus manifeste de ce passage est un extrait de l’ouvre d’Ovide, Les Amours, dans lequel l’auteur décrit longuement, de la même manière, la diversité des femmes :
Ce n’est pas un type de beauté déterminé qui éveille en moi l’amour ; cent motifs font que j’aime toujours. Une femme a-t-elle les yeux modestement baissés, je m’enflamme, et sa pudeur est le piège où je me prends. Telle autre est-elle provocante ? Elle me séduit, parce qu’elle n’est point novice et qu’elle me donne à penser qu’elle ne restera pas inerte, une fois sur un lit moelleux. Une troisième m’a paru farouche, émule des Sabines à la vertu rigide ; j’imagine qu’elle ne demande pas mieux, mais qu’elle dissimule profondément. Savante, tu me plais par tes rares talents ; ignorante, c’est par ta naïveté que tu m’as plu. […] Telle chante si agréablement, d’une voix aux inflexions variées, que je voudrais, pendant qu’elle chante, lui dérober des baisers. Telle d’un doigt habile parcourt les cordes harmonieuses : qui pourrait ne pas aimer desmains si savantes ? Telle autre plaît par ses gestes et balance harmonieusement son corps lascif. […] Enfin toutes les femmes sans exception que l’on admire à Rome, toutes, mon amour les convoite. (II, 4, v.9-48)
En troisième lieu Ovide prétend qu’il est absurde de se priver de plaisirs qui s’offrent à soi spontanément (v. 1275-1278) ; il s’agit encore de l’idée selon laquelle le galant est moins un séducteur, un chasseur, qu’un « fin gourmet », qu’il ne fait que jouir des joies que lui procure la vie spontanément et que ne pas goûter les bienfaits de la nature revient à mépriser cette dernière. Il rejoint de ce fait l’adage galant suivant de Saint-Evremond :
[…] c’est agir d’une manière injurieuse à la nature de n’aimer qu’une seule chose en tout l’univers30
Ovide mentionne également l’argument des injures du temps à la beauté et, dans un souci de sincérité, invite les amants à ne pas feindre de tenir encore à une femme qui ne ressemble plus à celle qu’elle était quand ils l’ont aimée. Il dit en raillant :
Un amant qui ne veut aymer qu’une maistresse,Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse,Que ses regards esteints inspirent la froideur,Doit-il estre constant pour aymer la laideur ? (v.1223-1226)
Cette évocation de la vieillesse qui met fin aux amours rappelle elle-même ces quelques vers d’Ovide :
La beauté est un bien fragile : tout ce qui s’ajoute aux anneés la diminue ; elle se flétrit par sa durée même ; ni les violettes ni les lis à la corolle ouverte ne sont toujours en fleurs, et, la rose une fois tombée, l’épine se dresse seule. (L’Art d’aimer, II, v.113-116)
Ovide affirme aussi qu’une femme qui se refuse à tout commerce amoureux n’est pas « aymable ». Contrairement aux héros des romans « tendres », le galant ne veut pas faire la cour sans rien recevoir en retour. C’est pourquoi, le chevalier romain déclare sans cérémonie qu’une prude ou une précieuse ruine tous les avantages de sa beauté ou de sa jeunesse en déboutant tout amant. Quand Corinne et Céphise lui demandent de faire un choix, Ovide tente de se sortir de cette impasse en les exhortant à déclarer leurs sentiments respectifs pour lui. En effet, il est hors de question pour lui de donner la préférence de manière arbitraire à l’une des deux femmes si celle qu’il choisit lui refuse ensuite sa victoire :
De deux objets* charmans le choix est difficile ;Celuy que je ferois pourroit estre inutile,Ne pouvant deviner laquelle de vous deuxVeut m’estre favorable & recevoir mes vœux ; (v.465-468)
Le héros galant clame également haut et fort qu’il récuse tout sentiment de jalousie. L’idéologie galante s’est en effet accompagnée d’une utopie selon laquelle l’amour, à la mode galante cela va sans dire, pouvait pacifier les rapports humains en général. De plus, le galant est un homme dont le charme réside dans le bon tempérament, dans l’enjouement ; il ne peut donc pas, à moins d’être en contradiction avec sa nature, et sans perdre son crédit aux yeux de son public de prédilection que sont les femmes, se montrer « fâcheux » et désagréable. On retrouve cette critique de la jalousie chez tous les auteurs galants contemporains de Gilbert et notamment chez l’Abbé Cotin ; celui-ci affirme :
La jalousie n’est pas un effet de l’Amour : l’Amour unit les cœurs et la jalousie les sépare31
Ovide est également totalement hostile au mariage. Selon lui, le dieu Hyménée ne fait que séparer les amants ; en effet, si le couple est fidèle à l’art d’aimer galant, il ne peut se résoudre à enchaîner sa liberté. C’est un refrain qui reviendra souvent dans les airs d’opéra. D’ailleurs dans l’Alceste de Quinault, Céphise chante :
L’hymen détruit la tendresseIl rend l’amour sans attrait ;Voulez-vous aimer sans cesse,Amans, n’épousez jamais32
Le personnage romain raille en outre le caractère larmoyant et velléitaire des amants de l’ancienne mode tel que Hyacinthe, qui contraste avec l’aspect rieur, enjoué et épanoui des amants inconstants. Pour lui, l’amour n’a qu’une fin, le plaisir ; « faire l’amour » pour éprouver « soins » et « allarmes » n’a donc pas de sens pour lui. C’est aussi ce dont témoigne Regnier-Desmarais dans l’« Edit de l’Amour » :
Malgré la règle des romansS’abandonner à la langueurDans une passion naissanteEst un moyen malpropre à s’introduire au cœur,La joie est plus insinuante.33
Le personnage d’Ovide est enfin complètement et continuellement double : le fond et la forme de ses paroles se caractérisent par une parfaite ambivalence. Le verbe galant est constamment ironique. La galanterie est l’art de dire des choses ridicules, selon le nouvel art d’aimer, en se gardant bien de les prendre au sérieux. C’est pourquoi, en parlant d’Ovide, Céphise peut dire :
Raillons cet inconstant qui se raille de tout. (v. 420)
En conséquence, Ovide use pratiquement du même langage que les amants « du temps jadis » ; c’est ce qui a longtemps prêté à confusion, en ce qui concerne l’ensemble des œuvres galantes ; de nombreux écrivains qui se réclamaient du modèle galant ont été considérés dans les siècles qui suivirent comme de parfaits opposants à la galanterie, pour la simple raison qu’on ne discernait pas toujours la satire du Royaume du Tendre dans leurs propos parfaitement travestis. La rhétorique galante a recours, comme le discours tendre, à des figures de style récurrente comme la syllepse, l’hyperbole, l’antithèse, le zeugma, l’emploi de métaphores entrées dans la langue courante. En fait les attitudes extérieures des amants galants ou « tendres » sont identiques, seul diffère le sens qu’ils leur donnent. Comme le dit J.-M. Pelous, « la galanterie est une comédie de l’amour qui se joue sur un texte qui ne correspond jamais exactement aux sentiments profonds des acteurs ». On peut citer quelques uns de ces moments de bravoure galants au cours desquels Ovide prend un « accent précieux » :
Vos Nymphes à mes yeux sont toutes admirables*,La blancheur de la neige éclate sur leur teinEt leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ;De leur esprit charmant l’entretien est si rare,Que c’est un labyrinthe où la raison s’égare ; (I, 1, v. 26-30)Nous venons admirer vostre rare merite,Et nous avions dessein de vous rendre visite,Mais vos esprits charmants, dont les cœurs sont tentez,Sont des traits dangereux contre nos libertez.L’agreable Cephise & l’aymable Corinne,Par leur majesté douce & leur grace divine,Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour,L’un pleure de despit, & l’autre meurt d’amour. (I, 2, v. 89-96)Puis que ma volonté se regle par la vostre ;Sans faire le cruel, je donneray mon cœurA celle qui pour moy quittera sa rigueur ; (II, 2, v. 454-456)Vous osez comparer vos froideurs à ma flamme,Vostre amitié de glace à mon ardante amour ? (I, 2, v.162-163)
Or ce travestissement de la parole, savamment dissimulé, était déjà recommandé par Ovide :
Garde-toi seulement de paraître, dans ces paroles, déguiser ta pensée, et que l’expression de ton visage ne démente pas l’effet de ton langage. L’art est utile quand il est caché ; s’il est découvert, il donne à rougir et détruit justement la confiance pour toujours. (L’Art d’aimer, II, 309-314) ;
En ce qui concerne, la rhétorique galante, il semble que le public mondain se soit vite accommodé avec le fait que toute parole amoureuse soit peu ou prou mensongère. Il s’agit donc d’une rhétorique qui déploie tous ses procédés de séduction pour rien : « Amour sans amour, ou anti-amour, la galanterie s’établit à la faveur d’un grand vide sentimental ». On pourrait dire que derrière cette rhétorique de la duplicité se dessine l’art d’Ulysse, à savoir la ruse, la « métis » grecque34. En effet, le charme du galant homme trouve sa source dans la subtilité de son esprit, dans son « adresse ».
Hyacinthe est quant à lui le parfait opposé d’Ovide. Il représente cette catégorie d’amants ridiculisés par les galants et qualifiés par ces derniers de « pousseurs de bons sentiments »35. L’analogie avec les débuts des Précieuses dans le monde est frappante ; comme elles, ils se rendent haïssables à force d’exagérations et d’excès de zèle. Dans l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin, Mme d’Olonne, à qui Janin de Castille a fait la cour à la façon précieuse, lui avoue sa répugnance pour ses manières exacerbées :
[…] je suis tellement rebutée de ces façons, et les soupirs et les langueurs sont à mon gré une si pauvre marchandise et de si faibles marques d’amour, que si vous n’eussiez pris avec moi une conduite plus honnête, vous eussiez perdu vos peines toute votre vie.36
Mais paradoxalement, ces individus ne font que souligner la ressemblance entre l’attitude galante et l’attitude précieuse : ils ne font qu’exagérer le comportement que tout homme galant adopte en déguisant la brutalité de ses désirs. Ils sont donc pour ainsi dire des galants qui se prennent au sérieux. C’est pourquoi les deux hommes sont deux véritables héros qui luttent chacun pour leur conception respective de l’amour. C’est en cela que la pastorale peut être dite héroïque. Il y a sans doute également une dimension ironique dans cet adjectif, surtout si l’on considère les passages où Hyacinthe a des accents cornéliens, comme celui-ci :
Avant que mon Rival acheve mes disgraces,Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir. (I, 3, v.245-248)
« En pousseur de bons sentiments », Hyacinthe voue un culte discret à sa maîtresse ; contrairement à Ovide, il est loin de se vanter d’avoir reçu quelque faveur (même si son statut de « pousseur de bons sentiments » le rend moins enclin à en recevoir) et ne presse pas Céphise de répondre à ses sentiments. Il ne cherche même pas à la séduire, mais patiente dans son sillage, dès qu’il le peut. Il se montre particulièrement soumis vis à vis d’elle. Lorsqu’il croit comprendre que cette dernière a des sentiments pour Ovide, il lui dit qu’il se soumet à sa volonté et s’efface.
Ah ! n’en rougissez pas ;Et si l’original a pour vous des appas,Contentez vos desirs, gardez-en la peinture :Il faut bien me resoudre à souffrir cette injure ;Puisque vous le voulez. (I, 3, v. 231-235)
Il manque d’audace et reste pour ainsi dire paralysé devant son idole. Après avoir remporté la victoire sur son rival, lors du concours qui les opposait, il ne se rend pas chez Corinne en conquérant mais il lui demande sa main en bonne et due forme.
Son tempérament est plus généralement velléitaire, ce qui devient très vite comique d’ailleurs, étant donné que Hyacinthe et Corinne font souvent allusion à son statut de héros. Il explique ainsi à la scène 6 de l’acte II qu’il veut se venger d’Ovide, après l’affaire du portrait, mais ce vœu, décrit pendant quatre vers, reste pieux puisqu’au cinquième vers Hyacinthe déclare vouloir encore attendre l’arrêt des Grâces :
L’intrigue du portrait me doit assez deplaire,Pour luy faire sentir les traits de mon courouxEt pour m’abandonner à des transports jalouxSans pousser un rival et marcher sur ses traces,Attendons un Arrest de la bouche des Grâces. (II, 6, v.646-650)
Une des caractéristiques des « pousseurs de bons sentiments » est la manie qu’ils ont d’évoquer sans cesse leurs souffrances et leurs inquiétudes en s’exclamant parfois de manière ridicule (d’où le nom de « pousseur » de bons sentiments). Ce passage de la réplique de Clomire, dans La prétieuse ou le mystère des Ruelles témoigne précisément de cette manie de pousser sans cesse des jérémiades :
C’est bon pour quelqu’idolastrePour quelque jeune folastre,Pour quelqu’amoureux de plastreDe vouloir toujours souffrir,De se plaire à languir,De pousser soupir sur soupirPour moy je ne désireQue rireJe hay toutes les rigueursToutes langueurs,Je ne veus soupirs ni pleurs,Ce ne sont point là mes couleurs. […]Je ne veus rien d’incommode,Dans ma plus fervente ardeur ;Le chagrin dans le cœur,M’irrite contre mon vainqueur […]Car nous autres, beaux esprits,Nous nous raillons de ces mépris.37
Comme ces amants transis caricaturés, Hyacinthe ne récolte aucune joie de l’amour qu’il sème chaque jour à la porte de sa bien-aimée. Semblable au personnage que décrit Ovide, dans Les Amours, qui se lamente sur le seuil de la porte, Hyacinthe consume ses jours en lamentations. Il est littéralement le personnage qui se meurt d’amour. L’idée de la mort, qui mettrait fin à son infortune, est d’ailleurs souvent présente. Les passages suivants sont particulièrement parlants :
Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse.Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords,Qui n’a point ressenty mes amoureux transports.Rende par son bonheur mes esperances vaines,Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines,Et m’oste pour jamais l’objet de mes desirs,Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, un souspirs ?Avant que mon Rival acheve mes disgraces,Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir. (I, 3, v. 240-248).
De ce point de vue, Hyacinthe est semblable à l’amant transi déçu et en pleurs auquel Ovide donne la parole dans les vers élégiaques suivants :
Non ! Aucun amour (loin de moi Cupidon et son carquois) ne vaut que j’invoque si souvent et si ardemment la mort. J’invoque la mort, lorsque je pense à ta trahison, femme née pour faire, hélas, mon malheur à jamais. (Les Amours, II, 5, v.1-4)
Ce type amoureux, déjà dépeint par Ovide, est repris également par Molière, dans Les Précieuses ridicules notamment, qui fut créée en 1659 ; l’auteur décrit aussi la manière « précieuse » des amants de faire la cour :
Il faut qu’un amant, pour estre agréable, sçache débite les beaux sentiments, pousser38 le doux, le tendre et le passionné […]
Ce « parfait amant » selon la terminologie « tendre », désavoue enfin l’atmosphère qui règne dans l’île après l’arrivée d’Ovide et de Corinne ; il blâme les danses, les chants et tout le soin artificiel que met Ovide à se farder. Il ne fait nul doute que ces griefs sont ceux qu’exprime à l’époque la « vieille » cour récriminant les excès de la jeunesse.
Céphise, quant à elle, est la parfaite illustration du modèle précieux. Elle est donc le pendant féminin de Hyacinthe. Elle considère, ou plus précisément, elle semble réciter, qu’une femme ne peut atteindre la gloire qu’en mettant en avant l’« unique ornement » de la vertu. Elle est ambitieuse, à sa façon, puisqu’elle aspire à la reconnaissance de ce mérite, qui est désormais rarement reconnu. Pour afficher avec héroïsme sa pudeur, elle affirme donc qu’elle ne souhaite pas avoir d’amant. Elle dit ainsi à Ovide :
Nos humeurs à tous deux sont assez differentes,Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes. (v. 1143)
Mais le type de la précieuse bien loin d’étouffer en elle ses sentiments se doit seulement de les dissimuler sous une apparence de parfaite « vertu ». Le troisième livre de L’Art d’aimer d’Ovide est adressée aux femmes et leur donne à elles aussi des conseils pour plaire. Il les invite d’une part à refuser quelque temps l’amour que leur offre leur soupirant afin d’exciter son désir, ce qui est conforme à ce que pense Hyacinthe de la conduite des femmes vertueuses (cf. III, 4) :
Les faveurs bien souvent ne font qu’un infidelle,Mais la vertu retient ceux qu’un bel œil appelle ;Et ce sexe sçavant à troubler le repos,En fuyant seulement sçait vaincre les Heros.
Ovide les exhorte d’autre part à faire preuve de dédain et à « mêler quelques refus » aux « douces joies » qu’elles accordent à leurs amants afin que l’amour qu’ils leur portent soit plus durable (cf. III, v.576-588) ; c’est cette attitude sournoise que relève Ovide à la scène 4 de l’acte III quand il mentionne, comme « aymables imposteurs »,
Leur accueil, leurs dédains, leurs amoureuses plaintes,Leurs reproches secrets et leurs coleres feintes.
C’est cette « hypocrisie » au sens étymologique du terme que les salons parisiens ne souffrent plus à partir de la deuxième moitié du XVIIe siècle ; on sent même en Céphise une aspiration à plus de vérité ; elle se traduit par les confidences qu’elle exprime dans les stances et qui mettent en évidence les contradictions de son for intérieur :
Depuis le jour fatal que j’ayme,Mon orgueil accroist mon tourment ;Je ne combats plus mon Amant,Mais je combats contre moy-mesme,J’esprouve en mon fort rigoureux,Que la sagesse qu’on admire,Fait quelque fois des malheureux,Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire. (v. 1396-1402)
Dans la comédie de La Fontaine intitulée Clymène, composée, semble-t-il, entre 1658 et 1660, l’auteur renvoie pareillement au discrédit que la cabale précieuse fait désormais peser sur la pruderie :
ERATO[…] Autrefois j’étais fièreQuand on disait que non ; qu’on me vienne aujourd’huiDemander « Aimez-vous ? », je répondrai que oui.APOLLONEt pourquoi ?ERATOPour éviter le nom de Précieuse.39
En parfaite précieuse, Céphise se refuse catégoriquement de confier ses sentiments à Aminte, qui n’a de confidente que le nom et ne détrompe pas l’homme qu’elle aime en réalité, Hyacinthe, quand celui-ci croit comprendre qu’elle « reçoit les vœux » d’Ovide. Elle fait preuve à l’égard d’elle-même d’une extraordinaire sévérité en refusant de se déclarer pour Hyacinthe, alors que cet aveu, auquel l’exhorte Ovide, pourrait la délivrer des assauts du chevalier romain, qui jouit du soutien de son père, et d’un mariage avec lui qu’Alcidon appelle de ses vœux. Selon les termes de Saint-Evremond, elle représente l’exemple même de la « vestale à l’égard d’un amant »40, d’autant qu’elle tait son amour pour Hyacinthe depuis cinq ans au moment où débute l’action, faisant montre d’une insensibilité totale face à la cour passionnée du jeune homme en adoration devant elle. Son intransigeance et sa pudeur, qui tendent au refus de l’amour, sont tournées en ridicule par Gilbert dans toute la pièce ; en effet, Céphise ne rompt le silence que lorsqu’elle a eu la permission des dieux en quelque sorte. Or, à la cour, aucune divinité n’intervient pour donner la permission d’aimer ‒ si ce n’est peut-être le roi lui-même, mais de manière implicite afin de ne pas se mettre à dos toute la cour puritaine. L’auteur sous-entend ainsi avec ironie que les précieuses sont des femmes qui attendent en vain et qui martyrisent encore les quelques amants qui les courtisent à l’ancienne mode.
Corinne, la maîtresse d’Ovide, symbolise enfin la coquetterie. Contrairement, au couple Hyacinthe/Céphise, il n’y a pas une parfaite équivalence entre l’art d’aimer d’Ovide et l’attitude de Corinne. C’est ce que dénotent les prépositions « avec » /« et » dans le Prologue des Grâces : « Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise ». En effet, Corinne, comme toute coquette, feint seulement d’accepter le caractère volage d’Ovide. En fait, elle tient à Ovide qui a pour elle toute l’élégance et la subtilité du galant homme, mais en droit, elle est loin de soutenir les inconstants. C’est la raison pour laquelle elle ne peut s’empêcher d’éprouver de la jalousie envers Céphise. Comme le dit J.-M. Pelous, « la coquette offre à l’amour une résistance d’autant plus redoutable qu’elle se déguise sous une apparente acceptation ; en effet, contrairement à Ovide, ce n’est pas le plaisir que Corinne considère comme la fin ultime de la vie, mais la gloire ; il s’agit cependant d’une gloire très différente de celle à laquelle aspire Céphise : celle-ci se fonde sur le nombre d’amants qu’une femme cristallise autour d’elle et qui est censé témoigner de sa beauté hors du commun. On pourrait dire que Corinne n’accepte que sa propre inconstance et refuse celle d’Ovide, comme celle de tout autre de ses soupirants. Elle ne sert avant tout que ses intérêts, c’est-à-dire son aspiration à la gloire. Elle l’avoue d’ailleurs à sa confidente Célie qui compare son inconstance à celle d’Ovide :
L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la gloire en veut mille ;Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu,Pour orner son Triomphe. (II, 4, v.570-572)Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la gloire :D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu,L’un naist de la beauté, l’autre de la vertu ;La vertu s’est acquise une estime assez forte,Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ;L’une en fort petit nombre a ses admirateurs,Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs. (v.574-580)
Dans Les Amours, Ovide fait d’ailleurs référence à l’orgueil de sa bien aimée Corinne et à son désir de domination :
La beauté rend orgueilleux, la beauté de Corinne la rend intraitable. Hélas ! Pourquoi se connaît-elle si bien ? ; […] Non, vraiment, si ta beauté te donne sur toutes choses un empire trop puissant, ta beauté créée pour enchanter mes yeux, tu ne dois pourtant pas, en me comparant à toi, me mépriser : la grandeur peut bien s’unir à lus petit qu’elle. (II, 17, v.6-15)
Il dépeint sans aucun doute l’attitude d’une authentique coquette, dont l’objectif premier est en réalité d’inverser les rôles de la séduction. Corinne en vient même à surpasser son amant : à l’inverse d’Ovide qui multiplie ses conquêtes moins par calcul que par hédonisme, elle a le machiavélisme d’un fin « stratège ». Elle essaye par exemple de séduire Hyacinthe pour « rengager » Ovide en le traitant mal inversant une fois de plus les rôles de l’homme et de la femme. Mais les galants n’étaient pas prêts à voir les femmes prendre l’initiative en amour, ce qui leur auraient enlevé tout le plaisir de la séduction et du jeu amoureux avant la victoire ; d’ailleurs la galanterie consistait bien plus en un jeu verbal qu’en un libertinage valmontesque. Ovide, le premier homme galant, considère lui-même que la pudeur interdit aux femmes de prendre l’initiative en amour et que ce sont les hommes qui doivent se déclarer pour elles, tel que le dit Céphise à la scène 3 de l’acte II.
Pour un esprit galand c’est mal faire la Cour,Que de nous obliger à vous parler d’amour ;Mon sexe en doit donner, & le vostre en doit prendre,Rendez nous le respect que vous nous devez rendre,Quittez cette humeur vaine, & ne prétendez pasQue mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas.
On en veut pour preuve les nombreux hommes galants de l’époque qui étaient impuissants. Néanmoins toutes les manœuvres amoureuses d’une coquette sont susceptibles de « pimenter » le jeu de séduction, ce qui correspond parfaitement à la conception galante de l’« amour ». Ovide mentionne à maintes reprises dans Les Amours et L’Art d’aimer que la dimension agonistique d’une relation amoureuse est primordiale pour le plaisir des deux amants :
Quand on désire ce qui est permis et facile, il faut aller prendre des feuilles aux arbres ou boire de l’eau dans un grand fleuve. Si une belle veut s’assurer un long empire, qu’elle sache se jouer de son amant. […] Trop de facilité ne vaut rien pour moi : ce qui me suit, je le fuis ; ce qui me fuit, c’est moi qui le poursuis.
Ainsi Corinne n’est pas plus sincère qu’Ovide dans ses intrigues amoureuses. Elle ne fait que se jouer de ses amants ; comme celles d’Ovide, ces paroles sont vides de tout sentiment d’amour : si Ovide sert Amour, c’est en le rendant célèbre, c’est en se faisant son chantre, et non pas en aimant à vau-l’eau. Elle recourt à la ruse et au travestissement, comme lui, en jouant le rôle d’une précieuse pour tenter de séduire le « pousseur de bons sentiments » qu’est Hyacinthe :
Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ;Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux,Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux.Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne (II, 5, v. 606-609).
La galanterie et le libertinage ou l’influence d’Ovide sur le mythe de Don Juan §
Il est évident que la pièce de Gilbert Les Amours d’Ovide a eu une influence sur la pièce Le Festin de Pierre ou Dom Juan de Molière et donc indirectement, sur l’opéra Don Giovanni de Mozart. La pastorale occupe une place chronologique intermédiaire entre la pièce Del burlador de Sevilla de Tirso de Molina, qui date de 1630 environ, et l’importation du mythe de Don Juan en France. Par la suite, Molière a, quant à lui, synthétisé les aspects espagnols, transmis par les pièces italiennes et les traits de caractère du galant homme Ovide, décrit par Gilbert, ce qui était rendu possible par l’existence de nombreux points communs de nature entre le donjuanisme et la galanterie.
On s’attachera donc dans cette partie à montrer l’influence du héros galant sur le personnage de Don Juan en France, c’est-à-dire à montrer la parenté de ces deux « types ».
Il faut noter tout d’abord que Dom Juan comme l’amant galant a pour ancêtre commun Ovide, comme le fait justement remarquer Gregorio Marañon, dans son œuvre intitulée Don Juan et le donjuanisme, en 1958 : « C’est à Rome qu’a été publié le premier manuel d’apprentissage donjuanesque, le plus cynique et le plus achevé, L’Art d’aimer, d’Ovide. Et Ovide lui-même fut un Don Juan avec toutes ses gloires, avec toutes ses misères et avec toutes ses équivoques »41.
En outre, comme l’Ovide galant, Don Juan n’est qu’un « exemplaire d’une des variétés de la faune amoureuse ». Il s’agissait bien en effet dans les comédies du XVIIe siècle de fonder le comique sur des types de caractère en les caricaturant le plus possible. Don Juan, quant à lui, est, comme Ovide, dans « l’indétermination juvénile », selon l’expression de Marañon. L’académicien espagnol entend par là que Don Juan aime dans son ensemble le sexe féminin et ne se livre jamais à un choix déterminé ; il ne différencie aucunement l’objet de son désir. Marañon emploie aussi l’expression de « légèreté versatile et innombrable ». On pourrait dire qu’il est un être assoiffé d’idéal féminin, incapable de se fixer et d’être rassasié. Cette tendance se double généralement, d’après Marañon, d’un certain narcissisme que nourrissent les victoires amoureuses successives. Les deux personnages rappellent souvent leur vaste expérience personnelle dans le domaine des intrigues amoureuses.
Don Juan fait ainsi preuve d’un certain héroïsme qu’il dirige contre l’organisation de la vie sexuelle par les bienséances. Ovide, lui, compris comme le parangon de la galanterie, se dresse contre les Précieuses et les « pousseurs de bons sentiments réactionnaires » ; comme on l’a vu précédemment, l’idéologie qu’il incarne se développe de manière essentiellement négative.
Pour faire de nouvelles conquêtes féminines, Don Juan, comme Ovide, se conforme à la maxime « La fin justifie les moyens ». C’est pourquoi, tous deux ne s’embarrassent pas de sincérité et promettent l’exclusivité de leurs sentiments à chaque femme qu’ils courtisent ; de même, afin de faire connaître leur mérite de séducteur aux autres femmes ils n’hésitent pas divulguer, à exagérer, voire inventer leurs succès amoureux. En effet la renommée est l’arme la plus efficace pour leurs nouvelles aventures. Ainsi Ovide fait-il croire à Hyacinthe dès le début de la pièce que Céphise a cédé à ses avances. Dans le même sens, les rivaux des deux séducteurs ne le sont qu’avant la possession de la femme désirée. Après, ils peuvent leur être utiles : dans Les Amours d’Ovide, l‘amour que Hyacinthe porte à Céphise sauve Ovide du péril du mariage.
Enfin pour les deux types amoureux, l’esprit est une qualité indispensable et joue un rôle très important dans leur pouvoir de séduction. Une certaine forme de stratégie est toujours mise en œuvre par Don Juan, de même qu’Ovide fait preuve continuellement de subtilité et d’ambivalence dans ses propos.
Ces nombreux traits de caractère communs sont mis en évidence par de fréquentes références intertextuelles à la pièce de Gilbert chez Molière et dans l’opéra de Da Ponte dont on en citera quelquesunes.
Par exemple, Sganarelle fait allusion à une liste des nombreuses conquêtes féminines de son maître, comme le fait Ovide lui-même :
Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne,il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ;si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieuxce serait un chapitre à durer jusqu’au soir. (I, 1, 67-71)
De son côté, Leporello donne lui une liste plus précise dans la scène 5 de l’acte I de Don Giovanni :
LEPORELLO (parlant à Donn’Elvira)
Eh ! consolez-vous,
Vous n’êtes pas, n’avez été et ne serez ni la première ni la dernière.
Regardez : ce livre qui n’est pas petit, est tout plein du nom de ses belles ; chaque ville, chaque bourg, chaque village est témoin de ses entreprises féminines.
Petite Madame, voici le catalogue que j’ai fait moi-même ;
Regardez, lisez avec moi.
En Italie six cent quarante, en Allemagne deux cent trente et une,
Cent en France, en Turquie quatre-vingt onze,
Mais en Espagne elles sont déjà mille et trois.
Il y a parmi celles –ci des paysannes, des femmes de chambre,
Des bourgeoises, il y a des baronnes, des marquises, des princesses
Et des femmes de tout rang, de toute forme, de tout âge.
Chez la blonde il a l’usage de louer la gentillesse ;
Chez la brune, la constance ; […]
Ces vers ne sont pas sans rappeler, la fameuse « Question d’amour », à laquelle Ovide ne sait répondre et qu’Amour prescrit de ne pas trancher, qui consiste à se demander qui est la plus aimable de la brune et de la blonde ainsi que tout le passage suivant de la pastorale :
OVIDE.Mais pour se consoler, elle a quelque compagneA Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne.Comme je suis touché des rares qualitez,Je fais par tout ma cour aux plus grandes beautez,Et je veux quelque jour vous en donner la liste.CEPHISE.Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste,D’Albine, d’Emilie.OVIDE.Et cent autres encore,Dans l’Almanach* d’Amour je marque en Lettres d’or. (IV, 3, v. 1091-1098)
De même le vers suivant de Don Juan (III, 5) ressemble fort à ceux-ci d’Ovide :
Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi,Je vis en liberté. (IV, 4, v. 1058-1059)J’aime la liberté en amour, tu le sais,
et je ne saurais me résoudre à renfermer mon cœur entre quatre murailles.
Don Giovanni clame quand à lui « Vive la liberté ! » (I, 19) et affirme
Et moi pendant ce temps, de l’autrecôté, avec celle-ci et celle-là je veux faire l’amour. Ah ! ma liste demain matin d’une dizaine tu dois t’accroître (I, 14).
Don Juan considère également comme Ovide que l’attitude de l’amant fidèle est une injure faite à toutes les autres femmes qu’il ne courtise pas : il affirme ainsi à la scène 2 de l’acte I :
Toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’estre rencontrée la première, ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs […] l’amour que j’ay pour une belle, n’engage point mon cœur à faire injustice aux autres.42
Plus généralement, la tirade suivante de Don Juan est encore toute empreinte de l’influence de la galanterie et a de très nombreux accents gilbertiens évidents :
Quoi ! Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour des ridicules, toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. […] Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que j vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerai tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. (I, 2, v.124-144)
Néanmoins, il faut être conscient que des différences majeures subsistent entre l’amant galant et Don Juan. Le héros espagnol, moliéresque ou Dapontesque lance perpétuellement un défi à la société, à l’Eglise et à Dieu. Cette dimension extrêmement subversive n’est pas du tout présente dans la galanterie, pour la simple raison qu’elle ne s’est développée que lorsqu’elle a reçu le soutien de la plupart des salons mondains de l’époque et que les écrivains galants ne pouvaient se risquer à se heurter à toute l’opposition des hommes d’Eglise, de la « vieille » cour et même du roi, hostile à tout renversement trop brutal des valeurs établies. La galanterie se joue constamment des Précieuses et du modèle tendre mais elle ne prêche pas la révolution : les galants se contentent de vouloir convertir le plus de prudes et de Précieuses possibles à leur divertissement avant tout verbal.
Comme le dit J.-M. Pelous, « le libertinage amoureux exerce [dans la deuxième moitié du XVIIe siècle] une tentation évidente mais se heurte néanmoins à quelque refus inconscient […] L’existence d’une littérature du libertinage supposerait une adhésion à cette faillite totale de l’amour traditionnel que postule l’attitude libertine ; la mentalité galante se refuse à cette extrémité et semble hésiter entre la réprobation et l’admiration »43. La révolte galante ne va jamais jusqu’à la rupture complète avec la morale. Les galants parlent beaucoup d’inconstance mais montrent les libertins du doigt. J.-M. Pelous synthétise très bien les rapports entre la galanterie et le donjuanisme en disant :
Entre le libertin et le galant homme, il n’y a sans doute que peu de différences ; railleurs, inconstants, impies à l’occasion, tous les deux le sont. Les mêmes traits se retrouvent chez l’un comme chez l’autre, mais ici poussés jusqu’à l’extravagance, là sagement tempérés par l’esprit et la raison. A la fois semblables et antithétiques, ils sont comme l’avers et le revers d’un même idéal. Mais le galant homme sait qu’il y a dans la galanterie une large part de jeu […]44.
Note sur la présente édition §
La présente édition a été établie à partir de l’exemplaire de la pièce de Gilbert disponible à la Bibliothèque de l’Arsenal. Il s’agit d’un volume de format in-12°. Il se présente ainsi :
[I] blanc
[II] blanc
[III] LES/AMOURS/D’OVIDE./PASTORALE/HEROIQUE./PAR MONSIEUR GILBERT, /Secretaire des Commandements de/la Reyne de Suède, & son/Resident en France. /A PARIS, / chez GUILLAUME DE LUYNE, /Libraire Juré, en la Galle-/rie des Merciers, à la Justice. /M. DC. LXIII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY.
[IV] blanc
[V-IX] dédicace à COLBERT.
[X] privilège du Roi.
[XI-XII] Prologue des Grâces.
[XIII] Acteurs.
[XIV] Récit.
Pages 7-112 : Les Amours d’Ovide
(Les pages 1 à 6 ne sont pas numérotées et si on compte à rebours à partir de la page 7, la page 1 est la fin de la lettre à Colbert et la signature de Gilbert.)
On a pu consulter un autre exemplaire de cette édition à la Bibliothèque Sainte Geneviève, qui était accompagné au sein d’un recueil factice, d’un « poëme heroï-comique » écrit par Bonnecorse, intitulé Lutrigot, qui est une satire de l’œuvre de Boileau Le Lutrin, dont la première édition date de 1684. La seule différence entre les deux exemplaires est la place de la liste des acteurs : celle-ci se situe après le privilège dans cet exemplaire.
On a pu observer également à la Bibliothèque nationale de France un exemplaire de l’édition de Loyson. Il s’agit d’un volume in-12° en tous points identiques à l’édition de Guillaume de Luyne, à l’exception de la place de la liste des acteurs, qui se trouve là encore après le privilège et de la page I qui cite bien sûr le nom de Loyson et dont le « T » de GILBERT est effacé :
[I] LES/AMOURS/D’OVIDE./PASTORALE/HEROIQUE./PAR MONSIEUR GILBER, /Secretaire des Commandements de/la Reyne de Suède, & son/Resident en France. /A PARIS, / chez Estienne LOYSON, au palais/ à l’entrée de la Gallerie des Prison-/ niers, au nom de Jesus. /M. DC. LXIII. /AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Il existe donc une seule édition parisienne et une édition hollandaise de la pièce de Gilbert, celle de Barbin et celle d’Elzevir à Amsterdam. En effet Barbin a reçu le privilège du roi et en a fait ensuite part à Guillaume de Luyne et Estienne Loyson ; il s’agit d’une édition partagée.
Corrections §
Les orthographes différentes d’un même mot ont été reproduites dans le respect du texte. En effet, de très nombreux mots ont des orthographes multiples dans le texte, ce qui ne peut pas être dû à des coquilles. Le tilde (~) a été remplacé par la lettre correspondante –m ou –n. Le –u et le –v, le –i et le –j, initialement confondus, ont été distingués. La ponctuation de l’édition originale a également été respectée dans la mesure où la ponctuation de l’époque ne répondait pas aux mêmes critères que celle d’aujourd’hui : il s’agit d’une ponctuation orale. La virgule marque ainsi un court temps d’arrêt; le point virgule et le point marquent une pause plus longue. Ces derniers servent parfois à souligner une articulation forte dans une phrase.
Enfin, diverses corrections sur des fautes d’orthographe et de ponctuation, et sur des erreurs de pagination ou de personnages manifestement dues à des coquilles, ont été apportées:
Dédicace IP. /Prologue à l’envie / v.43 Rival ! ?/ v.83 oubli de la virgule /p. 14 : p. 4 / v.87 eu /v.94 Parleur/ v.134 L’aurait /v.150 jugement des yeux grecs /v.168 interest /v.174 a /v.220 d l’esclat/ v.244 n’y l’arme
, un souspirs ? / v. 251 vast’en /v.251 r’appeler / v.282 j’en /v.318 lles/ v.334 se qui partage/v.336 maspaiser /v.359 la/ v.368 divine/ p. 37 : p. 73/ v.525 prénez /v.569 dans cette Isle/v.634 instruit moy/ v.636 que puisse / v.664 oubli du point après ingrat / v.771 rend /v.818 imposturs / v.830 avec / v.872 vaincu / v.872 hommage. /v.880 ou / v.947 d’orée / v.988 encore /v.997 faitretentir/ p. 77 : Liij/ v.1020 approchat /v. 1025 regardersans/ v. 1087 Masi/ v. 1070 seul/ v.1098 d’or./v.1122 vuider/ v.1131 CELIE / v.1137 ambaras /v.1142 fraideur/ p. 88 : p.86/ v.1167 l une/ v.1195 tout lemonde/ v.1200 void/ v.1238 où/ v.1248 a/ v.1302 labeauté/ v.1336 en faveur des constans ; /v.1372 sexed’une humeur, v.1375 treuve, v. 1400 J’esproune/ v.1418 qui la remportée/ v.1429 craire/ v.1470 At / v.1487 Hyacinthe./v.1527 réporte/ v.1543 d’elle / v.1548 avec / v.1558 encore / v.1584 des /v.1645 eux/ p. 110 : p. 10
LES
AMOURS
D’OVIDE.
PASTORALE HEROIQUE. §
A MONSEIGNEUR
COLBERT
CONSEILLER DU ROY
En tous ses Conseils, & Intendant
De ses Finances. §
MONSEIGNEUR,
Il y a long-temps que j’aurois pris la liberté de vous dedier quelques-uns de mes ouvrages, sans les grandes affaires qui vous occupent continuellement ; cela me faisait apprehender de vous dérober quelques-uns de ces momens precieux que vous employez à executer les ordres du Roy. Mais comme feu S.E45 a bien voulu quelquefois se delasser l’esprit dans la lecture de mes écrits ; j’ai crû que vous n’auriez pas desagreable que j’eusse l’honneur de vous presenter celuy-cy, & que j’entreprisse quelque jour de faire vostre Eloge. Vous ne pouviez jamais avoir une marque plus infaillible de vostre merite*, que l’estime* que ce grand Ministre a faite de vous, & le choix que S.M 46 en a fait en suite pour l’administration de ses finances, la chose la plus delicate & la plus importante d’un Estat. Les Romains qui estoient de sages Politiques, éprouvoient par ces charges la fidelité & la suffisance* de leurs Citoyens ; Il vous est fort glorieux, MONSEIGNEUR, que ce soit dans le temps que vous avez le maniement des finances que la France ait commencé à faire des largesses, & que le Roy ait répandu ses libéralitez sur la fleur* des gens de Lettres de ce Royaume, & les actions illustres* des plus grands Monarques ne suffisent pas pour les rendre immortels, si quelqu’un ne prend soin d’en conserver la memoire. Mais ces excellents Genies sur qui S.M a fait éclater* ses bienfaits, n’en seront pas ingrats, & feront retentir son Nom de siecle en siecle, & d’un bout du monde jusques à l’autre. Le regne de Louys XIV se rendra plus fameux à la posterité que celuy du II. des Cesars47 : sous la domination d’un Prince plus parfait qu’Auguste, les Armes & les Sciences fleuriront dans cét Empire avec plus d’éclat* qu’elles n’ont fait autrefois dans Rome. Ovide, cét illustre* malheureux, après en avoir esté injustement exilé, vient chercher un azile dans cette Cour ; il espere estre mieux receu en France que dans sa propre patrie & se promet* que vous aurez la bonté d’estre son Protecteur : son crime n’est que d’avoir esté trop galant*, & d’avoir enseigné un Art, sans qui la moitié du monde seroit ennemie de l’autre. Ce Chevalier Romain ayant faire l’Art de plaire, qui a esté admiré de toute la terre ; j’ai crû que je pourrois faire une Comedie de luy, qui ne déplairoit pas. Depuis plusieurs années j’ay mis en lumiere divers Escrits en vers & en prose, sans en avoir tiré autre avantage que de les avoir presentez à ce que la France avoit de plus Auguste & de plus Eminent. Bien que nous soyons dans un temps où les Muses sont mieux traitées par les Graces ; de quelques maniere que l’on considere mes ouvrages, je m’estimeray assez heureux, si vous ne me refusez pas l’honneur de vostre protection*, & si vous me permettez de prendre la qualité,
MONSEIGNEUR,
De vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur,
GILBERT.
EXTRAICT DU PRIVILEGE du Roy. §
Par Grace* & Privilege du Roy donné à Paris le dix-neufiesme Juillet 1663.signé par le Roy en son conseil MARESCHAL; Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire, de faire imprimer, vendre & débiter* une Comedie intitulée, Les Amours d Ovide par Monsieur Gilbert, & ce durant le temps & espace de sept ans ; & deffences sont faites à tous les autres d’ imprimer, vendre et debiter* ledit livre sans permission dudit Barbin, à peine de mil livres d’amande, & de tous despens, dommages & interets, comme il est porté plus amplement par lesdites Lettres.
Et ledit Barbin a fait part de son Privilege à Guillaume de Luyne, & Estienne Loyson, pour en jouir le temps porté par iceluy.
Achevé d’imprimé pour la premiere fois le 20 Aoust 1663.
PROLOGUE
DES
GRACES. §
TALIE, une des GRACES48.
2.GRACE.
ACTEURS. §
- LES GRACES.
- OVIDE. Chevalier Romain.
- CORINNE. Maistresse* d’Ovide Dame Romaine.
- CEPHISE, Nymphe de l’Isle de Cypre.
- HYACINTHE, Amant* de Cephise
- MAXIME, Confident* d’Ovide.
- DAPHNIS, Confident* d’Hyacinthe.
- AMINTE, Confidente* de Cephise.
- CELIE, Confidente* de Corinne
- L’AMOUR, Finit la Piece.
RECIT. §
ACTE I §
SCENE PREMIERE. §
HIACINTHE.
OVIDE.
Cette Isle est plusHYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
SCENE II. §
OVIDE.
HYACINTHE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
CORINNE.
OVIDE.
CEPHISE.
CORINNE.
CORINNE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
NeCORINNE.
OVIDE.
SCENE III. §
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE, voyant le portraict d’Ovide.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
N’en soiez pointSCENE IV. §
CEPHISE.
SCENE V. §
CEPHISE, seule.
SCENE VI. §
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
Je rendray vos desirs satisfaits.CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
ACTE II. §
SCENE PREMIERE. §
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
SCENE II. §
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CORINNE.
CEPHISE.
AMINTE, à Cephise tout bas.
PREMIER BILLET.
à Corinne.
Ovide.
CORINNE, apres que Cephise a leu le billet.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
SECOND BILLET
A Corinne.
CEPHISE.
Ovide.
CEPHISE, ayant leu le second billet.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
SCENE III. §
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
Vous sçavez le contraireCEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
CORINNE.
OVIDE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
OVIDE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
SCENE IV. §
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
CORINNE.
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
CELIE.
CORINNE.
SCENE V. §
CORINNE.
HYACINTHE.
CORINNE.
HYACINTHE.
CORINNE.
HIACINTHE.
CORINNE.
HYACINTHE.
CORINNE.
HIACINTHE.
CORINNE.
SCENE VI. §
HIACINTHE, seul.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
ARTICLES SECRETS
Accordez entre Ovide & Corinne, en
partant de Rome pour aller en l’Isle de
Cypre.
I. ARTICLE.
II. ARTICLE.
OVIDE apres avoir leu les cinq articles.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
VI. & dernier ARTICLE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
OVIDE.
SCENE II. §
CELIE.
OVIDE.
La place n’est pas loing ;SCENE III. §
OVIDE seul.
SCENE IV. §
HIACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
SCENE V. §
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
MAXIME.
OVIDE.
HYACINTHE.
MAXIME.
HYACINTHE.
MAXIME.
OVIDE.
MAXIME.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
SCENE VI. §
DAPHNIS.
HIACINTHE
OVIDE.
DAPHNIS.
MAXIME.
DAPHNIS.
HYACINTHE.
DAPHNIS.
OVIDE.
HIACINTE.
ACTE IV. §
SCENE PREMIERE. §
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
CEPHISE.
CORINNE.
SCENE II. §
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
SCENE III. §
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
CEPHISE.
OVIDE.
CEPHISE.
SCENE IV. §
OVIDE.
HIACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CEPHISE.
OVIDE.
SCENE V. §
THALIE, l’une des Graces.
OVIDE POUR LES Inconstans.174
HIACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDEmonstrant les Graces.
CORINNE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
THALIE à Hyacinthe.
HYACINTHE POUR LES Constans.
CEPHISE.
CORINNE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CORINNE.
HYACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
CORINNE.
CEPHISE.
OVIDE à Hyacinthe.
HYACINTHE.
THALIE.
RECIT.
HYACINTHE.
OVIDE.
ACTE V. §
SCENE PREMIERE. §
CEPHISE seule.
STANCES.
SCENE II. §
CEPHISE continuë.
AMINTHE.
CEPHISE.
AMINTE.
CEPHISE.
AMINTE.
AMINTE.
SCENE III. §
HIACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
SCENE IV. §
DAPHNIS.
HYACINTE.
DAPHNIS.
HIACINTHE.
CEPHISE.
HIACINTE.
DAPHNIS.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
HYACINTHE.
CEPHISE.
SCENE V. §
OVIDE.
OVIDE.
CORINNE.
CEPHISE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HIACINTHE.
OVIDE.
HYACINTE.
OVIDE.
HIACINTHE.
CEPHISE.
OVIDE.
CORINNE.
HYACINTHE.
OVIDE.
CEPHISE.
CORINNE.
OVIDE.
CORINNE.
RECIT.
HIACINTHE.
CEPHISE.
CORINNE.
Qu’il a d’attraits pour plaire !SCENE VI. & derniere. §
L’AMOUR.
FIN.
Glossaire §
ABREVIATIONS
A = Dictionnaire de l’Académie française, 1694.
F = A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690.
R = P. Richelet, Dictionnaire français, 1680.